BIBLIOBUS Littérature

XIII- Chanson de guerre


 

Le chef de guerre (damé pait) a poussé l'igaou (cri d'appel) ; les guerriers s'assemblent ; on dirait un grand vol d'aigles.

Ils s'assemblent ! ils s'assemblent ! Leur foule s'étend ! s'étend toujours ! Tout à l'heure ils n'étaient que jusqu'aux pins ; maintenant, les voilà jusqu'à la mer.

Et partout retentit le cri de guerre, le terrible : dia, dia, akatika !

Le sorcier a, la veille, au clair de lune, déterré la pierre apel pait, enfouie pendant la paix aux pieds des hauts sapins ; il a fait cuire l'igname et laissé la part des morts.

La veille aussi on a envoyé un guerrier, l'apouèma (masque de guerre) sur le visage ; il a jeté la sagaie devant l'ennemi, et il a, en la jetant, tué un jeune homme.

La tribu attaquée est de son côté venue dans l'ombre de la nuit et deux jeunes hommes ont été tués.

Le sang ouvre la source au sang ! Que de morts vont dormir au soleil couchant.

Chanteurs, si demain vos esprits ne sont pas errants sous le grand lac, vous direz comment sont tombés les braves.

 

XIV- Récits nocturnes

 

Il est nuit ; la tribu, étendue sous des cocotiers, au clair de lune, se laisse bercer par la voix des brisants et par les récits du conteur qui, moitié endormi, moitié veillant, dit des histoires fantastiques comme le rêve.

Quelques-uns l'écoutent avidement ; d'autres, ainsi que lui, moitié sommeillant, tantôt suivent le conteur, tantôt leur propre imagination.

Dans les bois, résonne tristement l'appel du notou ; on dirait la corne des bouviers ; les tabous des cases, estompés par la lune, deviennent des fantômes avec leur robe de terre rouge ou leur linceul de chaux.

Un souffle d'orage est dans l'air.

De temps à autre, sur la tribu couchée à plat ventre, une roussette fait l'air plus frais sous ses ailes.

Loin, bien loin, sont les limites des Blancs : c'est le sol des pères, vierge des pas de l'étranger.

Le village est riche ; il a un abri pour les pirogues, des champs d'ignames et de taros ; on y mange tous les jours de la récolte ou de la pêche ; on y dort toutes les nuits à l'ombre. Que peut-on désirer de plus ?

C'est pourquoi le conteur est triste et raconte des histoires lugubres.

Autrefois, dit-il, à peu près au temps où vinrent les premières pirogues des Blancs, une tribu était comme la vôtre, riche et puissante ; un soir, elle alla, avec ses fils et ses filles, se réjouir au bord de la mer.

Les jeunes gens se mirent à siffler (koua), ayant le cœur gai ; les jeunes filles riaient.

Il y avait tant de monde dans la tribu, qu'elle tenait le rivage sur une longue file.

Les vieux parlaient entre eux de construire un nouveau village.

Tout à coup, une montagne s'écroula et couvrit la tribu.

C'est pour cela, que depuis, on ne siffle plus en passant devant les montagnes (onag) d'un grand nombre de tribus.

Mais croyez-moi, ce n'est pas le sifflement qui attire le rocher, c'est le bonheur.

Moi qui raconte, je l'ai vu bien des fois.

La première, c'était tout enfant : je me trouvais si heureux, que je dormais le moins que je pouvais, afin de me sentir toujours vivre.

Mais qui donc remue là-bas dans les branches ? Si c'était le vent, il agiterait le faîte.

Je ne voyais pas que ma mère travaillait trop : à force de porter de lourdes charges, elle devint toute courbée, et un jour, étant tombée sous le poids des poissons qu'elle rapportait, elle se coucha et mourut.

Mon père prit une autre femme qui me battait : mais étant devenu grand, je cherchais moi-même ma nourriture, et elle ne me disait plus rien ; ensuite, une ancienne femme du grand chef, qui s'en allait de tribu en tribu, m'ayant dit que j'étais beau, je ne pensais plus à autre chose, et cela me rendait encore heureux.

Une nuit que j'y songeais, un coco me tomba sur le visage et m'écrasa le nez : c'est depuis ce temps-là que je suis laid.

Ma fiancée ne voulut plus de moi ; pourtant, je l'aurais rendue bien heureuse : j'aurais porté pour elle toute la charge chaque fois que nous aurions été seuls, me contentant de la remettre sur son dos devant les tayos ; elle aurait mangé avec moi, je ne l'aurais jamais battue, et elle n'a pas voulu ; elle s'est laissé emmener dans la case de Weamy-dyakoul (la punaise), qui lui faisait porter toutes les pierres de sa fronde, toute sa chasse et toute sa pêche.

Va donc voir, Elouey (liane verte), pourquoi les feuilles s'agitent.

Mais Elouey n'alla pas voir. Il n'eut pas le temps : c'était une surprise d'une grande tribu d'une autre dao (île), qui cherchait un village pour s'y établir.

Il avait raison, le conteur : ce n'est pas le sifflement qui fait crouler la montagne, c'est le bonheur.

 


1.     Les manger, signifie « les avoir tués », mais l'expression est plus forte. [Note des Petites Affiches.]

 

fin

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