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BIBLIOBUS Littérature française

L'ANCIEN FIGARO - 1829

 

«L’année 1829 s’ouvrait sous les plus favorables auspices. Le calme succédait, dans les esprits, à l’agitation; les classes moyennes, avides de repos, accueillaient avec confiance la perspective d’une situation exempte des inquiétudes qui troublaient, depuis trois ans, la sécurité de leurs intérêts moraux ou le développement de leurs intérêts matériels; les membres de l’opposition eux-mêmes, pris dans leur généralité, tendaient à se rapprocher de la royauté légitime[9].»

C’est un moment unique dans l’histoire de la Restauration; les passions se taisent, les rancunes semblent oubliées: c’est comme une amnistie vraie et générale.

Cette situation, on la devait au ministère Martignac, à ses efforts, à ses déclarations, aux gages qu’il venait de donner, aux garanties consenties pour l’avenir. On lui tenait compte de la sincérité des élections, de la liberté de la presse.

L’horizon politique se dorait des plus décevantes espérances. Mais ce fut une courte trêve. Charles X supportait avec impatience le cabinet Martignac; il disait volontiers à ses favoris que de tels ministres compromettaient la dignité de la couronne. Bientôt, il voulut les contraindre à revenir sur toutes les concessions, à retirer une à une les garanties données. Ainsi il dépopularisa un ministère populaire, ainsi il lui enleva la majorité à la Chambre. Déjà cependant il avait d’autres projets, il songeait à d’autres hommes. Les ministres le comprenaient. «Nous ne sommes, disaient-ils, qu’un cabinet de transition.» Ils savaient bien le nom des hommes sur lesquels le roi avait jeté les yeux. Ils devaient être le trait d’union entre le ministère déplorable et le ministère incroyable.

Le ministère incroyable devait être présidé par M. de Polignac. C’est au descendant de la favorite de Marie-Antoinette que Charles X allait confier la destinée de la royauté légitime. Ce choix, connu dans le public, soulevait l’opinion, ce nom de Polignac semblait gros de catastrophes. Aussi, jusqu’au jour où le cabinet incroyable sera officiellement constitué, allons-nous voir le Figaro attaquer de toutes les forces de son esprit l’homme et ses tendances.


1er janvier 1829. - LES VŒUX.

..... Pourquoi donc te faire des vœux à toi-même, Figaro? le monde, plus que jamais, n’est-il pas de ton domaine exclusif; plus que jamais, n’est-il pas rempli de charlatans? regarde! Les charlatans tout partout, à la tribune, au barreau, au théâtre; à la Sorbonne, surtout: les uns vendent de la constitution, les autres du despotisme; celui-ci de la modération, celui-là du matérialisme; son voisin, de la philosophie et de l’éclectisme.

Cependant, voilà mes souhaits de bonne année:

Qu’il y ait toujours en France un Opéra, des fermiers de jeu, des faiseurs de vers, des maîtres de philosophie et de méchants comédiens;

Que M. Sosthène se maintienne aux Beaux-Arts; M. de Vaulchier, aux Douanes; M. Marcassus de Puymaurin, à la Monnaie; M. Amy, au Conseil d’Etat;

Qu’il se trouve toujours en France quelques milliers de bonnes âmes bien patientes et assez peu difficiles pour se contenter chaque jour d’un journal comme le mien.


ENQUÊTE.

Le ministère du commerce
Des contes bleus dont il nous berce,
Pour son honneur, fait grand fracas;
Mais le crédit public s’altère,
Et nous faisons fort peu de cas
Du commerce du ministère.


BIGARRURES.

M. de Pourceaugnac, futur président du conseil, est arrivé hier soir de Limoges.

*
* *

Quel moyen va-t-on employer pour guérir les maux de la France? M. de Villèle usait de la saignée, M. de Mart..... penche pour la diète; on pense que M. de Pourceaugnac sera pour les douches, car il a toujours peur des apothicaires.


COUPS DE LANCETTE.

Si l’on ajourne indéfiniment les Chambres, nos députés pourront passer leur temps au jeu de paume.

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* *

La Congrégation a essayé plusieurs fois de faire endosser à M. de Polignac un habit de ministre, mais M. de Polignac n’a encore pu passer que la Manche.

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Il paraît qu’un ambassadeur en Angleterre est un homme qui va et vient[10].

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* *

Encore une ou deux courses de Douvres à Calais, et M. de Polignac passera pour le véritable don Quichotte de la Manche.

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* *

M. de Martignac espère que M. de Polignac le gardera à cause de la reine.

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* *

M. de Polignac commence à s’apercevoir que le télégraphe le fait aller.

Mercredi 21 et jeudi 22 janvier 1829.

MONSIEUR DE POLIGNAC.

C’est le petit bonhomme du baromètre politique: dehors quand il fait beau, dedans au moment de l’orage; à Londres, quand le pouvoir est tant soit peu constitutionnel; à Paris, quand la France est menacée d’un envahissement jésuitique. On dirait un aide de camp de Wellington, traversant la Manche à tous les moments pour porter les ordres du généralissime des gouvernements rétrogrades.

Il va, vient, retourne, revient encore, comme ces coureurs d’héritages qui visitent tous les moribonds dont ils ne sont pas les parents, attendant que le hasard ou l’importunité leur vaille une succession. Tout ministre partant semble lui devoir son portefeuille, comme tout oiseau absent doit son nid au coucou.

Jusqu’à présent, ses vœux et ses courses furent trompés. Des amitiés pressantes, des affections de parti toutes paternelles, ne le purent élever jusqu’au ministère; cette fois, il paraît avoir plus de chances. On dit que Nos Excellences le rappellent elles-mêmes et qu’elles vont se le donner pour maître. Dieu! que ce sera plaisant! le joli combat! la drôle de lutte! M. de Polignac seul contre la nation! Seul? non pas; il aura avec lui, comme seconds dans cette passe d’armes, MM. Villèle et Peyronnet; pour hérauts, il aura MM. Portalis et Martignac; car ceux-ci, ils seront de tout ce qu’on voudra, excepté d’une administration libérale. Ils avaient la balle assez belle pourtant; mais ils ne l’ont pas su jouer et l’ont maladroitement lancée au côté droit, où M. de Polignac arrive assez à temps pour la prendre au bond.

M. de Polignac, son nom est dans toutes les bouches depuis trois jours; il doit se dire, comme le lièvre de La Fontaine:

Je suis donc un foudre de guerre!

Que de cris d’alarme parce qu’il monte! Eh! bonnes gens, il n’est pas encore en haut; et puis on descend si vite sur ce plan incliné, quand on est poussé par tout un peuple et qu’on ne trouve pour point de résistance qu’une coterie haïe et méprisée.

Les sacristains se réjouissent, on danse au noviciat de la rue de Sèvres, les neuvaines se multiplient; n’ayez pas peur. MM. Portalis et Martignac tomberont, c’est possible, c’est probable; ils pouvaient devenir populaires, ils ne l’ont pas voulu; mais que M. de Polignac les remplace, ce n’est pas sûr. Que ferait-il là? voyons! Il restituerait aux jésuites ce qu’ils ont perdu; or, qu’ont perdu les jésuites, sous les ministres actuels? rien du tout. M. de Portalis les aime trop pour leur avoir fait la moindre peine, et M. de Martignac aime trop le ministère pour ne s’être pas ménagé en secret, par des concessions, l’affection des bons pères. M. de Polignac voudra faire de la politique de dévote, mais on lui rira au nez. Les Chambres prendront cela comme une plaisanterie, et la plaisanterie tue; elle a tué M. de Villèle, plus fort que M. de Polignac. C’est une arme redoutable au moins, contre laquelle il n’y a que la raison; et dites-moi où sera la raison, c’est-à-dire la justice, le bon sens constitutionnel, si M. de Polignac est au ministère.

M. de Polignac n’aime pas la Charte, c’est un goût comme un autre. On peut être un excellent homme sans aimer la Charte, mais non un ministre passable dans un pays où elle est la loi d’où toutes les lois découlent. Le prince du pape refusa à la Chambre des pairs de prêter serment à la Charte; il était bien libre: on ne peut contraindre un fiancé, malgré lui, à jurer fidélité à la femme qu’il déteste; mais alors le fiancé n’épouse pas, et M. de Polignac est pair, et il veut toujours être ministre!

Cela ne peut guère s’arranger. Il fera mauvais ménage et ne prendra la Charte que pour la répudier. La malheureuse! elle a été assez maltraitée déjà par M. Decaze et par M. de Villèle; ils lui ont fait toutes sortes d’avanies, ni plus ni moins que si elle eût été roturière. M. de Polignac ira plus loin encore, il la fera reléguer au sceau des titres, comme le sultan met dans un sérail particulier la sultane Validé.

Et vous croyez que cela durera? On l’a dit à M. de Portalis, et il l’a cru, parce qu’il est facile à tout croire; on l’a dit à M. de Martignac, qui ne l’a pas cru, lui, parce qu’il est fin; mais il a duré autant que le ministère Laferronnays, il durera autant que le ministère nouveau. Dans un ministère en gnac, il est légitime; il y entrera. Qu’est-ce que cela peut lui faire? Il n’est pas compromis par ses actes; les préfets sont ceux de M. de Villèle, la loi de la presse celle de M. de Peyronnet, la censure dramatique celle de M. de Corbière; il a fait quelques promesses, il les expliquera dans le sens du pouvoir absolu; pas si franchement pourtant qu’il ne les puisse bien retourner aux idées libérales, parce qu’il voudra être aussi du ministère qui succédera à celui dont on fait honte d’avance à M. de Polignac.

Le nom du futur ministre froisse l’opinion publique; il est impossible que M. de Polignac l’ignore. Il a la conscience de cette répugnance générale; peut-être n’osera-t-il pas la braver. S’il s’y hasarde, la guerre sera chaude et courte. Bataille morbleu! bataille! Tant mieux. Garde à vous, mes amis!... Chargez vos canons; pour moi, mon escopette est bourrée. En ligne! et nous allons bien rire.


COUPS DE LANCETTE.

M. de Polignac vient de faire, dans la Chambre haute, une déclaration d’amour à la Charte. M. de Polignac est un amant discret; il y avait plus de quinze ans qu’il tenait sa passion secrète[11].

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* *

La France espère que ses députés uniront la force à l’adresse.

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* *

L’union annoncée de M. de Polignac avec la Charte ne passera jamais pour un mariage d’inclination.


Dimanche, 25 janvier 1829. - GLOSSAIRE POLITIQUE.

Ordre légal.—Machine pour enrayer.

Opinion publique.—Thermomètre.—Nos ministres, depuis quinze ans, y ont lu tout de travers. Ils ressemblent à des fous qui s’habilleraient en nankin quand le mercure est à rivière gelée, et prendraient un carrick quand il est à Sénégal.

Héros.—Ne se dit plus que dans le Vétéran, à Franconi; chez lord Wellington et le prince de Hohenlohe.

Petits séminaires.—Écoles militaires.

Éloge.—Dans la Gazette.—Paire de soufflets.

Mendiant.—Se faire mendiant, c’est s’assurer un logement, du travail et du pain pour le reste de ses jours.

Bataille.—Livrer bataille à un voisin, détruire ses flottes, prendre ses villes, tout cela prouve qu’on est en pleine paix et que la meilleure intelligence règne entre les deux nations.

Libérateur.—Celui qui met une république dans sa poche.

Usurpateur.—Celui qui met un royaume dans son portefeuille.


COUPS DE LANCETTE.

Toutes les fois que les absolutistes croient pouvoir tuer la Charte, ils appellent M. de Polig... pour l’administrer.

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* *

Quoiqu’en sa faveur la cour penche,
Il est d’un trop mince acabit;
Qu’il passe et repasse la Manche,
Il n’endossera pas l’habit.

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* *

M. de Polignac va passer avec le paquebot de Londres, un bail de trois, six ou neuf, pour le départ ou le retour.


CHARYBDE ET SCYLLA.

Nous pourrions bien, chose incroyable,
Regretter un peu Martignac,
Si nous tombions, chose effroyable!
De Martignac en Polignac.


COUPS DE LANCETTE.

M. de Polignac a fait insérer dans plusieurs journaux sa protestation d’attachement à la Charte.

Et l’amour vient sans qu’on y pense.

*
* *

On dit que la Chambre va reprendre l’acte d’accusation des anciens ministres; la France n’a pas attendu si longtemps pour les condamner.

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* *

M. P... a fait une déclaration d’amour à la Charte; Tarquin, aussi, assurait Lucrèce de son respect avant.........


J’AI DU BON TABAC.

Le Trésor a des millions dans ses sacs,
Et la Régie encor garde par entreprise
Le monopole des tabacs.
Monsieur Roy dit que c’est de bonne prise.

*
* *

M. de Polignac retourne aujourd’hui à Londres.

Jean s’en alla comme il était venu.

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* *

La loi sur le monopole des tabacs blesse tous les droits, quoiqu’elle ait l’air d’avoir pour elle tous les droits réunis.


Mercredi, 18 février 1829. - MONOPOLE DES HARICOTS[12].

On assure que S. Exc. Mgr le ministre des finances doit porter, vers la fin de ce mois, à la Chambre des députés un projet de loi sur les haricots devant être mis en régie. Quelqu’un, que nous avons tout lieu de croire au fait des choses ministérielles, a la bonté de nous communiquer le projet et l’exposé des motifs que M. Roy a préparés. Nous offrons à nos lecteurs ces deux pièces, qui deviendront peut-être historiques, comme la loi sur le monopole des tabacs, et les bonnes raisons dont le ministre l’a appuyée en la présentant.

EXPOSÉ DES MOTIFS.

«Messieurs,

«Notre amour pour l’ordre légal vous est connu: vous savez si nous voudrions faire quelque chose qui fût une violation des droits communs. Vous nous rendez la justice de croire à la pureté de nos intentions et à la bienveillance toute particulière que nous portons à la classe intéressante des cultivateurs.

«Nous venons cependant vous proposer une mesure exceptionnelle et que vous qualifieriez peut être d’attentat à la liberté de la culture, si nous ne prévenions des interprétations fâcheuses.

«Le besoin excuse bien des choses.

«43,000,000 sont un argument, selon nous, sans réplique aux objections que l’on fait contre le monopole des tabacs; 300,000,000 ne nous semblent pas moins concluants en faveur du monopole des haricots. 300,000,000! Oui, Messieurs, nous estimons à ce taux le produit de l’impôt dont nous venons vous proposer de frapper le légume qui nourrit à lui seul peut-être un cinquième de la population française, et auquel Soissons ne doit pas moins sa renommée qu’à la victoire de Clovis contre Siagrius, à la défaite de Charles le Simple et au trop fameux tournoi de 1559. 300,000,000! et nous avons besoin d’augmenter les revenus de l’Etat.

Cette nécessité vous est démontrée. L’administration est fort coûteuse, quelque zèle que nous mettions à réduire les gros traitements. Comment voulez-vous que nous donnions moins de 15 à 20,000 fr. à nos employés supérieurs? Un petit marchand, un industriel, un homme de lettres, travaillent nuit et jour pour gagner de 5 à 6,000 fr.; nos chefs de division travaillent beaucoup moins et gagnent beaucoup plus, c’est dans l’ordre; l’usage le veut ainsi avec raison. Il faut que nous trouvions des fonds pour les majorats à faire aux nobles pairs qui rendront des services à la France: idée lumineuse que nous avons eue et qui eût honoré nos prédécesseurs. Il faut que nous puissions trouver de quoi pensionner les hommes qui ont besoin d’être aidés par le gouvernement, comme, par exemple, M. le baron Louis... L’impôt sur les haricots pourvoira à tout cela.

«Est-il nécessaire que nous vous démontrions la légitimité de cet impôt? D’abord il est constitutionnel tout autant que celui des tabacs; ensuite il rapportera 300 millions, ce qu’il faut surtout ne pas perdre de vue.

«Les haricots ne se cultiveraient, dans le système du projet de loi, que pour le gouvernement. Un mode de perception de l’impôt serait établi, et des agents seraient préposés aux recettes et à l’inspection de la culture. On dira, Messieurs, que cela est impossible; tout est possible au génie de la fiscalité.

«Une considération vous décidera, j’espère, et celle-là nous la réservions pour la dernière, afin de vaincre des répugnances, si, dans une assemblée aussi sage, aussi éminemment éclairée, il y avait des hommes assez peu versés dans l’économie politique pour se refuser à un projet que nous ne craignons pas d’appeler sublime, bien qu’il soit notre ouvrage. Cette considération, la voici. Le vin et les liqueurs fortes payent un impôt parce qu’ils sont dangereux; la presse est imposée en raison des périls où elle peut mettre la monarchie et la vanité des hommes d’État: laisserons-nous plus longtemps le haricot sans responsabilité morale?

«Que celui de vous, Messieurs, qui croit les haricots innocents et sans danger pour la société, rejette la loi que M. Syryès de Mayrinhac, directeur de l’agriculture, va avoir l’honneur de vous lire; nous y consentons.»

PROJET DE LOI.
TITRE Ier.

Art. 1er. La culture des haricots est faite au profit du gouvernement et administrée par lui.

Art. 2. Tout cultivateur doit sa récolte au gouvernement; il la versera en nature dans les sacs de l’État, si mieux il n’aime la racheter par une somme fixée à 50 centimes par litre pour les haricots blancs, et 70 centimes pour les haricots rouges, noirs, gris, flageolets, et autres, dits haricots de fantaisie.

Art. 3. Le gouvernement pourra donner des licences pour la culture des haricots à ceux des sujets français qui auront rendu d’importants services à la monarchie.

TITRE II.

Art. 1er. Dans chaque commune, un agent sera préposé à l’inspection de la culture des haricots.

Art. 2. Cet agent sera nommé par notre ministre des finances, sur la présentation d’une liste de candidats désignés par l’élection.

Art. 3. L’élection sera faite par l’assemblée des notables des communes.

Art. 4. Composeront l’assemblée des notables:

1º Les évêques, curés, vicaires et desservants;

2º Les maires et adjoints;

3º Les percepteurs et receveurs des contributions;

4º Les officiers de tous grades de terre et de mer retraités avec 600 francs de pension au moins.

Art. 5. Chaque agent recevra un traitement de 2,000 fr.

Art. 6. Il y aura un directeur général des haricots aux appointements de 25,000 francs.

Art. 7. Le commerce des haricots sur les marchés et places ne pourra être fait que par des débitants patentés par nous.

Art. 8. Toute contravention aux dispositions de la présente loi sera punie d’une amende de 10,000 francs au moins et de 100,000 francs au plus.

Fait, etc.

On dit que si cette loi passe aux Chambres cette année, à la session prochaine, le ministre en présentera une plus importante encore sur les cornichons. Le projet des cornichons s’élabore déjà, à ce qu’on assure, dans les bureaux.


COUPS DE LANCETTE.

M. de Martignac est un homme qui parle, mais ce n’est pas un homme de parole[13].

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* *

Quand le gouvernement adresserait aux contribuables un million de remerciements, il leur serait encore redevable d’un milliard.

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* *

M. le ministre des finances a occupé la tribune pendant toute une séance, avec le budget. On n’en est jamais quitte à bon marché.

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* *

Nos faiseurs de budgets ont toujours trouvé des dépenses pour augmenter la recette; mais ils n’ont pas encore cherché la recette pour diminuer la dépense.

*
* *

Le ministère est tout honteux, il n’ose regarder ni à droite ni à gauche.

*
* *

On croit que M. de Martignac est à la fin de sa période; bientôt, peut-être, on pourra dire au général Sébastiani:

Tu nous as fait, Horace, un fidèle rapport;
Enfin, la loi triomphe et Martignac est mort.


Samedi, 4 avril 1829. - ESQUISSES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. - M. L’ABBÉ FEUTRIER ET M. FRAYSSINOUS.—M. LE VICOMTE DE MARTIGNAC ET M. DE CORBIÈRE.—M. DE PORTALIS ET M. DE PEYRONNET.

M. l’évêque de Beauvais est le plus joli de tous les ministres qui se sont succédé depuis la Restauration. Son Excellence a la main belle, la jambe superbe, le maintien élégant, un teint pétri de lis et de roses; les chérubins n’ont pas plus de fraîcheur et les archanges plus de majesté. Aussi, quand M. Feutrier monte en chaire ou à la tribune, les regards de toutes les dames se portent incontinent sur lui: chacun admire l’air de béatitude et de satisfaction répandu sur toute sa personne, et le silence règne sans le secours de la sonnette du président. Ce n’est pas que M. de Beauvais soit un homme éloquent, un Cicéron, un Démosthènes, pas même un abbé Maury; mais Son Excellence a de si blanches mains, une si large croix d’or descend sur sa poitrine, un anneau si brillant orne ses doigts de rose, que l’attention se porte involontairement sur lui et qu’on l’écoute même avant qu’il ait parlé. Il parle enfin, et ceux qui l’ont entendu prêcher au faubourg Saint-Germain ou qui l’ont vu officier pontificalement à Beauvais, le retrouvent à la tribune tel qu’il leur apparaissait dans la chaire et sous le dais. Tous ses discours exhalent un parfum des saintes Écritures et présentent le rare assemblage des formes allégoriques du mandement et de la grâce touchante de l’homélie.

M. l’évêque d’Hermopolis, son prédécesseur, était, sous tous les rapports, un homme différent: un corps maigre et petit, un teint jaune et bilieux, une voix sévère, des formes anguleuses, le distinguaient de M. Feutrier. Celui-là n’eut jamais les suffrages des dames: sa tête était clair-semée de cheveux blancs qu’il laissait flotter sur ses épaules, à l’instar des prophètes, et pourtant, malgré les défauts d’un débit mal accentué, il produisait plus d’effet à la Chambre. M. Feutrier parle pour ne rien dire, ou plutôt, encore peu habitué aux usages parlementaires et craignant de se compromettre, il borne ses harangues à quelques lieux communs qui laissent après lui sur la même question les mêmes incertitudes.

Telle est la tactique ordinaire de M. de Martignac. Prodiguer les démonstrations sentimentales à défaut d’arguments, ménager ses adversaires dans l’impuissance de les combattre, parler de ses chagrins ministériels et des dégoûts de la puissance avec une candeur qui fait toujours des dupes: voilà le système adopté par M. le ministre de l’intérieur. Son Excellence a d’ailleurs un vrai talent d’élocution: sa voix flexible et sonore se prête facilement à l’impression qu’il veut produire; mais cette impression est toujours fugitive, parce qu’elle n’est pas le résultat d’une conviction profonde. Tout le monde admire l’orateur, chacun est ébloui, charmé de ses paroles; mais personne ne change d’avis après qu’il a parlé. Nous avons vu, il y a peu de jours, Son Excellence recevoir les félicitations des membres de tous les côtés de la Chambre qu’elle avait essayé de mettre en contradiction avec eux-mêmes; à droite et à gauche, on rendait justice à l’écrivain élégant, au déclamateur habile, mais on ne lui apportait pas une seule voix.

Admirons, toutefois, dans M. le ministre de l’intérieur l’influence prodigieuse qu’un simple changement de position exerce sur les hommes. Je me souviens qu’il y a quatre ou cinq ans, lorsque M. de Martignac était simple directeur général sous le ministère Villèle, il défendait avec chaleur la plupart des mesures proposées par le triumvirat déplorable. Son accent, aujourd’hui souple et insinuant, était fier et insultant pour le côté gauche; cette poignée de membres échappés aux fraudes électorales, cette minorité décimée semblait à peine digne de ses regards ou de sa pitié. Maintenant tout est changé: M. de Martignac réserve son ironie pour les castors de M. de Sallaberry et ses politesses pour M. Etienne. Lequel croire de bonne foi, du directeur général de 1824 ou du ministre de 1829? Aussi, Son Excellence a-t-elle beau protester de sa franchise, les députés lui disent en face que sa franchise est la première de toutes les finesses et que les montagnes changent plutôt de place que les hommes de principes.

Quoi qu’il en soit des antécédents de M. de Martignac, nous ne lui ferons pas l’injure de le comparer à M. de Corbière. Celui-ci était un ours dans toute la force du terme, un brutal, un vrai paysan du Danube, à l’éloquence près; nulle politesse envers les femmes, pas le moindre sentiment des convenances, l’habitude de ne répondre à aucune lettre, une paresse incurable, une insouciance de bonne renommée véritablement extraordinaire. M. de Martignac est d’une exquise urbanité, galant et respectueux avec les dames, obligeant avec tout le monde, même dans ses refus, et très-jaloux, quoi qu’il ait dit, de la faveur publique. Ses yeux bleus sont pleins de douceur, ses manières engageantes, son abord très-affable. Quand on les quitte, ses collègues disent: Je vous salue! M. de Martignac ajoute en souriant: Adieu! Sa mise est recherchée sans affectation, et les dames des tribunes, auxquelles il tourne le dos, trouvent que son toupet de cheveux gris produit plus d’illusion que la perruque de M. Portalis.

M. Portalis est, de tous les ministres, celui que la nature a le plus disgracié, après M. Decaux! Figurez-vous un gros homme enveloppé, depuis la tête jusqu’aux pieds, d’une énorme simarre ou soutane et portant à la main un petit chapeau à trois cornes: tel est l’aspect que présente M. le garde des sceaux lorsqu’il s’avance, précédé de deux huissiers, vers le banc des ministres. Sa figure, composée de traits lourds et insignifiants, est celle d’un vieux procureur ou d’un de ces curés de village que je rencontre souvent dans les boutiques de lithographies. Rien de spirituel, de pensif ni d’énergique ne se lit sur son front; la face de la Justice, telle qu’on la gravait jadis en cul-de-lampe sur le Bulletin des lois, n’avait rien de plus impassible que celle de M. Portalis. Son organe sourd et parfois nasillard, sa lenteur naturelle ou calculée et ses subtilités de légiste lui donnent quelque ressemblance avec ces prêtres de l’antiquité chargés de rendre les oracles. Mais, malheureusement, le temps des oracles est passé, et la Chambre prête rarement une oreille attentive aux paroles de M. le garde des sceaux. Chacun sait qu’il a été porté au pouvoir par l’influence du nom de son père, et l’on ne s’occupe guère de le troubler dans la jouissance de sa succession.

Le souvenir de la fatuité de son prédécesseur a, d’ailleurs, été fort utile à M. Portalis. Qui n’a plus d’une fois éprouvé je ne sais quelle colère soudaine en voyant entrer dans la Chambre le fameux comte de Peyronnet, la main appuyée sur le flanc, la tête haute et le regard dédaigneux, comme un pacha dans un conseil d’eunuques? Qui ne se souvient de ces apostrophes insolentes adressées par lui à la minorité opprimée qui, seule, défendait alors les droits méconnus du pays? Non, Walpole n’était pas plus audacieux lorsqu’il insultait à Windham et aux restes de l’opposition mourante dans le parlement d’Angleterre! Ces souvenirs ont protégé la médiocrité de M. Portalis; sa figure, du moins, n’a rien qui soit incompatible avec sa dignité, et, puisqu’il n’est pas nécessaire de ressembler à l’Apollon du Belvédère pour être ministre de la justice, autant valait M. Portalis que tout autre pour occuper cette place dans un ministère sans couleur.


ÉPITAPHE.

Ci-gît l’avocat des abus,
Le patron de la servitude.
Il aima peu la Charte et se fit une étude
De sauter par-dessus.


COUPS DE LANCETTE.

L’ÉLÈVE.—J’ai peur du tonnerre, je porte la fleur-de-lis, et j’aime papa.

L’EXAMINATEUR.—C’est très-bien, vous entrerez d’emblée à l’École polytechnique.

*
* *

Les personnes qui connaîtraient un homme sans occupation, âgé de quarante ans au moins, qui serait décidé à parler pendant deux ou trois heures en faveur du projet de loi des ministres, sont priées de l’adresser à M. de Martignac. On lui promet une récompense honnête.

*
* *

On cherche la liste des gens qui avalent le budget; l’Almanach royal paraîtra demain.


Vendredi, 10 avril 1829. - LE MINISTRE ET SON MÉDECIN[14].

Rue de Grenelle.—5 heures du matin.

LE MINISTRE. Arrivez, docteur, arrivez; je souffre horriblement.

LE MÉDECIN. Grand Dieu! qu’avez-vous? comme vous voilà défait!

—Ils me tueront, mon ami! je n’en puis plus... Dans le moment de la crise, j’étais fort; maintenant, je suis abattu.

—Vous avez la fièvre... N’avez-vous pas eu le délire aussi?

—Le délire? attendez... Oui, à huit heures, hier soir, je me suis surpris parlant tout seul...

—Êtes-vous bien sûr que l’accès n’a commencé qu’à huit heures?

—Franchement, je n’en sais rien; je crois bien qu’à quatre heures et demie il y avait déjà quelque chose...

—J’en suis persuadé, moi; sans cela, vous seriez-vous hasardé?...

—J’ai eu raison, n’est-ce pas, docteur?

—Si j’avais été dans la salle des députés au moment où le scrutin vous a frappé (montrant le front), rien de cela ne se serait passé. Je vous aurais fait demander à la salle des conférences, je vous aurais saigné, et deux palettes de sang auraient sauvé vous et la liberté du malheur qui vous arrive à tous deux.

REDITE.

On tient pour Polignac, l’homme selon la cour,
Deux paquebots tout prêts sur le double rivage:
L’un à Douvres, pour son passage;
L’autre à Calais, pour son retour.


COUPS DE LANCETTE.

Le ministère croit qu’il a de la tête parce qu’il est entêté.

*
* *

M. de Pol... s’embarque pour revenir en France;... tant va la cruche à l’eau....

*
* *

LE PASSAGER ÉTONNÉ.

Cinq fois je suis entré dans un vaisseau,
Et quatre fois j’ai fait naufrage.
Des voyages sur mer tel est, dit-on, l’usage.
Expliquez-moi par quel bonheur nouveau
Le Polignac qui si souvent voyage
N’est pas encor tombé dans l’eau?

*
* *

Des nouvelles de Calais annoncent que décidément M. de Polignac revient sur l’eau.

*
* *

L’alter ego de don Miguel, c’est le bourreau.

*
* *

Pour l’esprit, Martignac est vraiment un démon.
Comme avec grâce il dissimule!
Et qu’il sait bien vous dorer la pilule,
Pour y mieux cacher le poison.
Aux libertés, si, par exemple,
On désire élever un temple,
Il en décore le fronton.
Le portique et le péristyle
A tous les yeux sont d’un beau style.
On entre... C’est une prison.


Dimanche et lundi, 19 et 20 avril 1829. - ESQUISSES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. - M. BENJAMIN CONSTANT.—M. SYRIEYS DE MAYRINHAC.

M. Benjamin Constant a passé la plus grande partie de sa vie au sein de nos assemblées politiques. Il a pris part à tous leurs débats, il a vieilli au milieu de leurs orages. Infatigable athlète, il écrivait sous le Consulat, sous l’Empire, à la Restauration, pendant les Cent-Jours. En 1816, il écrivait encore; il écrira jusqu’au dernier soupir et mourra sur la brèche. La tribune est devenue son élément: là seulement il est à l’aise, il respire, il jouit. Il faut le voir s’agiter, les jours de discussion, lorsque quelque orateur verbeux lui gaspille son temps et retarde pour lui l’heure de la parole: tantôt il se promène, les yeux fixés sur l’horloge; tantôt il se pose avec impatience en face de l’ennemi, quel qu’il soit, qui parle avant son tour. Enfin, cet ennemi descend de la tribune, et M. Benjamin Constant s’y précipite, s’y cramponne, la presse de ses deux mains avec amour, avec passion..... Le président vient de lui accorder la parole.

L’honorable orateur est un homme d’une haute stature: son teint est pâle, sa figure pleine de finesse et d’expression; ses cheveux, blonds et rares, retombent en boucles sur ses épaules. Sa voix, sèche et fatiguée, n’a pas beaucoup d’étendue, mais elle s’anime par moments et laisse à peine sentir le léger grasseyement qui la caractérise. Toutefois, M. Benjamin Constant paraît plus orateur quand on lit ses discours que lorsqu’on les entend. La mauvaise habitude qu’il a prise d’écrire chacune de ses phrases sur une petite feuille isolée et la faiblesse de sa vue le forcent de se baisser, en quelque sorte, au retour de chaque période pour retrouver la phrase suivante, qu’il a l’air de jeter avec humeur au visage de ses adversaires. Il en résulte un mouvement de tout son corps, régulier et monotone, qui fatigue les spectateurs et qui nuit beaucoup à l’effet oratoire. Aussi, les discours de M. Benjamin Constant exercent-ils plus d’influence le lendemain que le jour même, et sur le public que dans la Chambre où ils ont été prononcés.

L’effet est bien différent lorsque l’honorable député improvise. L’habitude de la tribune et la connaissance parfaite qu’il a des assemblées délibérantes lui donnent, dans ce cas, de très-grands avantages. Aussi, le voit-on presque toujours sortir avec honneur de ces épreuves difficiles qui ont été fatales à plus d’une grande réputation. Elégance de l’expression, élocution insinuante, mots spirituels, arguments décisifs, rien ne lui manque pour captiver l’attention distraite, pour ébranler les résolutions prises d’avance, ou retenir les membres pressés de dîner. Nous l’avons vu plusieurs fois arrêter la retraite de tout un centre affamé, qui semblait n’avoir plus d’oreilles après cinq heures et demie. Un autre jour, il trouvait le moyen de piquer la curiosité par sa manière adroite de poser une question ou son intention hardie de la résoudre.

Malheureusement pour le succès de la cause, M. Benjamin Constant n’a pas toujours gardé dans ses opinions cette fixité qui est le fruit d’une conviction profonde et qui appartient surtout aux caractères forts. C’est plutôt la faute de son temps, dira-t-on, ou de son imagination que celle de son caractère. J’aime à le croire; mais les chefs de parti, même lorsqu’ils sont à la tête du parti national, ont besoin d’une grande réserve et de beaucoup d’esprit de conduite pour conserver leur influence. Les nations se montrent plus sévères pour leurs représentants que pour elles-mêmes, et souvent le parterre le plus illettré juge avec équité des plus rares chefs-d’œuvre. Cette position difficile de M. Benjamin Constant a beaucoup contribué au développement de son talent. Comme il avait traversé des temps divers avec des opinions qui semblent diverses, il s’est vu attaqué avec énergie par des adversaires qui lui cherchaient des torts passés pour se défendre de son éloquence présente: cette guerre continuelle de tirailleurs l’a rendu plus redoutable en le forçant d’être plus avisé.

Nul ne saurait, d’ailleurs, contester les éminents services que cet honorable député a rendus à la cause constitutionnelle. La Chambre n’eut jamais de membre plus laborieux et plus infatigable. Aujourd’hui même encore, après tant de succès, M. Benjamin Constant travaille avec toute l’ardeur d’un jeune débutant; il parle à la tribune, écrit dans les journaux, entretient avec les départements une correspondance assidue: son âme ardente suffit à tout. De tous les orateurs de la Chambre, c’est lui qui fait la plus grande consommation d’eau sucrée; à le voir y plonger avec avidité ses lèvres altérées, on croirait que quelque feu secret circule dans ses veines. Sa démarche est toujours agitée; il va, il vient, s’assied, se lève et s’assied encore, écoute, prend des notes, réfute les ministres, démasque ses adversaires et ne prend du repos qu’au moment du scrutin. Il est presque toujours malade pendant l’intervalle des sessions; il mourrait s’il cessait d’être député.

Presque en face de lui, à l’extrémité du premier banc de l’extrême droite, est assis le célèbre M. Syrieys de Mayrinhac, chevalier de la Légion d’honneur, conseiller d’Etat, ex-directeur des haras et de l’agriculture, l’un des orateurs les plus amusants et les plus conséquents du parti rétrograde. Un solécisme et une niaiserie ont commencé sa réputation parlementaire, qui s’accroît tous les jours d’une foule de niaiseries et de solécismes nouveaux, et qui menace d’éclipser la renommée de M. Froc de Laboullaye lui-même. La nature et l’art ont contribué d’ailleurs à faire de M. Syrieys le personnage le plus ridicule de la Chambre des députés. Sa figure plate et insignifiante, son rire niais, ses petits yeux de tapir et sa tournure grotesque sont en parfaite harmonie avec la couleur de son langage.

Cet étrange député a la rage de monter sans cesse à la tribune, où l’on est sûr de le trouver toutes les fois qu’il s’agit de défendre quelque abus suranné, quelque sotte opinion ou quelque mesure arbitraire. Lui seul, parmi tous ses collègues, ne s’aperçoit pas de l’ennui profond qu’il leur cause; en vain, lorsqu’il prend la parole, la plupart d’entre eux se réfugient dans la salle des conférences ou se livrent sans réserve à des conversations qui couvrent son insipide voix. M. de Mayrinhac continue de jaser à outrance, sans que le président daigne agiter une seule fois sa sonnette pour lui obtenir du silence. Pour moi, plus je suis condamné à entendre ce pitoyable orateur, plus j’ai de peine à comprendre comment il s’est rencontré en France dix électeurs assez dépourvus d’intelligence pour l’avoir envoyé à la Chambre. Et lorsqu’on songe qu’un homme convaincu d’une aussi profonde nullité est devenu conseiller d’Etat et directeur général de l’agriculture, on est tenté d’avouer que si la France a jamais produit quelque chose de trop, c’est un fonctionnaire public de cette force.

Au reste, l’incapacité de M. Syrieys de Mayrinhac et son ancienne fatuité parlementaire commencent à recevoir leur châtiment. MM. les ministres sont les premiers à profiter de toutes les occasions qui se présentent de mettre en relief l’ineptie de ce triste adversaire, et il n’y a pas huit jours que M. de Martignac prenait un cruel plaisir à le mortifier pendant la discussion de la nouvelle loi des postes. Quand M. Benjamin Constant veut égayer la Chambre, il se borne à citer quelques mots de M. Syrieys, qui s’empresse aussitôt de demander la parole et d’improviser mille choses plus facétieuses les unes que les autres. C’est le seul parti qu’on ait tiré de lui jusqu’à ce jour, et, sous ce rapport, M. de Mayrinhac est vraiment un homme précieux pour l’opposition.


ÉPITAPHE.

Ci-gît monsieur de Martignac
Qui naquit au pays de Crac
Pour gronder ab hoc et ab hac
Et faire fumer sans tabac.
Il gronda; mais, un beau jour, tac!
Son ire enfla son estomac
Et la mort le mit dans son sac.
De bois on fit son dernier frac
Puis il s’en fut au triste lac.
Mais, en montant sur le tillac,
Il gronda Caron dans son bac
Qui remit son corps an bivouac,
Dieu le mit dans son almanach.


Mardi, 28 avril 1829. - ESQUISSES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. - M. DUPIN AINÉ.—M. LE BARON CHARLES DUPIN.

De tous les honorables membres qui siégent à la Chambre des députés, nul n’est plus difficile à peindre et à définir que M. Dupin aîné. Quand vous avez entendu ses vigoureuses philippiques contre les jésuites, vous apprenez qu’il arrive de Saint-Acheul et qu’il y a tenu les cordons du dais, le jour d’une procession solennelle. Une autre fois, il aura tonné contre les dilapidations des deniers publics et contre la caisse de secours ouverte en faveur des pairs qui n’ont que trente mille livres de rente, et, l’instant d’après, il votera pour ces nobles indigents, lui plébéien, dont les sarcasmes amers viennent d’empoisonner leur pain. Un député s’est-il glissé en contrebande dans le sein de la Chambre élective, M. Dupin aîné, transporté d’une indignation pathétique, s’élance à la tribune, les yeux étincelants, marque du geste le coupable, l’enveloppe, le presse de sa dialectique accablante et pense le faire mourir de honte ou de regret; puis, lui tendant une main secourable: «Qu’il reste, s’écrie-t-il, parmi nous; qu’il y reste le front couvert de rougeur; et passons à l’ordre du jour!»

De pareilles contradictions affligent les amis de M. Dupin et les nombreux admirateurs de son talent. Quel prodigieux talent, en effet, que celui d’un homme capable d’improviser, sur les questions les plus difficiles, un discours rempli d’images, de pensées énergiques et toujours revêtues d’une expression pittoresque! Tel est le caractère distinctif de l’éloquence de M. Dupin. Sa voix est étendue, sonore, pénétrante; son geste noble et sévère, sa tenue imposante et sa fermeté inébranlable au milieu des orages de l’Assemblée. Lorsqu’il est animé par des interruptions, un sourire plein d’amertume semble courir sur ses lèvres, et ses traits, naturellement durs, acquièrent une expression presque sauvage; ses collègues l’écoutent dans un profond silence, et les ministres lui prêtent à leur tour une oreille attentive et inquiète. Si quelque membre du côté droit ou du banc des ministres avance une hérésie, conteste un droit acquis, attaque une liberté constitutionnelle, c’est ordinairement M. Dupin l’aîné que le côté gauche charge de la réfutation ou du châtiment. On le voit alors recueillir en passant les arguments et les conseils de ses amis, les réunir, si j’ose dire, en faisceaux de licteur et, debout à la tribune, les armer de son style comme d’une hache.

M. Dupin est, en effet, de tous les membres de la Chambre des députés celui qui possède au plus haut degré les qualités d’un orateur. Jamais je ne l’ai entendu parler avec cette lenteur et cette monotonie qui distinguent la plupart de ses collègues; aussi, le voit-on mal à son aise lorsqu’il est obligé de débiter quelque rapport écrit, ou de faire quelque lecture un peu longue. C’est un homme d’action qui a besoin d’être excité par son sujet, par la contradiction, par le sentiment d’une grande cause; jamais plus beau que lorsqu’il défend les intérêts populaires contre l’insolence de l’aristocratie, mais toujours prêt, comme Coriolan, à porter son orgueil chez les Volsques. Malheur à lui, si jamais il devenait ministre! Il exciterait plus d’orages, peut-être, et de haines qu’aucun de ses prédécesseurs, parce qu’il manque de souplesse et d’aménité même envers ses amis et dans sa propre cause. Personne ne sait au juste ce qu’il pense; et, quoique homme nouveau, tout à fait étranger aux folies de l’ancien régime et aux bassesses de l’empire, il a déjà ébranlé la confiance publique par les saillies de sa mauvaise humeur; un peu trop oublieux de cet antique adage: Nul n’a plus d’esprit que tout le monde.

Son frère le baron offre l’exemple de la première contradiction qui se rencontre entre les principes apparents et la conduite des deux membres les plus remarquables de cette famille distinguée. Pourquoi s’être laissé faire baron quand on a assez de mérite pour honorer son existence plébéienne? La vanité est un défaut tolérable chez les femmes, ridicule chez des hommes qui aspirent au titre de citoyen. Quelle foi M. le baron Dupin veut-il qu’on ait en ses protestations civiques, lorsqu’il étale avec ostentation une foule de titres dans ses préfaces et de rubans à sa boutonnière? On nous persuadera difficilement que ces hochets lui aient été imposés, il les a donc sollicités, et par là même il a fait preuve de faiblesse. M. Dupin aîné a eu le bon esprit de s’en passer, et certes sa poitrine n’est pas agitée d’émotions moins généreuses pour n’être ornée d’aucune croix! M. le baron est évidemment plus homme de cour que son frère; jamais il ne commence une harangue sans faire un compliment à quelque ministre, et il n’y en a peut-être pas un seul dont il n’ait entamé le panégyrique depuis la Restauration; aussi est-il devenu membre de plusieurs académies, de plusieurs conseils, professeur de toutes sortes de choses, même de mécanique, chevalier de Saint-Louis, de la Légion d’honneur, etc., etc.

M. le baron Dupin était officier du génie maritime sous l’empire, et l’on parla beaucoup, dans le temps, du talent remarquable avec lequel il fit démolir, par ordre supérieur, une carcasse de vaisseau dans le port de Corfou. La destruction de cette carcasse mémorable est célébrée à plusieurs reprises dans le cours de ses ouvrages, et peut-être lui a-t-elle inspiré l’idée de son voyage en Angleterre, publié depuis en six volumes in-quarto, dans lesquels l’honorable ingénieur n’a pas manqué d’insérer quelques vers géométriques de sa façon. Dès lors, M. Charles Dupin s’est trouvé lancé dans la carrière littéraire, et s’il s’est adonné à ces fameuses recherches statistiques, souvent inexactes, mais toujours curieuses, qui ont signalé à la France le petit nombre des ennemis de ses libertés, et montré à ceux-ci la faux du temps prête à les moissonner.

Le département du Tarn s’est chargé de récompenser M. Dupin de ce service en le nommant député, et c’est justice de reconnaître que l’honorable membre est constamment resté fidèle à son mandat. Dans plusieurs circonstances, ses redoutables chiffres ont excité la colère du côté droit et produit sur la Chambre une impression profonde. «Pourquoi parler si haut?» leur dit-il quelquefois; «vous n’êtes qu’une fraction et nous sommes un entier. Vous prétendez que la Chambre est pleine de révolutionnaires, et je vois parmi nous deux douzaines de comtes, un demi-cent de barons, un cent de chevaliers; si les marquis pouvaient se mesurer comme l’orge ou l’avoine, il y en aurait ici de quoi remplir vingt hectolitres!» Voilà ce que la droite n’aime pas qu’on dise, et quand M. Dupin paraît à la tribune avec son cahier d’additions, de soustractions et de multiplications, M. de Conny frappe du pied et M. de Formont le négrier met ses deux grandes mains sur ses oreilles.

Il nous reste à parler, au sujet de M. le baron Dupin, de la grande mystification du Conservatoire royal des arts et métiers. Chacun sait que l’honorable professeur de mécanique ne s’occupe que de géométrie et que, ne pouvant créer des élèves, il a imaginé de former des professeurs. Cette singulière bizarrerie a valu à plusieurs grandes villes de France un enseignement élémentaire pour les mathématiques, grâce à l’intervention active de M. Dupin auprès des autorités départementales. Dans l’impatience de nous donner la pièce, il a payé sa part en monnaie de billon, semblable à un célibataire qui prêche le mariage, ou bien à cette pierre à repasser dont parle Horace, qui ne coupe pas, mais qui fait couper. M. le baron Dupin est célibataire, en effet, assez joli garçon du reste, quoiqu’il ait le nez un peu long et les favoris un peu raides. On dit même qu’il a été une fois très amoureux et sur le point de se marier; mais il renonça, ajoute-t-on, à sa future, parce qu’elle était protestante et qu’on vivait alors sous le ministère Villèle.


COUPS DE LANCETTE.

Le blé augmente toujours; les gens de bien commencent à croire qu’on veut leur faire passer le goût du pain.

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* *

M. de Peyronnet s’était donné, pendant son ministère, une salle à manger... le budget.

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Il y a loin du dernier tarif des boulangers à la poule au pot.

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En convertissant les sinécures, les cumuls et les dotations en farine, le peuple pourrait tous les jours manger de la brioche.


Mardi, 5 mai 1829.

ESQUISSES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. - M. JACQUES LAFFITTE.—M. CASIMIR PÉRIER.

Ces deux honorables députés jouissent à un égal degré, quoiqu’à des titres différents, de la faveur publique. M. Laffitte, en travaillant par ses conseils et par son influence à la restauration de nos finances, n’a pas peu contribué à la libération du territoire. M. Casimir Périer ne s’est pas moins illustré par la défense des libertés nationales contre leurs ennemis de l’intérieur. Le premier a servi la France par son crédit et par ses lumières; le second a bien mérité d’elle par son éloquence patriotique. Toutefois, pendant le cours de sa carrière parlementaire, M. Périer s’est montré plus orateur, et M. Laffitte plus homme d’Etat. C’est qu’en effet, de nos jours, la richesse des nations est le véritable secret de leur puissance, et le politique le plus habile, celui qui entend le mieux l’administration de la fortune publique.

M. Jacques Laffitte est un homme de l’âge de cinquante-cinq ans environ. Sa figure est fine et spirituelle, son élocution facile et abondante, sa mise extrêmement simple, son abord affable et bienveillant. Quoique son immense fortune lui ait fourni mille occasions de rendre des services et, par conséquent, de rencontrer des ingrats, il n’est pas resté moins généreux ni moins confiant. On cite de lui une foule de traits d’obligeance et de délicatesse que nous aurions quelque embarras à signaler, nous autres frondeurs, dont l’habitude n’est pas de faire des panégyriques. Quand Bonaparte quitta la France en 1815, il remit à M. Laffitte cinq millions en dépôt contre un simple reçu. Quelques mois auparavant, Louis XVIII, fuyant devant l’empereur, lui avait confié, dit-on, le fruit de ses épargnes et le pain de son exil. Quand les hommes de Coblentz, devenus députés par la grâce de M. de Villèle et consorts, éliminèrent Manuel, d’héroïque mémoire, M. Laffitte accueillit ce grand citoyen dans ses bras et paya la dette de la France. Dernièrement enfin, dans le choix d’un mari pour sa fille, l’honorable député de Bayonne a donné la préférence à l’héritier d’un sang illustre versé par les mains ennemies et devancé, autant qu’il dépendait de lui, une grande réparation générale.

Quelques censeurs austères ont reproché à M. Laffitte des habitudes aristocratiques et un luxe dont l’industrie, pourtant, ne lui a jamais su mauvais gré. C’était méconnaître la nature véritable de son caractère, plébéien par principes, indépendant par goût et retrempé par de longs travaux politiques. Cet amour de l’indépendance a failli faire perdre, un moment, à M. Laffitte la popularité dont il n’a cessé de jouir. On sait qu’il se prononça, dans le temps, en faveur de la réduction de la rente, proposée par M. de Villèle dans l’intérêt des émigrés, et que cette démarche, résultat de ses études sur le crédit, fut considérée comme une espèce de défection. Loin de se rétracter, M. Laffitte persista dans sa résolution, que l’expérience a justifiée depuis et que plusieurs députés libéraux, mieux éclairés, appuient aujourd’hui de leurs suffrages. Il est désormais reconnu que le droit de l’Etat est d’emprunter au taux le plus modéré, et que c’est pour le gouvernement un devoir d’user de ce droit, puisque la nation au nom de laquelle il agit, forte de trente-deux millions d’hommes, est le plus solide de tous les débiteurs. M. Laffitte a eu l’honneur de faire triompher cette doctrine si essentielle à la prospérité du crédit public, et dont la France retirera quelque jour des avantages incalculables, quand elle voudra parler haut en Europe.

La popularité de M. Casimir Périer date surtout de son opposition à cette mesure financière. La haine qu’on portait au ministère Villèle était si grande alors, que ce fut une bonne fortune pour l’honorable orateur de se trouver à la tête du parti qui travaillait à le renverser. M. Casimir Périer ne resta pas au-dessous d’une tâche aussi belle, et c’est à lui que la France doit d’avoir signalé à la tribune les fourberies et les turpitudes de cet odieux ministère. Lorsque les violences et les fraudes électorales eurent réduit à une mince phalange les rangs éclaircis de nos défenseurs, il fallut suppléer au nombre par le courage, et M. Casimir Périer valut seul une armée. Sans cesse il était à l’attaque, harcelant, démasquant ses adversaires, ne laissant aucun mot sans réponse, aucun sophisme sans réfutation, aucune insulte au pays sans vengeance. Guerre pénible et difficile, où manquait l’espérance, et soutenue par les seules forces qu’inspirent l’honneur et le patriotisme.

On se souvient encore de ces improvisations énergiques et spirituelles qui consolaient la France de la longue oppression sous laquelle elle se résignait à gémir. M. Périer n’était pas seul sur la brèche, mais il y combattait toujours, ardent à poursuivre l’ennemi, à déjouer les ruses jésuitiques et à rallier les courages défaillants. Ce terrible exercice, dans lequel les talents de l’honorable député grandissaient à vue d’œil, a fini par altérer sa santé, et M. Casimir Périer est condamné aujourd’hui à ne prendre part que de son conseil et de son vote aux discussions parlementaires. Il est rare qu’il manque d’assister aux séances de la Chambre, et nous le voyons tous les jours venir s’asseoir avec exactitude à sa place ordinaire, au premier banc de la gauche, en face de M. Syrieys de Mayrinhac. Sa figure pâle porte l’empreinte de ses souffrances, mais son embonpoint n’a pas sensiblement diminué. M. Casimir Périer est d’une taille élevée, ses traits sont graves et sévères; son accueil, un peu froid, est dépourvu de cette aménité qui distingue M. Laffitte. On dit qu’il répond rarement aux lettres qui lui sont adressées, et qu’à force de faire la guerre à M. de Corbière, il a gagné de son ennemi cette mauvaise habitude.


UN TARTUFE.

Ton Royalisme est suspecté,
C...., la fureur t’est permise;
Qui vit de sa fidélité
Doit défendre sa marchandise.


COUPS DE LANCETTE.

Nos ministres ont fait jusqu’ici du gouvernement représentatif un gala auquel la France ne prend part que pour payer la carte.

*
* *

M. de Peyronnet prenait l’état de ses dépenses pour les dépenses de l’État.

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* *

Les ministres ont tenu dimanche un conseil extraordinaire; c’est tout ce qu’il y a eu d’extraordinaire dans leur conseil.

*
* *

Il est toujours question d’appeler M. de Polignac au conseil: est-ce qu’on veut donner la rougeole à la Charte?

*
* *

La France ne verra jamais clair dans le budget tant que ses députés ne feront que des économies de bouts de chandelles.


PRIVILÉGE SCANDALEUX.

Empressé de se rendre où le butin l’appelle,
Certain ministre, un de ces derniers jours,
Prit par le Louvre afin d’éviter maints détours.
Mais, à sa consigne fidèle:
—Les paquets n’entrent pas, lui dit la sentinelle.
—C’est le budget.—Pardon, cela passe toujours.

COUPS DE LANCETTE.

Quand viendra le vote du budget, la Chambre devrait faire avaler au ministère un bouillon..... économique.

*
* *

M. Cuvier a visité les mâchoires de la baleine, elles ne valent pas les mâchoires du budget.

*
* *

Tous les députés parlent contre le budget, mais le ministère ne s’en émeut pas; il compte sur le scrutin secret, ou la plupart de ces messieurs n’ont plus alors de secret pour les ministres.

*
* *

Nos Excellences qui prennent part à la discussion du budget promettent des économies pour l’armée prochaine; ces promesses ressemblent à cette enseigne d’un barbier:

DEMAIN, ON RASERA ICI POUR RIEN.

*
* *

Un préfet en activité disait, il y a quinze jours, dans le salon du ministre de la marine:—«Il n’y a qu’un mode d’élection qui convienne: c’est le système des boîtes à double fond, je l’ai toujours employé avec succès dans mon département.


Mercredi, 17 juin 1829.

LES NOMS PROSCRITS[15].

(Un village du département de l’Oise.)

LA SALLE DE LA MAIRIE.

LE MAIRE.—Que demande-t-on?... Ah! c’est vous, François Piton!

PITON.—Oui,monsieur le maire, c’est moi. Je venons avec deux jumeaux que le ciel et not’ femme nous ont donnés à ce matin, vers les cinq heures. V’là Jacques Leroux et Benoît-Floréal Durantin, qui sont les témoins pour l’enregistrement.

LE MAIRE.—Diable! bonhomme Piton, deux enfants à la fois! vous peuplez la commune; ça fait sept, je crois?

PITON.—Oh! mon Dieu, oui; et, si je n’avions pas eu le malheur d’en perdre trois, ça ferait dix.... Ah çà, monsieur le maire, si je les enregistrions, ces mioches. Pendant que je devisons ici, y jeûnent. Les enfants d’un jour, voyez-vous, sauf vot’ respect, ça aime à téter, comme vous et moi de cinquante ans j’aimons à boire la goutte. La mère les attend.

LE MAIRE.—Eh bien, Piton, enregistrons-les. (Il appelle.) Vincent, apporte-moi le registre des naissances. (Il rédige l’acte, puis il présente le livre à la signature du père et des témoins.)

DURANTIN.—Signe donc le premier, François, t’es le père; et puis, moi, il en sera bientôt fait: deux traits en croix, et v’là tout.

PITON.—Donnez la plume, monsieur le maire..... Ah! d’abord, il faut lire.

LE MAIRE.—Est-ce que vous savez lire, Piton?

PITON.—Pas trop mal, monsieur le maire; je n’ai-t’y pas été, dans les temps, caporal à la 3e du 1er du second des grenadiers à pied de la garde de l’autre. Fallait-il savoir lire pour arriver là? (Il lit tout bas.) Tiens, monsieur le maire, vous avez oublié queuque chose.

LEROUX.—Bah! M. le maire aurait oublié queuque chose; c’est ben étonnant, car y sait fièrement son état, depuis vingt ans qu’il y exerce.

PITON.—Il a oublié les noms des marmots, rien que ça.

LE MAIRE.—Je ne les ai pas oubliés, Piton, je les ai omis.

PITON.—C’est la même chose.

LE MAIRE.—Non pas.

DURANTIN.—M. le maire a raison, il les a omis, mais il ne les a pas oubliés.

LEROUX.—Oui, sans comparaison, c’est comme pour les listes de l’élection de 1827; M. le maire avait omis de les faire afficher, et il n’avait pas pu l’oublier, parce que tous les jours je lui en rafraîchissions la mémoire.

PITON.—Eh bien alors, sans trop de curiosité, pourquoi que vous avez omis les noms de mes enfants?

LE MAIRE.—Pour ne pas faire de ratures sur mon registre.

DURANTIN.—C’est juste, en laissant la place en blanc, gn’y aura point de ratures.

PITON.—Mais monsieur le maire, y faut bien que vous leur z’y donniez des prénoms, à ces enfants. Comment voulez-vous qu’on les distingue l’un de l’autre, et de leurs frères, si s’appelont Piton tout court? Moi, je m’appelle François; vous Nicaise, et mon compère que v’là, Benoît-Floréal: tout le monde a des prénoms; c’est l’usage, et puis c’est commode.

LE MAIRE.—Ce n’est pas moi qui donne les prénoms, c’est M. le curé.

PITON.—M. le curé! Et si... une supposition, monsieur le maire, je ne voulions pas faire baptiser nos jumeaux, y n’auriont donc point de prénoms?

LE MAIRE.—Point de propos séditieux, monsieur Piton, je vous en prie. Il y a un procureur du roi à Senlis. Vous ferez baptiser vos enfants, et M. le curé verra quels noms vous voulez leur donner.

PITON.—M. le curé verra, dites-vous? Je ne sommes donc pas libres de nommer nos enfants comme je voulons?

LE MAIRE.—Certainement non. Vous vous imaginez que M. le curé souffrira que vous les nommiez d’un nom dangereux?

LEROUX.—Des noms dangereux! est-ce qu’il y en a?

LE MAIRE.—Tiens, s’il y en a! n’a-t-on pas vu des gens nommer leurs enfants Bonaparte?

PITON.—Napoléon, tout au plus.

LE MAIRE.—Napoléon ou Bonaparte, n’est-ce pas la même chose? Pensez-vous que M. le curé voudrait consentir à donner à un enfant chrétien le nom d’un usurpateur qui persécuta l’Église. Croyez-vous qu’il laissera baptiser un de vos fils si vous l’appeliez Benjamin?

PITON.—Et pourquoi pas? Est-ce que l’empereur s’appelait aussi Benjamin?

LE MAIRE.—Non; mais il y a à Paris un enragé de constitutionnel...

DURANTIN.—Ah! oui, M. Benjamin Constant.

PITON.—Savez-vous alors que ça deviendra difficile de nommer des enfants! Je ne ferons pas mal de nous en tenir à nos sept, car il sera impossible bientôt, si on épluche le calendrier, de trouver un prénom pour un huitième...

LEROUX.—Allons, Piton, finissons-en, M. le maire ne veut pas mettre des prénoms là dedans parce que M. le curé le gronderait. Faut aller chez M. le curé.

DURANTIN.—Il est à la ville, et je ne pourrai le voir que demain.

PITON.—Et s’il arrivait un accident c’te nuit? si une de ces petites créatures veniont à mourir?

LE MAIRE.—Laissez donc, ils sont bien constitués. D’ailleurs, si le malheur arrive, nous consulterons le curé et nous remplirons le blanc, comme si l’enfant avait été baptisé.

PITON.—Ce n’est pas régulier, et si j’avions fait une chose semblable sur le livret de mon escouade, j’aurions été cassé à la tête de la compagnie.

LE MAIRE.—On ne casse pas les maires comme les caporaux.

DURANTIN.—C’est peut-être ben pour ça que les communes sont si drôlement administrées.

LE MAIRE.—Silence, Durantin, vous pourriez vous compromettre. Retirez-vous tous, Piton; voyez M. le curé et apportez-moi ses ordres avec l’acte de baptême.

PITON.—Oui, monsieur le maire, et après j’écrirons à Paris.


ESQUISSES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. - LA TRIBUNE DES JOURNALISTES.

C’est dans la tribune des journalistes que se joue la petite pièce de la Chambre des députés. Là, sont entassés dans un espace étroit, obscur, incommode, plus de vingt rédacteurs dont la plume infatigable transmet aux départements et à la postérité les élucubrations de nos représentants. Je dis vingt rédacteurs, quoiqu’ils soient plus de quarante, qui se relèvent toutes les deux heures et font sentinelle assidue pour empêcher qu’il ne s’échappe la moindre parcelle de ces préparations parlementaires destinées à endormir les électeurs. Jadis, les journalistes, placés dans l’enceinte de la salle, pouvaient du moins entendre les orateurs, saisir au vol l’interruption ou le député votant par assis et levé en faveur du budget; mais depuis qu’un beau jour M. Poiferré de Cère, aujourd’hui libéral, se fut avisé de les faire expulser de la salle, pour les empêcher de critiquer de trop près sa médiocrité ministérielle, ils ont été relégués dans le couloir obscur ou plutôt dans le grenier qu’ils occupent aujourd’hui.

Les journalistes sont rangés sur deux rangs; le second est occupé par les rédacteurs des feuilles des départements, et le premier par les rédacteurs des journaux de Paris, dans l’ordre suivant, de droite à gauche: la Quotidienne, le Messager des Chambres, le Constitutionnel, le Courrier français, le Journal des Débats, la Gazette et le Journal du Commerce; le Journal de Paris, nouveau venu, occupe la première place du second rang. De tous ces rédacteurs, chose curieuse! il n’en est pas un seul, même celui de la Gazette, qui n’appartienne à l’opinion constitutionnelle; de sorte que, si dans les journaux ultras les séances des Chambres sont travesties au gré des absolutistes, c’est aux seuls directeurs de ces feuilles que ces altérations doivent être attribuées. C’est même un spectacle fort curieux et, selon moi, fort édifiant que de voir les rédacteurs de la Gazette ou de la Quotidienne partager l’hilarité si souvent provoquée par les discours de MM. de Laboullaye, Syrieys de Mayrinhac et consorts.

Ainsi, tandis que le tumulte règne dans l’assemblée, que la révolution interpelle Coblentz et que M. de Conny apostrophe M. Benjamin Constant, la plus parfaite union règne au banc des journalistes chargés de transmettre à la France l’histoire fugitive de ces violents débats. Là sont applaudis les hommes de talent, et la médiocrité honnie, de quelque côté qu’elle s’agite. M. Ravez et M. de Labourdonnaye, qui passèrent pour des Cicérons et pour des Démosthènes, ne sont plus que de simples mortels buvant de l’eau sucrée, voyageant de la tribune à leur place et de leur place à la salle des conférences. Combien de fois nous avons entendu d’excellents provinciaux de la Charente ou du Poitou, ravis d’admiration pour les discours de leurs députés, s’écrier, en les entendant pour la première fois: «Quoi! ce n’est que cela? Voyez à quoi tiennent les réputations dans ce monde!» et s’en retourner tout confus.

La tribune des journalistes ne contient que deux sténographes, dont l’un appartient au Messager des Chambres et l’autre au Journal des Débats. Tous les autres rédacteurs se bornent à prendre des notes, d’après lesquelles ils rédigent les séances avec une exactitude qui n’est altérée que dans l’intérêt même des députés; le public est rarement informé de ces fautes grossières, de ces lapsus linguæ, de ces exubérances de tribune qui allongent la plupart des discours. On lui cache toutes les tortures qu’éprouvent et font éprouver à l’auditoire ces improvisateurs contre nature, qui viennent bégayer à la tribune d’insipides lieux communs et qui se croient des orateurs. Les discours que le public lit dans les journaux sont exempts de locutions triviales, de fautes de français et d’absurdités de tout genre, excepté celles qu’il est nécessaire de conserver pour ne pas altérer la physionomie politique et littéraire de quelques honorables membres. Toute cette lessive, comme disait Voltaire, est faite par les rédacteurs des séances.

Quelquefois, cependant, les orateurs eux-mêmes écrivent leurs improvisations et disent au public ce qu’ils n’ont point prononcé devant la Chambre. C’est ainsi que M. Dupin aîné vient rédiger dans les bureaux du Constitutionnel toutes ses improvisations, et M. Benjamin Constant corriger les siennes dans les bureaux du Courrier. L’honorable M. Delaborde, M. Dupont de l’Eure et plusieurs autres encore, soigneux de leur réputation, imitent cet exemple, et ce qui, plus d’une fois, a paru très difficile pendant la séance, est devenu tolérable le lendemain. MM. les députés poussent plus loin encore leur sollicitude pour la publicité: on en voit tous les jours adresser aux journalistes leurs discours, accompagnés d’une épître plus ou moins flatteuse. Quelques-uns, plus hardis ou plus contents d’eux-mêmes, les expédient par un huissier, sans phrase ou terminés par cette question laconique: «Voulez-vous mon discours?» A quoi, plus d’une fois, je sais des rédacteurs qui ont répondu: «Non, je ne veux pas votre discours.» Cette réponse fut faite, il y a quelques années, par trois rédacteurs différents à l’honorable M. Méchin. En vérité, des républicains ne seraient pas plus grossiers.

MM. les ministres ne mettent pas moins d’intérêt que les députés à soigner leurs discours, et nous sommes quelquefois témoins de correspondances fort curieuses entre nos diverses Excellences et les sténographes du Messager. C’est surtout M. l’évêque de Beauvais qui paraît le plus inquiet du succès de ses improvisations. Dès qu’il prend la parole, les sténographes sont attentifs à leur poste, et Son Excellence est à peine descendue de la tribune qu’un huissier lui apporte son discours recueilli avec une merveilleuse promptitude. On voit alors M. Feutrier parcourir avidement ses homélies parlementaires, rayer les épithètes redondantes, supprimer les répétitions inutiles, arrondir sa période et faire disparaître avec coquetterie tout ce qui pourrait offenser l’harmonie ou la grammaire. M. de Martignac se contente d’expédier une ordonnance à l’imprimerie de son journal, souvent fort tard, pour exiger la suppression d’un mot ou d’une phrase qui lui semble hostile envers le faubourg Saint-Germain. Il faut bien vivre avec ses voisins: telle est sa maxime; aussi, je l’ai vu quelquefois très-libéral le matin au palais Bourbon et, le soir, obligé de faire amende honorable au château.

Les journalistes sont, comme on le voit, les auxiliaires indispensables du gouvernement représentatif; mais ils en sont aussi un des inconvénients les plus graves. C’est à leur excessive complaisance que la France doit d’être inondée d’insipides discours, mal composés, mal débités, mal écoutés et sur lesquels ils ont la faiblesse de jeter un vernis littéraire qui en déguise plus ou moins la médiocrité. S’ils se montraient impitoyables au point de laisser à chaque prétendu orateur sa physionomie naturelle, la France, alors, pourrait juger en connaissance de cause une foule de grands hommes qu’elle a cru envoyer à la Chambre. Les parleurs de profession seraient facilement distingués des orateurs véritables et les hommes qui font leurs affaires, de ceux qui traitent les affaires de la nation. On verrait fort bien alors ce que c’est que M. de Formont, ce que vaut M. Syrieys de Mayrinhac et quels représentants nous avons dans MM. Laboullaye, Laboëssière, Bizieu de Lézard, Sallaberry et Compagnie. C’est surtout de ces honorables membres que le rival de Démosthènes aurait pu dire: «Que serait-ce, si vous eussiez entendu le monstre!....»


LES AMIRAUX DE LA CHAMBRE ET M. DUPIN AINÉ.

Quand il a fallu discuter le budget des arts et des lettres, des poëtes comiques et tragiques se sont élancés à la tribune pour défendre les opinions qu’ils croyaient favorables aux lettres et aux arts; les savants en diplomatie, les publicistes se sont présentés pour la discussion du budget des affaires étrangères et de l’intérieur; les magistrats et les avocats n’ont pas manqué au budget de M. le garde des sceaux; les généraux les plus célèbres ont proposé de notables améliorations pour l’armée de terre et le régime de l’administration militaire; voilà des financiers qui entrent dans la lice pour éclairer avec M. Roy la question du crédit public et celle du meilleur emploi possible des fonds demandés aux contribuables: tout cela est dans l’ordre. Les hommes spéciaux parlent avec puissance des choses spéciales; ils préparent de bonnes délibérations, et, si de mesquins intérêts de parti ne l’emportent pas au moment des votes, les résolutions de la Chambre sont raisonnables.

Ce qui est arrivé pour la guerre, l’intérieur, les affaires étrangères et les finances, n’est point arrivé pour la marine. Les amiraux qui siégent à la Chambre n’ont pas trouvé une parole à jeter dans la discussion en faveur des institutions dont la marine a tant besoin et au profit des officiers d’une arme qui font, en temps de paix, un service plus fatigant que celui des officiers d’infanterie et de cavalerie en temps de guerre. D’honorables orateurs, peu versés en général dans les choses de la marine, bien moins faciles à apprécier que celles du génie, de l’artillerie et des autres professions savantes, ont décidé du sort des matelots, du matériel des armements et du traitement de table des capitaines de navire.

MM. Daugier et Halgan n’ont pas daigné faire ce que MM. Gérard, Clausel, Mathieu Dumas, Demarsey et Sebastiani ont fait avec un zèle et un talent que l’armée et les contribuables n’oublieront point. Ces honorables amiraux ont craint sans doute d’acquérir quelques droits à la reconnaissance des marins, et ils ont laissé la gloire d’une excellente opinion à M. Dupin aîné. MM. de Leyval, Benjamin Constant, Labbey de Pompières, Viennet, Clausel et Charles Dupin ont dit de bonnes choses assurément; mais la question n’a été réellement bien comprise que par M. Dupin aîné. Comment un avocat, qui n’a point été élevé dans un port et qui ne connaît guère plus la marine qu’un rentier revenu de Dieppe, où il a pris les bains pendant deux mois, est-il parvenu à saisir le point juste d’une discussion pour laquelle il faut encore autre chose que les notions vulgaires de l’administration et de la politique? C’est qu’il a étudié la matière avec une intelligence supérieure. MM. les amiraux Daugier et Halgan n’avaient probablement pas besoin de se livrer à des études nouvelles pour ouvrir un avis utile. Qui donc a pu les retenir?

Un fait reste à constater; c’est que, dans une chambre où siégent un vice-amiral et un contre-amiral, un docteur en droit a pris seul avec autorité la défense de la marine. Ne pourrait-on donner à M. Dupin le titre de capitaine de vaisseau honoraire? Il l’a mieux mérité vingt fois que tant d’officiers tirés par la Restauration de la ferme aux tabacs et d’autres écoles également propres à former des marins.

Lundi, 6 juillet 1829.

AUTOPSIE DU BUDGET.

On a ouvert dernièrement le corps de ce gigantesque animal, qu’on pourrait à bon droit appeler, comme la baleine royale, un énorme cétacé.

Il était bien malade et cependant d’une corpulence effrayante; les hommes de l’art ont constaté les phénomènes suivants:

Le cœur, assez sain, était attaqué par une foule innombrable de polypes, dont le plus considérable, le milliard, n’avait pas la plus petite place.

La rongeante sinécure s’était emparée de la tête, et l’avait dévorée presque entièrement.

Le ventre offrait une complication effrayante de maux divers, tels que l’impôt foncier, l’octroi, etc.

Les parties basses étaient affectées de la loterie, de la roulette et de la police; elles étaient dans un état effroyable.

Les docteurs, désespérés de n’avoir pu le guérir, ont rédigé un cahier d’observations qui leur servira à étudier les mœurs et le caractère de l’enfant du défunt: car le budget est un animal qui a l’incroyable propriété de se reproduire en mourant. Le petit a été mis en nourrice jusqu’à l’année prochaine.


BIGARRURES.

Les journaux anglais annoncent positivement l’entrée de M. de Polignac au ministère, en qualité de président du conseil.

*
* *

M. de Polignac est arrivé hier à Paris, à la suite de l’orage.

Vendredi, 7 août 1829.

FORMATION D’UN NOUVEAU MINISTÈRE.

Le Moniteur de demain donnera la liste des ministres nommés, dit-on, dans le conseil d’hier. Voici les noms que nous avons pu recueillir:

Président du Conseil: M. de Polignac.

Ministre de la Justice: M. Castelbajac.

Ministre de la Guerre: M. de Martignac.

Ministre des Cultes: M. le général d’Ambrugeac.

Ministre de la Marine: M. de Balzac.

Ministre du Commerce: M. le duc de Rastignac.

Ministre de l’Instruction publique: M. de Mayrinhac.

Ministre de l’Intérieur: M. le duc d’Esclignac.

Ministre de la Maison du Roi: M. de Saintenac.

Ministre des Finances: M. d’Escayrac.

Directeur général des Haras: M. de Mornac.

Directeur général des Postes: M. Blaniac.

Directeur général des Ponts et Chaussées: M. de Cressac.

Directeur général des Contributions indirectes: M. le marquis de Vérac.

Directeur-général des Douanes: M. de Saunac.

Directeur des Beaux-Arts: M. de Flangeac.

Préfet de Police: M. de Foirac.

On ne sait pas encore quels postes sont réservés à MM. de Sivrac, marquis d’Abzac, de Guernisac et Solliac.


Le 31 juillet 1829, les journaux avaient annoncé l’arrivée à Paris de M. de Polignac. «Le soin de sa santé, le besoin de respirer l’air natal l’y appelaient,» disaient-ils. Ce prétexte ne trompa personne. On s’attendait aux événements les plus graves.

Ils ne tardèrent pas à se réaliser. Depuis longtemps Charles X brûlait de se séparer des ministres qui lui avaient «arraché des concessions énormes; «s’il avait attendu, c’est que le vote du budget de 1830 pouvait seul lui rendre sa liberté d’action. Le budget voté, la Chambre séparée, Charles X se trouvait du temps devant lui. Il était le maître, il le fit bien voir.

Le 8 août, les ministres furent mandés à Saint-Cloud, et le roi leur annonça sa résolution de choisir un nouveau conseil. Il eut, pour tous ces hommes qui avaient perdu leur popularité à son service, des paroles de reproche, d’amertume et de colère. Il semblait s’en prendre à eux de la triste situation où se trouvait le gouvernement. Son dernier mot fut: Plus de concessions.

Puis, il leur dit les noms de ses nouveaux conseillers. Les ministres disgraciés se retirèrent tristement: dans leur pensée, la monarchie était perdue.

Le ministère Polignac devait en effet mener rapidement la royauté à l’abîme. Mais aussi, quelle imprudence, quelle impéritie de la part du roi. «Allons, s’était écrié M. Royer-Collard, Charles X est toujours le comte d’Artois de 1789.»

C’est que jamais les plus implacables ennemis de la maison de Bourbon, «s’imposant la tâche de précipiter sa chute, en lui infligeant des ministres impopulaires, n’auraient pu choisir des noms plus détestés.» Polignac, Bourmont, Chabrol, Courvoisier. Ces noms résumaient en quelque sorte les souvenirs les plus tristes, les plus désastreux des quarante dernières années. Ils semblaient, ces hommes, dont s’entourait Charles X, la personnification vivante de toutes les douleurs, de toutes les hontes du passé, émigration, complots, trahisons, invasion de l’étranger, réaction, vengeances.

Aussi jamais on ne vit inquiétude plus générale, irritation plus vive. Ce fut une panique universelle; toutes les transactions commerciales furent suspendues, il y eut à la Bourse, ce thermomètre de l’opinion, une baisse énorme.

Mais Charles X ne voulait rien voir, rien entendre. Il fermait les yeux à la lumière, il se bouchait les oreilles, pour que la vérité ne pût venir jusqu’à lui. «Malheureuse France, malheureux roi!» s’était écrié le Journal des Débats; ce cri éloquent résumait la pensée de tous, il devint comme le mot d’ordre.

Le premier moment de stupéfaction passé, il y eut une explosion de haines et de colères. On devinait trop les intentions du roi; la nomination du cabinet Polignac était une déclaration de guerre, on accepta la guerre.

Dès le lendemain, une foule de brochures inondèrent la France, dénonçant la royauté à l’opinion. C’étaient le Cri d’alarme, les Conseils au roi, la Biographie des nouveaux ministres, la Pol-Ignacide; Feu partout, voilà le ministère Polignac, et bien d’autres encore. Les journaux faisaient chorus.

En tête des plus hardis, il faut placer le Figaro. Le dimanche 9 août, il parut encadré de noir. Il prenait le deuil: était-ce de la constitution ou de la monarchie? Le numéro fut saisi, la transparence des allusions ne laissait aucun doute sur la pensée des rédacteurs. Cette saisie fut comme un brevet de popularité. Le lendemain le numéro valait dix francs et, comme on en tirait dans les caves, il en fut distribué plus de 10,000 exemplaires. Poursuivi, Bohain fut condamné à six mois de prison et à mille francs d’amende (29 août).

J’ai cru devoir donner le texte entier de ce numéro qui a conservé une grande célébrité et qui est devenu à peu près introuvable.

Dimanche, 9 août 1829.

On parle du rétablissement de la censure par ordonnance. Nous déclarons, n’ayant point à craindre les tribunaux, que nous braverons cette mesure, qui forcément doit être prise. Si nos presses sont enlevées d’assaut par les gendarmes, nous ferons composer et imprimer notre feuille dans les caves. Nos abonnés peuvent en tous cas être tranquilles; ils recevront le journal, dussions-nous le faire imprimer hors Paris, voire même en Belgique.

Paris, 8 août 1829.

NOUVEAU MINISTÈRE.

Présidence et affaires étrangères: M. de Polignac.

Instruction publique et affaires ecclésiastiques: M. Montbel.

Intérieur: M. Labourdonnaye.

Commerce: à nommer.

Guerre: M. Bourmont.

Justice: M. Courvoisier.

Marine: M. Rigny.

Finances: M. Chabrol de Crussol, ancien ministre de la marine.

Préfet de police: M. Renneville.

M. d’Hermopolis est chargé de la feuille des bénéfices.

Aujourd’hui, à l’ouverture de la Bourse, tous les yeux étaient fixés sur une douzaine d’individus qu’on n’avait pas vus y paraître depuis la chute du ministère Villèle; bientôt ce bataillon sacré s’est mis en mouvement et s’est empressé de vendre. Une demi-heure après, les noms des nouveaux ministres ont circulé dans l’assemblée, et une baisse de 4 fr. environ est survenue. C’est débuter par un coupe-gorge.

BIGARRURES.

—Au lieu d’illuminations, à une solennité prochaine toutes les maisons de la France doivent être tendues en noir.

—C’est à la sollicitation de lord Wellington, duc de Waterloo, que M. Bourmont a été nommé ministre de la guerre.

—Le nouveau préfet de police va tout rétablir sur l’ancien pied; on espère que bientôt il laissera rentrer les jésuites et sortir les filles.

—M. de Belleyme avait en vue l’extinction de la mendicité; M. de Renneville travaillera à l’extinction de la publicité.

—Les syndics de la faillite de M. le prince de Guéméné ont été écroués hier, pour avoir refusé dix pour cent que ce seigneur avait eu la générosité de leur offrir.

—M. Malitourne, auteur de l’Histoire de la Restauration, qui n’a pas encore paru, a reçu une lettre de cachet pour le chapitre des cuisines du château, dont il a l’idée.

—M. de Belleyme a donné sa démission aux voleurs!

—M. de Linguet a voulu donner hier une sérénade à l’un de ses patrons. Une erreur l’a fait rosser par les gens. On vient de publier, rue Saint-Honoré, au Mont-d’Or, chez les marchands Janet et Cotelle, à côté de l’hôtel de M. le marquis d’Aligre, une jolie chansonnette avec accompagnement de guitare ou de lyre, par MM. Philidor et Monsigny.

—M. Beauregard a paru ce matin devant la grande Tournelle, chambres assemblées. Il est resté quatre heures sur la sellette. On dit qu’il a gravement chargé le sieur Martainville, son complice.

—Hier, une rixe violente a eu lieu à la buvette de MM. les avocats entre MM. Berryer fils et Hennequin. La robe du dernier ayant été déchirée, le lambeau a été remis au greffe par M. l’huissier de la chambre. Me Dupin aîné plaidera dans cette affaire.

—M. de Mérindol a été promu, en lit de justice, à la place de réformateur du système décimal.

—Le lansquenet a fait beaucoup de victimes à la dernière soirée de madame la duchesse d’Aiguillon.

—Une bande de faux saulniers inquiète depuis quelques jours la généralité d’Orléans. Les employés de la gabelle ont déployé le plus grand sang-froid pour réprimer leur audace.

—M. J. Pain vient d’être nommé pair de France.

—M. de Marcellus vient d’être nommé directeur de l’Opéra, en remplacement de M. Lubbert, exilé dans ses terres pour une querelle avec M. le Premier.

—L’Ecole polytechnique va prendre le titre d’Ecole des cadets.

—La Bourgogne va présenter une requête signée de tous les notables de la province, tendant à obtenir quelque soulagement à l’égard des subsides.

—Un huguenot, écrit-on de Foix, fut pendu la semaine dernière pour délit de sa religion.

—Trois brelans secrets ont été dépistés hier par MM. les agents de M. le lieutenant civil.

—Quelques jeunes seigneurs, légèrement pris de vin, eurent hier une rencontre avec des hommes du port qu’ils maltraitèrent. Justice sera faite des manants du port.

—Hier, à la Comédie-Française, de jeunes gentilshommes ont vigoureusement étrillé l’ombre de Ninus, pour avoir grossièrement heurté leurs banquettes et causé la chute de l’un d’eux.

—M. Sosthène de Larochefoucauld doit être ordonné jeudi prochain; la cérémonie aura lieu à Saint-Thomas-d’Aquin. Madame Du Chayla prendra le voile le même jour; les choristes de l’Opéra chanteront un motet; Mademoiselle Taglioni dansera un psaume.

—Le gouvernement français a demandé l’extradition de MM. Mingrat et Contrafatto, appelés à diriger les affaires ecclésiastiques et l’instruction primaire des deux sexes. Une dépêche télégraphique a dû enjoindre à M. l’abbé Molitor de se trouver après-demain au plus tard à Paris; il est nommé directeur de la maison royale de Saint-Denis.

—M. Bénaben a été habillé hier à neuf par ordre de la police.

—M. l’abbé Liautard, maintenant curé à Fontainebleau, vient d’être canonisé vivant.

—Le ballet des Eléments doit être repris mardi à l’Opéra; le nouveau directeur, l’infatigable M. de Marcellus, poursuit les répétitions de Cythère assiégée.

—M. Dupuytren vient d’être nommé syndic de la corporation des chirurgiens-barbiers.

—Le sieur Lourdoueix a passé aujourd’hui, dans la cour de la Sainte-Chapelle, la revue des membres de l’ancienne censure.

—Les libraires associés se sont réunis hier chez M. Delalain, à l’effet de procéder en commun à la réimpression du Nobiliaire général du royaume. Le privilége sera signé par un descendant de Lebègue.

—La cérémonie du Suisse de la rue aux Ours aura lieu dimanche. Immédiatement après la combustion du mannequin, une procession aura lieu autour du marché des Innocents; on fera une quête au profit de l’œuvre de MM. les clercs de Saint-Pierre aux Bœufs.

—MM. les empereurs cravatiers de S. M. ont offert aux gentilshommes de la Chambre un nouveau modèle de col à l’usage de la Maison-Rouge.

—Le Roi a reçu, avant-hier, en audience particulière, M. Victor Hugo. Si l’on en croit les on-dit, Sa Majesté aurait manifesté à l’auteur du Duel sous Richelieu des opinions qui seraient loin d’encourager la littérature à pétitions. M. Victor Hugo avait grand espoir; mais voici venir un gracieux coup d’Etat qui menace de le reporter un peu loin. On assure que le nouveau conseil des ministres s’est réuni sous la présidence de M. de Polignac; il a été décidé qu’il ne serait plus joué que des mystères.

—L’architecte de la cour est chargé de présenter un plan pour la reconstruction de la Bastille. Les prisonniers d’Etat ont été provisoirement déposés ce matin à la Force.

—M. de Ménéchet vient d’être nommé capitaine des mulets de la Chambre.

—M. Franchet a fait présenter, dans la journée d’hier, un rapport sur le rétablissement des lettres de cachet.

—On assure que M. Delaveau a eu cette nuit une audience du Roi.

—Il n’est plus question de la continuation du Louvre. Des fonds viennent d’être faits par le ministère de l’intérieur pour établir des oubliettes dans tous les châteaux seigneuriaux des provinces de France.

—M. le vidame de Chartres est tombé de cheval au bois de Boulogne; il a été heureusement relevé par M. le roi d’armes de France, qui se rendait à sa petite maison avec deux filles de l’Opéra.

—Madame l’abbesse de Chelles vient d’accoucher heureusement d’un garçon. On en attribue la paternité à un mestre de camp connu par son bonheur au pharaon.

Le Journal des Débats a été mis ce matin au pilon devant la Chambre ardente. M. Bertin a été admonesté par un président à mortier, qui lui a enjoint de prendre à l’avenir M. Deliége pour collaborateur.

—Les membres du centre droit ayant été livrés à don Miguel, ce prince a ordonné qu’on leur posât un milliard de sangsues. «Les jacobins, dit la Gazette, vont être enfin punis.»

—M. Amy est nommé seul électeur de France.

—Par suite du mouvement ministériel, madame Pan... se trouve dans l’aisance.

—Vingt-deux régiments vont être concentrés sur Paris. Il s’agit d’arrêter M. Laffitte. On s’attend à une forte résistance. On ne dit pas si le pillage est promis aux soldats.

—M. de Polignac vient d’établir une école d’instruction mutuelle pour les protestants dans la terre de Fenestrange, que la justice du Roi lui a enfin rendue.

—La dernière fête du Landit a été troublée par le vin qui manquait dans les auberges. Le révérend père Loriquet, recteur de l’Université, a pris une décision pour prévenir désormais un pareil accident.

—M. de Malarmé vient d’être nommé directeur général des postes.

—M. Th. Bidault, louvetier de Seine-et-Marne, a déposé hier un pied de chevreuil, au petit coucher de madame de Kérolan, au château de M. le coadjuteur de Sens.

—M. Récamier vient d’examiner un possédé dans la grande salle de l’Hôtel-Dieu. Le savant docteur avait pris le soin de se présenter, avant la consultation, au tribunal de la pénitence.

—M. Roger, de l’Académie française, vient d’être nommé colonel des cuirassiers-dauphin.

—M. de Puymaurin doit ouvrir, dit-on, un cours de médecine vétérinaire.

—La Gazette se vendait déjà hier soir à tous les coins de rue.

—M. le baron Saint-Victor, seigneur des documents, a été nommé horloger du Roi.

—Adjudication, par autorité de justice, de la pierre sépulcrale du sieur Talma, histrion.

—M. le duc de Wellington, maréchal de France, a commandé hier l’exercice à feu au Champ de Mars; M. de Bourmont était derrière lui.

—MM. Delvincourt et Bonnet sont faits échevins de Paris. M. de la Panouze est prévôt des marchands.

—On donne la ferme du sel et du charbon à M. de Villèle.

—Le père Rootham, général des jésuites, est nommé maréchal de France en remplacement du prince de Hohenlohe.

—L’ancien censeur Duplessis est fait brigadier de gendarmerie.

—M. le comte de Corbière est élevé à la dignité de grand prévôt.

—On jouera demain au Théâtre-Italien la Calomnie, où mademoiselle Colombe paraîtra pour la dernière fois.

—M. Ouvrard a paru à l’Œil-de-Bœuf; il a eu une longue conversation avec M. Dudon.

—M. le premier peintre du roi a enfin obtenu justice des critiques. On dit que l’auteur du Peuple au Sacre, brochure très-piquante sur le dernier chef-d’œuvre de M. Gérard, que la cour a tant admiré, est en fuite. Si on parvient à retrouver M. Jal, il sera probablement mis à la Bastille.

—M. de Lourdoueix a obtenu l’entreprise des boues de Paris.

—Le baron Dudon est nommé président de la Cour des comptes.

—M. Bohain doit être roué jeudi. On n’a obtenu jusqu’ici de lui aucun aveu; il a refusé d’entendre l’aumônier des prisons.

—Le privilége des grands danseurs du roi a été donné hier à un ancien valet de chambre de M. le vicomte Sosthène de Larochefoucauld.

—M. Véron, directeur de la Revue de Paris, recueil littéraire brûlé ce matin au pied du grand escalier, vient de chercher un asile en Hollande, par suite d’une descente de justice faite à son domicile. On est sur les traces de ce gazetier.

—Le prix des ports d’armes est porté à un million.

—Un braconnier, nommé Bégnet, vient d’être mis au ban de la capitainerie pour avoir tué d’un coup de pierre, en terre de clergé, un canard sauvage.

—Madame Elie, de l’Opéra, qui était à M. de Meaux, passe à M. de Cambray.

—M. Piet a reçu son diplôme de maître-queux de l’hôtel.

—M. le comte de la Boëssière vient d’être nommé président du tribunal de la justice Bottée.

—Le prévôt des marchands doit tenir prochainement une séance à l’Hôtel-de-Ville pour l’adjudication des potences. On cite plusieurs traitants, fermiers généraux et receveurs des aides, qui se sont mis sur les rangs.

—Hier, trois dames de la Comédie-Française, deux demoiselles de la Comédie-Italienne et une fille de l’Opéra ont été conduites au For-l’Evêque, sur la requête de M. le lieutenant de police.

—M. Auguste Romieu, conservateur des antiquités du Morbihan, a reçu une menace de destitution, s’il ne rassemblait, d’ici à huit jours, tous les ossements de l’armée royale et catholique décédée à Auray et Quiberon.

—Hier soir, la foule se pressait autour d’un vieillard baigné dans son sang. Il venait d’être tué d’un coup d’épée.—Ce quidam, chirurgien-barbier de son état, avait, en courant, blanchi l’habit bleu de roi du marquis de ***. Celui-ci lui passa son épée à travers le corps.—Le sergent du guet appelé pour cette bagatelle déclara que, d’après le nouveau tarif, il était dû par M. le marquis trente-six livres. M. le marquis paya et passa outre.

—M. Delaforest vient d’être nommé porte-coton de Son Eminence M. de Toulouse.

—Royal-Cravate va tenir garnison à Paris, en remplacement de Royal-Vaisseau.

—Trois cadets de Bourgogne-infanterie ont été trouvés ivres-morts par le guet, dans un mauvais lieu voisin de la porte Saint-Honoré.

—On dit que M. le général Canuel va être nommé grand bailli de Vermandois.

—La maréchaussée a arrêté hier et conduit par-devant M. le lieutenant de police, un homme de bas étage, s’étant permis d’entrer dans un jardin royal l’épée au coté; il en sera écrit au cabinet de Versailles.

—On parle du rétablissement de l’hommage lige et leudes. M. Quatrebarbe a déposé un projet.

—Le trois pour cent doit hausser demain.

—Dix-huit mille pétitions ont été déposées au bureau de la Chambre des pairs contre le rétablissement du droit de cuissage.

—Par ordonnance du roi, M. de Polignac vient d’être décoré du titre de célèbre voyageur.

—Les querelles des Armagnacs et des Bourguignons seront, dit-on, bientôt apaisées.

—Une rixe a eu lieu ce matin au sujet de la charge de gentilhomme caudataire de M. de Paris; c’est M. de Conny qui l’a emporté.

—La musique de Rossini va être supprimée pour rétablir l’harmonie en France.

—M. de Labourdonnaye est nommé ministre de l’intérieur. Il était désigné, ces jours derniers, comme successeur de l’abbé Sicard à l’Institution des Sourds-Muets.

—M. de Courvoisier est nommé ministre; on prétend qu’il sera mis en justice.

—Mademoiselle Duchesnois vient de contracter un nouvel engagement de vingt ans avec le Théâtre-Français.

—M. Pardessus demande si on ne pourrait pas lui donner une place dans un ministère quelconque. Etant propre à tous les emplois, peu lui importe d’être à la guerre, aux cultes ou aux finances; il sera le même partout.

—La police de Paris est confiée à M. de Reyneville, âgé de 29 ans. Nous sommes tranquilles.

—M. l’archevêque de Paris a souscrit à dix mille exemplaires du Corsaire, journal des théâtres.

—Une ordonnance porte le rétablissement de trois couvents de capucins. Les capucins de Paris auront pour prieur M. le maréchal Soult, qui est entré en religion et qui prendra le nom de frère Basile.

—Les héritiers de Law ont été reçus en audience particulière par M. de Chabrol.

—M. Bourmont est nommé ministre de la guerre. C’est son bâton de maréchal de la bataille de Waterloo.

—L’emplacement occupé naguère par le théâtre de l’Ambigu-Comique vient d’être rendu aux théatins.

—La foire Saint Laurent rouvre lundi. Un pas sera dansé par d’illustres personnages.

—M. de Genoude a procédé hier à la révision de M. le généalogiste de France. Des fonds lui ont été alloués pour ouvrir un café à Grenoble, sa patrie.

—M. Delavau est nommé général des galères.

—L’honorable M. Syrieys de Mayrinhac, ancien directeur des haras, est promu au grade de mestre de camp de cavalerie. Son collègue, M. Marcassus de Puymaurin, est fait bailli de Meudon.

—M. Franchet commandera le corps des tristes-à-pattes; c’est M. Duplessis-Grénédan qui aura le guet à cheval.

—M. Pardessus est au-dessus de tout.

—M. de Polignac est abonné au Figaro.

—Tous les contribuables de France ont fait écrire sur leurs portes: Crédit est mort, les mauvais payeurs l’ont tué.

—M. de Martignac est parti ce soir pour Chanteloup.

—Le Roi a reçu en audience particulière madame la comtesse du Chayla.

—M. Roux, chirurgien en chef de l’hôpital de la Charité, doit incessamment opérer de la cataracte un auguste personnage.

COUPS DE LANCETTE

Un grand nombre d’officiers supérieurs de l’armée se proposent, dit-on, de donner leur démission.

*
* *

Sur la demande du général Bourmont, le pont d’Austerlitz va changer son nom pour celui de pont de Waterloo.

*
* *

Les individus qui auraient déserté sont invités à se présenter au ministère de la guerre; il leur sera distribué des emplois particuliers dans la maison de M. Bourmont.

*
* *

Nous serions fâchés de calomnier M. Coco-Lacour, mais nous avons quelques raisons de croire qu’il fera partie de la nouvelle administration.


AMEN.

Au ministère, ah! quel mic-mac!
Du despotisme le cornac
A quitté l’Angleterre, et crac
De son fouet on entend le clac.
Ah! le cœur nous en fait tic-tac!
On en a mal à l’estomac.
Eh! quoi, ce prince Polignac,
Qui vaut la prise de tabac
Et parle et ab hoc et ab hac,
A la façon de Mayrinhac,
Succède au brillant Martignac,
Des libertés il fait le sac
Et la Charte a son Ravaillac;
Mais qui prendra son almanach?...
Traitons-le comme un Pourceaugnac,
Qu’il remonte sur le tillac
Et tombe enfin dans le grand lac.


COUPS DE LANCETTE.

Voilà vingt-cinq personnes qui refusent la préfecture de police. Il faut pourtant que Paris soit tranquille: M. Jules de Polignac s’est décidé à choisir M. Jules de Vidocq.

*
* *

On s’étonne de la nomination de MM. les ministres; on a bien fait un chevreuil consul.

*
* *

On peut bien gouverner avec des potences et des filles (Mot historique de M. de La Bourdonnaye).


PÉTITION.

A trois hauts et puissants messieurs, par des victimes de la fatalité, ayant leur domicile dans un établissement public à Brest et à Toulon:

Air: Ah! daignez m’épargner le reste.

PREMIER PÉTITIONNAIRE.

Salut! illustre déserteur!
D’un lieu d’exil j’ose t’écrire;
Pour te combler de sa faveur,
La Fortune vraiment conspire.
Trahissant aussi mes amis,
On m’a vu, dans une campagne,
Passer au camp des ennemis;
Je leur ai vendu mon pays,
Et cependant je suis au bagne!

DEUXIÈME PÉTITIONNAIRE.

Salut! héros des coups d’État!
Jadis ta machine infernale
Fit sauter, sous le Consulat,
Un quartier de la capitale,
Moi, dans les Cent-jours, accostant
La diligence de Bretagne,
J’ai tiré dessus simplement
Mon pistolet par dévoûment;
Et cependant je suis au bagne!

TROISIÈME PÉTITIONNAIRE.

Salut! homme d’exception,
Inventeur des catégories!
J’ai mis par admiration
En pratique vos théories.
Je fis bien mieux qu’en Portugal,
Mieux qu’à Naples, mieux qu’en Espagne!
Nîmes connaît mon bras fatal,
J’ai puni même un maréchal!
Et cependant je suis au bagne!


Vers pour mettre au bas du portrait de M. le baron Trouvé.

Ex-Pindare de Robespierre,
Ex-imprimeur, ancien préfet,
De Monseigneur il devient secrétaire.
C’est justice, il n’est bon qu’à mettre au cabinet.
La nation le trouve,
L’empereur l’a trouvé,
Polignac le retrouve:
C’est le baron Trouvé.


M. DE BOURMONT A SES AMIS.

Au ministère,
Mes amis, me voilà monté;
Est-ce au civil, est-ce à la guerre,
Que par hasard j’ai mérité
Le ministère?

Au ministère,
Je suis placé par un Anglais;
C’est un rendu, puisque naguère,
A Waterloo je lui prêtais
Mon ministère.

Au ministère,
Je vais bien fort me cramponner,
Et je jure par l’Angleterre
De ne plus jamais déserter...
Le ministère.


COUPS DE LANCETTE.

On peut forcer l’autorité à s’éclairer, sans lui manquer en rien.

(Louis XVIII.)

Rien n’arrête les journaux libéraux, dit la Quotidienne,
rien..... excepté la poste.

Jeudi, 25 novembre 1829.

LE CONSEIL DES ORTOLANS.

(Octobre 1829.)

M. DE LABOURDONNAYE.

Il faut tenter l’entreprise. Qu’y risquons-nous? Nous avons de l’or pour décider les consciences timides...

M. DE POLIGNAC.

On fait bien des choses avec de l’or; mais l’esprit d’opposition est fort en France, et je crains que nous ne réussissions pas.

M. D’HAUSSEZ.

C’est jouer gros jeu, en effet; c’est peut-être compromettre la monarchie.

M. DE MONTBEL.

C’est la sauver, Monsieur.

M. DE CHABROL.

Je crois aussi que c’est la sauver.

M. DE POLIGNAC.

Et si les élections sont contre nous?

M. DE CHABROL.

Voilà l’embarras; car enfin, il ne faut pas vous dissimuler que la nation nous est peu favorable.

M. DE BOURMONT.

La nation peut passer au ministère, si nous nous y prenons bien. Il ne faut que quelques ordonnances pour la gagner à nos idées.

M. DE LABOURDONNAYE.

S’il y a des résistances, nous monterons à cheval!

M. DE CHABROL.

Oui, sans doute, montons à cheval.

M. D’HAUSSEZ.

Plus fait douceur que violence, Messieurs.

M. DE CHABROL.

Je suis du parti de la douceur aussi; mais cependant...

M. COURVOISIER.

Les rapports qui me reviennent de tous côtés, sur l’esprit des départements, me font craindre que le moyen de la dissolution soit bien chanceux.

M. DE LABOURDONNAYE.

Chanceux ou non, il faut s’y résoudre.

M. DE CHABROL.

Mon cheval est tout sellé, d’abord.

M. DE POLIGNAC.

Messieurs, réfléchissez-y bien; voudriez-vous donner le signal du trouble et de la guerre civile? Ne vaudrait-il pas mieux...

M. DE LABOURDONNAYE.

Nous retirer, n’est-ce pas? quitter la partie sans avoir fait le va-tout de la monarchie! Non, Monsieur; je suis ministre, et tant qu’il y aura un trône debout, je serai près de lui.

M. DE CHABROL.

Moi aussi. Diable! si je m’en allais, cette fois, je ne reviendrais plus. J’y suis, j’y reste.

M. DE MONTBEL.

Nous devons un grand exemple au monde; il faut mourir sur les degrés de l’autel et du trône.

M. D’HAUSSEZ.

Mais il ne s’agit pas de mourir. Vivre pair et cuirassé de cordons, avoir part au budget sans rien faire, c’est un sort assez agréable pour être envié.

M. DE LABOURDONNAYE.

Je suis au pouvoir, je n’en descendrai pas.

M. D’HAUSSEZ.

L’opinion publique est comme le dieu qui abattit Saül....

M. DE MONTBEL.

Toujours la manie de citer la mythologie!

UN HUISSIER (entrant).

Quelqu’un demande M. de Chabrol.

(Le ministre des finances sort.)

M. DE MONTBEL.

Que peut-on lui vouloir?

M. DE LABOURDONNAYE.

Ce diable de Chabrol, il manigance quelque chose contre nous, j’en suis sûr; il va peut-être au château pour désigner nos successeurs.

M. DE MONTBEL.

Il en est bien capable; c’est le comité directeur incarné.

(M. de Chabrol rentre.)

M. DE CHABROL.

Ce n’est pas moi qu’on demandait: c’est M. le ministre de la marine.

M. D’HAUSSEZ.

Savez-vous ce qu’on me veut?

M. DE CHABROL.

Il s’agit d’un paquet arrivant de Bordeaux.

M. DE LABOURDONNAYE.

Sans doute quelques nouvelles relatives à la future élection du successeur de Ravez.

M. D’HAUSSEZ.

Non, non; je sais ce que c’est. Ce sont des ortolans que j’ai fait venir pour les offrir au Roi.

M. DE CHABROL.

Les ortolans sont un manger fort agréable.

M. COURVOISIER.

Oui, quand on n’est pas ministre et qu’on a l’esprit tranquille.

M. DE MONTBEL.

Je les aime assez rôtis.

M. D’HAUSSEZ.

Je les préfère à la provençale.

M. DE LABOURDONNAYE.

On ne peut les manger qu’en purée.

M. D’HAUSSEZ.

Oh! voilà qui est bien absolu.

M. DE POLIGNAC.

On m’a dit que c’était Sa Majesté Louis XVIII qui avait inventé la purée d’ortolans.

M. DE CHABROL.

Cela se pourrait bien, car j’en ai mangé chez le comte d’Escars. C’est une excellente chose, ma foi.

M. DE MONTBEL.

Il faut conseiller au Roi de se les faire servir bardés, rôtis et arrosés de madère.

M. DE CHABROL.

M. le ministre de l’instruction publique a parfaitement raison; le madère fait très-bien sur l’ortolan.

M. DE LABOURDONNAYE.

Eh non, morbleu! Il faut que le Roi mange les ortolans en purée; je le soutiens.

M. D’HAUSSEZ.

Moi, je conseillerais à Sa Majesté de s’en fier à son maître-d’hôtel, qui doit être un homme de talent. D’ailleurs, vous ne voudriez pas, Messieurs, usurper la prérogative royale.

M. DE LABOURDONNAYE.

Je vois, Monsieur, que c’est pour n’être, sur aucun sujet, de mon opinion que vous ouvrez cet avis.

M. DE POLIGNAC.

Mon Dieu, monsieur de Labourdonnaye, que vous êtes entier dans vos idées!

M. DE LABOURDONNAYE.

On s’applique à me contrarier; mais je ferai voir que je suis résolu. Le Roi mangera ses ortolans en purée.

M. COURVOISIER.

C’est insupportable.

M. DE CHABROL.

Nous monterons à cheval!

M. D’HAUSSEZ.

Pour le parti des ortolans en purée?

M. DE POLIGNAC.

Que dirait-on dans le monde, si on apprenait que le conseil des ministres de France renouvelle la scène bouffonne du sénat de Domitien pour l’affaire du turbot?

M. DE CHABROL.

C’est vrai, Messieurs; si quelque journal allait s’emparer de cet incident?

M. DE MONTBEL.

Et pourquoi y a-t-il encore des journaux? C’est la faute de messieurs les modérés du conseil.

M. DE LABOURDONNAYE.

Si on m’avait cru, la liberté de la presse aurait été suspendue.

M. DE BOURMONT.

Je m’y suis toujours opposé, et je crois avoir très-bien fait.

M. COURVOISIER.

La Charte...

M. DE LABOURDONNAYE.

Oui, avec la Charte on fait de belles choses!

M. DE CHABROL.

Pour nous mettre d’accord, si nous mettions aux voix la sauce à faire aux ortolans?

M. D’HAUSSEZ.

Si nous reprenions plutôt la discussion qui nous occupait quand on a annoncé le paquet de Bordeaux?

M. DE POLIGNAC.

Il est trop tard maintenant; il vaut mieux nous ajourner à mercredi.

M. DE CHABROL.

A mercredi, soit; mais si d’ici là les événements deviennent impérieux, nous monterons à cheval, n’est-ce pas?

M. D’HAUSSEZ (à part).

Ou en fiacre, pour retourner chacun chez nous.


ESQUISSES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. - M. ROY.—M. DE SAINT-CRICQ.—M. DE CAUX.—M. HYDE DE NEUVILLE.

M. le comte Roy ressemble à un bon bourgeois de province, de ceux qui sont restés fidèles aux costumes des anciens jours. Son Excellence porte ordinairement une culotte qui se boutonne à la hauteur du nombril et d’où pend, attachée à sa montre, une breloque resplendissante d’or. Son embonpoint est tel qu’il convient au ministre des finances d’un roi puissant et d’un pays qui paye un milliard d’impôts. M. Roy est resté fidèle à la poudre à poudrer de l’ancien régime, et si Son Excellence ne porte pas des ailes de pigeon, c’est qu’elle n’a pas assez de cheveux sur les tempes. Sa taille n’est ni grande, ni petite; ses traits sont moins lourds que ceux de M. de Portalis, et sa démarche un peu plus légère que celle de M. de Caux. Comme orateur, M. Roy peut prétendre à une médiocrité du second ou du troisième ordre. Son débit est monotone, sa prononciation sèche, son geste froid et inanimé; il parle à la tribune comme la statue au Festin de Pierre.

M. Roy a l’honneur d’être pair de France; il possède une immense fortune et il n’a point d’enfants. Quant à ses opinions politiques, telles qu’on peut les connaître par les actes de sa vie publique, nous sommes fort embarrassés pour les définir, puisque M. le comte n’a jamais fait partie que des ministères à bascule. Nous pensons, toutefois, que Son Excellence incline plus volontiers vers les idées aristocratiques. Ses manières ne sont pas tout à fait exemptes de morgue, et l’on assure que le trait distinctif du caractère de Son Excellence est l’opiniâtreté. Malheureusement, M. Roy n’est pas un homme fort éclairé; son génie, profondément fiscal, est resté étranger aux progrès des sciences économiques, et les Anglais ont beaucoup ri de certaines doctrines financières qui ne tendaient à rien moins qu’à étouffer parmi nous le crédit public dans sa source et l’industrie dans ses développements. Aux yeux de M. Roy, la production n’est qu’une matière imposable, la richesse publique un élément de contributions, et, sous plus d’un rapport, Son Excellence est d’accord avec l’illustre économiste, M. Syrieys de Mayrinhac, qui, le premier, a proclamé que la France produisait trop.

M. de Saint-Cricq est le plus maigre de tous nos ministres. Ses doctrines ne sont pas plus arrêtées que celles de M. Roy; nous l’avons vu successivement défendre les douanes, la liberté du commerce, les ministères passés, le ministère présent, et il y a lieu de croire qu’il défendrait aussi tous les ministères futurs. C’est, du reste, un homme inoffensif, fort doux, de mœurs simples, d’une figure agréable et prévenante. Sa sobriété serait étonnante pour un ministre, s’il était vrai, comme on nous l’a assuré, que Son Excellence déjeune très-souvent avec un œuf frais ou une tasse de chocolat. On sait que la création du ministère du commerce, dont il est titulaire, excita dans le temps une foule de réclamations: Son Excellence a voulu se faire pardonner la jouissance de cette sinécure par quelques mesures utiles, au nombre desquelles l’institution d’une commission d’enquête doit occuper le premier rang. Au reste, il convient de reconnaître que, dans le ministère actuel, M. de Saint-Cricq s’est prononcé plus d’une fois en faveur des résolutions les plus favorables au système constitutionnel.

M. de Caux est un gros homme de bureau portant une grosse tête sur de larges épaules; il monte à la tribune et il en descend; il siége au conseil de Sa Majesté; il loge dans la rue de Grenelle, faubourg Saint-Germain, et il touche cent vingt mille francs d’appointements. M. de Caux est l’homme du monde, d’ailleurs, qui sait le mieux ce qu’un cheval mange d’avoine et ce qu’il entre de cuir dans une selle; le seul ministre de la guerre qui ait triomphé des punaises qui infectent les casernes françaises depuis Jules César. C’est un grand mérite à nos yeux, et qui vaut mieux assurément pour la gloire de M. de Caux que le fameux coup de collier pour celle de M. de Clermont-Tonnerre.

M. Hyde de Neuville est un ministre plus célèbre. Son dévouement à la légitimité date de l’explosion de la machine infernale, et sa réputation parlementaire, de la Chambre de 1815. Depuis lors, M. de Neuville a été ambassadeur de France aux Etats-Unis; il a pu apprécier les avantages d’un gouvernement libre, simple dans ses rouages, économique et impartial, et nous ne doutons pas que cette circonstance ne lui ait fait prendre en dégoût ces fanatiques de Coblentz qui avaient trouvé le moyen de rendre le malheur même ridicule et méprisable. En revenant des Etats-Unis, M. Hyde de Neuville fut envoyé à Lisbonne; il y était lorsque le malheureux Jean VI vint chercher un refuge à bord de la flotte anglaise, pendant que don Miguel faisait assassiner le marquis de Loulé. Là, Son Excellence a pu juger de près la rage apostolique; elle a pu comparer le régime de la liberté et celui de la servitude. Ces contrastes ont produit sur son esprit une impression profonde, et c’est parce qu’il s’en est expliqué franchement avec le dernier ministère, qu’il a été rappelé de Lisbonne.

M. Hyde de Neuville est un homme plein de feu et d’imagination. Nous croyons que, malgré les emportements qui ont signalé ses débuts dans la carrière politique, son âme a toujours été accessible à la pitié et à tous les sentiments généreux que le pouvoir étouffe trop souvent chez ceux qui le possèdent. Ses instructions aux chefs de notre escadre dans les mers du Levant ont été pleines de bienveillance pour les Grecs; les règlements qu’il a introduits dans l’administration de la marine ont obtenu l’approbation générale. Enfin, M. Hyde de Neuville est un converti de l’ancien régime comme M. de Chateaubriand, son ami intime. Son Excellence a la tête couverte d’une forêt de cheveux gris; sa figure est joviale, ses formes arrondies, sa taille un peu épaisse, son organe un peu sourd. Son influence oratoire consiste surtout dans sa vivacité; il parle toujours avec chaleur, beaucoup moins, toutefois, depuis qu’il est ministre que lorsqu’il était député. La Quotidienne lui reprochait, il y a quelque temps, de ne pas savoir le latin; grand malheur, en vérité, pour un ministre de la marine, de ne pouvoir traduire couramment le Dies iræ ou les sept psaumes de la pénitence!


ESQUISSES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. - M. LE GÉNÉRAL LAFAYETTE.

Voici un nom célèbre et vénéré dans les deux mondes, un nom qui fait honneur à la France et qui rappelle les plus nobles souvenirs de gloire et d’indépendance. La Chambre des députés doit être fière de compter parmi ses membres un homme d’un aussi beau caractère que M. le général La Fayette, et c’est pour nous une bonne fortune que d’avoir à parler de lui.

La carrière de l’honorable député a commencé de bonne heure. A vingt ans, il s’arrachait des bras de sa jeune épouse pour voler au secours de l’indépendance américaine, seul, en dépit de l’opposition de la cour, sur un vaisseau frété à ses frais, apportant aux insurgés l’espérance et des armes. Le gouvernement anglais, qui l’attendait en chemin, lui réservait, dit-on, de cruelles épreuves; il eut le bonheur d’y échapper, et témoigna plus tard, dans les cachots d’Olmutz, qu’il aurait su les braver. Il servit d’abord comme simple volontaire, revint en France chercher de nouveaux secours, les ramena et obtint l’honneur d’un commandement dans l’armée américaine. L’histoire a déjà dit par quels faits d’armes il se signala dans cette campagne mémorable et mérita l’amitié de Washington. Il y avait sacrifié, de plus, la majeure partie de sa fortune, précieuse avance qui devait être acquittée, après un demi-siècle, par les bénédictions de dix millions d’hommes libres!

Quand la révolution française éclata, le général La Fayette en fut l’un des plus honorables défenseurs. La France lui doit l’introduction du dogme sacré des droits de l’homme, qui triomphe aujourd’hui dans nos lois et qu’il avait rapporté d’Amérique. On le vit toujours opposé aux excès populaires autant qu’aux intrigues de cour. Le lendemain du 6 octobre, il arrachait les gardes du corps à la fureur du peuple, dans les avenues de Versailles; après le 20 juin, il protestait contre les outrages prodigués à la famille royale. Jamais son épée n’est sortie du fourreau que pour la défense des opprimés; jamais sa voix ne s’est élevée qu’en faveur des intérêts de l’humanité. A Olmutz, où sa fille le suivit, la sérénité de son âme ne s’est pas un instant démentie; et l’on dit que, sous les verrous autrichiens, il partageait son temps entre les soins qu’il donnait à cette fille chérie et la lecture de l’Encyclopédie, seul ouvrage que ses geôliers aient consenti à lui permettre, après bien des refus. Les agaceries de Bonaparte l’ont trouvé inflexible; la Restauration l’a revu calme et paisible, comme elle l’avait laissé.

Depuis lors, appelé à la représentation nationale dans des circonstances difficiles, l’honorable député s’est montré constamment digne de lui-même. S’il allait en parlementaire au camp des ennemis, après l’invasion de 1815, c’était pour stipuler en faveur des libertés nationales; si, depuis, il est monté à la tribune, toujours il y a défendu les droits du peuple avec franchise, mesure et fermeté; éloquent à force de simplicité, et surtout à cause du poids que ses antécédents et son caractère donnent à ses paroles. Il vivait retiré, pendant la belle saison, dans sa maison de campagne, à Lagrange, dont il administre encore aujourd’hui les fermes avec un ordre et une intelligence admirables, présidant aux moindres détails, améliorant ses terres, perfectionnant ses troupeaux et réglant sa dépense avec une modestie qui n’exclut jamais la libéralité. Une foule d’étrangers de distinction sont venus le visiter dans son château, dont il a fait disparaître tout ce qui rappelait des souvenirs de féodalité. L’illustre Foy a planté le lierre qui en couvre une des tours principales, dans laquelle plus d’un proscrit a trouvé asile aux jours de la persécution. C’est là qu’au sein d’une famille très-nombreuse, M. de La Fayette rappelle avec un charme inexprimable ce que l’histoire et la poésie nous racontent des anciens patriarches. Tels Franklin et Washington, ses illustres amis, finissaient leurs jours glorieux à l’ombre de leur vigne et de leur figuier.

Mais de nouvelles sensations, de plus ineffables jouissances attendaient M. de La Fayette et devaient le mettre, en quelque sorte, lui vivant, en présence de la postérité. Ce peuple qu’il avait affranchi venait de grandir: le volontaire avait laissé aux Etats-Unis trois millions d’hommes; il allait en revoir dix millions qui lui tendaient les bras. Washington et Franklin n’étaient plus; lui seul restait de ces nobles débris; l’Amérique voulait le voir; les pères voulaient le montrer à leurs enfants. Une frégate aux couleurs de l’indépendance vint le chercher sur nos rivages, et, tandis que, sur la rive opposée, un monde entier lui préparait des fêtes et des embrassements, quelques misérables commissaires de police étouffaient sur les bords de la Seine-Inférieure les derniers adieux du peuple français. Enfin, il a revu la terre de ses premiers exploits; il a été salué du titre honorable et gracieux d’hôte de la nation. Ces remparts, pour lesquels il a combattu, retentissent de mille cris d’allégresse; les vaisseaux sont pavoisés comme aux plus beaux jours de fête; et, pendant que les magistrats du peuple libre saluent avec respect M. de La Fayette, les jeunes filles sèment des fleurs sur ses pas et le couronnent citoyen des deux mondes!

Qui nous dira ce qu’a dû éprouver ce voyageur illustre, en s’asseyant, après plus de quarante ans, sous un dais rayonnant des trophées de l’indépendance américaine! et lorsqu’il a revu ces déserts devenus méconnaissables à force de villes, de villages et de fermes joyeuses! Ici, un invalide d’York-Town lui rappelait quelques faits d’armes; ailleurs, un chapelier refusait de son fils le prix d’un chapeau, en lui disant: «Votre père l’a payé du prix de son sang, il y a quarante ans.» Plus loin, une députation de sauvages accouraient au-devant de lui, promettant de se convertir à la civilisation d’un peuple fidèle à la mémoire du cœur. De toutes parts enfin des hommages sincères, ardents, spontanés, accueillaient le vieil ami de Washington. Pour moi, chétif, j’en serais mort de joie. M. de La Fayette, modeste et simple dans la bonne fortune comme il avait été inébranlable dans la mauvaise, répondait avec une grâce parfaite à tous les compliments, en français dans la Louisiane, en anglais dans les autres États.

A une autre époque, par une faveur sans exemple dans les annales diplomatiques, le congrès avait décidé que les ministres plénipotentiaires de la république auprès des puissances communiqueraient à l’honorable général, lorsqu’il le désirerait, tout ce qui serait relatif à la situation des affaires publiques des Etats-Unis. Enfin, il n’est aucun témoignage de gratitude et de respect dont il n’ait été comblé. Au milieu de tous ces triomphes, M. le général La Fayette s’est toujours montré aussi modeste, aussi calme que par le passé. Jamais il n’a manqué de se rendre à son poste de député, toujours exact aux séances, en costume, et attentif à la discussion. Les étrangers qui sont admis aux tribunes de la Chambre demandent tout d’abord où siége M. de La Fayette, qui se fait reconnaître à sa haute stature et à sa démarche inégale, suite d’un accident qui faillit lui coûter la vie. La bonté de son caractère est extrême; nul n’accueille la jeunesse avec plus de bienveillance et, l’on peut dire, d’amitié. Voilà nos hommes, en un mot, voilà les citoyens que le parti national peut montrer avec un égal orgueil à ses amis et à ses ennemis!


ESQUISSES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. - M. DE CORMENIN.—M. DE PUYMAURIN.

M. le vicomte de Cormenin est entré de bonne heure dans la carrière des affaires. A vingt ans, il était auditeur au conseil d’État; à vingt-cinq ans, maître des requêtes, et il achevait à peine sa quarantième année lorsqu’il fut appelé à la Chambre des députés par le suffrage des électeurs du Loiret. L’honorable candidat n’était connu alors que par ses excellents écrits sur la jurisprudence administrative et par la franchise avec laquelle il avait signalé les vices principaux de l’organisation du conseil même dont il faisait partie. M. de Peyronnet avait voulu le destituer; et déjà, à une autre époque, les épurateurs de 1815 l’avaient éliminé du conseil d’État. Cette dernière circonstance, probablement inconnue des électeurs du Loiret, fait trop d’honneur au caractère de M. de Cormenin pour que nous ne nous empressions pas de la citer.

Lorsqu’après le retour de Bonaparte en 1815, les alliés marchèrent sur la France, M. de Cormenin, auditeur au conseil d’État, endossa l’habit de garde national et se dirigea, simple volontaire, sur la ville de Lille, où il fut enfermé pendant toute la durée du siége, dont il partagea les dangers. On le vit à plusieurs reprises sur les remparts, payer de sa personne et se conduire en homme de cœur. A son retour, il fut renvoyé du conseil d’État, et il n’y reparut plus tard que par la protection de plusieurs membres distingués de sa famille. M. de Cormenin, soldat courageux, fut aussi dans sa jeunesse un poète facile et gracieux. On connaît de lui plusieurs odes et un petit poème héroïque sur la Pologne, dans lequel nous avons remarqué les strophes suivantes:

Malheur au citoyen esclave volontaire!
Il se cache dans l’ombre, il marche solitaire,
Il est l’horreur des morts, l’opprobre des vivants
Nul ami ne soutient sa vieillesse affaiblie:
Il expire, on l’oublie,
Et ses os rejetés sont le jouet des vents.

Mais celui qui combat, qui meurt pour sa patrie,
Ne craint pas de laisser sa mémoire flétrie
Si le fer ennemi respecte sa valeur:
Sa mère est triomphante, et la vierge attendrie;
A son Dieu qu’elle prie,
Pour époux, en secret, demande le vainqueur.

Mais c’est surtout à la tribune politique que M. de Cormenin a déployé un véritable talent et un genre de courage malheureusement trop rare de nos jours. La France n’a pas oublié avec quelle énergie cet honorable député a signalé les abus du cumul et marqué au front les dilapidateurs de la fortune publique. Son dernier discours sur la dotation de la pairie a excité au banc des ministres une rumeur qui témoigne suffisamment de la justesse et de la profondeur du coup porté à l’amour-propre des cumulards ministériels. On sait à quel puéril écart de colère M. de Martignac n’a pas rougi de descendre ce jour-là, faute de raisons à opposer au courage de l’orateur; et ce jour, en effet, est devenu le plus beau de la carrière politique de M. le vicomte de Cormenin. Le voilà rangé désormais au nombre des plus intrépides champions des libertés publiques, et, quoique l’un des plus jeunes membres de la Chambre, il en est déjà un des plus distingués. Que serait-ce donc si tous les jeunes talents de la France nouvelle pouvaient prendre place avec lui sur ces bancs où siégent tant de médiocrités surannées.

M. de Cormenin n’a point encore improvisé de discours, soit défiance de lui-même, soit qu’il craigne de paraître ambitieux en se montrant souvent à la tribune. Nous croyons devoir l’inviter à vaincre cette fâcheuse répugnance. Quand on a le malheur d’entendre chaque jour, comme nous, de pitoyables orateurs, tels que MM. Laboulaye, de Conny, Formont, Sainte-Marie, Mayrinhac et tant d’autres ejusdem farinæ divaguer à outrance sur toutes les questions et souiller la tribune d’une foule de pasquinades indignes de la gravité de la Chambre, on peut déplorer l’excès de modestie qui retient sur leurs bancs des députés d’un vrai talent et d’un caractère aussi honorable que M. de Cormenin. Son organe est, d’ailleurs sonore et flexible, sa figure calme et sévère, son attitude convenable et réservée, sa taille haute et bien prise; rien ne lui manquerait qu’un peu plus de chaleur et de hardiesse, pour devenir orateur dans toute la force du terme, et nous sommes sûr qu’il le deviendra.

Avec moins de moyens, assurément, M. Marcassus de Puymaurin, fabricant de pastel, est bien devenu directeur de la Monnaie de Paris; et quel homme, en Europe, ne connaît aujourd’hui le célèbre M. Marcassus de Puymaurin? Avez-vous vu quelquefois au pied de la tribune un gros homme portant une grosse tête sur de grosses épaules, et dans cette tête beaucoup de cervelle? C’est l’honorable M. Marcassus de Puymaurin. Avez-vous remarqué un député très-boiteux, raisonnablement sourd et tant soit peu bègue, dont l’habit vert et le gilet sont presque toujours déboutonnés, et qui pose sa main sur ses oreilles en forme de cornet acoustique, quand M. de Conny improvise? C’est encore M. de Puymaurin. Enfin, vous souvenez-vous d’avoir entendu une description charmante des sangsues, de leurs mœurs et de leurs amours; une superbe philippique contre les bouchers qui donnent trop de réjouissance et un éloge des vétérinaires qui en savent plus que les médecins? Toutes ces pièces d’éloquence sont dues à l’honorable, à l’introuvable, à l’impayable M. de Puymaurin, ancien fabricant de pastel et directeur de la Monnaie des médailles.

Combien de fois, dans le bon temps des Chambres de Cazes et Villèle, l’illustre biographe des sangsues a-t-il bégayé des mots charmants, des naïvetés plaisantes et d’énergiques péroraisons en faveur du budget! Avec quelle chaleur il battait monnaie sur les épaules des contribuables! Quels grands coups de balancier il frappait, lorsque Son Excellence Sidy-Mahmoud, avide de connaître le gouvernement représentatif, venait lui en demander des nouvelles à l’hôtel du quai Conti! Ces beaux jours, hélas! ne sont plus. Une misérable salle à manger met la Chambre en rumeur; un député de rien, un simple avocat, fait rendre gorge à un garde des sceaux, et M. Bourdeau va coucher demain dans la chaste alcôve de M. de Peyronnet à l’hôtel de la Chancellerie: sic vos non vobis, nidificatis, aves!


LE MOUTON ENRAGÉ[16].

FIGARO.—Ah! mon Dieu, Basile, quelle figure longue!... un myriamètre distance légale... et pâle... comme le Journal des Débats.

BASILE.—Oh! c’est qu’il y a de quoi faire changer de couleur, même ceux qui n’en ont jamais eu.

—Est-ce qu’il serait question de quelque changement dans?...

—Un changement!... Oui... Tiens, lis.

—Quoi?

—Tu ne vois pas?

—Non, je ne vois pas.

—Tu ne vois pas, là, dans la Gazette, le Mouton enragé?...

—Eh bien... j’ai vu pendant six mois le Bœuf enragé sur l’affiche des Funambules, et personne n’a réclamé... Après?...

—Après?... Mais, lis donc, «Robin, que je te noue ce ruban bleu... On va te tondre, Robin mouton, tu es enragé... pourtant, c’est du sang de mouton qui coule dans tes veines.» Eh bien, tu ne frémis pas?

—Pas le moins du monde.

—Tu ne comprends donc pas!

—Je comprends qu’il s’agit d’un mouton... Et comme la pastorale est usée, je ne vois pas...

—Il s’agit bien de la pastorale!... Il s’agit de la révolution... Le sang de mouton, c’est le sang de Henri IV et de Louis XIV.

—Ah! pauvre Gazette! gare M. Menjaud de Dammartin.

—Mais, tu n’y es pas... c’est l’Album.

—Ah! c’est l’Album qui dit que le sang de mouton est le sang de Henri IV et de Louis XIV!

—Mais non! l’Album parle de sang de mouton, et la Gazette prouve comme quoi il s’agit du sang de Henri IV et de Louis XIV. En conséquence, elle dit: «Français, on menace vos princes... réveillez-vous!»

—Ce sera peut-être assez difficile, s’ils ont lu la Gazette. Mais, écoute, Basile, il me semble que tout ce sang-là n’a pas le sens commun... Comment croire qu’on s’amuse à fabriquer des allusions à l’instar du Nain jaune, quand la censure ne vous meurtrit pas le poignet de son gantelet de plomb? Comment s’exposerait-on de gaîté de cœur à d’énormes amendes quand on est vulnérable d’un cautionnement de soixante mille francs? Comment affronterait-on la police correctionnelle quand on a deux de ses rédacteurs à Sainte-Pélagie? Ne serait-ce pas jouer à y faire mettre tout le personnel du journal, y compris les abonnés et M. le procureur du roi lui-même, pour s’être laissé devancer par la Gazette? Mais j’admets et personne n’admettra, personne ne peut admettre, j’admets l’allusion... Maintenant, dis-moi, Basile, combien l’Album a-t-il d’abonnés?

—Deux cents.

—Et la Gazette?

—Six mille.

—Six mille! alors la Gazette aurait offensé le sang d’Henri IV et de Louis XIV cinq mille huit cents fois plus que l’Album. Si les rédacteurs de l’Album étaient envoyés à la Force, ceux de la Gazette devraient être au moins expédiés pour Toulon. D’ailleurs la Quotidienne ne vient-elle pas d’être condamnée à 50 francs d’amende pour avoir attenté à la dignité du Constitutionnel en copiant le susdit Album? Ici le cas n’est-il pas le même, et la Gazette n’a-t-elle pas, comme la Quotidienne, cité avec complaisance, souligné avec soin tout ce qui pouvait prêter au scandale?

On dit que le numéro de la Gazette qui contenait l’article sur l’Album a été saisi, hier soir, à la requête de M. le procureur du roi.


ESQUISSES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. - M. DE MONTBEL.—M. DE PINA.—M. DE LABOURDONNAYE.

M. de Montbel, maire de Toulouse, est entré à la Chambre des députés sous les auspices de son compatriote, M. de Villèle, pendant la longue domination des Trois-Cents. C’est un homme d’une taille au-dessous de la moyenne, d’une corpulence assez remarquable, et dont les traits lourds et communs n’ont rien de cette vivacité qui caractérise les riverains de la Garonne. Il siége au côté droit, non loin de MM. de Pina et de Labourdonnaye. C’est lui qui prend ordinairement la parole toutes les fois qu’il s’agit de défendre le personnel de l’ancien ministère, ou plutôt de M. de Villèle; car M. Syrieys de Mayrinhac s’est chargé de la défense de M. de Corbière, et personne, que je sache, n’a voulu de celle de M. de Peyronnet. M. de Montbel n’est pas d’ailleurs un homme sans talent et, de tous les meneurs du côté droit, c’est peut-être lui qui connaît le mieux le faible de la Chambre des députés. Son langage ne manque ni de mesure, ni d’adresse, ni parfois d’éloquence; et si ce n’était que la Chambre a cessé d’être dupe des paroles, il ferait illusion aux libéraux par la manière dont il sait intéresser leur générosité.

L’organe de cet honorable membre est extrêmement désagréable, et ceux qui l’entendent pour la première fois croient toujours qu’il est enroué. Cependant on l’écoute avec curiosité, parce qu’on apprend par lui la pensée véritable du parti villéliste, et que ses adversaires ne sont pas sans estime pour sa personne. Ce royaliste prononcé, cet orateur, si ardent à la tribune, passe pour un homme de mœurs douces et bienveillantes; on cite même plusieurs traits fort honorables de sa vie privée. Pour moi, si j’en puis bien juger par simple conjecture, je crois que M. de Montbel ne nous ferait pas tous pendre s’il était le plus fort; mais je ne serais pas aussi rassuré de la part de ses respectables amis, depuis les fusillades de la rue Saint-Denis.

Et, par exemple, si M. de Pina devenait jamais ministre, je prendrais sur-le-champ ma canne et mon chapeau pour me sauver je ne sais où, mais le plus loin possible de ce saint personnage. Je n’en connais pas un de plus violent, ni de plus rancunier dans toute l’assemblée; et sa figure habituellement ouverte et riante me rappelle toujours, je ne sais pas pourquoi, celle de Frédérick dans le rôle de Méphistophélès. M. de Pina conserve encore, au sein de la Chambre de 1829, les opinions et les doctrines qui dominaient aux conférences de Pilnitz; il est campé sur les bords du Rhin, et il attend que M. de Brunswick ait mis à la raison les Parisiens révoltés. Nul n’assaisonne de fiel mieux que lui une harangue contre des pétitionnaires; nul ne parle avec plus d’amertume de la liberté de la presse, de l’égalité devant la loi et de toutes conquêtes de la révolution sur l’ancien régime. Il partage avec M. de Lépine et M. de Conny tout l’honneur des homélies parlementaires qui ont rendu ces deux députés si célèbres, et je n’ai jamais lu de description du jugement dernier plus curieuse que ses tirades sur la dissolution des sociétés. Les balistes et le manioc de M. de Sallabéry peuvent seuls leur être comparés.

Nous avons eu dernièrement une occasion remarquable d’observer le caractère énergique de M. de Pina. C’était le jour où, reprenant toute sa dignité, la Chambre des députés se leva comme un seul homme contre la suppression de l’amendement relatif à la salle à manger de M. de Peyronnet. Depuis la chute du ministère déplorable, le côté droit n’avait pas encore éprouvé d’échec aussi désastreux. La consternation était peinte sur tous les visages religieux et monarchiques, et l’on eût dit que la Bastille venait d’être prise une seconde fois. M. de Pina, seul, debout à son banc, les bras croisés, ainsi que Marius sur les ruines de Carthage, bravait de ses regards l’hilarité du côté gauche; en vain les huissiers criaient de toutes parts: «Asseyez-vous, Messieurs; M. le président vous prie de vous asseoir.» L’inflexible Pina demeurait immobile. Enfin, saisi d’indignation, il s’écrie: «De quel droit veut-on me faire asseoir?» et proteste du moins, par cette véhémente apostrophe, contre le triomphe de la révolution.

L’honorable M. de Labourdonnaye est un homme plus grave. La première fois que j’ai eu l’honneur de le voir, je m’attendais à trouver dans sa physionomie quelques traits en harmonie avec sa réputation parlementaire, des yeux vifs et perçants, un front découvert et hardi, une tenue imposante et digne, tout au moins, d’un vieux chef de parti. Loin de là, M. le comte de Labourdonnaye n’offre à l’observateur qu’une physionomie sans expression, un visage maussade, un air ennuyé; sa voix sourde et monotone résonne tristement dans l’enceinte de la Chambre sans y trouver d’écho, et vient mourir dans la tribune des journalistes où le rédacteur de la Quotidienne lui fait de temps en temps la charité d’une colonne. Il m’est impossible de comprendre comment cet honorable député a pu exercer de l’influence sur une assemblée délibérante, autrement qu’en me rappelant ce proverbe: Dans le royaume des aveugles, les borgnes font la loi.

Mais quand je remets dans mon esprit les saturnales de la session de 1823, l’expulsion de Manuel et toutes les batailles gagnées par le côté droit de ce temps sur l’honneur et les libertés de la France, je m’explique plus aisément la gloire parlementaire de M. de Labourdonnaye. Le système des catégories doit à son éloquence de nombreuses victimes, et c’est lui qui disait un jour aux députés du côté gauche: «La France ne veut plus de vous!» Aujourd’hui que la France a fait connaître ses vœux, nous avons rarement le plaisir d’entendre M. le comte de Labourdonnaye, et même il est probable qu’au prochain renouvellement des Chambres, nous en serons entièrement privés; aussi l’honorable membre commence-t-il à nous accoutumer à son silence; sa voix, jadis si redoutable, est devenue muette et ne rend plus d’oracles; son front, chargé de rides, se couvre tous les jours de nouveaux soucis, et le temps n’est pas loin où cette renommée si brillante expirera dans l’oubli.

Pour moi, j’aime à voir disparaître sans bruit ces coryphées de la Chambre introuvable et déplorable, qui instituèrent les cours prévôtales, qui rédigeaient les notes secrètes, qui se sont adjugées un milliard, qui ont fait la loi du sacrilége, exploité l’assassinat du duc de Berri et ordonné les coups de collier du mois de novembre. Ainsi s’évanouiront devant la raison publique et la génération nouvelle tous ces vieillards atrabilaires, tristes représentants des haines du passé; ainsi ont disparu les Dudon, les Donadieu, les Saint-Chamans, et passeront comme eux les Grénédan, les Sallabéry, et tant d’autres médiocrités, qui se consument lentement du supplice de leur impuissance et meurent, comme les héros du Dante, sans même emporter l’espérance.


ESQUISSES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. - M. LE GÉNÉRAL LAMARQUE.—M. LE GÉNÉRAL GÉRARD.—M. LE GÉNÉRAL
DEMARSAY.—M. LE GÉNÉRAL HIGONET.—M. LE GÉNÉRAL TIBURCE SÉBASTIANI.—M. LE GÉNÉRAL MATHIEU DUMAS.

La Chambre des députés, comme on le voit par ce titre, qui ne les comprend pas tous, est fort riche en généraux. Est-ce un bien? est-ce un mal? Je l’ignore; mais c’est un fait statistique assez remarquable et dont, à tout prendre, la France aura peut-être un jour à s’applaudir. Les généraux français ont rapporté de la guerre un sentiment exalté de l’honneur national; divisés sur les questions de liberté, ils s’entendraient certainement sur la question d’indépendance, derrière laquelle nos franchises civiles auront toujours le temps de se bien constituer. C’est d’ailleurs une justice à rendre à nos députés militaires, de reconnaître que la plupart d’entre eux, abdiquant les habitudes un peu despotiques de leur état, se sont montrés les défenseurs constants des libertés publiques.

Au premier rang de ces honorables se placent quelques-uns de ceux dont les noms décorent le titre de cet article. Le général Lamarque est connu depuis longues années par sa bravoure téméraire, par les proscriptions qu’il a subies, et par ses connaissances distinguées dans son art et dans les autres sciences. Il écrit et parle d’un style pittoresque, tout en images, et qui rappelle à quelques égards la manière brillante et pathétique du général Foy; son élocution est toutefois moins correcte, mais plus incisive et satirique, comme on a pu le voir dans son discours sur la question des Suisses, auxquels il a porté le dernier coup. Il improvise rarement, quoique sa facilité soit très-grande; mais il récite ordinairement ses discours de mémoire, et leur effet en est plus assuré. L’honorable général est d’une taille moyenne, sa tête est légèrement enfoncée dans les épaules, qui sont un peu voûtées, et ses cheveux paraissent d’un blond douteux aux rayons du soleil. En somme, il n’est pas beau, mais on dit qu’il est fort aimable et qu’il n’a pas fait en pays ennemi toutes ses conquêtes.

M. le général Gérard possède quelque chose de cette simplicité antique, si justement admirée dans Hoche et dans Desaix. La modestie et la douceur caractérisent sa physionomie, naturellement ouverte, affable et distinguée. Il parle rarement, mais toujours à propos, avec force et mesure, et de manière à mériter les suffrages même de ses adversaires. Sa vie militaire, pleine de gloire, n’est pas de notre ressort; mais elle a jeté beaucoup d’éclat sur sa carrière parlementaire et donne aujourd’hui à l’honorable général une influence positive dans les délibérations de l’Assemblée. Il siége au côté gauche, entre M. Etienne et M. Laffitte.

M. le général Demarsay porte habituellement une longue redingote bleue et un chapeau à larges bords qui le font reconnaître sur-le-champ, non moins que sa taille élancée, au milieu de ses collègues. C’est un brave militaire, d’un tempérament sec et bilieux, presque toujours en colère et montant à la tribune comme à la brèche, armé de toutes pièces et la pointe en avant. Je ne connais pas dans toute la Chambre d’interrupteur plus intrépide et plus infatigable, et il ne se passe pas de séance qu’il n’ait eu deux ou trois querelles avec le président. Il n’a pas la patience d’attendre son tour de parler, et trop souvent il exhale son humeur en apostrophes véhémentes, au lieu de réunir ses arguments en faisceau pour leur donner quelque importance. C’est un capitaine de tirailleurs qui dépense beaucoup de munitions et ne fait pas grand mal à l’ennemi. Son principal défaut est une obstination sans bornes: que la Chambre l’écoute ou soit distraite, s’il est à la tribune, il n’en descendra qu’après avoir tout dit et parlera dix fois dans la même séance. Au reste, M. le général Demarsay est un citoyen intègre, et s’il manque souvent de mesure, du moins n’a-t-il jamais manqué de conscience et de patriotisme.

Aux deux extrémités des deux centres siègent deux autres généraux plus jeunes: le premier, touchant au côté gauche, M. Tiburce Sébastiani; le second, plus près de la droite, M. Higonet. Tous deux sont arrivés récemment de l’armée de Morée, où ils commandaient une division. M. le général Higonet, bien qu’il siége près des rangs où les libertés nationales comptent fort peu d’amis, use de son crédit d’une manière juste et impartiale en faveur des habitants de son département. M. le général Tiburce Sébastiani, moins fier et moins superbe que son frère, a aussi beaucoup moins de talent; mais sa modestie invite à l’indulgence, et il paraît si jeune qu’on lui donnerait à peine trente ans. Toutefois, la campagne de Morée a bien plus appelé l’attention publique sur ces deux honorables membres que leurs travaux parlementaires.

M. le général Mathieu Dumas, l’un des plus anciens officiers de l’armée française, est assis au côté gauche, près de MM. les généraux Clausel et Lamarque. Tout le monde connaît son Histoire des campagnes de la révolution et le talent avec lequel il sut organiser, en moins de six semaines, pendant les Cent-jours, cette armée héroïque qui alla mourir à Waterloo. M. le général Mathieu Dumas a fait en personne la plupart des guerres dont il a écrit l’histoire, et il possède une foule de connaissances positives qui rendent sa présence à la Chambre infiniment utile. On a dit qu’il faillit un moment devenir infidèle à la cause constitutionnelle; mais rien ne nous a été démontré à cet égard, et nous croyons qu’aujourd’hui cet honorable général est trop âgé pour changer de religion. Sa gloire est d’ailleurs intimement liée à celle de la révolution française, et ce n’est pas au retour de Fleurus ou d’Arcole qu’on peut songer à devenir le compère des hommes de Coblentz. M. le général Mathieu Dumas est extrêmement vieux; sa tête est couverte de cheveux blancs, et sa place facile à reconnaître dans la Chambre, où il porte habituellement un garde-vue de taffetas vert.


ESQUISSES DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. - M. THÉNARD.—M. KÉRATRY.—M. ÉTIENNE.

Avez-vous vu quelquefois à la Sorbonne M. le baron Thénard, professeur de chimie et doyen de la Faculté des sciences, expliquant à ses élèves la décomposition de l’hydrogène sulfuré par le chlore, apostropher en termes rudes son préparateur Baruel et renverser avec colère les éprouvettes et les tubes, quand une expérience vient à manquer par sa faute? L’avez-vous vu, armé de l’allumette magique, transformer avec satisfaction de l’oxyde de carbone en gaz acide carbonique? Tel vous l’avez admiré dans son fauteuil académique, tel vous le retrouverez à la tribune de la Chambre des députés, lorsqu’il se chargera d’un rapport sur la refonte des monnaies ou bien de la défense du commerce des salpêtres. Chez lui, le professeur ne disparaît jamais devant le député, et ses meilleurs discours ressemblent toujours à des leçons. L’honorable membre est doué d’une facilité d’élocution intarissable, et il en abuse trop souvent, comme ces compositeurs de musique qui développent dans tous les tons un motif agréable jusqu’à ce qu’ils l’aient rendu assoupissant.

Ce n’est pas que M. le baron Thénard manque de sens et de connaissances réelles; au contraire, il en possède beaucoup, et ses idées politiques sont généralement raisonnables; mais, comme il est fort entêté, prolixe et criard, le bien qu’il pourrait faire rencontre souvent des opposants parmi ceux qu’il a trop ennuyés pour vouloir les convaincre. C’est un des hommes les plus dangereux que je connaisse pour les habits neufs et pour les jabots de mousseline: on cite plusieurs exemples de personnes auxquelles, dans la chaleur de son argumentation, il aurait arraché tous les boutons de leur habit et la moitié de leur chemise. En conséquence, il importe de se tenir à une distance respectueuse de ses ongles redoutables, toutes les fois qu’on discute avec lui quelques questions capables de l’échauffer.

L’honorable député de l’Yonne est encore, dans toute la force de l’âge, un véritable adolescent dans une Chambre qui ne compte guère que des vieillards. Sa tête est couverte d’une forêt de cheveux noirs et crépus, sa figure large et plate, son regard vif et jovial. Il siége au centre du centre gauche et vote quelquefois avec le centre droit; ce qui s’explique aisément par la simple énumération des titres dont il est décoré. Comment se pourrait-il qu’un député qui est baron, doyen de Faculté, professeur à la Sorbonne et au Collége de France, officier de la Légion d’honneur, membre de l’Institut et de l’Académie de médecine, n’eût pas quelque penchant pour le cumul, si vivement attaqué néanmoins par un vicomte, M. de Cormenin!

M. Kératry, député du Finistère, s’est acquis une réputation de courage, de patriotisme et d’intégrité au-dessus de toute atteinte. Sa vie entière, vouée à l’étude de la philosophie et de l’histoire, n’a été qu’une laborieuse introduction aux fonctions qu’il remplit aujourd’hui avec tant de distinction. Cet honorable député écrit et parle avec beaucoup de facilité. Peut-être aurait-on le droit d’exiger plus de correction et de goût dans son style; mais ces défauts ont disparu toutes les fois qu’il a été appelé à défendre la cause de la liberté ou celle de l’humanité. On sait avec quelle énergie et quelle dignité M. Kératry, traduit devant les tribunaux pour un article inséré par lui au Courrier français, sut faire respecter ses droits et dévoiler les turpitudes du dernier ministère. Son procès n’a pas été inutile au succès de la cause nationale, et il est très probable que ses juges, en l’acquittant, ont voulu rendre hommage à sa vertu, non moins qu’obéir au cri de leur conscience.

L’honorable membre est d’une taille extrêmement petite. Sa mise est très-négligée. Il parle assez rarement, ce qui est déjà une preuve de goût, et il s’attache de préférence à traiter les questions de liberté civile et religieuse, qui conviennent davantage à la nature de son talent. M. Kératry a publié plusieurs ouvrages, parmi lesquels ses Inductions morales et philosophiques et le roman intitulé le Dernier des Beaumanoir tiennent un rang distingué et annoncent une grande imagination.

Tout le monde connaît les antécédents littéraires et politiques de M. Etienne, académicien de l’Empire et chassé de l’Académie par ordonnance royale. Il a revu le pays où l’on dort, grâce au droit d’élection ou plutôt de réélection exercé en sa faveur par ses confrères. De proscrit, il est devenu député, et il s’est invité à jouer aux cartes dans le même palais où la stupide vengeance d’un ministre conseillait au roi de lui ravir un titre jusqu’alors inviolable. M. Etienne a passé par toutes les épreuves avec une insouciance philosophique et joyeuse, consolé par ses succès littéraires et trouvant, dans les recettes de Joconde et de quelques autres pièces charmantes, des compensations aux rigueurs ministérielles. C’est un homme de mœurs douces, d’un caractère faible et léger, mais véritablement inoffensif et même obligeant. Sa taille est grande et son embonpoint date d’avant la Restauration.

Les discours de l’honorable député de la Meuse se font remarquer, comme ses autres productions, par l’éclat des antithèses, par un heureux choix d’expressions et par un vernis de politesse qui cache trop souvent la légèreté du fond. Plusieurs de ses sentences sont restées à la tribune comme au théâtre, et nul orateur n’a peut-être mieux défini la dernière loi départementale, si incongrument retirée, que celui qui en a dit: politesse des mots et injure des choses! M. Etienne est très-assidu aux séances de la Chambre, et l’on devine aisément combien sa position doit lui procurer d’occasions d’être utile au journal qu’il dirige. Il siége au troisième banc du côté gauche, près de M. Laffitte et du général Gérard.

L’honorable orateur n’est point un homme instruit dans la véritable acception de ce terme; il ne manque pas de tact et dissimule ce qu’il ignore avec assez d’adresse pour faire illusion sur ce qu’il sait. C’est précisément l’absence de ce tact qui précipite la tribune, comme des papillons à la chandelle, une foule de députés ignorants et présomptueux, et donne naissance à des milliers de discours déplorables qui allongent les sessions sans aucun bien pour la chose publique. On ne saurait croire combien il y a dans l’Assemblée de médiocrités qui pérorent et de gens de mérite qui gardent le silence, utiles seulement dans les comités, où ils donnent d’excellents avis, tandis que les bavards ambitieux ne songent qu’au journal du lendemain et à l’effet que leurs métaphores produiront dans les départements. Il y aurait là un excellent sujet de comédie, et je crois que M. Etienne s’en occupe. La représentation aura lieu aux élections prochaines.

 

 

L'ANCIEN FIGARO - 1830

Date de dernière mise à jour : 16/01/2023