M. Colin-Tampon eut bientôt l'explication de cet étrange phénomène.
Après s'être élevé d'un bond jusqu'aux premières branches de l'arbre, le lièvre retomba sur le sol avec un son mat.
Alors seulement M. Colin-Tampon reconnut que son lièvre était une vieille peau de lièvre, bourrée de foin. Elle était attachée à une ficelle qui passait par-dessus l'une des branches. A l'autre bout, il y avait, ou plutôt il y avait eu un gamin facétieux qui faisait danser la peau de lièvre pour tenter la convoitise des chasseur inexpérimentés.
Au moment même où la vieille peau de lièvre retombait sur le sol, M. Colin-Tampon entendit un rire moqueur, suivi d'un bruit de sabots qui s'enfuyaient.
Il aperçut un gamin qui disparaissait derrière une clôture, il vit la ficelle et comprit tout.
«Attends-moi, polisson», s'écria alors le chasseur, dont la poitrine était gonflée d'une légitime indignation.
«Attends-moi un peu, que je te dise deux mots à l'oreille!» répéta-t-il d'une voix forte; mais le gamin, qui sans doute n'était pas curieux de savoir ce que M. Colin-Tampon pouvait avoir à lui dire, n'attendit ni un peu ni beaucoup, et continua à arpenter la plaine.
M. Colin-Tampon frissonna d'horreur à l'idée qu'il aurait pu blesser de quelques grains de plomb l'auteur de cette indigne comédie. Et alors, malgré son innocence, on l'aurait traîné, lui, conseiller municipal, devant les tribunaux, et on l'aurait accusé de ne pas savoir se servir d'un fusil.
Payer l'amende n'eût rien été, mais de quel front aurait-il abordé désormais l'ami Sauvageot, après avoir donné raison à tous ses pronostics?
Ayant fait un ferme propos de se défier à l'avenir des lièvres empaillés, M. Colin-Tampon, avant de reprendre le cours de ses exploits, donna une seconde accolade à la bouteille clissée.
«Après tout, se dit-il en s'essuyant les lèvres, ce n'est pas ma faute si les apparences m'ont déçu, j'ai tiré avec autant de courage que s'il se fût agi d'un vrai lièvre!»
Il siffla Azor, et s'enfonça dans la solitude.
Au bout de deux cents pas, il s'arrêta court, essuya les verres de ses lunettes, et regarda devant lui, le coeur tremblant d'émotion.
Oui! ce qu'il voyait était bien un oiseau, et même un gros oiseau de l'espèce la plus bizarre. On eût juré qu'il était coiffé d'un chapeau à larges bords! M. Colin-Tampon se souvint fort à propos qu'il existe un oiseau qui se nomme le casoar à casque; celui-ci était peut-être le merle à chapeau Pourquoi pas? Il s'approche avec mille précautions, s'assure en faisant le tour de l'arbre, à bonne distance, qu'il n'y a point de gamin caché derrière, épaule, vise, ferme les yeux et fait feu.
Chapitre suivant : VII