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BIBLIOBUS Littérature

VII

 

 

 

 

 

 

 

 

 


L'inventeur du bouton inamovible rouvre les yeux et regarde de toutes ses lunettes. Ses yeux deviennent tout ronds, comme les yeux d'un homme surpris, et ses lunettes tremblent d'émotion sur son nez.

Au fait, je suis peut-être bien hardi d'oser écrire que les lunettes de M. Colin-Tampon tremblèrent d'émotion. La poésie seule a le droit de prêter la vie et le sentiment aux objets inanimés. Je me reprends donc et je dis: «Le nez de M. Colin-Tampon trembla d'émotion, et les lunettes qui le chevauchaient suivirent le mouvement de leur monture.» Me voilà en règle, et je continue.

Le plomb a fait balle, le chapeau aux larges bords tournoie dans l'espace; le merle décapité reste perché sur sa branche, comme s'il avait encore son chapeau sur la tête et sa tête sur ses épaules. Peut-être une violente contraction nerveuse rive-t-elle les pattes de l'infortuné à la branche de l'arbre?

Quand la contraction nerveuse cessera, le gibier ne peut manquer de tomber. C'est l'avis d'Azor, qui a franchi d'un bond la clôture du champ, et qui attend, le nez en l'air, la chute du merle à chapeau.

Emporté par son ardeur cynégétique, et aussi par sa curiosité, M. Colin-Tampon franchit la clôture à son tour et se précipite du côté de l'arbre.

A mesure qu'il s'en approche, ses traits expriment toutes les nuances du désappointement. Vu de près, le merle n'est pas un merle, c'est un amas informe de chiffons et de brins de paille grossièrement enroulés autour d'un bâton transversal. En un mot, le merle à chapeau n'est autre chose qu'un épouvantail destiné à effrayer les moineaux et à les écarter du cerisier à l'époque où les cerises rougissent.

M. Colin-Tampon regarde longuement Azor, et Azor regarde longuement M. Colin-Tampon. Les yeux d'Azor sont souriants, comme si Azor se rendait compte de la mystification et en prenait son parti. Les yeux de M. Colin-Tampon ne sourient pas, ils expriment une violente indignation.

Ne sachant quel parti prendre, il approche de ses lèvres la bouteille clissée.

Alors la faculté de réfléchir lui revient. Lui, conseiller municipal, il est sur le champ d'autrui, après en avoir franchi la clôture, comme un gamin qui va voler des pommes; lui, conseiller municipal, il a détérioré la chose d'autrui, le bien d'autrui. Privé de son chapeau, qui était son plus bel ornement, l'épouvantail ne peut plus épouvanter personne. Sentant toute l'étendue de sa faute, le coupable jette un regard furtif autour de lui, s'attendant à voir apparaître le propriétaire du cerisier ou le garde champêtre. Il siffle Azor, enjambe la clôture et se précipite à travers champs, pressé de s'éloigner du théâtre de son forfait. Tout en arpentant les guérets à grandes enjambées, il fait des voeux pour que le premier gibier qu'il rencontrera soit un vrai gibier, bien vivant et non pas empaillé.

 

 

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