BIBLIOBUS Littérature française

L'ANCIEN FIGARO - 1827

 

ÉTRENNES DONT ON NE VEUT PAS.

Vous croyez peut-être que la politesse vous oblige à recevoir tout ce qu’on veut bien vous donner pour étrennes; détrompez-vous. Il est vrai que, par le temps qui court, il y a beaucoup de gens qui tendent la main, il en est cependant qui la ferment. Exemple:

M. de V. a refusé sa démission.

M. de P., un brevet d’imprimeur.

M. de Ch., un portrait de Jean Bart.

Madame de Genlis, une copie de son acte de naissance.

M. de Royer, un académicien.

Mademoiselle Delp... G..., le poëme de la Pucelle.

M. Ancelot, des marrons glacés.

M. Feletz, une petite souricière.

M. Bénaben, un cordon.

M. P..., un exemplaire du Petit Carême.

M. Jouy, un exemplaire de ses œuvres complètes.

Le Pilote, une boussole.

La Gazette, le bon sens.

L’Opinion, le livre de l’esprit.

La Quotidienne, une paire de lunettes.

Le Médiateur, le Traité des reptiles.

Figaro, les articles du Mentor et l’amitié du Médiateur.

COUPS DE LANCETTE.

Le théâtre de M. Comte n’est pas le seul sur lequel jouent de tout petite acteurs.

*
* *

M. de C... est tellement occupé des affaires actuelles, qu’il ne dort plus guère que la nuit.

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* *

M. le comte de Pey... a eu un violent cauchemar la nuit dernière: l’ombre de Gutenberg, inventeur de l’imprimerie, est venue le tirer par les pieds.

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* *

Les propriétaires de journaux seront désormais contraints de porter sur leur dos une affiche qui indiquera leurs noms et prénoms, leur âge, leur domicile, l’heure à laquelle ils se lèvent et se couchent ordinairement.

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* *

Toutes les cartes déposées chez M. de P., le premier janvier, étaient timbrées.


Le 12 décembre 1826, Charles X ouvrait la session des chambres de 1827. Le roi disait dans le discours d’usage:

«J’aurais désiré qu’il fût possible de ne pas s’occuper de la presse; mais à mesure que la faculté de publier les écrits s’est développée, elle a produit de nouveaux abus, qui exigent des moyens de répression plus étendus et plus efficaces. Il était temps de faire cesser d’affligeants scandales et de préserver la liberté de la presse elle-même du danger de ses propres excès. «Un projet vous sera soumis pour atteindre ce but.»

Ce passage du discours de la couronne produisit dans le public l’impression la plus défavorable; on s’attendait cependant à quelque chose de ce genre. Depuis deux ans le clergé, la congrégation, les missions, le parti religieux tout entier exerçaient sur le faible Charles X une terrible pression afin d’obtenir de lui une législation sévère contre la presse, une pénalité «qui détruisît l’hydre d’un seul coup.»

Charles X, mieux que personne, savait combien un tel acte serait impolitique. Pourtant on triompha, non de ses répugnances, mais de ses craintes.

Le lendemain du vote de l’adresse, 29 décembre 1826, M. de Peyronnet donnait satisfaction à la congrégation, qui avait fait sa fortune, et déposait sur le bureau de la Chambre ce projet de loi qui devait, à lui seul, occuper presque toute la session de 1827.

Le projet de loi sur la presse était à peine connu qu’une clameur immense s’éleva. Ce fut un haro universel. De toutes parts s’élevaient les plus véhémentes protestations.

Dans ce projet, en effet, la violence le dispute à l’absurde, et ses dispositions prouvent que M. de Peyronnet n’avait pas même une vague notion de la matière qu’il prétendait réglementer. D’un seul coup, il atteignait toutes les industries qui concourent à la fabrication du journal ou du livre, le brocheur était frappé comme l’auteur, l’imprimeur comme le libraire.

Le projet comprenait trois titres: les écrits périodiques, les écrits non périodiques, et enfin les peines. La disposition la moins défavorable du premier titre était l’assujettissement de tous les écrits de moins de cinq feuilles à un timbre de un franc pour la première feuille et de dix centimes pour les autres.

Tous les journaux et écrits périodiques se trouvaient frappés du timbre; «le nom des propriétaires devait être écrit en tête de chaque exemplaire;» enfin «aucune société relative à un journal ne pouvait être contractée qu’en nom collectif, et les associés ne pouvaient en aucun cas excéder le nombre cinq.»

Le chapitre des peines brillait par son laconisme: des amendes de 2,000 à 20,000 francs, et la prison pour la moindre contravention; il était à peu près impossible d’écrire cinq lignes sur n’importe qui ou n’importe quoi sans se trouver sous le coup de quelque disposition.

Ce projet parut si monstrueux, que, tandis que tous les corps de métier atteints signaient protestations sur protestations, tous les corps savants rédigèrent des pétitions. L’Académie elle-même, si docile au pouvoir de la Restauration, osa exposer ses doléances, dans une supplique au roi, supplique empreinte d’un dévoûment absolu.

En écoutant la lecture de ce projet, Casimir Périer s’écria avec force: «Vous supprimez l’imprimerie en France, et vous la transportez en Belgique au profit de l’étranger et des pays libres.» On ne pouvait mieux résumer l’opinion, et, dit M. de Vaulabelle, «le député de la gauche n’exagérait pas le résultat désastreux de l’œuvre de M. de Peyronnet.»

Chateaubriand avait qualifié cette loi de «loi de Vandale;» le public et les petits journaux lui donnèrent le nom de «loi de justice et d’amour.» C’était la paraphrase d’un article attribué à M. de Peyronnet, dans lequel ce ministre chantait les louanges des mesures qu’il venait de prendre, mesures, disait-il, «justes, utiles, favorables et douces.» La qualification donnée au projet par le public et les petits journaux a prévalu dans l’histoire, et le projet de M. de Peyronnet a conservé la qualification ironique de loi d’amour.

Le 14 février 1827, la discussion du projet s’ouvrit à la Chambre; il devait pendant toute la session passionner les députés comme il avait passionné le public. Jamais on ne vit si grande affluence d’orateurs. Chacun s’empressait de se faire inscrire, et telle était l’ardeur à retenir son tour de prendre la parole, que le jour de l’inscription, dès six heures du matin, les orateurs arrivaient à la Chambre, et qu’à sept heures la liste était à peu près complète.

Mais déjà, depuis le 1er janvier, la discussion était ouverte dans tous les journaux. Les feuilles de l’opposition, pas n’est besoin de le dire, repoussaient le projet de toutes leurs forces. Figaro, bien que journal non politique, avait été des premiers à commencer le feu. Déjà, dans son article d’étrennes, il décoche un trait à M. de Peyronnet; le 5 janvier, paraît son premier article. La loi d’amour va devenir sa grande affaire tant que durera la discussion.


Vendredi, 5 janvier 1827. - LES DEUX PRESSES. - DIALOGUE.

Le jour commence à paraître; la presse du Figaro, journal non politique, se repose à côté d’autres presses inactives, après avoir gémi pendant une grande partie de la journée. Après avoir gémi, vous entendez, lecteurs; or, puisqu’une presse gémit, elle peut aussi parler. Ne soyez donc pas surpris si la presse du Figaro, pour attendre patiemment le retour du jour, se met à lier conversation avec sa voisine. Ecoutez donc:

LA PRESSE DU FIGARO.—Ouf!!! dites donc, voisine, vous qui dormez là-bas, que pensez-vous de tout ce qu’on dit depuis quelques jours?

LA PRESSE VOISINE.—Ah! ah! c’est vous... Eh! eh! je dis que ça pourrait bien nous faire quitter la place. Et moi, qui suis arrivée d’hier seulement de l’imprimerie d’un journal politique, pour vous relayer, voisine!... dites donc, j’ai bien choisi le moment.

LA PRESSE DU FIGARO.—Est-ce que vous auriez imprimé le fameux projet?

LA PRESSE VOISINE.—Parbleu! oui, pour mes péchés;... c’est ce qui m’a tellement démantibulé les reins, que l’on m’a fait transporter ici, comme qui dirait à l’hôpital. Si vous saviez, ma chère, quel mal ça m’a fait, surtout quand j’appuyais sur le chapitre du timbre... Faut-il qu’ils soient timbrés, ceux qui...

LA PRESSE DU FIGARO.—Chut!... voisine, vous allez me parler politique, ça me compromettrait.

LA PRESSE VOISINE.—Ne sommes-nous pas seules?... Qui nous empêche de causer en liberté? Dites donc, voisine, en liberté, le mot est bon.

LA PRESSE DU FIGARO.—Divin!... Moi qui vous parle, avant d’imprimer ce méchant Figaro, j’ai servi à plusieurs éditions de la Charte; je mordais là-dessus en conscience, et je puis dire que je rendais joliment le caractère. Mais à la dernière édition, je ne sais si c’était la faute de l’éditeur ou de ses ouvriers; ce n’était plus la même chose, il y avait des articles entiers qui ne paraissaient plus.

LA PRESSE VOISINE.—Ça venait peut-être des remaniements?

LA PRESSE DU FIGARO.—Je l’ignore; dernièrement, j’imprimais un article qui racontait comment les Américains, pour une chose semblable...

LA PRESSE VOISINE.—Vous me faites trembler!... Depuis le temps que je sers, je les connais, ces gaillards d’imprimeurs, je sais ce que vaut la force de leurs poignets.

LA PRESSE DU FIGARO.—Vous prenez peut-être l’alarme pour rien.

LA PRESSE VOISINE.—Dieu vous entende!... mais la truffe a tant donné, cette année!...

LA PRESSE DU FIGARO.—Gare l’indigestion!...

LA PRESSE VOISINE.—J’entends venir quelqu’un!... Adieu; nous nous reverrons peut-être, un de ces jours, à Bruxelles.


PETITS JEUX INNOCENTS.

⁂ Je vous vends mon corbillon.—Qu’y met-on?—Un bâillon.

⁂ Si j’étais petit papier, que feriez-vous de moi?—Je vous ferais timbrer.

⁂ Pigeon vole,... aigle vole... M. de P... vole... (Une voix.) Un gage! M. de P... n’est pas un aigle.


COUPS DE LANCETTE.

Odry trouve que M. le comte de Pey... a le regard fisc.

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Quelles singulières gens que ces Français, disait M. Ben., aussitôt qu’on les dénonce, ils vous appellent mouchard.

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Amendement. On pourra se servir, en toute liberté, des voyelles, mais il sera défendu d’user des consonnes.

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* *

Si l’on nous avait crevé les yeux, on n’aurait pas besoin de nous arracher la langue.

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* *

De quoi vous plaignez-vous, vous a-t-on défendu de penser?


HYMNE AU TIMBRE.

Salut, ô noble timbre, source inépuisable d’impôts, qui alimentes les innombrables canaux du trésor de l’Etat, ou plutôt de ces messieurs. Admirable invention, plus utile et cent fois plus productive que celle de l’imprimerie; sangsue insatiable, dont le cœur est à Paris et la piqûre dans toute la France. Salut!...

Et toi, illustre maître d’armes, qui chantas l’indifférence avec tant d’amour, pourras-tu ne pas sortir de ton caractère insouciant, lorsqu’il s’agira de célébrer ta plus chère idole? Sans doute, ton cœur d’airain, qui résista aux charmes de Zelmire, ne sera pas insensible aux délices du timbre. Voilà enfin un sujet digne de tes inspirations; toi qui manies la plume aussi bien que le fleuret, écris comme tu t’es battu, ou plutôt, ne te bats pas les flancs pour écrire.

Le timbre! à ce nom seul, notaires, avoués, avocats, ou, pour parler sans métaphores, tripoteurs, renards, babillards, je vous vois, le front prosterné jusqu’à terre. Tremblez à ce nom légal, vous tous qui hasardez le sous-seing privé; vous qui souscrivez des lettres de change, des billets à ordre, un papier de cinq centimes pourra vous coûter cher. Cela vaut pourtant bien les corvées, les droits de mainmorte, le fisc de nos aïeux; mais le timbre est un mot qui sonne plus agréablement aux oreilles.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Jour à jamais célèbre, où il a été dit: Tout sera timbré! J’entends d’ici le son des belles pièces d’or tombant dans les cassettes ministérielles. O ventre! les beaux dîners qu’on te prépare pour fêter la victoire décisive remportée par l’ancien régime sur le nouveau!

Déjà, journaux, actes, billets payaient la dîme; déjà, mille ouvriers timbreurs des deux sexes, la plupart nobles ou émigrés, travaillaient sans relâche au bonheur public; c’est trop peu, on ne saurait donner trop d’extension aux entreprises utiles.

Amis, tout sera timbré, l’in-18 comme l’in-32, le papier Tellière comme le papier écolier; maisons, meubles, habits, châles, étoffes; on finira par tout timbrer, et nous aussi!...


COUPS DE LANCETTE.

On a dit autrefois: Scipion l’Africain; aujourd’hui, on dit: M. de P. le Timbré.

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Les devises que les confiseurs mettent dans les diablotins seront-elles soumises au timbre?

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La réimpression de la Charte sera-t-elle soumise à l’impôt du timbre?

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* *

On assure que les dîners de M. P... sont annoncés par une cloche dont le timbre paraît charmant à l’oreille de ces messieurs.

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—Excellence, que deviendront les imprimeurs!

—Ils se feront timbreurs.

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* *

La loi qui abolira l’imprimerie produira une fière impression.

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* *

Aphorisme. Toute la science du gouvernement est dans le timbre.


Mardi, 14 janvier 1827. - RÉPONSE

Aux questions de M. ODRY, le poëte, qui veut absolument savoir quel
est le projet de l’oie.

AIR: Et j’en rends grâce à la nature.

Tu demandes, ô grand Odry,
Quel est l’nouveau projet de l’oie?
Je veux que tu sois attendri
Par la réponse que j’t’env oie
D’un’ péronnelle l’on se rit
Quand elle barbotte et s’fourvoie
Tout en voulant faire d’ l’esprit...
Voilà bien le projet de l’oie.

Sur les plus heureux écrivains,
Comm’ sur les plus petits homm’ de lettres,
Ell’ prétend mett’ ses vilain’ mains,
Si l’on voulait bien le permettre;
En les accablant de ses dons,
Il est naturel qu’elle croie
Changer les auteurs..... en dindons...
Voilà bien le projet de l’oie.

Depuis l’palais jusqu’au grenier,
On grimace, on tourn’ la prunelle,
Tout, d’puis l’poëte jusqu’au chiffonnier,
Est mis d’dans par la péronnelle;
Elle aura rempli son objet,
S’il faut qu’on se pende ou se noie
Pour échapper à son projet...
Voilà bien le projet de l’oie.

ENVOI ET CONSEIL.

Comm’ dit c’littérateur brillant,
Le timbre est une barbarie;
Ma vieill’, ce n’est pas en riant
Que chacun ici-bas te l’crie;
D’mande autre chos’ pour t’amuser,
Car, entre deux siècl’, à cœur joie,
Tu pourrais te faire écraser...
Ça n’serait plus le projet d’l’oie...


Mercredi, 10 janvier 1827. - LA TERREUR PANIQUE, COMÉDIE EN TROIS ACTES.

SCÈNE DIX-SEPTIÈME.

L’IMPRIMEUR, LE JOURNALISTE.

L’IMPRIMEUR.

Non, Monsieur, je n’entends pas..... Je ne veux plus.....

LE JOURNALISTE.

Il s’agit bien de ce que vous voulez et de ce que vous n’entendez pas.

L’IMPRIMEUR.

C’est de la politique, Monsieur, c’est de la politique, et toute pure..... La marquise de Chaves....., c’est clair...... M. de Bonald....., c’est clair......, trop clair.

LE JOURNALISTE.

Mais vous devenez plaisant.

L’IMPRIMEUR.

C’est possible, depuis la Bigarrure jusqu’à la Lancette je ne vois plus que politique, et je commence à trembler.

LE JOURNALISTE.

Vous êtes comme Pourceaugnac, vous ne voyez que des seringues.

L’IMPRIMEUR.

Encore de la politique!.... Vous voyez bien, Monsieur, que je ne puis rien faire de vous, et par conséquent pour vous. Votre titre est si décidé; votre titre seul vous compromet! J’aime mieux imprimer des catéchismes; si vous consentiez à modérer votre fougue... Mais non! vous n’êtes pas assez politique pour cela.

LE JOURNALISTE.

Eh bien! mon cher, c’est le mot; si je faisais le rampant, le flatteur, je serais politique..., vous en conviendriez?

L’IMPRIMEUR.

Eh! eh!

LE JOURNALISTE.

Je serais alors punissable.

L’IMPRIMEUR.

Certainement. (A part.) Ah! çà, mais qu’est-ce qu’il dit là?

LE JOURNALISTE.

Donc, en employant le vert et le sec, je ne suis point politique, entendez-vous?

L’IMPRIMEUR.

Très-bien. (A part.) Ce chien d’homme-là embrouille toutes mes idées!

LE JOURNALISTE.

Donc, je ne serais pas politique si je parlais politique?

L’IMPRIMEUR.

C’est fort, mais c’est juste.

LE JOURNALISTE.

Imprimez cela pour demain.

L’IMPRIMEUR.

Et si vous alliez me faire faire une sottise, une brioche, une boulette?

LE JOURNALISTE.

Allez, la Charte ne le défend à personne.

L’IMPRIMEUR.

La Charte, soit; mais que dit M. de P***?

LE JOURNALISTE.

Il use de la liberté que lui laisse la Charte.


COUPS DE LANCETTE.

On avait espéré qu’une pétition, adressée à M. de P... par les ouvriers auxquels il prépare une ruine certaine, produirait quelque impression sur son esprit. Pas du tout, il a soutenu cette épreuve avec caractère, il a montré une grande indifférence; bref, il a fait le petit romain. Cependant, il vient de brocher quelques lignes d’une justification tellement incorrecte, qu’elle le fera caser parmi les non-valeurs.

*
* *

La Faculté de médecine a trouvé, dit-on, un nouveau moyen pour guérir le mal du péroné.


Jeudi, 21 janvier 1827. - LES TIMBRÉS, CHANSON NOUVELLE ENVOYÉE DE CHARENTON.

Air: Sans timbre.

Je suis timbré! (bis)
C’est aujourd’hui le cri de guerre;
Chacun tremble à ce mot sacré;
Déjà j’entends chaque libraire
Dire, en étouffant de colère:
Je suis timbré! (bis)

Je suis timbré! (bis)
Dit ce poëte avec franchise:
Mon Pégase à neuf est ferré;
Si je rimais quelque sottise?
Veuillez excuser ma bêtise...
Je suis timbré! (bis)

Je suis timbré! (bis)
Malgré la cabale ennemie,
Je vais passer pour un lettré;
Bientôt j’entre à l’Académie...
Recevez-moi, belle endormie...
Je suis timbré! (bis)

Je suis timbré! (bis)
Dit ce coquin, que par sentence
Un fer brûlant a déchiré...
De parvenir j’ai l’assurance,
Car, pour plaire à son excellence,
Je suis timbré! (bis)
Qu’ils soient timbrés! (bis)
Ce Voltaire et sa secte impie
Par qui nous fûmes dénigrés;
Honneur à l’escobarderie!
Sous le sceau de la barbarie...
Qu’ils soient timbrés! (bis)

Ils sont timbrés! (bis)
Bon P***, ceux qu’à table tu traites...
Pour complaire à ces désœuvrés,
Désormais les plats et les bêtes
Qui servent dans ces jours de fêtes
Seront timbrés. (bis)

Soyez timbrés! (bis)
Vous tous journaux de la finance,
Contre la presse conjurés;
Vous aurez plus d’esprit, je pense,
Quand les autres, par ordonnance,
Seront timbrés. (bis)


COUPS DE LANCETTE.

L’article du Moniteur sur la loi de justice et d’amour rappelle ces vers de M. Victor Hugo:

Que n’ai-je aussi des baisers qui dévorent,
Des caresses qui font mourir!

*
* *

On disait à M. Pi....

—Cela passera difficilement.

—Je digère tout, répondit-il, en tapant sur son ventre.

*
* *

Péroné est un mot grec qui signifie: une agrafe, une chaîne.

*
* *

M. Villemain a calculé que, si la loi passait, chacune de ses pensées lui coûterait 2,000 fr. de timbre.

*
* *

M. le baron Dud***, voyant un Anglais qui dans un moment de colère frappait un nègre de sa cravache:

—Allons, dit-il, c’est bien, on trouve encore quelques saines doctrines.


Dimanche, 14 janvier 1827. - LA LOI D’AMOUR

Air: C’est l’amour, l’amour.

C’est l’amour, l’amour, l’amour,
Qu’un Tartare
Omar nous déclare.
Pour nous, le timbre en ce jour,
C’est un cachet d’amour.

J’entends mille bouches unies
Répéter ce joyeux refrain,
La gaîté, la chanson bannies,
Rentrent sous un ciel plus serein.
Ivresse populaire,
Rare et touchant accord!
Quel pouvoir tutélaire
Cause un si doux transport?
C’est l’amour, l’amour, l’amour, etc.

Imprimeurs, commencez vos fêtes,
Du repos goûtez les plaisirs,
De pavots couronnez vos têtes,
Un dieu nous a fait ces loisirs.
Un dieu, de nos pensées
Eteignant le soleil,
Sur vos presses brisées
Vous invite au sommeil...
C’est l’amour, l’amour, l’amour, etc.

Dormez, innombrables familles;
Le sommeil échappe à la faim.
Pères, laissez dormir vos filles,
Au réveil il faudra du pain!
L’Espagne apostolique,
A vos frais, mangera
La soupe économique.
Mais qui vous nourrira?...
C’est l’amour, l’amour, l’amour, etc.

Chantez, brocheurs, pressiers, copistes,
Femmes qu’on réduit à zéro,
Auteurs, libraires, journalistes;
Gloire à Thymbræus Apollo!
De son pouvoir magique,
O triomphe éclatant!
Avec nous la Belgique
Fait chorus en chantant:

C’est l’amour, l’amour, l’amour,
Qu’un Tartare
Omar nous déclare.
Pour nous, le timbre en ce jour,
C’est un cachet d’amour.


Lundi, 15 janvier 1827. - FIGARO.

Proprement vêtu, c’est-à-dire le diamant à la cravate, la répétition-Bréguet pendue en sautoir, descend d’un fort joli cabriolet avec l’air d’un capitaliste; puis, prenant une physionomie de circonstance, il monte sur une estrade et salue le public avec une orgueilleuse civilité.

Messieurs (avec sentiment), Mesdames, il y a un an aujourd’hui que fort de ma conscience, de mon zèle...

BASILE (criant de dessous l’estrade).

De nos talents!

FIGARO (à part et donnant un coup de pied à Basile).

Brutal! je t’apprendrai à me casser l’encensoir sous le nez.

BRIDOISON (se montrant à son tour).

Mon cher, po...int... de fau.... au...sse... mo...o...o...destie; tous nos confrè...res se di...i...sent leurs vé...vé...rités sans scru...pu...u...u...pule.

FIGARO (bas à Bridoison).

Au nom du ciel, seigneur Bridoison, taisez-vous; vous allez me donner un ridicule. N’imitons pas, croyez-moi, ces comiques aristarques qui, s’essoufflant pour enfler avec peine les plus modestes pipeaux, croient bonnement emboucher l’héroïque trompette. Eh! mon Dieu, personne aujourd’hui n’est dupe du plus misérable charlatanisme. Les croque-morts de la littérature ont beau répéter que la suspension de leur feuille est un sacrifice fait à la liberté; que, pour se rendre plus dignes de la faveur toujours croissante du public, elles paraîtront moins souvent et à des prix plus élevés; que, pour contenter les bilieux, les mélancoliques et les sanguins, trois ou quatre têtes se réuniront sous un même bonnet, etc., etc., et autres parades semblables; les moins habiles savent à quoi s’en tenir; les journaux ne sont pas comme les ventrus: ils ne meurent jamais d’excès de santé. (S’adressant au public:) Messieurs, je vous en supplie, ayez la complaisance de faire semblant de n’avoir rien entendu. J’avais donc l’honneur de vous dire, quand Basile m’a interrompu, qu’il y a un an aujourd’hui que j’ai consacré ma plume, ma lancette, un peu d’esprit, suffisamment de malice, assez de gaîté, beaucoup de franchise à vos menus plaisirs. (Basile bâille avec bruit.)

GRIPPE-SOLEIL, ANTONIO, L’ÉVEILLÉ, MARCELINE, SUZANNE.

A bas la cabale!

FIGARO (avec emphase).

Le Nil a vu sur ses rivages, etc., etc.

BRIDOISON.

Vraiment il parle bien.

BASILE (criant).

A bas la cabale!...

FIGARO (continuant).

Messieurs, je ne vous ferai pas de belles promesses; je ne vous dirai point que ma feuille est la seule... que ma feuille manquait dans la littérature... qu’elle est rédigée par des hommes du plus grand mérite, etc. Je vous répéterai ce que j’ai dit; il y a quelques années, à Mgr le comte Almaviva: Mon intérêt vous répond de moi. Pesez tant dans cette balance...

BASILE.

Je n’y tiens plus... Messieurs, ce n’est pas cela... Bone Deus! où en est l’éloquence!... Messieurs, la société, semblable à un serpent monstrueux qui, après avoir sucé le suc vénéneux des plantes de la philosophie, se recourbe en replis sur elle-même, toute prête à s’inoculer la rage des idées libérales.......

(Des sifflets se font entendre.)

Qu’entends-je?

BRIDOISON.

C’est vo...otre serpent qui fai...sait des si...si...iennes.

FIGARO (s’avançant vers le public).

Messieurs, je n’ai jamais été fier ni orgueilleux; aussi ma bonne mère Marceline m’a-t-elle dit souvent: Tu feras ton chemin, mon garçon. Je me suis bien décidé à ne pas la faire mentir, et c’est pour cela, Messieurs, que je viens resserrer les liens qui attachent le journaliste reconnaissant au public généreux et connaisseur. Non-seulement, Messieurs, il sera dorénavant loisible de vous abonner à ma feuille pour une année, pour six mois, pour trois mois, pour un mois même, mais vous pourrez encore le faire (c’est particulièrement à vous que je m’adresse, estimables étrangers, studieux élèves, capricieuses petites-maîtresses, rentiers économes, capitalistes prudents), vous pouvez encore le faire, dis-je, pour une, deux et trois semaines; oui, Messieurs, pour une semaine! et aux conditions qui sont exposées sur la première page de ma feuille.

BASILE.

La belle chute!


COUPS DE LANCETTE.

A l’instar des galériens condamnés à perpétuité, les journalistes seront marqués des lettres T. P: ce qui signifiera timbre perpétuel... ou autre encore.

*
* *

Quelqu’un disait hier, en parlant de trois journaux fondus:—Ils forment une épée dont la garde est à Paris, rue de.... et la pointe, nulle part.

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* *

Le Moniteur fait de l’esprit; ô scandale!...

*
* *

M. de Jouy arrange Moïse; qui arrangera M. de Jouy?

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* *

On prétend que l’acteur Peronnet, de l’Odéon, vient de présenter une supplique à l’effet d’obtenir un changement de nom.

ÉPITAPHE.

Ci-gît un gros pilote, ignorant nautonier,
Qui, portant sur son bord Esculape et sa suite,
Sans carte et sans boussole, osa, tout le premier,
Du pays de l’Absurde aborder la limite.
Chez les ventrus jadis il fut bien accueilli;
Sur la mer du Pathos il fit plus d’un voyage;
Maintenant, sans argent et léger de bagage,
Il vogue incognito sur le fleuve d’Oubli.


COUPS DE LANCETTE.

Panem et circenses. Des truffes et des cordons.

*
* *

—Quoi de nouveau, ce matin?

—Rien, qu’un opuscule dédié à huit richards, par M. de T..., ayant pour titre: De l’indifférence en matière de soufflet, avec cette épigraphe:

L’habitude fait tout.

Tous ces messieurs ont souscrit.


ÉPITAPHE.

Ci-gît monsieur de Montlosier,
Qui mourut comme un écolier,
Pour avoir pris de l’eau bénite
Sur le doigt d’un jésuite.


FICHES DE CONSOLATION.

N’être condamné qu’à dix ans de galères quand on a tout fait pour la perpétuité.

Perdre l’équilibre dans un escalier fort raide, se résigner à dégringoler six étages sur les reins et s’arrêter à l’entre-sol.

Voir un homme s’élancer sur vous, s’imaginer qu’il a un poignard dans la main, et ne recevoir qu’un soufflet.

Commander son deuil pour un oncle affligé de trois maladies et quatre médecins; total: sept. Apprendre sa résurrection miraculeuse, mais trouver l’emploi du costume, grâce à une apoplexie foudroyante qui vous enlève votre chère moitié.

Pour un gastronome convié à un énorme bifteck, s’apercevoir qu’on a perdu en précautions apéritives le temps que les amphitryons ont employé à jouer des mâchoires; mais arriver juste pour le thé avec lequel on vous sert la tartine de consolation.

Etre destitué deux mois avant les 30 ans de service qui vous donnent droit à la pension, vous croire frustré de toute espérance, et recevoir, un an après de S. Exc., une lettre fort honorable, avec une légère gratification.

Aux Français, s’attendant à voir paraître Monrose dans l’Olive, du Grondeur, apprendre qu’il est indisposé subitement, craindre que Faure le remplace, et voir paraître Armand Dailly.

Tenir d’un rapporteur officieux qu’un homme s’est glissé dans votre maison, trembler pour l’honneur conjugal, et le trouver couché avec votre fille.

D’après les chiffres d’une fausse liste de la loterie, penser qu’on n’avait pas eu un seul numéro sorti sur un terne sec, et trouver qu’il vous est sorti un ambe.

Voir le feu à votre bibliothèque, craindre que tout ne soit consumé, et sauver de l’incendie.... les œuvres de M. de Bonald.

Etre instruit de la banqueroute de votre agent de change, menacé de ne recevoir que cinq du cent, et en retirer sept et demi.


Acquérir la certitude que ce n’est pas votre meilleur ami qu’on a vu avec votre femme dans une loge grillée.

Napoléon, à Sainte-Hélène, disait en parlant des Bourbons: «Ils devaient, à leur rentrée en France, coucher dans mon lit, sans même en faire changer les draps.» C’eût été de bonne politique, en effet; ni Louis XVIII, ni Charles X ne le comprirent. Tout changer fut, au contraire, leur rêve et leur espoir. Ils croyaient pouvoir ramener la France aux beaux jours de Louis XIV, et la faire d’un seul coup, par un acte de volonté souveraine, rétrograder d’un siècle.

Sous les moindres actes de la Restauration, perce sa haine contre les hommes et les institutions de la Révolution et de l’Empire; aussi, était-ce faire sa cour et prendre le bon moyen pour arriver que d’attaquer le passé. Les petits ambitieux ne s’en firent pas faute et, la passion s’en mêlant, les efforts de la contre-révolution atteignirent les dernières limites de l’odieux et du grotesque.

L’un propose, sérieusement, d’en revenir pour les préfets, les maires, pour tous les fonctionnaires, en un mot, aux appellations en vigueur au temps de Henri IV; l’autre propose, non moins sérieusement, de supprimer la guillotine, instrument révolutionnaire et anarchique, et d’en revenir, pour le dernier supplice, au gibet, infiniment plus monarchique et, à ce titre, cher à tous les hommes religieux et dévoués à la cause royale.

Tout ceci n’est que ridicule; mais comment qualifier les persécutions de tous les jours? A la vérité, le temps des cours prévôtales était passé, on ne versait plus de sang, mais toute une génération était sacrifiée. Aux uns, on enlevait les dignités acquises; aux autres, les moyens d’existence; à tous, on fermait toutes les carrières. Les plus maltraités furent les anciens soldats de Napoléon, sans distinction de grade. On voulait épurer l’armée. Aussi, les officiers en demi-solde, qu’on retrouve mêlés à tous les complots, à toutes les conspirations, ont-ils puissamment contribué à la révolution de 1830.


COUPS DE LANCETTE.

A chaque titre que M. d’Ap... enlève à nos maréchaux, il s’écrie en s’essuyant le front:—Encore une victoire de gagnée!...

*
* *

M. d’Appony ne veut plus que l’on dise: Un poulet à la Marengo.


PARODIE

Etre des libertés l’effroi, la tyrannie,
Proscrire les talents, étouffer le génie,
Suspendre les travaux du libraire incertain
Aux sinistres accents de ta voix menaçante,
Voir succomber enfin la presse chancelante,
Quel rêve!... et quel plus beau destin.


ÉPITAPHE.

Ci-gît un journaliste, écrivain sans talents,
Qui ne dut son nom qu’a l’intrigue;
Qui, de peur des mouchards, cria selon les temps:
Vive le roi! vive la ligue!
Comme folliculaire il ne fit rien de bon.
Il gagna, pour mentir, un modique salaire;
Auteur de mélodrame, il fit très-maigre chère,
Et vécut vingt-cinq ans sur un Pied de mouton.

A UN AMI.

Je t’aimais, comme on aime un ami du jeune âge,
Je t’estimais..., mais sur l’honneur
Je ne puis te voir davantage,
Tu reçois le Médiateur.


Lundi, 15 février 1827. - LE QUI

Qui, sur les bords de la Gironde,
Où le sort plaça son berceau,
De son insipide faconde
Ennuya jadis le barreau?

Qui, pour le malheur de la France,
Couvert de maintes dignités,
Garde, dit-on, son éloquence,
Pour endormir les députés?

Qui, dans une autre Alexandrie,
Rallumant la torche d’Omar,
Voudrait, d’un plus vaste incendie,
Charmer les enfants d’Escobar?

Ce n’est pas moi,
Ce n’est pas toi,
Ce n’est pas vous,
Ce n’est pas nous.

Mais si ce n’est ni moi, ni toi, ni vous, ni nous, c’est donc un conte?


MUSÉE GROTESQUE

LIVRET D’EXPLICATION.

Nº 1.—M. P..., toisant d’un air chagrin la bouche de Gargantua.

Nº 787.—Lord Cochrane descendant de sa tortue à un relais, pendant qu’on lui selle une écrevisse.

Nº 375.—Les trois cents Spartiates de la rue de Rivoli défendant l’entrée de la cuisine de Grignon.

Nº 542.—Une caravane, rencontrée par des Arabes dans les déserts du Vaudeville.

Nº 224.—La déclaration d’amour du monstre à la fiancée de Zametti qui cherche à s’échapper en criant au secours.

Nº 545.—Diogène sortant de sa société des Bonnes-Lettres avec sa lanterne allumée, et examinant avec dédain la figure de tous ceux qui se pressent à la porte.

Nº 621.—M. Ancelot démontrant la possibilité du miracle de saint Pierre en marchant sur la Seine, qui se gèle à mesure qu’il avance.

Nº 172.—M. de Cuir-Bouilly se hissant sur la pointe du pied pour atteindre la stature de M. de Nonante-Cinq.

Nº 2.—Cadmus semant les dents des Spartiates modernes et ne recueillant que des mâchoires.

Nº 501.—Madame de G..., accroupie sur les degrés de Saint-Roch, et mangeant des pommes de terre frites sur le coin de son cachemire.

Nº 444.—M. le baron d’Eck... taillant son drapeau pour s’en faire une chemise.

Nº 425.—MM. El... et de T... faisant décider par un arbitre à qui des deux une calotte sied le mieux.

Nº 671.—Trait d’égoïsme. Le Pilote refusant un picotin à un de ses collègues destitué.

Nº 52.—Voltaire attaquant M. de Jouy en contrefaçon devant la police correctionnelle.

Nº 272.—M. d’App... se servant de maréchaux de France en guise de muscades et les escamotant, tandis qu’un paillasse, coiffé à la financière, lui sert de compère en soufflant sur des gobelets.

Nº 5348.—Le beau grenadier traçant des petits amours sur les panneaux de M. Fenaigle, pour suivre un cours de Mnémosine.

Nº 1001.—Le maire de Perpignan faisant exécuter en effigie le carnaval sur la place de l’Hôtel-de-Ville.


COUPS DE LANCETTE.

L’auteur du Pied de mouton, ex-rédacteur du Drapeau blanc, va, dit-on, s’occuper d’un nouvel ouvrage, intitulé: le Pied de nez.

*
* *

Thémis a maintenant pour attributs un bâillon et un timbre.

*
* *

Découverte. L’imprimerie était une des sept plaies de l’Egypte.

*
* *

Bravo: fleur de rhétorique.—Murmure: réfutation.—Clôture: argument sans réplique.

*
* *

La liberté est trop lourde, a dit M. de Cur... Il se rappelle peut-être le temps où il traînait le char de la déesse.

*
* *

A chaque bêtise qu’il entend dire, M. de Saint-Ch... ôte son chapeau.

*
* *

On parle beaucoup du ventre de M. de V..., mais on ne dit rien de ses entrailles.


M. Dudon, auquel s’adresse l’épigramme qui suit, avait cet avantage d’être une des «bêtes noires» de Figaro. Et véritablement, pour les coups de lancette, jamais homme ne présenta une plus large surface.

M. Dudon était un de ces hommes trop compromis pour pouvoir l’être davantage, comme tous les partis en traînent à la remorque; hommes de tous les dévoûments dangereux et bien payés, compères de tous les tours de passe-passe politiques. Serviteur à tout faire du ministère, on le mettait en avant dans toutes les questions scabreuses. Réussissait-on, tant mieux; échouait-on, on le désavouait.

A la tribune il recevait sans sourciller toutes les bordées d’injures de tous les partis; il eut presque autant à souffrir de l’extrême droite que de l’extrême gauche. Manuel l’appelait «un homme dangereux et compromettant pour son propre parti.» Le général Foy disait, en parlant de M. Dudon: «Il est des hommes dont la position est si malheureuse et si embarrassante, qu’ils ne peuvent monter à la tribune que pour débiter des calomnies.»

Figaro revient à chaque instant sur les malversations dont M. Dudon était accusé, malversations qu’il appelle d’un nom beaucoup plus vif. Le petit journal n’était pas le seul à rappeler les accidents de la vie publique de l’homme-écran du ministre. M. Dupont (de l’Eure) lui criait en pleine chambre: «Liquidez vos comptes et ne calomniez pas d’honnêtes gens;» en pleine chambre encore, on lui jetait au visage cette rude apostrophe: «Je le déclare ici, je défie ouvertement M. Dudon de citer une seule transaction véreuse (et certes, il en connaît beaucoup) à laquelle j’aie pris part. Je ne suis pas de ces hommes justement méprisés qui ont indignement abusé de leurs fonctions pour s’enrichir par des rapines et des liquidations scandaleuses, qui ont forcé les ministres du roi à les chasser de leur administration, et à proclamer leur infamie.»

Pour tout dire, «M. Dudon avait été, sous l’Empire, enfermé à Vincennes pour avoir déserté son poste, abandonné l’armée d’Espagne et répandu la terreur dont il était saisi sur toute la route qu’il avait parcourue.» A la chute de l’Empire, il fut tiré de prison par M. de Talleyrand et chargé d’enlever à Orléans le trésor particulier de l’Empereur. Il réussit; il est vrai que l’histoire a qualifié de vol cette spoliation. Plus tard, il fut destitué par M. de Richelieu de la présidence de la commission de liquidation des créances étrangères.

C’est à ces deux aventures surtout qu’à tout moment il est fait allusion.


ÉPIGRAMME.

Lui, se vendre; et quel prix voulez-vous qu’on l’achète
Sans craindre d’avoir fait la plus mauvaise emplette?
—Alors, il s’est donné.—Donné pour rien, pardon;
Mais qui même à ce prix pourrait vouloir du don?


Mercredi, 21 février 1827. - NOUVEAU DIALOGUE DES MORTS L’EXCELLENCE.

Quel bruit désagréable arrive à mon oreille! Dieu me pardonne! l’enfer aurait-il aussi des imprimeries? Oui, ce sont les gémissements d’une presse...

GUTTENBERG.

La belle invention! En vérité, j’ai mérité la reconnaissance des hommes...

L’EXCELLENCE.

Quelle sottise dites-vous là, Monsieur l’imprimeur?

GUTTENBERG.

Voilà une ombre qui arrive tout au moins en droite ligne du royaume des Topinambours.

L’EXCELLENCE.

Monsieur au bonnet de papier, voudriez-vous, s’il vous plaît, m’apprendre quel privilége vous avez pour vous servir de cet instrument diabolique?

GUTTENBERG.

Je vois que Monsieur n’est ici que d’hier. Nous autres trépassés, tout morts que nous sommes, nous aimons à faire encore ce que chacun de nous faisait sur la terre; j’use amplement de la permission, et j’imprime.

L’EXCELLENCE.

Un article du Moniteur? une note secrète?

GUTTENBERG.

Fi donc! Voltaire, Fénelon, Rousseau, Bossuet.

L’EXCELLENCE.

Tous ces auteurs-là sont à l’index, et je me verrai forcé de sévir contre vous. Rappelez-vous le texte de la loi: défense d’imprimer...

GUTTENBERG.

On devrait, au contraire, me délivrer un brevet d’invention.

L’EXCELLENCE.

Comment! vous seriez le mauvais génie qui a perdu, par l’excès des lumières, les hommes que vous vouliez éclairer par la philosophie?...

GUTTENBERG.

C’est un caractère de nouvelle date, je n’employais que le cicéro...

L’EXCELLENCE.

Un bavard qui s’escrimait contre les ministres dans la chambre des députés des Romains.

GUTTENBERG.

J’ai toujours affectionné l’italique.

L’EXCELLENCE.

Vous osez parler de l’usurpateur devant une Excellence! Vous êtes, je le vois, un imprimeur enragé, un républicain, un petit Romain...

GUTTENBERG.

Je fais beaucoup de cas de ce caractère... Mais, en vérité, je ne comprends rien à tout ce que vous dites. Qu’étiez-vous donc sur la terre?

L’EXCELLENCE.

Je faisais des lois.

GUTTENBERG.

Si vous le voulez, j’imprimerai vos ouvrages?

L’EXCELLENCE.

Insolent! vous me plaisantez, je crois; sachez que ce matin encore j’étais ministre...

GUTTENBERG.

Et ce soir vous voilà mort, par suite sans doute d’un jugement, d’un arrêt...

L’EXCELLENCE.

Non pas, nous ne mourons plus ainsi. Figurez-vous que j’avais aboli l’imprimerie, et, pour le plus grand bonheur de mes concitoyens, j’avais ruiné quelque cent mille familles...

GUTTENBERG.

Cent mille familles! Je devine la fin de l’anecdote, il n’a fallu qu’un désespoir...

L’EXCELLENCE.

Au contraire, j’aurais vécu longtemps encore si, à force de timbrer les autres...

GUTTENBERG.

Je comprends; mais, M. l’ex-Vandale, ma presse est, Dieu merci, à l’abri de vos arrêts. J’aperçois Astaroth qui vient vous lire votre sentence; écoutez.

ASTAROTH, lisant.

«La susdite ombre est condamnée à être apprenti imprimeur sous les ordres de Guttenberg...»

L’EXCELLENCE.

Apprenti vous-même.

ASTAROTH.

«Pendant deux mille ans.» A l’ouvrage, petit.

L’EXCELLENCE.

Si je reviens jamais de ce bas monde, je ferai pendre tous les imprimeurs.

GUTTENBERG.

On vous formera, mon enfant.


COUPS DE LANCETTE.

On a vu M. de Sal... qui s’amusait à graver ces mots sur une pièce de quarante-huit: Remède contre l’imprimerie.

*
* *

M. Ouvrard a obtenu la permission de sortir de Sainte-Pélagie pour trois jours. Deux gendarmes et un huissier l’escorteront partout. C’est la liberté que M. de P..... promet aux imprimeurs.

*
* *

On dit que depuis hier M. le comte de P..... se sent le timbre fêlé.


M. de Saint-Chamans, que Figaro appelle tantôt monsieur de C’est-charmant ou monsieur Tant-mieux, avait été un des plus chauds partisans, un des défenseurs les plus opiniâtres du projet de loi sur la presse. Ce surnom de Tant-mieux lui venait d’une phrase malencontreuse prononcée à la tribune: «Le projet de loi,» s’était-il écrié, «empêchera, dit-on, tout à la fois les bons et les mauvais livres, les bonnes et les mauvaises maximes; tant mieux.» (Explosion de murmures.) «Oui, Messieurs,» répète M. de Saint-Chamans avec plus de force, «tant mieux! tant mieux! tant mieux! Tous ceux qui croient, en politique comme en religion, doivent croire sur la parole seule de l’autorité légitime.»

Franchement une telle profession de foi valait bien quelques épigrammes.

M. de Sallaberry, dont il est question quelques lignes plus haut, était aussi fort partisan de la loi. C’est lui qui avait comparé l’imprimerie au manioc, d’où le surnom de M. Manioc que lui donnèrent les petits journaux de l’époque. C’est lui encore qui, dans le même discours, s’écriait avec véhémence: «Redoutons, Messieurs, le fléau de l’imprimerie, seule plaie dont Moïse oublia de frapper l’Egypte.» (Interruptions et éclats de rire.)


ÉPITAPHE.

Entêté, ridicule, ennuyeux,
Hélas! il gît ici, ce bon monsieur Tant-mieux,
Qui voulait que lui seul sût lire.
Quand ses graves discours faisaient pâmer de rire,
Tout fier de leur effet, il s’écriait: Tant mieux!
Je suis un fou: Tant mieux!
Un sot même. Tant mieux!
Tant mieux! tant mieux! tant mieux!
Enfin, ces mots lui plaisaient tant à dire,
Qu’à l’instant où la mort vint lui fermer les yeux,
Il bégayait encor: Tant mieux!


COUPS DE LANCETTE.

M. de C’est-charmant pense que les muselières nous conviendraient mieux encore que la censure.

*
* *

On a vu l’autre jour un Cosaque du Don se dévouer pour sauver son maître qui allait se noyer. Ils ont du bon, ces Cosaques.

*
* *

Le fameux «tant-mieux» de M. de Saint-Ch... est destiné à partager (sublime à part) la célébrité du qu’il mourût! et du qu’en dis-tu?

ÉPITAPHE.

J’ai vécu des produits de ma plume vénale;
J’ai vécu d’un journal par moi mis à l’encan;
De honte j’ai vécu; j’ai vécu de scandale;
J’ai vécu de la croix; j’ai vécu du turban;
J’ai vécu, j’ai vécu, gazetier famélique,
Quatre-vingts ans passés... Mais je voulus, enfin,
Vivre un matin de l’estime publique,
Et le soir, j’étais mort de faim.

COUPS DE LANCETTE.

M. de V... assure que MM. de P... et Fren... sont des hommes d’un grand prix.

*
* *

Mademoiselle Adel... disait: Si jamais je prenais un mari, ce serait M. de Laboë... que je voudrais, il vote toujours pour l’adoption.

*
* *

M. Dud... est tellement dévoué à son maître, qu’il irait partout, au seul commandement de celui-ci. Quand donc lui plaira-t-il de l’envoyer au diable?

*
* *

—Le mensonge déshonore.

—C’est possible, répondit M. de V..., mais ça n’ôte pas un portefeuille.


M. de Villèle, grâce à la façon hardie dont il avait mené les dernières élections, avait réussi à se constituer une imposante majorité. Il n’avait, il faut lui rendre cette justice, reculé devant aucun moyen. Il avait donné pleins pouvoirs aux préfets, en leur notifiant qu’ils répondaient «sur leurs places» du vote des électeurs de leur département. Cette notification eut les meilleurs résultats. Partout on employa l’intimidation; les destitutions des fonctionnaires mal-pensants étaient à l’ordre du jour. Dans certaines provinces, on eut recours à la gendarmerie. De son côté, le clergé agissait.

Donc le ministère eut sa majorité. La Chambre introuvable de 1815 était retrouvée.

On appela cette majorité les Trois-Cents de M. de Villèle; puis, par allusion aux trois cents combattants des Thermopyles, on les appela les Spartiates.

Les députés étaient admirablement choyés. M. de Villèle leur avait dit: «Vous êtes ici non pour discuter, mais pour voter.» Ils obéissaient, il fallait bien les en récompenser.

C’était alors le bon temps des dîners ministériels. Tous les députés bien pensants avaient, dit-on, leur rond de serviette chez MM. de Villèle et de Peyronnet. «On tenait, dit un petit journal, les députés par la gueule.» Un autre disait: «Quand on a la bouche pleine, on ne parle pas;» ou encore: «Un homme qui digère ne refuse rien.» Et le public riait.

Figaro fait chorus. Sans cesse il revient aux tables ministérielles; il énumère avec complaisance les truffes, les primeurs, les mets délicats servis aux Spartiates affamés. Il fait le compte des bouteilles bues; il voudrait avoir pris mesure de la taille des Trois-Cents, pour savoir s’ils ont beaucoup engraissé pendant la session. Pour les Spartiates, il réserve ses plus méchants quolibets, ses plus mordantes épigrammes. On dirait qu’il essaye de leur couper l’appétit. Il n’y réussit pas, et c’est d’un ton dolent qu’il s’écrie: «Leur appétit nous ruine.»

Il est vrai que cette majorité coûtait gros; grasse était la solde des Spartiates.

—Monsieur, demandait un jour Charles X, combien pensez-vous qu’il faille à un député pour vivre honorablement à Paris?

—Je pense, Sire, qu’avec six mille francs...

—Six mille francs! dites-vous, s’écria le roi, il en est auxquels je donne plus du double et qui se plaignent de mourir de faim.

Et le roi ne comptait ni les places ni les sinécures.

Il y a cependant à ceci une moralité assez bonne à méditer pour les gouvernements: c’est cette majorité si chèrement et si déloyalement obtenue qui renversa le ministère Villèle et prépara la chute de Charles X.


COUPS DE LANCETTE.

Samson n’en avait qu’une pour combattre ses ennemis; beaucoup plus heureux, M. de V... en a trois cents.

*
* *

Ces messieurs veulent bien dire des absurdités, mais sans que le public en soit instruit: au moins voilà du respect pour le public.


ÉPITAPHE. - TRADUITE DE MARTIAL.

Pourquoi veux-tu, Truffus, pour un mot indiscret
Couper la langue à ton esclave?
Ne sais-tu pas que le peuple te brave,
Et qu’il parle, quand il se tait?...


COUPS DE LANCETTE.

Dorénavant, tout écrivain qui n’aura pas 50,000 francs de rentes, sera un homme sans considération et sans talent. D’après cette nouvelle découverte, M. de Rothschild va se trouver le gros génie de l’époque.

*
* *

.....«J’en appelle à votre conscience......»

(Silence universel.)

*
* *

Les prières des agonisants sont à l’ordre du jour.


Samedi, 17 mars 1827. - LE DÉCALOGUE DU SPARTIATE.

1. Pour seul dieu tu reconnaîtras
Celui qui te truffe amplement.

2. Dans les grands jours tu te tairas
Par respect pour le rudiment.

3. Avec un tel tu voteras
Par assis levé seulement.

4. Un tel, un tel applaudiras
Par politesse purement.

5. Tandis qu’un tel tu siffleras
Ainsi qu’un tel mêmement.

6. Leurs beaux discours réfuteras
Par un loyal trépignement.

7. Eloquent point tu ne seras,
Car c’est du luxe assurément.

8. Et comme un tel tu parleras
Contre le bon sens sciemment.

9. Jamais tu ne t’aviseras
D’avoir esprit ni jugement.

10. Jusqu’à la mort tu resteras
Fidèle à ce commandement.


COUPS DE LANCETTE.

La Conciergerie est, de nos jours, tout près du Parnasse.

*
* *

Des joueurs bien connus ont perdu une partie de boules aux Champs-Elysées; ils demandent leur revanche dans le jardin du Luxembourg.

*
* *

Cependant, ils ne sont pas inviolables, puisqu’on peut les empoigner.


Il était assez audacieux, en ce moment, de rappeler aux Trois-Cents qu’ils n’étaient pas inviolables,—pour le peuple, est sous-entendu.—Quant au mot empoigner, c’est une allusion au fait bien connu de l’expulsion de la Chambre du député Manuel. Fort de son droit et de sa conscience, considérant la résistance comme un devoir, le célèbre orateur avait déclaré qu’il ne céderait qu’à la force. Il tint parole. La garde nationale, envoyée pour l’expulser, refusa d’obéir à l’ordre inique. On fit alors marcher la gendarmerie, sous les ordres du colonel Foucauld.

Trois fois le colonel somma Manuel de sortir, et comme il «refusait d’obtempérer:»

—Gendarmes, s’écria M. Foucauld, empoignez-moi M. Manuel.

Le mot est resté.


Jeudi, 22 mars 1827. - UN SPARTIATE ET SON FILS

LE SPARTIATE.

Mon fils, qu’est-ce que c’est que la Sparte moderne?

LE PETIT.

On appelle ainsi une grande étendue de terrain qui produit des truffes et du vin de Champagne.

LE SPARTIATE.

Quelle est la capitale de ce royaume?

LE PETIT.

Un grand hôtel avec des factionnaires à la porte.

LE SPARTIATE.

On a l’habitude d’employer le mot patrie; que veut-il dire?

LE PETIT.

Ce mot-là ne signifie rien.

LE SPARTIATE.

Quel est le meilleur gouvernement?

LE PETIT.

Celui sous lequel on fait les meilleurs dîners.

LE SPARTIATE.

Quel est l’homme le plus utile dans un État bien organisé?

LE PETIT.

Le chef de cuisine du ministre.

LE SPARTIATE.

Comment reconnaît-on le bon parti?

LE PETIT.

Aux opinions gastronomiques.

LE SPARTIATE.

Quel talent faut-il pour réussir?

LE PETIT.

Il ne faut qu’une mâchoire garnie de ses trente-deux dents et en activité.

LE SPARTIATE.

Comment sert-on le mieux son pays?

LE PETIT.

En le mangeant.

LE SPARTIATE.

Qui peut empêcher l’homme le plus habile de faire son chemin?

LE PETIT.

Un mauvais estomac.

LE SPARTIATE.

Qu’est-ce qu’une loi?

LE PETIT.

Un ragoût assaisonné aux truffes.

LE SPARTIATE.

Qu’est-ce qu’un homme qui a fait ses preuves ne doit jamais refuser?

LE PETIT.

Une invitation à dîner.

LE SPARTIATE.

Où doivent se discuter les affaires importantes?

LE PETIT.

Dans la salle à manger.

LE SPARTIATE.

Assez pour aujourd’hui; vous savez votre leçon à merveille. Je suis satisfait. Dites à votre bonne de vous donner à déjeuner.

LE PETIT.

Je voudrais des truffes, papa.

LE SPARTIATE.

Quand vous serez plus grand... (A part.) Il n’y a plus d’enfants.

PENSÉES D’UN SPARTIATE.

* Les grandes pensées viennent de l’estomac.

* Tous les chefs-d’œuvre de nos grands écrivains ne valent pas la carte d’un restaurateur.

* Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es.

* Le Tibre a des Césars; la Seine a des Chevet.

* L’amitié est une sauce piquante qu’on mange à deux.

* La truffe ne vieillit pas.

* On imprime que, depuis 400 ans, on a dîné de tout temps.

* On a vu monsieur de C’est-charmant hausser les épaules; il se parlait à lui-même.

* Il est tout naturel que les ennemis de l’imprimerie en veuillent à certains académiciens, ils ont montré quelque caractère.


ÉPITAPHE.

—A cent francs le journal! c’est la dernière enchère.
—J’en offre dix écus.—C’est peu.—J’en suis fâché.
—Voyez la marchandise... On ne peut vous surfaire.
—Allons! dix sous de plus, et pour finir l’affaire,
Je prends les rédacteurs par-dessus le marché.


COUPS DE LANCETTE.

Les épiciers préparent déjà des lampions.

*
* *

M. le prince de H... veut absolument que le mot schlague soit français.

*
* *

Mille garapines! ces chournalisdes sont bar drop méchants! disait un général français; on téfrait leur tonner sur les oncles!.....

MANIÈRE DE FAIRE UN GÉNÉRAL.

Vous prenez un individu... le premier qui vous tombe sous la main... cependant n’allez pas le choisir dans la classe des féroces. Tâchez de le prendre spirituel..... imbécile, ce serait absolument la même chose. Le sujet sera d’avance suffisamment mortifié. Vous lui apprenez l’exercice..... du chrétien, c’est-à-dire son pater, son ave, son credo et son meâ culpâ, soit en latin, soit en grec, soit en anglais, soit en allemand; il suffit que ce ne soit pas en français. Vous lui faites ensuite connaître tous les canons... qui se sont chantés et qui se chantent à Rome, depuis le pontificat de Grégoire Ier. Il doit aller, les yeux fermés, de la caserne à la paroisse, et de la paroisse à la caserne, car c’est indispensable s’il veut faire son chemin. Vous avez soin de lui jeter sur le dos un habit bleu brodé en feuilles de chêne et de laurier, c’est le symbole de sa gloire... à venir. Puis vous lui mettez deux belles épaulettes, vous l’attachez à un grand sabre, et..... il ne faut plus qu’un miracle pour le faire marcher.


Le 28 mars 1827 mourut, à l’âge de quatre-vingts ans, un homme qui, dit M. de Vaulabelle, «honorait à la fois son nom, le rang où il était né et la France,» le duc de La Rochefoucauld-Liancourt.

Dévoué aux Bourbons jusqu’à sacrifier pour eux sa vie et sa fortune, le duc de La Rochefoucauld eut ce rare honneur de déplaire au gouvernement de la Restauration. Nommé pair de France, il figurait dans la chambre héréditaire au nombre des membres de l’opposition, et prêtait ainsi à la cause libérale l’appui d’une belle vie et d’un grand nom.

Cela déplut à M. de Corbière, qui ne craignit pas de retirer brutalement au duc plusieurs fonctions purement honorifiques auxquelles son grand caractère l’avait naturellement désigné.

Le duc, malgré cette injure, resta fidèle à la cause de toute sa vie; mais, tandis que cette injustice lui faisait une grande popularité, son attitude le brouillait irrévocablement avec la congrégation.

Ainsi que nous venons de le dire, le duc de La Rochefoucauld mourut le 28 mars. Il n’était pas rentré en grâce. Ses obsèques furent indiquées pour le 30. Au milieu de l’immense concours de personnes qu’elles attirèrent, on remarquait un assez grand nombre d’anciens élèves de l’Ecole des Arts et Métiers de Châlons, école dont le duc était fondateur.

Les élèves demandèrent à porter le cercueil de leur bienfaiteur, c’était un hommage public qu’ils voulaient rendre à sa mémoire. Les fils du défunt, les comtes Gaëtan et Alexandre de La Rochefoucauld, crurent devoir accorder cette demande. Tout alla bien jusqu’à l’église. Mais lorsque, la cérémonie terminée, les jeunes gens voulurent reprendre leur fardeau, un commissaire de police s’y opposa. Le cortége était alors dans la rue Saint-Honoré. Les élèves résistant aux ordres du commissaire, celui-ci requit l’aide de la troupe envoyée pour rendre au défunt les honneurs funèbres. Bientôt les baïonnettes, demeurées jusque-là au fourreau, furent mises au bout des fusils. A la vue des soldats, les assistants entourent les jeunes porteurs. On se mêle, on se heurte, une sorte de lutte s’engage, et bientôt le cercueil, échappant aux jeunes gens, glisse et tombe avec un bruit lugubre sur le pavé.

«L’épouvante s’empare des spectateurs, le vide se fait autour des soldats qui relèvent le cercueil à demi brisé, ramassent dans le ruisseau de la rue les insignes du défunt et son manteau de pair souillé de boue, et les placent sur le corbillard que le commissaire de police avait fait avancer.»

Telle avait été la violence du choc, que non-seulement la bière avait été brisée, mais encore une partie des membres s’étaient détachés du corps.

Cette violence atteignant jusque dans la mort un homme dont le seul crime avait été d’être indépendant, ce scandale sacrilége, cette profanation, firent jeter à Paris entier un cri d’indignation. Les journaux s’émurent, les deux Chambres ordonnèrent une enquête.

Eh bien! devant cette réprobation générale, M. de Corbière osa monter à la tribune, non pas pour blâmer les auteurs de cette coupable profanation, mais pour payer un tribut d’éloge aux agents qui avaient fait leur devoir.

Les articles du Figaro, si violents qu’ils soient, ne sont encore qu’un écho affaibli de l’opinion.


COUPS DE LANCETTE.

Comment respecteraient-ils les morts, est-ce qu’il n’est pas dans la nature des corbeaux de s’acharner après les cadavres?

*
* *

On va bâtir une citadelle au milieu du cimetière du Père La Chaise.

*
* *

Les employés aux pompes funèbres ne seront pris, désormais, que dans les régiments de ligne.

*
* *

On avait fait, la veille de l’ouverture du Cirque, une répétition de l’Attaque du convoi.

*
* *

On nous traîne dans la boue après notre mort; c’est pour nous apprendre à vivre.

*
* *

Quelqu’un nous assure avoir lu ces mots sur la même enseigne: Fabrique de baïonnettes et Pompes funèbres.

*
* *

M. le prince de Ho... a pris un maître de langue française, pour apprendre seulement à dire: En joue, feu!

*
* *

Il y a des gens qui, pour rendre les derniers honneurs aux mânes des personnages vertueux, voudraient rétablir le gibet de Montfaucon.

*
* *

Il y a plus de honte à être debout dans certains salons qu’à tomber dans le ruisseau.


Dimanche, 5 avril 1827. - LE RUISSEAU ET LA BIÈRE.

DIALOGUE.

LE RUISSEAU.

Voilà qui commence bien; les bons gendarmes n’y vont pas de main morte; les coups pleuvent comme grêle; baïonnettes d’entrer en danse. Messieurs les bourgeois, gare les éclaboussures.

LA BIÈRE, roulant dans le ruisseau.

Ciel! quelle profanation!

LE RUISSEAU.

Dieu me pardonne, c’est un mort en grande tenue que j’ai reçu sur le dos.

LA BIÈRE.

Où suis-je? couverte de boue et foulée aux pieds!

LE RUISSEAU.

Je croyais que c’était quelque agent de la police...

LA BIÈRE.

En effet, c’est bien là leur place; aussi, Monsieur le ruisseau, je suis toute honteuse...

LE RUISSEAU.

Vraiment, il n’y a pas de quoi. Tous les jours, je vois des gens qui vous valent bien et qui n’y regardent pas de si près.

LA BIÈRE.

Vous ne savez pas qui je renferme?

LE RUISSEAU.

Ce n’est probablement pas de ma connaissance, madame la dégoûtée...

LA BIÈRE.

Un honnête homme...

LE RUISSEAU.

Je ne vous entends pas.

LA BIÈRE.

Sa vie a été consacrée au bien; sa mémoire est vénérée par tous ceux qui ont encore un peu d’âme.

LE RUISSEAU.

C’est sans doute quelque pauvre diable mort de faim.

LA BIÈRE.

Celui qui se trouve aujourd’hui dans un ruisseau, hier encore, par sa fortune, son rang, sa noblesse, ses vertus, ses talents, était un des citoyens les plus illustres.

LE RUISSEAU.

Sans doute il appartenait à la congrégation, avec laquelle j’ai beaucoup de rapports?

LA BIÈRE.

Fi donc! il aimait sa religion, sa patrie et son roi.

LE RUISSEAU.

A en juger par cet immense concours de monde qui l’escortait à son dernier hôtel, lorsque la force armée est venue mettre le holà, ce fut un ministre, un législateur; aurait-il inventé le trois pour cent, promulgué une loi du sacrilége et autres gentillesses?

LA BIÈRE.

Un silence religieux, interrompu par des sanglots, l’accompagnait jusqu’au moment où des cris d’indignation...

LE RUISSEAU.

Je me souviens, lorsque j’étais bien jeune, d’avoir été sali par les restes de Marat.... Les jours se suivent et ne se ressemblent pas.

LA BIÈRE.

As-tu remarqué qu’en tombant j’ai fait jaillir ton eau bourbeuse jusque sur le visage des misérables?

LE RUISSEAU.

Ils n’y ont pas pris garde. Moi-même, je suis saisi de respect et je crains de te toucher...

LA BIÈRE.

Adieu, deux croque-morts viennent de mon côté... ce ne sont plus ces nobles jeunes gens... O ciel! cette terrible leçon préviendra-t-elle un nouveau scandale?

LE RUISSEAU.

Adieu, Madame; je vous jure qu’il ne vous reste pas la moindre tache... Ah! je ne remarquais pas, du sang...

LA BIÈRE.

O mon maître!...


COUPS DE LANCETTE.

Quelqu’un a proposé d’établir une école de canonniers près de quelques cimetières: les tombes serviraient de cibles. Cette innovation ne peut manquer de trouver beaucoup d’approbateurs.

*
* *

Depuis qu’un mort illustre est tombé dans le ruisseau, MM. Ling... et Ben... sont fiers de se rouler dans la fange.

*
* *

On devrait bien créer une compagnie d’assurances pour les pompes funèbres.

*
* *

Il nous faut revenir maintenant à la loi d’amour et de justice, à cette loi que M. Royer-Collard comparait à une loi de suspects largement conçue, qui mettait la France entière en prison sous la garde des ministres.

Le projet de M. de Peyronnet avait été adopté par la Chambre des députés, en dépit des énergiques efforts des deux oppositions royaliste et libérale. Il avait été adopté à une majorité de 233 voix contre 134 (12 mars).

Sept jours plus tard, le ministre portait son malencontreux projet à la Chambre des pairs. Mais là il rencontra une résistance inattendue. L’attitude de la commission d’examen lui faisant prévoir une éclatante défaite, il remit le projet «à des temps meilleurs,» et, le 17 avril, il monta à la tribune pour lire une ordonnance qui retirait le projet.

A cette nouvelle, l’allégresse éclata par toute la France. A Paris, ce fut un indescriptible enthousiasme. La ville entière se trouva illuminée comme par enchantement. «Nos ministres ont besoin de lumières,» disait-on, «éclairons-les.» Des colonnes d’ouvriers imprimeurs parcouraient les rues; ils criaient: Vive le roi! vive la Chambre des pairs! vive la liberté de la presse!

Les journaux de l’opposition libérale entonnèrent l’hymne du triomphe. Le terrible projet avait disparu tout à coup; ils espéraient que son auteur ne tarderait pas à le suivre, et ils disaient tout haut leurs espérances.


COUPS D’ENCENSOIR.

On a vu hier une foule de presses qui riaient comme des petites folles. Cette gaîté leur allait à ravir.

*
* *

C’est pour rire que M. C’est-charmant a dit que le Français était un animal féroce.

*
* *

M. de P.... signe avec la meilleure grâce du monde.


ÉPITAPHE.

Objet de haine et de colère,
Ci-gît un malheureux projet,
Lequel avait, dit-on, pour père
Ce bon monsieur de Draconnet.
C’est lui qui lui donna naissance,
C’est lui qui, par son assistance,
Le fit, un moment, respirer,
Et quand enfin la mort barbare
Eut frappé cet enfant si rare,
Il se chargea de l’enterrer.


BIGARRURE.

Hier, tout Paris semblait en feu; on n’a guère pu remarquer que les maisons qui n’étaient point illuminées, et encore ne faut-il accuser personne de tiédeur, car on n’était pas préparé à la fête que le Roi vient de donner à la France; bien des gens n’ont pu trouver à acheter des lampions.

L’ordre le plus parfait a régné partout.

A PROPOS.

Un projet proposé
Nous mit dans la souffrance.
Un projet amendé
Fit naître l’espérance.
Un projet retiré
Répand la joie en France.


COUPS DE LANCETTE.

Tout Paris était brillant de lumières; à Montrouge, on s’est couché sans chandelle.

*
* *

Il suffit d’une simple revue pour s’apercevoir de tous les défauts de la loi d’amour.

*
* *

M. de V... ne sort plus le soir; l’odeur des lampions l’incommode.

*
* *

M. de P.... aurait dû se retirer en même temps.

*
* *

L’enfant est enterré: bravo!—le papa reste. O Azaïs!

*
* *

Lampion et sifflet sont maintenant synonymes.

*
* *

On assure que M. de P.... va rendre l’âme. Il va donc rendre son portefeuille; on dit qu’elle en est inséparable.

*
* *

On ne dit plus railler, persiffler un homme, on dit: le lampionner.


DIALOGUE

A

Ces cris, ces lampions et leurs flammes sinistres
Ont jeté dans mon âme un prophétique effroi.
Tout est perdu, sans doute?

B

Oui, tout pour les ministres,
Mais tout est gagné pour le roi.


COUPS DE LANCETTE.

Toute la France s’illumine, ce n’est pas assez de sept éteignoirs pour tant de lumières.

*
* *

Cette pauvre Etoile ne parle que de lampions et d’illuminations; il paraît qu’on lui a fait voir trente-six mille chandelles.


PETIT DIALOGUE.

—Qu’est-ce que le ministère?

—Un éteignoir.

—La Charte?

—Un lampion.

—Le peuple?

—Un pétard.


Chaque année, le 12 avril, anniversaire de la rentrée de Charles X à Paris en 1814, la garde nationale faisait seule le service des Tuileries et était passée en revue par le roi. Cette année (1827), le 12 tombait un jeudi saint; la revue fut donc remise au lundi de Pâques, 16 avril. Dès le matin de ce jour, des détachements de toutes les légions arrivèrent aux Tuileries pour le service exceptionnel; dans l’après-midi, le roi, suivi du Dauphin, les passa en revue. Il y eut un tel enthousiasme, on cria: Vive le roi! avec une telle unanimité, que Charles X sembla regretter de n’être pas entouré de la garde nationale tout entière.

Les gens qui entouraient le roi saisirent cette idée. Ils affirmèrent au roi qu’ils étaient en mesure de répondre des bons sentiments de toutes les légions, et, séance tenante, il fut décidé que, le dimanche 29 avril, Charles X passerait en revue toute la garde nationale de Paris, réunie au Champ de Mars.

Cette décision prise, annoncée par les journaux, ceux même qui l’avaient conseillée furent pris de doutes et de craintes. Mais il n’y avait plus à y revenir. Les ministres surtout, dont on n’avait pas pris conseil, ne cachaient pas leurs appréhensions.

Au jour dit, vingt mille hommes étaient rangés devant l’École Militaire. Les tristes prévisions des pessimistes ne furent pas réalisées, tout se passa convenablement. Peut-être y eut-il plus de cris de vive la Charte! que de cris de vive le Roi! mais, en somme, de l’avis même de Charles X, la journée fut bonne.

Mais, après la revue, un événement arriva qu’on n’avait pas prévu. Il y eut des manifestations bruyantes contre les ministres. Des bataillons entiers de gardes nationaux s’arrêtèrent devant les ministères et, là, «firent entendre les cris mille fois répétés de vive la liberté de la presse! à bas les jésuites! à bas les ministres! A ces clameurs se mêlaient aussi les cris de à bas Peyronnet! à bas Villèle!

Les ministres virent dans ces manifestations un attentat à leur dignité, ils résolurent de se venger. Ils persuadèrent au roi que la majesté de la couronne était compromise; bref, ils identifièrent si bien leurs intérêts et leur orgueil offensé avec les intérêts et la gloire de la monarchie, que, le soir même, on rédigea une ordonnance de licenciement. Tous les postes furent changés; la garde nationale était dissoute.

Il était dit que ce malheureux gouvernement marcherait de faute en faute et briserait l’un après l’autre tous ses appuis. En se privant de la garde nationale, ce corps si essentiellement modérateur, il s’ôtait, pour les jours néfastes, toute chance d’intermédiaire, tout espoir de transaction. Voilà pour l’avenir. Pour le présent, chaque citoyen se crut atteint dans sa dignité, et la garde nationale, qui avait donné à la famille régnante tant de marques de sympathie, passa en masse à l’opposition.


COUPS DE LANCETTE.

Il y a des gens qui ne veulent laisser entrer demain, au Champ-de-Mars, que les personnes qui auront un bâillon dans la bouche.

*
* *

En passant près du château de Rivoli, les tambours de la garde nationale battront la retraite.

*
* *

On assure qu’ils vont partir enfin tous les sept: ce ne sont pas des gens de revue.

*
* *

L’Etoile nous dira probablement aussi que le soleil du 29 était un faux soleil.

*
* *

Les directeurs de spectacles ont rayé de leurs répertoires: Une nuit de la garde nationale.

*
* *

On vendait hier la complainte de la garde nationale. On ne lui fait pas moins d’honneur qu’à tous les autres condamnés.

Malgré la colère de 24,000 hommes contre sept, ceux-ci sont parvenus à les désarmer.—Ce que c’est que les bons procédés.

*
* *

On ne dit pas que les musiciens de la garde nationale aient exécuté l’air de la Victoire est à nous.

*
* *

Sept personnes, à Paris, ont pensé que la journée d’hier serait orageuse, et n’ont pas mis le nez dehors.

*
* *

On peut dire, moralement parlant, qu’ils ont été traînés sur la claie par l’opinion publique.

*
* *

Hier, des millions de cris de: Vive le roi! ont prouvé à certains détracteurs que la reconnaissance est une vertu nationale.


ÉPITAPHE.

Notre garde civique a reçu son congé,
Mais un beau grenadier, oublié par mégarde,
Veut, dit-on, faire encor son service obligé.
Espérons que bientôt il descendra la garde.


COUPS DE LANCETTE.

Nous étions vingt mille à jouer l’écarté contre sept; nous avions quatre points de chaque côté, un des sept a tourné le roi, et nous avons perdu la partie.

*
* *

La meilleure rime à ministre est sinistre.

*
* *

La garde meurt et... les ministres restent.

*
* *

On vient de publier une biographie de tous les bons ministres de France. Cet ouvrage n’est pas long.

*
* *

On ne dit plus: Revue, augmentée et corrigée, mais revue et licenciée.

*
* *

Il y a sept loges vacantes à Charenton. Allons, messieurs...

*
* *

Ces messieurs conviendront au moins qu’ils ne nous gouvernent pas gratis.


Vendredi, 11 mai 1827. - DIALOGUE ENTRE DEUX HABITS.

PREMIER HABIT.

Loin de moi, vil roturier!... Que viens-tu faire en ces lieux?

DEUXIÈME HABIT.

Moisir à tes côtés, confrère.

PREMIER HABIT.

Quoi! l’habit d’un vilain et l’habit d’un noble attachés au même croc! Quelle honte!

DEUXIÈME HABIT.

Il n’y a pas de noblesse qui tienne, mon ancien; ici, tous les habits sont égaux, et les vers ne font aucune distinction.

PREMIER HABIT.

Oses-tu bien te comparer à moi, misérable elbeuf?

DEUXIÈME HABIT.

De quelle étoffe es-tu donc, pour te montrer si fier?.... A la poudre, jadis blanche, qui te couvre, à la crasse épaisse qui cache toutes tes coutures, je parierais presque que tu as appartenu à quelque tête à perruque?

PREMIER HABIT.

Ces galons d’or et d’argent, sous lesquels se cachent encore mes coutures, ne t’apprennent-ils pas assez quel fut jadis mon rang dans le monde?

DEUXIÈME HABIT.

Je n’y vois que les insignes d’une ridicule livrée.

PREMIER HABIT.

Je fus, tour à tour, l’habit d’un jacobin, d’un chambellan et d’un ventru.

DEUXIÈME HABIT.

C’est-à-dire que tu as changé de forme et de couleurs, suivant la circonstance. Enfin, pour trancher le mot, tu n’es qu’un habit retourné...

PREMIER HABIT.

Mais toi, qui es-tu?

DEUXIÈME HABIT.

Je fus pendant longtemps l’honneur de la France. Hélas! hier encore, chacun me regardait avec respect.

PREMIER HABIT.

Ne serais-tu pas un de ces habits séditieux qu’on vient de licencier? Je crois te reconnaître à ton uniforme.

DEUXIÈME HABIT.

Précisément.

PREMIER HABIT.

C’est cela; et en passant sa garde-robe en revue, ton maître, en homme prudent, t’as mis à la réforme. Encore, si comme moi tu avais des titres?

DEUXIÈME HABIT.

Eh! n’en ai-je pas à la gloire!

PREMIER HABIT.

Où les as-tu gagnés?

DEUXIÈME HABIT.

A la barrière de Clichy!

PREMIER HABIT.

Et moi, dans l’antichambre des ministres.

DEUXIÈME HABIT.

Il paraît que tu as du service, car tu es furieusement râpé?

PREMIER HABIT.

Pas tant que toi, mon petit ami; tu es troué en plusieurs endroits.

DEUXIÈME HABIT.

Ce sont d’honorables cicatrices!

PREMIER HABIT.

Parbleu! et moi aussi, je porte des cicatrices!

DEUXIÈME HABIT.

Oui, dans le dos... c’est juste, quand on se sauve...

PREMIER HABIT.

On m’a vu plus d’une fois exposé au feu de mainte batterie.....

DEUXIÈME HABIT.

De cuisine, tu veux dire?... car les taches de graisse qu’on aperçoit sur toute ta personne le prouvent assez..; ce sont les seuls chevrons qui servent à marquer tes années de service... à la table de nos grands seigneurs s’entend.

PREMIER HABIT.

Insolent!... je ne sais qui me retient... si ce n’était ce porte-manteau!...

DEUXIÈME HABIT.

Allons, ne t’emporte pas..... ou va secouer tes vers plus loin....

PREMIER HABIT.

Heureusement que voici deux honnêtes chalands qui, en m’achetant, vont me délivrer de ton ennuyeuse société.

DEUXIÈME HABIT.

Que feraient-ils de toi?... tu n’es bon maintenant qu’à revêtir le jocrisse de quelque escamoteur!

PREMIER HABIT.

Penserais-tu par hasard que c’est de toi qu’ils viennent faire emplette?... ne sais-tu pas que te voilà condamné à languir chez le fripier...

DEUXIÈME HABIT.

Patience, j’en sortirai peut-être plus tôt que tu ne crois!


COUPS DE LANCETTE.

Quand nous fera-t-on une opération, pour nous délivrer des sept plaies qui nous rongent!

*
* *

Il y a des gens qui regardent une charge de cavalerie comme une potion calmante.


ALLOCUTION MARTIALE D’UN GUERRIER SOI-DISANT FRANÇAIS.

Prafes militaires, ché afre à fous endredenir té fos exbloits querriers pour les bressent, les bassé et les fitir. Fous afez azommé cet honnête monsir qui édait mort et que nous afons clorieusement roulé tans le poue. Che fous endredientrai encore de ce pon monsir de Reck..., qui afre été chifflé comme ein chéçuite par cet betites bolissonnes, qui afoir li lé Chan-Chaques et lé Foltaire, que sti pon monsir Quillon n’avre pas prilé toute. Cté prafe monsir Reck..... qui était ein tuer de chans, afec bermission té la vagulté, s’en allait toute pêtement dans sa capriolete afec ein betit accompagnement de pons gentarmes, quand, sir lé bont Sainté-Migel, les betites bolissonnes lui fouloir faire brendre ein pain éburadoire. Lui qui avre bas cette vandaisie s’en être allé à la bolice, où sti monsir Reck... il était sir dé drouver des amis.

Pentant ce demps-là, les pons chantarmes boursuifaient les betites bolissonnes jusque tans le nachement afec tes crands goups de sapre, à l’imidazion te vos exbloits à Presth. Poucre té chien! saberlotte, camarates! nous ne avre pas été là! Cette avaire qui se bassait tans l’eau a été firiesement chaude, héréissement qu’il n’y afait pas peaucoup te gemin bour aller à la Morgue, lé pataille abrès huit heures il était finite, barce que la nuit afoir rentu les étudiants plus tifficîles à drouver qu’ein lococriphe.

Foilà, gamarades, ce que je afre à fous tire; cette betite succès a falu touple bortion aux prafes chantarmes qui ont diré le sapre. Aux armes! que la régombense enflamme fotre gourache: Montrouche brébare la botage.


COUP DE LANCETTE.

M. de C... prépare un ouvrage qui portera ce titre: Des coups de sabre, et de leur influence sur l’instruction de la jeunesse.


LES GENDARMES.

Air: Moi je flâne.

Des gendarmes! (bis)
Qu’on apaise mes alarmes!
Des gendarmes! (bis)
J’en mourrais, je croi,
D’effroi.

Depuis nos saints mandements,
Nos lois et notre ordonnance,
Partout on déclame en France
Contre nous et nos trois cents.
Etouffons leurs cris sinistres!
Quand le roi garde pour lui
Leur amour... que les ministres
Conservent pour eux celui
Des gendarmes, etc.

Dans la poche des vilains,
Monsieur Law, que je révère,
Pendant son beau ministère,
Jadis puisait à deux mains.
Et d’un déficit frivole
On accuse mon budget!
Pour leur couper la parole,
Vite, mettons au complet
Des gendarmes, etc.

L’autre jour j’ai cru, ma foi,
Forcer la gauche au silence
En assurant que la France
Avait grand besoin de moi.
Mais cette race endurcie
Raisonne au lieu d’obéir,
Et parle encor de patrie...
Ah! c’est à n’y plus tenir.
Des gendarmes, etc.

Partout de mauvais propos
Sur P... et sur sa milice;
Point d’égards pour ma police,
De lecteurs pour mes journaux.
De leurs lois, quand je m’écarte,
Un orateur factieux
Me crie aussitôt: la Charte!
Cela devient ennuyeux.
Des gendarmes, etc.

Pour encourager les arts,
Pour surveiller la science,
J’ai choisi par conscience
Vidocq et ses bons mouchards.
Si nos écoles rebelles
Allaient montrer de l’humeur,
Ce sont de jeunes cervelles,
Prenons-les par la douceur...
Des gendarmes, etc.

En dépit de mon savoir,
De mon talent (je m’en flatte),
Paris et la France ingrate
Maudissent notre pouvoir.

Mais à ce Paris que j’aime,
Malgré plus d’un vilain tour,
Pour montrer aujourd’hui même
Ma justice et notre amour...

Des gendarmes! (bis)
Qu’on apaise mes alarmes!
Des gendarmes! (bis)
J’en mourrais, je croi,
D’effroi.


COUP DE LANCETTE.

On est étonné que M. de Cl..... T..... n’ait pas parlé sur la poudre; ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il ne l’a pas inventée.


CONVERSATION A HUIS-CLOS ENTRE LE VENTRE ET LA CONSCIENCE.

La conscience.—Dormez-vous, monsieur le Ventre?

Le ventre.—Non, mais je digère en silence.

La conscience.—Causons un peu.

Le ventre.—Il vous convient bien, madame la Conscience, d’élever aujourd’hui la voix, depuis plus de dix mois que vous vous taisez!

La conscience.—Dites donc que depuis six mois vous riez si fort, qu’il ne vous a pas été possible de m’entendre.

Le ventre.—Le beau plaisir, d’écouter les sons de votre voix rauque!

La conscience.—Ma voix vous déplaît, je le sais, vous craignez des reproches!

Le ventre.—Des reproches de ta part, misérable Conscience! c’est bien à une paresseuse comme toi de blâmer la conduite d’un personnage aussi courageux que je le suis. Sais-tu que j’ai failli crever plus d’une fois au service de M. le baron?

La conscience.—Oui! je vous conseille de vous vanter de vos exploits; ils ont été bien utiles à notre maître commun.

Le ventre.—Eh! s’il n’avait suivi que tes instructions, serait-il aujourd’hui l’un des plus éminents personnages du département?...

La conscience.—Il eût marché droit.

Le ventre.—A pied, comme un pauvre diable; je le fais aller en voiture.

La conscience.—Sa maison serait encore le modèle de l’heureuse obscurité.

Le ventre.—Et son brillant hôtel serait encore à bâtir.

La conscience.—Ah! s’il m’eût écouté, comme je serais belle encore!

Le ventre.—Égoïste! tu parles pour toi; ne te fâche donc pas si j’ai cherché à m’arrondir.

La conscience.—A mes dépens.

Le ventre.—Tu voulais bien me faire tort, pour te parer!

La conscience.—Plus j’étais pure, et plus je le rendais heureux.

Le ventre.—Plus je suis gros, et plus il avance dans la carrière des honneurs.

La conscience.—Va, on vit toujours mal en te prenant pour guide.

Le ventre.—On meurt de faim en se nourrissant de ta viande creuse.

La conscience.—Tu es un mauvais conseiller.

Le ventre.—Et toi, une détestable cuisinière.

La bouche.—A l’ordre! j’ai tenu la balance pendant la discussion, et je donne ma voix au Ventre. Ainsi, Conscience, tais-toi!


COUPS DE LANCETTE.

Ces messieurs méritent le cordon, monseigneur l’accorde.

*
* *

Il y a des cordons-bleus qui ont rougi.

*
* *

On les a mis au bleu, c’est au vert qu’il fallait les mettre.

*
* *

M. de Cumulando est devenu très-riche en visitant les pauvres.

*
* *


Jusqu’au jour où nous sommes arrivés,—16 juin 1827,—la vignette du Figaro représentait le héros de Beaumarchais un genou à terre et prenant des notes. Aujourd’hui, la vignette change, un nouveau personnage paraît. Figaro est debout et, d’une batte qu’il tient à la main, il menace Basile. Une épigraphe explique l’intention: «Ah! Basile, mon mignon, si jamais volée de bois vert!....»

Mettre ainsi en scène Basile avec son costume traditionnel, était certes un coup de maître pour la popularité. Mais quelle audace!... La rédaction, qui prévoit un danger, court au-devant de toutes les accusations, et, dans l’article qui suit, ravissant d’esprit et de finesse, explique le changement survenu tout à coup.

BASILE ET FIGARO

FIGARO (se relevant).

Allons! debout, les insectes ne rampent plus, ils volent; levons-nous pour les atteindre; leur nature qui les attire vers la terre, les empêchera bien de s’élever à la hauteur de l’homme libre.

BASILE (arrivant).

Ah! coquin de Figaro! Eh! que vois-je? il a changé de position.

FIGARO.

Pourquoi non? Ma vocation n’est-elle pas d’arracher le masque aux gens de ton espèce, à quelque étage qu’ils soient logés? Comme je t’ai suivi dans toutes tes bassesses, je te suivrai dans toutes tes transfigurations.

BASILE.

Tu n’es pas au bout de tes courses.

FIGARO.

Aussi ai-je acheté un cabriolet pour courir plus vite.

BASILE.

Figaro, tu cours après le chaland, car tu fais réparer ta maison: plus un magasin change d’enseigne, moins il prospère.

FIGARO.

Ne devais-je pas te manifester ma reconnaissance pour toutes les sottises que tu me mets à même d’offrir quotidiennement au public?

BASILE.

Ma figure t’a donc paru quelque chose de bien neuf à présenter à tes lecteurs?

FIGARO.

Je leur rends service; lithographier les imposteurs, c’est mettre un fanal sur l’écueil.

BASILE.

Encore si c’était mon visage, ma tournure... Non, tu as voulu commettre une impiété, te jouer avec les choses saintes; car cette vignette représente....

FIGARO.

Basile.

BASILE.

Elle représente Tartufe.

FIGARO.

C’est chicaner sur les mots.

BASILE.

Sois tranquille, MM. Devéria, Thompson et toi, vous pouvez compter sur.....

FIGARO.

Quelque petite dénonciation pour t’avoir fait ressemblant.

BASILE.

Oh!.... ressemblant... Quand m’as-tu vu si penaud?

FIGARO.

Quand, au milieu du parterre de l’Odéon, tu fus obligé d’applaudir à la première représentation de l’Homme habile, sous peine de laisser tes oreilles dans la salle.

BASILE.

La pièce me plaisait.

FIGARO.

Tu avais cette figure lorsqu’un de tes bons amis se fit condamner aux dépens pour avoir attaqué en diffamation certain rédacteur qui ne l’avait désigné que par ta profession.

BASILE.

On n’aime pas à se voir écorché dans la peau d’un confrère; et puis, l’esprit de corps...

FIGARO.

Enfin, tu n’es jamais moins laid que cela lorsque tu apprends qu’un honnête homme prospère, qu’un fripon est tombé, qu’un traître fait banqueroute, qu’un absolutiste est censuré et qu’un intolérant reçoit sur les ongles. Te voilà, lorsqu’un tribunal déclare que des traits malins ne sont point des crimes; lorsqu’un ministre, que tu croyais à bas, apprend que tu le calomniais déjà chez son successeur supposé. Oui, tu es ressemblant, on t’a peint le jour où Royer-Collard fut admis à l’Académie et le soir où Paris vainquit les ombres de la nuit par des milliers d’illuminations.

BASILE.

Ah! drôle! jacobin! athée! scélérat! voleur! hérétique!....

FIGARO (le menaçant).

Ah! Basile, mon mignon, si jamais volée de bois vert.....


COUPS DE LANCETTE

M. de V. se croit plus grand que la girafe.

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* *

M. de P. veut armer la main de la justice d’une paire de ciseaux.

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M. de T. réclame les deux derniers volumes d’un roman intitulé: les Trois Soufflets; il n’en a reçu qu’un.

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Les élèves de M. Récamier aiment mieux aller en prison qu’à son cours.

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MM. les gendarmes n’aiment pas les trottoirs, cela n’est pas commode pour les chevaux.


LE JOURNALISTE EMBARRASSÉ.

Malgré toutes ses précautions oratoires, Figaro ne put maintenir Basile sur sa vignette. Ordre lui fut donné de retirer «cette impiété.» Comment faire? s’obstiner? c’était risquer l’existence du journal avec quatre-vingt-dix-neuf chances contre soi. S’avouer vaincu? c’était dur. Il y eut des hésitations, et, en attendant d’avoir trouvé un faux-fuyant ou pris un parti, Figaro n’imagina rien de mieux que de laisser en blanc la place de sa vignette. Ce jour-là, il débuta par un article d’allusions devenues obscures, dont le titre était: le Journaliste embarrassé, et qui commençait ainsi:

Allons, Figaro! toujours plus fort que les circonstances, taille ta plume, bats-toi les flancs et fais un bon article. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Basile n’avait été en scène que dix jours. Pendant trois numéros encore, l’entête du journal reste en blanc. Enfin, ne trouvant aucun joint, Figaro se décide à en revenir à son ancienne gravure; il chasse Basile, «jusqu’à des jours meilleurs.»

BASILE CHASSÉ

J’ai donc résolu de lui donner son compte; mais généreusement, il lui est encore redû de l’arriéré en coups de bâton; je ne le lui payerai pas...


COUP DE LANCETTE.

On parle d’un mendiant bohémien qui demandait dernièrement l’aumône, dans les rues de Prague, à coups de canon. Nous avons déjà vu beaucoup de mendiants aussi hardis que celui-là.


TABLETTES PERDUES AU CAFÉ DES VARIÉTÉS.

—Ces journalistes croitent pouvoir faire un ouvrage dramatique parce qu’ils ont de l’esprit! ils ne savent pas seulement avaler un petit verre d’eau-de-vie!

—Notre pièce d’hier est enfoncé; c’est égal: j’enverrai deux cents billets au chef de cabale, et je prandrai un abonnements au Mentor.

—Mademoiselle C*** n’a pas voulé allée à la répétitions; j’ai parlé au directeur, il a fallu qu’elle y aille.

—La somme que m’a rapporté mon dernier vaudevilles n’est pas assez conséquente.

—Dire au caissier du théâtre de m’avancer cinquante franc sur la piesse en répétition.

—Il faut absolument que nous cherchions à évinser ce blanbèque de journaliste qui veut se familiarizé avec les membres du comité.

—Faire recopier le vaudeville qui a été ressu à correxion; ajouter un couplet de factures, et faire un raccords à la quatrième seine; ils n’y verrons que du feu.

—On a refusé ce matin une piesse d’un auteur inconnue; il y a de bonne idée; tâcher de m’en rappeler pour les insérer dans mon J***.

—B*** a fait ce matin un bon calembourt au café Dév...; ça ferat le trait de mon vaudeville finale.

—Econduire le jeune auteur qui m’a consultée sur sa piesse; lui faire accroire qu’elle ne présente pas d’élémant de suxès. Dire au piocheur de faire un scénarios là-dessu.

—Relire attentivement le trêté des participe, à cause de ces maudit journalistes. Et répondre à la lettre que m’a écrit le directeur.


COUPS DE LANCETTE.

M. Pellet a déposé deux exemplaires de son Cours d’orthographe usuelle au café des Variétés.

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* *

«Les imprimeurs devraient bien savoir l’orthographe,» disait un vaudevilliste bien connu.

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* *

—Quelque chose que fassent les journalistes, disait un vaudevilliste, j’aurai toujours l’avantage sur eux.

—Je crois bien, lui répondit-on, vous faites des pièces, et ils sont obligés de les écouter.

*
* *

On demandait à M*** pourquoi il n’exposait pas au Louvre, puisque les vaudevilles sont des objets d’industrie.

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* *

Par jugement du tribunal de police correctionnelle, il est convenu que les vers d’un opéra valent quelque chose. MM. B. S. J. R. seront contents d’apprendre cette nouvelle.

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* *

On me reproche de ne pas savoir le français, disait M. B...; eh! mon Dieu! Cicéron ne le savait pas plus que moi.

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* *

Un vaudevilliste qui sait l’orthographe est persuadé qu’un journal a voulu faire son portrait en publiant un article intitulé: Le vin et le lait.


Dimanche, 12 août 1827. - DÉSAUGIERS.

Quand il vint, personne ne chantait plus en France; c’était partout la terreur et le silence, c’était une stupeur générale au milieu de laquelle notre gaieté s’était perdue comme tout le reste. Naguère si vif, si animé, si emporté dans ses plaisirs, le Parisien ne savait plus que trembler; et quand il entendit la voix du chansonnier créant de joyeux refrains, il recula, étonné de cet enchantement nouveau pour lui.

Car, en vérité, les chants de Désaugiers furent dès l’abord tous empreints de la franchise de son âme. Plein d’insouciance et de verve, il ne vit la vie qu’à travers un prisme couleur de rose. Poète du plaisir, il chanta comme Horace le vin, les fleurs, les femmes, l’amitié, et tous les dons que les dieux ont faits aux hommes pour leur faciliter l’existence.

Comme Horace, il s’éleva dans une époque atroce; comme lui, il servit merveilleusement la nation lorsque, de sang-froid, elle voulut revenir à son caractère primitif. Telle est la destinée des empires; après tant de bouleversements et l’interversion de la terre, il se fait que la main d’un poëte, une main faible et timide, se trouve toute-puissante pour faire avancer le char de la civilisation encombré dans des ruines.

Aussi, Désaugiers aura la seule récompense digne du poëte; il prendra place parmi les élus de la nation. Il vivra dans la mémoire tant qu’il y aura de la grâce chez nos femmes, de l’esprit parmi notre jeunesse; tant que les vers d’Anacréon seront regardés comme le résultat le plus heureux de la philosophie de tous les siècles.

Mais aujourd’hui ses amis pleurent sur sa tombe; la beauté a quitté ses guirlandes de fleurs; Thalie, éplorée, regarde ses blessures récentes. Hélas! depuis la mort de Panard, elle n’avait jamais ressenti une perte plus irréparable et plus cruelle!

Adieu, adieu, l’auteur de tant de charmants refrains! de tant d’ouvrages délicieux! adieu l’esprit, la verve, la gaieté, la franchise, le Vaudeville n’est plus!!!

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
«Bon Désaugiers, avec philosophie,
«Même en mourant, dit-on, tu conservais
«Ce calme heureux que n’altéraient jamais
«Les douleurs de ce mal qui consumait ta vie.
«Vas te placer sur l’Hélicon,
«Asile du génie et du talent modeste.»
Et nous, pleurons sa mort... Mais Béranger nous reste.
Consolez-vous, amis de la chanson.

*
* *

Les jours meilleurs prévus par Figaro sont venus; les obstacles ont été levés. De nouveau Basile reparaît sur la vignette, tenu en respect par le bâton du barbier. Il y restera cette fois jusqu’au dernier jour.


Mercredi, 7 novembre 1827. - LE RETOUR DE BASILE.

BASILE, à la porte de Figaro, battant la semelle et soufflant
dans ses doigts
.

Diantre soit de l’événement! Moi qui comptais me chauffer tout l’hiver avec les rognures!... Mettre ainsi un pauvre homme à la porte! Il faut que je vive... Je sais bien que tout le monde n’en voit pas la nécessité... Allons Basile, mon ami, changeons de gamme; faisons comme l’abbé Pellegrin... Je ne me montrerai pas exigeant. Voilà ma pétition en deux mots: Le coin le plus éloigné du feu, les miettes de la table; et puis ce que je demanderai, ce qu’on me donnera, avec ce que je prendrai. Voilà tout ce qu’il me faut; j’en serai quitte pour quelques coups de lancette, mais le froid pique plus que cela: on peut mourir de faim, mais on ne meurt pas de honte. Frappons. (Il frappe.)

FIGARO.

Entrez! Bienvenu, qui arrive aujourd’hui...

BASILE.

Allons, c’est encourageant. (Il entre.)

FIGARO.

Comment! c’est toi, misérable?

BASILE.

Je suis content de toi; on voit que tu reconnais tes amis, même après leur disgrâce.

FIGARO.

Est-ce encore une mauvaise nouvelle que tu viens m’apporter?

BASILE, jetant sur la table une paire de ciseaux brisés[4].

Hélas! oui, bien mauvaise!

FIGARO.

Voilà un bien heureux malheur! Et que veux-tu que je fasse de cela?

BASILE.

Deux lancettes, en aiguisant les morceaux; c’est encore un assez joli cadeau, car ils sont d’une trempe excellente: tu dois en savoir quelque chose.

FIGARO.

Coquin! il serait donc vrai? tu étais...

BASILE, tombant aux pieds de Figaro.

Ah! mon ami, tu ne sais pas ce que c’est que la faim!

FIGARO.

Qui te défendait de vivre en honnête homme?

BASILE.

On fait si maigre chère!

FIGARO.

Te voilà pourtant bien plat.

BASILE.

Bien volé...

FIGARO.

J’entends... ne profite jamais.

BASILE.

Au contraire... profite toujours; mais il ne faut pas qu’on vous coupe la digestion si brusquement.

FIGARO.

Ah! ça, tu comptes t’en aller sur-le-champ?

BASILE.

Pas si bête! Je viens reprendre mon emploi.

FIGARO.

Tu as bien de l’audace!

BASILE.

C’est le mérite de ceux qui n’en ont pas d’autre. D’ailleurs, tu penses bien que j’ai profité de ma position: je sais une foule de choses divertissantes et curieuses; j’étais à la bonne source. Tiens (tirant de sa poche plusieurs rognures de papier), voilà ce que toi ni tes confrères n’avez pu dire. Ecoute: On vient de mettre en vente l’Histoire des Favorites des rois de France, par M. de Châteauneuf. Tu sens qu’il ne faut pas mettre l’immoralité au rabais, afin que l’ouvrier puisse l’apprendre à bon marché.

FIGARO.

Comment! des mœurs, Basile?

BASILE.

Oh! non: affaire d’argent; j’en ai cinq exemplaires. Tiens! et cette Bigarrure, devions-nous permettre qu’elle fût connue? «Un vieillard privé de sa raison et en butte aux outrages des polissons de Marseille; ils le poursuivent dans les rues, l’entourent et le questionnent, puis accueillent ses réponses avec les éclats d’un rire ironique. Ce malheureux dont les habits sont en lambeaux, fut un des chimistes les plus distingués de la France: il dirigeait à dix-neuf ans une de nos premières manufactures. Couronné dans plusieurs académies, il est auteur de plusieurs mémoires traduits dans toutes les langues. L’Académie de Lyon a dit de lui qu’il avait créé la langue des sciences; il est frère de M. Quatremère de Quincy, et, comme tel, membre de l’Académie des sciences...» Sans doute, il y avait du bon dans la publicité de cette infamie; mais l’amour du prochain se révolte...

FIGARO.

Comment! de l’humanité, Basile?

BASILE.

Point... point, affaire de scandale. Maintenant, regarde ceci, Procès de Contrafatto. C’était une plaie trop douloureuse pour les âmes qui ont de la piété.

FIGARO.

Comment! de la religion, Basile?

BASILE.

Tu n’y es pas, cela me touchait personnellement. Affaire de costume. Tu vois bien que si j’ai empêché le mérite de parvenir, si j’ai tenu secrète l’apparition d’un bon livre, si j’ai exploité le silence au profit de quelques intrigants et même de quelques fripons, il y avait au fond de tout cela de ces arguments...

FIGARO.

C’est juste, mais écoute: j’ai une excellente idée.

BASILE.

Voyons.

FIGARO.

Il faut que je commence par une bonne action.

BASILE.

Envers moi?

FIGARO.

Envers toi: je t’attache...

BASILE.

A la rédaction du journal?

FIGARO.

Au pilori; je te mets en tête de ma feuille, et chaque matin... Ah! Basile, mon mignon, si jamais volée de bois vert!


COUPS DE LANCETTE.

Maintenant que je triomphe, a dit le maréchal S... à ses valets, déposez vos.... cierges!

*
* *

Paris n’est plus qu’un faubourg de Montrouge.


ÉPITAPHE.

Ci-gît un maréchal de dévote mémoire,
Qui lisait son bréviaire avant d’aller au feu;
Pour monter aux honneurs on dit qu’il crut en Dieu,
Et qu’on lui paya cher cette œuvre méritoire.
Pour mourir en chrétien, ce héros circoncis
Se fit ensevelir dans un sarreau de serge,
Puis il entra tout droit en paradis
A cheval sur un cierge.

*
* *

Depuis le commencement de cette année 1827, M. Villèle sentait le pouvoir lui échapper. Bien des fois déjà sa position avait été menacée, mais jamais aussi sérieusement. Toujours quelque compromis l’avait sauvé. Il est vrai que, pour se maintenir, il n’avait reculé devant rien. Depuis longtemps il avait fait litière de ses convictions et de ses principes. Lui, qui se flattait de gouverner, il n’avait jamais fait qu’obéir à la pression du parti le plus fort. Sa carrière ministérielle ne fut qu’un long sacrifice à sa dévorante ambition.

Mais, à la fin de la session de 1827, il comprit au vide qui se faisait autour de lui que l’heure de sa chute était proche. Il récapitula les défaites du ministère et fut épouvanté. Un ambitieux, cependant, ne rend pas les armes sans combat; M. de Villèle se résolut à frapper un grand coup, à oser. L’heure des concessions était passée; toutes les combinaisons, toutes les tentatives étaient usées; un coup d’État pouvait seul lui conserver le portefeuille. Mais ce qui, dans sa pensée, devait le sauver le perdit. Lui-même hâta sa ruine en précipitant les événements.

Six mois avaient suffi au ministère pour perdre sa majorité dans la Chambre élective; la Chambre des pairs résistait en face.

M. de Villèle entreprit de briser ces deux oppositions. D’un seul coup, soixante-seize pairs furent nommés. Cette fournée devait rendre la majorité aux ministres du roi. Le même jour, une autre ordonnance prononçait la dissolution de la Chambre et convoquait les colléges électoraux pour nommer de nouveaux députés.

Protégé par la censure,—retirée par ordonnance du même jour,—M. de Villèle avait eu le temps de préparer les départements, ses agents intriguaient partout, il se croyait sûr des élections.

Les événements allaient tromper son attente.


COUPS DE LANCETTE.

On a beau agrandir la chambre, elle sera toujours moins large que leur conscience.

*
* *

On annonce que M. Comte part pour les départements. Il va donner des leçons d’escamotage.

*
* *

M. de V. ne voit dans les élections qu’un jeu de cartes.


L’anecdote et les coups de lancette qui suivent sont une allusion à ce fameux Cabinet noir, qui empêcha tant de gens de dormir sous la Restauration. Violer le secret des lettres, et ouvertement encore, semblait chose toute naturelle.

ANECDOTE.

Un monsieur de la poste, un jour, par ignorance,
D’une lettre rompit le mobile cachet,
Pour voir, assurait-il, si les bourgeois de France
Avaient pour lui quelque secret.
Il fut pris sur le fait. Le cas était pendable;
Rien ne pouvait excuser le coupable:
Le peuple le plaignait. «Cessez, dit un intrus,
Ne plaignez pas ce roi des drôles,
Il a d’assez bonnes épaules
Pour porter deux lettres de plus.

COUPS DE LANCETTE.

Ils espèrent gagner la partie avec les valets.

*
* *

On espère que M. de V... n’arrivera jamais à la majorité.

*
* *

Ils brisent le cachet des lettres pour revenir aux lettres de cachet.


ÉPITAPHE DE STELLA MESSALINA, DE CHAMBER-BASSE,

Décédée le 6 novembre 1827.

D’un ministre corrupteur
Ci-gît la prostituée,
Bien et duement polluée
Par un vil entreteneur.
Hélas! des mœurs les plus pures
Brilla sa minorité;
Mais dans sa majorité
On ne trouva que souillures!
Chamber-basse fut son nom,
Basse, autant que se peut faire,
Fille de corruption,
Elle eut les traits de sa mère.


COUPS DE LANCETTE.

MM. Vil..., Corb.... et Peyr.... ne tiennent plus qu’à un fil; c’est le sort de tous les pantins.

*
* *

Que les ministres se sauvent, et la France est sauvée.


Dans l’opinion de M. de Villèle, la brusque dissolution de la Chambre et la convocation immédiate des colléges électoraux devaient assurer la nomination des hommes présentés par le ministère et lui rendre ainsi la majorité nécessaire. L’administration avait pu dresser à loisir et d’avance toutes ses batteries; l’opposition, prise au dépourvu, ne devait pas avoir le temps de se reconnaître et de se concerter. Ce fut la dernière erreur de M. de Villèle.

Ces mesures inattendues, hautement qualifiées d’embûches indignes, irritèrent profondément le corps électoral. L’indignation fit taire les scrupules et les dissentiments. Toutes les oppositions se donnèrent la main, toutes les opinions se rallièrent contre un ministère abhorré, dont on ne voulait plus à aucun prix. Les préfets essayèrent de renouveler les fraudes et les violences de 1824; peines perdues, leurs complices mêmes les abandonnèrent et les trahirent, entraînés par l’irrésistible courant de l’opinion. On devinait la défaite avant le combat.

A Paris, les huit candidats de l’opposition furent acclamés plutôt que nommés par une immense majorité. Le ministère ne fut ni surpris ni effrayé de ce résultat, il l’avait prévu. Restaient les départements, qui pouvaient tout sauver encore, le cabinet y comptait, mais que pouvait entraîner l’exemple de la capitale. Pour avoir plus facilement raison des départements, on résolut de les frapper d’épouvante. Le spectre de la Révolution, ressource suprême des tyrannies dans l’embarras, fut tiré de la boîte aux accessoires gouvernementaux, et c’est dans le sang que tomba le ministère Villèle.

La victoire remportée à Paris par l’opposition était à peine connue, que la ville s’illumina comme par enchantement. C’était le dimanche 28 novembre 1827.

Le lendemain, lundi matin, les journaux ministériels, en enregistrant la défaite du cabinet, parlèrent en termes amers de l’allégresse publique et prédirent les plus terribles événements. «Nous allons voir la Révolution à l’œuvre,» disaient-ils. Le soir même, leurs prédictions se réalisaient.

Le lundi soir, en effet, les illuminations furent plus brillantes que la veille, surtout dans les quartiers Saint-Denis et Saint-Martin. Là, par conséquent, se portait la foule. On criait, on tirait des pétards; mais, en somme, tout se passait le plus tranquillement du monde.

Il était déjà neuf heures du soir, les lumières s’éteignaient, la foule se retirait lentement, lorsque tout à coup éclata une de ces émeutes sans émeutiers comme savait, au besoin, en organiser la police. Une soixantaine d’individus à mines hétéroclites, qui firent subitement irruption dans la rue Saint-Martin, donnèrent le signal des désordres, ils brisaient à coups de pierres les vitres des maisons dont les illuminations s’étaient éteintes. Bientôt, ces violences ne leur suffirent plus: aidés de quelques désœuvrés et d’un assez grand nombre d’enfants, ils renversèrent les voitures que le hasard amenait dans cette direction et commencèrent des barricades. Les curieux, épouvantés, cherchaient à fuir; ils ne pouvaient; de tous côtés la rue était interceptée. Cependant, pas un agent de police ne paraissait, pas un gendarme; les postes voisins laissaient faire.

A onze heures seulement, la force publique donna signe de vie. Les faux émeutiers étaient loin. Il n’y eut, de la part de la foule, aucune provocation. Quelques cris de: A bas les gendarmes! poussés par des gamins, se firent seuls entendre. La troupe tira cependant, sans sommation, puis chargea. Il y eut des morts et des blessés. Quelques malheureux furent tués aux fenêtres, d’autres sabrés, tandis qu’éperdus ils s’enfuyaient par les rues latérales. A une heure, on entendait encore des feux de peloton.

Le lendemain, chose incroyable, les mêmes scènes se renouvelèrent. La police n’avait pris aucune mesure, elle n’avait même pas fait déblayer les rues Saint-Martin et Saint-Denis; les essais de barricades étaient toujours debout. Toute la journée, la circulation des voitures fut interrompue.

Puis, le soir, mardi, dès sept heures, les mêmes individus recommencèrent leurs attaques. Comme la veille, la police était absente. Les habitants de la rue demandèrent main-forte aux postes voisins; les postes refusèrent de sortir, ils avaient des ordres. Les bourgeois, alors, essayèrent de rétablir l’ordre eux-mêmes. Ils arrêtèrent quelques-uns des misérables et les conduisirent au poste; on les relâcha presque aussitôt.

Les barricades, cependant, allaient leur train. L’une d’elles, vis-à-vis du passage du Grand-Cerf, s’élevait presque à la hauteur d’un premier étage. Cette fois, les perturbateurs allèrent jusqu’à maltraiter quelques boutiquiers. Leur besogne faite, les misérables se retirèrent; puis, comme la veille, la troupe arriva de trois côtés à la fois. Les soldats ne trouvaient aucune résistance, n’importe, ils faisaient feu; les gendarmes sabraient. Jusqu’à une heure fort avancée de la nuit, la tuerie continua dans un rayon assez étendu. Il y eut des morts, un grand nombre de blessés.

Le lendemain, à Paris, la consternation fut grande, l’indignation plus grande encore. La capitale se leva en masse pour accuser la police, complice du ministère. Des plaintes furent déposées, la cour évoqua l’instruction. Mais, après trois mois d’enquête, le parquet fut obligé de rendre une ordonnance de non-lieu. C’était à la police de signaler les coupables, de les trouver; le pouvait-elle? Il resta prouvé qu’on avait tiré sur des citoyens inoffensifs, qu’on avait sabré des curieux et des passants: voilà tout.

Si, comme tout le fait croire, le ministère n’avait pas reculé devant un crime abominable, le crime ne lui servit de rien. Les électeurs des départements furent épouvantés, c’est vrai; l’opposition fut moins forte, mais elle conserva encore une majorité de plus de cinquante voix. C’était la chute du Cabinet, les ministres le comprirent. Le 26 décembre, les journaux annoncèrent le départ de M. de Villèle pour la Bretagne.


Mardi, 20 novembre 1827. - BIGARRURES.

Tout Paris a été illuminé hier; l’allégresse était au comble: les pétards éclataient de tous cotés, les feux de joie se multipliaient à l’infini; les rues Saint-Denis et Saint-Martin étaient resplendissantes de lumières. La présence inutile d’une cinquantaine de gendarmes à cheval a seule troublé cette grande fête de famille. En vain les priait-on de marcher au pas; un vieil officier, placé sur le flanc du détachement, a commandé à sa troupe de partir au grand trot, et, brandissant son sabre, on l’a entendu s’écrier: «Frappez! frappez-les!»

Cette scène de désordre avait lieu dans la rue Saint-Denis au coin de la rue Mauconseil.


Mercredi, 21 novembre 1827. - BIGARRURES

Dans la déplorable soirée d’avant-hier, M. Duvillard, officier de gendarmerie, de service au théâtre Feydeau, s’est permis d’éteindre à coups de pied quelques lampions placés à la porte du libraire Jehenne. M. Duvillard obtiendra sans doute une bonne note chez M. Franchet[5] pour cet acte de courage et de patriotisme.


COUPS DE LANCETTE.

La rue Saint-Denis va, dit-on, prendre le nom de rue des Boucheries.

*
* *

Quand la foule ne veut pas se retirer, on la somme.

*
* *

Autrefois il y avait guet à pied, guet à cheval; aujourd’hui, il y a guet-apens.

*
* *

On n’a tué personne; on a seulement envoyé quelques prévenus devant leur juge naturel.


Jeudi, 22 novembre 1827. - L’AVEUGLE ET SON FILS.

L’AVEUGLE.

Viens par ici, mon enfant; j’entends des cris de joie. Il y a bien longtemps que les accents de l’ivresse populaire ne sont parvenus à mes oreilles.

L’ENFANT.

Oh! papa, si tu pouvais voir combien les maisons sont brillantes! Neuf heures du soir viennent de sonner, et l’on se croirait au milieu d’un beau jour.

L’AVEUGLE.

J’ai souvenance que dans mon jeune temps les habitations des citoyens étaient souvent ornées de semblables lumières; mais ce n’était pas toujours une preuve d’allégresse.

L’ENFANT.

Je sais ce que tu veux dire; mais alors on n’apercevait qu’aux premiers étages la lueur vacillante de quelques lampions; les grands hôtels seulement étaient éblouissants de clarté, tandis qu’aujourd’hui un cordon de feu brille aux lucarnes de toutes les mansardes.

L’AVEUGLE.

Aux mansardes mêmes! c’est une fête nationale; le pauvre n’illumine pas par ordre. Avançons.

L’ENFANT.

Entends-tu le bruit des pétards?

L’AVEUGLE.

On les a prohibés. Et comment des hommes qui devraient jouir paisiblement d’un bienfait ou d’une conquête.....

L’ENFANT.

Ce ne sont pas des hommes, papa, ce sont des enfants comme moi, qui, voyant leurs pères heureux, veulent aussi prouver leur allégresse. Nous n’avons pas la voix assez forte; un pétard, cela fait du bruit!

L’AVEUGLE.

Cela peut faire du mal, et l’on se croirait en droit de réprimer fortement la joie du peuple pour un léger accident causé par des têtes sans cervelle: peut-être même profiterait-on de l’imprudence de quelques inexpérimentés pour mêler à eux des gens qui auraient une vengeance à exercer, des haines à assouvir.

L’ENFANT.

Tu as raison, mon père, car je viens de voir passer près de nous une foule d’hommes en guenilles qui viennent de lancer leurs fusées dans les vitres des maisons voisines. Entends-tu le bruit des carreaux que l’on casse?

L’AVEUGLE.

Il y a des lois; les malfaiteurs seront punis.

L’ENFANT.

Cependant, mon père, ils viennent de se ranger pour laisser passer une patrouille, et celle-ci ne leur dit rien.

L’AVEUGLE.

Le peuple ne se réjouit pas souvent, on ne veut pas troubler ses plaisirs.

L’ENFANT.

Ah! mon Dieu, papa, combien de soldats viennent au loin.

L’AVEUGLE.

N’aie pas peur, mon enfant; on a besoin souvent de déployer l’appareil militaire quand la foule est grande. Mais ces armes, que tu as le bonheur de voir briller, n’ont été tirées que pour défendre les citoyens, on ne veut que les protéger: ce sont les ennemis de l’ordre qui doivent seuls trembler, puisque ces soldats qui s’avancent vers nous ont mission de veiller à ce qu’il ne nous soit fait aucun mal.

L’ENFANT.

Mais quel bruit viens-je d’entendre? on dirait une décharge de mousqueterie.

L’AVEUGLE.

Ce sont les pétards dont tu parlais tout à l’heure.

L’ENFANT.

Je ne me trompe pas, une balle vient de siffler à mon oreille.

L’AVEUGLE.

Enfant, ne reconnais-tu pas le bruit que fait une fusée en s’échappant des mains de celui qui l’allume?

(Le même sifflement retentit une seconde fois aux oreilles de l’aveugle; il étendit la main vers son fils pour le rassurer; l’enfant n’était plus à ses côtés, il gisait sur le pavé.)


COUPS DE LANCETTE.

—Il y a donc eu beaucoup de personnes tuées hier? demandait mademoiselle Duch... à un gendarme qui se trouvait dans les coulisses le lendemain du désastre de la rue Saint-Denis.

—Mais non, répondit le naïf militaire; pas trop.

*
* *

C’est comme parrain des 76 que M. Vil... a fait distribuer des dragées au peuple.

*
* *

M. Vil... fait quelques corrections au calendrier, il vient de changer le jour des Morts.


CORRESPONDANCE MILITAIRE - JEAN PICHU A SES PARENTS.

Jeudi, 29 novembre 1827.

Respectables parents,

I n’y a qu’un mois et un jour que je sui-t-au service, et l’on vient déjà de m’lancer au feu. Attention!... J’vas vous narrer la chose. V’là qu’à dix heures du soir not’ coronel mont’ sur son grand cheval de bataille. «Fantassins.... qui dit.... i n’s’agit pas d’ça: la patrie est en danger; i faut nous mett’en route.» Moi, j’étai-t-en train d’jouer à breling-chiquet; j’plante la partie là, et je cour-t-aux armes. Nous défilons tous en silence, tambour battant, le long d’not’faubourg, et nous faisons, une pause au coin d’la rue St-Denis, qui ce jour-là était tout illuminée d’lampions comme un volcan. Alors j’apercevons çà et là pas mal de péquins (sauf vot’ respect), qui avaient l’air de t’nir conciliabule... A c’te vue, le ventr’ commence à me grouiller... mais, à mesure que nous avançons, v’là les péquins qui fouinent... ça me donne du courage. Une échelle barre not’marche triomphante; all’ nous sert à monter à l’assaut... oui; mais on fait d’la résistance... Pour lors, not’ coronel qui n’ s’embête pas dans les feux d’file, nous crie: En joue... feu!... Moi, j’tire!... pass’que, voyez-vous, mes bons parents, l’soldat est un état à part; nous sommes tous des automates, comm’ dit not’ coronel, qui d’vons toujours obéir sans préambule. Après cett’ petite charge, nous nous précipitons sur les fuyards à travers les lampions. Au détour d’une rue, moi, j’vois un bergeois en retard... j’veux l’empoigner.... Pan! i m’donne un soufflet soigné, et s’sauve en m’appelant blanc-bec, dont j’ai la joue encore tout’ rouge. V’là pour le premier jour. Le lend’main, c’est à r’commencer. Je r’çois un éclat de pétard sur l’œil gauche, et pour changer j’ai la figure toute noire. L’troisième jour, même manége; mais i n’y avait plus personne. Stapendant, on me place t’en faction pendant quatre heures d’horloge, ousque j’attrapai un rhume de cerveau; j’battis la semelle avec un brave marchand de marrons en plein vent, qui m’permit d’prendre un air de feu à son fourneau. J’y brûlai un pan de ma nouvelle uniforme. J’croyais qu’à l’odeur du roussi mon coronel allait m’fourrer aux z’haricots... au contraire, i m’fit carporal sur le champ de bataille. Bref, je suis présent’ment à l’hôpital pour guérir ma chienne de catarrhe. Envoyez-moi de la bonn’ réglisse vivement.

Adieu, papa, maman; je suit en toussant votre fils bien-aimé.

Jean Pichu, fantassin.

COUPS DE LANCETTE.

La Gazette parle de liberté comme une prostituée de pudeur.

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Au lieu de décorer les gendarmes et de casser les boutiques, on ferait mieux de décorer les boutiques et de casser les gendarmes.

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On a vu M. Piet assis sur les ruines du pot-au-feu ministériel, ces deux grands débris se consolaient entre eux.

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La nuit dernière, M. V... a senti un bourgeois de la rue Saint-Denis qui le tirait par les pieds.


JOURNÉE D’UN BON GENDARME.

«Le premier devoir d’un bon gendarme qui veut devenir brigadier est d’aller à la messe, de même que le premier devoir d’un employé supérieur des postes est d’inspecter les lettres, et celui de M. Piet d’avoir un chef de cuisine. Je me lève donc frais et dispos; je passe mon costume de ville, ma redingote bleue, je mets ma cravate et mes bottes à éperons; je prends ma grosse canne à pommeau d’ébène, je me mets en route... me voilà à l’église.

«Je me place d’ordinaire là où je vois le plus de monde; mais je laisse chanter les prêtres et dire la messe aux bonnes âmes qui m’entourent: ce n’est pas pour cela que je suis venu. Je regarde, j’observe, j’écoute, ce serait une bonne fortune pour moi si je pouvais mettre M. Franchet sur la trace d’un bon sacrilége!... Je serais brigadier demain.

«Rien à faire à l’église. Parcourons quelques quartiers de la capitale. Diable! qu’est-ce qu’on chante là-bas? Les Bons Gendarmes!... Quelle audace! Si j’attrape cet Odry, qui est sans doute un des rédacteurs du Constitutionnel, il passera un vilain quart d’heure. Quelle est donc cette rumeur chez ce libraire? Ah! j’y suis, on saisit des in-32. Bien! saisissez toujours. J’en saisis moi-même plusieurs exemplaires. Cela montera ma bibliothèque.»

Le bon gendarme continua ses travaux philanthropiques. Dix-sept exploits signalèrent sa matinée; et midi sonnait à peine qu’il était déjà de retour à la caserne, le menton enfoncé dans sa cravate, agitant sa grosse canne, et sifflant la marche de Robin des bois avec autant de plaisir qu’un étudiant sifflerait Quatremère de Quincy.

Enfin il fallut endosser la livrée guerrière. Le regard oblique de l’observateur fit place à l’air farouche d’un apprenti maréchal de France à 2 fr. 50 c. par jour. Ainsi costumé, il quitte sa caserne et reprend ses courses avec la ferme résolution de remplir sa mission avec conscience, afin d’être nommé brigadier.

«Oh! oh! voilà qu’on crie au voleur! à l’assassin! c’est mon affaire. J’empoigne l’individu, je le tiens ferme. Mais on se presse là-bas... qu’est-ce donc? C’est un élève en droit qui s’est échappé de Sainte-Pélagie. Un élève en droit! Vite, je lâche mon assassin, et je cours après l’étudiant. Je parie que ce mauvais sujet aura écrit contre le ministre ou contre les gendarmes. Si je l’attrape, je suis brigadier.»

L’étudiant courait plus vite et disparut.

Désolé de sa mésaventure, notre héros, après une longue promenade, finit par découvrir un simple perturbateur, et le conduisit au corps de garde. Il ne devint pas brigadier.


FEUILLE VOLANTE enVOLée d’un VOLume sur la VOLonté

Par M. Dud***.

«Il ne faut jamais s’arrêter dans son vol

Prenons notre volée en riant du volcan voltairien et révolutionnaire dont volontiers les malévoles font peur aux voluptueux. Qu’espère ce volcan ou plutôt ce camp volant de voltigeurs volages, frivoles et faux, volontaires, par ses évolutions contre une ferme volonté qui peut dans son vol chasser ces volatiles dans une volière?

Mais ces volereaux, par leur volubilité, pourront volatiliser les esprits, et la révolte naître de cette volatilisation. Il faut volontairement paraître affaiblir son vol, voleter même, et, par d’adroites circonvolutions, s’emparer des bénévoles; puis faire volte-face, et nous avons la vole; car les voltigeurs ne pourront convoler à d’autres révolutions.

La volonté ferme a fait voler jusqu’à nous les noms de Scévole et de l’hôte des Volsques. Nous volerons aussi; et après sept ans révolus de travaux volumineux, un char nous fera voler à nos voluptueuses demeures, où, grâce aux biens qui nous seront dévolus, nous nous reposerons d’un long vol en voltigeant autour des volages en bavolet.

Soyons volontaires; mais si les frivoles révoltés, élevant volonté contre vol, faisaient envoler nos espérances, envolons-nous avec elles avant qu’ils ne nous rattrapent au vol.

Passant des adorateurs de Volianus aux anciens croyants de Vola, et poussé par Volturne jusqu’aux autels de Volutma; voguant sur le Volturnon en parcourant la Volhinie, bien fourré dans notre volvi, nous attendrons, pour volter et revoler près de nos pénates, le temps où Voltaire et la révolution ne rendront plus des esprits frivoles et volatilisés semblables aux malheureux atteints du volvulus.


COUPS DE LANCETTE.

Suivant M. de Clerm... Tonn..., on ferait d’excellentes bourres avec la Charte.

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Enfin M. de Peyr... vient de rendre justice à quelqu’un, il s’est donné sa démission.

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Les démissions deviennent à la mode en Angleterre; E. Vil... devrait bien imiter les modes anglaises.


CIRCULAIRE SECRÈTE TROUVÉE PAR UN INDIVIDU QUI VENAIT DE PRENDRE SON PASSEPORT

Nascuntur mouchards, fiunt gendarmes.

A tous les intéressés qui ces présentes liront, salut.

Faisons savoir que les aspirants mouchards qui pullulent autour de nous d’une manière étourdissante (et, par cela, nous mettent à même d’être plus difficiles sur le choix), qu’ils doivent se dispenser de s’inscrire sur les rangs, s’ils n’ont pas les vertus morales et les qualités physiques requises par le présent cahier des charges:

Art. 1er. Il faut qu’un mouchard soit bête, parce qu’un homme d’esprit ajoute toujours quelque chose dans ses rapports.

2. Qu’il soit sans pitié, parce que son père peut être républicain.

3. Qu’il soit discret, parce qu’il connaît toutes les bévues administratives.

4. Il devra boire comme un Suisse, mais garder le sang-froid d’un Italien. In vino veritas.

5. Il est de toute nécessité qu’il soit lâche: car la peur donne des jambes, et un poltron est moins exposé qu’un autre à laisser saisir sur lui sa carte d’électeur.

6. Il importe qu’il n’ait pas de religion, pour mieux surveiller la conduite des impies dans les églises.

7. Il est de rigueur qu’il soit escroc, pour ne pas faire rougir ses camarades. Il ne serait pas mal qu’il sortît du bagne.

8. Il lui est enjoint de ne pas faire de cuirs dans un salon et de ne parler que l’argot dans un cabaret.

9. Ses oreilles doivent être aussi étendues que l’esprit de César, pour entendre de quatre côtés à la fois.

10. Son omoplate doit être revêtue d’une épiderme fortement trempée, parce que les cuirasses de papier gris sont chères: l’administration a renoncé à en fournir.

11. On exigera des certificats authentiques d’une campagne sous le fameux Lebon, de trois ans de service sous Savary, et une attestation en règle de sa présence à Nîmes en 1815.

12. Il ne peut être affilié à aucune congrégation, parce que son temps est trop précieux.

Nota. S’il a toutes les qualités requises, il sera reçu à cinquante sous par jour. On lui paiera les coups de bâton à part et à la douzaine, et il aura des gratifications pour les avaries.

L'ANCIEN FIGARO -1828

Date de dernière mise à jour : 16/01/2023