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BIBLIOBUS Littérature

THEOPHILE GAUTIER







THEOPHILE GAUTIER

Le Bédouin et la Mer (1846)


Pour la première fois, voyant la mer à Bône,
Un Bédouin du désert, venu d’El-Kantara,
Comparait cet azur à l’immensité jaune
Que piquent de points blancs Tuggurt et Biskara,

Et disait, étonné, devant l’humide plaine :
« Cet espace sans borne, est-ce un Sahara bleu,
Plongé, comme l’on fait d’un vêtement de laine,
Dans la cuve du ciel par un teinturier dieu ? »

Puis, s’approchant du bord, où, lasses de leurs luttes,
Les vagues, retombant sur le sable poli,
Comme un chapiteau grec contournaient leurs volutes
Et d’un feston d’argent s’ourlaient à chaque pli :

« C’est de l’eau ! cria-t-il, qui jamais l’eût pu croire ?
Ici, là-bas, plus loin, de l’eau, toujours, encor !
Toutes les soifs du monde y trouveraient à boire
Sans rien diminuer du transparent trésor ;


« Quand même le chameau, tendant son col d’autruche,
La cavale, dans l’auge enfonçant ses naseaux,
Et la vierge, noyant les flancs blonds de sa cruche,
Puiseraient à la fois au saphir de ses eaux ! »

Et le Bédouin, ravi, voulant tremper sa lèvre
Dans le cristal salé de la coupe des mers :
« C’était trop beau, dit-il ; d’un tel bien Dieu nous sèvre,
Et ces flots sont trop purs pour n’être pas amers ! »

 

Le Banc de pierre

À Ernest Hébert (1865)


Au fond du parc, dans une ombre indécise,
Il est un banc, solitaire et moussu,
Où l’on croit voir la Rêverie assise,
Triste et songeant à quelque amour déçu.
Le Souvenir dans les arbres murmure,
Se racontant les bonheurs expiés ;
Et, comme un pleur, de la grêle ramure
Une feuille tombe à vos pieds.

Ils venaient là, beau couple qui s’enlace,
Aux yeux jaloux tous deux se dérobant,
Et réveillaient, pour s’asseoir à sa place,
Le clair de lune endormi sur le banc.
Ce qu’ils disaient, la maîtresse l’oublie ;
Mais l’amoureux, cœur blessé, s’en souvient,
Et dans le bois, avec mélancolie,
Au rendez-vous, tout seul, revient.

Pour l’œil qui sait voir les larmes des choses,
Ce banc désert regrette le passé,
Les longs baisers et le bouquet de roses
Comme un signal à son angle placé.
Sur lui la branche à l’abandon retombe,
La mousse est jaune, et la fleur sans parfum ;
Sa pierre grise a l’aspect de la tombe
Qui recouvre l’Amour défunt !...

 

 

Le Lion de l’Atlas (1846)


Dans l’Atlas, - je ne sais si cette histoire est vraie, -
Il existe, dit-on, de vastes blocs de craie,
Mornes escarpements par le soleil brûlés ;
Sur leurs flancs, les ravins font des plis de suaire ;
À leur base s’étend un immense ossuaire
De carcasses à jour et de crânes pelés.

Car le lion rusé, pour attirer le pâtre,
Le Kabyle perdu dans ce désert de plâtre,
Contre le roc blafard frotte son mufle roux.
Fauve comédien, il farde sa crinière,
Et, s’inondant à flots de la pâle poussière,
Se revêt de blancheur ainsi que d’un burnous ;

Puis, au bord du chemin il rampe, il se lamente,
Et de ses crins menteurs fait ondoyer la mante,
Comme un homme blessé qui demande secours.
Croyant voir un mourant se tordre sur la roche,
À pas précipités le voyageur s’approche
Du monstre travesti qui hurle et geint toujours.

Quand il est assez près, la main se change en griffe,
Un long rugissement suit la plainte apocryphe,
Et vingt crocs dans les chairs enfoncent leurs poignards.
- N’as-tu pas honte, Atlas, montagne aux nobles cimes,
De voir tes grands lions, jadis si magnanimes,
Descendre maintenant à des tours de renards ?
À L. Sextius
1866


Ode IV traduite d’Horace (1865)



L’âpre hiver se dissipe aux souffles printaniers,
La barque oisive au flot se livre ;
L’étable et l’âtre enfin lâchent leurs prisonniers
Et le pré n’est plus blanc de givre.
Sous la lune déjà Vénus conduit le chœur ;
Aux Nymphes les Grâces décentes
Se mêlent dans la ronde, et Vulcain, plein d’ardeur,
Souffle ses forges rougissantes.
C’est le temps d’entourer son front de myrtes verts
Ou de fleurs qu’avril renouvelle,
Et d’immoler à Faune, aux bois d’ombre couverts,
Le bouc ou, s’il lui plaît, l’agnelle.
La pâle Mort, d’un pied égal, heurte taudis
Et palais. - O Sextius, songe
Combien les longs espoirs sont à l’homme interdits.
La Nuit et les Mânes, mensonge,
Et la cour de Pluton te réclament. Là-bas
Les dés ne font plus de monarque,
Et l’on n’admire plus le tendre Lycidas,
Que la vierge déjà remarque.

 

À Marguerite

A madame marguerite Dardenne de la Grangerie (19 juillet 1865.)

Les poètes chinois, épris des anciens rites,
Ainsi que Li-Tai-Pé, quand il faisait des vers,
Placent sur leur pupitre un pot de marguerites
Dans leurs disques montrant l’or de leurs cœurs ouverts.

La vue et le parfum de ces fleurs favorites,
Mieux que les pêchers blancs et que les saules verts,
Inspirent aux lettrés, dans les formes prescrites,
Sur un même sujet des chants toujours divers.

Une autre Marguerite, une fleur féminine,
Que dans le céladon voudrait planter la Chine,
Sourit à notre table aux regards éblouis,

Et pour la Marguerite, un mandarin morose,
Vieux rimeur abruti par l’abus de la prose,
Trouve encore un bouquet de vers épanouis.



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