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BIBLIOBUS Littérature française

CINQUIESME JOURNEE

  

En LA CINQUIESME JOURNEE , on devise de la vertu des filles et femmes qui ont eu leur honneur en plus grande recommandation que leur plaisir; de celles aussi qui ont fait le contraire, et de la simplicité de quelques autres.

Prologue

Quant

 


CINQUIESME JOURNÉE


PROLOGUE


Quand le matin fut venu, Madame Oisille leur prépara ung desjuner spirituel d’un si bon goust, qu’il estoyt suffisant pour fortiffier le corps & l’esperit ; où toute la compaignie fut fort attentive, en sorte qu’il leur sembloit bien jamais n’avoir oy sermon qui leur proffitast tant. Et, quant ilz ouyrent sonner le dernier coup de la messe, s’alerent exercer à la contemplation des sainctz propos qu’ilz avoient entenduz. Après la messe oïe et s’estre ung peu pourmenez, se meirent à table, promectans la Journée présente debvoir estre aussi belle que nulle des passées, & Saffredent leur dist qu'il vouldroit que le pont demorast encore ung mois à faire, pour le plaisir qu'il prenoit à la bonne chere qu'ilz faisoient; mais l'abbé de leans y faisoit faire bonne diligence, car ce n'estoit pas sa consolation de vivre entre tant de gens de bien, en la presence desquelz n'osoit faire venir ses pelerines accoustumées. Et, quant ils se furent reposez quelque temps après disné, retournerent à leur passe temps accoustumé. Après que chascun eut prins son siege au pré, demanderent à Parlamente à qui elle donnoit sa voix. "Il me semble, dist-elle, que Saffredent sçaura bien commencer ceste Journée, car je luy voys le visaige qui n'a poinct d'envye de nous faire pleurer. - Vous serez doncq bien cruelles, mes dames, dist Saffredent, si vous n'aviez pitié d'un Cordelier, dont je vous voys compter l'histoire; et, encores que, par celles que aucuns d'entre nous ont cy devant faictes des religieux, vous pourriez penser que sont cas advenuz aux pauvres damoiselles, dont la facilité d'execution a faict sans craincte commencer l'entreprinse. Mais, affin que vous congnoissiez que l'aveuglement de leur folle concupiscence leur oste toute craincte et prudente consideration, je vous en compteray d'un, qui advint en Flandres."

Quarante et uniesme nouvelle

La nuict de Noel, une damoyselle se presenta à un Cordelier, pour estre oye en confession, lequel luy bailla une penitence si estrange, que, ne la voulant recevoir, elle se leva devant luy, sans absolution; dont sa maistresse avertie feit fouetter le Cordelier en sa cuysine, puis le renvoya lié et garroté à son gardien.

L'année que madame Marguerite d'Autriche vint à Cambray, de la part de l'Empereur son nepveu, pour traicter la paix entre luy et le Roy Très Chrestien, de la part duquel se trouva sa mere madame Loïse de Savoie; et estoit en la compaignye de la dicte dame Marguerite la comtesse d'Aiguemont, qui emporta en ceste compaignye le bruict d'estre la plus belle de toutes les Flamandes. Au retour de ceste grande assemblée, s'en retourna la contesse d'Aiguemont en sa maison, et, le temps des adventz venu, envoya en ung couvent de Cordeliers demander ung prescheur suffisant et homme de bien tant pour prescher que pour confesser elle et toute sa maison. Le gardien sercha le plus cru digne qu'il eut de faire tel office pour les grands biens qu'ilz recepvoient de la maison d'Aiguemont et de celle de Fiennes, dont elle estoit. Comme ceulx qui sur tous autres religieux desiroient gaingner la bonne estime et amityé des grandes maisons, envoyerent ung predicateur, le plus apparent de leur couvent; lequel, tout le long des adventz, feit très bien son debvoir; et avoit la contesse grand contentement de luy. La nuyct de Noël, que la contesse vouloit recepvoir son Createur, feit venir son confesseur. Et, après s'estre confessée en une chappelle bien fermée, afin que la confession fut plus secrette, laissa le lieu à sa dame d'honneur, laquelle, après soy estre confessée, envoya sa fille passer par les mains de ce bon confesseur. Et, après qu'elle eut tout dict ce qu'elle sçavoit, congneut le beau pere quelque chose de son secret; qui luy donna envie et hardiesse de luy bailler une penitence non accoustumée. Et luy dist: "Ma fille, voz pechez sont si grandz, que, pour y satisfaire, je vous baille en penitence de porter ma corde sur vostre chair toute nue." La fille, qui ne luy vouloit desobeir, lui dist: " Baillez-la-moy, mon pere, et je ne fauldray de la porter. - Ma fille, dist le beau pere, il ne seroit pas bon de vostre main; il fault que les myennes propres, dont vous debvez avoir l'absolution, la vous aient premierement seincte; puis après, vous serez absoulte de tous voz pechez." La fille, en pleurant, respond qu'elle n'en feroit rien. "Comment! dist le confesseur, estes-vous une hereticque, qui refusez les penitences selon que Dieu et nostre mere saincte Eglise l'ont ordonné? - Je use de la confession, dist la fille, comme l'Eglise le commande, et veulx bien recepvoir l'absolution et faire la penitence, mais je ne veulx poinct que vous y mectiez les mains; car, en ceste sorte, je refuse vostre penitence. - Par ainsy, dist le confesseur, ne vous puis-je donner l'absolution." La damoiselle se leva de devant luy, ayant la conscience bien troublée, car elle estoit si jeune, qu'elle avoit paour d'avoir failly, au refuz qu'elle avoit faict au pere. Quant ce vint après la messe, que la contesse d'Aiguemont receut le corpus Domini, sa dame d'honneur, voulant aller après, demanda à sa fille si elle estoit preste. La fille, en pleurant, dist qu'elle n'estoit poinct confessée. "Et qu'avez-vous tant faict avecq ce prescheur? dist la mere. - Rien, dist la fille, car, refusant la penitence qu'il m'a baillée, m'a refusé aussi l'absolution." La mere s'enquist saigement, et congneut l'estrange façon de penitence que le beau pere vouloit donner à sa fille; et, après l'avoir faict confesser à ung aultre, receurent toutes ensemble. Et, retournée la contesse de l'eglise, la dame d'honneur lui feit la plaincte du prescheur, dont elle fut bien marrye et estonnée, veue la bonne oppinion qu'elle avoit de luy. Mais son courroux ne la peult garder, qu'elle ne rist bien fort, veu la nouvelleté de la penitence. Si est-ce que le rire n'empescha pas aussy, qu'elle ne le feit prendre et battre en sa cuisine, où à force de verges, il confessa la verité. Et, après, elle l'envoya pieds et mains lyez à son gardien, le priant que une aultre fois il baillast commission à plus gens de bien de prescher la parolle de Dieu.

"Regardez, mesdames, si en une maison si honorable ilz n'ont poinct de paour de declairer leurs follies, qu'ilz peuvent faire aux pauvres lieux où ordinairement ilz vont faire leurs questes, où les occasions leur sont presentées si facilles, que c'est miracle quant ilz eschappent sans scandalle. Qui me faict vous prier, mes dames, de tourner vostre mauvaise estime en compassion. Et pensez que celluy qui aveugle les Cordeliers, n'espargne pas les dames, quant il le trouve à propos. - Vrayement, dist Oisille, voylà ung bien meschant Cordelier! estre religieux, prestre et predicateur, et user de telle villenye, au jour de Noël, en l'eglise et soubz le manteau de confession, qui sont toutes circonstances qui aggravent le peché! - Il semble à vous oyr parler, dist Hircan, que les Cordeliers doibvent estre anges ou plus saiges que les aultres? Mais vous en avez tant oy d'exemples, que vous les debvez penser beaucoup pires; et il me semble que cestuy-cy est bien à excuser, se trouvant tout seul, de nuyct enfermé avecq une belle fille. - Voyre, dist Oisille, mais c'estoit la nuict de Noël. - Et voylà qui augmente son excuse, dist Simontault, car, tenant la place de Joseph auprès d'une belle vierge, il voulloit essayer à faire ung petit enfant, pour jouer au vif le mistere de la Nativité. - Vravement, dist Parlamente, s'il eust pensé à Joseph et à la vierge Marie, il n'eut pas eu la volunté si meschante. Toutesfois, c'estoit ung homme de mauvais vouloir, veu que, pour si peu d'occasion, il faisoit une si meschante entreprinse. - Il me semble, dist Oisille, que la contesse en feit si bonne punition, que ses compaignons y povoient prendre exemple. Mais assavoir-mon, dist Nomerfide, si elle fit bien de scandaliser ainsy son prochain; et, s'il eut pas myeulx vallu qu'elle luy eust remonstré ses faultes doulcement, que de divulguer ainsy son prochain. - Je croy, dist Geburon, que ce eust esté bien faict; car il est commandé de corriger nostre prochain entre nous et luy, avant que le dire à personne ny à l'Eglise. Aussy, depuis que ung homme est eshonté à grand peyne, jamais se peut-il amender, parce que la honte retire autant de gens de peché, que la conscience. - Je croy, dist Parlamente, que envers chascun se doibt user le conseil de l'Evangille, sinon envers eeulx qui la preschent et font le contraire, car il ne fault poinct craindre à scandalizer ceulx qui scandalisent tout le monde. Et me semble que c'est grand merite de les faire congnoistre telz qu'ils sont, afin que nous ne prenons pas ung doublet pour ung bon rubis. Mais à qui donnera Saffredent sa voix? - Puis que vous le demandez, ce sera à vous-mesmes, dist Saffredent, à qui nul d'entendement ne la doibt refuser. - Or, puis que vous me la donnez, je vous en voys compter une, dont je puis servir de tesmoing. Et j'ay toujours oy dire que tant plus la vertu est en ung subject debille et foible, assaillye de son très fort et puissant contraire, c'est à l'heure qu'elle est plus louable et se monstre mieux telle qu'elle est; car si le fort se defend du fort, ce n'est chose esmerveillable, mais si le foible en a victoire, il en a gloire de tout le monde. Pour congnoistre les personnes dont je veulx parler, il me semble que je ferois tort à la vertu que j'ai veu cachée soubz ung si pauvre vestement, que nul n'en tenoit compte, si je ne parlois de celle par laquelle ont esté faictz des actes si honnestes: qui me contrainct le vous racompter."

Quarante deuxiesme nouvelle

Un jeune prince meit son affection en une fille, de laquelle (combien qu'elle fut de bas et pauvre lieu) ne peut jamais obtenir ce qu'il en avoit esperé, quelque poursuyte qu'il en feit. Parquoy, le prince, congnoissant sa vertu et honnesteté, laissa son entreprinse, l'eut toute sa vie en bonne estime, et luy feit de grands biens, la maryant avec un sien serviteur.

En une des meilleures villes de Touraine, demouroit ung seigneur de grande et bonne maison, lequel y avoit esté nourry de sa grande jeunesse. Des perfections, grace, beaulté et grandes vertuz de ce jeune prince, ne vous en diray aultre chose, sinon que en son temps ne trouva jamays son pareil. Estant en l'aage de quinze ans, il prenoit plus de plaisir à courir et chasser, que non pas à regarder les belles dames. Ung jour, estant en une eglise, regarda une jeune fille, laquelle avoit aultresfois en son enffance esté nourrye au chasteau où il demeuroit. Et, après la mort de sa mere, son pere se remaria; parquoy, elle se retira en Poictou, avecq son frere. Ceste fille, qui avoit nom Françoise, avoit une seur bastarde, que son pere aymoit très fort; et la maria en ung sommelier d'eschansonnerye de ce jeune prince, dont elle tint aussi grand estat que nul de sa maison. Le pere vint à morir et laissa pour le partage de Françoise ce qu'il tenoit auprès de ceste bonne ville; parquoy, après qu'il fut mort, elle se retira où estoit son bien. Et, à cause qu'elle estoit à marier et jeune de seize ans, ne se vouloit tenir seule en sa maison, mais se mist en pension chez sa seur la sommeliere. Le jeune prince, voiant ceste fille assez belle pour une claire brune, et d'une grace qui passoit celle de son estat, car elle sembloit mieulx gentil femme ou princesse, que bourgeoise, il la regarda longuement. Luy, qui jamais encor n'avoit aymé, sentyt en son cueur ung plaisir non accoustumé. Et quant il fut retourné en sa chambre, s'enquist de celle qu'il avoit veu en l'eglise, et recongneut que aultresfois en sa jeunesse estoit-elle allée au chasteau jouer aux poupines avecq sa seur, à laquelle il la feit recongnoistre. Sa seur l'envoya querir et luy feit fort bonne chere, la priant de la venir souvent veoir; ce qu'elle faisoit quant il y avoit quelques nopces ou assemblée, où le jeune prince la voyoit tant voluntiers qu'il pensa à l'aymer bien fort. Et, pour ce qu'il la congnoissoit de bas et pauvre lieu, espera recouvrer facillement ce qu'il en demandoit. Mais, n'aiant moien de parler à elle, luy envoya ung gentil homme de sa chambre, pour faire sa practique, auquel, elle, qui estoit saige, craingnant Dieu, dist qu'elle ne croyoit pas que son maistre, qui estoit si beau et honneste prince, se amusast à regarder une chose si layde qu'elle, veu que, au chasteau où il demeuroit, il en avoit de si belles, qu'il ne falloit poinct en chercher par la ville, et qu'elle pensoit qu'il le disoit de luy-mesmes sans le commandement de son maistre. Quant le jeune prince entendit ceste response, Amour, qui se attache plus fort où plus il trouve de resistance, luy faict plus chauldement qu'il n'avoit faict poursuivre son entreprinse. Et luy escripvit une lectre, la priant voulloir entierement croire ce que le gentil homme luy diroit. Elle, qui sçavoit très bien lire et escripre, leut sa lettre tout du long, à laquelle, quelque priere que luy en feist le gentil homme, n'y voulust jamais respondre, disant qu'il n'appartenoit pas à si basse personne d'escripre à ung tel prince, mais qu'elle le supplioit ne la penser si sotte, qu'elle estimast qu'il eust une telle oppinion d'elle, que de luy porter tant d'amityé; et aussy, que, s'il pensoit, à cause de son pauvre estat, la cuyder avoir à son plaisir, il se trompoit, car elle n'avoit le cueur moins honneste que la plus grande princesse de la chrestienté, et n'estimoit tresor au monde au pris de l'honnesteté et de la conscience, le supliant ne la vouloir empescher de toute sa vie garder ce tresor, car, pour mourir; elle ne changeroit d'oppinion. Le jeune prince ne trouva pas ceste responce à son gré; toutesfois, l'en ayma-il très fort et ne faillyt de faire mectre tousjours son siege à l'eglise où elle alloit à la messe; et, durant le service, addressoit tousjours ses oeilz à ceste ymaige. Mais, quant elle l'apparceut, changea de lieu et alla en une aultre chapelle, non pour fuyr de le veoir, car elle n'eut pas esté creature raisonnable, si elle n'eust prins plaisir à le regarder, mais elle craingnoit estre-veue de luy, ne s'estimant digne d'en estre aymée par honneur ou par mariage, ne voulant aussi d'autre part que ce fut par folie et plaisir. Et, quant elle veid que, en quelque lieu de l'eglise qu'elle se peust mettre, le prince se faisoit dire la messe tout auprès, ne voulut plus aller en ceste eglise-là, mais alloit tous les jours à la plus esloignée qu'elle povoit. Et quant quelques nopces alloient au chasteau, ne s'y vouloit plus retrouver, combien que la seur du prince l'envoyast querir souvent, s'excusant sur quelque malladye. Le prince, voyant qu'il ne povoit parler à elle, s'ayda de son sommelier et luy promist de grands biens s'il luy aydoit en ceste affaire; ce que le sommelier s'offrit voluntiers, tant pour plaire à son maistre, que pour le fruict qu'il en esperoit. Et, tous les jours, comptoit au prince ce qu'elle disoit et faisoit, mais que surtout fuyoit les occasions qui luy estoient possibles de le veoir. Si est-ce que la grande envye qu'il avoit de parler à elle à son aise luy feit chercher ung expediant. C'est que, ung jour, il alla mener ses grandz chevaulx, dont il commençoit bien à sçavoir le mestier, en une grand place de la ville, devant la maison de son sommelier, où Françoise demeuroit. Et, après avoir faict maintes courses et saulx qu'elle povoit bien veoir, se laissa tumber de son cheval dedans une grand'fange, si mollement qu'il ne se feit poinct de mal: si est-ce qu'il se plaingnit assez et demanda s'il y avoit poinct de logis pour changer ses habillemens. Chascun presentoit sa maison; mais quelqu'un dist que celle du sommelier estoit la plus prochaine et la plus honneste; aussy, fut-elle choisie sur toutes. Il trouva la chambre bien accoustrée et se despouilla en chemise, car tous ses habillemens estoient souillez de la fange; et se meist dedans ung lict. Et, quant il veid que chascun fut retiré pour aller querir ses habillemens, exepté le gentil homme, appella son hoste et son hostesse, et leur demanda où estoit Françoise. Ilz eurent bien à faire à la trouver, car, si tost qu'elle avoit veu ce jeune prince entrer en sa maison, s'en estoit allée cacher au plus secret lieu de leans. Toutesfois, sa seur la trouva, qui la pria ne craindre poinct venir parler à ung si honneste et vertueux prince. "Comment, ma sœur, dist Françoise, vous que je tiens ma mere, me vouldriez-vous conseiller d'aller parler à ung jeune seigneur, duquel vous sçavez que je ne puis ignorer la volunté?" Mais sa seur luy feit tant de remonstrances et promesses de ne la laisser seulle, qu'elle alla avecq elle, portant ung visaige si pasle et desfaict, qu'elle estoit plus pour engendrer pitié que concupiscence. Le jeune prince, quant il la veid près de son lict, il la print par la main, qu'elle avoit froide et tremblante, et luy dist: "Françoise, m'estimez-vous si mauvais homme, si estrange et cruel, que je menge les femmes en les regardant? Pourquoy avez-vous prins une si grande craincte de celluy qui ne cherche que vostre honneur et advantaige? Vous sçavez que en tous lieux qu'il m'a esté possible, j'ai sercné de vous veoir et parler à vous; ce que je n'ai sceu. Et, pour me faire plus de despit, avez fuy les lieux où j'avois accoustumé vous veoir à la messe, afin que en tout je n'eusse non plus de contentement de la veue, que j'avois de la parolle. Mais tout cela ne vous a de rien servy, car je n'ay cessé que je ne soye venu icy par les moiens que vous avez peu veoir; et me suis mis au hazard de me rompre le col, me laissant tumber voluntairement, pour avoir le contentement de parler à vous à mon aise. Parquoy, je vous prie, Françoise, puisque j'ai acquis ce loisir icy avecq ung si grand labeur, qu'il ne soit poinct inutille, et que je puisse par ma grande amour gaingner la vostre." Et, quant il eut long temps actendu sa response, et veu qu'elle avoit les larmes aux oeilz, et la veue contre terre, la tyrant à luy le plus qu'il luy fust possible, la cuyda embrasser et baiser. Mais elle luy dist: "Non, Monseigneur, non; ce que vous serchez ne se peult faire, car, combien que je soye ung vert de terre au pris de vous, j'ay mon honneur si cher, que j'aymerois mieulx mourir, que de l'avoir dimunié, pour quelque plaisir que ce soit en ce monde. Et la craincte que j'ay de ceulx qui vous ont veu venir ceans, se doubtants de ceste verité, me donne la paour et tremblement que j'ay. Et, puisqu'il vous plaist de me faire cest honneur de parler à moy, vous me pardonnerez aussy, si je vous respond selon que mon honneur me le commande. Je ne suis poinct si sotte Monseigneur, ne si aveuglée, que je ne voie et congnoisse bien la beauté et graces que Dieu a mises en vous; et que je ne tienne la plus heureuse du monde celle qui possedera le corps et l'amour d'un tel prince. Mais de quoy me sert tout cela, puisque ce n'est pour moy ne pour femme de ma sorte, et que seullement le desirer seroit à moy parfaicte folye? Quelle raison puis-je estimer qui vous faict adresser à moy, sinon que les dames de vostre maison (lesquelles vous aymez, si la beaulté et la grace est aymée de vous), sont si vertueuses, que vous n'osez leur demander ne esperer avoir d'elles ce que la petitesse de mon estat vous faict esperer avoir de moy? Et suis seure que, quant de telles personnes que moy auriez ce que demandez, ce seroit ung moien pour entretenir vostre maistresse aux heures davantaige, en luy comptant voz victoires au dommaige des plus foibles. Mais il vous plaira, Monseigneur, penser que je ne suis de ceste condition. J'ay esté nourrye en vostre maison, où j'ay aprins que c'est d'aymer: mon pere et ma mere ont esté voz bons serviteurs. Parquoy, il vous plaira, puisque Dieu ne m'a faict princesse pour vous espouser, ne d'estat pour estre tenue à maistresse et amye, ne me vouloir mectre en ranc des pauvres malheureuses, veu que je vous desire et estime celluy des plus heureux princes de la chrestienté. Et, si pour vostre passe temps vous voulez des femmes de mon estat, vous en trouverez assez en ceste ville, de plus belles que moy sans comparaison, qui ne vous donneront la peyne de les prier tant. Arrestez-vous doncques à celles à qui vous ferez plaisir en acheptant leur honneur, et ne travaillez plus celle qui vous ayme plus que soy-mesmes. Car, s'il falloit que vostre vie ou la myenne fust aujourd'huy demandée de Dieu, je me tiendrois bienheureuse d'offrir la myenne pour saulver la vostre, car ce n'est faulte d'amour qui me faict fuyr vostre presence, mais c'est plus tost pour en avoir trop à vostre conscience et à la myenne; car j'ay mon honneur plus chair que ma vie. Je demeureray, s'il vous plaist, Monseigneur, en vostre bonne grace, et prieray toute ma vie Dieu pour vostre prosperité et santé. Il est bien vray que cest honneur que vous me faictes me fera entre les gens de ma sorte mieulx estimer, car qui est l'homme de mon estat, après vous avoir veu, que je daignasse regarder? Par ainsy, demeurera mon cueur en liberté, synon de l'obligation, où je veulx à jamais estre, de prier Dieu pour vous, car aultre service ne vous puis-je jamais faire." Le jeune prince, voiant ceste honneste response, combien qu'elle ne fust selon son desir, si ne la povoit moins estimer qu'elle estoit. Il feyt ce qu'il luy fut possible pour luy faire croire qu'il n'aymeroit jamais femme qu'elle; mais elle estoit si saige, que une chose si desraisonnable ne povoit entrer en son entendement. Et, durant ces propos, combien que souvent on dist que ses habillemens estoient venuz du chasteau, avoit tant de plaisir et d'aise, qu'il feit dire qu'il dormoit, jusques ad ce que l'heure du souppé fut venue, où il n'osoit faillit à sa mere, qui estoit une des plus saiges dames du monde. Ainsy s'en alla le jeune homme de la maison de son sommelier, estimant plus que jamais l'honnesteté de ceste fille. Il en parloit souvent au gentil homme qui couchoit en sa chambre, lequel, pensant que argent faisoit plus que amour, lui conseilla de faire offryr à ceste fille quelque honneste somme pour se condescendre à son voulloir. Le jeune prince, duquel la mere estoit le tresorier, n'avoit que peu d'argent pour ses menuz plaisirs, qu'il print avecq tout ce qu'il peut empruncter, et se trouva la somme de cinq cents escuz qu'il envoia à ceste fille par le gentil homme, la priant de vouloir changer d'opinion. Mais quant elle veid le present, dist au gentilhomme: "Je vous prie, dictes à Monseigneur que j'ay le cueur si bon et si honneste, que, s'il falloit obeyrad ce qu'il me commande, la beaulté et les graces qui sont en luy m'auroient desja vaincue; mais, là où ilz n'ont eu puissance contre mon honneur, tout l'argent du monde n'y en sçauroit avoir, lequel vous luy ramporterez, car j'ayme mieulx l'honneste pauvreté, que tous les biens qu'on sçauroit desirer." Le gentil homme, voiant ceste rudesse, pensa qu'il la falloit avoir par cruaulté; et vint à la menasser de l'auctorité et puissance de son maistre. Mais, elle, en riant, luy dist: "Faictes paour de luy à celles qui ne le congnoissent poinct, car je sçay bien qu'il est si saige et si vertueux, que telz propos ne viennent de luy; et suis seure qu'il vous desadvouera, quand vous les compterez. Mais, quant il seroit ainsy que vous le dictes, il n'y a torment ne mort qui me sceut faire changer d'opinion; car, comme je vous ay dict, puis qu'amour n'a tourné mon cueur, tous les maulx ne tous les biens que l'on sçauroit donner à personne ne me sçauroient destourner d'un pas du propos où je suis." Ce gentil homme, qui avoit promis à son maistre de la luy gaingner, luy porta ceste response, avecq un merveilleux despit, et le persuada à poursuyvre par tous moiens possibles, luy disant que ce n'estoit poinct son honneur de n'avoir sceu gaingner une telle femme. Le jeune prince, qui ne voulloit poinct user d'autres moiens que ceulx que l'honnesteté commande, et craingnant aussy que, s'il en estoit quelque bruict et que sa mere le sceut, elle auroit occasion de s'en courroucer bien fort, n'osoit rien entreprendre, jusques ad ce que son gentil homme lui bailla ung moien si aisé qu'il pensoit desjà la tenir. Et, pour l'executer, parleroit au sommelier, lequel, deliberé de servir son maistre en quelque façon que ce fust, pria ung jour sa femme et sa belle seur d'aller visiter leurs vendanges en une maison qu'il avoit auprès de la forest: ce qu'elles luy promirent. Quant le jour fut venu, il le feit sçavoir au jeune prince, lequel se delibera d'y aller tout seul avecq ce gentil homme; et feit tenir sa mulle preste secretement, pour partir quant il en seroit heure. Mais Dieu voulut que ce jour-là sa mere accoustroit ung cabinet le plus beau du monde; et, pour luy aider, avoit avecq elle tous ses enfans. Et là s'amusa ce jeune prince, jusques ad ce que l'heure promise fut passée. Si ne tint-il à son sommelier, lequel avoit mené sa seur en sa maison, en crouppe derriere luy, et feit faire la mallade à sa femme, en sorte que, ainsy qu'ilz estoient à cheval, luy vint dire qu'elle n'y sçauroit aller. Et, quant il veid que l'heure tardoit que le prince debvoit venir, dist à sa belle-seur: "Je croy bien que nous povons retourner à la ville. Et qui nous en garde? dist Françoise. - C'est, ce dist le sommelier, que j'atendois icy Monseigneur, qui m'avoit promis de venir." Quant sa seur entendit ceste meschanceté, luy dist: "Ne l'attendez poinct, mon frere, car je sçay bien que pour aujourd'huy il ne viendra poinct." Le frere la creut et la ramena. Et, quant elle fut en la maison, monstra sa colere extreme, en disant à son beau frere qu'il estoit le varlet du diable, qu'il faisoit plus qu'on ne luy commandoit. Car elle estoit asseurée que c'estoit de son invention et du gentil homme, et non du jeune prince, duquel il aymoit mieulx gaingner de l'argent, en le confortant en ses follies, que de faire office de bon serviteur; mais que, puis qu'elle le congnoissoit tel, elle ne demeureroit jamais en sa maison. Et, sur ce, elle envoia querir son frere pour la mener en son pays et se deslogea incontinent d'avec sa seur. Le sommelier, aiant failly à son entreprinse, s'en alla au chasteau, pour entendre à quoy il tenoit que le jeune prince n'estoit venu; et ce ne fut gueres là, qu'il ne le trouvast sur sa mulle tout seul avecq le gentil homme, en qui il se fyoit, et luy demanda: "Et puis, est-elle encores là?" Il luy compta tout ce qu'il avoit faict. Le jeune prince fut bien marry d'avoir failly à sa deliberation qu'il estmoit estre le moien dernier et extreme qu'il povoit prendre là. Et, voiant qu'il n'y avoit poinct de remede, la chercha tant, qu'il la trouva en une compaignye où elle ne povoit fuyr; qui se courroucea fort à elle des rigueurs qu'elle luy tenoit et de ce qu'elle vouloit laisser la compaignye de son frere; laquelle luy dist qu'elle n'en avoit jamais trouvé une pire ne plus dangereuse pour elle; et qu'il estoit bien tenu à son sommelier, veu qu'il ne le servoit seullement du corps et des biens, mais aussy de l'ame et de la conscience. Quant le prince congnut qu'il n'y avoit aultre remede, delibera de ne l'en prescher plus et l'eut toute sa vie en bonne estime. Ung serviteur du dict prince, voiant l'honnesté de ceste fille, la voulut espouser; à quoy jamais ne se voulut accorder sans le commandement et congé du jeune prince, auquel elle avoit mis toute son affection; ce qu'elle luy feit entendre. Et, par son bon vouloir, fut fait le mariage, où elle a vescu toute sa vie en bonne reputation. Et luy a fait le jeune prince beaucoup de grands biens.

"Que dirons-nous icy, mes dames? Avons-nous le cueur si bas, que nous facions noz serviteurs noz maistres, veu que ceste-cy n'a sceu estre vaincue ne d'amour ne de torment? Je vous prie que, à son exemple, nous demorions victorieuses de nous-mesmes, car c'est la plus louable victoire que nous puissions avoir. - Je ne voy que ung mal, dist Oisille: que les actes vertueux de ceste fille n'ont esté du temps des historiens, car ceulx qui ont tant loué leur Lucresse l'eussent laissé au bout de la plume, pour escripre bien au long les vertuz de ceste-cy. - Pour ce que je les trouve si grandes que je ne les pourrois croyre, sans le grand serment que nous avons faict de dire verité, je ne trouve pas sa vertu telle que vous la peignez, dist Hircan, car vous avez veu assez de mallades desgouttez de laisser les bonnes et salutaires viandes, pour manger les mauvaises et dommageables. Aussy peult estre que ceste fille avoit que'que gentil homme comme elle, qui luy faisoit despriser toute noblesse." Mais Parlamente respondit à ce mot, que la vie et la fin de ceste fille monstroient que jamais n'avoit eu oppinion à homme vivant, que à celluy qu'elle aymoit plus que sa vie, mais non pas plus que son honneur. "Ostez ceste opinion de vostre fantaisye, dist Saffredent, et entendez d'où est venu ce terme d'honneur quant aux femmes, car peut estre que celles qui en parlent tant, ne sçavent pas l'invention de ce nom. Sçachez que, au commencement que la malice n'estoit trop grande entre les hommes, l'amour y estoit si naifve et forte que nulle dissimullation n'y avoit lieu. Et estoit plus loué celluy qui plus parfaictement aymoit. Mais, quant l'avarice et le peché vindrent saisir le cueur et l'honneur, ilz en chasserent dehors Dieu et l'amour; et, en leur lieu, prindrent amour d'eulx-mesmes, hypocrisie et fiction. Et, voiant les dames nourrir en leur cueur ceste vertu de vraye amour et que le nom d'ypocrysie estoit tant odieux entre les hommes, luy donnerent le surnom d'honneur, te lement que ce les qui ne povoient avoir en elles ceste honorable amour, disoient que l'honneur le leur deffendoit, et en ont faict une si cruelle loy, que mesmes ce les qui ayment parfaictement, dissimullent, estimant vertu estre vice; mais celles qui sont de bon entendement et de sain jugement, ne tumbent jamais en telles erreurs, car ilz congnoissent la difference des tenebres et de lumiere; et que leur vray honneur gist à monstrer la pudicité du cueur, qui ne doibt vivre que d'amour et non poinct se honorer du vice de dissimulation. - Toutesfois, dist Dagoucin, on dit que l'amour la plus secrete est la plus louable. - Ouy, secrette, dist Simontault, aux oeilz de ceulx qui en pourroient mal juger, mais claire et congneue au moins aux deux personnes à qui elle touche. - Je l'entendz ainsy, dist Dagoucin; encores vauldroit-elle mieulx d'estre ignorée d'un costé que entendue d'un tiers, et je croy que ceste femme-là aymoit d'autant plus fort, qu'elle ne le declaroit point. - Quoy qu'il y ait, dist Longarine, il fault estimer la vertu dont la plus grande est à vaincre son cueur. Et, voiant les occasions que ceste fille avoit d'oblier sa conscience et son honneur, et la vertu qu'elle eut de vaincre son cueur et sa volunté et celluy qu'elle aymoit plus qu'elle-mesmes avecq toutes perfections des occasions et moiens qu'elle en avoit, je dictz qu'elle se povoit nommer la forte femme. Puisque vous estimez la grandeur de la vertu par la mortiffication de soy-mesmes, je dictz que ce seigneur estoit plus louable qu'elle, veu l'amour qu'il luy portoit, la puissance, occasion et moien qu'il en avoit; et toutesfois, ne voulut poinct offenser la reigle de vraye amityé, qui esgalle le prince et le pauvre, mais usa des moiens que l'honnesteté permet. - Il y en a beaucoup, dist Hircan, qui n'eussent pas faict ainsy. - De tant plus est-il à estimer, dist Longarine, qu'il a vaincu la commune malice des hommes, car qui peut faire mal et ne le faict poinct, cestuy-là est bien heureux. - A ce propos, dist Geburon, vous me faictes souvenir d'une qui avoit plus de crainte d'offenser les oeilz des hommes, qu'elle n'avoit Dieu, son honneur ne l'amour. - Or, je vous prie, dist Parlamente, que vous nous la comptiez et je vous donne ma voix. - Il y a, dist Geburon, des personnes qui n'ont poinct de Dieu; ou, s'ilz en croyent quelcun, l'estiment quelque chose si loing d'eulx qui ne peult veoir ny entendre les mauvaises œuvres qu'ilz font; et encores qu'ilz les voient, pensent qu'il soit nonchaillant, qu'il ne les pugnisse poinct, comme ne se soucyant des choses de ça bas. Et de ceste opinion mesmes estoit une damoiselle, de laquelle, pour l'honneur de la race, je changeray le nom, et la nommeray Jambicque. Elle disoit souvent que la personne qui n'avoit à faire que de Dieu, estoit bien heureuse, si au demeurant elle povoit bien conserver son honneur devant les hommes. Mais vous verrez, mes dames; que sa prudence ne son hypocrisie ne l'a pas garantye que son secret n'ait esté revellé, comme vous verrez par son histoire où la verité sera dicte tout du long, horsmis les noms des personnes et des lieux qui seront changez."

Quarante troisiesme nouvelle

Jambicque, preferant la gloire du monde à sa conscience, se voulut faire devant les hommes autre qu'elle n'estoit; mais son amy et serviteur, descouvrant son hypocrisye par le moyen d'un petit trait de craye, revela à un chascun la malice qu'elle mectoit si grand peine de cacher.

En ung très beau chasteau, demoroit une grande princesse et de grande auctorité; et avoit en sa compaignye une damoiselle, nommée Jambicque, fort audatieuse, de laquelle la maistresse estoit si fort abusée, qu'elle ne faisoit rien que par son conseil, l'estimant la plus saige et vertueuse damoiselle qui fut poinct de on temps. Ceste Jambicque reprouvoit tant la folle amour, que, quant elle voyoit quelque gentil homme amoureux de l'une de ses compaignes, elle les reprenoit fort aigrement et en faisoit si mauvais rapport à sa maistresse que souvent elle les faisoit tanser; dont elle estoit beaucoup plus craincte que aymée de toute la compaignie. Et, quant à elle, jamais ne parloit à homme, sinon tout hault et avecq une grande audace, tellement qu'elle avoit le bruict d'estre ennemye mortelle de tout amour, combien qu'elle estoit contraire en son cueur. Car il y avoit ung gentil homme au service de sa maistresse, dont elle estoit si fort esprinse, qu'elle n'en povoit plus porter. Si est-ce que l'amour qu'elle avoit à sa gloire et reputation la faisoit en tout dissimuller son affection. Mais, après avoir porté ceste passion bien ung an, ne se voulant soulaiger, comme les aultres qui ayment, par le regard et la parolle, brusloit si fort en son cueur, qu'elle vint sercher le dernier remede. Et, pour conclusion, advisa qu'il valloit mieulx satisfaire à son desir et qu'il n'y eust que Dieu seul qui congneut son cueur, que de le dire à ung homme qui le povoit reveler quelquefois.

Après ceste conclusion prinse, ung jour qu'elle estoit en la chambre de sa maistresse regardant sur une terrace, veit pourmener celluy qu'elle aymoit tant; et, après l'avoir regardé si longuement que le jour qui se couchoit en emportoit avec luy la veue, elle appella ung petit paige qu'elle avoit, et, en luy monstrant le gentil homme, luy dist: "Voyez-vous bien cestuy-là, qui a ce pourpoinct de satin cramoisy, et ceste robbe fourrée de loups cerviers? Allez luy dire qu'il y a quelcun de ses amyz qui veult parler à luy en la gallerie du jardin de ceans." Et, ainsy que le paige y alla, elle passa par la garderobbe de sa maistresse, et s'en alla en ceste gallerie, ayant mis sa cornette basse et son touret de nez. Quant le gentil homme fut arrivé où elle estoit, elle vat incontinant fermer les deux portes par où on povoit venir sur eulx, et, sans oster son touret de nez, en l'embrassant bien fort, luy vat dire le plus bas qu'il luy fut possible: "Il y a long temps, mon amy, que l'amour que je vous porte m'a faict desirer de trouver lieu et occasion de vous povoir veoir; mais la craincte de mon honneur a esté pour un temps si forte, qu'elle m'a contraincte, malgré ma volunté, de dissimuller ceste passion. Mais, en la fin, la force d'amour a vaincu la craincte; et, par la congnoissance que j'ai de vostre honnesteté, si vous me voulez promectre de m'aymer et de jamais n'en parler à personne, ne vous vouloir enquerir de moy qui je suys, je vous asseureray bien que je vous seray loyalle et bonne amye, et que jamais je n'aymeray autre que vous. Mais, j'aymerois mieulx morir, que vous sceussiez qui je suys." Le gentil homme luy promist ce qu'elle demandoit; qui la rendit très facille à luy rendre la pareille: c'est de ne luy refuser chose qu'il voulsist prendre. L'heure estoit de cinq et six en yver, qui entierement lui ostoit la veue d'elle. En touchant ses habillemens, trouva qu'ilz estoient de veloux, qui en ce temps-là ne se portoit à tous les jours, sinon par les femmes de grande maison et d'auctorité. En touchant ce qui estoit dessoubz autant qu'il en povoit prendre jugement par la main, ne trouva rien qui ne fust en très bon estat, nect et en bon poinct. Si mist peine de luy faire la meilleure chere qu'il luy fust possible. De son costé, elle n'en feit moins. Et congneut bien le gentil homme qu'elle estoit mariée.

Elle s'en voulut retourner incontinant de là où elle estoit venue, mais le gentil homme luy dist: "J'estime beaucoup le bien que sans mon merite vous m'avez donné, mays j'estimeray plus celluy que j'auray de vous à ma requeste. Je me tiens si satisfaict d'une telle grace, que je vous supplye me dire si je ne doibtz pas esperer encores ung bien semblable, et en quelle sorte il vous plaira que j'en use, car, veu que je ne vous puys congnoistre, je ne sçay comment le pourchasser. - Ne vous soulciez, dist la dame, mais asseurez-vous que tous les soirs, avant le souper de ma maistresse, je ne fauldray de vous envoier querir, mais que à l'heure vous soiez sur la terrace où vous estiez tantost. Je vous manderay seullement qu'il vous souvienne de ce que vous avez promis: par cela, entendrezvous que je vous attendz en ceste gallerie. Mais, si vous oyez parler d'aller à la viande, vous pourrez bien, pour ce jour, vous retirer ou venir en la chambre de nostre maistresse. Et, sur tout, je vous prye ne serchez jamais de me congnoistre, si vous ne voulez la separation de nostre amityé." La damoiselle et le gentil homme se retirerent tous deux, chacun en leur lieu. Et continuerent longuement ceste vie, sans ce qu'il s'apperceust jamays qui elle estoit: dont il entra en une grande fantaisye, pensant en luy-mesme qui se povoit estre; car il ne pensoit poinct qu'il y eut femme au monde, qui ne voullut estre vue et aymée. Et se doubta que ce fust quelque maling esperit, ayant oy dire à quelque sot prescheur que qui auroit veu le diable au visaige, l'on ne aymeroit jamais. En ceste doubte-là, se delibera de sçavoir qui estoit ceste-là qui luy faisoit si bonne chere; et, une aultrefois qu'elle le manda, porta avecq luy de la craye, dont, en l'embrassant, luy en feit une marque sur l'espaule, par derriere, sans qu'elle s'en apperceut; et, incontinant qu'elle fut partye, s'en alla hastivement le gentil homme en la chambre de sa maistresse, et se tint aupres de la porte pour regarder le derriere des espaules de celles qui y entroient. Entre autres, veit entrer ceste Jambicque avecq une telle audace, qu'il craingnoit de la regarder comme les aultres, se tenant très asseuré que ce ne povoit estre elle. Mais, ainsy qu'elle se tournoit, advisa sa craye blanche, dont il fut si estonné, qu'à peyne povoit-il croire ce qu'il voyoit. Toutesfois, ayant bien regardé sa taille, qui estoit semblable à celle qu'il touchoit, les façons de son visaige, qui au toucher se peuvent congnoistre, congneut certainement que c'estoit elle; dont il fut très aise de veoir que une femme, qui jamais n'avoit eu le bruict d'avoir serviteur, mais tant refusé d'honnestes gentilz hommes, s'estoit arrestée à luy seul. Amour, qui n'est jamays en ung estat, ne peult endurer qu'il vesquit longuement en ce repos; et le meist en telle gloire et esperance, qu'il se delibera de faire congnoistre son amour, pensant que, quant elle seroit congneue, elle auroit occasion d'augmenter. Et ung jour que ceste grande dame alloit au jardin, la damoiselle Jambicque s'en alla pourmener en une aultre allée. Le gentil homme, la voïant seulle, s'advancea pour l'entretenir, et, faingnant ne l'avoir poinct veue ailleurs, luy dist: "Mademoiselle, il y a long temps que je vous porte une affection sur mon cueur, laquelle pour paour de vous desplaire ne vous ay osé reveler; dont je suys si mal, que je ne puis plus porter ceste peyne sans morir, car je ne croys pas que jamais homme vous sceut tant aymer que je faictz." La damoiselle Jambicque ne le laissa pas achever son propos, mais luy dist avecq une très grand collere: "Avez-vous jamais oy dire ne veu que j'aye eu amy ne serviteur? Je suis seure que non, et m'esbahys dont vous vient ceste hardiesse de tenir telz propos à une femme de bien comme moy, car vous m'avez assez hantée ceans, pour congnoistre que jamais je n'aymeray autre que mon mary; et, pour ce, gardez-vous de plus continuer ces propoz." Le gentil homme, voyant une si grande fiction, ne se peut tenir de se prendre à rire et de luy dire: "Madame, vous ne m'estes pas tousjours si rigoreuse que maintenant. De quoy vous sert de user envers moy de telle dissimullation? Ne vault-il pas mieulx avoir une amityé parfaite que imparfaicte?" Jambicque luy respondit: "Je n'ay amityé à vous parfaicte ne imparfaicte, sinon comme aux autres serviteurs de ma maistresse; mais, si vous continuez les propos que vous m'avez tenu, je pourray bien avoir telle hayne, qu'elle vous nuyra." Le gentil homme poursuivyt encores son propos et luy dist: "Et où est la bonne chere que vous me faictes quand je ne vous puys veoir? Pourquoy m'en privez-vous maintenant, que le jour me monstre vostre beaulté accompaignée d'une parfaicte et bonne grace?" Jambicque, faisant ung grand signe de la croix, luy dist: "Vous avez perdu vostre entendement, où vous estes le plus grand menteur du monde, car jamais en ma vie je ne pensay vous avoir faict meilleure ne pire chere que je vous faictz; et vous prye de me dire comme vous l'entendez?" Alors le pauvre gentil homme, pensant la gaingner davantaige, luy alla compter le lieu où il l'avoit veue et la marque de la craye qu'il avoit faicte pour la congnoistre; dont elle fut si oultrée de collere, qu'elle luy dist qu'il estoit le plus meschant homme du monde; qu'il avoit controuvé contre elle une mensonge si villaine, qu'elle mectroit peyne de l'en faire repentir. Luy, qui sçavoit le credit qu'elle avoit envers sa maistresse, la voulut appaiser, mais il ne fut possible; car, en le laissant là furieusement, s'en alla là où estoit sa maistresse, laquelle laissa là toute la compaignye pour venir entretenir Jambicque, qu'elle aymoit comme elle-mesmes. Et, la trouvant en si grande collere, luy demanda qu'elle avoit: ce que Jambicque ne luy voulut celler, et luy compta tous les propos que le gentil homme luy avoit tenu, si mal à l'advantage du pauvre homme, que dès le soir sa maistresse luy manda qu'il eust à se retirer en sa maison tout incontinant, sans parler à personne et qu'il y demorast jusques ad ce qu'il fust mandé. Ce qu'il feit hastivement, pour la craincte qu'il avoit d'avoir pis. Et, tant que Jambicque demoura avecq sa maistresse, ne retourna le gentil homme en ceste maison, ne oncques puys n'ouyt nouvelles de celle qui luy avoit bien promis qu'il la perdroit, de l'heure qu'il la chercheroit.

"Parquoy, mes dames, povez veoir comme celle qui avoit preferé la gloire du monde à sa conscience, a perdu l'un et l'autre, car aujourd'huy est leu aux oeilz d'un chascun ce qu'elle vouloit cacher à ceulx de son amy, et, fuyant la mocquerye d'un, est tumbée en la mocquerye de tous. Et si ne peut estre excusée de simplicité, et amour naifve, de laquelle chascun doibt avoir pitié, mais, accusée doublement d'avoir couvert sa malice du double manteau d'honneur et de gloire, et se faire devant Dieu et les hommes aultre qu'elle n'estoit. Mais Celluy qui ne donne poinct sa gloire à aultruy, en descouvrant ce manteau, luy en a donné double infamye. - Voylà, dist Oisille, une vilenye inexcusable; car qui peut parler pour celle, quant Dieu, l'honneur et mesmes l'amour l'accusent? - Ouy, dist Hircan, le plaisir et la folie, qui sont deux grands advocatz pour les dames. - Si nous n'avions d'autres advocatz, dist Parlamente, que eulx avecq vous, nostre cause seroit mal soutenue; mais celles qui sont vaincues en plaisir ne se doibvent plus nommer femmes, mais hommes, desquelz la fureur et la concupiscence augmente leur honneur; car ung homme qui se venge de son ennemy et le tue pour ung desmentir en est estimé plus gentil compagnon; aussy est-il quant il en ayme une douzaine avecq sa femme. Mais l'honneur des femmes a autre fondement: c'est doulceur, patience et chasteté. - Vous parlez des saiges? dist Hircan. - Pour ce, respondit Parlamente, que je n'en veulx poinct congnoistre d'autres. - S'il n'y en avoit poinct de foles, dist Nomerfide, ceulx qui veullent estre creuz de tout le monde auroient bien souvent menty! - Je vous prie, Nomerfide, dist Geburon, que je vous donne ma voix, et n'obliez que vous estes femme, pour sçavoir quelques gens estimez veritables, disans de leurs folyes. - Puisque la vertu m'y a contrainct et que vous me donnez le ranc, j'en diray ce que j'en sçay. Je n'ay oy nul ny nulle de ceans, qui se soit espargné à parler au desavantaige des Cordeliers; et, pour la pitié que j'en ay, je suys deliberée, par le compte que je vous voys faire, d'en dire du bien."

Quarante quatriesme nouvelle

Pour n'avoir dissimulé la verité, le seigneur de Sedan doubla l'aumosne à un Cordelier, qui eut deux pourceaux pour un.

En la maison de Sedan arriva ung Cordelier, pour demander à madame de Sedan, qui estoit de la maison de Crouy, ung pourceau que tous les ans elle leur donnoit pour aulmosne. Monseigneur de Sedan, qui estoit homme saige et parlant plaisamment, feit manger ce beau pere à sa table. Et, entre autres propos, luy dist, pour le mectre aux champs: "Beau pere, vous faictes bien de faire vos questes tandis qu'on ne vous congnoist poinct, car j'ay grand paour que, si une fois vostre ypocrisie est descouverte, vous n'aurez plus le pain des pauvres enfans, acquis par la sueur des peres." Le Cordelier ne s'estonna poinct de ces propos, mais luy dist: "Monseigneur, nostre religion est si bien fondée, que, tant que le monde sera monde, elle durera, car nostre fondement ne fauldra jamais, tant qu'il y aura sur la terre homme et femme." Monseigneur de Sedan, desirant sçavoir sur quel fondement estoit leur vie assignée, le pria bien fort de luy vouloir dire. Le Cordelier, après plusieurs excuses, luy dist: "Puisqu'il vous plaist me commander de le dire, vous le sçaurez: sçachez, monseigneur, que nous sommes fondez sur la follye des femmes; et, tant qu'il y aura en ce monde de femme folle ou sotte, ne morrons poinct de faim." Madame de Sedan, qui estoit fort collere, oyant ceste parolle, se courroucea si fort, que, si son mary n'y eust esté, elle eust faict faire desplaisir au Cordelier; et jura bien fermement qu'il n'auroit jà le pourceau qu'elle luy avoit promis; mais monsieur de Sedan, voiant qu'il n'avoit poinct dissimullé la verité, jura qu'il en auroit deux, et les feit mener en son couvent.

"Voylà, mes dames, comme le Cordelier, estant seur que le bien des dames ne luy povoit faillir, trouva façon pour ne dissimuler poinct la verité d'avoir la grace et aulmosne des hommes: s'il eut esté flateur et dissimulateur, il eut esté plus plaisant aux dames, mais non profitable à luy et aux siens." La Nouvelle ne fut pas achevée sans faire rire toute la compaignie et principalement ceulx qui congnoissent le seigneur et la dame de Sedan. Et Hircan dist: "Les Cordeliers doncques ne devroient jamais prescher pour faire les femmes saiges, veu que leur folye leur sert tant." Ce dist Parlamente: "Ilz ne les preschent pas d'estre saiges mais oy bien pour le cuyder estre; car celles qui sont du tout mondaines et folles ne leur donnent pas de grandes aulmosnes, mais celles qui, pour frequenter leur couvent et porter les patenostres marquées de teste de mort et leurs cornettes plus basses que les aultres, cuydent estre les plus saiges, sont celles que l'on peult dire folles. Car elles constituent leur salut en la confiance qu'elles ont en la saincteté des inicques, que pour ung petit d'apparance elles estiment demy dieux. - Mais qui se garderoit de croire à eulx, dist Ennasuitte, veu qu'ils sont ordonnez de noz prelatz pour nous prescher l'Evangille et pour nous reprendre de noz vices? - Ceulx, dist Parlamente, qui ont congneu leur ypocrisie et qui congnoissent la difference de la doctrine de Dieu et de celle du diable. - Jhesus! dist Ennasuitte, penserez-vous bien que ces gens-là osassent prescher une mauvaise doctrine? - Comment penser? dist Parlamente; mais suys-je seure qu'ilz ne croyent riens moins que l'Evangille, j'entends les mauvais, car j'en congnois beaucoup de gens de bien lesquelz preschent purement et simplement l'Escripture et vivent de mesmes sans scandale, sans ambition ne convoitise, en chasteté, de pureté non faincte ne contraincte; mais de ceulx-là ne sont pas tant les rues pavées, que marquées de leurs contraires: et au fruict congnoist-on le bon arbre. - En bonne foy, je pensois, dist Ennasuitte, que nous fussions tenuz, sur peyne de peché mortel, de croire tout ce qu'ilz nous dient en chaire de verité: c'est quant ilz ne parlent que de ce qui est en la saincte Escripture ou qu'ilz alleguent les expositions des sainctz docteurs divinement inspirez. - Quant est de moy, dist Parlamente, je ne puis ignorer qu'il n'y en ait entre eulx de très mauvaise foy, car je sçay bien que ung d'entre eulx, docteur en theologie, nommé Colimant, grand prescheur et provincial de leur ordre, voulut persuader à plusieurs de ses freres que l'Evangille n'estoit non plus croyable que les Commentaires de Cesar ou autres histoires escriptes par docteurs autenticques; et, depuis l'heure que l'entendis, ne vouluz croire en parolle de prescheur, si je ne la trouve conforme à celle de Dieu, qui est la vraye touche pour sçavoir les parolles vraies ou mensongeres. - Croiez, dist Oisille, que ceulx qui humblement et souvent la lisent, ne seront jamais trompez par fictions ny inventions humaines; car qui a l'esperit remply de verité ne peut recevoir la mensonge. - Si me semble-il, dist Simontault, que une simple personne est plus aisée à tromper que une autre. - Oy, dist Longarine, si vous estimez sottize estre simplicité. - Je vous dictz, dist Simontault, que une femme bonne, doulce et simple est plus aisée à tromper que une fine et malitieuse. Je pense, dist Nomerfide, que vous en sçavez quelqu'une trop plaine de telle bonté; parquoy, je vous donne ma voix pour la dire. - Puisque vous avez si bien deviné, dist Simontault, je ne fauldray à la vous dire, mais que vous me promectiez de ne pleurer poinct. Ceulx qui disent, mes dames, que vostre malice passe celle des hommes auroient bien à faire de mectre ung tel exemple en avant, que celluy que maintenant je vous voys racompter, où non seullement je pretendz vous declarer la très grande malice d'un mary, mais la simplicité et bonté de sa femme."

II. De deux amans qui ont subtillement jouy de leurs amours, et de l'heureuse issue d'icelles

En la ville de Paris, y avoit deux citoyens de mediocre estat, l'un politic, et l'autre marchand de draps de soye; lesquels de toute ancienneté se portoient fort bonne affection, et se hantoient familierement. Au moyen de quoy, le fils du politic, nommé Jaques, jeune homme, assez mettable en bonne compaignie, frequentoit souvent, soubz la faveur de son pere, au logis du marchand; mais c'estoit à cause d'une belle fille qu'il aymoit, nommée Françoise. Et feit Jaques si bien ses menées envers Françoise, qu'il congneut qu'elle n'estoit moins aymante qu'aymée. Mais, sur ces entrefaictes, se dressa le camp de Provence contre la descente de Charles d'Autriche, et fut force à Jacques de suyvre le camp, pour l'estat auquel il estoit appellé. Durant lequel camp, et dès le commencement, son pere alla de vie à trespa: dont la nouvelle luy apporta double ennuy, l'un, pour la perte de son pere, l'autre, pour l'incommodité de reveoir si souvent sa bien aymée, comme il esperoit à son retour. Toutefois, avecques le temps, l'un fut oublié, et l'autre s'augmenta; car, comme la mort est chose naturelle, principalement au pere plustost qu'aux enfans, aussi la tristesse s'en escoule peu à peu. Mais l'amour, au lieu de nous apporter mort, nous rapporte vie, en nous communiquant la propagation des enfans, qui nous rendent immortels; et cela est une des principales causes d'augmenter noz desirs. Jaques donc, estant de retour à Paris, n'avoit aucun autre soing ny pensement que de se remettre au train de la frequentation vulgaire du marchand, pour, sous ombre de pure amitié, faire trafic de sa plus chere marchandise. D'autre part, Françoise, pendant son absence, avoit esté fort sollicitée d'ailleurs, tant à cause de sa beauté que de son esprit, et aussi qu'elle estoit, long temps y avoit, mariable, combien que le pere ne s'en mist pas fort en son devoir, fust ou pour son avarice, ou par trop grand desir de la bien colloquer, comme fille unique. Ce qui ne faisoit rien à l'honneur de la fille: pour ce que les personnes de maintenant se scandalisent beaucoup plustost que l'occasion ne leur en est donnée, et principalement quand c'est en quelque point qui touche la pudicité de belle fille ou femme. Cela fut cause que le pere ne feit point le sourd ny l'aveugle au vulgaire caquet et ne voulut ressembler beaucoup d'autres, qui, au lieu de censurer les vices, semblent y provoquer leurs femmes et enfans; car il la tenoit de si court, que ceux mesmes qui n'y tendoient que sous voile de mariage n'avoient point ce moyen de la voir que bien peu: encore estoit-ce toujours avecques sa mere.

Il ne fault pas demander si cela fut fort aigre à supporter à Jaques, ne pouvant resoudre en son entendement que telle austerité se gardast sans quelque grande occasion, tellement qu'il vacilloit fort entre amour et jalousie. Si est-ce qu'il se resolut d'en avoir la raison, à quelque peril que ce fust; mais premierement, pour congnoistre si elle estoit encore de mesmes affection que auparavant, il alla tant et vint, qu'un matin à l'eglise, oyant la messe près d'elle, il apparceut à sa contenance qu'elle n'estoit moins aise de le veoir que luy elle: aussi, luy, cognoissant la mere n'estre si severe que le pere, print quelques fois, comme inopinement, la hardiesse, en les voyant aller de leur logis jusques à l'eglise, de les acoster avecques une familiere et vulgaire reverence, et sans se trop avantager: le tout expressement, et à fin de mieux parvenir à ses attentes. Bref, en approchant le bout de l'an de son pere, il se delibera, au changement du deuil, de se mettre sur le bon bout, et faire honneur à ses ancestres. Et en tint propos à sa mere, qu'il le trouva bon, desirant fort de le veoir bien marié, pource qu'elle n'avoit pour tous enfans que luy et une fille ja mariée bien et honnestement. Et, de faict, comme damoiselle d'honneur qu'elle estoit, luy poussoit encor le cueur à la vertu par infinité d'exemples d'autres jeunes gens de son aage, qui s'avançoient d'eux-mesmes, au moins qui se monstroient dignes du lieu d'où ils estoient descenduz. Ne restoit plus que d'adviser où ils se fourniroient. Mais la mere dist: "Je suis d'advis, Jaques, d'aller chez le compere sire Pierre (c'estoit le pere de Françoise); il est de noz amis: il ne nous voudroit pas tromper." Sa mere le chatouilloit bien où il se demangeoit; neantmoins il tint bon, disant: "Nous en prendrons là où nous trouverons nostre meilleur et à meilleur marché. Toutesfois (dit-il), à cause de la congnoissance de feu mon pere, je suis bien content que nous y allions premier qu'ailleurs." Ainsi fut prins le complot, pour un matin, que la mere et le fils allerent veoir le sire Pierre, qui les recueillit fort bien, comme vous sçavez que les marchans ne manquent point de telles drogues. Si feirent desployer grandes quantitez de draps de soye de toutes sortes, et choisyrent ce qui leur en falloit. Mais ils ne peurent tomber d'accord: ce que Jaques faisoit à propos, pource qu'il ne voyoit point la mere de s'amie; et fallut à la fin qu'ils s'en allassent, sans rien faire, voir ailleurs quel il y faisoit. Mais Jaques n'y trouvoit rien si beau que chez s'amie: où ils retournerent quelque temps après. Lors s'y trouva la dame, qui leur feit le meilleur recueil du monde. Et, après les menées qui se font en telles boutiques, la femme du sire Pierre, tenant encor plus roide que son mary, Jaques luy dist: "Et dea, madame, vous estes bien rigoureuse! Voilà, que c'est: Nous avons perdu nostre pere, on ne nous congnoist plus." Et feit semblant de plorer et de s'essuyer les yeux, pour la souvenance paternelle; mais c'estoit à fin de faire sa menée. La bonne femme, vefve, mere de Jaques, y allant à la bonne foy, dist aussi: "Depuis sa mort, nous ne nous sommes plus frequentez, que si jamais ne nous fussions veuz. Voilà le compte que l'on tient des pauvres femmes vefves!" Alors se racointerent-elles de nouvelles caresses, se promettans de se revisiter plus souvent que jamais. Et, comme ils estoient en ces termes, vindrent d'autres marchans que le maistre mena luy-mesmes en son arriere boutique. Et le jeune homme, voyant son apoinct, dist à sa mere: "Mais, ma demoiselle, j'ay veu que ma dame venoit bien souvent, les festes, visiter les saincts lieux qui sont en noz quartiers, et principalement les religions. Si quelques fois elle daignoit, en passant, prendre son vin, elle nous feroit plaisir et honneur." La marchande, qui n'y pensoit en nul mal, luy respondit qu'il y avoit plus de quinze jours qu'elle avoit deliberé d'y faire un voyage, et que, si le prochain dimanche en suyvant il faisoit beau, elle pourroit bien y aller, qui ne seroit sans passer par le logis de la damoiselle, et la revisiter. Cette conclusion prinse, aussi fut celle du marché des draps de soye, car il ne falloit pas pour quelque peu d'argent laisser fuyr si belle occasion.

Le complot prins, et la marchandise emportée, Jaques, congnoissant ne pouvoir bien luy seul faire une telle entreprinse, fut contrainct se declarer à un sien fidele amy. Si se conseillerent si bien ensemble qu'il ne restoit que l'execution. Parquoy, le dimanche venu, la marchande et sa fille ne faillirent, au retour de leurs devotions, de passer par le logis de la damoiselle vefve, où elles la trouverent avec une sienne voisine, devisans en une gallerie de jardin, et la fille de la vefve, qui se promenoit par les allées du jardin avecques Jaques et Olivier. Luy, aussi tost qu'il veid s'amie, se forma, en sorte qu'il ne changea nullement de contenance. Si alla en ce bon visaige recevoir la mere et la fille, et, comme c'est l'ordinaire que les vieux cherchent les vieux, ces trois dames s'assemblerent sur un banc qui leur faisoit tourner le dos vers le jardin: dans lequel, peu à peu, les deux amans entrerent, se promenans jusques au lieu où estoient les deux autres. Et ainsi, de compaignie, s'entre-caresserent quelque peu, puis se remirent au promenoir: où le jeune homme compta si bien son piteux cas à Françoise, qu'elle ne pouvoit accorder et si n'osoit refuser ce que son amy demandoit, tellement qu'il congneut qu'elle estoit bien fort aux alteres. Mais il fault entendre que, pendant qu'ils tenoient ces propos, ils passoient et repassoient souvent au long de l'abry où estoient assises les bonnes femmes, à fin de leur oster tout soupçon: parlans, toutesfois, de propos vulgaires et familiers, et quelque fois un peu rageans folastrement parmy le jardin. Et y furent ces bonnes femmes si accoustumées, par l'espace d'une demie heure, qu'à la fin Jaques feit le signe à Olivier, qui joua son personnage envers l'autre fille qu'il tenoit, en sorte qu'elle ne s'apparceut point que les deux amans entrerent dans un preau couvert de cerisaye, et bien cloz de hayes, de rosiers et de groiseliers fort haults; là où ils feirent semblant d'aller abattre des amendes à un coing du preau, mais ce fut pour abbattre prunes. Aussi, Jaques, au lieu de bailler la cotte verte à s'amye, luy bailla la cotte rouge, en sorte que la couleur luy en vint au visaige pour s'estre trouvée surprise un peu plus tost qu'elle ne pensoit. Si eurent-ils si habilement cueilly leurs prunes, pour ce qu'elles estoient meures, que Olivier mesme ne le pouvoit croire, n'eust esté qu'il veid la fille tirant la veuë contre bas, et monstrant visaige honteux: qui luy donna marque de la verité, pource qu'auparavant elle alloit la teste levée, sans crainte qu'on veist en l'oeil la veine, qui doit être rouge, avoir pris couleur azurée: de quoy Jaques s'apercevant, la remeit en son naturel, par remonstrances à ce necessaires. Toutefois, en faisant encor deux ou trois tours de jardin, ce ne fut point sans larmes et soupirs, et sans dire maintesfois: "Helas! estoit-ce pour cela que vous m'aymiez? Si je l'eusse pensé! Mon Dieu, que feray-je? Me voilà perdue pour toute ma vie! En quelle estime m'aurez-vous doresnavant? Je me tiens asseurée que vous ne tiendrez plus compte de moy au moins si vous estes du nombre de ceux qui n'ayment que pour leur plaisir. Helas! que ne suis-je plus tost morte que de tumber en ceste faulte?" Ce n'estoit pas sans verser forces larmes qu'elle tenoit ce propos. Mais Jacques la reconforta si bien, avec tant de promesses et sermens, qu'avant qu'ils eussent parfourny trois autres tours de jardin, et qu'il eust faict le signe à son compaignon, ils rentrerent encores au preau par ung autre chemin, où elle ne sceut si bien faire, qu'elle ne receust plus de plaisir à la seconde cotte verte qu'à la premiere: voire et si s'en trouva si bien dès l'heure, qu'ils prindrent deliberation pour adviser comment ils se pourroient reveoir plus souvent et plus à leur aise, en attendant le bon loisir du pere. A quoy leur ayda grandement une jeune femme, voisine du sire Pierre, qui estoit aucunement parente du jeune homme et bien amye de Françoise. En quoy ils ont continué sans scandale (à ce que je puis entendre) jusques à la consommation du mariage, qui s'est trouvé bien riche pour une fille de marchand, car elle estoit seule. Vray est que Jaques a attendu le meilleur du temporel jusques au decès du pere, qui estoit si serrant, qu'il luy sembloit que ce qu'il tenoit en une main l'autre luy desrobboit.

"Voilà, mes dames, une amitié bien commencée, bien continuée, et mieulx finie; car, encores que ce soit le commun d'entre vous hommes de desdaigner une fille ou femme, depuis qu'elle vous a esté liberale de ce que vous cherchez le plus en elle, si est-ce que ce jeune homme; estant poulsé de bonne et sincere amour, et ayant cogneu en s'amie ce que tout mary desire en la fille qu'il espouse, et aussi la congnoissant de bonne lignée et saige, au reste de la faulte que luy-mesme avoit commise, ne voulut point adulterer ny estre cause ailleurs d'un mauvais mariage: en quoy je trouve grandement louable. - Si est-ce, dist Oisille, qu'ils sont tous deux dignes de blasme, voire le tiers aussi, qui se faisoit ministre ou du moins adherant à un tel violement. - M'appellez-vous cela violement, dist Saffredent, quand les deux parties en sont bien d'accord? Est-il meilleur mariage que cestuy-là qui se fait ainsi d'amourettes? C'est pourquoy on dict, en proverbe, que les mariages se font au ciel. Mais cela ne s'entend pas des mariages forcez, ny qui se font à prix d'argent, et qui sont tenuz pour très approuvez, depuis que le pere et la mere y ont donné consentement. - Vous en direz ce que vous vouldrez, repliqua Oisille, si fault-il que nous recongnoissions l'obeissance paternelle, et, par desfault d'icelle, avoir recours aux autres parents. Autrement, s'il estoit permis à tous et à toutes de se marier à volunté, quants mariages cornuz trouveroit l'on? Est-il à presupposer qu'un jeune homme et une fille de douze ou quinze ans sçachent ce que leur est propre? Qui regarderoit bien le contennement de tous les mariages, on trouveroit qu'il y en a pour le moins autant de ceux qui se sont faits par amourettes dont les yssues en sont mauvaises, que de ceux qui ont esté faicts forcement; pour ce que les jeunes gens, qui ne sçavent ce qui leur est propre, se prennent au premier qu'ils trouvent, sans consideration: puis, peu à peu ils descouvrent leurs erreurs, qui les faict entrer en de plus grandes; là où, au contraire, la plus part de ceux qui se font forcement, procedent du discours de ceux qui ont plus veu et ont plus de jugement que ceux à qui plus il touche: en sorte que, quand ils viennent à sentir le bien qu'ils ne congnoissoient, ils le savourent et embrassent beaucoup plus avidement et de plus grande affection. - Voire, mais vous ne dictes pas, ma dame, dist Hircan, que la fille estoit en hault aage, nubile, congnoissant l'iniquité du pere, qui laissoit moisir son pucelage, de peur de desmoisir ses escuz. Et ne sçavez-vous pas que nature est coquine? Elle aimoit, elle estoit aimée, elle trouvoit son bien prest, et si se pouvoit souvenir du proverbe que: "Tel refuse, qui après muse". Toutes ces choses, avecques la prompte execution du poursuivant, ne luy donnerent pas loisir de se rebeller. Aussi, avez-vous oy qu'incontinent après on congneut bien à sa face qu'il y avoit en elle quelque mutation notable. C'estoit (peult-estre) l'ennuy du peu de loisir qu'elle avoit eu pour juger si telle chose estoit bonne ou mauvaise; car elle ne se feit pas grandement tirer l'aureille pour en faire le second essay. - Or, de ma part, dist Longarine, je n'y trouverois point d'excuse, si ce n'estoit l'approbation de la foy du jeune homme, qui, se gouvernant en homme de bien, ne l'a point abandonnée, ains l'a bien voulue telle qu'il l'avoit faicte. En quoy il me semble grandement louable, veu la corruption depravée de la jeunesse du temps present. Non pas que, pour cela, je vueille excuser la premiere faulte qui l'accuse tacitement, d'un rapt pour le regard de la fille et de subornation en l'endroit de la mere. - Et point, point, dist Dagoucin; il n'y a rapt ny subornation: tout s'est fait de pur consentement, tant du costé des deux meres, pour ne l'avoir empesché, bien qu'elles ayent esté deceues, que du costé de la fille; qui s'en est bien trouvée: aussi, ne s'en est-elle jamais plaincte. - Tout cela n'est procedé, dist Parlamente, que de la grande bonté et simplicité de la marchande, qui, sous tiltre de bonne foy, mena, sans y penser, sa fille à la bocherie. - Mais aux nopces, dist Simontault: tellement que ceste simplicité ne fut moins profitable à la fille, que dommageable à celle qui se laissoit aisement tromper par son mary. - Puis que vous en sçavez le compte, dist Nomerfide, je vous donne ma voix, pour nous le reciter. - Et je n'y ferai faulte, dist Simontault, mais que vous promettiez de ne pleurer point. Ceux qui disent, mes dames, que vostre malice passe celle des hommes auroient bien à faire de mettre un tel exemple en avant, que celui que maintenant je vous voys racompter, où je pretens non seulement vous declarer la grande malice d'un mary, mais aussi la très grande simplicité et bonté de sa femme."

Quarante cinquiesme nouvelle

A la requeste de sa femme, un tapissier bailla les Innocens à sa chambriere, de laquelle il estoit amoureux, mais ce fut de telle façon, qu'il luy donnoit ce qui appartenoit à sa femme seule, qui estoit si simple, qu'elle ne put jamais croire que son mary luy tinst un tel tort, combien qu'elle en fut assez avertye par une sienne voysine.

En la ville de Tours y avoit ung homme de fort subtil et bon esperit, lequel estoit tapissier de feu Monsieur d'Orléans, filz du Roy Françoys premier. Et, combien que ce tapissier par fortune de maladie, fut devenu sourd, si n'avoit-il diminué son entendement, car il n'y avoit poinct de plus subtil de son mestier, et aux autres choses: vous verrez comment il s'en sçavoit ayder. Il avoit espousé une honneste et femme de bien, avecq laquelle il vivoit en grande paix et repos. Il craingnoit fort à luy desplaire; elle, aussi ne chercheoit que à luy obeir en toutes choses. Mais, avecq la bonne amitié qu'il luy portoit, estoit si charitable, que souvent il donnoit à ses voisines ce qui appartenoit à sa femme, combien que ce fut le plus secretement qu'il povoit. Ilz avoient en leur maison une chamberiere fort en bon poinct, de laquelle ce tapissier devint amoureux. Toutesfois, craingnant que sa femme ne le sceut, faisoit semblant souvent de la tanser et reprendre, disant que c'estoit la plus paresseuse garse que jamais il avoit veue, et qu'il ne s'en esbahissoit pas, veu que sa maistresse jamais ne la battoit. Et, ung jour qu'ilz parloient de donner les Innocens, le tapissier dist à sa femme: "Ce seroit belle aulmosne de les donner à ceste paresseuse garse que vous avez, mais il ne fauldroit pas que ce fust de vostre main, car elle est trop foible et vostre cueur trop piteux; si est ce que, si je y voulois emploier la myenne, nous serions mieulx serviz d'elle que nous ne sommes." La pauvre femme, qui n'y pensoit en nul mal, le pria d'en vouloir faire l'execution, confessant qu'elle n'avoit le cueur ne la force pour la battre. Le mary, qui accepta voluntiers ceste commission, faisant le rigoreux bourreau, feit achepter des verges des plus fines qu'il peut trouver; et, pour monstrer le grand desir qu'il avoit de ne l'espargner poinct, les feit tramper dedans de la saulmure, en sorte que sa pauvre femme eut plus de pitié de sa chamberiere, que de doubte de son mary. Le jour des Innocens venu, le tapissier se leva de bon matin, et s'en alla en la chambre haulte, où la chamberiere estoit toute seulle; et là, luy bailla les Innocens d'autre façon qu'il n'avoit dict à sa femme. La chamberiere se print fort à pleurer, mais rien ne luy vallut. Toutesfois, de paour que sa femme y survint, commencea à frapper des verges qu'il tenoit sur le bois du lict, tant que les escorchea et rompit; et ainsy rompues les raporta à sa femme, luy disant: "M'amye, je croy qu'il souviendra des Innocens à vostre chamberiere." Après que le tapissier fut allé hors de la maison, la pauvre chamberiere se vint gecter à deux genoulx devant sa maistresse, luy disant que son mary luy avoit faict le plus grand tort que jamais on feit à chamberiere. Mais la maistresse, cuydant que ce fust à cause des verges qu'elle pensoit luy avoir esté données, ne la laisa pas achever son propos, mais luy dist: "Nostre mary a bien faict, car il y a plus d'un mois que je suis après luy, pour l'en prier; et, si vous avez eu du mal, j'en suis bien ayse, ne vous en prenez que à moy, et encores n'en a-il pas tant faict qu'il devoit." La chamberiere, voiant que sa maistresse approuvoit ung tel cas, pensa que ce n'estoit pas ung si grand peché qu'elle cuydoit, veu que celle que l'on estimoit tant femme de bien en estoit l'occasion; et n'en osa plus parler depuis. Mais le maistre, voiant que sa femme estoit aussi contante d'estre trompée que luy de la tromper, delibera de la contanter souvent, et gaingna si bien ceste chamberiere qu'elle ne pleuroit plus pour avoir les Innocents. Il continua ceste vie longuement, sans que sa femme s'en apperceut, tant que les grandes neiges vindrent; et tout ainsy que le tapissier avoit donné les Innocents sur l'herbe en son jardin, il luy en vouloit autant donner sur la neige; et ung matin, avant que personne fut esveillé en sa maison, la mena toute en chemise faire le crucifix sur la neige, et, en se jouant tous deux à se bailler de la neige l'un l'aultre, n'oblierent le jeu des Innocents. Ce que advisa une de leurs voisines, qui s'estoit mise à la fenestre qui regardoit tout droict sur le jardin, pour veoir quel temps il faisoit; et, voiant ceste villenye, fut si courroucée qu'elle se delibera de le dire à sa bonne commere, afin qu'elle ne se laissast plus tromper d'un si mauvais mary, ny servir d'une si meschante garse. Le tapissier, après avoir faict ses beaulx tours, regarda à l'entour de luy si personne ne le povoit veoir; et advisa sa voisine à sa fenestre, dont il fut fort marry. Mais, luy, qui sçavoit donner couleur à toute tapisserie, pensa si bien colorer ce faict, que sa commere seroit aussi bien trompée que sa femme. Et, si tost qu'il fut recouché, feit lever sa femme du lict toute en chemise, et la mena au jardin comme il avoit mené sa chamberiere; et se joua long temps avecq elle de la neige, comme il avoit faict avecq l'autre, et puis luy bailla les Innocens tout ainsy qu'il avoit faict à sa chamberiere; et après s'en allerent tous deux coucher. Quant ceste bonne femme alla à la messe, sa voisine et bonne amye ne faillyt de s'y trouver; et, du grand zele qu'elle avoit, luy pria, sans luy en vouloir dire davantaige, qu'elle voulsist chasser sa chamberiere, et que c'estoit une très mauvaise et dangeureuse garse. Ce qu'elle ne voulut faire sans sçavoir pourquoy sa voisine l'avoit en si mauvaise estime; qui, à la fin, luy compta comme elle l'avoit veue au matin en son jardin avecq son mary. La bonne femme se print à rire bien fort, en luy disant: "Hélas, ma commere, m'amye, c'estoit moy! - Comment, ma commere? Elle estoit toute en chemise, au matin, environ les cinq heures." La bonne femme luy respondit: "Par ma foy, ma commere, c'estoit moy." L'autre continuant son propos: "Ilz se bailloient de la neige l'un à l'autre, puis aux tetins, puis en autre lieu, aussy privement qu'il estoit possible." La bonne femme luy dist: "Hé! hé! ma commere, c'estoit moy. - Voire, ma commere, ce dist l'aultre, mais je les ay veu après, sur la neige, faire telle chose qui me semble n'estre belle ne honneste. - Ma commere, dist la bonne femme, je le vous ay dict et le vous diz encores que c'estoit moy et non aultre, qui ay faict tout cela que vous me dictes; mais mon bon mary et moy nous jouons ainsy privement. Je vous prie, ne vous en scandalisez poinct, car vous sçavez que nous debvons complaire à noz mariz." Ainsy s'en alla la bonne commere, plus desirante d'avoir ung tel mary qu'elle n'estoit à venir demander celluy de bonne commere. Et, quand le tapissier fut retourné à sa femme, luy feit tout au long le compte de sa commere: "Or regardez, m'amye, ce respondit le tapissier, si vous n'estiez femme de bien et de bon entendement, longtemps a que nous fussions separez l'un de l'autre; mais j'espere que Dieu nous conservera en nostre bonne amityé, à sa gloire et à nostre bon contentement. - Amen, mon amy, dist la bonne femme; j'espere que de mon costé vous n'y trouverez jamais faulte."

"Il seroit bien incredule, mes dames, celluy qui, après avoir veu une telle et veritable histoire, ne jugeroit que en vous il y ait une telle malice que aux hommes; combien que, sans faire tort à nul, pour bien louer à la vérité l'homme et la femme, l'on ne peult faillir de dire que le meilleur n'en vault rien. - Cest homme-là, dit Parlamente, estoit merveilleusement mauvays, car, d'un costé, il trompoit sa chamberiere, et, de l'autre, sa femme. - Vous n'avez doncques pas bien entendu le compte, dist Hircan, pour ce qu'il est dict qu'il les contanta toutes deux en une matinée; que je trouve ung grand acte de vertu, tant au corps que à l'esperit, de sçavoir dire et faire chose qui rend deux contraires contens. - Et cela est doublement mauvais, dist Parlamente, de satisfaire à la simplesse de l'une par sa mensonge, et à la malice de l'autre par son vice. Mais j'entendz que ces pechez là mis devant telz juges, qu'ilz vous seront tousjours pardonnez. - Si vous asseuray-je, dist Hircan, que je ne feray jamais si grande ne si difficille entreprinse, car, mais que je vous rende contente, je n'auray pas mal employé ma journée. - Si l'amour reciprocque, dist Parlamente, ne contente le cueur, tout aultre chose ne le peult contenter. - De vray, dist Simontault, je croy qu'il n'y a au monde nulle plus grande peyne que d'aymer et n'estre poinct aymé. - Il fauldroit, pour estre aymé, dist Parlamente, s'addresser aux lieux qui ayment. Mais bien souvent celles qui sont les bien aymées et ne veulent aymer, sont les plus aymées, et ceulx qui sont le moins aymez, ayment plus fort. - Vous me faictes souvenir, dist Oisille, d'un compte que je n'avois pas deliberé de mectre au rang des bons. - Je vous prye, dist Simontault, que vous nous le dictes. - Et je le feray voluntiers," dist Oisille.

Quarante sixiesme nouvelle

De Valé, Cordelier, convyé pour disner en la maison du juge des exempts d'Angoulesme, advisa que sa femme, dont il estoit amoureux, montoit toute seule en son grainier, où, la cuydant surprendre, ala après, mais elle luy donna ung si grand coup de pié par le ventre, qu'il trebuscha du haut en bas et s'enfuyt hors la ville chez une damoiselle, qui aymoit si fort les gens de son ordre, que, par trop sotement croire plus de bien en eulx qu'il n'y en a, luy commeit la correction de sa fille, qu'il print par force, en lieu de la chastyer du peché de paresse, comme il avoit promis à sa mere.

En la ville d'Angoulesme où se tenoit souvent le conte Charles, pere du Roy François, y avoit ung Cordelier, nommé De Valé, estimé homme sçavant et grand prescheur, en sorte que ung advent il prescha en la ville devant le Conte: dont il acquist si grand bruict, que ceulx qui le congnoissoient le convyoient à grand requeste à disner en leur maison. Et entre aultres ung, qui estoit juge des exemptz de la conté, lequel avoit espousé une belle et honneste femme, dont le Cordelier fut tant amoureux qu'il en moroit, mais il n'avoit la hardiesse de luy dire: dont elle qui s'en apperceut se mocquoit très fort. Après qu'il eut faict plusieurs contenances de sa folle intention, l'advisa ung jour qu'elle montoit en son grenier, toute seulle, et, suydant la surprendre, monta après elle; mais, quant elle ouyt le bruict, elle se retourna et demanda où il alloit: "Je m'en vois, dist-il, après vous, pour vous dire quelque chose de secret. - N'y venez poinct, beau pere, dist la jugesse, car je ne veulx poinct parler à telles gens que vous en secret, et, si vous montez plus avant en ce degré, vous vous en repentirez." Luy, qui la voyoit seulle, ne tint compte de ses parolles, mais se haste de monter. Elle, qui estoit de bon esperit, le voyant au hault du degré, luy donna ung coup de pied par le ventre et, en luy disant: "Devallez, devallez, monsieur!" le gecta du hault en bas; dont le pauvre beau pere fut si honteulx, qu'il oblia le mal qu'il s'estoit faict à cheoir, et s'enfouyt le plus tost qu'il peut hors de la ville, car il pensoit bien qu'elle ne le celeroit pas à son mary. Ce qu'elle ne feit, ne au Conte ne à la Contesse; par quoy le Cordelier ne se osa plus trouver devant eulx. Et, pour parfaire sa malice, s'en alla chez une damoiselle qui aymoit les Cordeliers sur toutes gens; et, après avoir presché ung sermon ou deux devant elle, advisa sa fille qui estoit fort belle; et, pour ce qu'elle ne se levoit poinct au matin pour venir au sermon, la tansoit souvent devant sa mere, qui lui disoit: "Mon pere, pleust à Dieu qu'elle eust ung peu tasté des disciplines que entre vous religieux prenez!" Le beau pere luy jura que, si elle estoit plus si paresseuse, qu'il luy en bailleroit: dont la mere le pria bien fort. Au bout d'un jour ou de deux, le beau pere entra dans la chambre de la damoiselle, et, ne voiant poinct sa fille, lui demanda où elle estoit. La damoiselle luy dist: "Elle vous crainct si peu que je croy qu'elle est encores au lict. - Sans faulte, dist le Cordelier, c'est une tres mauvaise coustume à jeunes filles d'estre paresseuses. Peu de gens font compte du peché de paresse, mais quant à moy, je l'estime ung des plus dangereux qui soit, tant pour le corps que pour l'ame: parquoy, vous l'en debvez bien chastier, et, si vous m'en donnez la charge, je la garderois bien d'estre au lict à l'heure qu'il fault prier Dieu." La pauvre damoiselle, croyant qu'il fust homme de bien, le pria de la vouloir corriger; ce qu'il feit incontinant, et, en montant en hault par ung petit degré de bois, trouva la fille toute seulle dedans le lict, qui dormoit bien fort; et, toute endormye, la print par force. La pauvre fille, en s'esveillant, ne sçavoit si c'estoit homme ou diable; et se mit à crier, tant qu'il luy fust possible, appellant sa mere à l'ayde; laquelle, au bout du degré, cryoit au Cordelier: "N'en ayez poinct de pitié, monsieur, donnez-luy encores et chastiez ceste mauvaise garse." Et, quant le Cordelier eut parachevé sa mauvaise volunté, descendit où estoit la damoiselle et luy dit avecq ung visaige tout enflambé: "Je croy, ma damoiselle, qu'il souviendra à vostre fille de ma discipline." La mere, après l'avoir remercié bien fort, monta en la chambre où estoit sa fille, qui menoit ung tel deuil que debvoit faire une femme de bien à qui ung tel crime estoit advenu. Et, quant elle sceut la verité, feit chercher le Cordelier partout, mais il estoit desja bien loing; et oncques puis ne fut trouvé au royaulme de France.

"Vous voiez, mes dames, quelle seureté il y a à bailler telles charges à ceulx qui ne sont pour en bien user. La correction des hommes appartient aux hommes et des femmes aux femmes; car les femmes à corriger les hommes seroient aussi piteuses que les hommes-à corriger les femmes seroient cruelz. - Jesus! ma dame, dist Parlamente, que voylà ung vilain et meschant Cordelier! Mais dictes plustost, dist Hircan, que c'estoit une sotte et folle mere, qui soubz couleur d'ypocrisie, donnoit tant de privaulté à ceux qu'on ne doibt jamais veoir que en l'eglise. - Vrayement, dist Parlamente, je la confesse une des sottes meres qui oncques fut, et, si elle eut esté aussi saige que la jugesse, elle luy eust plustost faict descendre le degré que de monter. Mais que voulez-vous? ce diable demi ange est le plus dangereux de tous; car il se sçait si bien transfigurer en ange de lumiere, que l'on faict conscience de les soupsonner telz qu'ilz sont, et, me semble, la personne qui n'est poinct soupsonneuse doibt estre louée. - Toutesfois, dist Oisille, l'on doibt soupsonner le mal qui est à eviter, principalement ceulx qui ont charge; car il vault mieux soupsonner le mal qui n'est poinct, que de tumber, par sottement croire, en icelluy qui est; et n'ay jamais veu femme trompée pour estre tardive à croire la parolle des hommes, mais oy bien plusieurs, par trop bien promptement adjouster foy à la mensonge; par quoy, je dictz que le mal qui peult advenir ne se peut trop soupsonner, voire ceulx qui ont charge d'hommes, de femmes, de villes et d'Estatz; car, encores quelque bon guet que l'on face, la meschanceté et les trahisons regnent assez, et le pasteur qui n'est vigilant sera tousjours trompé par les finesses du loup. - Si est-ce, dist Dagoucin, que la personne soupsonneuse ne peult entretenir ung parfaict amy; et assez sont separez par ung soupson. - Seullement, si vous en sçavez que'que exemple, dist Oisille, je vous donne ma voix pour la dire. J'en sçay ung si veritable, dist Dagoucin, que vous prendrez plaisir à l'ouyr. Je vous diray ce que plus facillement rompt une bonne amityé, mes dames: c'est quant la seureté de l'amityé commence à donner lieu au soupson. Car, ainsy que croire en amy est le plus grand honneur que l'on puisse faire, aussy se doubter de luy est le plus grand deshonneur; car, par cela, on l'estime aultre que l'on ne veult qu'il soit, qui est cause de rompre beaucoup de bonnes amityez, et randre les amys ennemys, comme vous verrez par le compte que je vous veulx faire." III. D'un Cordelier qui faict grand crime envers les marys de battre leurs femmes

En la ville d'Angoulesme, où se tenoit souvent le comte Charles, pere du Roy François, y avoit ung Cordelier, nommé Vallés, homme sçavant et fort grand prescheur, en sorte que les advents il prescha en la ville devant le comte: dont sa reputation augmenta encores davantage. Si advint que, durant les advents, un jeune estourdy de la ville, ayant espousé une assez belle jeune femme, ne laissoit pour cela de courir par tout, autant et plus dissolument que les non mariez. De quoy la jeune femme, advertie, ne se pouvoit taire, tellement que bien souvent elle en recevoit ses gages, plus tost et d'autre façon qu'elle n'eust voulu, et toutefois, elle ne laissoit, pour cela, de continuer en ses lamentations, et quelques fois jusques à injures; parquoy le jeune homme s'irrita, en sorte qu'il la battit à sang et marque: dont elle se print à crier plus que devant. Et pareillement ses voisines, qui sçavoient l'occasion, ne se pouvoient taire, ains crioyent publiquement par les rues, disans: "Et fy, fy de telz marys! au diable, au diable!" De bonne encontre, le Cordelier de Vallés passoit lors par là, qui en entendit le bruit et l'occasion; si se delibera d'en toucher un mot le lendemain à sa predication, comme il n'y faillit pas; car, faisant venir à propos le mariage et l'amitié que nous y devons garder, il le colauda grandement, blasmant les infracteurs d'iceluy, et faisant comparaison de l'amour conjugale à l'amour paternelle. Et si dist, entre autres choses, qu'il y avoit plus de danger et plus griefve punition à un mary de battre sa femme, que de battre son pere ou sa mere: "Car, dist-il, si vous battez vostre pere ou vostre mere, on vous envoyra pour penitence à Rome; mais, si vous battez vostre femme, elle et toutes ses voisines vous envoyront à tous les diables, c'est à dire en enfer. Or, regardez quelle difference il y a entre ces deux penitences; car, de Rome, on en revient ordinairement; mais d'enfer, oh! on n'en revient point: nulla est redemptio." Depuis cette predication, il fut adverty que les femmes faisoient leur Achilles de ce qu'il avoit dict, et que les marys ne pouvoient plus chevir d'elles: à quoy il s'advisa de mettre ordre, comme à l'inconvenient des femmes. Et, pour ce faire, en l'un de ses sermons, il accompara les femmes aux diables, disant que ce sont les deux plus grands ennemis de l'homme, et qui le tentent sans cesse, et desquels il ne se peut despestrer, et par especial de la femme: "Car, dist-il, quant aux diables, en leur monstrant la croix, ils s'enfuyent; et les femmes, tout au rebours, c'est cela qui les aprivoise, qui les faict aller et courir, et qui faict qu'elles donnent à leurs mariz infinité de passions. Mais sçavez-vous que vous y ferez, bonnes gens? Quand vous verrez que vos femmes vous tourmenteront ainsi sans cesse, comme elles ont accoustumé, demanchez la croix, et du manche chassez-les au loing: vous n'aurez point faict trois ou quatre fois ceste experience vivement, que vous ne vous en trouviez bien; et verrez que, tout ainsi que l'on chasse le diable en la vertu de la croix, aussi chasserez-vous et ferez taire voz femmes en la vertu du manche de ladicte croix, pourveu qu'elle n'y soit plus attachée."

"Voilà une partie des predications de ce venerable de Vallés, de la vie duquel je ne vous feray autre recit, et pour cause; mais bien vous diray-je, quelque bonne mine qu'il feist (car je l'ay congneu), qu'il tenoit beaucoup plus le party des femmes que celuy des hommes. - Si est-ce, madame, dist Parlamente, qu'il ne le monstra pas à ce dernier sermon, donnant instruction aux hommes de les maltraicter. - Or, vous n'entendez pas sa ruze, dist Hircan; aussi, n'estes-vous pas exercitée à la guerre pour user des stratagemes y requis, entre lesquels cestuy-cy est un des plus grands, sçavoir est mettre sedition civile dans le camp de son ennemy: pource que lors il est trop plus aisé à vaincre. Aussi, ce maistre moyne cognoissoit bien que la hayne et courroux de entre le mary et la femme sont le plus souvent cause de faire lascher la bride à l'honnesteté des femmes, laquelle honnesteté, s'emancipant de la garde de la vertu, se trouve plus tost entre les mains des loups qu'elle ne pense estre esgarée. - Quelque chose qu'il en soit, dist Parlamente, je ne pourrois aimer celuy qui auroit mis divorce entre mon mary et moy, mesmement jusques à venir à coups, car, au battre, fault l'amour. Et toutesfois (à ce que j'en ay ouy dire) ils font si bien les chatemites, quand ils veullent avoir quelque avantage sur quelqu'une, et sont de si attrayante maniere en leur propos, que je croirois bien qu’il y auroit plus de danger de les escoutcr en secret que de recevoir publiquement des coups d’un mary qui, au reste de cela, seroit bon.

— A la vérité, » dist Dagoucin, « ils ont tellement descouvert leurs menées de toutes parts que ce n’est point sans cause que l’on les doit craindre, combien qu’à mon opinion la personne qui n’est point soupçonneuse est digne de louange.

— Toutesfois, » dist Oisille, « on doit soupçonner le mal qui est à éviter, car il vault mieux soupçonner le mal qui n’est point que de tomber par sottement croire en celuy qui est. De ma part je n’ay jamais veu femme trompée pour estre tardive à croire la parole des hommes, mais ouy bien plusieurs pour trop promptement adjouster foy à leur mensonge. Par quoy je dy que le mal qui peut advenir ne se peut jamais trop soupçonner de ceux qui ont charge d’hommes, femmes, villes & estats, car, encores quelque bon guet que l’on face, la meschanceté & les trahisons régnent assez, & le pasteur qui n’est vigilant sera tousjours trompé par les finesses du loup.

— Si est ce, » dist Dagoucin, « que la personne soupçonneuse ne peut entretenir un parfaid amy, & assez sont séparez pour un soupçon seulement.

— Si vous en sçavez quelque exemple, » dist Oisille, je vous donne ma voix pour le dire.

— J’en sçay un si véritable, » dist Dagoucin, « que vous prendrez plaisir à l’ouïr. Je vous diray, mes Dames, ce qui plus facilement rompt une bonne amitié : c’est quand la seureté de l’amitié commence à donner lieu au soupçon; car, ainsi que croire l’amy est le plus grand honneur qu’on luy puisse faire, aussi se douter de luy est le plus grand deshonneur, pource que par cela on l’estime autre que l’on ne veult qu’il soit, qui est cause de rompre beaucoup de bonne amitié & rendre les amis ennemis, comme vous verrez par le compte que je vous vay faire :

Quarante septiesme nouvelle

Deux gentilz hommes vecurent en si parfaicte amytié, qu'exceptée la femme, n'eurent long temps à departir jusques à ce que celuy qui estoit maryé, sans occasion donnée, print soupson sur son compaignon, lequel, par despit de ce qu'il estoit à tort soupsonné, se separa de son amytié et ne cessa jamais qu'il ne l'eut fait coqu.

Auprès du pays du Perche y avoit deux gentilz hommes qui, dès le temps de leur enfance, avoient vescu en si grande et parfaicte amityé, que ce n'estoit que un cueur, que une maison, ung lict, une table et une bource. Ilz vesquirent long temps, continuans ceste parfaicte amityé, sans que jamays il y eut entre eulx deux une volunté ou parolle où l'on peut veoir difference de personnes, tant ilz vivoient non seulement comme deux freres, mais comme ung homme tout seul. L'un de deux se maria; toutefois, pour cela, ne laissa-il à continuer sa bonne amityé et tousjours vivre, avecq son bon compaignon, comme il avoit accoustumé; et, quant ilz estoient en quelque logis estroict, ne laissoit à le faire coucher avecq sa femme et luy: il est vray qu'il estoit au milieu. Leurs biens estoient tous en commung, en sorte que, pour le mariage ne cas qui peut advenir, ne sceut empescher ceste parfaicte amityé; mais, au bout de quelque temps, la felicité de ce monde, qui avecq soy porte une mutabilité, ne peut durer en la maison, qui estoit trop heureuse, car le mary oublia la seureté qu'il avoit à son amy, sans nulle occasion de luy et de sa femme, à laquelle il ne le peut dissimuller, et luy en tint quelques fascheux propos; dont elle fut fort estonnée, car il luy avoit commandé de faire, en toutes ses choses, hors mys une, aussi bonne chere à son compaignon comme à luy, et neanmoins luy defendoit parler à luy, si elle n'estoit en grande compaignye. Ce qu'elle feit entendre au compaignon de son mary, lequel ne la creut pas, sçachant très bien qu'il n'avoit pensé de faire chose dont son compaignon deust estre marry; et aussy, qu'il avoit accoustumé de ne celer rien, luy dist ce qu'il avoit entendu, le priant de ne luy en celler la verité, car il ne vouldroit, en cella ne autre chose, luy donner occasion de rompre l'amityé qu'ilz avoient si longuement entretenue. Le gentil homme marié l'asseura qu'il n'y avoit jamais pensé et que ceulx qui avoient faict ce bruict-là avoient meschantement menty. Son compaignon luy dist: "Je sçay bien que la jalousie est une passion aussi importable comme l'amour; et, quant vous auriez ceste oppinion, fusse de moy-mesmes, je ne vous en donne poinct de tort, car vous ne vous en sçauriez garder; mais, d'une chose qui est en vostre puissance aurois-je occasion de me plaindre, c'est que me voulussiez celer vostre malladie, veu que jamais pensée, passion ne opinion que vous avez eue, ne m'a esté cachée. Pareillement de moy, si j'estois amoureux de vostre femme, vous ne me le devriez poinct imputer à meschanceté, car c'est ung feu que je ne tiens pas en ma main pour en faire ce qu'il me plaist; mais, si je le vous cellois et cherchois de faire congnoistre à vostre femme par demonstrance de mon amityé, je serois le plus meschant compaignon qui oncques fut. De ma part, je vous asseure bien que, combien qu'elle soit honneste et femme de bien, c'est la personne que je veis oncques, encores qu'elle ne fust vostre, où ma fantaisie se donneroit aussy peu. Mais, encores qu'il n'y ait poinct d'occasion, je vous requiers que, si en avez le moindre sentiment de soupson qui puisse estre, que vous le me dictes, à celle fin que je y donne tel ordre que nostre amityé qui a tant duré ne se rompe pour une femme. Car, quant je l'aymerois plus que toutes les choses du monde, si ne parlerois-je jamais à elle, pource que je prefere vostre honneur à tout aultre." Son compaignon lui jura, par tous les grands sermens qui luy fut possible, que jamais n'y avoit pensé, et le pria de faire en sa maison comme il avoit accoustumé. L'autre luy respondit: "Je le feray, mais je vous prie que, après cella, si vous avez oppinion de moy et que le me dissimullez ou que le trouvez mauvais, je ne demeureray jamais en vostre compaignye."

Au bout de quelque temps qu'ilz vivoient tous deux comme ilz avoient accoustumé, le gentil homme maryé rentra en soupson plus que jamais et commanda à sa femme qu'elle ne lui feit plus le visaige qu'elle lui faisoit; ce qu'elle dist au compaignon de son mary, le priant de luy-mesmes se vouloir abstenir de parler plus à elle, car elle avoit commandement d'en faire autant de luy. Le gentil homme, entendant, par la parolle d'elle et par quelques contenances qu'il voyoit faire à son compaignon, qu'il ne luy avoit pas tenu sa promesse, luy dist en grande collere: "Si vous estes jaloux, mon compaignon, c'est chose naturelle; mais, après les sermens que vous avez faictz, je ne me puis contanter de ce que vous me l'avez tant cellé, car j'ay tousjours pensé qu'il n'y eust entre vostre cueur et le mien ung seul moien ny obstacle; mais, à mon très grand regret et sans qu'il y ayt de ma faulte, je voy le contraire, pource que non seulement vous estes bien fort jaloux de vostre femme et de moy, mais le me voullez couvrir, afin que vostre maladie dure si longuement qu'elle tourne du tout en hayne; et ainsy que l'amour a esté la plus grande que l'on ayt veu de nostre temps, l'inimitié sera la plus mortelle. J'ay faict ce que j'ay peu pour eviter cest inconvenient; mais, puisque vous me soupsonnez si meschant et le contraire de ce que je vous ay tousjours esté, je vous jure et promectz ma foy que je seray tel que vous m'estimez, et ne cesseray jamais jusques ad ce que j'ay eu de vostre femme ce que vous cuydez que j'en pourchasse; et doresnavant gardez-vous de moy, car, puisque le soupson vous a separé de mon amityé, le despit me separera de la vostre." Et, combien que son compaignon lui voulust faire croyre le contraire, si est-ce qu'il n'en creut plus rien, et retira sa part de ses meubles et biens, qui estoient tous en commung; et furent avecq leurs cueurs aussi separez, qu'ilz avoient esté uniz, en sorte que le gentilhomme qui n'estoit poinct marié ne cessa jamais qu'il n'eust faict son compaignon coqu, comme il luy avoit promis.

"Et ainsy en puisse-il prendre, mes dames, à ceulx qui à tort soupsonnet mal de leurs femmes. Car plusieurs sont causes de les faire telles qu'ilz les soupsonnent, pource que une femme de bien est plus tost vaincue par ung desespoir que par tous les plaisirs du monde. Et qui dict que le soupson est amour, je luy nye, car, combien qu'il en sorte comme la cendre du feu, ainsi le tue-il. - Je ne pense poinct, dist Hircan, qu'il soit ung plus grand desplaisir à homme ou à femme que d'estre soupsonné du contraire de la verité. Et, quant à moy, il n'y a chose qui tant me feist rompre la compaignye de mes amys que ce soupson là. - Si n'est-ce pas excuse raisonnable, dist Oisille, à une femme de soy venger du soupson de son mary à la honte d'elles-mesmes; c'est faict comme celluy qui, ne pouvant tuer son ennemy, se donne un coup d'espée à travers le corps, ou, ne le povant esgratiner, se mord les doigtz; mais elle eust mieulx faict de ne parler jamais à luy, pour monstrer à son mary le tort qu'il avoit de la soupsonner, car le temps les eut tous deux appaisez. Si estoit-ce faict en femme de cueur, dist Ennasuitte, et, si beaucoup de femmes faisoient ainsy, leurs maryz ne seroient pas si oultrageux qu'ilz sont. - Quoy qu'il y ayt, dist Longarine, la patience rend enfin la femme victorieuse et la chasteté louable; il fault que là nous arrestons. - Toutesfois, dist Ennasuitte, une femme peult bien estre non chaste, sans peché. - Comment l'entendez-vous? dist Oisille. - Quant elle en prend ung aultre pour son mary. - Et qui est la sotte, dist Parlemente, qui ne congnoist bien la difference de son mary ou d'un aultre, en quelque habillement que se puisse desguiser? - Il y en a peu et encores, dist Ennasuitte, qui ont esté trompées, demourans innocentes et inculpables du peché. - Si vous en sçavez quelqu'une, dist Dagoucin, je vous donne ma voix pour la dire, car je trouve bien estrange que innocence et peché puissent estre ensemble. - Or escoutez doncques, dist Ennasuitte, si, par les comptes precedans, mes dames, vous n'estes assez advertyes qu'il faict dangereux loger chez soy ceulx qui nous appellent mondains et qui s'estiment estre quelque chose saincte et plus digne que nous; j'en ay voulu encores icy mectre ung exemple, afin que, tout ainsy que j'entends quelque compte des faultes où sont tombez ceulx qui s'y fient aussy souvent, je les vous veulx mectre devant les oeilz, pour vous monstrer qu'ils sont non seulement hommes plus que les aultres, mais qu'ilz ont quelque chose diabolicque en eulx contre la commune malice des hommes, comme vous orrez par ceste histoire."

Quarante huictiesme nouvelle

Le plus viel et malicieux de deux Cordeliers, logez en une hostellerye où l'on faisoit les noces de la fille de leans, voyans derober la maryée, alla tenir la place du nouveau maryé, pendant qu'il s'amusoit à danser avec la compaignie.

Au pais de Perigort, dedans ung villaige, en une hostellerie, fut faicte une nopce d'une fille de leans, où tous les parens et amys s'efforcerent faire la meilleure chere qu'il estoit possible. Durant le jour des nopces, arriverent leans deux Cordeliers, ausquelz on donna à soupper en leur chambre, veu que n'estoit poinct leur estat d'assister aux nopces. Mais le principal des deux, qui avoit plus d'auctorité et de malice, pensa, puisque on le separoit de la table, qu'il auroit part au lict, et qu'il leur joueroit un tour de son mestier. Et, quant le soir fut venu et que les dances commencerent, le Cordelier, par une fenestre, regarda long temps la maryée, qu'il trouvoit fort belle et à son gré. Et, s'enquerant soingneusement aux chamberieres de la chambre où elle debvoit coucher, trouva que c'estoit auprès de la syenne: dont il fut fort aise, faisant si bien le guet pour parvenir à son intention, qu'il veit desrober la mariée, que les vielles amenerent, comme ilz ont de coustume. Et, pource qu'il estoit de fort bonne heure, le marié ne voulut laisser la dance, mais y estoit tant affectionné, qu'il sembloit qu'il eut oblyé sa femme; ce que n'avoit pas faict le Cordelier, car, incontinant qu'il entendit que la maryée fut couchée, se despouilla de son habit gris, et s'en alla tenir la place de son mary; mais, de paour d'y estre trouvé, n'y arresta que bien peu; et s'en alla jusques au bout d'une allée où estoit son compaignon qui faisoit le guet pour luy, lequel luy feit signe que le marié dansoit encores. Le Cordelier, qui n'avoit pas achevé sa meschante concupiscence, s'en retourna encores coucher avecq la maryée jusques ad ce que son compaignon luy feit signe qu'il estoit temps de s'en aller. Le marié se vint coucher; et sa femme, qui avoit esté tant tormentée du Cordelier, qu'elle ne demandoit que le repos, ne se peut tenir de luy dire: "Avez-vous deliberé de ne dormir jamays et ne faire que me tormenter?" Le pauvre mary qui ne faisoit que de venir, fut bien estonné, et luy demanda quel torment il luy avoit faict, veu qu'il n'avoit party de la danse. "C'est bien dansé, dist la pauvre fille! voicy la troisiesme fois que vous estes venu coucher; il me semble que vous feriez mieulx de dormir." Le mary oyant ce propos, fut bien fort estonné, et oublia toutes choses pour entendre la verité de ce faict. Mais, quant elle luy eut compté, soupsonna que c'estoient les Cordeliers qui estoient logez leans. Et se leva incontinant et alla en leur chambre, qui estoit tout auprès de la sienne. Et, quand il ne les trouva poinct, se print à cryer à l'ayde si fort, qu'il assembla tous ses amys, lesquels, après avoir entendu le faict, luy ayderent, avecq chandelles, lanternes, et tous les chiens du villaige, à chercher ces Cordeliers. Et, quant ilz ne les trouverent poinct en leur maison, feirent si bonne dilligence qu'ils les attraperent dedans les vignes. Et là furent traictez comme il leur appartenoit; car, après les avoir bien battuz, leur couperent les bras et les jambes, et les laisserent dedans les vignes à la garde du dieu Baccus et Venus, dont ilz estoient meilleurs disciples que de sainct François.

"Ne vous esbahissez poinct, mes dames, si telles gens separez de nostre commune façon de vivre font des choses que les advanturiers auroient honte de faire. Mais esmerveillez-vous qu'ilz ne font pis quant Dieu retire sa main d'eulx, car l'abit est si loing de faire le moyne, que bien souvent par orgueil il le deffaict. Et, quant à moy, je me arreste à la religion que dict sainct Jacques: avoir le cueur envers Dieu, pur et nect, et se exercer de tout son povoir à faire charité à son prochain. - Mon Dieu, dist Oisille, ne serons-nous jamays hors des comptes de ces fascheux Cordeliers!" Ennasuitte dist: "Si les dames, princes et gentilz hommes ne sont poinct espargnez, il me semble que les Cordeliers ont grand honneur, dont on daigne parler d'eulx; car ilz sont si très inutilles, que, s'ilz ne font quelque mal digne de memoire, on n'en parleroit jamais; et on dict qu'il vault mieulx mal faire, que ne faire rien. Et nostre boucquet sera plus beau, tant plus il sera remply de differentes choses. - Si vous me voullez promectre, dist Hircan, de ne vous courroucer poinct à moy, je vous en racompteray ung d'une grande dame si infame, que vous excuserez le pauvre Cordelier d'avoir prins sa necessité où il l'a peu trouver, veu que celle qui avoit assez à manger cherchoit sa friandise trop meschantement. - Puis que nous avons juré de dire la verité, dist Oisille, aussy avons-nous de l'escouter. Par quoy vous povez parler en liberté, car les maulx que nous disons des hommes et des femmes ne sont poinct pour la honte particulliere de ceulx dont est faict le compte, mais pour oster l'estime de la confiance des creatures, en monstrant les miseres, où ilz sont subgectz, afin que nostre espoir s'arreste et s'appuye à Celluy seul qui est parfaict et sans lequel tout homme n'est que imperfection. - Or doncques, dist Hircan, sans craincte je racompteray mon histoire."

Quarante neufviesme nouvelle

Quelques gentilz hommes françoys, voyans que le Roy leur maistre estoit fort bien traité d'une Comtesse estrangere qu'il aymoit, se hazarderent de parler à elle, et la poursuyvirent, de sorte qu'ilz eurent l'ung après l'aultre ce qu'ilz en demandoyent, pensant chascun avoir seul le bien où tous les autres avoyent part. Ce qu'estant decouvert par l'un d'entre eux, prindrent tous ensemble complot de se venger d'elle; mais, à force de faire bonne mine et ne leur porter pire visage qu'auparavant, rapporterent en leur sein la honte qu'ilz luy cuydoient faire.

En la cour du Roy Charles, je ne diray poinct le quantiesme pour l'honneur de celle dont je veulx parler, laquelle je ne veulx nommer par son nom propre, y avoit une Contesse de fort bonne maison, mais estrangiere. Et, pource que toutes choses nouvelles plaisent, ceste dame, à sa venue, tant pour la nouveauté de son habillement que pour la richesse dont il estoit plain, estoit regardée de chascun; et combien qu'elle ne fut des plus belles, si avoit-elle une grace avecq une audace tant bonne, qu'il n'estoit possible de plus, la parolle et la gravité de mesme, de sorte qu'il n'y avoit nul qui n'eust craincte à l'aborder, sinon le Roy, qui l'ayma très fort. Et, pour parler à elle plus priveement, donna quelque commission au conte son mary, en laquelle il demeura longuement; et, durant ce temps, le Roy feit grand chere avec sa femme. Plusieurs gentilz hommes du Roy, qui congnurent que leur maistre en estoit bien traicté, prindrent hardiesse de parler à elle; et entre autres ung nommé Astillon, qui estoit fort audatieux et homme de bonne grace. Au commencement, elle luy tint une si grande gravité, le menassant de le dire au Roy son maistre, qu'il en cuyda avoir paour; mais, luy, qui n'avoit poinct accoustumé de craindre les menasses d'un bien hardy capitaine, s'asseura des siennes; et il la poursuivyt de si près qu'elle luy accorda de parler à luy seulle, luy enseignant la maniere comme il devoit venir en sa chambre. A quoy il ne faillyt; et, afin que le Roy n'en eut nul soupson, luy demanda congé d'aller en quelque voiage. Et s'en partit de la court; mais, la premiere journée, laissa tout son train, et s'en revint de nuict recepvoir les promesses que la contesse luy avoit faictes; ce qu'elle luy tint: dont il demeura si satisfaict, qu'il fut content de demeurer cinq ou six jours enfermé en une garderobbe, sans saillyr dehors; et là ne vivoit que de restaurens. Durant les huict jours qu'il estoit caché, vint ung de ses compaignons faire l'amour à la contesse, lequel avoit nom Durassier. Elle tint telz termes à ce serviteur, qu'elle avoit faict au premier: au commencement, en rudes et audatieux propos, qui tous les jours s'adoucissoient; et, quant c'estoit le jour qu'elle donnoit congé au premier prisonnier, elle mectoit ung serviteur en sa place. Et, durant qu'il y estoit, ung autre sien compaignon, nommé Valnebon, feit pareille office que les deux premiers; et, après eulx, en vindrent deux ou trois aultres, qui avoient part à la doulse prison.

Ceste vie dura assez longuement, et conduicte si finement, que les ungs ne sçavoient riens des aultres. Et combien qu'ilz entendissent assez l'amour que chascun luy portoit, si n'y avoit-il nul qui ne pensast en avoir eu seul ce qu'il en demandoit: et se mocquoit chascun de son compaignon, qu'il pensoit avoir failly à ung si grand bien. Ung jour que les gentilz hommes dessus nommez estoient en ung bancquet, où ilz faisoient fort grand chere, ilz commencerent à parler de leurs fortunes et prisons qu'ilz avoient eues durant les guerres. Mais Valnebon, à qui il faisoit mal de celer si longuement une si bonne fortune que celle qu'il avoit eue, vat dire à ses compagnons: "Je ne sçay quelles prisons vous avez eu, mais quant à moy, pour l'amour d'une où j'ay esté, je diray toute ma vie louange et bien des autres; car je pense qu'il n'y a plaisir en ce monde qui approche de celluy que l'on a d'estre prisonnier." Astillon, qui avoit esté le premier prisonnier, se doubta de la prison qu'il vouloit dire, et luy respondit: "Valnebon, soubz quel geolier ou geoliere avez-vous esté si bien traicté, que vous aymez tant vostre prison?" Valnebon luy dist: "Quel que soit le geollier, la prison m'a esté si agreable, que j'eusse bien voulu qu'elle eut duré plus longuement, car je ne fuz jamais mieulx traicté ne plus contant." Durassier, qui estoit homme peu parlant, congnoissant très bien que l'on se debatoit de la prison où il avoit part comme les autres, dist à Valnebon: "De quelles viandes estiez-vous nourry en ceste prison, dont vous vous louez si fort. - De quelles viandes? dist Valnebon: le Roy n'en a poinct de meilleures ne plus norrissantes. - Mais encores faut-il que je sçache, dist Durassier, si celluy qui vous tenoit prisonnier vous faisoit bien gaingner vostre pain?" Valnebon, qui se doubta d'estre entendu, ne se peut tenir de jurer: "Ha, vertu Dieu! aurois-je bien des compaignons, où je pense estre tout seul?" Astillon voiant ce different, où il avoit part comme les aultres, dist en riant: "Nous sommes tous à ung maistre! compaignons et amys dès nostre jeunesse; parquoy, si nous sommes compaignons d'une bonne fortune, nous avons occasion d'en rire. Mais, pour sçavoir si ce que je pense est vray, je vous prie que je vous interroge et que vous tous me confessiez la verité, car, s'il est advenu ainsy de nous comme je pense, ce seroit une advanture aussi plaisante que l'on en sçauroit trouver en mil lieues." Ilz jurerent tous de dire verité, s'il estoit ainsy qu'ilz ne la peussent denyer. Il leur dist: "Je vous diray ma fortune, et vous me respondrez ouy ou nenny, si la vostre est pareille." Ilz se accorderent tous, et alors il dist: "Je demanday congé au Roy d'aller en quelque voiage." Ilz respondirent: "Et nous aussy. - Quant je fuz à deux lieues de la court, je laissay tout mon train et m'allay rendre prisonnier." Ils respondirent: "Nous en fismes autant. - Je demouray, dist Astillon, sept ou huict jours, et couchay en une garderobbe, où l'on ne me fit manger que restaurens et les meilleures viandes que je mangey jamais; et, au bout de huict jours, ceulx qui me tenoient me laisserent aller beaucoup plus foible que je n'estois arrivé." Ilz jurerent tous que ainsy leur estoit advenu. "Ma prison, dist Astillon, commencea tel jour et fina tel jour. - La myenne, dist Durassier, commencea le propre jour que la vostre fina; et dura jusques à ung tel jour." Valnebon, qui perdoit patience, commencea à jurer et dire: "Par le sang Dieu! à ce que je voy, je suis le tiers qui pensois estre le premier et le seul, car je y entray tel jour et en saillis tel jour." Les aultres trois, qui estoient à la table, jurerent qu'ils avoient bien gardé ce rang. "Or, puisque ainsy est, dist Astillon, je diray j'estat de nostre geoliere: elle est mariée et son mary est bien loing. - C'est ceste-là propre, respondirent-ilz tous. - Or, pour nous mectre hors de peyne, dist Astillon, moy qui suis le premier en roolle, la nommeray aussy le premier: c'est madame la contesse, qui estoit si audatieuse que, en gaingnant son amityé, je pensois avoir gaingné Cesar. - Que à tous les diables soit la villaine qui nous a faict d'une chose tant travailler, et nous reputer si heureux de l'avoir acquise! Il ne fut oncques une telle meschante, car, quant elle en tenoit ung en cache, elle praticquoit l'autre, pour n'estre jamais sans passetemps; et aymerois-je mieulx estre mort, qu'elle demorast sans pugnition!" Ilz demanderent chascun qu'il leur sembloit quelle debvoit avoir, et qu'ilz estoient tous prestz de la luy donner. "Il me semble, dist-il, que nous le debvons dire au Roy nostre maistre, lequel en faict ung cas comme d'une deesse. - Nous ne ferons poinct ainsy, dist Astillon; nous avons assez de moien pour nous venger d'elle, sans y appeller nostre maistre. Trouvons nous demain, quand elle ira à la messe; et que chascun de nous porte une chaine de fer au col; et, quant elle entrera en l'eglise, nous la saluerons comme il appartient."

Ce conseil fut trouvé très bon de toute la compaignye; et feirent provision de chascun une chaine de fer. Le matin venu, tous habillez de noir, leurs chesnes de fer tournées à l'entour de leur col, en façon de collier, vindrent trouver la contesse, qui alloit à l'eglise. Et, si tost qu'elle les veid ainsy habillez, se print à rire et leur dist: "Où vont ces gens si douloureux? - Madame, dist Astillon, nous vous venons accompagner comme pauvres esclaves prisonniers qui sont tenuz à vous faire service." La contesse, faisant semblant de n'y entendre rien, leur dist: "Vous n'estes poinct mes prisonniers, ne je n'entendz poinct que vous ayez occasion de me faire service plus que les aultres." Valnebon s'advancea et luy dist: "Si nous avons mangé de vostre pain si longuement, nous serions bien ingratz si nous ne vous faisions service." Elle feit si bonne myne de n'y rien entendre, qu'elle cuydoit par ceste gravité les estonner. Mais ilz poursuyvoient si bien leurs propos, qu'elle entendit que la chose estoit descouverte. Parquoy, trouva incontinant moien de les tromper, car elle, qui avoit perdu l'honneur et la conscience, ne voulut poinct recepvoir la honte qu'ilz lui cuydoient faire; mais, comme elle qui preferoit son plaisir à tout l'honneur du monde, ne leur en feit pire visaige, ny n'en changea de contenance: dont ilz furent tant estonnez, qu'ilz rapporterent en leur saing la honte qu'ilz luy avoient voulu faire.

"Si vous ne trovez, mes dames, ce compte digne de faire congnoistre les femmes aussi mauvaises que les hommes, j'en chercheray d'aultres pour vous compter; toutesfois, il me semble que cestuy-la suffise pour vous monstrer que une femme qui a perdu la honte est cent foys plus hardye à faire mal que n'est ung homme." Il n'y eut femme en la compaignye, oiant racompter ceste histoire, qui ne fist tant de signes de croix, qu'il sembloit qu'elles voyoient tous les diables d'enfer devant leurs oeilz. Mais Oisille leur dist: "Mes dames, humilions-nous, quand nous oyons cest horrible cas, d'autant que la personne delaissée de Dieu se rend pareille à celluy avecq lequel elle est joincte; car, puis que ceulx qui adherent à Dieu ont son esperit avec eulx, aussi sont ceulx qui adherent à son contraire; et n'est rien si bestial que la personne destituée de l'esperit de Dieu. - Quoy que ait faict ceste pauvre dame, dist Ennasuitte, si ne sçaurois-je louer ceulx qui se vantent de leur prison. - J'ay opinion, dist Longarine, que la peyne n'est moindre à ung homme de celler sa bonne fortune, que de la pourchasser, car il n'y a veneur qui ne prenne plaisir à corner sa prise, ny amoureulx, d'avoir la gloire de sa victoire. - Voilà une opinion, dist Simontault, que, devant tous les inquisiteurs de la Foy, je soutiendray hereticque, car il y a plus d'hommes secretz que de femmes; et sçay bien que l'on en trouveroit qui aymeroient mieulx n'en avoir bonne chere, que s'il falloit que creature du monde l'entendist. Et, par ce, a l'Eglise, comme bonne mere, ordonné les prestres confesseurs et non pas les femmes, parce qu'elles ne peuvent rien celer. - Ce n'est pas pour ceste occasion, dist Oisille, mais c'est parce que les femmes sont tant ennemyes du vice, qu'elles ne donneroient pas si facillement absolution que les hommes, et seroient trop austeres en leurs penitences. - Si elles l'estoient autant, dist Dagoucin, qu'elles sont en leurs responces, elles feroient desesperer plus de pecheurs qu'elles n'en attireroient à salut; parquoy l'Eglise, en toute sorte, y a bien pourveu. Mais si ne veulx-je pas, pour cela, excuser les gentilz hommes qui se vanterent ainsy de leur prison, car jamais homme n'eut honneur à dire mal des femmes. - Puis que le faict estoit commun, dist Hircan, il me semble qu'ilz faisoient bien de se consoler les ungs aux aultres. - Mais, dist Geburon, ilz ne le devoient jamais confesser pour leur honneur mesme. Car les livres de la Table Ronde nous apprennent que ce n'est poinct honneur à ung bon chevalier d'en abatre ung qui ne vault rien. - Je m'esbahys, dist Longarine, que ceste pauvre femme ne moroit de honte devant ses prisonniers. - Celles qui l'ont perdue, dist Oisille, à grand peyne la peuvent-elles jamais reprendre, sinon celle que fort amour a faict oblier. De telles en ay-je veu beaucoup revenir. - Je croy, dist Hircan, que vous en avez veu revenir celles qui y sont allées, car forte amour qui est en une femme, est malaisée à trouver. - Je ne suis pas de vostre opinion, dist Longarine, car je croy qu'il y en a qui ont aymé jusques à la mort. - J'ay tant d'envye d'oyr ceste nouvelle, dist Hircan, que je vous donne ma voix pour congnoistre aux femmes l'amour que je n'ay jamais estimé y estre. - Or, mays que vous l'oyez, dist Longarine, vous le croyrez, et qu'il n'est nulle plus forte passion que celle d'amour. Mais, tout ainsy qu'elle faict entreprendre choses quasi impossibles, pour acquerir quelque contentement en ceste vie, aussy mene-elle, plus que autre passion, à desespoir celluy ou celle qui pert l'esperance de son desir, comme vous verrez par ceste histoire."

Cinquantiesme nouvelle

Messire Jean Pierre poursuyvit longuement en vain une sienne voysine, de laquelle il estoit fort feru. Et, pour en divertir sa fantaysie, s'esloingna quelques jours de sa veue: qui luy causa une melencolye si grande, que les medecins lui ordonnerent la saignée. La dame, qui sçavoit d'ond procedoit son mal, cuydant sauver sa vie, advança sa mort, luy accordant ce que tousjours luy avoit refusé; puis, considerant qu'elle estoit cause de la perte d'un si perfait amy, par un coup d'espée, se feit compaigne de sa fortune.

En la ville de Cremonne, n'y a pas longtemps qu'il y avoit ung gentil homme nommé messire Jehan Pietre, lequel avoit aymé longuement une dame qui demoroit près de sa maison; mais, pour pourchatz qu'il sceut faire, ne povoit avoir d'elle la responce qu'il desiroit, combien qu'elle l'aymoit de tout son cueur. Dont le pauvre gentil homme fut si ennuyé et fasché, qu'il se retira en son logis deliberé de ne poursuyvre plus en vain le bien dont la poursuicte consumoit sa vie. Et, pour en cuyder divertir sa fantaisie, fut quelques jours sans la veoir; dont il tumba en telle tristesse, que l'on mescongnoissoit son visaige. Ses parens feirent venir les medecins, qui, voyans que le visaige luy devenoit jaulne, estimerent que c'estoit une oppilation de foye, et luy ordonnerent la seignée. Ceste dame, qui avoit tant faict la rigoureuse, sçachant très bien que la malladie ne luy venoit que par son refuz, envoia devers luy une vielle en qui elle se fyoit, et luy manda que, puis qu'elle congnoissoit que son amour estoit veritable et non faincte, elle estoit deliberée de tout luy accorder ce que si long temps luy avoit refusé. Elle avoit trouvé moien de saillir de son logis en ung lieu où privement il la povoit veoir. Le gentil homme, qui au matin avoit esté seigné au bras, se trouva par ceste parolle mieulx guery qu'il ne faisoit par medecine ne seignée qu'il sceut prendre: luy manda qu'il n'y auroit poinct de faulte qu'il ne se trouvast à l'heure qu'elle luy mandoit; et qu'elle avoit faict ung miracle evident, car, par une seulle parolle, elle avoit guery ung homme d'une malladye où tous les medecins ne povoient trouver remede. Le soir venu qu'il avoit tant desiré, s'en alla le gentil homme au lieu qui luy avoit esté ordonné, avecq ung si extresme contentement qu'il falloit que bien tost il print fin, ne povant augmenter. Et ne demeura gueres, après qu'il fut arrivé, que celle qu'il aymoit plus que son ame le vint trouver. Il ne s'amusa pas à luy faire grande harangue, car le feu qui le brusloit le faisoit hastivement pourchasser ce que à peyne povoit-il croire avoir en sa puissance. Et, plus yvre d'amour et de plaisir qu'il ne luy estoit besoing, cuydant sercher par un cousté le remede de sa vie, se donnoit par ung aultre l'advancement de sa mort; car, ayant pour s'amye mys en obly soy-mesmes, ne s'apperceut pas de son bras qui se desbanda, et la playe nouvelle, qui se vint à ouvrir, rendit tant de sang, que le pauvre gentil homme en estoit tout baigné. Mais, estimant que sa lasseté venoit à cause de ses excès, s'en cuyda retourner à son logis. Lors, amour, qui les avoit trop unys ensemble, feit en sorte que, en departant d'avecq s'amye, son ame departyt de son corps; et, pour la grande effusion de sang, tumba tout mort aux piedz de sa dame, qui demoura si hors d'elle-mesmes par son estonnement, en considerant la perte qu'elle avoit faicte d'un si parfaict amy, de la mort duquel elle estoit la seulle cause. Regardant d'aultre costé, avecq le regret et la honte en quoy elle demoroit, si on trouvoit ce corps mort en sa maison, afin de faire ignorer la chose, elle et une chamberiere en qui elle se fioit, porterent le corps mort dedans la rue, où elle ne le voulut laisser seul, mais, en prenant l'espée du trepassé, se voulut joindre à sa fortune, et, en punissant son cueur, cause de tout le mal, la passa tout au travers, et tomba son corps mort sur celluy de son amy. Le pere et la mere de ceste fille, en sortans au matin de leur maison, trouverent ce piteulx spectacle; et, après en avoir faict tel deuil que le cas meritoit, les enterrerent tous deux ensemble.

"Ainsy voyt-on, mes dames, que une extremité d'amour ameine ung autre malheur. - Voylà qui me plaist bien, dist Symontault, quant l'amour est si egalle, que, luy morant, l'autre ne vouloit plus vivre. Et si Dieu m'eust faict la grace d'en trouver une telle, je croy que jamais n'eust aymé plus parfaictement. - Si ay-je ceste opinion, dist Parlamente, qu'amour ne vous a pas tant aveuglé, que vous n'eussiez mieulx lyé vostre bras qu'il ne feit; car le temps est passé que les hommes oblient leurs vies pour les dames. - Mais il n'est pas passé, dist Simontault, que les dames oblient la vie de leurs serviteurs pour leurs plaisirs. - Je croy, dist Ennasuitte, qu'il n'y a femme au monde qui prenne plaisir à la mort d'un homme, encores qu'il fust son ennemy. Toutesfois, si les hommes se veulent tuer eulx-mesmes, les dames ne les en peuvent pas garder. Si est-ce, dist Saffredent, que celle qui refuse son pain au pauvre mourant de faim, est estimée le meurtrier. - Si vos requestes, dist Oisille, estoient si raisonnables que celles du pauvre demandant sa necessité, les dames seroient trop cruelles de vous refuser; mais, Dieu mercy! ceste maladie ne tue que ceulx qui doyvent morir dans l'année. - Je ne treuve poinct, Madame, dist Saffredent, qu'il soit une plus grande necessité que celle qui faict oblier toutes les aultres; car, quant l'amour est forte, on ne congnoist autre pain ne aultre viande que le regard et la parolle de celle que l'on ayme. - Qui vous laisseroit jeusner, dist Oisille, sans vous bailler aultre viande, on vous feroit bien changer de propos? - Je vous confesse, dist-il, que le corps pourroit defaillir, mais le cueur et la volunté non. - Doncques, dist Parlamente, Dieu vous a faict grand grace de vous faire addresser en lieu où avez si peu de contentement, qu'il vous fault reconforter à boire et à manger, dont il me semble que vous vous acquitez si bien, que vous devez louer Dieu d'une si doulce cruaulté. - Je suis tant nourry au torment, dist-il, que je commence à me louer des maulx dont les autres se plaingnent! - Peut-estre que c'est, dist Longarine, que nostre plaincte vous recule de la compaignie où vostre contentement vous faict estre le bien venu; car il n'est rien si fascheux, que ung amoureux importun. - Mectez, dist Simontault, que une dame cruelle! J'entendz bien, dist Oisille, que, si nous voulons entendre la fin des raisons de Symontault, veu que le cas luy touche, nous pourrions trouver complies au lieu de vespres; parquoy, allons-nous en louer Dieu, dont ceste Journée est passée sans plus grand debat." Elle commencea la premiere à se lever, et tous les aultres la suyvirent. Mais Simontault et Longarine ne cesserent de debatre leur querelle si doulcement, que, sans tirer espée, Simontault gaingna, monstrant que la passion la plus forte estoit la necessité la plus grande. Et, sur ce mot, entrerent en l'eglise, où les moynes les attendoient. Vespres oyes, s'en allerent soupper autant de parolles que de viandes, car leurs questions durerent tant qu'ilz furent à table, et du soir jusques ad ce que Oisille leur dist qu'ilz pouvoient bien aller reposer leurs esperitz, et que les cinq Journées estoient accomplies de si belles histoires, qu'elle avoit grand paour que la sixiesme ne fut pareille; car il n'estoit possible, encores qu'on les voulut inventer, de dire de meilleurs comptes que veritablement ilz en avoient racomptez en leur compaignye. Mais Geburon luy dist que, tant que le monde dureroit, il se feroit cas dignes de memoire. "Car la malice des hommes mauvais est toujours telle qu'elle a esté, comme la bonté des bons. Tant que malice et bonté regneront sur la terre, ilz la rempliront tousjours de nouveaulx actes, combien qu'il est escript qu'il n'y a rien nouveau soubz le soleil. Mais, à nous, qui n'avons esté appellez au conseil privé de Dieu, ignorans les premieres causes, trouvons toutes choses nouvelles tant plus admirables, que moins nous les vouldrions ou pourrions faire: parquoy n'ayez poinct de paour que les Journées qui viendront ne suyvent bien celles qui sont passées, et pensez de vostre part de bien faire vostre debvoir." Oisille dist qu'elle se rendoit à Dieu, au nom duquel elle leur donnoit le bonsoir. Ainsy se retira toute la compaignye, mectant fin à la cinquiesme Journée. - FIN DE LA CINQUIESME JOURNEE.

 

 

LA SIXIESME JOURNEE.

Date de dernière mise à jour : 17/06/2021