BIBLIOBUS Littérature française

L'ANCIEN FIGARO - 1826

 

Deux mots

 

L’ANCIEN FIGARO

 

ÉTUDES SATIRIQUES

BIGARRURES, COUPS DE LANCETTE, NOUVELLES A LA MAIN

extraits du :

FIGARO de la restauration

AVEC UNE PRÉFACE ET UN COMMENTAIRE

PAR

ÉMILE GABORIAU




PARIS
E. DENTU, ÉDITEUR,
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES
PALAIS-ROYAL, 13, GALERIE D’ORLÉANS.
1861

TABLE DES MATIÈRES

  • 1826
  • 1827
  • 1828
  • 1829
  • 1830

Imprimé par Charles Noblet, rue Soufflot, 18.

DEUX MOTS

«Pardon, Messieurs, de prendre la parole, mais il s’agit d’une très-courte explication et d’un fait personnel; d’ailleurs, je ne veux dire que deux mots.»

Ainsi ne manquait de débuter l’honorable M. S..... de M...., toutes les fois qu’il réussissait à prendre d’assaut la tribune de la Chambre des députés. Sans doute il croyait rassurer ses collègues, qu’effrayait beaucoup son éloquence parlementaire.

Que le lecteur me permette d’excuser ma préface par cette humble formule.

Ce volume de l’ancien Figaro n’est et ne veut être qu’une curiosité littéraire, un recueil de documents pour servir à l’histoire de la Restauration, presqu’un travail archéologique.

En effet, bien que trente ans à peine se soient écoulés depuis, telles sont les préoccupations du jour et les anxiétés de l’avenir, qu’on n’a pas le temps de regarder en arrière et qu’on a presque oublié des événements qui se passaient hier.

On parle souvent encore du Figaro de la Restauration, mais le nom est tout ce qu’on en connaît; qui donc se souvient encore de sa polémique ardente, de son esprit, de ses audaces?

Personne, en vérité; et les collections en sont devenues si rares que celle même de la Bibliothèque impériale est incomplète.

Et pourtant, ce petit journal a un avantage immense, que n’ont pas toujours ses confrères d’un grand format.

Il donne la note de l’esprit du temps, et il la donne juste.

Or, cette note vraie, on la chercherait vainement ailleurs, on ne la trouverait pas, sauf peut-être dans tel chapitre d’un livre de Stendhal, le Rouge et le Noir.

C’est dans ces pages étincelantes de verve, pétillantes de raillerie, de l’ancien Figaro, que plus tard puisera l’histoire, dans quelque cinquante ans; elles seront rares et précieuses, parce qu’elles sont comme les mémoires au jour le jour de l’opinion, en un temps où l’opinion était souveraine. Une méchanceté spirituelle, un coup de lancette, une bigarrure, en disent plus, souvent, que quatre longues colonnes, bien compactes et bien serrées.

Avec de semblables documents, on n’écrit pas l’histoire, mais on la comprend, et surtout on reconstruit une société.

Jusqu’ici, cependant, tous les historiens sérieux de la Restauration semblent avoir, à dessein, négligé ce petit journal. Peut-être le trouvaient-ils trop au-dessous de leur gravité, peut-être pensaient-ils, bien à tort, que les faits qu’il éclaire sont encore trop près de nous pour avoir besoin de lumière. Le plus explicite de tous en fait à peine mention dans deux circonstances: lors de la condamnation de son directeur, et à propos des fameuses ordonnances, parce que la protestation des journalistes portait les noms de Victor Bohain et de M. Nestor Roqueplan, alors à la tête du Figaro.

J’ai voulu réparer cet oubli, et essayer de donner une idée de ce qu’était le petit journal sous la Restauration. Il joua alors un grand rôle. Il était chargé de la partie de flageolet dans cette immense symphonie du journalisme, et il s’en acquittait merveilleusement. J’avais à choisir entre le Corsaire, le Miroir, la Pandore et bien d’autres, je me suis décidé pour le Figaro, le plus connu et de beaucoup le mieux fait.

Puisant, sans parti pris, presque au hasard, dans les quatre années de 1826 à 1830, j’ai recueilli un volume, la fleur du panier, à ce que je crois.

Autant que possible j’ai écarté les articles trop violents, les allusions blessantes, les à-propos dont le sel semblerait perdu, enfin les personnalités de nature à choquer encore aujourd’hui certaines susceptibilités.

Quant à la ligne politique suivie par le Figaro, je ne m’en suis aucunement préoccupé. L’intérêt, à mon sens, n’était pas là.

Je me réservais, d’ailleurs, de déclarer qu’en tout ceci je prétends n’engager en aucune façon ma responsabilité non plus que mes opinions.

*
* *

Chatelain, l’ancien rédacteur en chef du Courrier français, un des journalistes les plus distingués de la Restauration et des premières années de la monarchie de Juillet, avouait à son lit de mort qu’il avait passé vingt ans de sa vie politique à refaire tous les jours le même article; un grand nombre de ses confrères n’ont pu s’empêcher de confesser la même vérité.

Le lecteur reconnaîtra, en lisant ces pages empruntées à quatre années du Figaro, que le petit journal ne fait pas tous les matins le même article.

Le petit Journal

Les régimes peuvent changer en France, les gouvernements absolus remplacer les gouvernements parlementaires, les jours de liberté et de licence succéder fatalement aux années d’esclavage et d’oppression, il est un maître qu’aucun bouleversement ne saurait renverser, qui plante son drapeau sur toutes les ruines, dont la souveraine puissance n’a jamais été même contestée: ce maître, c’est l’esprit.

Pour nous, voilà le despote véritable, un despote adoré. Il s’impose et nous ne sentons pas son joug, c’est en riant que nous nous inclinons devant lui. Il tyrannise l’opinion, mais il séduit, mais il entraîne. Nous sommes sans courage devant lui, nous ne savons rien lui refuser, encore moins lui garder rancune. Quoi qu’il dise, qu’il inspire, qu’il fasse, il trouvera grâce. Nous lui accordons trop, hélas! ou plutôt, nous lui donnons tout.

Par bonheur, cet esprit français, héritage sacré de nos pères, s’est de tout temps rangé sous les bannières des vaincus. Il poursuit un but jusqu’au jour de la victoire. Le lendemain il déserte avec armes et bagages et gagne au pied avec les fuyards. Il n’a jamais couché sur le champ de bataille. Toujours il est allé s’asseoir à l’extrême gauche, c’est lui qui crie aux bataillons trop lents à se mouvoir: En avant! en avant! Il ne se donne à aucun parti, il est de l’opposition.

Les mœurs et la littérature subissent sa loi, et c’est justice; tous les ridicules sont de son ressort, et il juge sans appel. On a vingt ans pour maudire ce juge, mais presque toujours la postérité a confirmé les arrêts de son tribunal.

Mais c’est en politique qu’il faut voir son influence: lui, si léger, si subtil, si insaisissable, il finit toujours par faire pencher la balance de son côté. En vain le barbare mettra son épée dans l’autre plateau, le fer ne l’emportera que pour un instant. Il n’y a pas de væ victis qui tienne, les battus prendront leur revanche.

Ses interventions sont à ce point décisives, que la chronique de l’esprit français serait un magnifique traité d’histoire et de politique, dont l’exactitude et la véracité seraient les premiers mais non les seuls mérites. Ce serait l’épopée des opprimés, tandis que tous les livres qu’on nous fait étudier sur les bancs et que nous lisons au sortir du collége, ne sont que le pompeux panégyrique des oppresseurs.

Après le triomphe, les vainqueurs, les forts, confisquent la vérité et ne dédaignent pas de dicter l’histoire. Qui donc démêlerait le faux, si la satire, arme du faible, n’apparaissait à son tour et ne restituait à qui de droit ou la honte ou la gloire? Il faut rendre à César ce qui est à César.

Peut-être une telle histoire tentera-t-elle le courage de quelque érudit: il peut se mettre à l’œuvre, les matériaux ne lui manqueront pas. Du jour où les Gaulois forment un peuple, l’esprit apparaît. Du premier oppresseur date la première épigramme.

Et à travers toutes les transformations, les révolutions, les luttes, cette veine de gaîté gauloise, railleuse, satirique, se maintient et se perpétue, précieusement léguée par les générations, comme un héritage de famille, aux autres générations.

Pauvre Jacques Bonhomme, longtemps ton esprit fut ta seule arme, ton unique consolation! Taillable et corvéable à merci, tu geignais, tu payais, mais tu chantais. Lié, garrotté, abattu, tu répétais encore entre tes dents le refrain gouailleur. Ton seigneur t’avait pris ta dernière vache, il te fallait encore saluer ton seigneur et ne rien dire, ou gare à la peau!

Au moins la satire te vengeait, non amère, haineuse enfiellée, mais narquoise, spirituelle, pétillante de bon sens, cachant sa fine malice sous un faux air de naïve bonhomie.

«Ils chantent, ils payeront,» disait le rusé Mazarin. Celui-là aimait mieux une grêle d’épigrammes que des pierres dans ses vitres. Plus d’un bon mot cependant fit pâlir de colère le cauteleux Italien. Ah! s’il avait tenu l’auteur!

Sous sa main, comme sous un pressoir, Jacques Bonhomme suait son dernier écu, mais il disait pis que pendre du successeur de Richelieu. Les mazarinades couraient les rues et les ruelles, grivoises et court-vêtues. Peuple et seigneurs faisaient cause commune contre l’ennemi.

«Notre ennemi, c’est notre maître.»

Celui-là fut dur au pauvre monde et aussi au riche. Il y paraît aux recueils de chansons du temps.

Mais il nous faut remonter bien des siècles avant Mazarin.

Au fond de la société de notre pays, à peine formée, aigrissait et travaillait déjà un vieux ferment d’incrédulité, levain d’opposition dont l’action, à peine sensible, n’en produisait pas moins une secousse, sinon deux, par siècle.

Nous avons, nous avons toujours eu le sentiment impérieux de l’égalité. Qu’on le froisse: endormi, il s’éveille. De ce moment l’esprit s’en mêle, il lutte, et il triomphe. Avant d’attaquer en face le pouvoir abhorré, on le fronde pour l’amoindrir. Il épouvante, on le ridiculise. Les plus poltrons s’habituent à lui, comme les oiseaux à ces épouvantails que le jardinier place dans les vergers, et au premier signal ils marchent comme les autres. L’esprit commence l’œuvre, le nombre la mène à bonne fin.

Ainsi, bons mots, chansons, satires, fabliaux, sont l’expression de la pensée libre, la forme n’y fait rien. L’esprit est l’auxiliaire des rancunes, presque toujours il est du côté du droit. C’est lui qui le premier a compté les masses et inspiré à Robert Wace le chant terrible des Paysans, près duquel la Marseillaise n’est qu’une pastorale.

Il y avait bien longtemps pourtant que ces paysans, tout à coup exaspérés, subissaient le joug; on devait les y croire accoutumés, on devait supposer leurs genoux corniflés à force de ramper, lorsque la satire s’en mêla, répandue par la campagne, dans les bois et sous le chaume, par quelques trouvères intrépides. D’un bond tout ce peuple écrasé fut debout. Robert s’était mis à leur tête; il chantait:

Aidons-nous et nous défendons,
Et tous ensemble nous tenons;
Et s’ils veulent nous guerroyer
Nous avons, contre un chevalier,
Trente ou quarante paysans,
Robustes et bien combattants.

Entre les armures de fer les paysans révoltés furent broyés, mais quelques-uns en réchappèrent, et Wace, pour les réconforter, leur disait: «Croissez et multipliez; un jour, vos enfants, plus nombreux que vous, vous vengeront.»

Mais déjà, à l’ombre du pouvoir royal, grandissent les communes, un pouvoir nouveau, faible, encore timide. Le Tiers-État qui doit régénérer la patrie se forme. Il va s’enhardir. Il cherche des alliés, il se tasse, il se masse, il se serre pour mieux résister, comme un bataillon de buffles sauvages qui de tous côtés, à l’heure du danger, présente les cornes à l’ennemi.

Bientôt, à son tour, le Tiers-État va se compter. Il ne se défendra plus, il attaquera. Il veut empiéter lui aussi. Aux mains de Jacques Bonhomme, il prend l’arme terrible, la satire. Et comme ils la manient, ces bourgeois naissants, à peine sûrs de leurs droits! Alors, tour à tour, ils raillent toutes choses, et de cette arme terrible, l’ironie, formidable baliste, ils battent en brèche avec une incroyable audace la papauté, l’épiscopat, la chevalerie, le trône, la religion même, tout ce qu’ils craignent, en un mot, tout ce qui leur fait ombre.

Ils luttent à leurs risques et périls. Mais avec le danger leur esprit semble croître, et leur hardiesse. Nos fiers libres penseurs d’aujourd’hui ne sont jamais allés aussi loin. Et pourtant une douce prison comme Sainte-Pélagie n’ouvrait pas ses aimables cachots; il y allait du bûcher.

Alors paraissent, enfantés par vingt auteurs divers, ces poëmes moraux, ces ballades, ces épopées satiriques, ces romans étranges, compositions frondeuses, hardies, où se retrouve, condensé, l’esprit d’opposition de toute une époque.

Voici le Roman de la Rose, et le cycle entier du Renart, qui ne comprend pas moins de cent vingt mille vers, rimés par une armée d’auteurs. Voici les Droits nouveaux, contrat social du siècle; la ballade des Trois Moines rouges et les Dicts du Villain et les Avisements au Roi. Il faudrait un volume pour détailler seulement les titres de toutes les œuvres parvenues jusqu’à nous.

C’est le grand chœur satirique du moyen âge, qui s’avance à la conquête de ses droits.

Et ne craignez pas que la veine de la raillerie s’épuise, il en restera encore assez pour flétrir les débauches des derniers Valois, pour dire les ignominies de la cour des Hermaphrodites, pour écrire la Satire Ménippée.

L’imprimerie, cependant, était venue se mettre au service de l’esprit, auxiliaire redoutable! La force brutale avait la poudre, l’esprit eut le livre, plus fort que le canon. On encloue l’artillerie, la pensée est impérissable. Guttemberg donna le vol à l’idée captive: elle allait planer un instant sur le monde, puis le conquérir, sans que rien pût l’arrêter jamais, ni la hache ni le bûcher, ni la Bastille du despote, ni les cachots de l’Inquisition. Que d’entraves à sa marche, pourtant! Que d’insensés essayèrent de la combattre, plus insensés que Xerxès faisant fouetter la mer. Pour l’idée on dressa le pilori, mais le tréteau infâme de la place publique fut comme son Sinaï d’où elle rayonna sur le monde.

Alors l’esprit français ne pouvait suffire à nombrer ses soldats. Toute une armée combattait sous ses drapeaux, guidée, commandée par des hommes de génie, par Montaigne, par Rabelais, par d’autres encore dont pourrait, au besoin, se réclamer le petit journal.

Nous sommes loin, ce semble, de ce petit journal, nous y touchons cependant. Il fallait indiquer son passé, ses origines, pour faire comprendre son succès dès son apparition, pour expliquer ses triomphes et ses revers.

Il parut, et il fut acclamé.

C’est qu’il était et qu’il est encore le véritable représentant de notre genre d’esprit; genre difficile, qui ne se comprend plus à un quart de lieue des frontières de France, qu’on ne saisit pas toujours dans les provinces un peu éloignées de la capitale.

Le petit journal est l’expression dernière de la satire; elle avait revêtu toutes les formes, gros livre, feuille volante tour à tour, aucune ne lui avait donné cette force, cette activité d’impulsion, cette liberté d’action, cette publicité.

Et il est resté ce qu’il fut le premier jour, un pamphlet périodique, une épigramme quotidienne. Vous pouvez l’ouvrir, il vous donnera le dernier bon mot de la veille, la première méchanceté du lendemain.

Cependant le journal ne vint que bien longtemps après la découverte de l’imprimerie; depuis 200 ans, on fondait des caractères mobiles lorsqu’on eut la première idée d’un recueil périodique.

A Théophraste Renaudot revient l’honneur d’avoir réalisé en France cette idée appliquée déjà en Angleterre et à Venise.

C’était un médecin, ce Renaudot; homme d’intelligence et d’initiative, il avait réussi à se mettre fort bien en cour.

Même il avait des malades, et ce qui faisait endiabler les Purgon de son temps, c’est qu’il les traitait par les distractions et le rire, et qu’il les guérissait, paraît-il.

Avec privilége royal, il avait fondé un bureau de rencontre, sorte d’office de publicité, comptoir des vingt-cinq mille adresses du temps, où chaque jour se pressait une foule de gens en quête de renseignements. Nombre d’oisifs s’y donnaient rendez-vous; les nouvellistes en titre, coureurs de cancans, ne tardèrent pas à y venir aussi. On y causait. Tous les bruits de la ville et de la cour y avaient leur écho.

Renaudot eut l’idée d’utiliser tous ces gens. Il n’avait qu’à écouter pour être l’homme le mieux informé de Paris; il écouta. Puis, il nota tout ce qu’il avait entendu, le rédigea, le fit recopier, et c’est ainsi qu’il distribuait à ses malades des nouvelles à la main qui chaque jour les renseignaient au plus juste.

Les Nouvelles bientôt firent fureur. C’était à qui serait malade pour obtenir la faveur d’un exemplaire. Renaudot ne savait ou donner de la lancette; quant à ses copistes, ils ne pouvaient suffire.

Il demanda l’autorisation d’imprimer ses nouvelles, l’obtint, et le 30 mai 1631, le premier de nos journaux paraissait sous le titre de Gazette, nom emprunté à l’italien, de gazza, pie, oiseau bavard.

Le succès de Renaudot fut immense; il eut bientôt une nuée d’ennemis acharnés; mais il avait bec et ongles, et une plume, et une presse, et la protection du roi. Il se moquait des envieux.

Son exemple cependant ne fut pas suivi. Louis XIII se doutait-il du tintouin que donnerait la presse à ses successeurs? Il n’y eut pas de prime d’encouragement pour les journalistes, et dix-neuf ans le médecin régna seul.

En 1650 seulement se fonda un autre journal, en vers celui-ci, la Gazette burlesque de Loret, le plus insipide de tous ceux qui jamais ont tenu une plume, courtisan achevé, d’ailleurs, et chroniqueur utile aujourd’hui.

En 1672 seulement parut le Mercure galant, fondé sur un plan excellent par Doneau de Vizé, et qui, jusqu’à la Restauration, resta le premier de tous les recueils périodiques.

Mais là n’était pas le petit journal.

Il existait, mais mystérieusement. Il paraissait manuscrit, ou «imprimé à la campagne.» Le petit journal était alors la «nouvelle à la main» qui se colportait jusque sous le manteau de marbre des cheminées de Versailles. Plus d’un bon mot, plus d’une verte épigramme fit froncer le royal sourcil du monarque-soleil, du divin Deodatus.

Le règne de Louis XIV fut un bon temps pour l’esprit, bien qu’il combattît à la sourdine. Les ridicules foisonnaient; la cour amusait la ville. Pour railler, il ne fallait que regarder autour de soi. La cour, la finance, la magistrature, l’armée, la bourgeoisie, le clergé posaient alors en plein soleil pour tout le monde, et aussi pour Molière qui les a fait poser pour la postérité.

Mais l’esprit ne tarda pas à viser plus haut: l’audacieux s’attaqua au roi. Oui, à l’auguste personne du roi, et aussi à la personne sacrée de ses maîtresses. Jupiter indigné agita sa perruque, l’Olympe trembla.

Il faut le dire, Louis XIV détestait l’esprit. Ce prince, le plus magnifique virtuose qu’ait produit le despotisme, ne croyait pas l’esprit assez courtisan, il lui trouvait une odeur de fagot. Il entreprit deux ou trois croisades contre lui, et même fit un édit qui le défendait sur ses terres, c’est-à-dire en France. Le refrain de l’édit était: Bastille! Bussy en sut quelque chose.

Il daigna cependant protéger quelques hommes de génie, sous la condition qu’ils chanteraient ses louanges et lui feraient de la réclame pour la postérité. Ils acceptèrent la mission.

Malheureusement ces grands hommes n’étaient pas toujours bien inspirés, témoin Boileau et son passage du Rhin. Le doux Racine eût fait mieux, mais il se cachait pour faire ses épigrammes; une pourtant lui valut du bâton; les grands seigneurs payaient ainsi. Peu importe, le bois vert est aujourd’hui brûlé, les railleries seront éternelles. Quant à Molière, dans ses pièces ad majorem Jovis gloriam, et je parle des meilleures, de celles après lesquelles il a dû se frotter les mains, plus je les relis, plus il me semble à chaque instant découvrir sous le velours de la louange l’épingle de l’ironie. Ne serait-ce pas un admirable persiflage, une pilule merveilleusement dorée? Le grand génie ne mit pas le roi sur son théâtre, peut-être se réservait-il de la jouer en son particulier.

Déjà les philosophes donnaient la main à l’esprit français, ils remuaient les pavés du raisonnement et préparaient les grosses pierres que devait débiter l’ironie pour les lancer, en grêle de petits cailloux, dans les jardins royaux, Louis XIV détestait aussi les philosophes.

A bien prendre, il n’aimait que les savants en us, pédants hirsutus roulés dans le grec comme les goujons dans la farine.

Hélas! le roi-soleil ne se doutait guère qu’à ses côtés, dans son propre palais, des gens à lui rédigeaient le petit journal de son règne pour nous le léguer. Et que sont les Mémoires, sinon un petit journal?

Sous la Régence, l’esprit s’installa au Palais-Royal. Ce fut un débordement de satires, un feu roulant d’épigrammes. Par malheur, à la fin, la gaîté grivoise tourne à l’obscène, le gros sel n’est plus que du sel de cuisine. En butte à tous les traits, le régent riait. Il s’efforçait d’être à l’unisson.

Ce fut bien autre chose vraiment sous Louis XV. Avec Philippe, la liberté était trop grande, il fallait un peu de gêne. On l’eut, grâce au Bien-Aimé.

Fut-il jamais roi plus chansonné, plus raillé, plus criblé! Le petit journal s’en donnait à cœur joie; traqué en France, il s’imprimait en Hollande, en Angleterre. Comment entrait-il? on ne sait, mais il entrait. Dans les cas pressants, quand l’ironie, comme un dîner, eût perdu à trop attendre, on imprimait dans les caves.

M. de Sartines usait une armée d’agents à courir après d’invisibles pamphlets. Lui-même trouvait des complaintes jusque dans ses poches. Pour un recueil clandestin qu’il étranglait, dix renaissaient.

Puis les philosophes avaient sérieusement engagé la partie. Il eût fallu prendre des bourreaux à la journée et couper les bois du clergé pour brûler les libelles qui chaque jour prenaient leur vol, Dieu sait d’où. Le trône chancelait, les coups redoublaient, plus pressés, plus violents.

Et la rage de philosopher, qui tournait toutes les têtes! Les grands seigneurs ne se disputaient-ils pas l’auteur du Contrat social?

Voltaire, le génie fatal, Voltaire menait le branle. Partout où il trouvait un joint, il lançait un livre, une satire, un conte, un mot, qui éclataient comme un obus et faisaient brèche. D’une plume infatigable, il démolissait, démolissait, démolissait, aujourd’hui philosophe, demain petit journaliste, spirituel toujours, excepté dans ses tragédies, où pourtant encore il poursuivait son idée. Ah! qu’il savait bien son pays et son siècle, lui qui de l’ironie fit le levier dont il renversa une société croulante.

Louis XV avait compris le danger; mais comment l’éviter?

—Bast! dit-il, tout cela durera probablement autant que moi.

Parfois cependant, il n’était pas sans crainte; reconnaissant cette influence énorme de l’esprit, il avait fini par le prendre en horreur, lui qui tout le premier riait jadis des épigrammes qui l’égratignaient.

Sous Louis XVI, la mousquetade continue, dominée toutefois par les roulements de l’orage, qui se rapproche. Les événements se précipitent, les masses, depuis longtemps agitées, préparées, se dressent menaçantes. Le droit, cette fois, est du côté de la force.

Ah! si Louis XVI avait eu quatre hommes encore comme Rivarol, il retardait la catastrophe. Or, qu’était Rivarol, sinon le petit journal vivant.

Mais la cour avait Champfort contre elle, et aussi Beaumarchais. Quelle faute! Il fallait se l’attacher à tout prix, celui-là! lui lier pieds et poings avec des cordons bleus, l’étouffer d’honneurs. Il se serait laissé faire. A ce filet perfide de la cour on eût pu prendre aussi Voltaire et même Rousseau. On ne le voulut pas, et pour un mot, peut-être:—Trajan est-il content?

Beaumarchais pris, Figaro ne naissait pas, et Figaro, c’est l’esprit français révolutionnaire, le triomphe de la raison et du bon sens.

Lié à la cour, l’auteur de la Folle Journée, journée des dupes pour la monarchie, jetait à pleines mains le ridicule sur les penseurs et sur les philosophes. Il donnait le beau rôle à Basile, et Figaro, tombé dans le sac de Scapin, était rossé par Basile. Il trouvait sa galère au port. Les idées nouvelles se brisaient contre la réaction, ou plutôt contre l’immobilité, car alors l’action n’existait pas.

Et le barbier était rossé; bravo, Basile!

Beaumarchais aurait-il réussi? On peut se le demander. Il ne dirigeait pas le mouvement par droit de conquête, mais bien par droit d’héritage.

Il était le fils aîné de Voltaire.

Le vieux décrépit de Ferney, le jour où, ruine peu vénérable, il mourait et s’enterrait sous des ruines, l’ami de Frédéric de Prusse léguait à Beaumarchais sa pioche de démolisseur, c’est-à-dire sa plume. Le légataire fut digne du testateur, il dépassa son attente.

Et croule donc, vieille société, sous les boulets du ridicule, battue en brèche par les canons de l’esprit!

Il faut viser haut, pour atteindre plus bas, on tire au ciel. C’est à Dieu qu’on s’attaque, les rois suivront Dieu en exil. Et, par ma foi! Dieu fut forcé d’émigrer, et aussi ses ministres, et aussi les rois, et aussi les nobles. Et l’esprit français dansa la carmagnole sur l’emplacement de la Bastille.

Nous sommes en pleine révolution, mais la Terreur n’a pas fait taire l’esprit. Il naît de la révolte, et Dieu sait si on se révoltait alors! Ceux même qui avaient poussé à la roue essayèrent d’enrayer alors, trop tard.—«Sois mon frère, ou je te tue,» s’écria Champfort. Il préféra se tuer lui-même.

Cependant les victimes apprenaient à mourir avec grâce, elles faisaient des mots sur la charrette et presque sous le couteau. Et quels mots! Samson lui-même, le royaliste, en riait sur sa machine.

Or la machine elle-même était une idée nouvelle, une innovation. On réformait tout, même le supplice. Mourir par la potence, fi donc! Il fallait mieux.

L’excellent docteur Guillotin se trouva là fort à propos; grâce à lui, on put éternuer dans le sac.

Les faubouriens baptisèrent la machine, non avec l’eau du Jourdain, hélas! mais avec du sang, et l’esprit français, devenu féroce, fut le parrain. La hideuse machine s’appela guillotine.

Il y avait eu, disons-le, un instant d’hésitation. Quelques-uns avaient voulu lui donner le nom de Mirabelle. Le jour où courut cette plaisanterie, Mirabeau devint plus laid encore de colère. Mirabelle!!! encore un peu, il se ralliait sans pot-de-vin.

Le nom du docteur Guillotin prévalut. Il était dans les destinées de ce brave homme d’être le parrain de quelque institution; il faillit l’être de la vaccine, c’eût été un grand bonheur pour lui. On ne dirait pas aujourd’hui: J’ai été vacciné, mais bien: J’ai été guillotiné. Le verbe se conjuguerait au passé, ce qui est maintenant impossible.

Le mot de Mirabelle, qui exaspéra le tribun, avait été mis en avant par un petit journal d’aristocrates, les Actes des apôtres. C’est que, du jour où ils avaient été à leur tour opprimés, les nobles s’étaient mis à avoir de l’esprit; il leur était venu avec le danger, comme toujours:—«Honnêtes républicains, avaient-ils dit, embrassons-nous, nous allons ôter nos culottes.»

Le petit journal eut encore un beau moment sous le Directoire, mais ce ne fut qu’un moment. L’Empire était venu.

Adieu l’esprit, me direz-vous. Napoléon le Grand ne l’aimait pas. Eh! qu’importe, l’esprit comprimé n’a que plus de force, comme la balle forcée du pistolet. D’ailleurs le petit journal s’était réfugié à l’armée; c’est lui qui, sous la tente, donnait au vainqueur de l’Italie les noms de Petit Caporal et de Petit Tondu, qui ont plus fait pour sa popularité que son Code et ses victoires.

A ce moment, unique dans notre histoire, tout était héroïque. On ne songeait pas à plaisanter, le chauvinisme exaltait les têtes, on avait le cœur pris. Un homme de la force de Rivarol eut un mot superbe:—«On écrit l’histoire à coups de canon,» dit-il en riant. Le mot fut pris au sérieux. On trouvait sublime «d’écrire l’histoire à coups de canon, avec le sang de deux millions d’hommes en guise d’encre, et l’Europe pour page blanche.» Les mères pleuraient, et aussi les jeunes filles; mais on riait à l’armée. Tout le monde voulait être colonel à vingt-huit ans; on se faisait soldat et on partait.

Et quels troupiers! A la Moskowa, les pieds gelés, le ventre vide, ils riaient encore.

Un soir, Ney et sa petite troupe décimée avaient campé dans la neige à cinq cents mètres des Cosaques.

—Si les mangeurs de chandelle nous découvrent, avait-il dit, nous sommes f...lambés. Donc, silence dans les rangs.

Eh bien! toute la nuit on causa. Quelques-uns riaient. Ney, qui ne dormait pas, parce qu’il avait six mille hommes à sauver, Ney fut tiré de ses méditations par les éclats d’une gaîté bruyante.

—Tonnerre d. D.! cria-t-il, vous tairez-vous, vous allez nous faire prendre.

A la chute de l’Empire, le petit journal retient sa voix. Non qu’il manque de faits à enregistrer, mais il lui répugne de les enregistrer. La batte d’Arlequin, le fouet de la raillerie ne lui suffiraient pas. Il voudrait un knout, non pour fustiger, mais pour battre au sang ses imbéciles concitoyens.

Paris affolé, Paris entier criait à s’enrouer: Vivent les alliés!!...

Ce qui prouve-bien, entre nous, que les cris et les vivats ne signifient absolument rien. Paris crie et acclame ce qu’on veut, à un moment donné, pourvu que le tambour batte et qu’il y ait de la musique.

Avec la seconde Restauration, le petit journal ressaisit le sceptre. Il monte sur le trône. Il est arrivé alors à son apogée. Il a juste assez de liberté et d’entraves pour faire briller en même temps son esprit et son courage.

Aussi, pendant ces quinze années, rayonna-t-il d’un éclat qu’il n’a que bien rarement et pour peu de jours retrouvé depuis, aussi son rôle fut-il d’une importance extrême[1]. D’un mot spirituel il résumait l’opinion, et ce mot faisait fortune, parce que tous l’avaient pensé. Enfant perdu de la presse, il marchait en éclaireur. Comme les compagnies de francs-tireurs devant Sébastopol, il guidait et assurait la marche. Leste, railleur, adroit, insaisissable, il se logeait dans les moindres replis de la légalité, s’embusquait derrière les moindres anfractuosités du Code. Avait-il eu la plume trop longue, il savait encore faire tourner ses défaites en triomphes.

Ainsi il allait à la conquête du droit, donnant la main à la chanson et au pamphlet, entre Béranger et Paul-Louis Courier, l’ancien canonnier à cheval, vigneron de la Chavonière.

Que seraient, dites-moi, devenues les longues tartines du libéralisme, et même les ardentes polémiques des chefs illustres de l’opposition, sans la satire, la chanson et le petit journal?

La grande presse inquiétait les ministres; mais les refrains de Béranger les poursuivaient comme des huées, mais les lettres d’un vigneron rembourraient leur chevet d’épines, mais les épigrammes du petit journal les harcelaient comme une nuée de taons. M. X., alors ministre, paraissait à la tribune; il avait préparé un beau discours, bien long, bien lourd... mais on se rappelait le bon mot de la veille, on riait; autant de bonnes raisons perdues.

Avant tout, il fallait de l’esprit, en un temps où les plus graves politiques ne dédaignaient pas d’écrire des Lettres à la girafe (M. de Salvandy).

Malheureusement pour le petit journal, les causes de sa vogue sont aussi celles de sa décadence. Un jour il ne donne plus juste la note de l’opinion, de ce moment il est perdu.

Lui, si fort pour démolir, il est impuissant à édifier. L’essaie-t-il, il devient grotesque, ridicule lui-même.

Il brille dans l’opposition; mais qu’il passe au pouvoir, il s’éteint et meurt. Il a les mêmes hommes, cependant, le même état-major, le même esprit; peu importe, il n’est plus dans son élément. Il justifie ainsi ce mot d’un ministre qui perdit, en gagnant le portefeuille, la verve incisive qui lui avait valu le pouvoir.

—Ah çà! sommes-nous donc des imbéciles? Je ne vois d’esprit que chez nos adversaires.

Allié utile aux jours de lutte, le petit journal devient souvent dangereux. Il est changeant, hélas! comme l’opinion, comme la popularité.

Puis, il ne peut être impartial, car il lui faut une victime. Après avoir tiré sur les ennemis, lorsque rien plus ne lui résiste, il tire sur ses propres troupes. Vous vous croyez son ami, il vous étranglera impitoyablement pour un bon mot. Vous êtes bien tranquillement assis à la galerie, vous vous tenez les côtes à voir mitrailler ceux que vous détestez... Paf! un pétard vous part entre les jambes, un lardon met le feu à votre perruque, et c’est vous, spectateur, qui donnez à rire aux acteurs.

Il faut dire le mal comme le bien:

Hélas! le petit journal, comme la satire, comme la chanson, a eu ses injustices et ses excès. Parfois il s’est trompé, il a bafoué le génie et berné le sage. Il faut le lui pardonner.

Il faut le lui pardonner, parce que souvent il a été l’arme dernière, la suprême ressource du faible. Avocat du droit, du bon sens et de la vérité, il a tenu à honneur de combattre toutes les tyrannies, il a été pour beaucoup dans toutes les conquêtes. On doit lui pardonner enfin, parce qu’il est «la puissance invincible ennemie du présent et complice de l’avenir.»

Le Figaro et Victor Bohain

 

C’est au plus fort de la lutte des partis, lorsque de toutes parts se soulevait l’opinion contre le gouvernement des Bourbons, que fut fondé le Figaro, par Lepoitevin-Saint-Alme, que toute la génération littéraire a connu rédacteur en chef du Corsaire-Satan en 1846 et de la Liberté en 1848.

Saint-Alme avait créé ce nouveau journal avec le concours de MM. Nestor Roqueplan et Maurice Alhoy, et d’un jeune homme qui débutait alors sous le nom de Horace de Saint-Aubin, et qui devait être notre illustre Balzac.

A ce journal, M. Michel Masson remplissait les importantes fonctions de cuisinier et de caissier. Ce dernier poste n’était pas une sinécure.

L’instant était admirablement choisi pour fonder une feuille satirique, aussi un très-grand succès accueillit-il tout d’abord le Figaro.

Saint-Alme cependant ne garda pas longtemps son journal; moins de six mois après l’avoir fondé, il le céda, par l’intermédiaire de M. Nestor Roqueplan, à Victor Bohain, qui devait lui imprimer une impulsion nouvelle.

De ce moment le Figaro prit hardiment place à l’avant-garde de l’opposition, et il resta fidèle au poste, toujours sur la brèche, jusqu’au jour où ses deux rédacteurs en chef, Victor Bohain et M. Nestor Roqueplan, signèrent la fameuse protestation contre les ordonnances. Le lendemain, la révolution était faite.

De 1826 à 1830, le Figaro fut rédigé par l’élite de tous les jeunes esprits de la fin de la Restauration. Mais aucun nom n’était connu. L’incognito était, on le comprenait alors, une des conditions indispensables du succès, de la liberté d’esprit, de la puissance d’un journal satirique. Aussi Bohain était-il, à cet égard, d’une discrétion à toute épreuve. Quelles séductions, quels subterfuges M. Dupin et tant d’autres n’ont-ils pas employés pour connaître l’auteur de la série d’articles mordants et révélateurs qui se publiaient sous le titre d’Esquisses de la Chambre des députés! Tout fut inutile. Bohain répondait invariablement que ces articles se trouvaient dans la boîte du journal. Néanmoins, lorsque M. Laffitte, loué dans un de ces articles, après avoir tenté vainement de savoir qui il en devait remercier, fit remettre à Bohain un magnifique service de thé, celui-ci s’empressa d’envoyer le cadeau à l’auteur.

Il serait facile aujourd’hui de violer cet incognito si scrupuleusement gardé, mais ce secret est devenu celui de la comédie littéraire, si bien qu’il n’offre plus guère d’intérêt. Il est, je crois, plus utile et plus juste d’esquisser la vie de celui qui personnifia le Figaro aux jours de ses plus grands succès.

Ces quelques détails, je les emprunte à M. Julien Lemer, un des hommes les mieux informés des choses littéraires de ce temps-ci; ils furent publiés dans la Gazette de Paris à la mort de Victor Bohain, en 1856, et ce fut même un des rares, très-rares articles consacrés à cet homme qui avait rendu tant de services, je ne dirai pas à la littérature, mais aux gens de lettres.

Donc, je copie:

«Quels beaux commencements que ceux de Victor Bohain! Je ne parle pas du temps de son enfance; ceci n’est point une notice biographique, c’est une simple esquisse composée principalement de souvenirs personnels.

«J’ai vu Bohain pour la première fois en 1828. Si j’en crois ses amis, il devait avoir alors vingt-cinq ans. Il était rédacteur en chef du Figaro, qui, en ce temps-là, était une des feuilles politiques quotidiennes les plus importantes de Paris, une de celles qui devaient jouer un des rôles les plus considérables sous la Restauration, et laisser dans l’histoire de cette époque une trace des plus brillantes. Adolphe Blanqui, le plus spirituel de nos économistes, chez qui j’étais en pension pour faire mes études, me chargeait quelquefois, en allant au collége Bourbon, de remettre sa copie[2] à Bohain, qui habitait une charmante maison à l’italienne dans la cité Bergère, au nº 12, je crois. Ces jours-là étaient pour moi des jours de fête, car Bohain ne me laissait jamais partir sans me donner quelque billet de spectacle; aussi m’apparaissait-il comme le grand dispensateur des plaisirs parisiens. J’eus occasion de voir alors dans son cabinet ou dans ses bureaux presque tous les hommes devenus célèbres depuis.

«A la fin de 1829, Bohain, âgé tout au plus de vingt-six ans, possédait une fortune magnifique pour le temps. On l’évaluait à plus de quatre millions. Outre la propriété du Figaro, il avait le théâtre des Nouveautés, situé place de la Bourse, là où est aujourd’hui le Vaudeville, une part considérable dans le Vaudeville de la rue de Chartres et dans les Variétés, où il fit jouer une des pièces les plus audacieuses, sous le rapport de la verve satirique et de la licence aristophanesque, qu’on ait jamais représentées sur aucun théâtre. Cette pièce, intitulée les Immortels, Bohain n’en était pas l’auteur, mais je crois bien qu’il en avait conçu l’idée et qu’il avait appelé à concourir à la collaboration, non-seulement les rédacteurs de son journal, mais encore les vaudevillistes les plus spirituels de ce temps-là, où florissaient les Dumersan, les Théaulon, les Duvert, les Varin, les Rochefort, les Rougemont et tant d’autres, alors animés du feu de la jeunesse et de la passion politique. Cette témérité en couplets, qui montrait au public le roi Charles X personnifié par Brunet, et divers ministres incarnés dans la peau de Vernet, d’Odry, de Cazot et de quelques autres comiques, fut interdite après un certain nombre de représentations.

«Peu de temps après la révolution de 1830, Bohain se mariait et était nommé préfet de la Charente. Les dames de la halle vinrent en corps le féliciter et lui apporter des bouquets. Ce fait donne la mesure de l’importance du personnage.

«Mais au bout de quelques mois, les entreprises dramatiques étant «tombées dans le marasme, comme dit Bilboquet,» la fortune de Bohain déclina rapidement. En même temps, l’ancien directeur du Figaro crut devoir, pour représenter dignement l’Etat dans la Charente, mener une vie de prince, et appliquer toute son expérience de savoir bien et largement vivre. Nul ne possédait mieux que lui l’art de donner à dîner, d’organiser des bals et des fêtes; il en donna tant de preuves, qu’il vit bientôt la fin de ce qui lui restait de sa fortune, de la vente du Figaro et de ses parts dans les divers théâtres. Un beau jour il se trouva complétement ruiné; il est même probable que son passif dépassa de beaucoup son actif.

«C’est vers 1832 que Bohain fit jouer à l’Odéon son fameux Mirabeau, en douze ou quatorze tableaux, où Frédérick Lemaître fut magnifique. Le tableau des Jacobins fit un tel effet, qu’on fut obligé de le supprimer à la seconde représentation. Tous les jours, l’auteur envoyait aux acteurs un panier de vin de Champagne, afin de les mettre à même de jouer dignement l’acte du banquet.

«Depuis 1834, Bohain se dépensa lui-même en commencements d’entreprises pour la plupart fort ingénieuses, organisées soit à Paris, soit à Londres, où il a fondé un journal français: le Courrier de l’Europe, qui, je crois, existe encore.

«La première tentative qu’il fit à Paris pour relever sa fortune, rappelle une des publications littéraires les plus importantes et les mieux conçues dont on ait doté les lettres françaises: c’était l’Europe littéraire, un grand, un immense journal quotidien, auquel collaboraient toutes les sommités littéraires du moment. Les frais de rédaction, qui étaient énormes, absorbèrent bientôt le prix des abonnements et le capital de fondation. La rédaction y fut payée jusqu’au prix de UN franc la ligne.—A combien de lignes dînons-nous aujourd’hui? disait Henri Heine.—A vingt lignes par tête, répondait Bohain.

«Ce fut Bohain qui organisa la mise en actions de l’imprimerie Everat, dont il voulait faire une imprimerie modèle. Une partie du montant des actions devait être consacrée à former des lots très-importants pour une loterie à laquelle prenaient part tous les actionnaires. Cette combinaison, qui avait facilité le placement immédiat de toutes les actions, ne fut pas goûtée du gouvernement, qui s’opposa au tirage. Mais la Ville de Paris et, depuis, le Crédit foncier, lui empruntèrent le système du tirage des primes d’obligations.

«Bohain inventa encore Napoléon Landais, à qui il fit une célébrité qui ne l’a pas préservé de la pauvreté, et la Société des Dictionnaires: Dictionnaire de médecine usuelle, Dictionnaire de législation usuelle, etc.

«C’est lui qui, le premier, a imaginé les trains de plaisir sur les chemins de fer.

«Pendant quelques mois de convalescence qu’il passait chez le docteur Ley, aux Champs-Élysées, il eut l’idée du journal la Semaine et de la presse colossale, qui reste encore aujourd’hui la plus grande presse connue, entreprise très-bien conçue, qui certes aurait eu un grand succès, si Bohain n’avait pas été forcé, comme toujours, par un besoin d’argent, de vendre sa part et de se retirer.

«Je vois encore dans le jardin de la maison de santé ce petit homme, au buste rond, à la figure pleine, à l’œil gris, vif et intelligent, ombragé de cils longs et épais, donnant audience à tout ce que Paris comptait d’écrivains connus, d’hommes politiques importants. Son infirmité (une jambe trop courte), qui l’obligeait à s’appuyer sur une canne, lui donnait une sorte de physionomie de diable boiteux. Et, en effet, on peut bien dire qu’il fut l’Asmodée du monde littéraire, du monde des affaires, et peut-être aussi du monde politique de ce temps-ci.

«Oh! qu’il connaissait bien les hommes, et qu’il savait bien les prendre par leur vanité, leur ambition, leurs passions et leurs faiblesses!

«Un autre jour, il concevait et exécutait à lui seul une chose inouïe. Il soufflait à un homme politique, qui n’y songeait pas, la pensée de devenir journaliste; il suggérait au directeur d’un grand journal, à qui cette idée ne serait jamais venue, le dessein de céder sa position; il servait d’intermédiaire à ces deux hommes.—Puis, quand, ainsi qu’il l’avait prévu, le premier était bien convaincu de son inaptitude à ses nouvelles fonctions, quand le second était dans la nécessité de rompre le marché, par suite de l’opposition de ses co-intéressés, Bohain se trouvait encore là pour faciliter à l’un la rétrocession, à l’autre la réacquisition de la position et de la part primitivement vendues.

«Pour en finir avec les journaux, c’est Bohain encore qui a fondé l’Époque et inventé tous les moyens de publicité qui avaient fait à ce journal un si rapide mais si éphémère succès.

«C’est lui de même qui, en 1850 et 1851, créa le Moniteur du dimanche. Dieu sait ce qu’il dépensa de ressources ingénieuses, ce qu’il imagina de combinaisons pour faire vivre ce journal impossible!

«A la passion du papier imprimé, Bohain joignait le fanatisme des fleurs. Dans les dernières années, il avait entrepris à Palaiseau une culture de rosiers et de dahlias, et il obtenait, disent les connaisseurs, des variétés très-curieuses.

«Aussi, ne faut-il pas être surpris de lui voir inventer le Jardin d’hiver. Le Château des fleurs est encore une de ses idées; c’est à lui qu’on doit la première conception et le premier dessin de ce jardin, dont les frères Mabille ont su tirer meilleur parti que lui.»

Il y aurait encore bien des choses à dire; mais si Bohain a eu une part plus ou moins active dans d’autres conceptions et dans d’autres créations contemporaines, c’est dans l’histoire, c’est dans les mémoires du temps que plus tard on le lira. Quels mémoires il aurait pu laisser lui-même!

Victor Bohain est mort aux Batignolles, le samedi 19 juillet 1856, à l’âge de cinquante-trois ans, après avoir conçu et remué plus d’idées, fondé plus d’entreprises, mis en mouvement plus de choses et plus d’hommes qu’aucun spéculateur millionnaire, qu’aucun homme d’État de ce temps-ci.

 

L'ANCIEN FIGARO - 1826

 

COUPS DE LANCETTE

Une sentinelle a douze mots d’ordre différents, selon l’occasion.

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* *

Etes-vous jésuite, certain avocat vous défendra. Etes-vous constitutionnel, il vous défendra encore.—Sa conscience est donc bien flexible! Mais son opinion, à lui?—Son opinion?... Il aime l’argent.

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Brunet, se trouvant à l’Opéra, s’est écrié comme Jocrisse, à la vue d’une cantatrice: Il faut frémir, frémons.

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* *

Parfois, j’entends crier: Cailleau, Guiraud, Briffaut:
Quels sont ces chiens de noms? Sont-ce des noms de chiens?
—Du tout, vous êtes en défaut, Ce sont des noms d’académiciens.

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«Les maladroits!» disait M. Bénab... en apprenant que la tentative d’assassinat des janissaires avait échoué, «que n’en chargeaient-ils un jésuite!»


A chaque instant, le Figaro, comme tous les journaux de la Restauration, revient sur les jésuites; il ne faut point s’étonner de cet acharnement, il y aurait même, je crois, injustice à le blâmer.

«En ce temps-là, disait, dans l’Univers, M. Veuillot, les Siècle et les Constitutionnel mangeaient tous les matins un jésuite à la croque au sel.»

N’en déplaise à M. Veuillot, on ne faisait que se défendre. Les jésuites et les congréganistes ont ouvert l’abîme sous les pas de Charles X, il y est tombé, précipité par eux. Alors on fit tout pour le clergé, mais il voulait encore davantage. Il fut insatiable.

Les journaux, témoins des envahissements, des empiétements quotidiens, cherchaient à y mettre une digue. Il y avait tout à craindre de gens dont les passions politiques ont été de tout temps furibondes. Un pays voisin, d’ailleurs, donnait idée de ce que pouvait être la réaction.

En 1826, un auto-da-fé annoncé depuis longtemps attira à Valence une foule fanatisée. Le 31 juillet 1826, un pauvre israélite, revêtu du san benito, espèce de blouse couverte de peintures représentant des flammes et des diables, fut conduit au bûcher. Il était condamné à être brûlé vif; son crime était l’HÉRÉSIE. Il marcha au supplice entre une haie de dominicains, qui lui dépeignaient en chemin les délices dont il allait jouir dans l’autre vie pour prix de son supplice; ils l’appelaient frère infortuné. Tant que dura le supplice de la victime, les moines hurlèrent des hymnes dont le chant formidable devait étouffer les cris de l’infortuné.

Je laisse à penser l’épouvante de l’Europe, en apprenant que les feux de l’Inquisition se rallumaient en Espagne; son horreur, lorsque les journaux lui racontèrent ce sacrifice humain, nouvelle insulte à la religion du Christ.

Et c’est à nos armes, pourtant, que le fanatisme devait cette puissance. Qu’on s’étonne encore des attaques des journaux!

Quand la mode des auto-da-fé viendra, la Sentinelle de la Religion se mettra en éclaireur.

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On parle d’établir de Paris à Bruxelles des relais en permanence à l’usage de MM. les agents de change, les financiers, les libraires, etc., qui désireraient faire banqueroute.

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Un incendie vient de dévorer six arpents de bois dans la forêt d’Evreux, on assure qu’un jésuite y avait mis le feu en la traversant.

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M. le procureur général a reçu la dénonciation de M. le comte de Montlosier contre les jésuites; le même jour, M. Saintes a envoyé à Montrouge une dénonciation contre M. Montlosier.


Le comte de Montlosier, dont il va être si souvent question pendant l’année 1826, avait publié un ouvrage ayant pour titre: Mémoire à consulter sur un système religieux et politique tendant à renverser la religion, la société et le trône. L’auteur y dénonçait l’existence de la congrégation et y livrait le secret de ses actes. Sa conclusion était celle-ci:

«Les quatre grandes calamités signalées au présent mémoire, savoir: la congrégation, le jésuitisme, l’ultramontanisme et le système d’envahissement des prêtres, menacent la sûreté de l’État, celle de la société, celle de la religion. Elles sont notées par nos anciennes lois; ces lois ne sont ni abrogées ni tombées en désuétude; l’infraction qui leur est portée constitue un délit; ce délit, par cela qu’il menace la sûreté du trône, celle de la société et celle de la religion, se classe parmi les crimes de lèse-majesté, crimes pour lesquels l’action en dénonciation civique n’est pas seulement ouverte, mais commandée...»

L’effet de ce mémoire fut profond, immense. La France s’épouvanta de se voir ainsi enveloppée dans un vaste réseau de sociétés religieuses secrètes, qui comptaient dans leur sein des ministres et des laquais, des rois et des cardinaux, des femmes et des enfants.

L’alarme retentit d’un bout du royaume à l’autre. On s’effraya de ces missionnaires, de ces moines, qui s’en allaient par toutes les provinces recrutant, à l’aide de la gendarmerie souvent, des néophytes et des affiliés. On frémit en les voyant embrigader les enfants dans la Société des bonnes études, et leur apprendre à chanter les louanges du Seigneur sur des airs d’opéras comiques en vogue:

Chrétien diligent,
Quelle ardeur te dévore.

sur l’air du fameux chœur de Robin des bois, ou encore:

La religion nous appelle, etc....

sur l’air du Chant du départ.

Par les enfants et les domestiques habilement stylés, la congrégation pénétrait presque dans l’intérieur des familles, qu’elle tenait déjà par les femmes.

Voilà ce que dénonce le mémoire du comte de Montlosier.

Et l’effet fut d’autant plus grand, que le comte avait passé sa vie à attaquer le nouveau régime et à défendre l’ancien.

L’auteur du Mémoire tint sa promesse, et, malgré les cris et les menaces de cette toute-puissante congrégation, le 16 juillet 1826, déposa au greffe de la Cour royale la dénonciation annoncée.

La Cour devait se déclarer incompétente.


Mlle Adeline a souvent les yeux fixés sur le parterre d’une façon si singulière, que le parterre se met à rougir.

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M. d’El*** est le premier baron catholique, comme Montmorency fut le premier baron chrétien.

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M. Montlosier a dit: «Je soutiendrai mon opinion jusqu’à la mort.» Dépêchons-nous donc, ont dit les jésuites.

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Hier, nous avons vu M. le comte de Bonald, qui se parlait à lui-même.—C’était sans doute pour voir s’il pourrait se comprendre.

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M. Briffaut a dit, dans son discours académique, que «Louis XIV imposa la gloire à son siècle.» C’est une imposition à laquelle M. de V... n’a point pensé.

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Un missionnaire observait très-pertinemment que l’infâme Voltaire avait assez écrit pour perdre deux millions d’âmes, et pas assez pour allumer dix bûchers.

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Les jésuites ont des poignards, M. de Montlosier n’a que sa plume; les armes sont-elles égales?


Dimanche, 23 juillet 1826. - ESQUISSE ; L’ACTEUR DE PARIS ET L’ACTEUR DE PROVINCE

L’ACTEUR DE PARIS.

Il est midi, il vient de se lever et, revêtu de son élégante robe de chambre, il fait quelques tours dans son appartement, visite ses tableaux et ses fleurs et demande ses journaux. Il sourit agréablement à la lecture de celui-ci, il grimace à la lecture de celui-là. «Jean!» s’écrie-t-il, et Jean accourt: «Tu renouvelleras mon abonnement à cette feuille et tu en prendras un second à celle-ci... A propos, Jean! tu passeras chez M***, l’auteur de la pièce nouvelle, pour lui dire de venir me voir.»

Après ce préambule, il se met à table, prend son rôle et le parcourt entre la côtelette et le chablis. «C’est pitoyable, dit-il de temps en temps; les auteurs ne travaillent que pour eux, rien pour les acteurs.» On sonne. «Déjà des visites, à cette heure!... Que voulez-vous, bonhomme?—Je suis le tailleur de monsieur, je venais pour un petit compte à régler.—Vous repasserez, je n’ai pas la tête aux calculs... Et vous, l’ami, que demandez-vous?—Je suis... vous savez...—Fort bien; il me faut trente hommes ce soir, voici trente billets, soignez donc un peu mieux mes entrées.—Monsieur sera content.» On sonne encore: c’est l’auteur de la pièce nouvelle. Il n’entre qu’en tremblant, il sait qu’il va subir mille observations plus ou moins ridicules dont il se propose bien de ne tenir aucun compte. En effet, l’acteur commande des rectifications, l’auteur résiste; la dispute s’échauffe; l’acteur tient bon et, dans son dépit, écrit au régisseur pour lui annoncer une indisposition subite; puis il fait sa toilette et court à la Bourse acheter fin de mois, sur le produit présumé de sa prochaine représentation à bénéfice. De la Bourse il vole vers la nouvelle propriété qu’il vient d’acquérir. A son retour, il tombe réellement malade en apprenant que la rente a baissé à Tortoni, et que sa doublure s’est fait vigoureusement applaudir dans son rôle, grâce aux trente hommes dont il a fait les frais. De dépit il va s’enterrer dans son petit ermitage, en ayant soin d’envoyer toucher à la caisse du théâtre ses émoluments et ses parts.

L’ACTEUR DE PROVINCE.

Il est six heures; le jour luit à peine, et déjà du fond d’une modeste alcôve retentit la voix d’Agamemnon, puis bientôt après celle de Scapin. «Chien de métier,» s’écrie en s’élançant hors de son lit un homme long et sec, «faire pleurer et rire alternativement, mourir et ressusciter régulièrement tous les soirs; et cela pour mille écus par an! chien de métier! allons du courage, une dernière répétition: Oui, c’est Agamemnon. Qui frappe?» Agamemnon pâlit et craint que ce ne soit quelque créancier matinal; vainement il cherche dans sa tête quelque tour de Scapin pour l’éconduire; on frappe encore, la porte s’ouvre d’elle-même! Dieu soit loué! c’est M. le Directeur.

Il entre avec précipitation, comme un homme affairé, et, sans avoir songé seulement à donner le bonjour au roi des rois, il déploie un rôle nouveau avec une partition: «Vite à l’ouvrage, vous me voyez dans un embarras... Notre opéra est annoncé et attendu pour ce soir, et notre basse-taille ne s’avise-t-elle pas de faire une chute à se casser la jambe?—Eh bien!—Vous allez prendre son rôle.—Vous plaisantez, une partie de basse-taille pour un soprano! d’ailleurs je suis enrhumé.—Tant mieux, cela renforcera votre voix; au reste, il n’y a que deux morceaux d’ensemble. Du courage! à midi répétition, et ce soir gratification si la recette est bonne.

Agamemnon-Scapin s’exécute de bonne grâce; la répétition arrive, il ne bronche presque pas, et, pour se donner plus de courage, il va chez le traiteur attendre l’heure de la représentation. Mais, fatale imprévoyance! sans doute il croyait déjà tenir la gratification, et quand vint le quart d’heure de Rabelais, il se souvint qu’elle n’était que promise; que faire? Le roi des rois n’a de crédit nulle part; Scapin vient à son secours: il envoie la carte à payer au théâtre, en priant le cher directeur de venir le dégager. La représentation a lieu; il est applaudi, sifflé, que lui importe! il n’a d’ambition et d’amour-propre que pour mille écus.


COUP

A la porte du couvent de Saint-Acheul, il y a, dit-on, un rémouleur qui n’est occupé qu’à aiguiser de petits couteaux.


Lundi, 24 juillet 1826. - RÉSUMÉ DE L’HISTOIRE DES PAPES

On déclame beaucoup aujourd’hui contre les usurpations des jésuites et les envahissements du spirituel sur le temporel, et il n’en résulte que beaucoup de bruit sans que le pape et le clergé s’en inquiètent le moins du monde. Que redouter, en effet, d’allégations vagues et mal fondées? Ce sont les faits qui tuent, et non les mots.

Aussi n’hésitons-nous pas à placer, en tête des ouvrages qui traitent cette matière, le Résumé de l’histoire des Papes. L’auteur donne rapidement, et en peu de mots, l’esquisse de la vie de chaque pontife. Peu de réflexions et beaucoup de détails, voilà comme il faut écrire l’histoire abrégée. Mais ce qui distingue surtout cet ouvrage, c’est un ton de gravité qui était commandé par le sujet, et que l’auteur n’abandonne jamais. C’est un mérite de plus, qu’au temps qui court on ne saurait trop apprécier.

Le pape, dit Montesquieu, est une vieille idole qu’on encense par habitude; il aurait pu ajouter par faiblesse et par superstition. L’histoire offre-t-elle rien de plus déplorable que l’excommunication de l’empereur Henri IV, et n’y a-t-il pas quelque chose de révoltant dans la défection de ses sujets dès qu’il fut condamné par l’ambitieux Grégoire?

Quoique la chaire de saint Pierre ait été souvent occupée par des hommes vraiment vertueux, on y a vu s’asseoir assez de pontifes indignes pour ne pas souhaiter de la voir dominer sur tous les trônes chrétiens. Et, d’ailleurs, où sont les titres de l’évêque de Rome à cette suprématie universelle qui ne soient mis au néant par chaque page de l’histoire?

Il est assez singulier que, dans le nombre des successeurs de saint Pierre, une femme ait figuré, les uns disent pendant deux ans et demi, les autres disent pendant cinq mois. En 854, un prêtre, connu sous le nom de Jean d’Anglican, fut élu après la mort de Léon IV. Un jour que, revêtu des habits pontificaux, il se rendait processionnellement à Saint-Jean de Latran, il parut éprouver des douleurs très-vives que ses efforts pour les cacher augmentèrent encore. Enfin le pape accoucha, ou plutôt la papesse, car c’était une femme, entre le Colisée et Saint-Clément; elle mourut sur la place même. Un monument d’expiation y fut élevé et subsista jusqu’au pontificat de Pie V, qui le fit détruire. De là vint la coutume de faire asseoir le nouveau pape sur un siége creusé, de manière qu’un homme pouvait passer dessous et s’assurer du sexe. Aussitôt cette opération faite, on s’écriait: Papam virum habemus.


COUPS DE LANCETTE.

Monsieur de Montlosier a demandé au préfet de police la permission de porter une cuirasse sous ses habits.

*
* *

On annonce un prochain changement de ministère.—Quel bonheur!... Mais ce n’est qu’en Angleterre.

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* *

Une Excellence, ayant entendu parler des conversions d’un révérend, répéta avec joie: «C’est donc un diable que cet homme-là?—Non, monsieur, c’est l’abbé G...»

*
* *

Depuis que l’abbé G... a fait brûler Voltaire et Rousseau, on sait de quel bois les jésuites se chauffent.

*
* *

Le général D... porte son épée comme un homme de cœur; cela ne dit pas qu’il soit brave.

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Madame de G..., craignant de ne plus faire parler d’elle, après sa mort, vient de prier M. Auger de lui composer son épitaphe. La voici:

Ci-gît, mère de cent enfants,
Des comtesses la plus féconde;
Elle a fait du bruit dans le monde,
Elle y parla quatre-vingts ans.

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Madame de Genlis ne croit pas aux jésuites, parce qu’elle n’en a pas connu avant la révolution.

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* *

C’était, avant-hier, la fête de Montrouge; MM. les jésuites se sont livrés à leur gaieté naturelle. Après un repas délicat, toute la confrérie a entonné en chœur ce doux refrain:

Il faut leur percer le flanc,
Plan, plan, rataplan, etc., etc.

Montrouge, dont Figaro parle à chaque instant, et que le Courrier français appelait «l’antre du fanatisme,» est la petite commune aux portes de Paris où les jésuites avaient fondé une maison mère. A Montrouge se tenait le conseil supérieur, dont les instructions et les commandements volaient avec une inconcevable rapidité d’un bout de la France à l’autre. «Les télégraphes jésuitiques de Montrouge, dit un journal, l’emportent sur les signaux du gouvernement.»

«Montrouge, disait un autre journal, c’est le jésuitisme, le foyer de la congrégation, le vrai siége du gouvernement.»

Qu’est-ce donc que ce joujou-là? demandait un enfant à un frère ignorantin, en lui montrant un canif.

—Mon fils, lui répondit l’élève de Montrouge, c’est un instrument qui sert à corriger les rois.

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Le Moniteur prépare une circulaire pour annoncer à l’Europe qu’il est le plus spirituel, le plus amusant, le meilleur des journaux littéraires... Nous croyions que c’était la Pandore.


Samedi, 29 juillet 1826. - VIEUX CONTE S’IL EN FUT JAMAIS

Or, il advint dans un pays de jubilé, par delà des montagnes bien hautes, qu’un jour il y eut grand aria, comme on dit. Voilà que tout à coup il n’y avait rien dans les coffres, rien dans la cave, rien au grenier, ni foin ni paille, rien enfin à mettre sous la dent. Quand il n’y a point de foin au râtelier, les ânes se battent. Mais il faut manger, quoiqu’on se batte; les uns firent ceci, les autres cela, tous firent de travers et cheminèrent de mal en pis. «Parbleu, dit un jour celui qui avait la plus belle plume au chapeau (bien qu’elle fût toute sale) et les plus beaux hauts-de-chausses (bien qu’ils fussent de pièces et de morceaux), si nous allons de ce train-là, nous n’irons pas loin; vite un tambour, et qu’on aille tambouriner partout pour que chacun vienne de suite, réflexion en poche et sabre au côté pour couper ce nœud gordien-là.» Un chacun réuni, après les dits et redits, le bourdon d’une grosse cloche coupa court, et l’on patenôtra cinq à six Orémus. Puis l’homme à la plume, d’un ton dolent, crachant à droite, éternuant à gauche, à quoi l’on repartit: Dieu vous bénisse, s’escrima ainsi, sur les choses du moment, avec un accent le plus solennel du monde: «Mes très-chers frères, saint Ignace (ici ceux qui étaient derrière les autres donnèrent un grand coup de front sur la nuque de ceux qui étaient devant; le mouvement gagna jusqu’à ceux qui étaient en tête de la longue et large colonne, et ceux-ci le firent à leur tour rétrograder brusquement jusqu’aux endormis de la dernière banquette), le grand saint Ignace, continua-t-il, nous punit par l’inanition des indigestions que nous nous sommes données. C’est visible: il faut donc, je crois, que le plus ventru de nous tous y passe le goût du pain et soit regardé comme le bouc émissaire des péchés d’Israël; saint Ignace m’est apparu rouge de colère comme l’œil du coq; il faut l’apaiser! Moi, je n’y vais pas par quatre chemins; j’ai mangé à crédit partout où j’ai pu; j’ai cédé, moyennant pot de vin, bail sur bail, les gros fermages de tous les pays; puis, le temps est venu où je n’ai plus à ronger que ma plume et mes chausses, si nous n’y mettons ordre, vous pour moi, et moi pour vous.»

Après ces mots, il y eut de la sensation, et les petits enfants demandèrent des tartines. Un conseiller, qui avait été nourri de la lecture de Molière, leur fit donner le fouet tout leur soûl. Puis un gros joufflu qui louchait, portant robe noire et perruque idem, parla dans ces mots en caressant un petit garçon d’un air tout à fait mystique: «Quand on n’a pas de pain, j’en ai encore et le garde; j’ai raison, et l’on doit être fier de me voir si dodu et si vermeil. On dit que j’ai faim comme quatre, et que je mange comme huit. Qu’est-ce que cela prouve, sinon que j’ai de l’appétit. On vit comme on peut; je peux parce que j’ai. Que ceux qui ont du crédit s’en servent, on payera quand on pourra; et quant aux gueux qui n’ont rien, ce sont des gueux qu’il faut pendre, cela leur apprendra à vivre. J’ai dit.» Tous tes plus grands, tous les plus gros, gens à pistolets et poignards en poche, gaillards trapus et hargneux, dogues à longs crocs et colliers pointus, excitèrent alors un vacarme d’applaudissements de tous les diables; on bâillait de faim, on braillait d’enthousiasme.

Quand on se fut bien estomaqué, un petit homme, couleur gris de poussière, sec comme la mort, blême comme un carême, jambes en fuseau, corps menu, nez d’un pied de long, grimpa dans l’égrugeoir comme un écureuil, et là, de pérorer d’une voix affamée, tirant la langue comme un chien de chasse qui vient de courre:

«Mes amis, je devrais me taire, car je n’ai pas soupé hier, déjeuné ce matin, ni dîné ce soir (murmures), mais la conscience l’emporte: je vais faire une révélation terrible. Un jour de fête, car, Dieu merci, nous sommes dans les fêtes jusqu’au cou, nous vivons comme des bienheureux (applaudissements), je fumais, car que faire de mieux, si on ne mange, que de fumer? (murmures plus prononcés)—quand une idée que je crus pieuse me passa par la tête: cette idée, messieurs, c’était de fondre toutes les cloches des monastères du pays pour en faire des pièces de six maravédis, à l’effet d’acheter pour nous et les nôtres des petits pains de seigle.» A peine l’orateur eut-il parlé, qu’il fut accueilli à grands coups de pied, à grands coups de poing, hué, conspué, tiraillé et reconduit avec force gifles, croquignoles, rebuffades et crachats au nez, jusqu’à une des plus belles potences qui aient jamais eu quinze pieds, et accroché, à la grande satisfaction de toutes les bonnes âmes, par le beau milieu de son cou. Depuis lors, le pays devint le chaos le mieux organisé, l’enfer le plus cagot qu’il se fût oncques vu; il y eut des cloches sans pain, des fêtes où l’on ne riait pas du tout, des cantiques de cinquante et quelques couplets, force coups de couteau, contrebande, guerre civile, combats de taureaux, peste, famine, plaies et bosses à bouche que veux tu, et autres gentillesses dans ce moule; mais, par-dessus le marché, pas une pièce de monnaie dans l’escarcelle pour acheter du baume de fier-à-bras!


COUPS DE LANCETTE.

Rivarol accusait M. Ginguené d’avoir des phrases d’une longueur désespérante pour les asthmatiques.—Qu’aurait-il dit de celles de M. Villemain?

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Jésuite pour jésuite, disait madame d’A..., j’aime mieux ceux à robes longues, cela cache mieux les choses.

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La Gazette, le Drapeau blanc et le Journal de Paris, depuis qu’ils publient les nouvelles de Portugal, ressemblent à ces tyrans de mélodrame, qui se montrent avec un visage riant et se retournent aussitôt en fronçant le sourcil et en disant tout bas: Dissimulons.

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Un dentiste célèbre, attaché au service d’un prince étranger, demandait au chambellan dans quelle langue il pourrait adresser ses remercîments à Son Altesse.—En français, si vous voulez, reprit le courtisan, pourvu que vous évitiez de prononcer le mot mâchoire.

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Dans une de ses dernières brochures, M. le comte de Bonald dit qu’il ne connaît rien de plus beau que les pays gouvernés par les prêtres, et il cite la fière Espagne avec son inquisition et ses moines.

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MM. Bénab... et Ling..... sont toujours à louer ou à vendre.

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Deux moines de la sainte inquisition lisaient à Madrid les détails de l’incendie de Constantinople.—«Que les habitants de cette ville sont heureux!» s’écria l’un des saints pères, «ils peuvent jouir à chaque instant du plaisir de voir brûler des hommes, des femmes et même des enfants!...»

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Il y a un proverbe florentin conçu ainsi: Qui fait ses affaires ne se salit pas les mains; M. le comte de... doit avoir les siennes furieusement propres.

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On a cité en justice un brave homme parce qu’il se nomme Napoléon. Est-ce en France ou chez les Hurons?

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M. de V... se fait, dit-on, répéter tous les matins, depuis huit jours, cette maxime d’un ancien: Un flatteur est un esclave qui n’est bon pour aucun maître.

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La Sentinelle de la Religion prétend qu’elle soutient tous les bons principes....... Sans doute comme la corde soutient le pendu.

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Mlle Delâtre disait qu’elle connaissait les livres de morale.—Oui, lui répondit-on, comme les voleurs la gendarmerie.

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Un auteur célèbre a dit que l’existence entière des jésuites fut un grand dévoûment à la religion et à l’humanité; ajoutez: et aux petits garçons.


Les vengeances et les colères d’une réaction furieuse donnèrent, sous la Restauration, un rôle des plus importants à la délation. Les délateurs, comme ceux de la Rome antique, sûrs de l’impunité, que dis-je, certains d’obtenir des récompenses et «des honneurs,» ne se renfermèrent pas toujours dans leur strict devoir. D’espions, ils devinrent agents provocateurs et, pour satisfaire leur «honnête ambition,» se mirent au service des rancunes. De là, des piéges honteux tendus à la crédulité d’une foule de malheureux, qui payèrent de leur tête le crime d’avoir écouté les propositions de misérables chargés d’organiser des émeutes et des complots, où d’autres misérables plus puissants qu’eux ramassaient dans le sang des victimes des croix et des cordons.

On est révolté au seul souvenir des crimes des cours prévôtales, en ce temps de terreur contre-révolutionnaire. Que de sang, à Grenoble! on y exécuta des hommes, des vieillards, un enfant, et plusieurs cependant avaient été reconnus innocents. A Lyon, on décima un village. Un député put s’écrier à la chambre: «Tous vos complots, jusqu’ici, ont été organisés par la police.» La droite ne dit pas non. Qui ne sait les tristes détails de la conspiration Berton, à Saumur; de l’affaire du colonel Caron! Ils avaient été vendus à l’avance.

«L’espionnage, disait M. de Montlosier dans son mémoire, était autrefois un métier que l’argent commandait à la bassesse; il est aujourd’hui commandé par la probité, par les devoirs que la congrégation impose. On assure que l’espionnage est devenu comme de conscience: on est prêt à lui donner des lettres de noblesse.»

En 1826, partout et toujours, l’opinion émue voyait des mouchards et des agents provocateurs.

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Samedi, 12 août 1826. - NOTES MANUSCRITES EXTRAITES DES MÉMOIRES D’UN MOUCHARD

Ma naissance ne fut pas plus célèbre que celle de Lazarille de Tormès: fils d’une femme de mauvaise vie, je fus vendu par elle à l’âge de cinq ans à un vieux mendiant; j’appris des camarades de mon sort, dans les tavernes où mon maître allait s’enivrer avec des confrères dignes de lui, mille jolis tours d’adresse que je mis en pratique dans plusieurs occasions assez importantes. Une seule manqua et me fit un nom: j’allais être pris, je défilais avec deux aigrefins de ma taille, et, trop fier pour mendier désormais, nous associâmes nos rares talents. Je gravissais avec légèreté cette échelle de drôleries qui conduit raide à la potence, lorsque l’exemple de mon meilleur ami, suspendu par le cou à un gibet, refroidit subitement mes principes chevaleresques. Ayant trop de cœur pour en revenir à mon premier état, pas assez pour persévérer dans le second, je me fis mouchard. Là se développa le génie que m’avait donné la nature. J’ai servi tour à tour à Londres, à Paris, à Vienne; les mystères de l’Escurial, le sphynx du Saint-Office, les énigmes du Vatican, ne furent pour moi que des secrets de Polichinelle: j’étais un joyau qu’on se prêtait par considération. J’ai tramé dans la machine infernale, mis, un des premiers, le feu à Moscou, et jeté le cri de sauve qui peut à Waterloo. J’étais présent au dix août. J’ai porté des rafraîchissements à l’Abbaye dans les premiers jours de septembre. J’ai traité de puissance à puissance avec Robespierre, soupé avec Lequinio, qui soupait avec le bourreau. J’étais un des gendarmes d’élite qui ont mis à mort le duc d’Enghien dans les fossés de Vincennes. Je fus un moment revêtu d’un caractère semi-diplomatique pour vendre Paris aux Cosaques; depuis j’ai parcouru Avignon, Grenoble, Nîmes, où périt Brune, et finalement Lyon. Tout jusque-là m’avait réussi. Ma fortune donna contre un écueil. Chargé de mettre des papiers parmi ceux d’un général royaliste, je refusai: j’avais fait l’honnête homme, je fus destitué; je le devins tout à fait. S’il n’y avait que la vertu qui surnageât, que d’Excellences on pourrait noyer dans un verre d’eau.

En devenant honnête, je devins furieux; cela se voit souvent, surtout lorsque la rancune est plus forte que l’amour-propre: je résolus de faire mes Mémoires; je les fis. J’allais les publier, lorsqu’un de mes amis, ancien prêtre, aujourd’hui père légitime d’une demi-douzaine de marmots qu’il élève à la Lancastre et pour les arts libéraux, homme de mœurs douces et d’esprit prudent, me représenta que les minutes officielles de mes aventures existaient, signées de ma main, au dépôt des archives, et qu’ainsi l’anonyme même ne saurait me mettre à l’abri des investigations de mes anciens compagnons d’armes. Je ne voulais pas donner quinze et brisque sur mon jeu, et mourir martyr après avoir vécu comme un gredin. Je me tus: je serrai mes paperasses, comme fit le courageux Ducis quand il écrivait contre Napoléon. Mais j’enrageais, j’enrageais... Je découvris bientôt un nouvel argument à l’appui du premier.

C’est moi, disais-je, qui ai révélé à Napoléon les conciliabules secrets du mont Saint-Valérien; le Calvaire a repris sa splendeur, certains messieurs, que l’on dit y apparaître encore, pourraient bien se piquer d’être plus chrétiens que l’Évangile. Taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.

C’est moi, disais-je, qui ai démontré la connexion de l’affaire Pichegru avec celle de Georges; bien que M. Basterèche l’ait dit en toutes lettres à la tribune, il doit peu me convenir à moi de traiter Pichegru d’assassin. On lui élève une statue et, quoi qu’en dise l’article 8 de la Charte, ses amis et les amis de leurs amis pourraient se montrer plus royalistes que le roi. Taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.

Si, ajoutai-je encore, je me vantais d’avoir mis le nez jadis dans les papiers de Cambacérès, on pourrait me faire des questions embarrassantes sur la cause de leur disparition, et si je disais ceci et cela, je pourrais passer pour un calomniateur, parce que je ne les ai plus devant moi, et que du reste je ne voudrais pas les avoir dans ma poche, Dieu m’en garde! Ainsi taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.

Si je racontais l’histoire de la souricière (celle de Bayonne, bien entendu), je sais bien que le prince de T.... et l’archevêque de P.... ne m’accuseraient pas de mensonge. M. le duc de R..... pourrait faire une seconde publication, à cet égard, aussi risible que la première, mais ni lui, ni moi, ni nos amis, ne regagnerions nos entrées, et je ne vois là que dangers sans honneurs pour sortir d’un pas de clerc. Sylla, en affranchissant ses esclaves, se créa par cette adresse des légions de clients. Taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.

J’aurais parlé, disais-je encore, de l’affaire des sous-traitants à qui Napoléon fit rendre gorge un peu à la turque: c’est moi qui avais arrêté le gros maréchal-ferrant millionnaire: mais que d’allusions à l’affaire Ouvrard! On dit que celle-ci tient à tant de choses si délicates, à ceci, à cela, à presque tout enfin. Je veux croire que ce sont des propos de gobe-mouches, c’est bon. Mais taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.

On sait, disais-je enfin, comment est mort Paul Ier, et moi aussi, je le sais: mais si, comme le dit M. Dulaure, les Anglais ont semé l’or sterling à la brouette dans les quarante-quatre mille communes de la France, pour faire bouillir le vif-argent dans toutes les cervelles gauloises, aux bons vieux jours de Foucher, Carrier, Marat et Compagnie, ne trouveraient-ils pas dans quelques petits coins de leur escarcelle, toute délabrée qu’elle me paraît aujourd’hui, de quoi acheter à bon compte la peau de moi, chétif, dussé-je, comme une grenouille dépouillée, ne vivre que juste ce qu’il faut après pour la voir bien et dûment tannée pour en faire un tambour. Pas de ça, s’il vous plaît. Taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent. Et je jetai mes Mémoires au feu....


COUPS DE LANCETTE.

Dans un pays qui touche à la Turquie, les uns reçoivent des cordons, les autres n’obtiennent que la corde.

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M. T. L. assure qu’il est un homme.

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A Londres, la nommée Marie Cocnet d’Ouvrard, qui se dit fille du munitionnaire de Sainte-Pélagie, a été condamnée à la peine capitale pour avoir volé une montre.—On la croit de la famille.


Lundi, 21 août 1826. - ALBUM DE CHÉRUBIN.

A-compte.—Femme qui donne un à-compte sur une affaire amoureuse ne tardera pas à la solder.

Déclaration d’amour.Déclaration de guerre contre la vertu.

Esprit.—Une belle femme sans esprit est un dieu qu’on admire et auquel on ne sacrifie pas.

Familiarité.—Porte ouverte à l’amour.

Hélas!—Expression de la douleur, aussi fugitive que celle du plaisir.

Impôt.—Le regard d’une jolie femme est un impôt sur notre cœur.

Jalousie.—Saint Jérôme est presque une autorité en amour. Il dit que la jalousie d’un mari est sottise, car si une femme est facile, il est impossible de la garder; et si elle est chaste, elle n’a pas besoin qu’on la surveille.

Laideur.—Elle est une autre Vesta qui conserve religieusement le feu de la chasteté.

Mélange.—Le je ne sais quoi d’une femme se compose d’un mélange d’attraits, d’appas et de charmes qui séduit, engage, entraîne.

Œillade.—Lancée par une coquette, c’est un filet qui sert à prendre des dupes.

Paradis.—Un religieux arabe a dit que Dieu avait un paradis à part pour les femmes, parce que si elles entraient dans celui des hommes, elles en feraient un enfer.

Secret.—La Fontaine prétend qu’une femme ne peut garder un secret. Malgré le bonhomme, il est une justice à leur rendre: jamais elles ne divulgueront le secret..... de leur âge.

Tartufe.—Il est des tartufes femelles, mais ce sont les moins dangereux.

Vertu.—Rien ne conspire plus contre la vertu des femmes qu’elles-mêmes.

Yeux.—Agents provocateurs du plaisir.


Jeudi, 24 août 1826. - ANNIVERSAIRE          

Il y aura, ce soir, à minuit, deux cent cinquante-quatre ans! La paix avait été signée entre les factions: la liberté des cultes en était la conséquence... Tout à coup, la cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois annonce le signal, et, de proche en proche, le tocsin appelle tous les assassins au meurtre: ils sont prêts sur tous les points de la France. Rome approuvait la mort de Coligny... Il tombe sous le fer d’un valet!... Besme! cela est-il fait? s’écrie une voix.... Un cadavre qui tombe aux pieds de Guise lui sert de réponse... Il le foule! Va, Guise, va porter cette tête à Médicis. Ne crains pas. Hideuse, défigurée, sanglante, elle ne fera pas reculer Charles IX! Un ennemi mort sent toujours bon. Réjouissez-vous donc, respirez à l’aise, il y en a cent mille!!!! O rigueurs salutaires!....

COUPS DE LANCETTE.

—Où Bazile court-il donc, avec cet air si gai?

—Comment! tu ne sais pas?

—Non!

—C’est aujourd’hui jour de fête.

—Oh! oh! et quelle est donc cette fête, qui donne un éclat si vif à tes yeux creux et à ta physionomie plombée?

—La Saint-Barthélemy, parbleu!

—Infâme!....

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Mademoiselle Maria se plaint que les journalistes s’acharnent sur elle comme des corbeaux. Certes, notre méchanceté est connue, mais nous n’aurions jamais osé dire celle-là.

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Il y a des gens bien élevés, en Russie: les potences ont quinze pieds de haut.

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Savez-vous pourquoi le bibliothécaire B... serait bien placé aux finances?—Non!...—Parce qu’il ne touche pas au dépôt qui lui est confié.

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La statue de Louis XIV qui a été érigée à Lyon a coûté, tous frais faits, 537,950 francs. Que l’on dise ensuite dans vingt biographies que Louis XIV ne vaut rien.

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L’Etoile est payée pour mentir. Elle va prouver dans son prochain numéro que, lors de la Saint-Barthélemy, les protestants se sont suicidés eux-mêmes pour faire tort aux jésuites.

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—Un juge présidant les dernières assises
A certain vagabond reprochait son larcin.
—Ah! parbleu! répond-il, dites donc des sottises,
Sans les voleurs, bientôt vous crèveriez de faim.

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M. Lecomte, qui est généreux comme un Arabe, offre CENT FRANCS à l’homme de bonne volonté qui ira chercher querelle aux journalistes. Nous serons plus libéraux. Nous offrons cinq cents francs à l’homme de corvée qui aura le courage de déclarer publiquement que M. Lecomte est un bon acteur, un bon auteur et un homme d’esprit.


L’AMI DES MONSTRES

M. Geoffroy Saint-Hilaire est un professeur du Jardin des Plantes et membre de l’Académie des sciences (section d’histoire naturelle). C’est un homme fort savant et fort laborieux. Il se passe fort peu de séances de l’Académie des sciences sans que M. Geoffroy Saint-Hilaire n’ait quelques monstruosités nouvelles à signaler à l’attention de l’Académie. Les monstres sont une de ses manies, car il en a encore une autre dont nous parlerons tout à l’heure; M. Geoffroy Saint-Hilaire voit des monstres partout: il conserve chez lui, dans l’esprit-de-vin, des veaux à deux têtes, des chats à six pattes, des enfants à quatre jambes, des jumeaux attachés par le ventre, etc., etc. Avez-vous un doigt de plus ou de moins, vous êtes monstre; et M. Geoffroy Saint-Hilaire a été tenté de se déclarer monstre lui-même en se voyant dans une glace, parce qu’il a la plus extraordinaire construction d’oreilles qu’on puisse imaginer.

M. Geoffroy Saint-Hilaire arrive ordinairement à l’Académie armé de vases et de bocaux renfermant des monstres. Lundi dernier, le savant professeur est arrivé précédé d’une terrine de Nérac, de ces terrines pouvant contenir six perdreaux truffés. C’est un pâté, s’écrie-t-on de toutes parts; c’est un pâ â té, s’est écrié un académicien aussi éloquent que notre ami Bridoison; chacun se lève, et tous les membres du docte corps demeurent la bouche ouverte et les yeux fixés sur la bienheureuse terrine. Quel désappointement! Le professeur prend la parole: «J’ai l’honneur de présenter à l’Académie, dit-il, un enfant né il y a huit jours....» Chacun se rassied et se bouche le nez.... M. Geoffroy Saint-Hilaire s’aperçoit de l’effet produit par sa harangue et continue: «J’emporte mon monstre à la bibliothèque, et je le montrerai à ceux qui le désireront.»

M. Geoffroy Saint-Hilaire a encore une autre manie, de trouver une analogie entre l’homme et les moindres animaux. Dernièrement il expliquait l’analogie qu’il prétend exister entre l’espèce humaine et le lézard. Il avait apporté un de ces animaux dans une fiole; la fiole passait de mains en mains: elle arrive à un académicien, homme de beaucoup d’esprit, qui la passe à son voisin, en disant: «Mon confrère, permettez-moi de vous passer notre confrère.»

Avec tout cela, M. Geoffroy Saint-Hilaire est un homme profondément instruit, d’une élocution facile et élégante; il a de plus l’honneur d’être opposé de principes et d’opinion à un autre académicien riche de places, de dignités et de sinécures, et dont on a dit: «Ce cuvier-là, c’est le tonneau des Danaïdes.»


UNE JOURNÉE

(Extrait de l’album d’une dévote.)

..... J’ai été réveillée ce matin, à dix heures; on entrait dans mon boudoir sans se faire annoncer; j’ai cru que c’était mon mari, et j’allais le tancer de la bonne façon de son impertinence..., c’était mon directeur. D’abord il a aperçu sur un fauteuil une robe neuve apportée la veille, puis il m’a vue cacher avec précipitation quelque chose sous la couverture. Il a voulu savoir ce que c’était: je résistai, il insista, mit la main... c’était un roman! Comme il m’a sermonnée, ce bon M. Papelard, sur Satan, sur les vanités du monde! Il m’a prouvé par un argument que je n’oublierai jamais que la chair est bien fragile. On a frappé, mais la clé était en dedans: j’ai reconnu la voix de mon mari, qui voulait me souhaiter le bonjour; je l’ai prié d’aller faire un tour.

Pendant que M. Papelard achevait la péroraison d’un discours dont l’introduction avait été si violente, j’ai fait ma toilette. Point de coquetterie devant mon directeur, il chiffonne un fichu trop mondain, met la main sur tout ce qui est de luxe. Nous sommes sortis pour aller au sermon, il a pris mes Heures et un petit sac contenant les économies que je fais faire à mon mari, pour en verser une partie dans le tronc d’un séminaire et prendre un abonnement à la Sentinelle.

A notre retour, nous nous sommes encore enfermés: il avait, disait-il, à m’expliquer le texte du sermon, que je n’avais pas bien compris et qui était: Aperite portas vestras, et j’ouvrais de grandes oreilles.

J’ai trouvé une lettre adressée à mon mari par mon fils que j’ai mis à Saint-Acheul. Il se plaint de la vie qu’il y mène, le petit insolent! Bien m’en a pris de ne pas laisser cette lettre entre les mains de son père, il serait homme à mettre son fils dans un collége royal.

Mon mari m’a fait dire qu’il attendait deux amis à dîner; je lui ai répondu que je faisais maigre, et qu’il pouvait aller chez le restaurateur; j’ai eu soin surtout de lui défendre de rentrer avant onze heures.

Je voulais voir Tartufe, dont on m’avait tant parlé; j’avais eu soin de retenir une loge sang en rien dire à M. Papelard. Après le salut, j’ai été à la Comédie-française. Qu’il me tardait de voir ce Tartufe! Cette tragédie m’a fait pleurer.


COUPS DE LANCETTE.

Quand M. Ch. Nod... fait insérer dans un journal un article de trois colonnes, on peut écrire en bas de cet article: J’ai faim.

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Miracle! M. de Corbière a ouvert l’œil droit. Au train dont il y va, on suppose qu’il sera tout à fait réveillé pour la fin de l’année.

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M. de Corb... a, dit-on, la maladie de la pierre.

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M. de C...-Tonn... ne passera pas sur le pont des Invalides pour se rendre au Champ de Mars, parce qu’il n’y a plus de garde-fous.

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Que dites-vous de M. Madrole?... L’écho répond.

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Les valets détestent la liberté, parce qu’elle ne leur permet pas de se montrer plus insolents que leurs maîtres.

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«La garde meurt et ne se rend pas.» M. de Vil... a retourné ce proverbe: il ne meurt pas et ne rend rien.

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Petit Dialogue.—L’Excellence. Mon cher, concevez-vous l’insolence de tous ces folliculaires?—Monseigneur, j’en suis scandalisé... qu’ont-ils fait?—Ils ont l’audace de remplir leurs feuilles de l’éloge d’un comédien; ils ne parlent que de lui; que diraient-ils donc si je venais à mourir? (Le secrétaire reste un moment abasourdi; mais, reprenant bientôt son assurance, il répond:)—Rien, monseigneur.—Hein!—Rien, les grandes douleurs sont muettes.

(Historique.)

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Si j’avais été à Paris lorsque Talma se mourait, disait M. l’abbé de L.., je serais bien entré dans sa chambre; pourquoi a-t-on des gendarmes?

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Dans le bureau d’un journal on remarque des épées, mais on cherche en vain des plumes: il paraît qu’il est plus aisé de se battre que d’écrire.

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Un jésuite, entrant à l’Opéra, s’écria: O le joli couvent!

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Mademoiselle Adeline, qui paye des impositions, disait un jour: Je vais chez le percepteur faire relever ma cote.


POÉSIE BUREAUCRATIQUE

Combien le jour de l’an est un jour propice
Pour présenter ses vœux et civilités;
J’en ressens près de vous le plus grand délice
Dans votre accueil gracieux et toutes vos bontés.
Pour rendre à madame des honneurs mérités,
Il faut citer toutes ses qualités,
Les rares vertus de l’esprit et du cœur.
Permettez à l’amitié ce sincère hommage,
Inspiré par le sentiment le plus flatteur,
Et que chacun de vos subordonnés partage.
Je suis, avec le plus profond respect, etc.


QUEL EST LE JOUR OU ON EST LE PLUS AIMABLE?

Un empereur, le jour où il arrive au trône à travers le droit d’aînesse.

Un roi, le jour où il croit sa puissance en péril.

Un ministre, le jour où il obtient un portefeuille, ou le lendemain du jour où il l’a perdu.

Un préfet, le jour où il lit sa nomination dans le Moniteur, et celui où il met son habit neuf pour la première fois.

Un avocat, le jour où il est sans argent et sans cause.

Un avoué, le jour d’une expropriation forcée.

Un roturier enrichi, le jour où le valet qui l’annonce dans une société brillante ajoute un de devant son nom.

Un noble ruiné, le jour où il épouse la fille d’un banquier qu’il croit millionnaire.

Le banquier, le lendemain du jour où il a fait banqueroute.

L’huissier qui le poursuit, le jour où il fait le procès-verbal de saisie du mobilier de son hôtel.

Un créancier, le jour où un débiteur sur lequel il ne comptait plus lui paye capital et intérêts.

Un auteur, le jour d’une première représentation.

Un nouvel acteur, le jour de son début.

Un acteur qui double un rôle, le lendemain du jour où son chef d’emploi a été sifflé.

Une danseuse, le jour où elle doit faire financer un milord.

Une vieille coquette, le jour où un myope lui a retiré vingt ans.

Un mari avec sa femme, le jour où il lui a fait une infidélité.

Une femme avec son mari, le jour où celui-ci part pour un long voyage.

Une fiancée avec son futur, le jour où l’on apporte la corbeille de mariage, bien garnie de cachemires et de diamants.

Un amant, le premier jour où il croit....

Mademoiselle Cinti, le jour où elle lit dans un journal qu’elle est excellente actrice.

M. Geoffroy de Saint-Hilaire, le jour où il découvre un nouveau monstre.

M. Auger, le jour où il trouvera un académicien.

M. Quatremère de Quincy, le jour où il sera défendu, sous peine d’entendre son discours, de siffler à l’Académie.


PETITS DIALOGUES.

A...—Monsieur l’commissair’, j’viens vous dire comme quoi j’ai été volé ce matin à six heures.—C’est votre faute, pourquoi vous avisez-vous de sortir à cette heure..., il est trop tôt.

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* *

B...—Monsieur le commissaire, j’ai été attaqué à onze heures du soir, dans un des quartiers les plus fréquentés de Paris.—C’est votre faute, pourquoi vous avisez-vous de sortir à cette heure..., il est trop tard.

COUPS DE LANCETTE.

Avez-vous un bras cassé, une jambe estropiée, la pierre, etc., etc... M. Du..., célèbre dans la science chirurgicale, vous portera de suite des secours... spirituels.

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Quand on demande à M. Dupuytren comment vont ses malades, il répond: Ils se sont confessés.

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M. D... a remplacé le bistouri par un petit couteau.

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Les épiciers disent que le moyen de conserver la chandelle pendant l’été est de l’envelopper dans une ode de M. Ancelot.

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M. D. ne se rend plus chez les malades avec sa trousse, mais bien avec un bréviaire.

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Le docteur Du.., en apprenant qu’un de ses malades, dont il avait opéré la.... conversion, s’était rétabli pendant son absence, s’est écrié d’un air contrit: Quel malheur! il était si bien préparé à mourir!...

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A l’Opéra on veut de la moralité; ce n’est pourtant pas une fable.

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Au lieu des eunuques à qui on confiait la garde des femmes à Constantinople, on va mettre des jésuites.

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M. Sosthènes prétend que les voleurs sont des gens très-moraux, parce qu’ils forcent les jeunes gens qui ont peur d’être dévalisés à rentrer de très-bonne heure.

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Dernièrement, une dame de l’Opéra a fait une fière chute; mais, comme elle avait des caleçons, M. Sosthènes lui a fait grâce.


M. Sosthènes de Larochefoucauld était alors chargé du département des beaux-arts. «Congréganiste zélé, dévot mondain parmi les gens de cour, bel esprit de cour parmi les dévots,» M. de Larochefoucauld devait sa position à l’abbé Legris-Duval et au père Ronsin, chefs successifs de la congrégation, dont il était l’instrument dévoué.

Dans les dernières années du règne de Louis XVIII, cet homme si dévot avait joué à la cour un certain rôle: madame Du Cayla, créature du parti religieux, gouvernait alors le vieux monarque, et M. Sosthènes était chargé de transmettre à la favorite les ordres de la congrégation.

Ses rapports quotidiens avec une femme aussi influente ne pouvaient qu’avoir les meilleurs résultats pour sa fortune. On ne pouvait songer à lui donner un département ministériel: il obtint l’administration des beaux-arts et, sur sa demande, on changea le titre de direction en celui de département.

Non content de ces titres à la gloire, il s’acquit «la plus étrange célébrité, en voulant officiellement moraliser à l’Opéra poëmes, musique, acteurs et actrices; sa dévote sollicitude s’étendait jusqu’aux robes des danseuses.»

M. Sosthènes a eu la nuit dernière un terrible cauchemar: il rêvait qu’il était à côté d’une danseuse sans caleçons.

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* *

Le sieur Henry, qui quitta dernièrement la place d’inspecteur général de l’Académie royale de musique, dont M. Sosthènes l’avait gratifié, pour aller faire un tour aux galères, n’était peut-être pas aussi coupable qu’on a pu le croire; il est vrai qu’il avait fait des faux, mais il n’avait pas commis d’indécences avec les dames de l’Opéra.

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* *

Dorénavant, pour obtenir une place à l’Académie royale de musique, il faudra faire apostiller sa demande par le chef des eunuques blancs du harem du Grand Seigneur.

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* *

M. Sosthènes disait l’autre jour fort galamment: Ce qui rend l’Opéra si dangereux pour la morale, c’est le grand nombre de jolies femmes. A notre avis, le mal n’est pas si grand qu’il le pense.


Les plaisanteries de Figaro au sujet de M. Sosthènes sont, un peu comme les danseuses, de plus en plus court-vêtues; peut-être les trouverait-on déplacées par le temps de susceptibilité et de haute pruderie qui court. J’en retranche, et des meilleures.

Mardi, 7 novembre 1826. - LES LAMPIONS. - DIALOGUE.

PREMIER LAMPION.—Quelle clarté je répands! à coup sûr on ne m’accusera pas d’indifférence.

DEUXIÈME LAMPION.—C’est possible, mais on t’accusera d’autre chose; regarde ce passant qui se bouche le nez.

PREMIER LAMPION.—C’est qu’il pense mal.

TROISIÈME LAMPION.—Messieurs, messieurs, point d’intolérance. Vous êtes jeunes et par conséquent neufs, vous avez peu servi et vous connaissez mal les hommes.

PREMIER LAMPION, d’un air dédaigneux.—Qui est-ce qui m’adresse la parole?

DEUXIÈME LAMPION.—C’est mon voisin de gauche, un pauvre vieux placé derrière une borne, et qui ne jette pas plus d’éclat qu’une veilleuse.

PREMIER LAMPION.—L’insolent! Il lui appartient bien...

TROISIÈME LAMPION.—Tout beau, jeune et brillant confrère! On voit bien que vous n’avez brûlé qu’en l’honneur d’un seul maître.

PREMIER LAMPION.—Oui, je m’en fais gloire.

TROISIÈME LAMPION.—Cela a-t-il dépendu de vous? Tenez, demandez à votre camarade qui, là-bas, jette un si beau feu entre deux lampions à moitié éteints.

QUATRIÈME LAMPION.—Messieurs, dispensez-moi d’être votre juge; j’ai pris le parti de brûler sans rien dire depuis que je me suis sottement compromis en 1815.

DEUXIÈME LAMPION.—Qu’aviez-vous donc fait?

TROISIÈME LAMPION.—Je vais vous l’apprendre, puisqu’il garde le silence.

QUATRIÈME LAMPION.—Non, morbleu! tu ne diras rien. Il convient bien à un obscur individu tel que toi d’oser railler un personnage de ma sorte.

TROISIÈME LAMPION.—Tu n’as pas toujours été si fier, ni placé à une aussi belle porte. Je t’ai connu appartenant à des gueux plus gueux que mes maîtres. (A part aux premier et deuxième lampions.) Ecoutez bien! écoutez bien: la colère va le faire parler mieux que son plus grand ennemi.

QUATRIÈME LAMPION, en fureur.—Infâme, ah! je n’ai appartenu qu’à des gueux! Sais-tu, drôle, que j’ai souvent brûlé pour le prince de T***. Une fois quand il était républicain, une fois quand il était bonapartiste, une fois quand il était royaliste.

TROISIÈME LAMPION.—Oui, mais, depuis qu’il n’est plus rien, il t’a chassé honteusement.

QUATRIÈME LAMPION, toujours en fureur.—Il m’a chassé! Dis donc que je l’ai quitté pour son successeur. Et le marquis de P***, qui a su perdre si à propos une bataille; et le comte de C***, qui a administré pour Pierre et pour Paul, et toujours avec le même zèle; et le baron de C***, qui a si bien parlé pour et contre; et le chevalier de C***, qui a reçu de toutes mains; et l’homme de génie B***, qui a chanté tout le monde; dis-moi, coquin, sont-ce des gueux que ces gens-là? Eh bien! tous ont été mes patrons, et plutôt trois fois qu’une. Quels titres as-tu à m’opposer, misérable?

TROISIÈME LAMPION.—Si je voulais me vanter, je trouverais peut-être....

QUATRIÈME LAMPION, toujours en colère.—Depuis trente ans que je plane sur toi, ton obscurité n’a pu tromper ma vigilance. Je ne t’ai jamais aperçu à l’occasion d’un sacre ou d’un couronnement: je t’ai vu, en revanche, un certain 5 septembre.

TROISIÈME LAMPION.—Tu m’as vu ce jour-là; tu étais donc présent? Oui, en effet, je me souviens que tu figurais à la porte de M. de Cazes.

QUATRIÈME LAMPION, rouge d’indignation.—Et toi à celle d’un traiteur à 32 sous.

TROISIÈME LAMPION.—Les officiers en demi-solde, les employés réformés s’étaient cotisés pour m’avoir. Je leur fis honneur; toi, qui t’enorgueillissais à la porte d’une Excellence, un solliciteur t’éteignit en crachant une malédiction.

QUATRIÈME LAMPION, pâlissant de rage.—A la garde! au voleur! à l’assassin! Messieurs, soyez témoins que je suis insulté, calomnié... (Un inspecteur de police et des gendarmes paraissent.) Justice! justice! Monsieur l’inspecteur.

L’INSPECTEUR.—Comment êtes-vous ici?

QUATRIÈME LAMPION, fier.—Par ordre!

L’INSPECTEUR.—Et vous?

TROISIÈME LAMPION.—J’appartiens à la mère d’un amnistié politique.

La pluie termina la dispute. Une gouttière éteignit subitement le fastueux lampion; celui que la reconnaissance avait allumé dura jusqu’au jour.


Mercredi, 8 novembre 1826. - CATÉCHISME JÉSUITIQUE

Qui es-tu?—Chrétien, catholique romain.—Que veux-tu dire par là?—Servant Dieu, le pape et les jésuites.—Quel est l’ennemi de la religion?—Voltaire.—Qui est-ce?—Un impie, un infâme, un scélérat, un monstre abominable.—Où est-il?—En enfer.—Et ses ouvrages?—Dans les mains des brebis égarées.—Quel remède opposer à ce débordement des mauvais livres?—Le feu.—Que faire des éditions de Voltaire in-8?—Au feu.—Voltaire in-12?—Au feu.—Voltaire in-18?—Au feu! au feu!—Que sont les philosophes?—Des chiens, des boucs, des fils de Satan.—Quel châtiment mérite le chrétien qui manque à ses devoirs?—La damnation éternelle.—Comment les chrétiens doivent-ils se conduire?—D’après les maximes des révérends Pères.—Qui nous délivrera de nos ennemis?—Le feu.—Amen!


COUPS DE LANCETTE.

M. le prince de T..., qui était dernièrement à Marseille, puis à Nice, vient d’arriver à Paris. Depuis trente ans, monseigneur change de place; il est tantôt d’un côté, tantôt d’un autre.

*
* *

M. le duc de R... et M. le général B.. ont fourni des notes historiques à sir Walter Scott pour l’histoire de Napoléon, à laquelle le romancier écossais travaille en ce moment.

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M. Laurentie vient d’être victime d’une petite Saint-Barthélemy bureaucratique. Soyez donc insignifiant et nul!!..

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* *

L’Etoile prend la défense de Henri IV, que le Courrier a appelé protestant. Quelle injure!...

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* *

L’Etoile veut attaquer en diffamation le Constitutionnel qui a traité de bigote la cour de Louis XIV.

Bigote est pourtant une expression bien douce.

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* *

On parle d’une grande spéculation: quand on aura mis toutes les rues en passages, on mettra tous les passages en rues.

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* *

On se plaint à tort de la saleté de Paris, les quartiers les plus propres ont à peine deux pieds de boue.

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* *

M. Ben... porte sa croix; d’honneur!

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* *

On a autorisé dernièrement la fondation d’une vingtaine de couvents de femmes; l’établissement des Enfants trouvés ne désemplit pas.


ÉNIGME
DIALOGUE ENTRE DEUX HOMONYMES.

Aussitôt que le jour a fait place à la nuit,
Brillante, j’apparais bien au delà des nues.
—Sortant dès qu’il fait noir, de mon obscur réduit,
Pâle et terne on me trouve à chaque coin des rues.
—Astre cher aux amours, aux voyageurs en mer
Je suis bien chère encor.—Moi, je coûte bien cher.
—Des mortels je reçois les vœux et les prières;
On me créa pour éclairer.
—Moi, pour éteindre les lumières.

Le mot de l’énigme est Etoile, nom du journal du soir qui, depuis, a fusionné avec la Gazette de France.

De 1826 à 1830, Figaro, c’était son droit, attaque tous les journaux de la droite; mais, il s’acharne plus spécialement et avec bonheur contre les feuilles officieuses ou ministérielles, qui ne vivaient alors que de compromis de conscience assez tristes et de subventions on ne peut plus lourdes. Tomber les organes du ministère est la grosse besogne quotidienne du Figaro.

Ces journaux, il faut bien l’avouer, étaient alors passablement décriés, et leurs rédacteurs ne vivaient pas en odeur de sainteté. Le ministère lui-même avait semblé prendre à tâche de les discréditer. On se souvenait fort bien qu’en 1824 M. Corbière, alors ministre des affaires étrangères, n’avait pas dépensé moins de deux millions, sans compter les places et les sinécures données, pour éteindre un certain nombre de feuilles, qui, bien que royalistes, menaçaient son portefeuille. Le rôle des feuilles officieuses se bornait à toujours dire: Amen. On trouvait que ce n’était pas assez.

Tous les rédacteurs, d’ailleurs, avaient en perspective, pour le jour où ils seraient dégoûtés d’une polémique assez difficile, une aurea mediocritas hypothéquée sur le budget.

Lorsqu’on relit de sang-froid l’histoire de la Restauration, on est effrayé de toutes les bévues que la terreur de la presse fit commettre à son gouvernement.


Samedi, 25 novembre 1826. - CONCOURS PRÉPARATOIRE

Pour la rédaction en chef d’un journal semi-officiel.

La réunion a lieu au Jardin des Plantes, dans la salle des animaux sans vertèbres. M. le trésorier de l’amortissement de l’esprit public occupe la chaise rembourrée du surveillant de cette salle. Les assistants, au nombre de cinq, représentant la Gazette, le Drapeau, le Journal de Paris, l’Etoile et le Pilote, sont assis sur des caisses vidées depuis peu.

LE TRÉSORIER.—Messieurs, j’ai choisi à dessein ce local, vous m’entendez, pour vous entretenir d’un projet qui doit bientôt recevoir son exécution.

TOUS.—Quel est-il?

LE TRÉSORIER.—Il s’agit d’un journal semi-officiel.

TOUS.—Je le ferai.

LE TRÉSORIER.—Je rends justice à votre zèle, mais, de grâce, du silence.

TOUS.—Ecoutons.

LE TRÉSORIER.—Quoiqu’il soit certain que les feuilles que vous rédigez n’aient nullement rempli les espérances qu’on en avait conçues...

TOUS.—Il faut être bien difficile.

LE TRÉSORIER.—Qu’on ne les lise plus...

TOUS.—Bah! vous voulez rire.

LE TRÉSORIER.—Que tous les anciens abonnés les aient désertées...

TOUS.—Ce n’est pas notre faute.

LE TRÉSORIER.—Que je sois obligé de demander sans cesse de nouveaux fonds pour les alimenter...

TOUS.—Notre métier ne peut être fait gratuitement.

LE TRÉSORIER.—Enfin, tranchons le mot, qu’on doive être las de payer vos sornettes, vos sottises.....

M. G. DE l’Étoile.—Je répondrai au mot sottise.

M. B. DE la Gazette.—Je parlerai aussi à ce sujet.

LES AUTRES.—Aucun de nous ne laissera cela sans réponse; mais silence pour le moment.

LE TRÉSORIER.—Ce n’est pas moi qui le dis, c’est tout le monde; si vous m’interrompez toujours, je lèverai la séance.

TOUS.—Ecoutons.

(L’Etoile grince des dents.)

LE TRÉSORIER.—J’abrége; il s’agit de donner à une de vos feuilles la qualité de semi-officielle. Je suis embarrassé du choix, et quand je l’aurai fait, je serai encore plus embarrassé de le faire accepter, tant vous êtes discrédités...

TOUS, marmottant.—Faut-il endurer!...

LE TRÉSORIER.—Je suis néanmoins décidé à faire mes efforts, cela soulagera ma caisse d’autant, jusqu’à ce que je puisse...

TOUS, avec effroi.—Achevez!...

LE TRÉSORIER.—Je puisse vous voir prospérer.

TOUS.—A la bonne heure!

LE TRÉSORIER.—Voyons, examinons à qui la chose peut aller. Que chacun parle à son tour. Je vais commencer par celui qui coûte le plus cher, comme ayant le moins d’abonnés.

Allons, au plus léger à parler.

M. G. DU Pilote.—Monsieur le trésorier, il vous convient de me donner la préférence, parce que je parais le soir et n’ai pas de concurrence à redouter, l’Etoile n’en étant pas une. (M. de G., de l’Etoile, fait un bond sur sa caisse, et en retombant il la crève; on le relève et on le contient.) Je n’ai d’ailleurs ni esprit (de parti, je veux dire), ni idées (fixes, s’entend), ni rédacteur, quoique je parle de tout.

LE TRÉSORIER.—Cela suffit, votre privilége me convient assez.

A vous, Paris, mon petit.

M. L. DU Journal de Paris.—Qui pourrait d’ailleurs me disputer la préférence? J’ai la représentation qui convient au rôle que j’ambitionne; je donne des audiences, j’ai même chez moi une manière d’huissier, et d’ailleurs ne sait-on pas que je communique librement avec l’hôtel de Rivoli, où je puis me rendre en un coulé, trois sauts et un entrechat? Je vous dirai, au surplus, que je commence à me lasser de n’être que l’historien des fiacres et des commères; j’aimerais assez me lancer dans la politique ministérielle, j’allais dire dans la haute politique. Je me crois appelé à jouer un grand rôle.

LE TRÉSORIER.—Mon petit, j’approuve cette émulation; et ce désir de vous élever me prouve que vous ressemblez toujours, comme par le passé, à beaucoup d’inutilités de ma connaissance. Nous verrons ce que nous pourrons faire. A votre tour, monsieur sans tache.

LE BARON DU Drapeau.—Mon devancier vient de se donner lui-même l’exclusion. Il vous a avoué qu’il n’avait écrit, jusqu’à ce jour, que pour les classes populaires; moi, je m’adresse toujours aux plus hautes capacités: il en faut effectivement beaucoup pour me comprendre, et c’est sous ce point de vue que je conviens à la chose; car le vague dans lequel je laisse mes lecteurs peut faciliter, au besoin, les pas rétrogrades auxquels notre politique est accoutumée.

LE TRÉSORIER.—En effet, je ne vous comprends pas toujours, il est vrai que je vous lis très-rarement; mais comme il y a des gens assez courageux pour cela, je me ferai faire un rapport sur ce qui vous concerne. Ecoutons l’Etoile, qui paraît perdre patience.

M. G. DE l’Étoile.—Je trouve assez étonnant, Monsieur le trésorier, que vous, ou d’autres, ayez eu la pensée d’un journal semi-officiel, lorsque celui que je dirige est officiel bien plus encore que l’épais Moniteur. Je n’en veux pour preuve que l’envie de bâiller que l’on éprouve en me lisant. Au surplus, je suis assez content de mes maîtres pour ne pas vouloir m’en donner d’autres; ceux de mes confrères n’ont que l’exécution des pensées nées du cerveau des puissants dont je reçois l’impulsion: aussi ne me suis-je rendu à cette assemblée que pour vous faire sentir mon importance.

LE TRÉSORIER, tout bas.—Tels maîtres, tels valets; même insolence. (Se retournant.) Monsieur B., que direz-vous en faveur de votre Gazette?

M. B. DE la Gazette.—Rien, c’est tout ce que je puis dire. D’ailleurs, mes œuvres sont là pour répondre, et la Minerve peut attester que je sais prendre tous les tons. Ai-je besoin de me vanter, comme l’ont fait ces messieurs? Je ne suis pas nul comme le Pilote, niais comme le Journal de Paris, sans cesse sur des échasses comme monsieur le baron, ou en délire comme l’Etoile.

TOUS LES AUTRES.—Allons, il ne se vante pas! l’on sait pourtant combien il est soporifique.

LE TRÉSORIER.—Messieurs, j’en sais assez. Je vais faire mon rapport, et chacun de vous peut compter sur mon impartialité.


COUPS DE LANCETTE.

On a trouvé M. Philarète blotti dans l’écritoire de M. de Jouy.

*
* *

—Comment pense-t-on dans votre régiment?

—On ne pense pas.

—A la bonne heure.

*
* *

M. de Lamennais est enrhumé, Rome lui doit bien un chapeau, hein?

*
* *

M. Crosnier n’a encore été que de moitié dans tous les ouvrages qui ont été donnés au théâtre de la Porte-Saint-Martin depuis six mois.


Lundi, 4 décembre 1826. - CONCOURS PRÉPARATOIRE

Pour la rédaction en chef d’un journal semi-officiel.

(DEUXIÈME SÉANCE.)

La salle des animaux sans vertèbres étant encombrée par de nouvelles acquisitions récemment arrivées, la réunion a été indiquée dans celle des animaux ruminants. Avant l’ouverture de la séance, les chuchotements des conversations particulières, entendus de la pièce voisine, produisent une illusion complète. On croirait que les cadavres dont cette pièce est peuplée sont encore animés.

Le trésorier demande du silence. Chacun se place comme il peut. On remarque que le représentant du Journal de Paris grimpe lestement sur la girafe: A bas, s’écrie-t-on de toutes parts. Mais le trésorier, d’un geste, le retient à son poste.

LE TRÉSORIER.—Vous savez, Messieurs, quel est l’objet de la convocation?

TOUS.—Vous nous l’avez dit et écrit.

LE TRÉSORIER.—Il est donc inutile que je vous le rappelle?

TOUS.—Assurément. Allons au fait.

LE TRÉSORIER.—Le fait est, Messieurs, que l’on ne veut d’aucun de vous. (L’émotion est vive.)

TOUS.—Nous direz-vous au moins...

LE TRÉSORIER.—C’est ce que j’allais faire. L’établissement d’un journal semi-officiel ne doit point être en pure perte. On compte sur son contenu pour diriger l’opinion publique.

TOUS.—Et que faisons-nous chaque jour?

LE TRÉSORIER.—Pour faire goûter tous les actes de l’autorité.

M. B. DE la Gazette.—J’y mets tout mon latin.

LE TRÉSORIER.—Pour vanter toutes les conceptions ministérielles.

M. L. DU Journal de Paris.—Je loue à tort et à travers.

LE TRÉSORIER.—On veut y trouver de la haute politique.

LE BARON DU Drapeau.—Je défie qu’on s’élève plus haut; je me perds dans les nues.

LE TRÉSORIER.—Une bonne discussion sur les matières religieuses, sans emportement, ni hypocrisie trop apparente.

M. G. DE l’Etoile.—C’est ma manière, ce sont mes principes.

LE TRÉSORIER.—On demande enfin que, pour ne choquer aucune opinion, il entre dans cette rédaction un adroit mélange de toutes les idées; mais en laissant dominer celles qui appartiennent au royalisme.

M. G. DU Pilote.—S’il faut du mélange à ne pas s’y reconnaître, je suis là, moi.

LE TRÉSORIER.—C’est exact, car on demande toujours ce que vous êtes, et ce que vous voulez. (A part.) J’en suis honteux. (Haut.) Vous voyez, Messieurs, ce que l’on exige; rendez-vous justice. Au zèle, au dévoûment, que je ne vous conteste pas, est-il quelqu’un qui joigne ces connaissances, cette lucidité, cet aplomb, qui sont nécessaires pour une bonne rédaction?

M. L. DU Journal de Paris.—Mon patron est content de moi: preuve que j’ai ce qu’il faut pour son journal, il me charge en outre des correspondances privées avec le Courrier anglais, correspondances un peu négligées, mais qui vont reprendre avec la session.

M. B. DE la Gazette.—Il est si content de vous, qu’il m’a préféré pour la rédaction de l’Etoile.

M. G. DE l’Etoile.—De l’Etoile! ah! il ne la tient pas, ni vous non plus: elle est à gens plus puissants que lui, auxquels je ne lui conseille pas de se frotter. Prenez si vous voulez le Pilote; ça ne tient à rien, et M. le trésorier vous dira qu’il est prêt à l’abandonner.

LE TRÉSORIER, à part.—Il a, ma foi, raison.

M. G. DU Pilote.—Doucement, Monsieur de l’Etoile; j’ai eu trop de peine à ravoir mon Pilote, pour le céder comme cela; j’ai mon marché, et il faudra bien qu’on le tienne, ou nous aurons du bruit.

M. LE BARON DU Drapeau.—A quoi servent tous ces propos, vous ne pouvez prétendre à un choix que vous rendriez ridicule.

TOUS.—Ridicule vous-même. Voyez ce Germain! un étranger à idées mystérieuses, à style ampoulé, à prétentions insoutenables.

LE TRÉSORIER.—Messieurs, messieurs, du calme s’il vous plaît. A quoi bon tous ces emportements, quand je vous ai prévenus que l’on ne voulait d’aucun de vous.

M. B. DE la Gazette.—Quelle nécessité alors de nous réunir si loin de nos domiciles et de nous faire perdre un temps dont nous devons compte à nos abonnés.

LE TRÉSORIER.—Dites donc à ma caisse. Mais je vous vois trop animés pour écouter de sang-froid ce que j’étais chargé de vous apprendre; ce sera pour un autre jour. Vous serez prévenus par lettres, et je ferai en sorte de trouver un local plus central, et où nous serons aussi en sûreté qu’ici. (Il se lève et sort.)


SAINTE-PÉLAGIE ou PLAINTES D’UN PRISONNIER,

Épître au Préfet de police, par J. Cassaigne.

S’il est une circonstance dans la vie où l’on doive se livrer au commerce des Muses, c’est surtout dans la captivité...

M. Cassaigne a été condamné pour quelques vers trop hardis. Les verrous ne l’ont pas rendu plus timide. La liberté qu’il a perdue pour sa personne, il l’a gardée pour ses écrits. Etonné des rigueurs dont il est l’objet, il se demande quel est son crime.

Ai-je, du spadassin dédaignant les faisceaux,
Menacé d’un fleuret notre G..... des S.....?
Ou bien, nouvel Amron, traîné dans la poussière
Ces bouquins précieux idoles de C.....?
Ai-je montré Ch....., dans un pamphlet amer,
Pour aller à Saint-Cloud atteint du mal de mer?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


COUPS DE LANCETTE.

Le ventre va mettre un crêpe à sa fourchette, l’Almanach des gourmands ne paraîtra pas cette année. M. de Périgord se ressentirait-il des suites d’une indigestion conquise aux dîners de M. Canning?

*
* *

—Que portez-vous donc là? demandait-on à M. Salvandy, qui tenait une feuille à la main.

Et comme le rédacteur de l’ex-Journal de l’Empire a toujours la repartie brève, il répondit:

Des bâts.

*
* *

On met au nombre des malheurs de l’Espagne l’Alonzo de M. N.-A. de Salvandy.


ÉPIGRAMME.

Le sous-préfet de Châteaudun
S’est fait jésuite et le confesse,
Il va jusqu’à s’en vanter. Est-ce
Qu’il n’aurait pas le sens commun?
Que le bon Dieu l’en récompense!
Mais, sans critiquer son dessein,
Avec quatre barbes[3], je pense,
Il serait meilleur capucin.


Dimanche, 24 décembre 1826. - ÉCRÉMAGE DES JOURNAUX DÉPENDANTS

Du 22 décembre.

⁂ Quelque flexible que soit le talent, quelque grande que soit la docilité de M. de B., de la Gazette, il n’a pas encore su se plier à louer le discours de M. de Damas. Il y a trop peu de temps que la Gazette avait à applaudir des principes totalement différents.

⁂ Le Journal de Paris était hier dans un de ses jours de jubilation. Il publiait l’état très étendu des jugements rendus pendant le mois de novembre par le tribunal de police. On y remarque quarante-sept condamnations pour projection d’eau sale sur les passants et dépôts d’ordure sur la voie publique.

⁂ Quelqu’un qui connaîtrait bien la topographie du Portugal pourrait être employé utilement dans les bureaux de l’Aristarque, pour donner quelque vraisemblance aux bulletins de l’armée du marquis de Chaves, que l’on élabore dans cette officine.

⁂ «Dans chaque phrase du discours de M. Canning perçait la taille de nos hommes d’Etat. Sa Seigneurie a le coup d’œil juste; elle les a bien mesurés.» La Quotidienne, à qui nous empruntons cette citation, nous ferait presque regretter que nos ministres ne soient point choisis parmi les cent-suisses.

⁂ «O vérité! quelle est ta puissance avec les tièdes, qu’on appelle ministériels! dit le baron du Drapeau; il est impossible de rien faire de solide et de raisonnable.» Eh! que vous dit-on chaque jour, MM. B. L. G. C.?... et à vous-même, baron O?

⁂ Il faut voir avec quelle joie et en quels termes l’Etoile applaudit au délire qui s’est manifesté dans l’assemblée des catholiques d’Irlande quand on leur a annoncé la guerre.

Pilote, quel est le bonhomme R. B. qui te fournit des pièces de gros calibre pour la guerre du Portugal? Tu les désavoues; prétends-tu par là donner à entendre qu’on te les impose?

⁂ M. Etienne, l’un des rédacteurs du Constitutionnel, est nommé arbitre dans la cause pendante entre les anciens et les nouveaux propriétaires du Médiateur. Est-ce une mystification?


COUPS DE LANCETTE.

Le prince de T... assure que dans sa jeunesse il jouait la tragédie.

—Quels rôles?

—J’ai joué les rois.

 

 

L'ANCIEN FIGARO -1827

Date de dernière mise à jour : 16/01/2023