BIBLIOBUS Littérature

V


Comme tous les tireurs novices, M. Colin-Tampon a fermé les yeux en pressant la détente; mais il les rouvre aussitôt et regarde de toutes ses lunettes.

Le lièvre ne bondit plus; il est mort ou mortellement blessé. Le coeur de M. Colin-Tampon est inondé d'une joie immense. «Touché, s'écrie-t-il, et dire que c'est mon premier coup de fusil!»

Pour célébrer son triomphe, il donne une longue accolade à la bouteille clissée que sa prudente ménagère a remplie d'un punch généreux. Ensuite il brandit son arme et exécute sur place une danse de son invention.

Azor cherche à deviner pourquoi son maître danse la pyrrhique en plein champ; il ne le devine pas, mais, comme un fidèle serviteur qu'il est, il se conforme à la pensée secrète de celui qui le loge et le nourrit. Il danse la pyrrhique à sa manière, en aboyant du haut de sa tête et en décrivant de grands cercles autour du vainqueur.

«Là-bas! mon bon chien, lui dit son maître en désignant du doigt l'arbre au pied duquel le lièvre a été foudroyé; là-bas! apporte, apporte.»

Plus léger qu'un chevreuil, Azor bondit et arrive en trois sauts au pied de l'arbre, il flaire le lièvre à plusieurs reprises, mais au lieu de le rapporter à son bon maître, il revient, la tête basse, la queue entre les jambes.

«Qu'est-ce à dire? s'écrie M. Colin-Tampon d'un ton irrité, le marchand de chiens se serait-il moqué de moi?»

Azor proteste par une série de petits cris inarticulés.

«Ce n'est pas toi que j'accuse,» lui dit M. Colin-Tampon. Azor continue à crier.

«Mais, reprend M. Colin-Tampon, puisque je te dis que ce n'est pas à toi que je m'en prends. Tu ne m'as pas trompé, toi, mon pauvre ami; tu ne t'es pas vanté de savoir ce que tu ne savais pas. Oh! ces marchands de chiens!»

Tout en parlant ainsi, il arpente la luzerne, dont il froisse sans pitié les tiges délicates sous la dure semelle de ses souliers ferrés.

Déjà il entrevoit le poil roux de son lièvre, qui gît immobile au pied de l'arbre. Sûr désormais d'avoir bien visé, il s'arrête pour s'éponger le front, et, tout en s'épongeant le front, il se dit en lui-même: «J'aime bien l'ami Sauvageot, qui prétendait que pour devenir un vrai chasseur il faut un long apprentissage! Il m'avait presque inspiré des doutes, ce Sauvageot, et j'avais éprouvé comme un mouvement d'effroi, quand ma chère femme m'avait dit qu'elle comptait sur mon adresse pour le rôti. Nous l'avons maintenant, le rôti. Puisqu'Azor ne sait pas rapporter, je le ramasserai moi-même.»

 

Il avance de quelques pas; le lièvre lui semble gonflé comme un lièvre hydropique, mais qu'importe? c'est probablement l'effet du coup de feu.

Tout à coup il recule en poussant un cri de terreur: le lièvre hydropique s'est enlevé comme un ballon et a disparu dans les branches de l'arbre.

 

 

 

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