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- Sylvanire ou la morte vive - Honoré D'Urfé (1568-1625)
Sylvanire ou la morte vive - Honoré D'Urfé (1568-1625)
PROLOGUE
Sylvanire ou la morte vive - Honoré D'Urfé (1568-1625)
(Marquis De Valromey, Comte De Châteauneuf.)
Fable Bocagère.
M. DC. XXVII.
De messire Honoré D'Urfé, Marquis de Bagé et Verromé, Comte de Chasteau-neuf, Baron de Chasteau-Morand, et Chevalier de l'Ordre de Savoye, etc.
A Paris, chez Robert Fouet, rue Saint Jacques. Au Temps, et à l'Occasion.
TABLE DES MATIERES.
Personnages.
Prologue.
ACTE I
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
ACTE II
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
ACTE III
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
ACTE IV
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
ACTE V
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
Scène XI
Scène XII
Scène XIII
Notes.
PERSONNAGES.
-
FORTUNE, prologue.
-
AGLANTE, berger.
-
ALCIRON, berger.
-
HYLAS, berger.
-
TIRINTE, berger.
-
ADRASTE, berger fol.
-
SYLVANIRE, bergère.
-
FOSSINDE, bergère.
-
MÉNANDRE, père de Sylvanire.
-
LERICE, mère de Sylvanire.
-
UN MESSAGER.
-
SATYRE.
-
ÉCHO.
-
LE CHOEUR DE BERGERS.
LA SCENE EST A LILLE.
PROLOGUE.
FORTUNE en habit de Bergère
Peut-être dans ces lieux solitaires
Dans ces bois reculés
Du commerce des hommes,
Dans ces replis tortus
Des rochers caverneux,
Dans ces antres cachés,
Ainsi qu'on jugerait
Même aux yeux du soleil,
Je me déroberai
À l'importunité
De ces fâcheuses filles,
Électre, Ocyroé,
Melobasis, Yanthe,
Et Leucipe, et Phoenon,
Et mes autres compagnes,
Filles de l'Océan,
Et que l'on croit mes soeurs,
Me vont cherchant et demandant à tous
Aux marques ordinaires
Que je voulais porter,
Pour savoir où je suis,
Et pour me découvrir
Vont promettant des perles, des coquilles,
De branches de corail,
À qui leur voudra dire
Où je me suis cachée.
Voire elle sont bien fines,
Elles sont si plaisantes
De promettre des choses
À qui me montrera,
Comme si je ne puis
Donner comme je voudrai
Des perles bien plus belles,
Des nacres, des coquilles
Des branches de corail
À qui me cachera?
Il en manque peut-être
À la Fortune, à qui tout l'Univers
En partage est donné:
Car vous ne vous trompez pas,
Encor que maintenant
Vous ne me voyez pas,
Comme je voulais être,
D'une grandeur extrême;
Ni ne porter en l'une de mes mains
La corne d'Amalthée,
Ni dans l'autre un timon,
Si le fils de Vénus
N'est point à mon côté,
Si d'un bandeau mes yeux ne sont voilés,
Si sous mes pieds je ne presse une boule,
Si sur ma tête une sphère on ne voit,
Et si mon dos n'est chargé de deux ailes
Peintes de cent couleurs,
Si l'on ne voit ma voile
Au vent abandonnée
Ni que je me joue
À ma volage roue,
Comme c'est ma coutume;
En bref je ne tiens
Entre mes bras le jeune enfant Plutus,
Qu'on dit dieu des richesses,
Lui donnant le tétin
Comme mère et nourrice.
Ce n'est pas pour cela
Que je ne sois Fortune,
Fortune qui commande
À tout ce qui s'enserre
Depuis la Lune au centre de la Terre.
Que je ne sois cette même déesse,
Par qui le grand Sénat
Dans la grandeur de Rome
Enferma tout le monde,
Sans que le monde entier
Peut enfermer Rome qu'en Rome même.
Mais ne vous étonnés
De me voir maintenant
Sous mes habits, la houlette en la main,
Au dos la panetière
Ainsi qu'une bergère,
Je me cache à ces nymphes
Filles de l'Océan
Qui me vont poursuivant;
Et qui par leurs prières
Sans cesse m'importunent
De satisfaire à leur ambition.
Je ne saurais me plaire
De donner mes faveurs
À qui trop m'importune.
je suis semblable à l'ombre,
Je fuis qui me poursuis,
Et je suis qui me fuit.
Elle voudraient les fines,
Que je leur fisse part
De pouvoir absolu
Que j'ai sur l'Océan,
Quoiqu'à leur père il échut en partage.
Tiché, me disent-elles,
Car Tiché c'est son nom
Quand nous sommes ensemble,
Laisse nous avoir part
Au règne paternel,
Et nous soulageons
Avec notre peine
La peine qu'il te donne.
Il est vrai, je les aime,
Ces gentilles naïades,
J'aime bien leurs vertus,
J'aime leurs exercices;
Mais je ne veux pourtant
Partager mon Empire,
Que de régner tout seul
Est une douce peine:
Je veux bien quelquefois
Leur donner le pouvoir
D'y commander, mis que ce soit moi sous moi,
Et tant qu'il me plaira.
Or pour fuir leur importunité,
Sous ces habits je me suis déguisée,
Et m'en viens dans ces bois
Me dérober aux yeux ambitieux
Des nymphes qui me cherchent
Parmi les plus grands rois,
Et les plus grands monarques,
Comme si je devais
Toujours rompre des sceptres,
Et fouler des couronnes,
Renverser des royaumes,
Bâtir des républiques,
Ou fonder des cités.
Folles qui s'imaginent
Que moi qui paye chacun
De cette ambition
Je doive de même m'en repaître
Elles ne savent pas
Que je me plais souvent
Avec ces bergers,
Et ces simples bergères,
Hôtesses innocentes
De ces bois innocents,
Plus que dedans les cours,
Où qui mieux se déguise
Vend mieux sa marchandise
Peut être du travail
Elles se lasseront,
Ces filles importunes,
Et cependant dessous ses doux ombrages
Je passerai le temps,
Et parmi ces rivages
J'irai folâtrement,
Tournant ma roue aux dépend des bergères
Et des bergers mignards:
Mais j'entends aux dépens
Seulement de leurs plaintes,
Seulement de leurs craintes
Seulement de leurs larmes,
Je ne veux qu'aujourd'hui
Sur mes autels du sang ou sacrifice.
Cupidon m'en pria
Quelques jours sont passés:
Je l'aime cet enfant,
Encore que bien souvent
Il dépende ses coups
Où le moins il devrait
Mais qu'importe cela,
Je l'en aime tant mieux,
Car c'est peut-être en quoi,
Comme disent les hommes,
Plus semblables nous sommes.
Il me dit, en Forez
Sur les bords de Lignon, (1)
Aglante le berger
Adore Sylvanire,
Et Fossinte Tirinte
Il n'y faut qu'un seul tour de roue.
Voici bien le Forez
Ma plus chère contrée,
Où je fis naître Astrée
L'honneur de l'univers;
Et voici bien Lignon,
Je le connais à ces belles prairies
Qui suivent son rivage.
Voici le bois d'Isoure,
Et voici Mont-Verdun,
Plus en là Marcilly, (2)
L'un semblable l'écueil
Dans le sein de la mer,
L'autre comme un roche
Le rempart du rivage.
Je me résous pour complaire à l'Amour
De lui donner ce jour,
Et qu'aujourd'hui ces forêts et ces plaines
Ressentent mon pouvoir.
Ici ma déité
Jointe à celle de l'Amour
Des deux n'en faisant qu'une,
Produira les effets
D'Amour et de Fortune.
Je me plais et me pais,
Aussi bien que l'amour,
Des larmes innocentes;
Je veux donc ouïr
Les plaintes et le deuil
De ces bergers fidèles,
Et si le désespoir
Ne prévaut sur l'Amour,
Ils connaîtront en leur plus grand ennui
Qu'à la fin toute chose
Sagement je dispose.
Les voilà qui s'en viennent,
Entre eux je me mettrai,
Sans qu'ils me reconnaissent:
Mais les effets divers
Qui les agiteront,
Leur feront bien connaître
Que le Fortune et l'Amour sont ici:
Mais Amour fortuné
Et Fortune amoureuse.
ACTE I
ACTE I
SCÈNE I
Aglante, Hylas.
AGLANTE
Le prix d'amour, c'est seulement amour,
Et sois certain Hylas,
Qu'on ne peut acheter
Si belle marchandise
Qu'avec cette monnaie;
Il faut aimer si l'on veut être aimé.
HYLAS
Et qui peut accuser
Hylas de n'aimer point?
Hylas de qui la vie
Fut toujours employée
Au service d'amour:
J'aime, mais j'aime, Aglante,
Non pas comme je vois
Ces ignorants d'amour,
Et ces jeunes novices,
Qui pensent n'aimer pas,
Si telle amour ne les porte au trépas,
Si quelquefois ces belles qu'ils adorent
Leur font la mine froide,
Ils perdent tout repos:
Si d'autrefois avec quelque dédain
Elles tournent la tête,
Ils sont désespérés;
Et si par ruse elles leur font semblant
D'en mieux aimer quelqu'autre,
Ils ne veulent plus vivre;
Et bref, ainsi qu'il plaît
À ces petites folles,
Ces constants amoureux
Sont contraints de geler,
De brûler, de transir,
De rire et de pleurer,
D'humeur et de visage
Changeant à tous les coups
Comme s'ils étaient fous:
Si bien que l'on peut dire
À voir leurs changements,
Ce sont des girouettes
Au faîte d'une tour
Où les attache Amour.
Ah! Quant à moi, je les veux bien aimer
Ces gentilles bergères,
Mais avec raison,
Et non pas insensé
De sotte passion,
M'emporter tellement,
Que je sois un esclave,
Et non pas un amant.
Cent et cent fois ne m'a-t-on ouï dire
Parmi ces bois, et parmi ces campagnes;
Si l'on me dédaigne, je laisse
La cruelle avec son dédain,
Sans que j'attende au lendemain
De faire nouvelle maîtresse.
C'est erreur de se consumer
À se faire par force aimer.
AGLANTE
Que je te plains, Hylas!
Et qu'avec raison
De ton erreur l'opinion j'abhorre;
Puisque si les grands dieux
Ne donnent aux mortels
Rien, qui puisse approcher
Aux bonheurs dont amour
Rend l'homme bienheureux;
N'est-ce avec raison
Que je crois misérable
Cet Hylas inconstant,
Qui ne sachant aimer,
De nul aussi ne saurait être aimé.
HYLAS
Aglante que dis tu?
Qu'Hylas ne sait aimer?
AGLANTE
Qu'Hylas ne sait aimer.
HYLAS
J'ai plus aimé tout seul
Que n'ont pas fait, mais je dis tous ensemble,
Vos bergers de Lignon,
Carlis, et Stiliane,
Aimée et Floriante,
Cloris, Circeine, et Florice et Dorinde,
Chryseide, Madonte,
Laonice, Phillis,
Alexis, et tant d'autres
Que pour la brièveté
Je ne veux pas nommer,
En rendront témoignage.
AGLANTE
Hylas tu n'aimes point,
Mais tu penses d'aimer;
Car c'est chose certaine
Que personne ne peut
Se l'acheter cette amour que je dis,
Qu'avec une autre amour:
Ce n'est point au marché
Que telle marchandise
Se trouve avec argent:
Le prix et la monnaie
De l'amour c'est amour,
Et tu ne peux aimer,
Au moins si tu ne cesses
De n'être plus Hylas,
C'est à dire inconstant,
Ainsi que je l'entends.
HYLAS
C'est l'entendre bien mal,
Aglante ce me semble,
Et ton opinion
Aux plus sages contraire,
Pour fondement n'a qu'une vieille erreur,
Dont les femmes plus fines
Ont abusé les esprits des peu fins:
Jusqu'au trépas, nous vont elles disant,
Il n'en faut aimer qu'une,
Voire il ne faut donc point
Que l'univers par la diversité
Se change et s'embelisse.
Il ne faut que l'abeille
Suce donc qu'une fleur,
Que notre oeil ne se plaise
Qu'à voir un seul objet,
Que notre esprit jamais
Ne pense qu'une chose,
Et que tous nos jardins
Qu'une herbe ne produisent.
Ô la grande folie,
Pour ne dire sottise,
Qui ne dira que l'homme ainsi contraint
Est un vrai Promethée, (3)
Par l'exprès jugement
D'un cruel Radamante, (4)
Sur un même rocher
À jamais attaché?
La nature se plaît
À la variété;
La nature et l'amour
Sont une même chose.
AGLANTE
L'inconstance et l'amour
Sont deux fiers ennemis,
Qui ne peuvent jamais
Avoir trouve ni paix,
Et t'assure, berger,
Que lorsque tu pensais
D'aimer bien ces bergères,
Tu te moquais et d'elles et d'amour;
Car nul ne peut aimer
Qu'il n'aime infiniment:
Mais l'amour infinie
Ne peut jamais finir.
HYLAS
Si nul ne peut acheter cet amour
Dont tu fais tant de cas
Qu'avec la constance,
Pour moi je m'en dispense,
Et je veux bien qu'on raconte partout,
Parlant d'Hylas, qu'il n'aime point du tout.
Mais à t'ouïr Aglante
L'on dirait que Tircis,
Ou le berger Sylvandre,
T'aient de leur erreur
Enseigné la folie:
Es-tu point leur disciple?
AGLANTE
Et Sylvandre et Tyrcis
Sont remplis de raison;
Si parlant de l'amour
Ils enseignent, Hylas,
Qu'amour et la constance
Doivent être en l'amant
Inséparablement.
Mais, ô berger! J'ai bien eu ces leçons
D'un maître plus savant
Que Tircis ni Sylvandre.
HYLAS
Malaisément croirai-je
Qu'on puisse voir le long de ce rivage
Deux bergers, mais plutôt
Deux rêveurs plus semblables,
Et si tu continues,
Aglante mon ami,
Je te vois le troisième,
Et peut-être des trois,
Tant tu commences bien,
Te mettra-t-on bientôt
Par honneur le premier.
AGLANTE
Je reçois, ô berger!
Avec contentement
Le lieu que tu me donnes,
Si ce n'est qu'accepter
Ce rang trop honorable
Soit une outrecuidance:
Mais toutes fois ce ne sont pas, crois moi,
Ces bergers que tu dis,
Qui m'ont rendu savant
En l'école d'amour:
J'ai bien eu d'autres maîtres,
Et qui m'ont fait payer
Avec un plus cher gage
Un tel apprentissage.
Amour dedans le coeur
M'a ces leçons écrites,
Mais non pas, ô berger!
Comme aux autres amants
D'une plume ordinaire;
Il a fait l'écriture
Qu'au coeur il m'a gravée
Du plus beau trait qui fut dedans sa trousse,
Et de cette écriture
J'ai les leçons apprises (5)
Que je vais t'enseignant.
HYLAS
Que ce soit le plus beau
De tous les traits d'amour,
Qui dans ton coeur a mis
Les leçons que tu dis:
Ajoute au moins que c'est,
Ainsi que tu le penses,
Et lors pour te complaire
Je le croirai, peut-être:
Car depuis que l'on aime
L'on a ce privilège
De jurer sans parjure
Contre la vérité,
Soutenant la beauté
De celle qu'on adore.
AGLANTE
Berger je ne crois pas,
Pour grande que puisse être
L'erreur qui te séduit,
Quand tu sauras celle qui m'a blessé,
Que vaincu tu ne dis,
Toute beauté suprême
Cède à celle qu'il aime.
HYLAS
Ce blasphème est trop grand.
AGLANTE
Jamais la vérité
Blasphème ne se rend.
HYLAS
Souvent l'opinion
En prend bien le visage.
AGLANTE
Celui qui s'y déçoit
Ne doit pas être sage.
HYLAS
Pour soi-même chacun
Est juge intéressé.
AGLANTE
Le jugement de tous
Doit être confessé.
HYLAS
De tous, tu te déçois,
Car le mien n'en est pas.
AGLANTE
Le tien même en serait
Si tu n'étais Hylas.
HYLAS
Ô le plaisant discours,
Si je n'étais Hylas,
Le jugement d'Hylas
Serait contraire au jugement d'Hylas.
Quel voudrais-tu que je fusse, berger,
Si je n'étais moi-même?
AGLANTE
Constant.
HYLAS
Constant?
Eh, ne le suis-je pas?
Puisqu'en effet si j'aime
Je n'aime rien que la seule beauté,
Et partout où je voyais
Cette beauté suprême,
Aglante par ma foi
Je le confesse, incontinent je l'aime.
AGLANTE
S'il était vrai comme tu dis, Hylas,
Tu n'aimerais pas Stelle,
Mais celle que j'adore,
Comme la beauté seule
Qu'on peut dire beauté.
HYLAS
Aglante mon ami,
Ta passion trop forte
Te trompe de la sorte;
Une amour violente
C'est un verre qui rend
Tout ce qu'on voit par lui
Beaucoup plus grand qu'il n'est pas en effet.
Cette beauté dont amour t'a blessé
Semble d'être plus grande
À tes yeux abusés,
Que toutes les beautés
Que la nature a faites,
Et moi de mon côté
Je te jure au contraire
Que rien n'est de plus beau
Que les beaux yeux de Stelle.
Comme accorderons-nous
Un si grand différent?
Un seul moyen ce me semble nous reste,
C'est que d'Aglante Hylas prenne le coeur,
Et tout soudain ses yeux intéressés
Rapporteront avec même avantage,
Au jugement d'Hylas,
La beauté que tu dis.
Et celui-ci n'est pas
Du puissant dieu d'amour
L'un des moindres miracles,
Nous faisant voir, ainsi comme il lui plaît,
Différemment à tous un même objet.
AGLANTE
Je le sais bien, Hylas,
Qu'amour comme il lui plaît
Nous fait voir ce qu'il veut:
Mais je sais beaucoup mieux
Qu'amour ni tous les dieux
Ne sauraient jamais faire
Qu'une beauté parfaite,
Tant qu'elle sera telle,
Ne soit vraiment beauté,
Et celle que j'adore
Ayant atteint à la perfection,
Doit quoiqu'on puisse dire
Être telle estimée
Par tous les yeux dont elle sera vue,
Si toutefois leur raison n'est perdue.
Mais que sert-il d'en aller disputant?
Je suis certain qu'aussitôt que son nom
Frappera tes oreilles,
Tu diras avec moi,
Je lui donne le prix
De toutes les plus belles.
HYLAS
J'attends d'ouïr ce nom
Avec impatience,
Pour te dire soudain
Ce que d'elle je pense.
AGLANTE
C'est, ô berger! La belle, et plus que belle:
La belle. Mais voici
Et Ménandre et Lerice,
Retirons nous un peu,
Et puis nous reviendrons:
Je ne veux pas que ce vieillard me voit.
SCÈNE II
Ménandre, Lerice.
MÉNANDRE
C'est un grand cas que je ne puis trouver,
En quelque lieu que j'aille,
Cette imprudente fille:
Si faut-il que le soir,
Quoiqu'elle sache faire,
Elle vienne au logis:
Qu'en pensez vous Lerice?
LERICE
Je ne croirai jamais
Que Sylvanire fuit
De parler à son père;
Elle est trop bien apprise,
Et soyez sûr, Ménandre,
Que quoiqu'elle soit jeune
Je ne connais bergère de son âge,
Qui puisse être plus sage.
MÉNANDRE
Vous l'aimez trop Lerice, croyez moi.
LERICE
Je l'aime, il est certain,
Mais c'est comme je dois.
MÉNANDRE
Vous l'aimez comme mère.
LERICE
Et ne l'aimez vous pas,
Ménandre, comme père?
MÉNANDRE
Comme père il est vrai;
Mais non pas tendre père.
LERICE
Moi je lui suis trop douce,
Vous un peu trop sévère.
MÉNANDRE
Croyez moi la jeunesse
Se perd par l'indulgence.
LERICE
Sylvanire a déjà
Beaucoup de connaissance.
MÉNANDRE
Elle en pense avoir trop,
C'est une suffisante.
LERICE
L'avez vous reconnue
Pour désobéissante?
MÉNANDRE
Quand elle voit Théante,
Quelle mine fait-elle?
LERICE
Elle est toujours fort belle.
MÉNANDRE
Il faut dire à vos yeux;
Mais lorsque je lui dis:
«Sylvanire je veux
Que Théante t'épouse.»
Qu'est-ce qu'elle répond?
LERICE
Il ne faut pas le trouver tant étrange,
C'est une jeune fille,
Qui ne sait point encore
Que c'est de mariage.
À ces petits enfants
Qui sortent du berceau
On leur fait peur du loup:
À ceux qui sont plus grands,
Des fantômes qu'on voit
En divers lieux paraître:
Mais à celles qui sont
D'âge de marier,
Que pensez-vous, Ménandre, qu'on leur dit,
Des extrêmes contraintes,
Des ennuis, des travaux,
Et des inquiétudes,
Qui sont inséparables
De tous les mariages?
Le moins que l'on leur dit,
C'est qu'il ne leur faut plus
Avoir de volonté,
Qu'il se faut résigner
À celle d'un mari,
Qui peut-être sera
D'humeur insupportable:
Et trouvez-vous étrange,
Que Sylvanire ait peur de ce Théante?
Qu'elle n'a jamais vu,
Sinon comme l'on voit
Un autre homme étranger?
Je ne sais quant à moi,
Quoique vous soyez homme,
Si vous eussiez voulu,
Sans me connaître, autrefois m'épouser.
Mais je ne doute point
Que lui laissant du temps à se résoudre,
Elle ne fasse enfin
Tout ce qu'il vous plaira.
MÉNANDRE
Ainsi je le veux croire,
Et s'il advient qu'elle fasse autrement,
Je saurai bien la rendre obéissante;
Car je suis résolu
Qu'elle l'épouse: et peut-elle avoir mieux?
Mais allons la chercher,
Peut-être enfin la rencontrerons-nous.
SCÈNE III
Aglante, Hylas.
AGLANTE
Ô dieux! Qu'ai-je entendu,
Hylas je suis perdu;
Car c'est de Sylvanire
Que je brûle d'amour:
Sylvanire l'honneur
Des rives de Lignon,
La plus belle bergère
Qui jamais ait conduit
Les troupeaux en forêts:
Forêts heureux, certes l'on te peut dire,
Mais seulement pour avoir Sylvanire.
HYLAS
Je la connais, Aglante,
Cette belle bergère,
Fille de ce Ménandre
Qui ne fait que partir,
De qui les gras troupeaux,
Et les beaux pâturages,
Ne sont point égalés
D'autres de la contrée.
Bien souvent je l'ai vue
Conduire ses brebis
Ensemble avec les autres:
Mais certes je te plains,
Car d'autant qu'elle est belle
C'est la plus orgueilleuse
De toute la contrée:
Il ne s'en peut trouver
Une autre qui l'égale.
AGLANTE
Non pas en sa beauté.
HYLAS
Je dis en cruauté;
Car regarde, berger,
Combien déjà de bergers l'ont aimée,
Et nomme m'en un seul
Qui se puisse vanter
D'en avoir eu tant soit peu de faveur.
Il est vrai, je confesse
Que Sylvanire est belle,
Mais non pas plus que Stelle;
Et tu m'avoueras,
Si tu veux dire vrai,
Que Stelle est moins cruelle,
Et par ainsi que Sylvanire cède
À la beauté dont mon amour procède.
AGLANTE
Il ne faut pas conclure de la sorte,
Quoiqu'elle soit cruelle
La belle que j'adore;
Mais il faut dire avec la raison,
Stelle a moins de beauté,
Et Sylvanire a plus de cruauté,
HYLAS
Soit que ta Sylvanire
Puisse avoir quelques traits
Plus beaux que non pas Stelle,
Elle est plus jeune aussi:
Mais pour moi j'aime mieux
Qu'elle ait moins beaux les yeux,
Pourvu qu'elle ait le coeur
Plus rempli de douceur.
Mais cher ami dis-moi,
Puisqu'elle est si cruelle
Comment ton coeur s'en laissa-t-il surprendre?
AGLANTE
Que puis-je dire à ce que tu demandes,
Il eût été beaucoup plus malaisé,
Voyant tant de beautés,
De n'en être surpris.
HYLAS
Je demande comment
Cet amour prit naissance?
AGLANTE
Hylas ce fut d'enfance:
À peine avais-je atteint deux fois sept ans,
Et Sylvanire à peine six fois deux,
Lorsque l'amour, mais un amour enfant,
Nous retenait presque toujours ensemble:
Si nous sortions aux champs,
Nous y sortions tous deux:
Si nous y demeurions,
C'était l'un près de l'autre:
Si nous en revenions,
C'était de compagnie.
Mille petits plaisirs
Que prennent les enfants
N'étaient plaisirs pour nous,
Si nous n'étions ensemble,
Si quelquefois nous étions séparés,
Et c'était peu souvent,
Nous n'avions nul repos
Que nous ne revinssions
Nous trouver promptement:
Et quand nous-nous trouvions,
Te pourrais-je redire,
Ô cher ami! Notre contentement?
Tous ceux qui nous voyaient,
Jugeaient dès ce temps-la,
Que cette affection
Que ces tendres années
Produisaient entre nous,
Serait un jour le plus parfait miroir
Du plus parfait amour.
Ah! Qu'ils dirent bien vrai:
Mais, ô berger! Seulement pour Aglante;
Car il est tout certain
Que sous le ciel amour ne vit jamais
Une amour plus parfaite
Que celle dont Aglante
Adore Sylvanire.
Mais que leur prophétie,
Ô grands dieux! Fut bien fausse
Pour cette belle fille;
Car dès le jour que je lui dis: «Bergère
Aglante vous adore.»
Écoute bien Hylas,
Jusqu'au moment que je parle avec toi,
Jamais Aglante, avec tous ses services,
N'a remarqué qu'un seul trait de pitié
Ait pu toucher le coeur de cette belle.
HYLAS
Et toutefois tu l'aimes,
Toutefois tu la sers;
Toutefois Sylvanire
Est l'idole où ton coeur
Adresse tous ses voeux.
Ô misérable Aglante!
As-tu point de pitié
De ta condition?
Te laisser dévorer
À ce tigre inhumain,
Qui ne se paît que des pleurs et du sang
De celui qui l'adore;
Qu'appelles-tu cela
Qu'une pure folie?
Or loue Aglante, or louée maintenant
Cette sainte constance,
Dresse lui des autels,
Charge les de tes voeux,
Et saoule si tu peux
De larmes et de sang
Ce farouche animal,
Qu'on nomme Sylvanire;
Et puis sache moi dire,
Quel bien tu recevras,
Et quel contentement
De ta sotte constance.
AGLANTE
Amour dedans ma perte
A mis ma récompense.
SCÈNE IV
Aglante Hylas Sylvanire
AGLANTE
Mais la voici, la belle Sylvanire,
Regarde Hylas, si les yeux l'ayant vue
Le coeur a le pouvoir
De ne la point aimer.
HYLAS
Elle est belle, il est vrai,
Mais telle est mon humeur,
Qu'enfin si l'on ne m'aime
Je ne saurais aimer.
AGLANTE
Ah! Ce n'est rien que de voir sa beauté,
Il faut l'ouïr parler,
Son oeil appelle, et son esprit arrête
De liens si serrés,
Et d'étreinte si belle,
Que la prison n'en peut qu'être éternelle.
Approchons-nous, Hylas,
Si tu n'en crains toutefois le trépas.
HYLAS
Mes remèdes sont bons,
Je n'ai pas peur pour ce coup d'en mourir:
Si mes yeux font le mal,
Mes yeux me font guérir.
SYLVANIRE
Bergers, pourriez-vous point
Me donner des nouvelles
De mes chères compagnes?
Tout aujourd'hui je cours par ces bocages
Sans les pouvoir trouver,
Et toutefois, à ce qu'elles m'ont dit,
Elles devaient m'attendre
Au carrefour qu'on nomme de Mercure,
Et de là nous devions
Aller toutes ensemble
Faire mourir un cerf.
AGLANTE
Nous ne vous dirons point
De plus fraîches nouvelles
De vos chères compagnes,
Ô belle Sylvanire!
Que celles que vous dites;
Car nos yeux ne s'amusent
À voir d'autres beautés
Ne pouvant voir les vôtres.
HYLAS
Parle des tiens Aglante.
AGLANTE
Et toutefois nous trouvons bien étrange
Que vous que chacun cherche
Alliez cherchant quelque autre;
Mais peut-être le ciel
De la sorte l'ordonne,
Pour vous faire sentir
Le mal que tous les coeurs
Ont pour vous d'ordinaire.
SYLVANIRE
Les coeurs n'ont rien à faire
Avec Sylvanire.
AGLANTE
Le mien sait bien qu'en dire.
SYLVANIRE
Ou Sylvanire au moins n'a rien à faire
Avec les coeurs.
AGLANTE
Ah! C'est trop de rigueur:
La mère est bien cruelle
Qui ne veut reconnaître
L'enfant qu'elle a fait naître.
SYLVANIRE
Toujours, berger, une même chanson:
Ne te suffit-il pas
Que cent fois de ta bouche
J'ai ouï ces propos?
Tu t'en devrais lasser:
Laisse moi quelquefois
Je te supplie en paix.
AGLANTE
C'est à vous Sylvanire,
Non pas à moi, d'établir cette paix.
Si la vôtre de moi
Dépendait, ô bergère!
Combien serait heureux
Mon coeur qui ne l'est pas.
SYLVANIRE
J'aimerais mieux être toujours en guerre,
Que si ma paix d'un homme dépendait.
AGLANTE
Mais je ne suis pas homme.
SYLVANIRE
Et qu'es-tu donc pasteur?
AGLANTE
Je ne suis rien que votre serviteur.
SYLVANIRE
Mon serviteur, berger,
Et n'es-tu pas Aglante?
Aglante est-il pas homme?
AGLANTE
Aglante homme eut été
S'il n'eût vu la beauté
De cette Sylvanire.
SYLVANIRE
Et comment la beauté
Saurait-elle empêcher
Qu'un homme ne soit homme?
Ô la belle pensée!
AGLANTE
J'étais encore enfant
Alors que je la vis,
Cette beauté suprême:
Beauté qu'on ne peut voir
Qu'aussitôt on ne l'aime:
J'en fis la preuve alors,
Car la voir et l'aimer
Fut un même moment:
Mais d'autant qu'on ne peut
L'aimer qu'infiniment,
Infiniment aussitôt je l'aimai,
Et l'ai toujours aimée,
Et jusques au tombeau,
Et dans le tombeau même
Encor je l'aimerai
D'une amour infinie.
SYLVANIRE
Quand il serait ainsi,
Ce que je ne crois pas,
Je ne vois pas pourtant
Que tu ne sois Aglante;
Qu'Aglante ne soit homme.
AGLANTE
J'étais encor enfant
Quand cet heurt m'arriva,
Et de voir et d'aimer
La belle Sylvanire.
HYLAS
Cette histoire te plaît,
Tu la redis souvent.
AGLANTE
J'abrégerai. Lorsque l'âge devait
D'Aglante faire un homme,
Amour plus fin, ô belle Sylvanire,
Amour pour vous en fit un serviteur.
SYLVANIRE
Mais plutôt un menteur,
Un menteur qu'il ne faut
Écouter ni ne croire,
Si l'on veut pour le moins
N'en être point trompée.
Mais cependant qu'en ce lieu je m'arrête
Mes compagnes iront,
Et forceront la bête.
AGLANTE
Ah! Qu'allez vous cherchant
À travers ces forêts?
Quelle plus belle chasse
Que celle de nos coeurs?
Mais Dieu, votre oeil méprise,
Je le vois bien, la chasse qu'il a prise.
SCÈNE V
Aglante Hylas
AGLANTE
Elle s'en va, la cruelle qu'elle est,
Sans souci de mes peines:
Amour jusques à quand
Ordonnes tu que dure
Cette extrême rigueur?
HYLAS
Je te proteste Aglante,
Que de tous les ennuis,
Et de toutes les peines
Des bergers de Lignon,
Un seul Sylvandre en doit être taxé.
AGLANTE
Sylvandre ce berger,
Si rempli de vertu?
HYLAS
C'est ce même Sylvandre;
Car ce berger subtil en ses discours,
Pour obliger Diane
Qu'il aime et qu'il adore,
La va flattant, du côté qu'il connaît
Qu'elle est la plus sensible.
Or tient ceci de moi;
Toute femme est altière:
Mais plus la femme est belle,
Plus glorieuse elle est;
Car la présomption
Va suivant la beauté
Comme l'ombre le corps.
Sylvandre donc pour seconder l'humeur
De la belle Diane,
Va publiant partout
Qu'il les faut adorer,
Ces belles que l'on aime,
Et que comme on ne doit,
Pour quoi qui nous arrive,
N'adorer pas ce qu'on doit adorer,
De même il ne faut croire
Que quelque cruauté,
Que quelque ingratitude
De celle qu'on adore,
Puisse nous exempter
De honte ni de blâme,
Si nous cherchons ailleurs
Une beauté, qui nous soit moins cruelle,
Faisant ainsi d'un homme un dur rocher,
Qui pour fuir l'outrage
Des vents, et de l'orage,
Ne peut changer de lieu.
AGLANTE
N'en crois-tu pas de même?
HYLAS
Folie trop extrême;
Car ces bergères pensent
Qu'attachés de la sorte
Nous n'oserions d'un pas nous éloigner,
Pour quelque cruauté
Que nous trouvions en elles,
Sachant bien que la honte
Est un lien trop fort
En des coeurs généreux,
Pour être détaché;
Et de là se produit
La sotte nonchalance,
Que nous voyons quand nous aimons ces belles,
Étant trop assurées
De notre patience,
Leur semblant qu'aussitôt
Que l'on se dit amant,
On perd tout sentiment,
Et qu'on est obligé
De souffrir, d'endurer,
Sans oser murmurer,
Voire comme en effet
Si les lois de Sylvandre
Avaient bien le pouvoir
D'insensibles nous rendre.
AGLANTE
Insensibles, non pas,
Mais fermes et constants.
HYLAS
Ou plutôt malcontents,
Aglante est-il pas vrai
Que si pleins de courage
Nous nous fâchions un jour
De ce honteux servage,
Nous les verrions, ces belles,
Nous combler à l'envi
De cent et cent faveurs,
Inventant tous les jours
Des caresses nouvelles
Pour nous pouvoir retenir auprès d'elles?
Prends donc courage, Aglante,
Romps-moi tous ces liens,
Liens honteux qui te serrent les mains,
Ou bien le coeur plutôt
Dessous la tyrannie
D'une ingrate bergère,
Et crois moi cette fois,
J'ai plus d'expérience,
Ami, que tu n'as pas;
L'âge que j'ai me permet de le dire,
Laisse là cette belle,
Laisse cette cruelle
Avec sa cruauté,
Et va chercher ailleurs
Quelqu'autre, qui te soit
Maîtresse, mais amante,
Et non pas un rocher,
Qui croit que sa beauté
Se rendrait beaucoup moindre,
Si de sa cruauté
Elle se démentait,
Et tu verras que par ce changement
Tu t'acquerras le bien que tu mérites.
AGLANTE
Ah! Berger que dis-tu?
HYLAS
Je dis la vérité.
Il en manque peut être
Des femmes par le monde,
Pour une que j'en perds
Deux soudain j'en recouvre:
Il en est plus épais
Que de mouches fâcheuses
Au plus chaud de l'automne:
Voire, c'est bien marchandise si rare,
Et crois moi pour ce coup,
Il est ainsi des maîtresses nouvelles,
Que des valets nouveaux.
AGLANTE
Belle comparaison!
HYLAS
Elle n'est pas pour le moins sans raison,
Car ces nouveaux venus,
Je parle des valets,
Sont toujours si soigneux
Les premiers jours de bien servir leurs maîtres,
Que le plus paresseux
Surpasse en ce temps-la
Tous ceux d'une maison.
Tout ainsi font ces belles,
Les premiers jours que nous les enrôlons
Dans le nombre de celles
Que nous voulons aimer,
Ce ne sont que douceurs,
Qu'oeillades, que faveurs,
Que toute courtoisie;
Nous sommes écoutés,
Nous sommes préférés;
Mais sais-tu bien, Aglante,
Quelle en est la raison?
C'est pour nous attraper,
C'est pour nous attacher
Avec des liens
Plus forts et plus serrés;
C'est pour faire allumer
Plus ardemment les flammes,
Qui déjà sont éprises
Dans nos coeurs innocents:
Car aussitôt, hélas!
Aussitôt qu'elles pensent
De nous avoir bien pris,
Et que cette constance,
Que va prêchant Sylvandre,
Ne permet plus sans blâme et déshonneur
Qu'on les puisse quitter,
Adieu faveurs, adieu trompeurs appas,
La cruauté commence de paraître,
Nous voilà mis dedans le rang des autres,
Nous ne sommes plus rien,
Et faut qu'à notre tour
Nous souffrions pour quelque autre
Ce que déjà l'on a souffert pour nous.
AGLANTE
Cesse Hylas mon ami,
Tu sèmes sur l'arène,
Tu parles aux rochers,
Personne ne t'écoute,
Vaines sont tes paroles,
Rien ne peut divertir
Mon coeur de la servir,
Cette belle cruelle.
Lorsque je cesserai
D'adorer sa beauté,
Je veux cesser de vivre,
Et qu'elle aille augmentant,
Autant en ses rigueurs
Sur toutes les cruelles,
Que sa beauté surpasse les plus belles:
Toujours, toujours, Aglante, l'on verra
Adorer Sylvanire:
Et vois-tu bien, Hylas,
Si je suis éloigné
De ton avis, j'aimerais beaucoup mieux
Être privé des yeux,
Que de les employer
À voir avec amour
Quelque beauté nouvelle.
HYLAS
Et telle est ton humeur.
AGLANTE
Je te l'ai dite, Hylas.
HYLAS
Fais donc, si tu m'en crois,
De bonne heure, berger,
Bonne provision
De longue patience
Et de bonnes lunettes;
Je dis de patience,
Afin de supporter,
Sans plaindre ou murmurer,
Tous les tourments si longs et si fâcheux
Qui te sont préparés.
AGLANTE
Et pourquoi des lunettes?
HYLAS
Afin que s'il advient
Qu'après un long service,
Ce que je ne crois pas,
Elle et toi parvenus
Aux vieux ans de Nestor
Par le cours d'un long âge,
Tu la puisses gagner,
Cette vieille cruelle,
Ces lunettes au moins
Te puissent faire voir
De ces rances beautés
Les dépouilles ridées,
Car autrement tes yeux,
En un âge si vieux,
Pourront malaisément
Te faire voir cette blanche toison,
De qui ta foi t'aura fait le Jason.
AGLANTE
Ah! Berger tu te ris
Du malheur où je suis,
Au lieu de plaindre en ami ma fortune.
HYLAS
Celui n'est pas à plaindre
Qui chérit son malheur.
AGLANTE
L'ami de son ami
Sent au moins la douleur.
HYLAS
À quoi te peut servir
Que ton mal je ressente?
AGLANTE
La bonne volonté
Pour le moins nous contente.
HYLAS
Mais s'il ne te plaît pas
De sortir de ta peine,
La mienne y serait vaine:
À quoi sert au malade
Du médecin l'extrême vigilance,
S'il ne veut pas suivre son ordonnance?
Et pour te faire voir
Que je ne suis menteur,
Or sus dis moi, veux tu trouver remède
À ton malheur extrême?
AGLANTE
N'en doute pas.
HYLAS
N'aime qu'autant qu'on t'aime.
AGLANTE
Mais je ne puis.
HYLAS
Si tu veux tu le peux.
AGLANTE
Mais je ne veux.
HYLAS
Va t'en donc dans Lignon.
AGLANTE
Que veux tu que j'y fasse.
HYLAS
Vas y noyer et ta vie et tes feux:
Ainsi fit Céladon
Étant atteint d'un mal semblable au tien,
Céladon le berger,
Qui ne voulant changer, dans les eaux de Lignon
Chercha remède à son mal, ce dit-on.
AGLANTE
Tu te déçois, Hylas,
Lignon malaisément
Peut éteindre d'amour
L'extrême embrasement,
Puisque tout l'océan
Des flammes de Neptune,
Jamais, jamais, ne peut en éteindre une.
HYLAS
En quoi pourrais-je donc,
Aglante mon ami,
Te rendre du service,
Si mes conseils ne te semblent pas bons?
AGLANTE
Tu peux, si tu le veux,
Parler à cette belle;
Je sais qu'elle te croit,
Et que le parentage
De Ménandre, et de Stelle,
Te donne du crédit
Envers Ménandre, et Sylvanire encore,
Et parlant à Ménandre
Fais lui honte, berger,
De la sacrifier,
La belle Sylvanire,
À ce veau d'or qui s'appelle Théante,
C'est ainsi que se nomme
Le bienheureux berger,
À qui l'on veut donner
Cette belle bergère.
Qu'il ne manque pas d'hommes
Pour donner à sa fille,
Qui pourraient bien avoir
Peut-être moins de bien
Que Théante n'a pas,
Mais qui d'autre côté
Seraient plus convenables
À l'âge de sa fille,
Et peut-être à l'humeur
Encor plus agréables:
Dis lui que les richesses
Sont tellement aveugles,
Qu'aveugles elles rendent
Tous ceux qui les regardent:
Dis lui que la fortune
Peut en un jour ôter quand elle veut
Les sceptres, les couronnes,
Les trésors les plus grands,
Et que jamais les sages,
D'eux ni de leurs enfants,
Ne doivent assurer,
Sur de tels fondements,
Tous les contentements.
Et puis parlant à elle,
Ne peux-tu pas, berger,
Lui dire que ses yeux
Brûlent de leurs beautés
Les hommes et les dieux,
Et que tous ceux qui voient Sylvanire,
Ou meurent du plaisir,
Ou meurent du martyre.
Lui dire que je l'aime,
Ou plutôt je l'adore,
Et qu'elle ne doit pas
Avec tant de douceur
Nous promettre la vie,
Et donner le trépas.
Et bref, lui remontrer
Si de quelque pitié
Le secours je ne sens,
Que ma mort elle attende;
Mais avec ma mort
Qu'elle attende de même
D'un juste amour la certaine vengeance:
Car les dieux ne sont pas,
Ni fauteurs ni complices
De telles injustices.
Là tu peux ajouter
Tant et tant de raisons,
Pour lui montrer qu'elle doit amollir
Ce coeur, mais ce rocher
Que pour coeur elle porte,
Que peut-être à la fin
Tu la pourras changer,
Et la changeant, Hylas,
Éloigner mon trépas,
Me prolonger la vie,
Qu'Hylas je ne désire
Que pour servir plus longtemps Sylvanire.
Hylas mon cher ami
Je te prie et supplie,
Je t'adjure et conjure,
Et par notre amitié,
Et par celle de Stelle,
Voire encor si tu veux
Par toutes les plus belles
Que tu servis jamais,
Ou que tu serviras,
De m'assister en ce que tu pourras.
HYLAS
Tends moi la main, Aglante,
Et reçois le serment
Que ton ami te fait:
Je te jure, berger,
Par le gui de l'an neuf,
Et par la serpe d'or,
Dont ce présent des cieux
Détaché de son tronc
Tombe dedans le linge
Soutenu par les mains
De nos sacrés druides,
Que tu ressentiras
Combien Hylas, et te chérit et t'aime,
Et combien de crédit
Il peut avoir envers ta Sylvanire:
Espère, car enfin
Par raison il faut croire
Qu'elle se changera.
On dit que l'inconstance
Aux coeurs des femmes tient
Le propre lieu de l'âme,
Et Sylvanire est femme.
AGLANTE
Que veux-tu que j'espère,
L'espoir et la raison
Doivent avoir quelque correspondance.
Mais quand je me regarde
Et cette belle aussi,
Je me vois, ô berger,
Pauvre en mérite, et très riche en amour,
Et ma belle au contraire
Pauvre en amour, et très riche en mérite.
HYLAS
Espère, Aglante, espère,
Et te souviens ami,
Que la femme et la mort
Ont quelque ressemblance,
On les a bien souvent
Lorsque moins on le pense.
AGLANTE
Soit ainsi que tu dis;
Veuille amour me donner
Bientôt ou l'une ou l'autre.
SCÈNE VI
HYLAS
Or va pauvre berger,
Va t'en et continue
Le chemin que tu tiens,
Et sois certain, que tu ne peux faillir
D'être bientôt exemple mémorable
Des maux que la constance
Peut produire en amour:
L'opiniâtreté en ce qui ne se doit
Est chose autant blâmable,
Que la persévérance
Au bien est estimable.
Nous avons vu deux puissants témoignages,
Depuis fort peu de temps,
Du mal que nous rapporte
La sotte loi que Sylvandre nous prêche:
Celadon le berger
De toute la contrée
Le plus aimable, et le plus estimé,
Après avoir longuement adoré
Une jeune bergère,
Une imprudente fille,
Ne voilà pas, quoique l'on nous déguise
De sa cruelle fin,
Ne voilà pas qu'un désespoir l'emporte
Dans le profond des ondes de Lignon?
Mais le gentil Adraste
Pour l'amour de Doris,
Qu'est-ce qu'enfin le pauvre est devenu?
Après l'avoir aimée
Presque dans le berceau,
Et qu'il voit Palemon
Le possesseur du bien qu'il désirait,
Que fait cette constance?
Amour lui prend le coeur,
Mais elle lui dérobe
L'usage de raison.
Le voila fol, comme jà dès longtemps
Il avait bien été:
Car vraiment je les crois,
Tous ces opiniâtres,
Être aussi fols qu'Adraste:
Mais sa folie, alors autorisée
Par l'exemple de tous,
Hormis d'Hylas, de blâme l'exemptait.
Or je vois que bientôt
Aglante pour troisième,
De ces deux insensés
Le nombre augmentera.
Ne vaudrait-il pas mieux
Changer et rechanger
Mille fois tous les jours
D'amour et de maîtresse,
Que de perdre un moment
L'usage de raison
Pour aimer constamment?
Qu'elles viennent vers moi,
Ces belles rigoureuses,
Avec tous leurs dédains,
Et toutes leur rigueurs,
N'ayez peur que jamais
Elles puissent réduire
Mon courage à ce point,
Qu'un désespoir soit mon dernier remède,
Ou qu'un regret d'y voir un autre amant
M'ôte l'entendement.
Contre tous ces malheurs
J'ai des armes si bonnes,
Que leurs tranchants ne peuvent m'offenser.
Sont elles dédaigneuses?
Je les dédaigne aussi.
En aiment-elles d'autres?
J'en fais bien autant qu'elles.
Me vont elles changeant?
Croyez que sur ce point,
Si l'une d'entre toutes
D'un seul moment a pu me devancer,
Il faut que pour certain
Elle s'y soit prise de bon matin.
Mais la voici,
La belle Sylvanire,
Parlons lui pour Aglante.
SCÈNE VII
Sylvanire Fossinde Hylas
SYLVANIRE
Ô dieux, qu'il me déplaît
Que ce matin j'ai été paresseuse
Plus que toutes les autres,
Ayant perdu le plaisir de ce cerf
Que vous avez forcé:
Car dites-moi n'est-il pas vrai, Fossinde,
Qu'entre tous les plaisirs
Que nous pouvons avoir,
Rien ne peut égaler
Le doux contentement
Que la chasse nous donne?
Quel plus beau passe-temps
Saurait-on inventer
Pour s'éloigner du vice,
Que ce bel exercice?
FOSSINDE
Je le veux bien, puisque vous le voulez,
Je ne contredirai
Jamais à Sylvanire,
Encore que mon humeur
Serait, je le confesse,
De passer une vie
Un peu plus reposée
Que celle de la chasse.
SYLVANIRE
Mais pouvions-nous
Avoir plus de plaisir,
Que celui qu'avant-hier
Nous eûmes à la chasse,
Je jure quant à moi
Que je ne puis avec la pensée
M'en figurer quelque autre de plus grand.
HYLAS
Maigres plaisirs, bergères,
Sont ceux que vous prenez,
Et vous laissez, croyez-moi, les plus grands:
Mais c'est ainsi qu'il en advient toujours,
Lorsque l'élection
N'est point guidée avec l'expérience.
SYLVANIRE
Que voudrais-tu, berger,
En cet âge où nous sommes,
Après avoir conduit
Nos troupeaux au matin
Paître sans nul danger,
Et le trèfle et le thym,
Que nous puissions mieux faire,
Que de passer le temps
Ainsi que nous faisons,
À la pénible chasse?
Pénible, mais plaisante,
Tantôt de mille oiseaux,
Par des filets cachés,
Faisant un doux butin,
Tantôt par des gluaux,
Ou par un fin ramage,
En repeuplant nos cages?
Et quelquefois, berger,
Allant au bois dès le plus grand matin,
Le dard au poing, ou bien l'arc et la flèche,
La robe retroussée,
Telles comme les nymphes
Qui vont suivant Diane
Poursuivre vivement
La bête mal menée
Jusqu'aux derniers abois?
HYLAS
Ce sont maigres plaisirs,
Et m'en crois, Sylvanire,
Que ceux que tu racontes,
Que s'ils te semblent tels,
Ô folle, c'est d'autant
Que tu n'as point goûté
Ceux qui sont en effet
Les vrais plaisirs du monde.
Les glands jadis avec l'eau toute pure
D'une vive fontaine
Dedans la main puisée,
Furent de nos aïeuls
La chère nourriture,
Et les chères délices:
Mais depuis que le grain
De Ceres retrouvé,
Et de Bacchus la vigne cultivée
Vint à leur connaissance,
Les glands et l'eau furent tous deux laissés
Pour pâture au bétail,
Comme chose trop vile;
De même en feras-tu,
Et crois-le Sylvanire,
Lorsque l'expérience
T'aura des vrais plaisirs
Donné la connaissance.
FOSSINDE
Quant à moi je le crois
Ainsi comme il le dit.
HYLAS
Tu n'as que trop longtemps
Déjà dedans les bois
Cette chasse suivie,
Où le travail surmonte le plaisir;
Il t'en faut maintenant
Un autre commencer,
Où le plaisir surmontera la peine.
À quoi dedans tes mains
Ces flèches et ces dards?
Puisque dedans tes yeux
Tu portes plus de flèches et de traits,
Que toutes les bergères
Des rives de Lignon:
Ni que toutes les nymphes,
Qui vont suivant Diane dans ces bois,
N'en ont dans leur carquois.
Avec ces traits, ô belle Sylvanire,
Ces traits remplis d'amour,
Il faut que tu t'apprêtes
À faire tes conquêtes
Dedans les coeurs qui méritent tes coups,
Et non pas vainement,
Suivant dedans les bois
Une bête sauvage,
Passer ainsi ton âge.
FOSSINDE
Ce berger a raison.
HYLAS
Dedans les bois que les bêtes demeurent
Avec les autres bêtes,
Et qu'ensemble elles fassent,
Ainsi qu'il leur plaira,
Ou la guerre ou la paix.
Mais nous que la raison
A séparés d'entre elles,
Vivons et nous plaisons
Parmi les animaux
Que la nature a voulu rendre égaux.
Quel commerce faut-il
Que nous ayons, bergère,
Avec des ours et des bêtes sauvages?
Celui qui tout disposé,
S'il eut jugé qu'il le fallut ainsi,
Nous eut fait ou des ours,
Ou des bêtes sauvages,
Et au lieu de parler,
Avec les loups il nous eut fait hurler.
SYLVANIRE
Et la chasse et les bois
Sont mes chères délices,
Et quant à moi, quoique tu saches dire,
Je ne changerais point
La prise d'un chevreuil
À toutes les conquêtes
Des coeurs que tu me dis.
Et qu'ai-je affaire, Hylas,
De ces coeurs, qui me sont
Plus cruels ennemis
Que ne sont pas les bêtes plus farouches?
Ne sais-je point que ce fier animal
Que l'on nomme un amant,
Est le plus dangereux
Qui nous puisse approcher.
Mais dis-moi je te prie,
Qu'est-ce que veut de nous
L'amant qui nous recherche?
HYLAS
L'honneur de vous servir
SYLVANIRE
Mais plutôt cet honneur
Il nous voudrait ravir.
Crois-tu que je ne sache
Que de tant de soupirs,
Que de tant de services,
Et que de tant de voeux
Le dessein principal
Ne soit pour notre mal?
Les ours, il est certain,
Sont privés de raison,
Et quelquefois les loups
Se repaissent de nous:
Mais les loups ni les ours,
Pour grand nombre qu'ils soient,
Ne sont si dangereux
Qu'un homme seul, qui sous titre d'amant
Nous hante finement.
FOSSINDE
Tous ne sont pas ainsi,
L'homme à l'homme est un loup:
L'homme à l'homme est un dieu.
SYLVANIRE
Et c'est pourquoi nous fuyons par raison
Dedans les bois ces cruels ennemis,
Où nous trouvons, à la honte des hommes,
À notre honnêteté
Beaucoup plus de sûreté.
HYLAS
S'il était vrai comme tu dis, bergère,
Que les amants fussent vos ennemis,
Hélas que d'ennemis
T'aurait acquis ta beauté, Sylvanire;
Car je ne vois personne
Qui ne meure d'amour
En voyant tes beaux yeux.
SYLVANIRE
Qu'il soit, ou ne soit pas,
Cela m'importe peu,
Car j'aime beaucoup mieux
Qu'ils meurent par mes yeux,
Que si mon coeur devenait si peu sage
Qu'il crût à leur langage.
HYLAS
Ô farouche pensée
D'un esprit insensible,
Le ciel te punira,
Si bientôt, Sylvanire,
Tu ne changes ce coeur
Que tu retiens d'une ourse bocagère
En celui de bergère.
Orgueilleuse beauté
Pourquoi peux-tu penser
Que le ciel t'ait donné
Cette extrême beauté,
Qui te rend tant aimable,
Et tant aimée aussi?
Quoi? Pour faire mourir,
Par des rigueurs extrêmes,
Tous ceux qui te verront,
Le ciel eût bien été
Injuste autant que toi,
De te pourvoir au dommage de tous
D'une beauté si rare,
Et tous les yeux qui te verront jamais
Avec raison se plaindraient bien du ciel,
Et du cruel destin.
Mais au rebours, bergère,
Ce puissant dieu qui t'a faite si belle,
Quand tu naquis prononça par tes yeux
Cet oracle infaillible:
Cette beauté rendra
Les hommes plus heureux
Que ne sont pas les dieux,
Et dès lors le génie
Que le ciel a donné,
Comme pour conducteur,
Au beau berger Aglante,
À t'aimer le poussa
De telle passion,
Que ta seule beauté
Peut être égale à son affection.
SYLVANIRE
Parles-tu pas d'Aglante?
Aglante le berger,
Le seul fils de Cléandre?
HYLAS
C'est de lui, Sylvanire.
SYLVANIRE
Ce n'est donc que de lui
Dont tu me veux parler;
C'est assez, je t'entends,
C'est le berger Aglante,
C'est le fils de Cléandre:
Mais ma chère Fossinde
N'est-il pas gracieux
De me parler d'Aglante?
HYLAS
Mais voyez cet orgueil,
Voyez la dédaigneuse,
On lui fait un grand tort
De lui parler d'Aglante.
SYLVANIRE
Mais c'est donc d'Aglante
Le seul fils de Cléandre,
Duquel tu veux parler.
Ô je t'entends, ô je t'entends, Hylas,
C'est le berger Aglante,
Le seul fils de Cléandre,
Aglante le berger.
HYLAS
Va cruelle beauté,
Va jeunesse peu sage,
Trop orgueilleux esprit,
Va courage indompté,
Si le ciel ne punit
Si grande cruauté,
Il ne sera pas juste.
SYLVANIRE
Parles-tu pas d'Aglante,
D'Aglante le berger,
Le seul fils de Cléandre?
Qu'Hylas est en colère,
Il s'en va bien fâché.
SCÈNE VIII
Fossinde Sylvanire
FOSSINDE
Vous plaît-il, Sylvanire,
Que le vrai je vous dise,
Je ne crois pas, que ce qu'Hylas vous dit
Soit tant hors de raison.
SYLVANIRE
Soit tant hors de raison,
Comment l'entendez-vous?
FOSSINDE
Ma soeur je l'entends bien:
Dites-moi je vous prie,
Quand nous aurions forcé
Tous les cerfs de ces bois,
Pour cela que serait-ce,
Et quel grand avantage
Nous en reviendrait-il?
Seulement de la peine,
Et de la peine encore
Que je trouve bien vaine.
Aller parmi les bois
Se déchirer la chair
Avec les habits,
Laisser contre une ronce
La toison attachée
De nos cheveux, comme font nos brebis,
Se planter quelquefois
Bien avant dans les pieds
Une tranchante épine,
Suivre par les rochers,
À travers les montagnes,
Aux soleils plus ardents,
Et courre tout un jour
La bête qui s'enfuit,
De la chasse, ô ma soeur,
N'est-ce pas tout le fruit?
J'aime bien mieux, pour moi je le confesse,
Passer sans tant de peine
Plus doucement la vie,
Entre les jeux mignards
Des bergers et bergères,
Les voir, ces beaux bergers,
Courre, sauter, lutter,
Et les voir, ces bergères,
Filer, danser, chanter,
Les uns mourants d'amour
Essayer de fléchir
Avec milles prières
Ces âmes trop altières;
Les autres au rebours
Ne se souciant guère
D'eux ni de leurs prières:
De petites rigueurs,
Qui tiennent lieu quelquefois de faveur;
Se montrer plus cruelles
Qu'elles ne le sont pas,
Mais non pas toutefois
Autant qu'elles sont belles:
Et lors entre eux par des douces disputes,
Par des petites guerres,
Par des petites paix,
Rompre, nouer, et dénouer encore,
Puis rattacher par des noeuds plus serrés
Leurs amours innocentes.
Je me plais, il est vrai,
À voir ce que je dis,
Plus qu'aux durs exercices
D'une pénible chasse,
Où l'on n'entend sinon
Que des chiens clabauder
Avec confusion,
Où tout ce que l'on voit
Sont des ronces sauvages,
Ou des plaines brûlées,
Ou des âpres montagnes,
Ou des rochers rompus en précipices
Par où s'enfuit une bête suivie
De plusieurs autres bêtes.
Dites moi Sylvanire,
À nous voir courre ainsi,
Qui ne nous jugerait
Des bacchantes plutôt,
Que non pas des bergères?
SYLVANIRE
L'oisiveté c'est la mère du vice;
C'est pourquoi l'exercice
À celles de notre âge
Apporte, croyez-moi,
Un très grand avantage.
Amour qui suit, et sans cesse poursuit
Une molle jeunesse,
Aisément dans ces jeux
Et dans ces passe-temps
En rencontre le temps,
Au lieu qu'il ne peut pas,
Quoiqu'il soit fin, et quoiqu'il soit léger,
Nous atteindre si fort
Dans les durs exercices.
Et par ainsi, ce travail bien petit
Nous exempte des coups,
Dont il blesse les coeurs
Qui sont oisifs avec tant de rigueurs.
SCÈNE IX
Adraste fol, Sylvanire, Fossinde.
ADRASTE
Amour, gente fillette,
Ne va pas au marché,
Il se tient mieux caché,
La fine bête,
Bête, non, mais un dieu
Qui naît dans le moyeu (6)
D'un oeuf d'autruche,
Doris le fait éclore avec ses beaux yeux,
Et le malicieux
De la coque qui reste
Il en fait une cruche;
Car il est bien subtil.
Dites-moi qu'en fait-il?
Il l'emplit de son fiel,
Et du miel d'une avette, (7)
Le miel sur Palemon
Son mignon,
Le fiel sur Adraste il jette.
SYLVANIRE
Fuyons ma soeur, c'est le berger Adraste,
À qui l'amour a fait perdre le sens.
FOSSINDE
Plusieurs sont comme lui
Qui ne s'en vantent pas,
Et que l'on ne fuit pas:
Mais n'ayez point de peur,
Il n'est pas malfaisant,
Je l'ai vu, Sylvanire,
L'un des gentils bergers
De toute la contrée,
Et n'est-ce pas pitié
Que l'amour l'ait réduit
À ce point déplorable?
SYLVANIRE
Je l'ai vu tel, ma soeur, que vous le dites,
Puis l'amour de Doris
L'a mis en cet état:
Mais à quoi pense-t-il?
Voyez un peu la mine qu'il nous fait:
Ô dieux qu'il est affreux!
Allons-nous en Fossinde,
Vous verrez qu'à la fin
Il nous fera du mal.
FOSSINDE
Ne fuyez point, il vous courrait après,
Mais tenons bonne mine,
Quelque berger peut-être surviendra.
SYLVANIRE
Dieux! Qu'est ce que l'amour?
ADRASTE
Ce que c'est que l'amour,
Je m'en vais le vous dire.
Amour, fillette, est le jeu coquimbert, (8)
Qui gagne perd.
Amour est au contraire
D'une châtaigne en gousse
Piquante par dehors,
Et par dedans fort douce.
Amour est la lanterne,
Mais lanterne allumée,
Au dedans est le feu,
Dehors quelque clarté,
Mais beaucoup de fumée.
SYLVANIRE
Mon dieu qu'il est plaisant.
FOSSINDE
Je trouve qu'il dit bien:
Mais faisons le parler.
Berger qu'est-ce qu'amour?
ADRASTE
Amour c'est un vieux singe
Qui fait à tous la moue,
Et mord souvent celui qui trop s'y joue.
SYLVANIRE
Ah! Sur ma foi ma soeur
À ce coup il dit vrai.
FOSSINDE
Or sus qu'est ce qu'amour?
ADRASTE
Qu'est-ce qu'amour, c'est un gros escargot.
FOSSINDE
Escargot, et pourquoi?
ADRASTE
Ah c'est d'autant, que pour peu qu'il séjourne
Soudain il fait les cornes:
Mais croyez, belle fille,
Que de cet escargot
Vous êtes la coquille.
FOSSINDE
N'est-il pas bien plaisant?
Or sus qu'est-ce qu'amour?
ADRASTE
Amour c'est la quenouille
Que plus l'on veut filer,
Et que plus on embrouille.
FOSSINDE
Non, non, tu te déçois.
ADRASTE
C'est donc une marmite
Et du feu par dessous:
Le feu, filles, c'est vous,
Et nous les pois que le bouillon agite.
SYLVANIRE
Mais n'en faut-il pas rire?
FOSSINDE
Dis donc qu'est-ce qu'amour?
ADRASTE
Amour c'est un pourceau,
L'ordure il aime fort,
Et ne vaut jamais rien
Sinon quand il est mort.
SYLVANIRE
Je crois bien qu'il dit vrai.
ADRASTE
Et bref amour ressemble à la souris
Qu'un chat poursuit,
Et qui s'enfuit
Deçà, delà;
Enfin voila
Qu'elle rencontre un trou,
Monsieur le chat trompé
En peut chercher une autre à son souper.
Adraste il est bien vrai,
Doris te fît ainsi,
Trop injuste Doris,
Trop ingrate Doris,
Lorsque pour Palemon
Adraste elle laissa,
Adraste elle trompa,
Adraste elle trahit,
La perfide qu'elle est.
FOSSINDE
Il entre en sa furie.
ADRASTE
Où s'en est-elle allée
Avec son Palemon?
La trouverai-je point
Pour me venger quelquefois en ma vie?
Oui je l'étranglerai
Avec mes propres mains,
Et son petit mignon,
Son aimé Palemon:
Mais la voici.
SYLVANIRE
Ma soeur je meurs de peur.
FOSSINDE
Non, non, ce n'est point elle.
SYLVANIRE
Vous vous riez Fossinde,
Je vous jure ma soeur
Que je tremble de crainte.
ADRASTE
Ce n'est pas celle-ci?
FOSSINDE
Non, non, ce ne l'est pas.
ADRASTE
Ne serait-ce point toi,
Qui pensant me tromper
As changé de visage?
FOSSINDE
Non, non, la veux-tu voir,
La voilà ta Doris,
La voilà qui s'en va
Avec son Palemon.
À Doris.
Bonjour belle Doris
Où courez vous si vite?
Venez vers nous Doris.
ADRASTE
Venez vers nous Doris,
Doris venez vers nous.
FOSSINDE
Ô comme elle s'enfuit!
ADRASTE
Elle s'enfuit, je l'atteindrai bientôt
FOSSINDE
Je savais bien qu'avec cet artifice
Nous nous en déferions.
SYLVANIRE
Dieu soit loué Fossinde:
Mais avant qu'il revienne
Allons-nous en aussi:
Mais ô dieux il revient,
Fuyons, ma soeur, fuyons.
LE CHOEUR
Ceux qui d'amour font la peinture,
Enfant ailé nous le feignant,
Sans savoir quelle est sa figure
Vont à l'aventure peignant.
Car il n'est mâle ni femelle,
Homme ni Dieu, jeune ni vieux,
Mais plusieurs choses pêle-mêle
Dont il nous abuse les yeux.
Des dieux il a bien la puissance,
Mais des mortels l'infirmité,
Des femmes il a l'inconstance,
Et des hommes la fermeté.
Du jeune il a la hardiesse,
Du vieux déjà le sang glacé,
Du sage il retient la sagesse,
Et la fureur de l'insensé.
Lion de force et de courage,
Brebis de faiblesse et de peur,
Ferme rocher, plume volage,
Autant trompé comme trompeur.
Et bref, amour c'est un mélange
De toutes choses en un point,
Dont la nature est tant étrange,
Qu'enfin je ne la connais point.
Je sais toutefois qu'on appelle
Comme je dis ce grand démon,
Mais sa nature quelle est elle?
Pour moi je n'en sais que le nom.
ACTE II
ACTE II
SCÈNE I
SATYRE
Injuste amour, pourquoi si rarement
Unis tu les desseins
Des fidèles amants?
Pourquoi perfide as-tu tant de plaisir
De voir dedans deux coeurs
Un différent désir?
Je brûle et meurs d'amour
Pour Fossinde la belle,
Fossinde aime Tirinte,
Tirinte Sylvanire:
Et Sylvanire, ô dieux!
Ne daigne voir Tirinte,
Ni Tirinte Fossinde,
Ni Fossinde cruelle
Me regarder, et si je meurs pour elle.
L'abeille aime les fleurs,
Mais le cruel amour
Se repaît de nos pleurs.
Il aime, le cruel,
De voir languir, souffrir,
Puis à la fin mourir
Noyé dedans les larmes,
Sans que nulle douleur
Que l'amant puisse avoir
L'émeuve à la pitié
Qu'il doit avoir de lui.
Vraiment tu montres bien
Que ta mère naquit
Dans les flots de la mer;
Et qu'on te doit nommer,
Au lieu d'amour amer:
Amer vraiment amour,
Puisqu'à ceux qui te suivent
Tu ne donnes jamais,
Et telle est ta coutume,
Sinon de l'amertume.
Amers sont nos espoirs,
Amers sont nos désirs,
Et d'absinthes amers (9)
Sont mêlés nos plaisirs,
Si des plaisirs toutefois tu nous donnes.
Je sais bien que les dieux
Veulent que les mortels
Cueillent toujours la rose
Au danger de l'épine,
Et que le miel si doux
Ne se prend dans la ruche
Sans courre le danger
Des piquantes abeilles.
Mais ton rosier, amour,
Sans rose ne produit
Que des pointes tranchantes,
Et tes ruches sans miel
Que des mouches piquantes;
De sorte que la main
Qui veut cueillir tes fleurs,
Ou le miel que tu donnes,
Ne rencontre jamais
Que des égratignures,
Ou bien, hélas! Des cuisantes piqûres.
Tu sentis autrefois,
À ce que l'on nous dit,
Quelles sont de tes flèches
Les blessures amères,
Quand pour une Psyché
Dessus toi même il te plut d'essayer
La force de tes coups;
Et cela toutefois
Ne t'a rendu plus doux
Envers ceux que tu blesses.
Mais je crois au contraire
Que cet essai t'a rendu plus cruel,
Comme si tu voulais
Dessus autrui te venger de toi-même.
Et ne voyons-nous pas
La même cruauté
Dans le coeur de Fossinde?
Car autrement, ô Fossinde cruelle,
Qui pour Tirinte as ressenti le mal
Que tu me fais souffrir,
Comment ne changes-tu
Cette extrême rigueur,
Puisque tu sais quel tourment elle donne?
Ne vois-tu pas, bergère,
Qu'en cette cruauté
Que tu me fais sentir,
Très justement amour
Fait que Tirinte aussi
Te dédaignant me venge?
Mais faut-il que longtemps
Ce mépris je supporte?
Moi, dis-je, qui ne cède
En noblesse de sang,
Non pas même au dieu Pan:
Qui voit de mes troupeaux
Les campagnes couvertes;
Troupeaux de qui le lait
Presque en toute saison
Inonde ma maison:
Qui des biens de Cérès (10)
Et de ceux de Pommone (11)
Vois mes toits regorger,
Soit l'été, soit l'automne.
Moi, dis-je, qui de force
Surpasse un Briarée, (12)
Un Hercule en courage,
Et bref qui ne vois point
Un mortel qui m'égale,
En tout ce qu'un mortel
Peut avoir d'estimable:
Supporterai-je encore longuement
Qu'une affectée, une imprudente fille,
Aille estimant un berger plus que moi?
Un berger qui n'a rien
Qui puisse être estimable,
Sinon qu'il a la peau tendre et douillette,
Le teint uni comme du lait caillé,
L'oeil affetté, le visage sans rides, (13)
Et les cheveux en ondes recrêpés, (14)
Ressemblant mieux en somme
Une fille qu'un homme.
Ignorante bergère,
Si tu savais combien se doit fuir
L'homme qui fait la femme,
Tu chérirais beaucoup plus mon visage,
Puisqu'étant homme
Un homme je ressemble,
Et non pas une fille
Comme Tirinte fait.
Mais réponds-moi Fossinde,
Croirais-tu d'être aimable,
Si fille étant on voyait ton visage
Se revêtir de poil
Comme celui des hommes?
Comment trouves-tu beau
En ce tendre berger
De n'y remarquer rien
De l'homme que le nom?
Mais je prêche aux déserts,
Je parle aux vents, et je perds mes paroles:
Fossinde la cruelle
Ne m'entend point, et quand ma voix encore
Atteindrait ses oreilles,
Je sais qu'en vain elle les entendrait,
Tant elle est affolée
De ce teint damoiseau,
De ces cheveux frisés,
De ces roses nouvelles
Qu'un hiver flétrira,
Ou le moindre soleil
Dont il se hâtera:
Et c'est pourquoi je veux sans plus attendre
Lui montrer en effet
Quel je suis, quel il est;
Je ne veux plus recoure à ces prières,
Que jusqu'ici si vaines j'ai trouvées,
Je me veux désormais
Servir des avantages
Que j'ai de la nature.
Tu m'enseignes, Tirinte,
Ce que je devrais faire,
Et jusqu'à ce moment
Je ne l'ai su connaître.
Tu te prévaux des grâces que Nature
En ton visage a mises,
Et n'est-ce pas me dire,
Qu'il faut que je me serve
De ce que j'ai de même
De plus avantageux?
La force et le courage
Ont été mon partage;
Donc par cette force,
Donc par courage
Saisissons-nous de cette dédaigneuse,
Et montrons lui le courage et la force
Que nous avons, peut-être se voyant
Réduite à la merci
Que nous voudrons lui faire,
Se repentira-t-elle
D'avoir été cruelle.
Qu'elle crie au secours,
Qu'elle appelle Tirinte,
Nous le verrons venir,
Ce tendre jouvenceau,
Cette douce pucelle
Sous l'habit déguisée,
Et sous le nom d'un homme:
Si toutefois, ce que je ne crois pas,
Il en a le courage,
Je jure Pan le grand dieu bocager,
Je jure de Lignon l'un et l'autre rivage,
Je jure par les bois
Dont Isoure s'honore; (15)
Et bref je jure et je proteste ici
Par mon bras invincible,
Que s'il y vient au secours de la belle,
Je veux de cette masse
Ravir d'un coup vainqueur,
Et l'âme de son corps,
Et l'amour de son coeur.
Je sais que bien souvent
Elle vient par ces bois,
Cette imprudente fille,
Je m'en vais me cacher
Dans ce buisson touffu,
Attendant qu'elle vienne:
Si je puis l'attraper,
Elle aura beau crier
Avant qu'elle m'échappe:
Aussi bien m'a-t-on dit
Que bien souvent ces belles
Veulent que leurs faveurs
On prenne en dépit d'elles,
Et que par force on semble être vainqueur
D'un combat, où vaincues
Elles sont de bon coeur.
SCÈNE II
SYLVANIRE
Le ciel jamais ne fait rien d'inutile,
À ce que l'on nous dit?
Mais pourquoi donne-t-il,
S'il est ainsi, la franche volonté
Au sexe dont je suis,
Puisque jamais on ne voit que la femme
Se puisse prévaloir
De son propre vouloir:
Tant que nous sommes filles
Se peut-il voir esclave
Plus sujet que nous sommes
Aux volontés du père et de la mère?
Et si nous espérons
De rompre ces liens
Avec le mariage,
Que nous sommes déçues,
Puisque d'autres liens
Mille fois plus serrés
Mettent en servitude
Encor nos volontés:
Car les maris (enfin ce sont les hommes
Qui firent cette loi)
Les maris, dis-je, avec tyrannie
Vont s'usurpant toute l'autorité
Sur notre volonté.
Que si le ciel enfin,
Rompt encor ces liens
Qu'un mariage étreint,
Nous séparant par la mort d'un mari,
Nous voila rattachées
Encore de nouveau
Par d'autres noeuds plus forts que les premiers.
Le père s'il survit,
Ou bien à son défaut
Le plus proche parent,
Nous prive incontinent
De pouvoir disposer,
Ainsi que nous voudrions,
Du reste de nos jours.
S'il est ainsi (comme il n'est que trop vrai)
Qu'on me dise en quel temps
Nous peut jamais servir
La libre volonté
Que du ciel nous avons.
Ô misérable état!
Que celui de la femme,
De qui la volonté
N'est jamais de saison,
Et de qui la raison
Est sans autorité:
Et toutefois il ne faut pas se plaindre
De ce grand dieu sous telle servitude;
Car ce n'est pas de lui
Dont procède ce mal,
Les hommes seuls, ah! Ce sont les seuls hommes,
Qui par la force ont ces lois établies:
Lois injustes sans doute,
Puisqu'à notre dommage
Elles ne sont qu'à leur seul avantage.
Ne voilà pas, dois-je dire mon père,
Ou Ménandre plutôt
Sans ce doux nom de père,
Puisque le père à son enfant jamais
Ne doit ravir la vie,
Et qu'il ravit la mienne
Par la force qu'il fait,
Ou qu'au moins il veut faire
Contre ma volonté.
Ne voila pas cet avare Ménandre,
Ainsi le nommerai-je;
Ô dieu ne voilà pas
Qu'avec mille rigueurs
Il veut sacrifier
La pauvre Sylvanire
À ce fâcheux Théante,
Qui m'est plus en horreur
Que l'horreur ne peut être.
Ah! J'aime mieux, j'aime bien mieux cent fois
Épouser un tombeau.
Fasse le ciel ce qu'il voudra de moi,
Jamais, quoiqu'on m'en die,
Je n'y consentirai.
Et lorsque par la force
On m'y voudra contraindre,
La mort plus douce avec son secours
Abrégera mes jours:
Tout le regret qu'alors
Dans le cercueil je pourrai ressentir,
Sera sans plus de te laisser, Aglante,
Avec l'opinion
Que Sylvanire est ingrate envers toi:
Car je confesse, et je l'avoue ici,
Où pour témoins j'ai seulement ces arbres,
Que tes vertus, Aglante,
Que ta discrétion, que ton affection,
Et que tes longs services
Méritaient de trouver
Quelque autre plus heureuse
Que Sylvanire à ton dam ne l'est pas.
Mais que saurais-je faire,
Puisque si je t'aimais
Il faudrait bien aussi
(Ainsi le veut ma cruelle misère)
Et souffrir, et me taire.
Ménandre qui desseigne
De m'allier à ce riche berger,
Ô damnable avarice!
Ne tourne pas les yeux
Sur ce qui vaut le mieux,
J'entends sur ta vertu,
Et dessus tes mérites:
Mais l'éclat seulement
D'un métal qui reluit
À l'oeil avare, également nous nuit.
Ne trouve donc étrange,
Aglante que j'estime
Plus que tous les bergers
Des rives de Lignon,
Si dedans les liens
Du devoir retenue
Connaître tu ne peux
Le bien que je te veux.
J'aime mieux que la mort
Mette fin à ma vie,
Que si l'on pouvait dire,
Amour enfin a vaincu Sylvanire.
SCÈNE III
Tirinte, Sylvanire.
TIRINTE
Quelle heureuse rencontre
Est celle que je fais,
Vous trouvant Sylvanire.
SYLVANIRE
Tirinte je ne sais
Pourquoi tu veux nommer
Heureuse ma rencontre,
Puisque si nul ne peut
Donner ce qu'il n'a pas,
Comment te donnerai-je
Ce bonheur que tu dis,
Si le bonheur jamais
Avec moi n'habita?
TIRINTE
Heureuse avec raison,
Ô belle Sylvanire!
Mon coeur vous peut bien dire,
Puisque non seulement
On vous doit estimer
Pour vos perfections,
Et pour votre beauté,
Sur toutes bien heureuse;
Mais plus encor pour pouvoir, s'il vous plaît
Rendre heureux un amant
D'un clin d'oeil seulement.
SYLVANIRE
Malaisément celui
Peut rendre heureux autrui,
Dont le pouvoir en son malheur extrême
Est faible pour soi-même.
TIRINTE
Ne dois-je pas heureux dire celui,
Qui (s'il le veut) peut rendre heureux autrui,
En chassant de soi même
Le mal qu'il croit extrême.
SYLVANIRE
Ce sont discours dont Tirinte repaît
Ceux qui veulent le croire;
Mais, ô berger, je sais pour mon malheur
Que ces propos ne sont que flatterie,
Et que mon mal est chose véritable.
TIRINTE
Aimer et vous flatter
Sont deux choses contraires,
Si bien que quand vous dites
Que Tirinte vous flatte,
Vous lui dites de même
Que son coeur ne vous aime.
SYLVANIRE
Si nous flatter et nous aimer ensemble
Sont tant incompatibles,
Il est certain, Tirinte,
Que toutes nous pouvons
Jurer assurément,
Que nul homme jamais
Ne se peut dire amant.
TIRINTE
Blasphème insupportable!
SYLVANIRE
Toutefois véritable.
TIRINTE
Mais la fausseté même.
SYLVANIRE
Que sans flatter quelqu'homme puisse aimer?
Et réponds-moi Tirinte,
N'est-ce pas bien flatter
De dire une beauté
Être toute parfaite,
Où d'autres yeux remarquent cent défauts?
TIRINTE
Ce mystère d'amour,
Ô belle Sylvanire,
Se peut mieux ressentir
Qu'il ne se peut pas dire;
Et toutefois pour vous ôter d'erreur
Je vous dirai, qu'il est vrai que l'amant
Estime la beauté
Qu'il aime et qu'il adore,
Plus parfaite et plus grande
Que toutes les beautés
Qui sont en l'univers;
Et s'il l'estime telle
Vous êtes bien cruelle,
Vous disant ce qu'il croit,
De l'estimer flatteur.
SYLVANIRE
Il est donc un menteur.
TIRINTE
Mentir, c'est quand on parle
Contre la vérité
Qui nous est bien connue,
Et qu'en soi-même
On sait bien que l'on ment:
Mais l'amant n'est pas tel,
Parce qu'en vérité
Il croit celle qu'il aime
Unique en sa beauté,
Et toutefois peut-être il se méprend.
SYLVANIRE
Il est donc ignorant.
TIRINTE
Ignorant, je l'avoue:
Mais de cette ignorance
On ne le peut blâmer,
Ayant pour précepteur
Des dieux le dieu plus grand,
Le puissant dieu d'amour,
Amour de qui les lois
Sans châtiment ne se peuvent enfreindre
Par le fidèle amant.
Car sachez, Sylvanire,
Qu'aussitôt que l'amour
Se rend maître de nous,
Incontinent d'un art industrieux
Nos yeux il change avec ses propres yeux;
De sorte qu'aussitôt
Que nous sommes amants
Notre oeil ne nous sert plus,
Et nous ne voyons rien
Qu'autant qu'il plaît au sien:
Et cela c'est d'autant
Que nul ne peut aimer
Que ce qu'il juge beau;
Mais un tel jugement
Jamais ne se produit
Sinon par le rapport
Que les yeux nous en font.
Or ce grand dieu d'amour
Qui veut que chacun aime,
Sans changer le visage,
Avec ses propres yeux
Trompe le jugement
Que peut avoir l'amant:
Et de là vient qu'on dit
Par un commun discours,
Jamais laides amours.
SYLVANIRE
Et par ainsi Tirinte
Sans offense on peut dire,
Qu'amour est un trompeur;
Et que tous les amants
Font de faux jugements.
TIRINTE
Vous pourriez bien mieux dire,
Bergère, s'il vous plaît.
SYLVANIRE
Et que pourrais-je dire?
TIRINTE
Que tout amant adore
La personne qu'il aime,
Et que n'ayant des yeux
Que pour voir ses beautés,
Il ne saurait juger
Rien qui soit plus aimable:
De là vient que son coeur
Est plein de passion,
Quand l'ingrate beauté
Qu'il aime et qu'il adore,
Ne correspond à son affection.
Par là vous jugerez
Quel est le mal que supporte Tirinte
Adorant Sylvanire,
Sylvanire la belle,
La belle, mais cruelle,
Cruelle, ô dieux, mais toutefois aimée
Plus encor mille fois
Qu'elle n'est pas cruelle.
SYLVANIRE
De quelle cruauté
Tirinte te plains-tu;
Et qu'est-ce que tu veux
Que Sylvanire fasse
Avec la raison?
TIRINTE
Avec la raison
Vous devez, Sylvanire,
Aimer celui qui n'adore que vous:
Amour l'amour demande,
Et la moisson de l'amour c'est amour.
SYLVANIRE
Et cette loi dis-moi
Se doit-elle observer
Par les bergers comme par les bergères?
TIRINTE
D'une loi générale
Personne n'est exempt,
Et cette loi, bergère,
Aime celui qui t'aime,
Est une loi que la nature a faite,
Que la raison approuve,
Que l'amour autorise,
Et que chacun observe,
Si ce n'est vous cruelle Sylvanire.
SYLVANIRE
Pour moi j'en suis exempte,
Parce que dans mon coeur,
Et la nature, et la raison aussi,
Ont empreint une loi
D'un chaste caractère
À celle-ci contraire,
Qui dit ainsi: sage n'aime jamais
Si tu veux vivre en paix.
Et quand aux ordonnances
De l'amour que tu dis,
Je fais gloire, Tirinte,
De ne rien observer
De tout ce qu'il commande.
Mais toi, berger, pourquoi n'observes tu
La loi que tu confesses
Être si juste et bonne?
TIRINTE
Je fais bien davantage
Que d'observer la loi:
Car, Sylvanire, j'aime
Autrui plus que moi-même,
Et de plus j'aime, hélas!
Ce qui ne m'aime pas.
SYLVANIRE
Non ce n'est pas cela,
Berger, que je veux dire,
Aime, aime seulement
La personne qui t'aime,
Observe bien la loi
Sans y rien ajouter.
TIRINTE
Si je ne dois aimer
Sinon celui qui m'aime,
Qui puis-je aimer si Tirinte je n'aime?
SYLVANIRE
Berger menteur que n'aimes-tu Fossinde,
Fossinde qui t'estime,
Fossinde qui mérite
Pour ses vertus d'être de tous aimée,
Et qui par ses beautés,
Et ses perfections,
Pourrait bien acquérir
Le plus parfait berger
De toute la contrée,
Si seulement son coeur y consentait.
Tu ne me réponds rien,
Es-tu muet? As-tu perdu la langue?
TIRINTE
Cruelle Sylvanire,
Injuste Sylvanire,
Ingrate Sylvanire,
Il ne te suffit pas
De tes dédains et de tes cruautés,
Pour tourmenter ce coeur
Dont ton oeil est vainqueur,
Si de plus tu n'ajoutes
À tant de cruautés,
Quoiqu'elles soient extrêmes,
Encore ce tourment
D'une importune fille,
Que plutôt que d'aimer
Dedans Lignon je voudrais m'abîmer.
Ah bergère! Ah bergère!
Si toutefois bergère
Une cruelle, une injuste, une ingrate,
On peut nommer sans offenser ce nom:
Cruelle, injuste, ingrate,
Si tu savais quelle est l'affection
Que Tirinte te porte,
Tu parlerais pour certain d'autre sorte.
Amour ne peut sur une vraie amour
Anter une autre amour,
Il faut que l'une meure,
Et pour moi je te jure
Que mille morts je m'élirais plutôt
Que l'amour de Fossinde,
Fossinde l'importune,
Fossinde que je hais,
Si ce que tu me dis
Est chose véritable,
Autant comme elle m'aime.
Dis-le lui, Sylvanire,
Si pourtant il te reste,
Cruelle, injuste, ingrate,
Encor quelque pitié:
Dis-le lui seulement;
Dis-le lui hardiment,
Et que jamais, jamais
Elle n'espère en moi,
Ni plus d'amour,
Ni moins de haine aussi.
SYLVANIRE
Tirinte c'est à tort
Que tu me vas blâmant,
Écoute mes raisons.
Mais dieu voici mon père
Je ne veux pas l'attendre.
SCÈNE IV
Ménandre, Tirinte, Alciron
MÉNANDRE
Mais ne l'ai-je pas vue,
Cette imprudente fille
Que je vais recherchant?
Tirinte dis-le moi
N'est-ce pas Sylvanire
Celle-là qui s'enfuit?
TIRINTE
Tes yeux, ô bon Ménandre
Cette fois t'ont déçu.
ALCIRON
Que c'est bien Sylvanire.
Tyr parce que la bergère
Que tu prends pour ta fille
C'est la jeune Almerine,
Almerine qui cherche
Par ces buissons touffus,
Et parmi ces rivages,
La brebis la plus chère
Qu'elle ait dans son troupeau.
MÉNANDRE
Almerine dis-tu,
Et non pas Sylvanire?
TIRINTE
Almerine, il est vrai.
MÉNANDRE
Je confesse, berger,
Que mes yeux à ce coup
Ont été mensongers.
ALCIRON
Ou bien plutôt Tirinte.
MÉNANDRE
Mon dieu que la jeunesse
Tout à coup se fait grande;
Je la vis, cette fille,
Chez son père Andronire,
Si j'ai bonne mémoire,
Six lunes ne sont pas
Encore bien passées,
Mais certes si petite,
Que c'est avec raison
Si mes yeux m'ont trompé
S'étant faite si grande
Depuis si peu de temps.
Il est vrai que les filles,
Ainsi comme l'on dit,
Croissent en une nuit;
Il faut bien qu'Andronire
Commence d'avoir soin
De lui trouver mari,
Et surtout de l'argent:
Car aujourd'hui c'est l'argent qui fait tout.
Tant de beauté qu'on veut,
Tant d'attraits agréables,
Tant de nobles aïeuls,
Tout cela ce n'est rien,
Si pour enseigne il ne pend au logis
Or et argent, personne ne la veut,
Cette extrême beauté,
Ces attraits agréables,
Sinon peut-être un autre encor plus pauvre
Mais aussi n'est-ce pas
Une grande folie
Que de se marier,
Si l'argent comme guide
Ne marche le premier?
Personne ne se paît
Trois jours entiers de la seule beauté,
Depuis qu'il faut mettre couteaux sur table,
Il faut bien d'autres choses
Que ces afféteries,
Que ces attraits aimables,
Ni que tant de beautés;
Cent quintaux assemblés
De telle marchandise,
Ne saouleraient le moindre de tous ceux
Qui sont dans un logis.
Ah! Si ces jeunes filles,
Je parle pour la mienne,
Savaient combien est grande
La peine que l'on a
Pour conduire un ménage,
Pour éviter la pauvreté honteuse,
Et combien peu se trouvent aujourd'hui
De partis convenables,
Je sais bien pour certain
Qu'elles ne seraient pas
Si peu reconnaissantes,
Qu'elles ne les reçussent,
Ces partis quand ils viennent.
Mais pour notre malheur
Cette inexperte et peu sage jeunesse
Ne reconnaît jamais
Son bien, que quand il est outrepassé:
Mais lors il n'est plus temps,
Ô jeunesse imprudente,
Tu l'as beau rappeler
Par les regrets d'un trop tard repentir,
N'espère plus qu'il doive revenir.
Le propre de ce point,
Qu'en toute affaire il faut savoir connaître,
Est de telle nature,
Que jamais plus, jamais il ne rappelle
Ces pas fuitifs pour retourner vers nous. (16)
Quand il nous vient trouver
Sachons le prendre, ou bien n'espérons plus
De le revoir une seconde fois:
Mais c'est grand cas de l'extrême imprudence
Qui suit cette jeunesse,
Inexperte jeunesse,
Et jeunesse peu sage,
La mère très féconde
Des incommodités
Qu'en vieillesse on ressent.
Encor serait-ce peu;
On les pourrait conduire,
Ces ignorantes filles,
Pourvu qu'avec toute leur ignorance
Elles crussent à ceux
Qui sont plus sages qu'elles.
Mais tant s'en faut elles ont un vouloir,
Et puis Dieu sait comme il est bien fondé,
Qu'à faute de raison
Elles vont soutenant
D'opiniâtreté.
Ô de mon temps qu'une fille eut osé
Dire sa volonté,
Et celui-ci me plaît
Plus que non pas cet autre,
Elle eut été tenue
Pour montre entre les filles,
Et chacun dans la rue,
En la voyant passer,
Vous l'eut montrée au doigt,
Disant, c'est celle-la.
ALCIRON
Mais d'où viennent ces plaintes,
D'où viennent ces censures
Que tu fais, ô Ménandre?
MÉNANDRE
Alciron elles viennent
D'une juste douleur
Qui me presse et m'oppresse
En ma faible vieillesse.
ALCIRON
Ménandre bien souvent
Nous nous représentons
Les maux plus grands qu'en effet ils ne sont.
MÉNANDRE
Qu'ils ne sont que trop grands
Ceux desquels je me plains,
Et je te les veux dire,
Et t'en faire le juge,
Si je te dis que j'aime
Ma fille Sylvanire.
TIRINTE
Aussi fait bien quelque autre.
MÉNANDRE
Autant qu'on puisse aimer
L'enfant qu'on a fait naître,
C'est chose superflue;
Car outre les raisons
Que tous les pères ont,
Encor s'il m'est permis,
Quoiqu'elle soit ma fille,
De le dire, berger,
Encore ses vertus
M'obligent à l'aimer.
TIRINTE
Et d'autres sa beauté.
MÉNANDRE
Car certes je puis dire
De n'avoir jamais vu
En cette jeune fille
Une seule action
Qui ne soit à louer,
Sinon pour le sujet dont je te veux parler:
Et c'est pourquoi chargé d'âge et de peine,
Ainsi que tu me vois,
Je vais toujours rêvant à son profit,
Sans pardonner à ces jambes tremblantes,
Et sans flatter ces bras
À moitié décharnés;
Je vais sans cesse, et sans cesse je cherche,
Et me travaille, afin de voir un jour
Qu'elle soit bien à son contentement.
Or j'ai tant fait avec mes amis
Que le berger Théante,
Théante à qui le ciel
D'une main libérale
A donné tant de biens,
Veut contracter alliance avec elle.
TIRINTE
J'en ferais bien autant.
MÉNANDRE
Dieu sait combien heureuse
Une fille sera parmi tant de richesses;
Car rien ne défaut là
Qu'elle puisse vouloir.
TIRINTE
Elle voudrait un homme,
Et non pas une bête.
MÉNANDRE
Et toutefois cette jeunesse folle,
Cette imprudente fille,
Quand je lui dis que Théante la veut.
TIRINTE
Aussi feraient bien d'autres.
MÉNANDRE
Théante l'héritier
Du plus riche berger
De toute la contrée,
Elle tourne la tête,
Comme si cette offense
Était insupportable,
Elle demeure muette
À ce que je lui dis,
Comme si ce parti
Se devait dédaigner.
Que si lors je la presse
De me faire réponse,
Les soupirs la devancent
Suivis de tant de pleurs
Qu'elle ne peut parler,
Et si je la contrains
Enfin de me répondre,
Parmi les pleurs et les sanglots menus,
Toujours un non s'échappe de sa bouche,
Et puis après ce non,
Cent protestations
Qu'elle veut être ou vestale ou druide.
TIRINTE
Quelle dévotion!
MÉNANDRE
Dieux, que ferais-je là?
Je me vois vieux, et désormais plutôt
Je dois songer au départ qu'il faut faire,
Que de penser aux affaires d'autrui,
Que si je meurs, ah! Que deviendra-t-elle?
TIRINTE
Qu'elle vienne vers moi.
MÉNANDRE
Ah, qui ne sait combien est misérable
Une jeune orpheline,
Entre les mains de ceux
Qui n'ont que le souci
De leurs propres enfants:
Si dedans le cercueil
On a le souvenir
Des choses des vivants,
Dieu quel serait l'ennui,
Quel serait le regret
De voir ce jeune enfant
Qui n'a point de malice,
Entre les mains de tel
Qui la dédaignerait,
Et la ferait servir
Ainsi comme une esclave
Aux choses les plus viles.
ALCIRON
Ô Ménandre, ô Ménandre,
Je n'eusse jamais cru
Qu'il sortit de ta bouche
De semblables paroles:
Toi dont le nom par réputation
Porte avec soi le titre de prudence.
TIRINTE
Voilà comme on se trompe.
ALCIRON
Comment? Tu veux marier une fille
Contre sa volonté?
MÉNANDRE
Et quelle volonté
Doit avoir une fille?
ALCIRON
Celle de sa raison.
Crois-tu qu'elle soit folle?
Que si cela n'est pas,
Pourquoi sa volonté
Ne se réglera-t-elle
Aux lois de la raison?
Et pourquoi dois-tu croire
Qu'aussi cette raison
Ne lui fasse vouloir
Ce qu'elle doit vouloir?
Aux bêtes plus grossières,
Les voulant conserver,
Ne suivons-nous, Ménandre, leur vouloir?
Et nos brebis quand elles veulent boire
Les faisons-nous au contraire manger?
MÉNANDRE
Nature leur apprend
D'une soigneuse cure.
ALCIRON
Crois-tu que plus avare
Soit pour nous la nature?
MÉNANDRE
Quoi donc l'expérience
Ne servira de rien?
ALCIRON
L'expérience est bonne,
Mais chacun sait son bien.
MÉNANDRE
Par ainsi les plus vieux
N'auront point d'avantage.
ALCIRON
Ils l'auront bien, Ménandre,
Mais qu'ils soient les plus sages.
MÉNANDRE
Et leur expérience?
ALCIRON
Jointe avec la prudence,
Autrement sois certain
Que cette expérience
Sert de si peu de chose,
Que c'est grande imprudence
De mettre entièrement
Tout son bonheur sur chose si douteuse.
J'ai vu des mêmes causes
Produire bien souvent
Des effets différents.
MÉNANDRE
Rien donc, berger, au monde n'est certain,
Puisque l'expérience est encore douteuse.
ALCIRON
Qu'il soit ainsi, Ménandre,
Que rien dedans le monde
Ne puisse être certain,
Faut-il pourtant conclure
Que cette Sylvanire,
Ô dieux! Qui n'en peut mais,
Soit pour cela malheureuse à jamais?
MÉNANDRE
Au contraire, berger,
Heureuse elle sera,
Pourvu qu'elle me croie:
Alciron mon ami
Qu'elle aura de troupeaux?
TIRINTE
Mais qu'elle aura de maux.
MÉNANDRE
Que de grands héritages?
ALCIRON
Que de cruels servages.
MÉNANDRE
Que de belles maisons?
TIRINTE
Que de tristes prisons.
MÉNANDRE
Que de riches habits?
ALCIRON
Que de mortels ennuis.
MÉNANDRE
Que lui défaudra-t-il
Ayant tant de richesses?
ALCIRON
Sans le contentement
Ce ne sont que tristesses.
MÉNANDRE
Avec la pauvreté
Toute chose déplaît.
ALCIRON
Riche est la pauvreté
Lorsque contente elle est.
MÉNANDRE
D'être contente et riche
Qui l'en empêchera?
ALCIRON
Le choix que tu feras.
MÉNANDRE
Théante l'aime tant:
ALCIRON
Elle le hait autant.
MÉNANDRE
Enfin il la vaincra.
ALCIRON
Peut-être il la vaincra,
Mais elle est très certaine
Que maintenant elle ne l'aime point;
De sorte que ton choix,
Sous la faible espérance
De ce bien incertain,
Lui donne un mal certain.
MÉNANDRE
Il est beau sans mentir
Qu'une fille ait un choix.
ALCIRON
Et sans choix n'est-ce pas
Une pièce de bois?
MÉNANDRE
Quoi choisir un mari?
ALCIRON
Et quoi donc un fuseau?
Ô trop insupportable
Des pères l'ignorance,
Ou plutôt cruauté
Qu'on peut avec raison
Appeler tyrannie.
Si pour filer une pauvre quenouille
Leurs filles vont choisir
Entre cent un fuseau,
Ils ne l'empêchent pas,
Et leur laissent le choix
De celui qu'elles veulent:
Mais s'il leur faut un mari pour jamais,
Non, non, il ne faut pas
Qu'elles le puissent faire,
Dit aussitôt le père.
Ô pauvres vieux rêveurs
Qui pensez sous vos lois,
Étant dans le tombeau,
Retenir vos enfants,
Qui pensez imprudents
Qu'ils aient même goût
En leurs tendres jeunesses,
Que vous avez en vos rances vieillesses:
Que vous êtes déçus,
Que vous êtes trompés;
Ceux que vous leurs donnés
Pour être leur maris,
Deviennent, croyez-moi,
Les plus fiers ennemis
Qu'elles puissent avoir:
Et faites par ainsi
Qu'hélas! Ces mariages,
Au lieu d'être en effet
Des champs élysiens,
Des paradis d'amour,
Ainsi qu'ils doivent être,
Se trouvent des prisons,
Ou plutôt des enfers,
Pour tourmenter vos filles.
Car juge un peu quel plaisir leur doit être
De se voir à jamais
Entre les bras des maris qu'elles ont
Plus mille fois en horreur que la mort:
Leurs baisers ne leur sont
Que des cruels supplices,
Leurs plus douces caresses
Des absinthes mortels,
Leurs honneurs des mépris
Qui blessent leur courage,
Et leurs dons des outrages.
Et quelques uns s'étonnent
Qu'on remarque si peu
De contents mariages,
C'est vous autres sans plus,
C'est votre cruauté,
C'est votre tyrannie,
Qui cause ces désordres:
Si vous laissiez choisir
Aux filles leurs époux,
Chacune choisirait
Celui qu'elle aimerait:
Mais votre autorité
Leur donne des maris
Qu'elles voudraient pleurer
Plutôt dans le tombeau
Un siècle entier, que non pas un moment
Caresser en amant.
Que si comme tu dis
On a dans le cercueil
Des vivants la mémoire,
Quel regret auras tu,
Étant chez Radhamanthe,
Réponds, réponds, Ménandre,
De savoir par ton choix
Ta fille misérable,
Par dessus la misère
De tous les malheureux
Qui vivent dans le monde?
De savoir qu'à toute heure,
Pour son bonheur plus grand
Elle ne requerra
Qu'une hâtive mort?
Les imprécations,
Les malédictions
Que tu peux bien prévoir,
Ne te font-elles point
Et frémir et trembler?
Quel repos auras-tu
Dans ce triste tombeau,
Où chaque jour cette pauvrette ira
Pour te maudire,
Et tes cendres aussi,
Comme l'auteur de toutes ses misères?
Ô vieillards abusés
Laissez à vos enfants,
Laissez, laissez choisir,
Selon leur volonté,
Les maris qu'elles veulent,
Ou pour le moins nul de vous ne les force
Avec violence
D'épouser les personnes
Qu'elles aiment, ainsi
Qu'on aime le trépas.
C'est la sage nature,
Qui vous ordonne avec moi cette loi,
Jamais elle ne fait
Une union de deux choses contraires,
Sinon par un milieu
Qui sympathise aux deux.
MÉNANDRE
Pourquoi n'aimeront-elles
Des maris dignes d'elles?
ALCIRON
Ô vieillard peu savant,
Ne sais-tu pas que le mérite seul
Est le plus grand empêchement de tous
Pour obtenir le bien que l'on désire?
Ne sais-tu pas que l'amour a pour soi
D'autres raisons que n'ont pas tous les dieux?
Sache, sache, Ménandre,
Que la raison d'amour,
Et je dis la meilleure,
C'est de dire, il me plaît,
Ou bien ne me plaît pas,
Chercher dedans ces lois
Ou dans ces volontés
Quelque meilleur pourquoi,
C'est bien être ignorant
Du pouvoir de l'amour.
MÉNANDRE
Alciron mon ami,
Coupons là ce discours,
C'est assez pour ce coup,
Lorsque tu seras père
Fais comme tu voudras,
Et s'il te semble bon,
Permets non seulement
À ta fille de prendre
À son choix un mari,
Mais trente si tu veux;
Et si ce n'est assez,
Donne lui, mon ami,
Tous ceux qu'elle voudra,
Ou bien tous ceux encore
Qui la voudront avoir;
Ce n'est pas ce souci
Qui le plus me travaille,
Chacun fasse à son gré
Du sien comme il l'entend.
Mais quant à Sylvanire
Je veux qu'elle l'épouse,
Ce berger que je dis,
Je sais mieux qu'elle même
Ce qu'il lui faut: mais avec toi, berger,
Je n'en veux plus parler,
Tu causes trop pour moi:
Quel précepteur de filles,
Je t'en ferai donner
Par nos voisins afin de les instruire;
Prépare ton logis pour les bien recevoir.
Je vous laisse à penser
Le gentil discoureur que nous avons trouvé,
Et les belles leçons
Qu'il leur enseignerait.
ALCIRON
Adieu, Ménandre, adieu,
Au moins ressouviens-toi
Qu'Alciron aujourd'hui
T'a dit la vérité:
Un jour, je le sais bien,
Un jour il adviendra,
Que tu regretteras
De n'avoir pas suivi
Un si sage conseil.
SCÈNE V
Alciron, Tirinte.
ALCIRON
Le voila bien fâché:
Pourquoi n'a-t-il encore
Avec ses déplaisirs,
Tous ceux que la fortune
Me prépare à jamais.
TIRINTE
Ah! Cher ami, les déplaisirs qu'il a,
Ou tous ceux que quelque autre
Pourra jamais souffrir,
Ne sauraient égaler
Ceux que mon coeur endure.
ALCIRON
Chacun prétend tout de la même sorte,
Qu'il n'est nul mal que le mal qu'il supporte.
TIRINTE
Ami, si tu savais
Quel est le mien, tu dirais avec moi
Qu'où la mort ne suffit
À plaindre des malheurs,
Trop faibles sont les pleurs.
ALCIRON
Plus on redoute un mal,
Et plus aussi se fait-il ressentir:
Mais tiens ceci de moi
L'effet est toujours moindre,
Et du bien et du mal,
Que n'est l'opinion.
Mais quel mal, ô Tirinte
Est celui qui t'afflige?
TIRINTE
À quoi sert-il de découvrir la plaie,
Que la grandeur a rendue incurable?
ALCIRON
Un bon ami souvent
Nous donne des conseils
Contre nos déplaisirs,
Que de nous seuls nous n'eussions su choisir.
TIRINTE
Il est vrai, je l'avoue,
Mais c'est aux maux qui se peuvent guérir,
Et non en ceux qui n'ont point de remède.
ALCIRON
L'essai n'en coûte rien.
TIRINTE
Ah! Combien, Alciron,
Est arrogant l'essai
Qui pense atteindre au dessus de l'espoir.
ALCIRON
Encor le faut-il voir,
Jamais d'un mal l'on ne sait la grandeur
Qu'on ne l'ait mesurée,
Et faible est le courage
Qui ne se hausse avec l'espérance,
Autant que lui permettent
Les lois de la raison.
TIRINTE
C'est la raison, Alciron, qui m'empêche
De pouvoir espérer quelque remède
Au mal qui me possède:
Et toutefois puisqu'ainsi tu le veux,
Je le veux bien de même;
Je le veux bien te le dire, berger:
Non pas pour soulager
Un mal que je connais
Sans nul soulagement;
Mais seulement afin de satisfaire
Aux lois de l'amitié
Entre nous contractée.
Saches donc, Alciron,
Que j'aime et que j'adore
Plus que je ne puis dire,
La belle Sylvanire.
Cent fois elle m'a vu
Prêt à mourir pour elle,
Sans que ce coeur cruel,
Ce coeur de diamant,
Ait jamais fait paraître
D'être sensible aux traits de la pitié.
Elle m'a vu sur l'excès de mon mal
Presque dissoudre en pleurs,
Noyer ces mains de larmes inutiles,
Sans que jamais elle ait fait action
Qui peut faire juger
Que de mon mal elle eut compassion.
ALCIRON
Donc l'amour d'une bergère ingrate
Te tourmente si fort,
Et tu ne peux ravoir ta liberté
Des mains de cette fille?
Vois-tu Tirinte, et tiens cela de moi,
On ne se doit jamais
Tellement enfoncer
Aux bourbiers de l'amour,
Que quand on le voudra
Les pieds l'on n'en retire.
TIRINTE
Aussi bien comme toi
Je sais ce qu'il faut faire:
Mais de le pouvoir faire,
Ô cher ami, cela m'est défendu.
ALCIRON
Si sais-je bien que de ces passions,
Et que de ces transports,
Dont les amants remplissent les oreilles
De ces jeunes beautés,
Qui les vont écoutant,
Il en reste toujours
Bien moins dedans leurs coeurs
Que dedans leurs discours,
Et je sais bien encore beaucoup mieux,
Que l'amour n'a de vie
Qu'autant qu'il plaît au coeur qui veut aimer;
Et que ce dieu, ce dieu que nous feignons
Vaincre avec des yeux
Les hommes et les dieux,
N'a sur nous nul pouvoir
Que par notre vouloir:
Et de là je conclus,
Quoi que tu saches dire,
Que de ce mal ton âme guérira
Alors qu'il lui plaira.
L'on dit qu'amour est un puissant désir
De sa perfection,
Par l'union du bien qui nous défaut:
Crois moi, Tirinte, amour est au contraire
Un défaut de raison,
Un accès violent,
Qu'un désir mal réglé
Avec l'oisiveté
Conçoit dedans notre âme,
Et qui n'est maintenu
Que par l'espoir véritable ou menteur
D'un plaisir prétendu.
Donc, berger, pour guérir de ce mal
Le plus certain remède
C'est de vouloir guérir;
Car tout le mal que l'amour nous peut faire
Git en la volonté:
Mais rien n'est de si libre
Que cette volonté:
Car tous les fers et toutes les prisons,
Toutes les dures chaînes
Des plus cruels tyrans,
Ne sauraient asservir
La liberté du moindre des humains,
Au moins s'il ne le veut.
TIRINTE
Alciron mon ami,
Savoir que c'est que le mal qui me blesse,
À ma douleur ne sert pas de remède,
Que ce soit un désir,
Ou le défaut d'une raison malsaine,
Ou l'accès violent
D'un espoir prétendu,
Cela me sert de peu:
Tant y a qu'il est vrai,
Quoi que ce mal puisse être,
Qu'enfin, ami, c'est le plus violent,
C'est le plus incurable,
Que jamais un amant
Ait souffert en aimant.
Incurable, ô berger,
D'autant que ma blessure
N'espère guérison
Que du fer qui l'a faite,
Et l'inhumaine et sauvage beauté
De ma bergère à tel point est venue,
Que l'insensible et cruelle qu'elle est
Ne daigne voir le mal qu'elle m'a fait,
Ou le voyant les coups en désavoue,
Encore que chacun
Connaisse bien, que sans plus de ses mains
Peuvent venir de si profondes plaies,
Et que nul ne saurait
Tant de flammes produire
Que l'oeil de Sylvanire.
ALCIRON
Et qu'est-ce qu'elle dit
Quand ton mal tu lui contes?
TIRINTE
Mais en fait-elle conte?
ALCIRON
Elle ne répond rien?
TIRINTE
Si fait, mais jamais bien.
ALCIRON
Peut-être un autre elle aime?
TIRINTE
Ce n'est donc qu'elle-même.
ALCIRON
Mais comment se peut-il
Que l'amour ne la touche?
TIRINTE
Non plus que si c'était
Une insensible souche.
ALCIRON
Prends courage, Tirinte,
Puisque nul jusqu'ici
Ne possède son âme,
L'on prend plus aisément
La place qui n'est point
Par un autre occupée.
TIRINTE
Tout au rebours ce point me désespère,
Car si son coeur avait été blessé
Je le croirais sensible,
Et pourrais espérer
En la servant d'en pouvoir autant faire:
Mais quel espoir puis-je avoir, Alciron,
D'aimer cette sauvage,
Qu'amour jamais ne peut apprivoiser?
Aussi de telle sorte
Ce penser me travaille,
Qu'il faut, ami, que je prenne à la fin
La résolution
Qu'aux plus irrésolus
Le désespoir apporte.
Je me résous, puisque le ciel le veut,
Non seulement d'éloigner la cruelle
Par un lointain voyage,
Mais d'un courage d'homme
Sortir enfin, oui sortir à la fin
De ce honteux servage,
Rompre les noeuds, éteindre tous les feux
D'amour et d'elle.
ALCIRON
Ah! Résolution
Vraiment digne de toi.
TIRINTE
Oui pour certain je veux enfin sortir
Des mains de la cruelle,
J'ai de ma patience
Rompu toutes les chaînes,
Je veux ravoir ma chère liberté:
Mais sais-tu bien, Alciron mon ami,
Comment? Et quel chemin
Je me résous de prendre?
Des cendres du tombeau
Je veux les feux éteindre
D'une telle chimère,
Et par le seul trépas
Je me veux éloigner
De cette servitude,
Et je crois bien qu'aujourd'hui le destin
N'a tes pas adressés
Par où les miens devaient prendre leur route,
Qu'avec prévoyance,
Parce qu'il ne veut pas,
Ce très juste destin, que par ma mort
Meure aussi la mémoire
Du beau feu qui me brûle,
Sachant bien que jamais
Pour un plus beau sujet
Une plus belle flamme
Ne s'éprit dans une âme:
Il nous a fait rencontrer en ce lieu,
Afin, berger, qu'en ton sein je remisse
L'histoire pitoyable
De mes tristes amours,
Et que toi, cher ami,
Fidèle secrétaire,
Lorsque je serai mort,
Pour mémoire éternelle,
Tu mettes sur ma tombe;
Voila l'effet des plus beaux yeux du monde:
Peut-être un jour ces mêmes yeux lisant
En ton écrit leurs dédains et ma peine,
Quelque pitié, quoique tardive et vaine,
Leur ira dérobant
Des soupirs et des larmes:
Que si dedans le sein
De cette belle il en tombe une seule,
Ou bien parmi mes cendres,
Je tiens déjà les peines que j'endure
Pour ma plus belle gloire,
Et ma mort pour victoire.
ALCIRON
Que parles-tu de larmes,
De cercueil et de mort?
Amour donne la vie
À tout cet univers,
Et tu penses, Tirinte,
Que pour un seul Tirinte
Il cesse d'être amour:
Non, non, ce ne sont pas
Effets d'amour ceux desquels tu te plains,
Tous ces désirs de mort,
Et tous ces désespoirs
Ne viennent pas d'amour,
Mais d'un démon contraire
Qui le veut contrefaire.
Lorsque tu seras mort
Quel bien recevras-tu,
Et quel allègement
Dans la tombe relente (17)
Au mal qui te tourmente?
Il faut chasser de toi
Cette vaine folie,
Et te ressouvenir
Que tout amant est obligé de vivre,
Pour ne priver celle qu'il aime tant,
Quoiqu'elle soit cruelle,
D'un serviteur fidèle.
TIRINTE
Mais Alciron, ne faut-il pas mourir
Ayant perdu tout espoir de guérir?
ALCIRON
L'homme vivant peut toujours espérer.
TIRINTE
Sans espoir espérer
N'est pas d'homme d'esprit.
ALCIRON
C'est d'homme de courage.
TIRINTE
Non pas prudent ni sage.
ALCIRON
Le désespoir nous témoigne bien mieux
Un esprit imprudent.
TIRINTE
Mais la raison quelquefois nous l'apprend,
Et puis du mal l'extrême violence
De la raison bien souvent nous dispense;
Enfin quoi que ç'en soit,
Vois-tu bien, Alciron,
Ma résolution
Est telle que je dis,
Car je veux à ce coup avec sa cruauté
Mettre fin à ma peine.
ALCIRON
Arrête, attends un peu,
Tirinte écoute moi.
TIRINTE
Ô le cruel ami!
ALCIRON
Attends un peu Tirinte,
Et tu verras peut être
Que cette cruauté
Que tu blâmes en moi
Te donnera la vie.
Vois-tu, berger, j'eusse bien désiré
De voir ton coeur libre des passions
Dont amour te tourmente:
Mais puisqu'il ne se peut,
Et que je vois que ta raison trop faible
Cède à la violence
Dont cet amour t'offense:
Je te promets par le gui de l'an neuf,
Pourvu que tu me crois,
De mettre entre tes mains
Cette belle cruelle
Avant qu'il soit demain.
TIRINTE
Avant qu'il soit demain
Cette belle cruelle
Tu mettras en mes mains?
Ô cher ami! Qu'est-ce que tu promets?
ALCIRON
Je ne te promets rien
Qu'en effet je ne fasse.
TIRINTE
Puis-je espérer une si grande grâce?
ALCIRON
Espère si tu crois,
Tirinte, que je t'aime.
TIRINTE
Mon malheur est trop grand,
Et ce bien trop extrême.
ALCIRON
Plus grande est l'amitié
Que te porte Alciron.
TIRINTE
Je le crois; mais...
ALCIRON
Mais qu'est-ce que ce mais?
TIRINTE
Mais, ô berger, tu prends un pesant faix,
Quand tu prétends supporter mon malheur.
ALCIRON
Non, je ne prétends rien
Que je ne parachève,
Je te la remettrai
Dans demain, cette belle,
Si bien en ta puissance,
Que nul que nous n'en aura connaissance,
Et seulement, Tirinte, résous-toi
De ne point perdre alors
L'occasion qui se présentera.
TIRINTE
Mais Alciron, et pour qui te tiendrai-je,
Si de tes mains je reçois ce bonheur.
ALCIRON
Tiens moi pour ton ami,
Et pour ton serviteur.
TIRINTE
Mais plutôt pour mon dieu,
Pour mon dieu puis-je dire,
Puisque tu me rendras
Une seconde vie,
Que je suis obligé
D'employer à jamais
Pour te faire service.
ALCIRON
Ces beaux discours ne conviennent pas bien
À notre affection:
Aime moi seulement
Autant comme je t'aime,
Et je m'estimerai
Mieux que récompensé:
Mais sans plus retarder,
Allons, berger, mettre la main à l'oeuvre.
SCÈNE VI
Sylvanire, Fossinde.
SYLVANIRE
Ne croyez pas, Fossinde,
Que je sois oublieuse
De ce que j'ai promis,
Pour le souffrir l'amour que je vous porte,
Ô ma soeur, est trop forte.
J'ai fait envers Tirinte
L'office que j'ai dû:
Mais...
FOSSINDE
J'entends ce langage,
N'en dites davantage:
Mais le cruel berger,
N'est-il pas vrai, bergère,
Ne s'en soucie guère?
Je l'avais toujours cru
Que cette âme insensible
En userait ainsi,
Je ne suis point trompée,
Et contre mon espoir
Rien ne m'est advenu.
Que pouvais-je prétendre
De ce coeur de rocher,
Sinon toute dureté?
J'ai honte seulement
Que Sylvanire ait su de ma folie
L'accès trop véhément:
Mais, ma soeur, excusez
En votre chère soeur
Ce mal qui ne pardonne,
Ce dit-on, à personne,
Et ne laissez d'aimer
Cette triste Fossinde
Autant que vous faisiez.
SYLVANIRE
Je plains, Fossinde, et ne le puis nier,
Le mal qui vous tourmente:
Mais je le plains, d'autant
Que je le vois sans espoir de remède:
Et croyez moi que si je connaissais
Que ce coeur arrogant
Peut être surmonté,
Je ne vous dirais pas
Ce que je vous en dis:
Mais soyez sûre, et n'en doutez jamais,
Entre tous les bergers
Des rives de Lignon,
Tirinte est le moins digne
D'avoir votre amitié.
Si vous saviez avec quelles paroles
L'indiscret m'en parla,
Vous diriez avec moi,
Que de tous les humains
Il mérite le moins
Que vous le regardiez.
Et c'est pourquoi, si vous m'en voulez croire,
Laissez-le là, ma soeur,
L'impertinent qu'il est,
Et faites lui paraître
Qu'il ne méritait pas
L'honneur qu'on lui faisait.
Pour moi, je le confesse,
Si ce malheur m'arrivait comme à vous,
Je veux dire d'aimer
Ainsi comme vous faites,
Je pourrais supporter
Tout, sinon le dédain:
Mais du mépris les coups sont si sensibles,
Que je ne puis penser
Que les liens d'amour,
Pour forts qu'ils puissent être,
Un seul moment me sussent arrêter.
Considérez, Fossinde,
Ce que Fossinde vaut,
Et ce que peut valoir
L'ingrat Tirinte avec son arrogance.
Considérez, ma soeur,
Que ce jeune berger
Fera toute sa gloire
De votre déshonneur;
Et comment pouvez-vous,
Ayant tant de mérite,
Aimer qui ne vous aime?
Mais quel berger encore?
Le plus méconnaissant,
Le plus ingrat berger,
Et le plus insolent
Qui jamais eut la houlette en la main.
Laissons-le là, Fossinde,
Laissons-le, et m'en croyez,
Il ne manquera pas
D'autres bergers au monde
Mieux faits encor que lui,
Qui sauront reconnaître
L'honneur que celui-ci
Imprudemment dédaigne.
FOSSINDE
Ah Sylvanire! Ah dieu qu'il est aisé
De parler sagement,
Quand on n'est pas amant.
SCÈNE VII
Fossinde, Echo.
FOSSINDE
À qui faut-il que mon mal je raconte,
Puisque déjà de moi-même j'ai honte,
Et qu'il ne faut jamais plus espérer
Ce que l'amour m'a tant fait désirer.
Nymphe des bois qui te plais à redire
Le triste accent de celui qui soupire,
C'est à toi seule à qui je veux conter
Le mal cruel qui me fait lamenter.
Réponds-moi donc pour soulager ma peine:
Que m'acquerra cet amour inhumaine?
ECHO
Haine.
FOSSINDE
Que deviendra cet espoir décevant
Qui m'a promis tant de bien ci-devant?
ECHO
De vent.
FOSSINDE
Et que faut-il que fasse de bonne heure
L'ardente amour qui dans mon coeur demeure?
ECHO
Meure.
FOSSINDE
Et quels seront, si l'amour ne vit plus,
Les beaux desseins que j'avais faits dessus?
ECHO
Déçus.
FOSSINDE
Que dois-je croire en ma peine présente?
Que fait l'espoir qui quelquefois augmente?
ECHO
Mente.
FOSSINDE
Et quel loyer dois-je donc présumer
D'avoir, de l'oeil qui me vient enflammer?
ECHO
Amer.
FOSSINDE
Amour cruel sont-ce donc là tes charmes?
Que deviendront à la fin tant d'alarmes?
ECHO
Larmes.
FOSSINDE
Ô vous amants qui lui gardez la foi,
Voyez à quoi m'a réduit cet émoi.
ECHO
Et moi?
FOSSINDE
Malheureuse fortune,
Impitoyable amour,
Ô destin rigoureux!
Que sera-ce de moi?
Et quelle fin mettrez vous à mes peines?
Insensible berger,
Dénaturé berger,
Ô berger imprudent,
Cesseras-tu jamais
De suivre qui te fuit,
Et fuir qui te suit?
Mais comment puis-je croire
Que ce destin, ce destin tant injuste
Dans le ciel soit écrit?
Dans le ciel où jamais
L'injustice ne fut?
Peut-être Écho de mon tourment se moque:
Retentons de nouveau
L'oracle de la nymphe.
Ma voix encore un coup à parler te semond: (18)
Que ferons-nous Écho contre ce grand démon?
ECHO
Aimons.
FOSSINDE
Aimer, mais qui pourrait aimer quand on ne l'aime?
Echo c'est ce me semble une folie extrême:
ECHO
Aime.
FOSSINDE
De ce conseil nouveau nymphe je m'ébahis:
Mais le suivant mon coeur sera-t-il réjoui?
ECHO
Oui.
FOSSINDE
Est-il vrai que le ciel à mon désir consente,
Et que je puisse enfin obtenir mon attente?
ECHO
Tente.
FOSSINDE
Et ce coeur de rocher cause de mon tourment,
Quel le verrai-je enfin si j'aime constamment?
ECHO
Amant.
FOSSINDE
Ne te moques-tu point du tourment que j'endure?
Et quelle guérison aurai-je à ma blessure?
ECHO
Sûre.
FOSSINDE
Heureux trois fois mon coeur tu te peux estimer:
Mais pour cueillir ce fruit comment faut il semer?
ECHO
Aimer.
FOSSINDE
En cet art je ne suis, nymphe, que trop savante:
Mais quelle récompense à l'amour violente?
ECHO
Lente.
FOSSINDE
Lente il n'importe pas,
Pourvu que d'un moment
Elle devance au moins
L'heure de mon trépas.
SCÈNE VIII
Satyre, Fossinde.
SATYRE
Elle s'en veut aller,
Gardons qu'elle n'échappe,
Jamais occasion
Ne se trouva plus belle,
Personne n'est ici:
Amour à mes desseins
Sois ce coup favorable.
FOSSINDE
Dieu voici le satyre,
Sois Diane à mon aide.
SATYRE
Avant qu'user avec elle de force
Il nous faut essayer
Celle de la prière,
Les faveurs sont plus douces
Que ces belles nous donnent
De leur bon gré, que celles qu'on ravit
Contre leur volonté.
FOSSINDE
Il s'approche de moi,
Dois-je fuir, ou dois-je demeurer?
Fuir, il est plus vite:
De demeurer aussi,
Le séjour en ce lieu
N'est pas peu dangereux:
Ah fâcheuse rencontre!
SATYRE
Quel bon démon conduit ici mes pas
Où je te vois Fossinde,
Fossinde que j'adore,
Fossinde de mon coeur
Le plus ardent désir?
Il faut bien que ce jour
Marqué de blanc me soit saint et sacré,
Et que le souvenir à jamais m'en demeure.
FOSSINDE
Il parle doucement,
Il faut que je m'essaye
Avec la douceur
De tromper ses desseins:
Car tromper le trompeur
Avec son artifice,
C'est un effet propre de la justice.
SATYRE
Tu parles seule, et tu ne réponds point
À cet amant qui n'aime que tes yeux,
Qui consumé par eux,
Comme au soleil ardent
L'on voit fondre la neige,
Et tu ne l'aimes point?
Mais comment se peut-il
Que tu brûles mon coeur,
Et gèles de froideur?
Car si, comme l'on dit,
Nul ne saurait donner
Ce qu'il n'a pas, ô dieu! Comment, Fossinde,
Me peux-tu bien donner
Une si grande amour,
Puisque tu n'en as point?
FOSSINDE
Ah! Je n'en ai que trop.
SATYRE
Sont-ce pas des miracles
Et d'amour et de toi?
D'amour qui m'a pu vaincre,
Moi qui suis invincible,
Et de toi belle à qui j'offre mon coeur,
Et de qui l'oeil cruel
Étant vainqueur ne daigne être vainqueur?
Je ne suis pas, ô nymphe impitoyable,
À dédaigner comme tu peux penser,
Et quelquefois si tu tournes les yeux
Sur mon affection,
Et sur ce que je vaux,
Je ne crois pas qu'enfin ton jugement
Ne soit en ma faveur.
FOSSINDE
Ô le beau serviteur!
Jamais de ton mérite,
Gentil Satyre, et crois qu'il est ainsi,
Je n'ai douté, ni de l'affection
Que tu m'as fait paraître;
Mais seulement, vois-tu, je le confesse,
L'erreur commune où mes compagnes sont
De fuir les satyres,
Est cause que comme elles
Aussi je t'ai fui.
SATYRE
Tes compagnes, Fossinde,
Sont des petites folles,
Qui ne savent connaître
Ceux qui valent le mieux,
Qui ne vont estimant
Le prix de toute chose
Qu'à leur opinion.
Mais si comme elles doivent,
Sans s'arrêter à quelques apparences
De ces délicatesses
Qui ne sont plus en nous,
Elles voulaient juger de nos mérites;
Crois moi, Fossinde, elles nous aimeraient
Autant qu'elles nous fuient,
Ces délicates filles,
Ces jeunes affectées,
Qui ne savent encore
Que c'est que vivre, et se vont figurant
D'être les plus prudentes
Et les plus entendues,
De toute la contrée.
Mais toi, Fossinde, en qui le ciel a mis
Non seulement la beauté du visage,
Mais de l'esprit les qualités plus belles,
Sois juge de ma cause,
Et vois si j'ai raison
De les dire ignorantes,
Alors qu'elles choisissent
Ces petits pastoureaux,
Qui semblent à des filles
En garçons revêtues,
Et s'en vont nous fuyant,
Non pour autre raison,
Tu le sais bien, bergère,
Sinon d'autant qu'on nous voit au visage
Les signes très certains
D'un généreux courage,
Parce que nous avons
Des bras forts et nerveux,
Des rides sur le front,
Du poil partout le corps,
Et que dessous nos pas
On voit trembler la terre,
Ces petites fillettes,
Que vous nommez bergers,
Vous font entendre, ô dieu quelle folie!
Que nous sommes grossiers,
Incapables d'amour,
Ou pour le moins de ses délicatesses.
Que nous n'entendons pas
Comme il vous faut servir,
Et disent que l'amour
Étant enfant n'aime rien que l'enfance,
Étant petit n'aime que la douceur,
Et qu'on ne voit en nous
Que des choses contraires
Aux humeurs de l'amour.
Mais dites-moi, sont-ce des jeux d'enfants,
Ah petites follettes!
Que les jeux dont amour
Enseigne les leçons?
Ce sont des jeux d'enfants
Ceux que l'on voit que la nourrice fait
Avec le petit,
Qu'elle tient attaché
Au bout de son tétin. (19)
Ce sont des jeux d'enfants
De jouer aux épingles,
De jouer aux noisettes
Au jeu de la fossette:
Mais croyez-moi, mes filles croyez-moi
Ce n'est pas jeu d'enfant
Que celui de l'amour.
Amour enseigne bien
Un plus beau jeu que celui des enfants,
Ne vous y trompez pas;
Et si vous le saviez
Vous diriez avec moi
Que ces jeunes puceaux,
Ces tendres jouvenceaux,
Ces petites fillettes,
Et j'entends vos bergers
Enjolivés comme des jeunes filles,
S'ils se veulent jouer
Qu'ils aillent au tétin,
Qu'ils caressent, s'ils veulent,
Comme au berceau les nourrices qu'ils ont,
Qu'ils jouent aux épingles,
Qu'ils jouent aux noisettes
Au jeu de la fossette,
Et qu'ils laissent aux hommes,
Aux hommes courageux,
Et tels comme nous sommes,
Le propre jeu des hommes.
FOSSINDE
Je vois que tu dis vrai,
Gentil Satyre, et que par tes raisons (20)
Mes compagnes ont tort:
Mais réponds-moi, n'est-il pas vrai qu'amour
Se plaît en la beauté?
À part.
Je veux de cette sorte
L'entretenant pousser toujours le temps,
Qui sait, quelqu'un viendra
Qui m'ôtera des mains de cette bête.
SATYRE
En la beauté, dis-tu,
Je ne le nie pas;
Mais que voit-on en nous
Où la beauté ne soit très apparente?
FOSSINDE
La belle opinion!
SATYRE
La taille droite et de belle hauteur,
Les jambes bien plantées,
L'estomac relevé,
La carrure bien faite;
Que nous faut-il que doit avoir un homme?
FOSSINDE
Il est certain, mais que répondrons-nous
À ceux qui nous diront,
Tout ainsi que des chèvres
Ils ont les pieds fendus.
SATYRE
Et la belle Vénus
N'a-t'elle pas choisi
Pour son mari ce boiteux de Vulcain? (21)
FOSSINDE
Mais si l'on te reproche
Que l'estomac que tu portes velu
Ressemble au bois touffu,
Où l'on ne voit que des ronces piquantes,
Que leur répondras-tu?
SATYRE
Je leur dirai que Mars
L'avait fait tout de même,
Et toutefois que la belle Cypris (22)
Ne l'eut point à mépris.
FOSSINDE
Et cette barbe encore tant épaisse?
SATYRE
Telle l'avait cet invincible Hercule,
Hercule le dompteur
Des monstres de la terre,
Et toutefois Déjanire l'aima. (23)
FOSSINDE
Et ces petites cornes?
SATYRE
Ah folâtre bergère,
Et vous et vos compagnes
Les devez bien aimer,
Si chacun pour le moins
Aime bien ce qu'il fait.
FOSSINDE
Jamais, jamais, au moins que je le sache,
Des cornes je ne fis.
SATYRE
Ce que par le passé
Tu n'as pas fait encore,
À l'avenir tu les feras peut-être,
Ne les dédaigne pas,
C'est quelquefois le meuble plus certain
Qui soit au mariage.
Mais outre tout cela
Il ne faut pas, Fossinde,
Les cornes dédaigner,
La lune est bien cornue,
Et le mont de Lathmie
Est bien témoin qu'un jeune Endymion (24)
Ne l'a pas dédaignée.
Bacchus eut bien des cornes,
Et toutefois la belle Cadienne
Ne fut-elle pas sienne?
FOSSINDE
Il est vrai, je l'avoue,
Jusques ici mes compagnes et moi
Avons eu tort de ne vous aimer pas,
Puisque tant de beauté
Se voit en vos visages.
Et pour ce à l'avenir,
Satyre, je le veux,
Je veux que tu te nommes
Serviteur de Fossinde.
SATYRE
Ah dès longtemps déjà je le suis bien.
FOSSINDE
Mais je dis serviteur
Que Fossinde aimera
Autant comme il mérite.
SATYRE
Mais dis que je désire.
FOSSINDE
Autant que tu désires.
SATYRE
Ô bienheureux Satyre!
FOSSINDE
Mais sois modeste, et ne me touche point.
SATYRE
Donc de ton amour
Donne moi quelque gage.
FOSSINDE
Et qu'est-ce que tu veux,
Regarde bien ce que tu me demandes,
Car un amant se doit sur toute chose
Toujours montrer discret.
SATYRE
Permets, belle bergère,
Qu'en te baisant je touche
Ton beau sein et ta bouche.
FOSSINDE
Le délicat baiser;
Cela ne se peut pas.
SATYRE
Il se peut si tu veux,
Et rien que ton vouloir
Ne me peut retarder
Le bien que je désire.
FOSSINDE
Non, Satyre, non, non,
Cela ne se peut pas,
Nous sommes ignorantes,
Nous autres jeunes filles,
Nous ne savons comment il faut baiser.
SATYRE
Je te le veux apprendre,
Et si je ne veux rien
Pour ton apprentissage.
FOSSINDE
Retire-toi Satyre,
Ou bien je m'en irai:
Dieu! Nul ne viendra-t-il
Pour m'ôter de ses mains?
SATYRE
Je prends bien à la course
Les chevreuils et les daims,
Ne t'atteindrai-je pas?
FOSSINDE
Satyre laisse-moi,
Ou de ce fer bientôt je punirai
Ta lâcheté.
SATYRE
Ce serait bien plutôt
Extrême lâcheté,
Pour crainte de la mort;
De perdre le profit
D'une telle rencontre.
FOSSINDE
Puisque la force est inutile ici
Recourons à l'astuce.
SATYRE
Qu'est-ce que tu me dis?
FOSSINDE
J'ai dit, Satyre, et je le dis encore
Que je veux bien faire l'apprentissage
De ce que tu me dis:
Mais connaissant l'extrême affection
Qui te transporte, et la très grande force
Que la nature a voulu mettre en toi,
Je l'avoue, il est vrai,
Je crains.
SATYRE
Et que crains-tu?
FOSSINDE
Je crains que transporté
De cette amour trop grande,
Me tenant en tes bras,
Tu n'étreignes si fort
Ces liens amoureux,
Sans penser de le faire,
Que j'en étouffe.
SATYRE
Ah petite folâtre, (25)
Non, non, ne le crains pas.
FOSSINDE
J'en ai peur toutefois.
SATYRE
Il est bien vrai, bergère, que je t'aime,
Et d'une amour extrême.
FOSSINDE
Et que ta force est grande.
SATYRE
Elle l'est, il est vrai,
Plus qu'on ne saurait dire.
FOSSINDE
N'ai-je donc pas raison
D'en avoir peur?
SATYRE
Ne crains point, ma mignonne.
FOSSINDE
Et quand je serai morte
Te fâchera-t-il pas?
SATYRE
J'aimerais mieux la mort:
Mais pour si sotte crainte
Je ne veux pas aussi
Que nous perdions si belle occasion.
FOSSINDE
Ni moi non plus, je te veux bien complaire:
Mais sais-tu bien pour m'ôter toute crainte
Ce qu'il nous faudrait faire?
SATYRE
Dis-le Fossinde.
FOSSINDE
Il faudrait attacher
Tes fortes mains de sorte
Qu'en ce transport où tu te trouveras
Tu ne me puisses nuire.
SATYRE
Vois-tu, Fossinde, afin de t'assurer
Je le veux bien, tiens, mes bras sont à toi,
Attache les ainsi qu'il te plaira.
FOSSINDE
Je vois bien que tu m'aimes,
Aussi te veux-je aimer,
Gentil Satyre, ainsi qu'il te plaira,
Et pour plus de faveur,
Je veux que de mon arc
La corde nous prenions
Pour servir de liens.
SATYRE
Ô doux liens combien vous tiens-je chers,
Étant nouées de la plus belle main
Qui fut jamais au monde.
Nouez, serrez autant qu'il vous plaira,
Déjà d'autres liens
Bien plus forts que ceux-ci
M'étreignent beaucoup mieux.
FOSSINDE
Ces noeuds ne rompront pas,
Quelque force qu'il ait.
SATYRE
Encor que ces liens
Fussent beaucoup plus faibles,
Je ne les romprais pas:
Car jamais, ô Fossinde,
De ton vouloir je ne m'éloignerai:
Mais qu'est-ce que tu fais?
FOSSINDE
Je veux lier, Satyre,
Comme tes mains, tes jambes trop légères;
Car je crains que l'ardeur
De ton affection
Encor avec les jambes
Ne me fît quelque outrage.
SATYRE
Qui le coeur m'a lié
Peut bien comme il voudra
Me lier tout le corps:
Fais donc ce que tu veux,
Et prends ce témoignage
De ton pouvoir sur moi,
Afin qu'à l'avenir
Tu ne redoutes plus
De ma force trop grande
L'extrême violence.
Or sus voilà le satyre lié
Ainsi comme il t'a plu.
Or ma belle bergère
Il ne reste donc plus
Sinon que tu t'approches,
Pour prendre les leçons
Que je t'avais promises.
FOSSINDE
Il n'est pas beau, Satyre, ce me semble,
De voir qu'une bergère,
Pour baiser son amant
S'en aille le chercher;
C'est pourquoi je te prie
De t'en venir ici.
SATYRE
Je le veux bien; mais tu t'enfuis de moi.
FOSSINDE
Non, non, je ne fuis pas,
Je me promène un peu;
Et puis je te confesse
Que je me plais de te voir si léger.
Ô comme il saute bien,
Tu sembles à ces pies
Qui vont de branche en branche
Sautant comme tu fais.
Or saute donc, Satyre,
Saute encore plus haut,
Un peu plus haut encore.
SATYRE
Mais où vas-tu?
FOSSINDE
Je reviens, attends-moi.
SATYRE
Elle s'en est allée,
Elle ne revient plus,
Ô trompeuse Fossinde,
Ô Fossinde perfide;
Tu t'en vas donc, ô bergère cruelle,
Et te moques de moi,
Après avoir connu
L'extrême affection
Que je te porte; et bien je suis appris
Je suis appris à jamais plus ne croire
Les feintes apparences
De ces trompeurs visages,
Qui ne portent aux yeux
Sinon toute douceur,
Et n'ont dedans le coeur
Que toute cruauté.
Soyez appris, amants qui vous fiez
Aux discours de ces belles.
Dessous la belle fleur
Le serpent est caché,
Et sous ces beaux visages
Des perfides courages.
LE CHOEUR
Heureux hommes qui fûtes
En ce temps où vous eûtes
La nature pour loi, non pas pour tant de fruits
De la terre produits,
Mais seulement heureux pour n'avoir eu le vice
D'exécrable avarice.
En saison tant heureuse
La bergère amoureuse
Au berger amoureux, sans nul déguisement,
Donnait contentement;
Et lors à toute amour, amour était rendue,
Non comme ores vendue.
Ce fut toi vaine idole
Qui fis dans ton école
Ce qui fut don d'amour, et faveur de Cypris,
Vendre pour certain prix,
Et qu'en ces paiements l'amoureuse monnaie
Sans mise se renvoie.
C'est toi vice exécrable
Qui rends insatiable
En l'avare faim d'or le coeur de ce berger,
Et qu'il ne veut changer
Ni permettre qu'Aglante épouse Sylvanire,
Quoi qu'elle le désire.
Mais si les sacrifices
Rendent les dieux propices,
Et si près du destin la raison fait séjour,
Nous verrons vaincre amour:
Il vaincra, cet amour, et de si belles âmes
Il unira les flammes.
ACTE III
ACTE III
SCÈNE I
Hylas, Aglante.
HYLAS
Enfin berger que te saurais-je dire?
Ta Sylvanire est bien la plus ingrate
De toutes les bergères;
C'est la plus arrogante,
La plus méconnaissante
Qui fut jamais, ni qui jamais sera.
Vois-tu, berger, ne te figure point
Que quand toutes les femmes,
Mais je te dis les femmes, les plus femmes,
Ensemble seraient mises,
L'on en peut faire une femme plus femme
Que cette Sylvanire.
AGLANTE
Ô dieu que me dis-tu?
HYLAS
Je te dis, mon ami,
La pure vérité.
Si je voulais avec des flatteries
Te retenir toujours en ton erreur,
Je te dirais que tu peux espérer
Qu'elle se changera:
Mais je ne veux qu'un Aglante que j'aime,
Et que je tiens pour un autre moi-même,
Se paisse d'espérance,
D'espérance trompeuse,
Et d'espérance enfin,
Qui ne sera jamais
Qu'à son désavantage.
AGLANTE
La rude main que la tienne, berger,
Pour penser une plaie
Si sensible et cuisante.
HYLAS
La main trop pitoyable,
Le mal qu'on peut guérir
Rend souvent incurable.
Mais quoi! Berger, veux-tu que je te flatte?
Je le veux comme toi,
Mais appris ne te plains
Si tu te vois déçu:
Il m'est aisé de te feindre des fables,
Et de te les donner
Pour choses véritables.
Il m'est aisé de dire
Que j'ai vu Sylvanire
Tressaillir d'aise et de contentement
Oyant le nom d'Aglante,
Que j'ai vu son bel oeil
Comme un soleil découvert de nuage,
Qu'un doux souris a mignardé sa bouche,
Et que son coeur a rendu témoignage
Par des soupirs qu'il n'a peu retenir
De son amour trop forte.
AGLANTE
Ah trop heureux! Ah trop heureux berger.
HYLAS
Je te puis dire, Aglante,
Qu'après tant de soupirs
D'une voix douce et tremblante d'amour
Elle m'a dit, Hylas
Assure mon Aglante
Que je suis son amante.
AGLANTE
Quelle douce parole!
HYLAS
Qu'après étant parti
Elle accourut en me disant, Hylas,
Hylas, Hylas, écoute encor, Hylas;
Et qu'étant près de moi
Elle me dit avec un doux sourire,
Dis-lui que Sylvanire
N'aime qu'Aglante, et qu'Aglante sera
Celui que Sylvanire
À jamais aimera.
AGLANTE
Ô dieux! ô dieux!
HYLAS
Et pour lui rendre preuve
De ce que de ma part
Tu lui diras, porte lui, me dit-elle,
Ce noeud que je te donne,
Qu'il le prenne pour gage
De ce noeud gordien
Qui retient mon courage
Avec le sien.
AGLANTE
Ah berger mon ami,
Que ne me donnes-tu
Ce cher présent que ma belle m'envoie?
Pourquoi retardes-tu
Un tel contentement
À ce berger qui t'aime?
HYLAS
Comment, Aglante, es-tu sorti du sens?
Penses-tu que je l'aie,
Ce noeud que je te dis;
Ni que cette cruelle
M'ait tenu les discours,
Que je te fais? Ah désabuse toi,
Jamais elle n'en eut
La moindre intention.
Voyez, ô dieux! Comme on croit aisément
Tout ce que l'on désire:
Je t'ai dit, ô berger,
Que si je le voulais,
Afin de te complaire,
Pour choses véritables
Je te dirais des fables.
AGLANTE
Il n'est donc pas vrai?
HYLAS
Mais comment vrai, berger?
Ah tant s'en faut qu'elle ait eu quelque envie
D'user de ces paroles,
Qu'au contraire, vois-tu,
D'un propos dédaigneux,
Quand j'ai pensé lui dire
L'amour que tu lui portes,
Elle en a fait risée,
Elle s'en est moquée,
Comme si ton service
Et ton affection,
L'orgueilleuse qu'elle est,
Étaient trop peu de chose.
Le cruel animal,
Le superbe animal,
Qu'une femme qui sait
Qu'à quelqu'un elle plaît.
AGLANTE
Il n'est donc pas vrai?
HYLAS
Il est certain, berger, qu'il n'est pas vrayi,
Et si certain, te dis-je,
Que jamais, mais jamais
Tu ne dois espérer
Que ce coeur glorieux,
Cette âme outrecuidée,
Pour toi puisse changer.
AGLANTE
Ah pauvre et triste Aglante!
Que sera-ce de toi?
HYLAS
Laisse, laisse les plaintes,
Et te souviens, berger,
Qu'il est honteux à l'homme de courage
De pleurer pour un mal
Auquel, s'il veut, il peut donner remède.
AGLANTE
Et quel remède, Hylas, y trouves-tu?
HYLAS
Celui de ta vertu.
Ressouviens-toi, berger,
Qu'Aglante est homme, et Sylvanire femme,
Et qu'homme, c'est à dire
Celui qui doit la terre dominer,
Et que femme au contraire,
C'est à dire l'esclave
Des volontés de l'homme,
Et que cette vertu
Qu'au coeur de l'homme a mise la nature,
Ne se doit pas soumettre,
En renversant les lois,
Au pouvoir de la femme.
AGLANTE
Ah berger! Ah berger!
Si pour ma guérison
Tu n'as autre raison,
Je vois mon mal d'éternelle durée:
Car tant s'en faut
Que l'homme soit au monde
Pour commander, qu'au contraire tout homme
Qui se veut acquitter
Du nom d'homme qu'il porte,
Ne doit jamais penser,
Sinon qu'à la servir,
Sinon qu'à l'adorer,
La femme que tu dis,
Et pour qui nous devons,
Pour dignement la pouvoir bien nommer,
Inventer quelque nom
Digne de ses mérites,
Celui de femme étant peu digne d'elle,
Et qu'au défaut de quelqu'autre meilleur,
On peut dire déesse,
Déesse vraiment
En ses perfections,
Déesse en ses beautés,
Déesse en ses vertus,
Déesse en fin que seulement aimer
Ce serait profaner
D'irrévérence une chose sacrée.
Mais que plutôt on doit pour ne faillir
Adorer et servir,
Comme la vraie idée
Où toutes les vertus,
Où toutes les beautés,
Et les perfections
De la nature humaine
Sont en perfection.
HYLAS
Et telle est ta créance.
AGLANTE
Et telle est ma créance,
Et telle aussi doit être
Celle de tous les hommes,
Sur lesquels la raison
Encore a quelque force.
HYLAS
L'homme que la nature
A rendu si puissant,
Ne doit-il avoir honte
De se soumettre à quelqu'autre plus faible?
AGLANTE
Si l'homme est le plus fort,
C'est pour lui faire entendre
Qu'il a la force afin de la servir,
Cette femme plus faible:
Et ne vois-tu, berger,
Cette même ordonnance
En toute la nature?
Le cheval n'est-il pas
Beaucoup plus fort que l'homme?
Et voudrais-tu que l'homme se soumît
À porter le cheval?
Et le boeuf n'est-il pas
Plus fort encor que l'homme?
Et voudrais-tu que le boeuf pour cela
Mit l'homme à la charrue?
Non, non, berger, crois-moi,
Si l'homme a cette force,
C'est pour le servir mieux,
Ainsi que je t'ai dit,
Ce cher présent des cieux,
Cette femme admirable,
Cette femme adorable,
Si parmi les mortels
Quelque chose admirable,
Quelque chose adorable
Est digne des autels.
HYLAS
Que je te plains, Aglante,
D'avoir cette pensée.
AGLANTE
Mais que je me plaindrais
Si j'avais eu jamais autre pensée.
HYLAS
Qu'il les faille adorer?
AGLANTE
Qu'il les faille adorer.
HYLAS
Ces femmes imparfaites?
AGLANTE
Ces femmes si bien faites.
HYLAS
Et nous soumettre à elles?
AGLANTE
Et nous soumettre à elles.
HYLAS
Quoi qu'elles soient cruelles?
AGLANTE
Cruelles comme belles.
HYLAS
Ô pauvre Aglante, ou plutôt pauvre Adraste,
Adraste le plus fol
D'entre les plus grands fous!
Apprends de moi ceci,
La femme plus modeste
Est un fier animal,
Qui tant plus est aimé
Et tant plus fait de mal.
AGLANTE
Au contraire la femme
Est un bien si parfait,
Que plus on l'aime et plus aimable elle est.
HYLAS
Tu la veux donc aimer
Quoi que j'en sache dire.
AGLANTE
Mon vouloir n'est-il pas
Du tout à Sylvanire?
HYLAS
Mais elle ne veut pas
Que tu l'aimes, berger.
AGLANTE
Mon coeur est immuable,
Il ne saurait changer.
HYLAS
Tu ne veux donc point
Faire ce qu'elle veut.
AGLANTE
Voudrait-elle d'Aglante
Plus qu'Aglante ne peut?
Tu perds le temps, tu travailles en vain,
Hylas, assure-toi
Qu'amour n'est pas semblable à la chemise
Qu'on peut laisser pour en vêtir un autre,
Et toutefois semblable à la chemise
Peut-être est-elle bien;
Mais à celle, berger,
Dont la dernière fois
Hercule se vêtit,
Et de qui sans mourir
Il ne put se défaire.
Amour dedans un coeur
Vient volontairement,
Mais par la volonté
D'un coeur fidèle il ne sort nullement.
HYLAS
Ah misérable Aglante!
AGLANTE
Mais bienheureux Aglante!
HYLAS
N'est-tu pas malheureux
D'aimer sans être aimé?
AGLANTE
Mais bienheureux Phoenix
Aux rayons d'un soleil
Je me vois consumé.
HYLAS
Et quand tu seras mort
Que servira ta flamme?
AGLANTE
Je la conserverai
Toujours dedans mon âme.
HYLAS
Te voila bien, tiens-toi bien chaud, Aglante.
AGLANTE
J'aurai l'âme contente.
HYLAS
S'il est ainsi de peu tu te contentes:
Comment, berger, perdre l'âge et la peine,
Tant de soupirs, tant de pleurs épandus,
Tant de soins employés,
Et vainement pour une fille ingrate?
Et puis, ô dieux! Pour toute récompense
Il te suffit d'en avoir au cercueil
La vaine souvenance:
J'aimerais mieux en perdre tellement
Tous les ressouvenirs,
Que je n'eusse mémoire,
Non seulement d'elle ou de ses rigueurs,
Mais de personne encore
Qui l'eût jamais connue.
AGLANTE
J'aimerais mieux, Hylas,
Et cela te suffise,
N'avoir jamais été
Du nombre des vivants,
Que si j'avais vécu
Sans avoir vu la belle Sylvanire.
Et j'élirais plutôt
N'avoir jamais rien vu,
Que si dès la même heure
Que mes yeux l'aperçurent
Mon coeur ne l'eût aimée.
Et je voudrais plutôt
N'avoir jamais aimé,
Et si je tiens l'amour
Tout le bonheur du monde,
Que si l'ayant aimée,
Cette belle cruelle,
Mon amour à jamais
Ne vivait éternelle.
HYLAS
Qu'est-ce que tu prétends?
AGLANTE
De la servir.
HYLAS
Mais servir sans loyer
C'est ce me semble une grande imprudence.
AGLANTE
Ce m'est un heurt si grand
D'aimer cette bergère,
Qu'amour m'a surpayé
Me la faisant aimer:
Il ne la faut aimer, cette belle cruelle,
Sinon que pour l'aimer,
Et pour payer le tribut que tout homme
Est obligé de rendre
À ses perfections,
Et non pour les faveurs
Qu'un amant comme toi
En pourrait désirer.
Trop vile, Hylas, est cette récompense
Pour mon affection,
À des amours vulgaires
Les faveurs ordinaires:
Mais à la mienne il faut
Quelque chose de plus,
Et ce plus, ô berger,
C'est aimer pour aimer.
L'amour est de l'amour
La seule récompense:
Et par ainsi, pour me la faire aimer,
Il me suffit qu'elle soit elle-même.
HYLAS
Or va berger,
Pour moi je te le quitte,
Je n'en dispute plus,
Je n'eusse jamais cru
Dedans l'esprit d'un homme
Une folie telle:
Aime à ton gré, mais le tout sans envie,
Et ne crains point que ce loyer d'amour
Que tu prises si fort
Te soit jamais ôté,
Sinon que la folie
Qui te tient abusé
Finisse par ta mort.
SCÈNE II
Hylas, Sylvanire, Fossinde, Aglante.
HYLAS
Mais la voici
La belle Sylvanire,
La voici ta déesse,
Si tu n'as cru, berger, à mes paroles
Tu sauras de sa bouche,
S'il n'est pas vrai qu'elle soit une souche.
SYLVANIRE
Mon dieu, ma soeur, tournons nos pas ailleurs.
FOSSINDE
Est-ce un serpent que vous avez trouvé?
Venez, venez, il n'est pas venimeux.
AGLANTE
Ô courtoise Fossinde,
Serpent se peut bien dire
Ce malheureux berger,
Si le serpent est haï de la femme.
Mais au rebours, serpent je ne suis pas,
Si le serpent est de nature froide,
Car je suis tout de feu:
Et s'il est vrai qu'à certaine saison
Il dépouille sa peau,
Car je n'ai jamais peu
Me dépouiller de l'amour que je porte
À cette belle et cruelle bergère,
Qui pour ne me voir pas
Ailleurs tourne ses pas.
Mais, belle Sylvanire,
Quelle raison vous peut faire en aller,
Si c'est pour me fuir
Vous ne le sauriez faire,
Car vous êtes toujours
Au milieu de mon coeur,
Et si vous ne pouvez
Fuir si vitement,
Qu'Aglante ne vous suive
Encor plus promptement;
Que si ce n'est du corps
Au moins de la pensée.
Arrêtez donc puisqu'il est impossible
Vous éloigner de moi:
Arrêtez Sylvanire,
Pour voir au moins dans ce coeur que je porte
Les coups plus glorieux
Qui soient jamais procédés de vos yeux:
Quelquefois le vainqueur
Se plaît d'ouïr redire
L'histoire de ses faits,
Se plaît de voir les coups
Qu'en la chaleur du combat il donna.
Et pourquoi mon vainqueur
Vous plaît-il pas de voir,
Puisque c'est votre gloire
En moi votre victoire?
FOSSINDE
Vraiment il sait aimer.
HYLAS
Voyez la dédaigneuse,
Elle ne daigne pas
Tourner les yeux vers lui.
AGLANTE
Vous détournez ailleurs
Vos beaux yeux que j'adore,
Cruelle je vois bien,
Je le vois bien que vos yeux ne sont pas
Égaux en cruauté
Au coeur que vous portez:
Car ils ne peuvent voir
Les profondes blessures
Dont votre âme cruelle,
Ni votre coeur aussi dur qu'un rocher
N'ont jamais eu pitié.
Serez-vous jamais lasse
De me voir tant souffrir?
HYLAS
Le voilà le bonheur
De ces amants fidèles.
FOSSINDE
Mais toutes ne sont pas
D'une humeur si cruelle.
AGLANTE
Au moins avant ma mort
Faites-moi cette grâce,
Qu'hélas je puisse dire,
Je les vis sans rigueur
Un moment, ces beaux yeux,
Ces yeux de Sylvanire.
HYLAS
Ô belle récompense.
AGLANTE
Vous ne répondez point,
Ô ma belle bergère!
Dieu voulut que celui
Qui m'a lié le coeur
Vous eût lié la langue.
SYLVANIRE
Que cherches-tu de moi?
Aglante que veux-tu?
AGLANTE
Amour! Amour!
SYLVANIRE
Amour, il ne se peut,
Amour et mon honneur ne peuvent être ensemble.
FOSSINDE
Amour et votre honneur
Ne peuvent être ensemble;
Car l'amour et l'honneur
Ne sont pas ennemis
Sinon dans votre coeur.
SYLVANIRE
Je veux bien que l'on croit
Que dans mon coeur l'amour
Ne peut faire séjour,
Pourvu que de l'honneur
L'on n'en soit point en doute.
HYLAS
Honneur vraiment humeur
Et pure opinion,
Un idole impuissant
Qui jamais ne se sent,
Une feinte chimère,
Dont aujourd'hui les filles
Se laissent abuser
Par leurs mères plus fines.
SYLVANIRE
Soit ainsi que tu dis,
Ce que je ne crois pas,
Qu'en puis-je-mais, Hylas?
Je ne veux tant y a
Me faire d'autres lois,
Que les lois ordinaires
Que nous donnent nos mères.
HYLAS
Ta mère quelquefois,
Et n'en sois point en doute,
Fut jeune comme toi.
AGLANTE
Mais non pas aussi belle.
HYLAS
Peut-être moins cruelle.
SYLVANIRE
Et qu'est-ce pour cela?
HYLAS
Pour cela je veux dire
Que maintenant ta mère
Te porte envie, ô folle,
Et qu'elle ne veut pas
Que tu goûtes les biens
Que l'âge lui dénie.
Elle s'en ressouvient,
De ces biens que je dis,
Et sans cesse ils reviennent
Devant ses yeux, en te voyant si belle,
Et de chacun aimée,
Et l'envieuse en sa fille elle blâme
Ce qu'elle eut autrefois
De plus cher en son âme.
FOSSINDE
Hylas toujours est Hylas en effet.
AGLANTE
Non, non, belle bergère,
Et sage autant que belle,
N'écoutez point Hylas,
Votre beauté fait que chacun vous aime,
Votre vertu doit en faire de même.
Je vous aime, il est vrai,
Plus que jamais amant
Autre beauté n'aima:
Mais croyez-moi, j'aimerais mieux la mort
Que de voir, Sylvanire,
La moindre tache en vous,
L'amour que je vous porte
Parfaite en toute sorte
Ne demande sinon
Ce que l'honneur justement vous commande:
Mais cet honneur dont vous êtes soigneuse
Comme vous le devez,
Ne vous y trompez pas,
N'est pas d'être cruelle,
N'est pas d'être insensible,
N'est pas d'être une tigre,
N'est pas d'être un rocher;
Car autrement l'honneur et la nature
Se diraient ennemis.
Nature qui commande
D'aimer, non pas peut-être
Comme l'on va disant,
Tous ceux belle bergère
Dont nous sommes aimés,
Mais tous ceux qui nous aiment
Comme l'on doit aimer,
Et cet honneur, ô sage Sylvanire,
Gît à ne faire rien
Qui puisse être contraire
À la vertu dont cet honneur procède.
Et par ainsi l'amour,
J'entends l'amour que le berger Aglante
A pour vous dans le coeur,
Naissant de la vertu,
Aussi bien que l'honneur
N'est pas son ennemi,
Mais son frère plutôt.
HYLAS
Belle philosophie.
AGLANTE
Et pour montrer que cet amour est né,
Et cet honneur tous deux de même mère,
Avez-vous jamais vu
En moi quelque action
De l'amour que je dis
Qui soit contraire aux lois de cet honneur?
SYLVANIRE
Aglante il est bien vrai,
Mais l'amour que tu dis
Est si semblable à l'autre,
Que bien souvent ils sont pris l'un pour l'autre.
AGLANTE
L'oeil qui s'y trompe a bien mauvaise vue.
SYLVANIRE
Je le veux croire ainsi
Pour ton contentement: (26)
Ne sais tu pas, Aglante,
Qu'entre nous il y a
De ces mauvaises vues
Plus grande quantité,
Que non pas de bien bonnes?
Ne sais-tu pas que l'oeil
De ces choses cachées
N'en voit qu'autant que le soupçon le veut?
Retiens ceci de moi,
Puisque l'honneur gît en l'opinion,
Il ne faut pas donner occasion
De soupçonner chose que l'on ne voie:
Donc n'en parlons plus,
N'en parlons plus, je ne veux point d'amour,
Je ne veux point de commerce avec lui,
Et quand ce ne serait
Que ces amours ont un semblable nom,
Je ne veux point d'amour.
HYLAS
Le voila bien payé.
AGLANTE
Ô quelle cruauté,
Parce qu'on nomme amour du nom d'amour
Elle rejette amour.
FOSSINDE
Puisque le nom vous fait haïr la chose,
Changeons ce nom d'amour,
Nommons le d'autre sorte.
SYLVANIRE
Non ma soeur je ne veux
Ni l'effet ni le nom
De l'amour que vous dites;
Au contraire je veux
Le fuir, le haïr,
Et tous ceux qui le suivent
Comme fiers ennemis.
AGLANTE
Ennemi, Sylvanire,
Pouvez-vous bien nommer
Celui qui vous honore,
Celui qui vous révère,
Celui qui vous adore:
Et quels seront ceux-là
Que vous honorerez
Du nom de vos amis,
Et de vos serviteurs?
SYLVANIRE
Je donnerai ce nom
De cruel ennemi
À tous les ennemis
De mon honnêteté.
Crois-tu que je ne sache
Que le miel est toujours
Dans la bouche au trompeur,
Et le fiel dans le coeur?
N'en parlons plus, Aglante,
Mets ton coeur en repos,
Jamais je n'aimerai
Que qui j'épouserai.
J'ai de ma mère appris
Qu'il faut vaincre en fuyant
Cet enfant de Cypris:
Fuyons le donc, berger,
Pour vaincre ce vainqueur.
Et si tu ne veux pas
Le fuir avec moi,
Ne trouve point étrange
Qu'avec toi je ne le veuille suivre.
AGLANTE
Ô cruelle bergère!
Est-ce donc là toute ma récompense?
HYLAS
Tantôt, ce disait-il,
Il n'en demandait point.
AGLANTE
Devais-je point attendre
D'une amour si fidèle
Une fin moins cruelle?
Le ciel m'en vengera,
Le ciel qui n'aime pas
La cruauté, ni l'injustice aussi.
Mais va, cruelle, va,
Va de toutes les âmes
L'âme la plus sauvage,
Va la plus insensible
Qui fut jamais au monde,
Augmente ta rigueur,
Si tu le peux, par dessus ta beauté,
Tu ne feras jamais
Que cette amour que dans le coeur je porte,
Jamais, jamais en sorte.
HYLAS
Nyi toi tu ne feras
Par ta sotte constance,
Que jamais, que jamais
À te plaire elle pense.
Il est hors de lui même:
Mais pour dire le vrai
Sylvanire est cruelle.
Nous n'avions qu'un Adraste,
J'ai peur s'il continue,
Comme j'ai déjà dit,
Que bientôt ils soient deux.
Mais je m'en vais le suivre
Pour essayer s'il se peut consoler.
SYLVANIRE
Ô quelle force il faut que je me fasse,
Nul ne le sait que mon coeur seulement.
SCÈNE III
Ménandre, Lerice, Sylvanire, Fossinde.
SYLVANIRE
Mais dieu voicI mon père,
Quelle importune et fâcheuse rencontre,
Je ne m'en puis aller
Sans qu'il s'en aperçoive.
MÉNANDRE
Enfin, enfin peut-être en quelque lieu
Elle se trouvera,
Cette coureuse.
LERICE
Il le faut pour certain,
Car nous l'avons cherchée
Partout où par raison
Nous la pouvions trouver:
Mais la voilà, Ménandre.
MÉNANDRE
Dieu soit loué, je ne veux plus, Lerice,
Remettre cette affaire,
Ni l'aller dilayant, (27)
Je veux avoir sa résolution,
Et qu'elle parle clair,
Il faut qu'elle l'épouse,
Quoi qu'elle sache dire.
LERICE
Je crois bien que jamais
Elle ne sortira
De vos commandements.
MÉNANDRE
Je l'entends bien ainsi,
Ou bientôt, ou bientôt,
Elle ressentira
La puissance d'un père
Justement courroucé.
Il faut parler à elle:
Écoute Sylvanire?
SYLVANIRE
Que vous plaît-il mon père?
MÉNANDRE
Je veux que tu sois sage.
FOSSINDE
Sage, Ménandre, et ne l'est-elle pas?
MÉNANDRE
Je veux qu'à mon vouloir
Ton vouloir tu réduises,
Si tu fais autrement
Je te ferai sentir
D'un père le pouvoir.
FOSSINDE
Jamais, sage Ménandre,
La charge n'est bien faite
De qui le faix penche tout d'un côté.
Il faut que Sylvanire,
Et c'est bien la raison,
Obéisse à Ménandre,
De son côté commande comme il faut.
MÉNANDRE
Je veux, et je le veux,
Qu'elle épouse Théante,
Et de plus qu'elle l'aime.
FOSSINDE
Ménandre tu peux bien
La donner à Théante,
Parce qu'elle est ta fille,
Mais faire qu'elle l'aime
Tu ne saurais, et ne t'y trompe pas,
La volonté dont amour prend naissance
N'est point sujette à quelque autre puissance,
Même les dieux, et prends exemple d'eux,
Laissent libre à chacun
Sa propre volonté.
MÉNANDRE
Je ne crois pas, Fossinde,
Quoi que tu saches dire,
Que si ton père Alcas,
Et ta mère Alderine,
Te proposaient Théante,
Ta résolution fut de le refuser:
Une fille bien née,
Une fille bien sage,
Comme tu sais, doit toujours se remettre
Au vouloir de son père.
Il est, crois-moi, presque plus excusable
À son sexe, bergère,
De faillir, et de suivre
Le conseil de son père,
Qu'il n'est pas honorable
De faire bien, et suivre seulement
Sa propre opinion.
FOSSINDE
Ménandre, il est bien vrai
Que j'élirais plutôt
De n'être pas, que de désobéir
Mon père ni ma mère,
Mais je sais bien aussi
Qu'ils ne m'ordonneront
Jamais chose qu'ils sachent
Que j'aie à contrecoeur.
MÉNANDRE
Chacun fait comme il veut
Des choses qui le touchent:
Pour moi je veux que Sylvanire épouse
Ce berger que je dis.
Mais tu ne réponds point,
Peut-être es-tu muette;
Parle un peu Sylvanire?
SYLVANIRE
Je ne suis pas muette,
Pardonnez-moi mon père,
Mais comment répondrai-je?
Vous ne me dites rien.
MÉNANDRE
Celui, comme l'on dit,
Est le plus sourd, qui ne veut pas entendre:
Je te dis, Sylvanire,
Que Théante te veut,
Théante le plus riche
Des bergers de Lignon,
Que son père déjà
M'en a fait la demande,
Que ta mère y consent,
Que je te le commande,
Et qu'il ne tient qu'à toi
Que les liens d'un heureux hyménée
Tous deux ne vous étreignent
D'indissolubles noeuds:
Qu'est-ce que tu réponds?
N'as-tu point de parole?
Tu te caches les yeux:
Et d'où vient cette honte?
Ne veux-tu point parler?
LERICE
Est-ce ainsi, Sylvanire,
Quand quelqu'un parle à toi,
Même quand c'est ton père,
Qu'il faut être muette:
T'ai-je enseigné cette civilité?
SYLVANIRE
Pardonnez-moi, mon père,
Et vous ma mère aussi,
Si je ne vous réponds
Comme vous le voulez,
L'affection que je porte à tous deux,
Ainsi que la nature
Et mon devoir me tiennent obligée,
M'empêche la parole,
Et la voix me dérobe.
MÉNANDRE
Pourquoi l'affection
Et le devoir, font-ils un tel effet?
SYLVANIRE
Parce que je sais bien
Que cette servitude,
Qu'on nomme mariage,
Loin de tous deux à jamais me tiendra.
FOSSINDE
Elle a raison.
MÉNANDRE
Elle a raison, bergère;
Mais tant s'en faut, si Théante la prend:
Des deux maisons je n'en veux faire qu'une.
LERICE
Non, non, mon cher enfant
Efface cette doute,
C'est la première chose
Qu'on leur a protestée.
FOSSINDE
L'amant promet, et promet ce qu'on veut
Pour obtenir la chose désirée,
Mais l'ayant obtenue,
De toutes ses promesses
Il n'en tient qu'une seule,
Et c'est d'être mari,
C'est à dire le maître
Au langage commun
Des hommes de ce temps,
De tout le reste il n'en fait point de compte.
SYLVANIRE
Ô dieux! Mon père, et qu'est-ce que j'ai fait,
Que vous veuillez, et vous ma mère aussi,
Vous défaire de moi?
Me chasser de chez vous?
Me bannir de chez vous?
Et me priver de l'heur de votre vue?
Si je ne suis pas digne
De vivre auprès de vous
Avec le nom de fille,
Ah donnez-moi celui
De servante et d'esclave,
Tous noms me seront doux,
Toutes conditions
Me seront agréables,
Pourvu, mon père, hélas! Pourvu ma mère
Que je sois près de vous,
Et que je puisse, ainsi que je le dois,
Jusqu'à ma mort vous servir l'un et l'autre.
LERICE
Elle me fend le coeur
Voyez le naturel
De cette pauvre fille.
Mais penses-tu m'amie,
Penses-tu que ton père,
Ni que ta mère aussi
Puissent t'aimer si peu,
Qu'ils veulent consentir
À ton éloignement?
Perds cette opinion,
Et sois très assurée
Qu'à jamais près de nous
Sylvanire vivra.
Et lorsque du destin
Les parques éternelles
Finiront de nos jours
La dernière fusée:
Ce sera toi, ma fille,
Ainsi les dieux le veuillent,
Qui nous rendras ce pitoyable office
De nous clore les yeux.
Mais résous-toi d'obéir à ton père,
Il te veut voir bientôt mère d'enfants,
Le support agréable
De nos vieilles années.
Il veut revivre en eux
D'une seconde vie,
Comme en toi, Sylvanire,
Déjà nous revivons.
Oui, oui, Ménandre, il n'en faut point douter,
Sylvanire est trop sage,
Elle le veut, puisqu'il vous plaît ainsi.
SYLVANIRE
Ah! Ma mère pour dieu
Ne me procurez point
Un désastre si grand.
J'ai promis à Diane
De suivre dans les bois
Ses chastes exercices:
Et de fuir d'hymen
Les impures délices.
Je serai, s'il vous plaît,
Et s'il plaît à mon père,
Ou vestale ou druide,
Ou si mieux vous l'aimez,
Je suivrai dans les bois,
Avec le choeur des nymphes,
Cette chaste Diane,
Comme je suis par mes voeux obligée,
Vous savez bien comme saints et sacrés
Doivent être les voeux.
MÉNANDRE
Belle dévotion,
Pour ne point obéir
À ce que je commande:
Ne sais-tu point encore
Que par les lois les enfants ne sauraient
Disposer d'eux sans le consentement
Du père et de la mère?
FOSSINDE
Ces lois sont lois des hommes,
Les voeux sont faits aux dieux,
Où les lois des mortels
Ne peuvent arriver.
MÉNANDRE
Ces lois dont je lui parle,
Quoi que faites des hommes,
Sont aussi lois des dieux;
Ce sont lois de nature,
Et la nature et Dieu
Sont une même chose.
Mais je vois bien d'où procèdent ces voeux:
Tu prétends, Sylvanire,
Dessous le voile feint
De cette piété
Couvrir tes beaux desseins,
Et d'abuser les miens,
Pensant ainsi de rompre par souplesse,
Ou par longueur de temps
L'hymen que je désire:
Mais tu te trompes fort,
Je suis plus fin que toi,
Je vois jusqu'en ton coeur.
SYLVANIRE
Plut à dieu!
MÉNANDRE
Les desseins que tu fais.
Que défaut-il à ce gentil Théante,
Que puisse avoir un berger accompli?
Et toutefois, fille malavisée,
Théante te déplaît,
En voudrais-tu quelque autre
Ou plus noble, ou plus riche?
Mais je vois bien que c'est;
Ces petits affettés
Qui te vont muguettant, (28)
De ta beauté t'ont conté des merveilles.
T'ont-ils pas dit que rien n'est de si beau
Que Sylvanire est belle?
Que c'est un grand dommage
De la mettre si tôt
Dans le tombeau d'hymen:
Car c'est ainsi qu'ils vont nommant entre eux,
Ces têtes éventées,
Les saints liens du sacré mariage;
Qu'il faut que tes beautés
Longtemps soient admirées,
Longuement soient servies,
Et de tous adorées,
Avant que se soumettre
À la sévérité
Des tyranniques lois
De quelque mariage,
Qu'il sera toujours temps
D'entrer en servitude,
Que cependant il faut,
Puisque le ciel t'a voulu faire belle,
User de ta beauté,
Te faisant désirer
Par tous les coeurs
De ceux qui te verront.
Voilà sans doute, ô folle, de tes voeux
La source et l'origine,
Tu veux être servie,
Tu veux être admirée
Par ces jeunes garçons,
Qui te vont abusant
De vaine flatterie:
Car tu sais qu'un mari
Ne le souffrirait pas.
Mais imprudente, imprudente et peu sage,
Si tu savais combien cette beauté
Est peu de chose, et combien aisément
Elle se change en extrême laideur,
Tu dirais avec moi
Que c'est une folie,
Que celle qui t'abuse.
La beauté c'est un verre
Qui reluit au soleil;
Mais aussi qui se casse
Au moindre coup qu'il a.
Au soleil des beaux ans,
Et les beaux ans j'appelle
Les ans de la jeunesse:
Il est vrai, la beauté
Jette bien quelque fleur;
Et cette fleur sans doute
S'admire en son printemps:
Mais combien aisément
Se flétrit-elle aussi?
On voit souvent que le même soleil
Qui l'adorait au point de son réveil
À son coucher la pleure.
Ces beaux cheveux qui recrépés et longs
Font par leurs filets d'or
Honte à l'or même, ô jeunesse imprudente,
Bientôt, bientôt, changeront en argent;
Et tous ces rets où les coeurs sont surpris
Seront filets d'araigne
Sans force et sans puissance.
Ce front poli qui semble un lait caillé,
Dont la blancheur dispute avec le lys,
Bientôt perdant l'éclat de cette neige
Se ridera par autant de sillons
Que nos riches campagnes,
Lorsque du coultre aigu
L'outrage elles ressentent:
Et ces yeux où l'amour
Semble prendre les feux
Pour allumer ses flambeaux plus ardents,
Bientôt changés par le cours des années,
Au lieu de feux n'auront plus que la cire
De ces mêmes flambeaux.
Ô dieu quel changement!
Car alors, Sylvanire,
Au lieu de ces ardeurs
Dont ces beaux yeux sont pleins,
Si beaux on les peut dire,
Faits chassieux par l'usage du temps,
Ils ne produiront plus
Que de l'eau pour éteindre
L'embrasement qu'ils auront allumé.
Mais cette belle bouche
Où de rougeur, ainsi que l'on te dit,
Le corail est vaincu,
Où le désir quoique l'on puisse faire,
Par les baisers n'est jamais contenté,
Bientôt sera ternie,
Et bientôt par les ans
Les ris mignards en seront déchassés,
Les baisers s'enfuiront,
Et les désirs même s'étonneront
De l'avoir désiré.
Quelle crois-tu que deviendra ta joue
Des roses et des lys
La beauté ternissant?
Et ce beau teint l'honneur de ton visage?
L'hiver bientôt par les ans redoublé
De cette fleur la beauté flétrira,
N'en doute point, et lors au lieu de fleur
Il ne t'en restera
Seulement que l'épine.
Cette taille si droite
En arc se voûtera,
Et la tête arrogante
Que tu vas élevant
Altière et glorieuse,
Bientôt, bientôt, contre terre abaissée
Semblera de chercher
Cette beauté perdue
Parmi la terre, et dès lors montrera
Que toutes tes beautés
N'ont rien été que poussière et que terre,
Et que tu vas aussi
En terre les cherchant.
Dis-moi, dis-moi, peu prudente jeunesse,
Lorsque tu seras telle,
Que te vaudra l'orgueilleuse beauté,
Qui te fait dédaigner,
Et mes commandements,
Et le berger Théante
Avec tant d'avantages?
Réponds, où t'en vas-tu?
Où vas-tu Sylvanire?
Voyez être arrogante,
Voyez cette imprudente,
Voyez l'outrecuidée,
Elle s'en va sans répondre un seul mot.
SCÈNE IV
Fossinde, Ménandre, Lerice.
FOSSINDE
Jamais de tous les pères
Il n'en fut un plus cruel que le tien,
Ô pauvre Sylvanire.
MÉNANDRE
Il est bon là, le battu cette fois
L'amende payera:
Encore ai-je le tort.
Ô siècle dépravé!
Ô siècle monstrueux!
Ô siècle où la vertu
A perdu son crédit!
Ou bien siècle plutôt
Qui ne la connais plus,
Cette vertu que les enfants jadis
Estimaient tant, et qui faisaient aussi
Qu'ils étaient estimés
De ceux qui les voyaient
Observateurs des lois d'obéissance.
Qu'un enfant eut osé
Désobéir, je ne dis pas au père,
Mais au moindre de ceux
Sous qui l'âge et le sang
Les soumettait; ô dieu combien étrange
Chacun l'eut-il trouvé.
Je crois, oui je le crois
Que par décret commun
De toute la contrée,
Il eut été puni,
Il eut été banni
Du commerce des hommes:
Et maintenant ce n'est que l'ordinaire
Désobéir et son père et sa mère,
C'est avoir de l'esprit,
C'est avoir du courage,
C'est, ce dit-on, avoir du sentiment:
Ô ciel! Ô terre! Ô dieux je vous appelle,
Venez, voyez, jugez, et punissez,
Punissez-la, grands dieux,
Cette malavisée,
D'une si grande faute.
On dit que les enfants,
Ainsi du ciel l'ordonne la justice,
Punissent bien souvent
Les désobéissances
Que leurs pères ont faites
À leurs aïeuls, par des autres semblables.
Mais de moi je sais bien
Qu'il ne m'advint jamais
D'avoir fait cette faute,
Même de la pensée.
Et toutefois vous l'ordonnez ainsi,
Vous l'ordonnez, ô grands dieux! Que je sache
Combien telle blessure
Est cuisante et sensible
Au père qui l'endure;
Que votre volonté
Soit en tout accomplie:
Seulement je requiers
Avoir assez de force
Pour la bien supporter.
Mais bien, mais bien, et qu'elle s'en assure,
Elle n'en rira pas,
Cette peu sage fille,
Je lui ferai sentir,
Et bientôt, et bientôt,
D'un père le courroux:
Je dis d'un père à qui toute raison
Donne l'autorité
De châtier une fille insolente.
Tu ne l'eusses pas cru,
N'est-il pas vrai, Lerice?
Si tu ne l'eusses vu:
Tu me disais toujours,
Pour certain notre fille
Ne sortira jamais
Du respect qu'un enfant
Doit à son père. Or dis-le maintenant,
Et sois sa caution
Comme tu voulais être.
LERICE
Je la blâme à cette heure
Aussi bien comme toi,
Cette inconsidérée,
Je le confesse, elle m'a bien deçue.
FOSSINDE
Et moi je crois qu'elle n'a point de tort,
Et que c'est vous, vous Ménandre et Lerice
Qui l'avez tout entier,
Et qu'elle seule en fait la pénitence.
LERICE
Que nous avons le tort?
FOSSINDE
Que vous avez le tort.
MÉNANDRE
Que Ménandre a le tort?
FOSSINDE
Oui toi plus que Lerice.
Et qu'a dit Sylvanire
Qu'avec raison quelqu'un puisse blâmer?
MÉNANDRE
Que n'a-t-elle pas dit?
Que n'a-t-elle pas fait?
FOSSINDE
Elle a dit des paroles
Pour émouvoir des rochers insensibles:
Elle a pleuré, mais des pleurs qui pouvaient
Faire pleurer par la compassion
Et des ours et des tigres.
MÉNANDRE
Elle s'en est allée?
FOSSINDE
Elle s'en est allée:
Mais pleine de respect
Elle a fait à tous deux
Une humble révérence
Avant que de partir.
MÉNANDRE
Donc, Fossinde, à ton opinion
On peut payer un père et une mère
Par une révérence?
Il faut qu'en ton pays
Il en soit cette année
Une grande cherté
De telles révérences,
Puisque l'on paye ainsi
Les devoirs qui sont dûs
Au père et à la mère.
FOSSINDE
Je vois bien qu'il est vrai,
Quoi que jusques ici
J'aie eu peine à le croire.
MÉNANDRE
Qu'est-ce que tu veux dire?
FOSSINDE
Je veux dire, Ménandre,
Que le gentil Sylvandre,
Sylvandre ce berger
Qui de tous les bergers
Est estimé le plus sage et prudent,
Peu de jours sont passés
Disait avec raison,
Qu'il s'estimait le plus heureux berger
De toute la contrée,
En ce que tous l'estimaient malheureux.
Car chacun, disait-il,
Me croit infortuné
De ne connaître point
Mon père ni ma mère.
Et certes il est vrai
Que j'eusse bien voulu
Les connaître tous deux,
Afin de les servir
Comme les dieux m'obligent.
Mais que mon heur est grand,
Quand je vois au rebours
Des pères et des mères
L'humeur insupportable,
Qui traitent leurs enfants,
Non comme leurs enfants,
Mais comme leurs esclaves,
Ne leur demandant pas
Des devoirs, des respects,
Mais bien des servitudes.
Telles se peuvent dire
Les dures tyrannies,
Que souffrent les enfants
Sous le titre menteur
De cette obéissance
Que les pères demandent.
Car réponds-moi, Ménandre, je te prie.
Qu'a commis Sylvanire,
Qui puisse ainsi te faire plaindre d'elle?
T'a-t-elle répondu,
Avec peu de respect?
N'a-t-elle pas avec patience
Enduré les injures
Qu'il t'a plu de lui dire!
MÉNANDRE
Que voulais-tu qu'elle fît davantage?
Ne m'a-t'elle pas dit
Qu'elle ne voulait point
De ce riche Théante?
FOSSINDE
Peut-être qu'en son âme
Elle l'a bien pensé:
Mais de te l'avoir dit,
Ménandre, tu te trompes,
Elle a bien dit vouloir suivre Diane,
Ou bien être druide,
Ou vestale sacrée.
MÉNANDRE
Mais je ne le veux pas.
FOSSINDE
Et si les dieux le veulent?
MÉNANDRE
Les dieux ne veulent rien
Contre raison de nous.
FOSSINDE
C'est raison qu'elle soit
À qui nous sommes tous.
MÉNANDRE
Et toi voudrais-tu bien
Suivre Diane aussi?
FOSSINDE
Si pour père j'avais
Un Ménandre, je pense,
Je le dirais ainsi.
MÉNANDRE
Que je t'estime au moins,
Fossinde, de le dire.
FOSSINDE
Et pourquoi le disant,
Blâmes-tu Sylvanire?
MÉNANDRE
Sylvanire est ma fille,
En toi qu'ai-je à connaître?
FOSSINDE
Dieu me garde de l'être,
Puisque par force il se faut marier
À celui qu'à ton gré
Il te plaît de choisir.
MÉNANDRE
Tu te choisiras donc
Toute seule un mari?
FOSSINDE
Mon père comme toi
N'en sera pas marri.
MÉNANDRE
Je ne saurais penser
Qu'Alcas le trouve bon,
Ni qu'il le doive faire:
Mais chacun toutefois
Fasse ce qu'il lui plaît.
FOSSINDE
Quoi? Que pour moi mon père
En choisit un si laid?
MÉNANDRE
Pourvu qu'il eût du bien.
FOSSINDE
Jamais, jamais, un mari pour le bien
Ne sera mien.
MÉNANDRE
Que faut-il davantage?
FOSSINDE
Qu'il ait un beau visage,
Et qu'il soit honnête homme.
MÉNANDRE
L'homme jamais ne se peut dire laid,
Pourvu qu'il le soit moins
Qu'un démon ne l'est pas.
FOSSINDE
Proverbe remarquable:
Pour moi je le veux beau,
Ou bien je n'en veux point,
Si je rencontre au milieu de la rue
De ces visages faits
En dépit des visages,
Et d'horreur et de peur
Ils me font tressaillir,
Et que ferais-je, ô dieux,
Si je les rencontrais
Dans un lit toute seule?
Qu'on ne m'en parle point,
Pour moi j'aime les beaux,
Et je vois que les hommes
Aiment aussi les belles.
LERICE
Et bien, Fossinde, étant ton humeur telle,
Quand on voudra te donner un mari,
Nous te le ferons faire
Expressément; car comme tu le veux
Il ne s'en trouve point
Si l'on ne les commande.
SCÈNE V
Tirinte, Alciron.
TIRINTE
Mais est-il bien possible
Que ce miroir ait si grande vertu?
ALCIRON
N'en doute point, Tirinte,
Fais seulement qu'elle y jette les yeux,
Et tu verras un effet admirable.
TIRINTE
Quel effet fera-t-il?
ALCIRON
Contente toi, berger,
Que tel sera l'effet
Que ton coeur le désire.
TIRINTE
Crois-tu qu'il puisse faire
Que Sylvanire m'aime?
ALCIRON
Que vas-tu recherchant?
Contente toi que je la remettrai
Entre tes mains, cette belle cruelle.
TIRINTE
Du consentement d'elle.
ALCIRON
Ô la plaisante humeur!
Tirinte je te dis
Que si dans ce miroir
Sylvanire regarde,
Rien ne peut empêcher
Qu'elle ne soit à toi:
Et n'es-tu pas content
Si tienne elle peut être?
TIRINTE
Je le suis pour certain.
ALCIRON
Mais écoute berger
Garde-toi bien toi-même
D'y regarder dedans.
TIRINTE
Est-ce un enchantement?
ALCIRON
Je ne suis pas, Tirinte,
De ceux qui par leurs vers
Ensanglantent la lune,
Ou qui de leurs regards
Les troupeaux ensorcellent:
Mais ce miroir de sorte est composé
De choses naturelles,
Que dès que Sylvanire
Les yeux y jettera,
Assure-toi que tienne elle sera:
Mais vois-tu bien de crainte qu'en quelque autre
Même effet il ne fasse
Ressouviens-toi, berger,
De l'ôter de ses mains,
Sans qu'elle prenne garde,
Que ce soit à dessein:
Que si tu ne peux mieux
Fais semblant de le rompre,
Ou le romps en effet,
Quoi qu'il vaille beaucoup,
J'aime mieux toutefois
Qu'il te serve à ce coup,
Ainsi que tu désires,
Et qu'il se rompe après t'avoir servi.
Que s'il t'advient, écoute bien, berger,
D'y regarder peut-être par mégarde:
Ne sois point paresseux
De me venir trouver,
Afin que je te donne
Le remède qu'il faut
Contre le mal qui t'en arriverait.
TIRINTE
Que ne devrai-je point
À mon cher Alciron,
Si par un tel moyen
J'obtiens le bien que mon âme désire?
ALCIRON
Aime-moi seulement.
TIRINTE
Je t'aimerai, mais éternellement.
ALCIRON
Surtout ressouviens-toi
De ne point t'étonner,
Pour chose que tu vois:
Car je t'assure, et cela sur ma vie
Que tout réussira
À ton contentement.
SCÈNE VI
TIRINTE
Or cessez mes soupirs,
Tarissez-vous mes pleurs,
Adieu tristes pensées,
Désespoirs qui vouliez
Toujours m'accompagner,
Je vous bannis de moi,
Votre temps est passé,
Vous n'avez plus de commerce en mon âme,
Ni mon âme avec vous,
Trop longuement mon coeur vous a permis
De loger avec lui,
Le bonheur maintenant
Occupe votre place,
Et le destin se plaît même de voir
Que ma fidélité
Surmonte son pouvoir.
Des grands dieux je n'envie,
Ni le nectar, ni la douce ambrosie, (29)
Ni de tous les humains
Le bonheur le plus grand:
Rien de mortel ne saurait égaler,
Ni même la pensée,
L'heur que j'attends de cet heureux miroir.
Ô cher miroir sois ministre fidèle,
Ne déçois point l'espoir que j'ai de toi;
Et si les dieux dans les cieux ont bien mis
Une balance, un navire, un autel,
Un dard, une couronne;
Pourquoi miroir plus digne mille fois
D'être mis dans les cieux
Ne t'y mettront-ils pas?
Dès ici je consacre,
Si tu me fais ce bien,
Un saint autel à ta divinité,
Et par raison ne te devrai-je pas
Estimer comme un dieu,
Si tu me fais le bien
Que tous les dieux tant de fois invoqués,
Mais invoqués en vain,
Jamais ne m'ont pu faire?
Mais dieu quelle fortune!
Tout rit à mon dessein,
Voici venir la belle Sylvanire.
Ô déité qu'en ce miroir j'adore
Sois propice à mes voeux,
Dénoue en moi la langue
Et lui serre le coeur.
SCÈNE VII
Sylvanire, Fossinde, Tirinte.
SYLVANIRE
Faut-il toujours que quelqu'un je rencontre
Qui trouble mon repos?
FOSSINDE
Cette rencontre est peu désagreéable,
Elle se peut souffrir
Sans danger de mourir.
SYLVANIRE
Je sais fort bien, Fossinde,
Que ce n'est pas celle d'un basilic,
Pour le moins que sa vue
Ne blesse ni ne tue.
FOSSINDE
Elle blesse, elle tue,
Sylvanire, sa vue,
Les coeurs le savent bien,
Et si ce n'est le tien
Pour cela ne crois pas
Qu'un autre ne l'épreuve.
Mais berger Dieu te garde.
TIRINTE
Dieu garde Sylvanire.
SYLVANIRE
Et toi gentil berger.
FOSSINDE
Et moi, Tirinte, ô dieux,
Ne dois-je point avoir
De part en ton salut?
TIRINTE
Malaisément t'en puis-je faire part,
Puisque moi-même, hélas,
Pour moi je ne l'ai pas.
FOSSINDE
Si tu voulais, Tirinte,
Aimer celle qui t'aime,
En me rendant heureuse
Ton heur serait extrême.
TIRINTE
Vous belle Sylvanire,
Si vous vouliez aussi
Bien aimer qui vous aime,
En me rendant heureux
Votre heur serait extrême.
SYLVANIRE
Tirinte je t'ai dit
Et mille et mille fois,
Mets fin à tes ennuis,
Car t'aimer je ne puis.
TIRINTE
Fossinde je t'ai dit
Et mille et mille fois,
Mets fin à tes ennuis,
Car t'aimer je ne puis.
FOSSINDE
Tu ne me peux aimer,
Ô Tirinte cruel!
TIRINTE
Vous ne pouvez m'aimer,
Cruelle Sylvanire.
SYLVANIRE
Ce que j'ai dit, berger, te doit suffire.
TIRINTE
Ce que j'ai dit ne doit-il te suffire?
FOSSINDE
Mais quoi mon amitié?
TIRINTE
Mais quoi mon amitié?
SYLVANIRE
Quelqu'autre en ait pitié.
TIRINTE
Quelqu'autre en ait pitié.
FOSSINDE
Ô cruelle parole!
TIRINTE
Ô cruelle parole!
SYLVANIRE
Que le ciel te console.
TIRINTE
Que le ciel te console.
FOSSINDE
D'autre salut, berger,
N'en dois-je espérer point?
TIRINTE
D'autre salut, bergère,
N'en dois-je espérer point?
SYLVANIRE
Point.
TIRINTE
Point.
FOSSINDE
Ô cruauté!
TIRINTE
Ô cruauté!
SYLVANIRE
Que veux-tu que j'y fasse,
Si telle est la disgrâce
De ton cruel destin?
TIRINTE
Que veux-tu que j'y fasse,
Si telle est la disgrâce
De ton cruel destin?
FOSSINDE
Ce n'est pas le destin,
Mais c'est ta volonté
Qui t'endurcit en cette cruauté.
TIRINTE
Ce n'est pas le destin,
Mais c'est ta cruauté
Qui t'endurcit en cette cruauté.
SYLVANIRE
Non, non, crois-moi, Tirinte,
Ce n'est point cruauté
Qui me contraint d'en user de la sorte.
TIRINTE
C'est donc dédain.
SYLVANIRE
Ce n'est dédain non plus,
Je ne vois en Tirinte
Chose dont puisse naître
Ni dédain ni mépris.
FOSSINDE
Que ne me réponds-tu
Pour le moins ces paroles,
Malicieuse Echo?
TIRINTE
Laisse-moi je te prie,
J'ai bien la tête ailleurs:
Mais, belle Sylvanire,
Est-il bien vrai que dédain ni mépris
Pour mon sujet ne soit dans votre coeur?
Rendez m'en témoignage.
SYLVANIRE
Et quel le voudrais-tu?
TIRINTE
Recevez, Sylvanire,
Mon coeur que je vous donne.
FOSSINDE
Je le reçois.
TIRINTE
Ô l'importune fille!
SYLVANIRE
Donne le lui, Tirinte.
FOSSINDE
Elle dit bien, Tirinte,
Fais ce qu'elle te dit.
TIRINTE
Eh laisse-moi, Fossinde,
Quelle mouche importune?
Mais vous, belle bergère,
Voulez-vous recevoir
Le coeur que je vous offre?
SYLVANIRE
Tirinte je ne puis:
Une fille bien sage,
Au moins de mon humeur,
Se contente d'avoir
Puissance sur son coeur.
FOSSINDE
Et bien, bien, Sylvanire,
Un jour, un jour, vous saurez que m'en dire.
SYLVANIRE
Lors comme alors, mais maintenant je suis
De l'humeur que je dis.
TIRINTE
Aussi je vous confesse
Que vainement je vous faisais cette offre:
Car dès longtemps
Je ne l'ai plus ce coeur,
Je le vous ai donné
Dès que je vous ai vue;
Et toutefois, s'il est vrai qu'un mépris
Ne soit point le sujet
Du refus que vous faites,
Recevez pour le moins
Ce fidèle miroir
Que je vous offre, il vous dira pour moi
De mon affection
La cause légitime,
En vous représentant
Par une vraie image
La beauté qu'il verra,
Lorsque vous le verrez.
Dieux! Vous le refusez.
SYLVANIRE
Je ne refuse pas
Ce que tu me présentes:
Mais je consulte en moi
Si je le puis sans blâme recevoir.
TIRINTE
Et pourquoi, Sylvanire,
Le refuseriez vous?
SYLVANIRE
Les dons des ennemis
Sont suspects en tout temps.
TIRINTE
Je suis votre ennemi?
Je suis donc le mien même.
SYLVANIRE
L'amant est ennemi,
Si sans raison il aime.
TIRINTE
Est-ce aimer sans raison
Qu'aimer votre beauté?
SYLVANIRE
Quel amant n'aime point
Contre l'honnêteté?
TIRINTE
Tirinte pour le moins.
SYLVANIRE
Ils disent tous ainsi:
Qui m'en sera témoin?
TIRINTE
J'en demande du ciel,
Qui contient et voit tout,
L'assuré témoignage.
J'appelle du soleil
La lumière éternelle,
Qui ne voit seulement
L'univers tout entier;
Mais sans qui l'on ne peut
Rien voir en l'univers.
Je l'appelle à témoin,
Et tous les dieux ensemble,
Ceux du ciel, ceux de l'air,
De la terre et de l'onde,
Et des abîmes creux
Où commande Pluton,
Qu'ils reprochent en moi
L'amour que je vous porte,
Et punissent mon coeur,
Si mon affection
Ne s'est toujours tenue
Dedans les lois du plus étroit honneur.
SYLVANIRE
Oh! Les dieux ne punissent,
Comme on dit, les serments
Des parjures amants:
Mais toutefois je crois ce que tu dis,
Et sous cette assurance
Tirinte je reçois
Ce que tu me présentes:
Mais à condition
De ne le retenir
Qu'autant qu'il me plaira.
TIRINTE
Et moi, bergère, et tout ce qui de moi
Sera jamais, de votre volonté
Recevra l'ordonnance,
Sans s'y point opposer,
Hormis mon coeur: mais celui-là jamais
Ne vous éloignera,
Quoi que vous puissiez dire.
Heureux miroir, heureux je te puis dire,
Et plus heureux que celui qui te donne
Au mystère d'amour,
Élu par l'amour même:
Souviens-toi que je l'aime,
Et l'en fais souvenir
Jusqu'à ce qu'elle sente
En sa propre personne,
Qu'amour jamais l'aimer
À l'aimé ne pardonne.
SYLVANIRE
Sans mentir il est beau,
Et je le crois plus fidèle peut-être
Que n'était pas son maître.
Mais qu'est-ce que je sens,
Je suis toute étourdie.
TIRINTE
Ô bon commencement!
FOSSINDE
Je le veux voir aussi,
Donnez-le moi ma soeur.
TIRINTE
Non, belle Sylvanire,
Ne le lui donnez pas;
Ce qu'aux dieux on consacre,
D'une main si profane
Ne doit être touché.
FOSSINDE
Voyez le dédaigneux:
Ce qu'aux dieux on consacre,
D'une main si profane
Ne doit être touché:
Mais, discourtois berger,
Je le verrai, quoi que tu saches faire.
TIRINTE
Tu ne le verras pas,
Quand je le devrais rompre.
SYLVANIRE
Tiens, berger, ton miroir,
Je suis tant hors de moi
Que presque je ne sais
En quel monde je suis.
FOSSINDE
Donne le moi, berger,
Me veux-tu refuser
Le refus de quelque autre?
TIRINTE
Importune bergère,
Cesseras-tu jamais?
En cent pièces plutôt,
Que de te le donner,
Sous les pieds je le foule.
Voyez cette importune!
SCÈNE VIII
FOSSINDE
Donc sera-t-il vrai
Que je prie et supplie
Celui qui me dédaigne,
Et qui plein de mépris,
Plus je le vais suivant,
Et plus s'enfuit de moi?
Sera-t-il vrai que par des vaines plaintes
De ce cruel j'aiguise la rigueur?
Et pourrai-je souffrir
De me voir dédaignée
De celui qu'on dédaigne?
De ce double mépris
Tirons, Fossinde, ah! Tirons un remède
Qui nous puisse guérir,
C'est honte de souffrir
Pour un amant qui souffre pour un autre,
Et qui quand il voudrait
Ne saurait être notre.
Rompons-les donc, ces chaînes trop honteuses,
Rompons-les ces liens
Dont mon coeur fut étreint,
Et d'un libre courage
Sortons de ce servage:
Et disons en sortant,
Inutile constance,
Honteuse patience,
Mon coeur est allégé.
Adieu triste pensée
D'une amour insensée,
Je vous donne congé.
Mais dieu qu'il est aisé
D'avoir un tel dessein,
Et qu'il est malaisé
De le mettre en effet.
Je pourrai donc n'être plus à Tirinte,
J'en dénouerai les noeuds,
Ou bien je les romprai:
Mais comment peut-il être,
Que sans être à Tirinte
Fossinde je puisse être?
SCÈNE IX
Fossinde, Satyre.
FOSSINDE
Mais qu'est-ce qui me tient
Ô dieux! C'est le satyre.
À l'aide, à l'aide, accourez mes compagnes:
Bergers à l'aide, hélas secourez-moi!
SATYRE
Crie et crie à ton gré,
Nous les verrons venir,
Ces filles déguisées
En tendres jouvenceaux:
Nous verrons leur courage,
Leur force et leur adresse:
Que s'ils te peuvent mettre
Hors de mes mains, aime-les plus que moi,
Tu n'auras point de tort.
FOSSINDE
Gentil Satyre, honneur de ces forêts?
SATYRE
Me suis-je pas en peu d'heure rendu
Gentil Satyre honneur de ces forêts?
Mais ce n'est que depuis
Que je te tiens liée.
FOSSINDE
Détache-moi, Satyre.
SATYRE
Non, non, trompeuse, il faut que plus longtemps
Je sois gentil Satyre,
Honneur de ces forêts.
FOSSINDE
Détache-moi, Satyre,
Et crois qu'en liberté Je te ferai paraître
L'amour que je te porte.
SATYRE
Je ne veux pas, je ne veux pas, finette,
De l'amour que tu dis
Avoir plus d'assurance
Que celle que j'en ai,
Je sais bien que tu m'aimes
Comme l'agneau le loup,
Je n'en suis point en doute.
FOSSINDE
Satyre tu te trompes,
Je t'aime, il est certain,
Pourquoi ne t'aimerais-je?
Que peut-on voir en toi
Qui ne se doive aimer?
Mais tu sais que les filles
N'osent le plus souvent
Déclarer leur amour.
SATYRE
Puisqu'il est vrai, Fossinde,
Que tu m'aimes si fort,
Et comme je le crois,
Tu dois être bien aise
De venir avec moi
Dans l'antre où je demeure.
FOSSINDE
Je le veux bien: mais détache ces noeuds.
SATYRE
Les dénouer, ô folle, il ne faut pas,
Car ton amour dépend
De cet enchantement.
Je veux dire, Fossinde,
Qu'aussitôt que ces noeuds
Se verront détachés,
Encore plus soudain
Se dénouera l'amour que tu me portes.
Mais c'est assez parler,
Allons, Fossinde, allons,
Si tu ne viens de bonne volonté
J'userai de la force,
Tu sais bien si j'en ai.
FOSSINDE
Moi te suivre brutal
Honte de la nature,
Qui ne tiens rien de l'homme
Qu'un peu de la figure?
Ah j'aime mieux la mort!
Ô bergers, au secours,
Au secours mes compagnes,
Ô dieux secourez-moi!
SATYRE
Vains sont tous tes efforts
Et tes injures vaines,
Enfin il faut venir.
SCÈNE X
Adraste, Fossinde, Satyre.
ADRASTE
La femme, il est certain,
Ressemble au médecin,
Elle en fait plus mourir
Par ses trompeurs appas
Qu'elle n'en guérit pas.
FOSSINDE
Adraste, Adraste, Adraste?
ADRASTE
Adraste, et qui l'appelle?
SATYRE
Appelle Adraste autant qu'il te plaira;
Appelle encor Tirinte,
Pour t'ôter de mes mains:
Autant vaut l'un que l'autre:
Allons, allons, te dis-je.
FOSSINDE
Au secours, au secours,
Adraste vois Doris
Que Palemon emmène.
ADRASTE
Que Palemon emmène?
Laisse-la Palemon,
Laisse-la ma Doris,
Tu l'as assez gardée:
En dépit de l'amour,
Je la veux à mon tour:
Laisse-la ma Doris,
Elle est à moi, c'est mon chien qui l'a pris.
SATYRE
Adraste vois-tu pas
Que ce n'est pas Doris?
FOSSINDE
C'est Doris, vois-tu pas
Que Palemon l'emmène?
ADRASTE
Ô que c'est bien Doris;
Tu me voudrais tromper,
Je la veux à mon tour,
Tu l'as assez gardée,
En dépit de l'amour.
SATYRE
Non, tu ne l'auras pas.
ADRASTE
Donc je ne l'aurai pas?
Tu la veux, je la veux,
Nous verrons qui des deux
Sera le maître.
FOSSINDE
Sois Hesus à mon aide!
SATYRE
Ô dieux, ô dieux, comme elle m'a surpris!
Ô la malicieuse,
Comme elle a pris son temps
Pour me croiser la jambe.
FOSSINDE
Ô que dieu soit loué,
Me voila démêlée
Des mains de cette bête.
SATYRE
Ah je suis tout froissé!
Le méchant animal
Qu'une femme en effet,
Qui ne fait jamais mal,
Quand le dépit l'émeut,
Sinon quand elle peut.
FOSSINDE
Tu mens, vilain Satyre,
Fils de cornu, cornard,
Et père d'encorné. (30)
Ô le bel amoureux!
N'en a-t-il pas la mine?
Il t'en faut donc des Nymphes;
Il te faut des Fossindes;
Il te faut une hart
Pour t'attacher au sommet de cet arbre.
SATYRE
Va que jamais puisses-tu revenir.
Ô dieu les bras! ô dieu la tête! ô dieu
La hanche, et tout le corps!
ADRASTE
Ô pauvre Palemon
L'amour te coûte cher.
Il est tombé il le faut secourir:
Mais ô grands dieux le vilain Palemon!
Dieux! Il est tout velu.
Dieux! Qu'est-il devenu?
Ne sont-ce pas des cornes
Qu'il porte sur la tête?
Ô ce sont bien des cornes,
Mais de parfaites cornes.
Ô Palemon, et qui l'eût jamais cru?
Aussitôt marié
Tout aussitôt cornu?
Mais dieux! Quels sont tes pieds?
Ce n'est donc pas assez
D'avoir au front des cornes bien plantées;
Tu veux encor de plus
Avoir les pieds cornus,
Sont-ce du mariage
Les plus beaux avantages?
Si tous ceux qui s'épousent
En ont autant que toi,
Fi, fi, du mariage
Et de ses avantages,
Garde les Palemon
Je n'en veux point pour moi:
Ô dieu le mariage
A fait d'un Palemon
Une bête sauvage.
SATYRE
Le grand saut que j'ai pris,
Je ne puis plus marcher:
Que maudit soit la femme!
Que maudit soit l'amour!
Maudit qui l'engendra,
Maudit qui l'allaita,
Et maudit soit qui jamais le suivra.
LE CHOEUR
Les mortels sont toujours en guerre,
Nul n'a repos dessus la terre:
Si la fortune est dans la cour,
Dedans nos bois aussi nous trouble amour.
Dans les grandes cours la fortune
Fait sa demeure plus commune,
Comme le foudre tournoyant
Les hautes tours va plutôt foudroyant.
Nous dans l'épais de nos bocages,
Bien qu'exempts de si grands orages,
D'amour nous ressentons les coups
Non moins cruels, quoi qu'ils semblent plus doux.
Mais bien qu'autrement on le pense,
Amour plus aigrement offense
Ceux desquels il est le vainqueur;
Car tous ses coups ne s'adressent qu'au coeur.
Ainsi d'une guerre ordinaire
Ce que fortune ne peut faire,
Amour le fait plus finement,
Afin que nul ne vive sans tourment.
ACTE IV
ACTE IV
SCÈNE I
Aglante, Tirinte, Hylas.
AGLANTE
Tirinte il est certain
Que j'aime et que j'adore
Une beauté, que rien du tout n'égale
En son extrémité
Que ma fidélité.
TIRINTE
Celle de qui mon coeur
Honore le mérite,
Aglante, est un soleil,
Et je suis le phoenix
En ma fidélité,
Qui brûle à son bel oeil.
HYLAS
Et moi j'en adore une
Faite comme la lune,
C'est à dire inconstante,
Et si je m'en contente.
AGLANTE
Celle de qui les beaux yeux m'ont surpris,
Tirinte, en sa beauté
Est vraiment un soleil:
Mais un soleil, ô dieux,
Si glorieux qu'il ne veut pas permettre
Que son phoenix en mourant je puisse être.
TIRINTE
Et celle que j'adore
Est si bien sans égale,
Qu'encore que ma foi
Et mon affection
Soient enfin parvenues
À toute extrémité,
Si sont-elles, Aglante,
Moindres que sa beauté.
HYLAS
La mienne est toute telle
Que la tienne, Tirinte,
Quoi qu'elle ne soit pas
Des plus belles du monde,
Parce que sa beauté
Est plus grande beaucoup
Que ma fidélité.
Et telle que tu dis,
Aglante, qu'est la tienne,
Toute telle est la mienne;
Car je ne puis, quoi que je sache faire,
Être son seul phoenix,
Parce que la folâtre
En veut toujours pour le moins trois ou quatre.
Mais, Aglante, dis-moi,
Et dis-le aussi, Tirinte,
Dites-le moi tous deux
Quelles sont ces deux belles?
AGLANTE, TIRINTE
Belles.
HYLAS
Belles aux yeux
Qui comme vous les voient.
AGLANTE
Qui la voit autrement,
Celle pour qui mon coeur
Est tout rempli de flamme,
Est bien aveugle, Hylas,
Et s'il ne le sait pas.
TIRINTE
Qui dirait le soleil
N'avoir point de lumière,
On dirait par raison
Que son oeil n'y voit guère;
Mais de celle que j'aime
Qui ne voit la beauté
Extrême comme elle est,
On peut assurément
Dire qu'extrême est son aveuglement.
HYLAS
Soit ainsi que vous dites,
Je m'en remets à vous,
Si tous deux vous croyez
À vos mêmes paroles:
Mais ce que je demande,
C'est de savoir enfin
Quel fut le trait
Dont amour se servit
Pour faire vos conquêtes.
AGLANTE, TIRINTE
Beau.
HYLAS
Beau vous l'avez dit,
Je ne demande pas
Si vous le trouvez beau:
Mais qui sont ces beaux yeux?
AGLANTE
Hylas, c'est l'oeil qui d'un clin de paupière,
La haussant ou baissant,
Peut, s'il lui plaît, enflammer tous les coeurs
D'amour et de désir,
Quoi qu'ils eussent en eux
Tous les glaçons et les neiges plus froides,
Dont en tout temps blanchissent du mont d'or
Les sommets plus chenus,
Et les rochers plus nus.
HYLAS
Dis-le plus clairement.
TIRINTE
C'est l'oeil qui désarmant
Pour un moment sa beauté de dédain,
Peut désarmer l'âme la plus barbare,
Contre sa volonté,
De toute liberté.
HYLAS
Ce n'est encor assez.
AGLANTE
C'est l'oeil, Hylas, c'est le bel oeil qui peut,
Toutes les fois qu'il veut,
Écrire d'un seul trait
Dans le coeur des humains
Les lois plus rigoureuses,
Qui se puissent trouver
Dans le règne d'amour,
Sans qu'un seul coeur
Ose ou puisse espérer
De ravoir sa franchise
À telles lois soumise.
HYLAS
Dis-le moi d'autre sorte.
TIRINTE
C'est l'oeil, Hylas, c'est l'oeil qui doucement
Brûlant d'amour tout autre,
N'élance dans mon coeur
Que foudre et que rigueur.
HYLAS
Ni même encor ne le connais-je pas,
Cet oeil dont vous parlez.
AGLANTE
Si quand on dit, que la terre, ô berger,
De ce germe fécond
Qu'elle reçoit du ciel,
D'agréable parure
S'embellit de nouveau:
Si quand on dit, qu'amour va rallumant
Au coeur de la nature
Ses flambeaux à moitié
Sous la neige assoupis
D'un rigoureux hiver:
Si quand on dit, que mille fleurs nouvelles
Émaillent à l'envi
Le beau sein de nos prés,
Et qu'on voit par les champs
La douce tourterelle,
La simple colombelle, (31)
Avec leurs compagnes
Redoubler leurs baisers,
Et montrer le transport
Qu'amour fait naître en elles
D'un trémoussement d'ailes;
Et que tout amoureux
Le rossignol mignard
Vole de branche en branche,
De bocage en bocage,
Invitant sa compagne
Par sa douce harmonie
À l'amour qui le lie,
Nous entendons sans doute le printemps:
Pourquoi de même aux effets que je dis,
Ne reconnais-tu l'oeil
Qui cause mon trépas?
HYLAS
Je ne le connais pas.
TIRINTE
Si quand on dit, que la terre altérée
Béante en mille lieux
D'extrême sécheresse,
Désire l'eau pour alléger l'ardeur
Qui la sèche et la cuit:
Si quand on dit, que le dieu de Lignon
Découvre de son lit
En divers lieux les humides cachettes,
Faute de l'eau qu'un soleil trop ardent
Lui sèche et lui consume;
Nous entendons incontinent l'été:
Pourquoi de même aux effets que je dis,
Ne reconnais-tu pas
Le bel oeil que j'adore?
HYLAS
Je ne le puis encore.
AGLANTE
Si quand on dit, que les fruits sur la branche
Vont jaunissant
Des feuilles dépouillés,
Que nos fertiles champs
Où Cerès ondoyait
Sur des épis dorés,
Veufs des riches moissons
Qu'ils avaient autrefois,
N'ont pour toute parure
De leurs sillons, que le chaume resté
Témoin des doux larcins
Du courbé moissonneur:
Si quand on dit, que les dons de Bacchus
Rougissent sous le pampre,
Retortillé de cent plis l'un sur l'autre;
L'on sait que c'est l'automne:
Pourquoi de même aux effets que je dis,
Ne reconnais-tu l'oeil
Dont la beauté me poingt?
HYLAS
Je ne la connais point.
TIRINTE
Si quand on dit, que les vents courroucés
L'un contre l'autre
Animent la fureur
D'un dangereux orage:
Si quand on dit, que nos plaisants ruisseaux
Vont arrêtant leur pas
Sous la croûte endurcie
De leur cristal, pour avoir vu peut-être,
Non pas d'une méduse,
Mais des froideurs le visage effroyable;
Nous entendons l'hiver:
Pourquoi de même aux effets que je dis,
Ne reconnais-tu l'oeil
Qui me met au cercueil?
HYLAS
Or sus je le connais,
Je le connais enfin
Cet oeil dont vous parlez,
C'est le bel oeil de Stelle,
De Stelle la bergère,
De toutes les bergères
Celle que j'aime mieux.
AGLANTE
Nous amoureux de Stelle?
TIRINTE
Elle n'est pas, ce me semble, assez belle.
HYLAS
C'est elle toutefois,
Qui peut d'un seul clin d'oeil
Me surprendre le coeur
Qu'elle retient encore.
Et c'est elle qui peut
M'écrire avec cet oeil
Les pures lois d'amour
Dans le plus sain de l'âme;
Ainsi faisant en moi
Les effets que vous dites,
N'ai-je raison de dire que c'est elle?
AGLANTE
Tu te trompes, berger,
Non, non, ce n'est pas elle,
Stelle est belle, il est vrai:
Mais combien s'en faut-il
Qu'elle n'arrive à la beauté de celle
Que j'adore en mon coeur?
Figure toi que toutes les beautés
Que la nature a faites,
Étant jointes ensemble,
Pour embellir un sujet de tout point,
Auprès de celle-ci
Resteraient imparfaites.
TIRINTE
Figure toi, berger,
Que celle que j'adore,
Comme un soleil surpasse
Toutes autres clartés,
Elle surpasse aussi toutes beautés.
HYLAS
Vous le dites ainsi:
Mais voyez vous, bergers,
J'en jurerais de même
De celle aussi que j'aime:
Mais je dis tout autant
Que vous sauriez tous deux
Jurer et rejurer,
Et parjurer encore:
Je sais bien toutefois
Que vous n'en croyez rien,
Aussi ne fais-je pas
De ce que vous me dites.
Donc pour savoir qui de nous a raison
Prenons un juge, et ce qu'il en dira,
Soit banni de l'amour
Qui ne l'avouera.
SCÈNE II
Hylas, Aglante, Tirinte, Fossinde.
HYLAS
Tout à propos, bergers,
Ne voici pas le juge qu'il nous faut?
AGLANTE
Je la veux bien pour telle.
HYLAS
Et moi je la veux bien
Pour juge et pour maîtresse,
Je n'en refuse point
Qui soient faites comme elle.
FOSSINDE
Tirinte, et toi pour quelle veux-tu?
TIRINTE
Je ne te veux pour rien
Que pour une importune.
AGLANTE
Il semble que Tirinte,
Pour ne sortir du devoir de berger
Envers si belle fille,
Soit obligé de parler d'autre sorte.
TIRINTE
Aglante, te plaît-elle?
AGLANTE
Elle me plaît comme elle me doit plaire.
Je veux dire, Tirinte,
Que sa beauté, sa vertu, son mérite
Obligent tout berger
À l'honorer, à l'aimer et servir.
TIRINTE
Or s'il est vrai qu'elle te plaise tant,
Prends-la, je te la donne,
Et ne m'en parle plus.
HYLAS
Oui-da je la prendrai,
Et de bon coeur encore.
FOSSINDE
Laisse, Hylas, laisse-moi,
Tu n'es pas pour Fossinde,
Ni Fossinde pour toi,
Stelle en appellerait.
Mais voyez je vous prie,
Voyez le dédaigneux,
Je suis son importune:
Aglante, ce dit-il,
Prends-la, je te la donne,
Et ne m'en parle plus.
Oui, oui, je te la donne:
Comme si tu pouvais
Me donner à quelqu'un:
Et quel pouvoir crois-tu d'avoir, Tirinte,
Dessus Fossinde afin de la donner?
Impertinent berger,
Penses-tu bien, peut-être,
Que Fossinde soit tienne,
Ou qu'elle la veuille être?
Non désabuse-toi,
Personne n'eut jamais
Du pouvoir sur Fossinde,
Ni nul jamais l'aura
Qui ressemble à Tirinte.
Malgracieux berger,
Vraiment il est joli
En cette opinion:
Je suis son importune:
Prends-la, je te la donne:
Le libéral berger,
N'est-il pas bien plaisant
De donner de la sorte
Ce qui n'est pas à lui?
Attends, attends, Tirinte,
Attends à me donner
Lorsque je serai tienne,
Et si jusques alors
Tu veux attendre à faire tes présents
Tu n'en feras jamais.
Mais, Aglante, sais-tu,
Sais-tu point la raison,
Pourquoi Tirinte est si fort libéral
Envers Aglante, il faut que tu le saches,
C'est qu'il voudrait, le cauteleux qu'il est,
Le change te donner,
Pour être seul à suivre Sylvanire:
Car il en meurt d'amour.
Mais sois certain, Aglante,
Qu'elle ne l'aime point,
Et que si quelque chose
Elle a jamais aimée,
C'est Aglante sans plus.
Or va, Tirinte, aime bien Sylvanire,
Elle me vengera
De tes impertinences.
SCÈNE III
Le messager, Aglante, Tirinte, Hylas.
LE MESSAGER
Ô dieu quelle pitié!
Quelle compassion!
AGLANTE
Qu'est-ce qu'a ce berger?
LE MESSAGER
Voir cette belle fille
En cet état; car c'est bien la plus belle,
La plus discrète,
Et pleine de mérite
Qui soit en la contrée.
AGLANTE
Qu'est-ce qu'il dit de belle?
LE MESSAGER
Mais voir son père et sa mère affligés
Comme je les ai vus,
Je confesse pour moi
Que je n'en ai ni le coeur ni la force.
Ô dieux! ô dieux quelle extrême pitié!
TIRINTE
Mais de qui parle-t-il?
AGLANTE
De Sylvanire, il n'en faut point douter,
Et le coeur me le dit:
Hylas saches-le un peu,
Je n'ai pas le courage
De le lui demander.
HYLAS
S'il ne parlait de père et de mère,
J'aurais opinion
Que ce serait de Stelle,
Comme étant la plus belle.
LE MESSAGER
Mais ils ont bien raison,
Ce père et cette mère,
De plaindre et de pleurer.
TIRINTE
Gentil berger, Pan te soit favorable.
D'où procèdent tes plaintes?
LE MESSAGER
Quand mes plaintes seraient
Plus grandes mille fois
Qu'elles ne le sont pas,
Encor ne sauraient-elles
Atteindre à la grandeur
Du sujet que j'en ai,
Ou bien pour dire mieux
Que nous en avons tous.
AGLANTE
Que nous en avons tous?
LE MESSAGER
Que nous en avons tous:
Car la perte est commune
À toute la contrée;
Et par ainsi la plainte
En doit être commune:
Car sachez, ô berger!
Sachez que Sylvanire.
AGLANTE
Ah ne l'ai-je pas dit?
LE MESSAGER
L'honneur de ces forêts,
Où la beauté s'admire,
Où la vertu s'estime,
Où la perfection
Est en perfection,
Est proche du trépas,
Si morte elle n'est pas.
AGLANTE
Ah! Sylvanire est morte,
Et toi tu vis encore,
Ô misérable Aglante?
LE MESSAGER
Elle n'était pas morte
Quand la compassion
M'a contraint de partir:
Mais je crois qu'à cette heure
Elle est morte sans doute:
Ces roses et ces lys,
La beauté de sa joue,
Étaient déjà tous pâles et ternis,
Et le corail vivant
De cette belle bouche
En neige était changé.
Les feux qu'en ses beaux yeux
Elle voulait avoir,
Comme un soleil couvert d'épaisse nue,
Avaient déjà leur lumière perdue,
Et partout le visage
On ne voyait qu'une pâleur mortelle:
Encor elle était belle.
TIRINTE
D'où procède son mal?
LE MESSAGER
Personne ne le sait:
Mais on croit toutefois
Qu'elle est empoisonnée.
TIRINTE
Qu'elle est empoisonnée?
LE MESSAGER
Chacun le dit ainsi.
AGLANTE
Or va, berger, et raconte partout
Qu'Aglante ne vit plus,
Et qu'en sa mort, tout son plus grand martyre
C'est n'avoir d'un moment
Devancé Sylvanire.
LE MESSAGER
Secourez-le, bergers, car il évanouit.
Il aimait Sylvanire:
Quelle force d'amour!
Et puis elles n'ont point
De pitié des amants,
Ces cruelles beautés;
S'il n'a secours il est perdu sans doute,
Je vais quérir de l'eau,
Criez lui cependant,
Mais criez fort, qu'elle est encore en vie,
Et que son père et que sa mère aussi
La vont conduire au temple d'Esculape
Pour ravoir sa santé.
Eh! Laissez que je courre
Pour apporter de l'eau.
TIRINTE
Mais avant que partir,
Dis-moi je te supplie
Où Sylvanire était.
LE MESSAGER
Auprès du carrefour
Qu'on nomme de Mercure.
HYLAS
Laisse l'aller, Tirinte,
Le mal nous presse.
TIRINTE
Ô malheureux Tirinte!
Ô faux et déloyal!
Il en mourra le traître,
Et mon coeur trop crédule.
SCÈNE IV
HYLAS
L'homme n'a point de bien
Du tout exempt du mal,
Et quant à moi,
De tous les animaux,
Je crois qu'il est le plus infortuné,
Et je le crois de sorte,
Que si des dieux le plus puissant de tous
Me venait dire, Hylas
Choisis des animaux,
Dont par l'expérience
Tu connais la nature,
Lequel de tous plutôt tu voudrais être,
Et par Styx je te jure (32)
De te donner à ton élection
L'être que tu voudras,
Je choisirais tous les autres plutôt
Que celui d'homme, estimant que de tous
C'est le plus misérable:
Car si nous voulons prendre
Celui qui de chacun
Est nommé malheureux,
N'en cherchons point que l'âne,
La pauvre bête a le plus dur destin,
À ce qu'on dit, de tous les animaux,
Et semble n'être né
Que pour la peine et que pour le bâton;
Et toutefois il n'a que les seuls maux
Qu'il a de sa nature:
Nous au contraire, outre ceux qu'en naissant
La nature nous donne,
De bien plus grands avec notre imprudence
Nous-nous en imposons.
Si quelqu'un parle mal
Nous sommes en colère:
Si quelque chien hurle à l'entour de nous,
Si le sel tombe alors que nous soupons,
Si nous éternuons
À de certaines heures,
Si nous voyons à gauche le croissant,
Si nous choppons au sortir d'une porte,
C'est un mauvais présage,
Et commençons dès lors
À ressentir le mal
Dont nous vont menaçant
Ces mal fondés augures.
Mais ces opinions,
Mais ces ambitions,
Mais ces ardents désirs
Dont amour nous consume,
Dieux! Que sont-ce autre chose
Que des maux ajoutés
Aux maux de la nature?
Et c'est pourquoi nul entre tous les hommes
N'a vécu, qui ne vit,
Ni ne vivra jamais,
Pour heureux qu'il puisse être,
Du tout exempt du mal;
Si bien que l'on peut dire
Avec verité,
Qu'être homme, c'est à dire,
N'être jamais sans mal.
Que ce pauvre berger
Que je tiens en mes bras
En saurait bien que dire.
Pauvre berger, qui dés l'heure qu'il vit
L'ingrate Sylvanire,
N'a jamais eu que peine et que martyre.
Ô folle et des humains
Inhumaine constance,
Quelle erreur insensée
Dedans le coeur de l'homme t'a produite,
Pour le combler entièrement de maux?
N'était-ce pas assez
Qu'Aglante eut de l'amour,
Les espoirs impossibles,
Les desseins mal fondés,
Les désirs insensés,
Les tourments inhumains,
Les passions ardentes?
N'était-ce pas assez
Qu'il ressentit ensemble
Les feux d'amour, les glaces du dédain,
Les coups de la beauté
De cette Sylvanire,
Et ceux de son empire?
Sans que cette folie,
Qu'on appelle constance,
Par des noeuds tyranniques
L'attachât à jamais
À cette servitude,
Comme un Sysiphe au tourment de la roue?
Or le voici surpayé de ses peines,
Le voici presque mort,
Et cet erreur est tellement encore
Dedans son coeur ancrée,
Que s'il revit sans doute il choisira
De remourir cent fois,
Cent et cent fois plutôt,
Que de rompre les noeuds
Qui le font malheureux.
SCÈNE V
Ménandre, Lerice, Hylas, Sylvanire, Le messager, Aglante.
MÉNANDRE
Prends courage ma fille,
Allons jusques au temple
De ce grand Esculape. (33)
SYLVANIRE
Ah! Mon père je meurs.
LERICE
Soutenez-la, Ménandre,
Pour moi je n'en puis plus.
SYLVANIRE
Hélas! Je meurs, ma mère.
MÉNANDRE
Or sus efforce-toi,
Esculape sans doute
Te donnera ta première santé:
Allons au temple, allons.
SYLVANIRE
Ô dieux! Je n'en puis plus.
LE MESSAGER
Enfin j'en ai trouvé,
Voici de l'eau, berger,
Mais je ne sais si ce n'est point trop tard.
HYLAS
Apporte, apporte vite,
Le coeur lui bat encore.
SYLVANIRE
Mais qu'est-ce que je vois?
Eh! N'est-ce point Aglante?
C'est lui sans doute: ô le pauvre berger,
Qui l'a mis en ce point?
HYLAS
C'est Sylvanire. Et toi, berger, apporte,
Donne moi l'eau, pour voir si nous pourrons
Rappeler ses esprits.
SYLVANIRE
C'est Sylvanire. Et comment ce peut-il,
Que sans le vouloir faire
Je l'aie ainsi traité?
HYLAS
C'est le bruit de ta mort:
Mais, berger, je te prie
Jette lui bien de l'eau,
Cependant à l'oreille
Je m'en vais l'appeler.
Aglante, Aglante, ah prends courage Aglante,
Aglante, Aglante.
SYLVANIRE
Il est mort pour certain,
Hélas c'est grand dommage!
Mon père, s'il vous plaît,
Laissez que je me baisse
Auprès de son oreille,
Ma voix peut-être
Aura plus de vertu.
MÉNANDRE
Je le veux bien, ma fille.
LERICE
Dieu qu'elle est charitable,
À moitié morte encore elle a pitié
Du mal d'autrui.
HYLAS
Mais voyez la finesse
Elle le baise: ingénieux amour.
SYLVANIRE
Aglante, Aglante. Écoute Sylvanire,
Sylvanire t'appelle,
Réponds à Sylvanire.
HYLAS
Ô puissance d'amour,
Au nom de Sylvanire
Voyez comme il revient.
SYLVANIRE
Courage, Aglante, ouvre les yeux, et vois
Que voici Sylvanire.
AGLANTE
Quel Mercure puissant
Mon âme a rappelée
Des Champs Élysiens?
HYLAS
Ce n'est pas un Mercure,
Regarde bien, Aglante,
C'est Sylvanire.
AGLANTE
Ô dieux! C'est Sylvanire,
Et je n'adore point
Encor cette beauté
Qui m'a donné la vie?
LE MESSAGER
Quel miracle d'amour!
À sa voix seulement
Il a repris la vie:
Si je ne l'eusse vu,
J'avoue et je confesse,
Que je ne l'eusse cru.
Je m'en vais le conter
Aux bergers d'alentour,
Afin que plus encore
Chacun l'amour honore.
HYLAS
J'en veux faire de même,
Avec toi je m'en vais,
Pour à chacun redire,
Toi la force d'amour,
Et moi de Sylvanire.
SCÈNE VI
Aglante, Sylvanire, Ménandre, Lerice.
AGLANTE
Dieux! Que ne dois-je pas
À cette belle, et très belle bergère,
Pour m'avoir rappelé
De la mort à la vie?
SYLVANIRE
Je n'ai rien fait pour toi
Que je ne dusse faire,
Chacun est obligé
De servir ton mérite.
Mais ne vous plaît-il pas
Que nous allions, mon père,
Rendre nos voeux au temple d'Esculape?
MÉNANDRE
Allons ma fille, il est bien raisonnable
De le remercier
Du bien qu'il nous a fait,
Te redonnant ta première santé.
SYLVANIRE
Dieux! Qu'est-ceci, dieu qu'est-ce que je sens?
Quel mal nouveau, et quelle défaillance
Me prend encore un coup?
Ah! Ma mère je meurs.
LERICE
Mais que sera-ce enfin?
Nous pensions que ton mal
Fut un peu soulagé,
Tout au contraire, au lieu d'allègement,
C'est un rengrégement. (34)
Mais, Aglante, aide-nous:
Elle se meurt, ô dieux!
Elle n'a plus de force.
AGLANTE
Quel étrange accident?
MÉNANDRE
Il ne faut plus espérer en sa vie.
LERICE
Ah mère désolée!
MÉNANDRE
Ah père, non plus père,
Ou père sans enfant!
AGLANTE
Mais fallait-il, hélas!
Eh! Fallait-il qu'Aglante
Revint en vie, afin de voir mourir
Celle qui fut sa vie,
Pour remourir encore
D'une seconde et plus sensible mort?
LERICE
Destin qui me ravis
Ce que jadis le ciel m'avait donné,
Combien en me l'ôtant
Me fais-tu plus de mal,
Qu'en l'octroyant on ne me fit de bien?
AGLANTE
Il fallait donc qu'avec les mêmes yeux
Que j'avais vu tant de rares merveilles,
J'en visse, et j'en pleurasse
La déplorable perte.
À quoi destins me réservez-vous plus?
À quels malheurs m'ordonnez vous encore,
Pour rendre cet Aglante,
Des malheureux en somme,
Le plus malheureux homme?
MÉNANDRE
Ah chère fille! Ah fille que je n'ose
Appeler plus ma fille!
Ah chère Sylvanire!
Est-ce ainsi que le ciel
Trompe nos espérances?
Est-ce ainsi qu'il lui plaît
Se moquer des desseins
Des hommes malheureux?
Hélas j'avais pensé,
Et non point sans raison
Je l'avais esperé,
Puisqu'aux lois de nature
Cet espoir se fondait,
Qu'après avoir été
De mes faibles années
Le support charitable,
Lorsque la mort finirait ma journée
Tu me clorais les yeux
Avec tes propres mains,
Et dedans le cercueil,
M'arrosant de tes larmes,
D'un doux baiser de fille,
Tu me dirais enfin,
Va t'en, va t'en, mon père,
Va t'en en paix pour la dernière fois.
Combien hélas! Combien sont-ils changés,
Par un destin contraire,
Tous ces justes desseins,
Puisqu'il faut que ton père
Te rende les devoirs
Qu'il espérait de recevoir de toi.
AGLANTE
Ô ciel! Que la douleur
Me contraint de nommer
Injuste, ou bien aveugle:
Injuste en m'éloignant
De celle à qui le destin m'a donné;
Aveugle en me voyant,
Qu'aussi bien je ne puis
Vivre éloigné de celle
Pour qui je vis, et pour qui je veux vivre;
Que penses-tu de faire?
Quoi? Me tenir en vie
Et lui donner la mort?
Ah! Nul vivre ne peut,
Lorsqu'il n'a point de coeur,
Et tu me le ravis
Ravissant Sylvanire.
LERICE
Sera-t-il donc vrai,
Ô mon très cher enfant,
Que tu nous sois ôtée,
Sans avoir le loisir
De nous dire un adieu?
Ah! Ne le souffrez pas,
Destins rendez-la moi,
Rendez-la moi, ma chère Sylvanire.
AGLANTE
Que si le ciel veut avoir pour rançon
De quelque autre la vie,
Reçois, destin, la mienne, je te prie.
MÉNANDRE
Mais la mienne plutôt,
La mienne surannée.
AGLANTE
Mais la mienne déjà
Parvenue à tel point,
Que quoi qu'à l'avenir
S'avance mon trépas,
Je ne puis perdre, au malheur où je suis,
Pour chaque jour que des siècles d'ennuis.
LERICE
Ô Sylvanire?
AGLANTE
Ô belle Sylvanire?
MÉNANDRE
Sylvanire, ma fille?
AGLANTE
Ah Sylvanire! Hélas n'oyez-vous point?
Oyez Lerice, oyez Ménandre aussi,
Oyez, oyez Aglante,
Aglante oyez, Aglante.
MÉNANDRE
Ô dieux! Elle revient.
AGLANTE
Elle revient, ô dieux!
LERICE
Sois à notre aide, ô puissant Esculape.
AGLANTE
Courage, Sylvanire,
Ouvrez les yeux, et voyez qu'en vivant
Vous donnez vie à quatre.
MÉNANDRE
Prends courage, ma fille.
LERICE
Vois la douleur amère
Que pour toi souffre, et ton père et ta mère.
SYLVANIRE
Ô puissants dieux, qui tenez en vos mains
Les jours comptez de notre frêle vie,
Permettez m'en autant
Qu'il m'en faut seulement
Pour décharger mon coeur
D'un blâme qui l'oppresse.
Séchez vos pleurs, mon père, je vous prie,
Et vous ma mère aussi,
Souvenez-vous que les dieux ne font rien
Sinon pour notre bien,
Et s'il leur plaît de mes tendres années
Achever ma journée,
Ils le font pour mon mieux,
Pour éviter, peut-être,
Ou pour vous, ou pour moi,
Quelque plus grand malheur.
LERICE
Mais quel malheur plus grand?
MÉNANDRE
Où s'en peut-il trouver?
AGLANTE
Ah le ciel n'en a point!
SYLVANIRE
Le ciel, Aglante, a tout ce qu'il lui plaît,
Et souviens-toi qu'il peut tout dessus nous,
Car il est tout puissant,
Et qu'il fait toujours bien,
Parce qu'il est tout bon:
Je vous conjure donc
Que je ne sois point cause
Qu'il jette dessus vous
Les traits de son courroux,
Ô mon père et ma mère:
Que s'il vous ôte à cette heure une fille,
Il peut, s'il veut, égaler vos enfants
Au nombre des cheveux
Qui sont sur votre tête,
Encor qu'il semble bien
Que vos vieilles années
Y puissent contredire:
Mais au grand dieu tout est facile à faire.
Séchez donc vos pleurs,
Je vous supplie encore,
Et croyez que je pars
Du nombre des vivants,
Sans emporter nul regret de ma vie.
Deux choses seulement
Me pressent, je l'avoue:
L'une de n'avoir pu
Jusqu'ici satisfaire
À ce que je vous dois,
Ô mon père et ma mère:
Mais recevez ma bonne volonté.
LERICE
Dieu quel bon naturel!
MÉNANDRE
Ta volonté, ma fille,
Nous est tant agréable,
Que nous la recevons
Pour plus encor que tu ne nous dois pas.
SYLVANIRE
Le ciel en soit loué,
Et cette amour de père
Qu'outre tous mes mérites
Le ciel a mise en vous:
Mais oserai-je à la fin de ma vie,
Car je sens bien qu'elle me va laisser,
Oserai-je mon père,
Oserai-je ma mère,
Avec votre congé,
Avant que de partir,
Me décharger de cet autre fardeau
Qui me presse et m'oppresse?
LERICE
Ton père le veut bien.
SYLVANIRE
Le voulez-vous mon père?
MÉNANDRE
Je le veux, Sylvanire,
Et dis et fais tout ce que tu voudras,
Je t'en remets tout le pouvoir que j'ai.
SYLVANIRE
Le ciel vous rende à tous deux le loyer
D'une telle bonté,
Puisqu'il ne m'est permis.
L'ingratitude, à ce que bien souvent
Vous m'avez dit, mon père,
Est un faix si pesant,
Que la terre sur qui
Tout l'univers s'appuie,
Sans se lasser ne la peut supporter,
Et c'est pourquoi surchargée en mon âme
D'un faix tant malaisé,
Puisque tous deux vous me le permettez,
Je m'en déchargerai.
Voyez vous ce berger,
Dont le visage est tout couvert de pleurs,
Sachez mon père, et vous ma mère aussi,
Que quatre ans sont passés
Qu'il aime Sylvanire,
Mais d'une telle amour
Que je puis dire en quatre ans qu'elle dure
N'avoir jamais remarqué chose en lui,
Ni dans ses actions,
Ni parmi ses paroles,
Dont une honnête fille
Se peut croire offensée.
Or les dieux soient témoins,
Il le sait bien lui-même,
Si durant ces quatre ans
Jamais mes actions,
Ni jamais mes paroles,
Ont rendu connaissance,
Ni que je reconnusse,
Ni que j'eusse agréable,
Cette amour estimable.
Mais ne crois pas, Aglante,
Que nul mépris en ait été la cause,
Je sais que tu vaux mieux
Que ce que tu recherches:
Le seul devoir d'une fille bien née
Me contraignait d'en user de la sorte:
N'en doute point, Aglante,
Car encor que je sois
Dans ces bois d'ordinaire,
Je ne suis pas pourtant
Insensible comme eux:
Ta vertu, ton amour,
Et ta discrétion
Firent sur moi le coup que tu voulais.
Ô mort! Attends, attends encor un peu,
Que je puisse finir
Avant que tu finisses.
Mais sachant bien que mon père et ma mère
Faisaient dessein de m'allier ailleurs,
Je fis dessein aussi
De faire à cette amour
Un tombeau de silence,
Voulant plutôt mourir
Que de contrevenir
Au respect que je dois
À ceux qui m'ont fait naître.
Mais maintenant que les dieux ont voulu,
Les dieux tous bons et sages,
Par ma fin avancée,
Tous les noeuds dénouer,
Avant qu'être nouées,
Du futur mariage,
Et que ceux qui sur moi
Ont tout pouvoir m'en donnent le congé:
Saches, ami, qu'amour jamais plus grande
Ne s'éprit dans un coeur,
Que celle que pour toi
Sylvanire a conçu,
Et pour enfin partir
Du tout exempte et du tout déchargée
De cette ingratitude,
Le voulez-vous tous deux?
MÉNANDRE
Nous le voulons ma fille.
SYLVANIRE
Hélas, je n'en puis plus!
Tends-moi la main, Aglante,
Et la mienne reçois:
Si je n'ai pu vivre femme d'Aglante,
Je meurs femme d'Aglante:
Le veux-tu bien berger?
AGLANTE
Ô dieux! Si je le veux?
SYLVANIRE
Et vous mon père, et vous ma mère aussi,
Ne le voulez vous pas?
MÉNANDRE
Nous le voulons, ma fille.
À quoi sert-il de le lui refuser;
Aussi bien elle est morte.
Voici le dieu, Lerice,
Dont jadis Sylvanire
Voulait être druide,
Et servir les autels.
SYLVANIRE
Ô dieu je meurs! Mais je meurs bien contente
De mourir tienne, Aglante.
AGLANTE
Dieux! Elle est morte.
LERICE
Hélas! Hélas! Ma fille.
MÉNANDRE
Elle est morte à ce coup.
AGLANTE
Elle est donc morte, ô dieux!
Et moi je vis encore?
Je vis encore, et j'ai devant mes yeux
La belle qui m'appelle,
Sans que j'aille après elle?
LERICE
Ô dieux! Elle est bien morte.
AGLANTE
Ah Sylvanire! Hélas est-il possible
Que tu me sois ravie,
Sans qu'on m'ôte la vie?
Faut-il que le moment
Que mienne il te plût d'être,
Ait été le moment
Que mienne, hélas! Tu ne puisses plus être?
Injuste ciel! Injuste destinée!
Injuste amour! Injuste mort, hélas!
Hélas qui ne dira,
Que dans le ciel il n'est point de justice;
Que le destin injustement ordonne;
Que sans justice amour conduit les siens,
Et que la mort est injuste envers moi?
Puisque le ciel, et l'inique destin,
Et l'amour, et la mort,
Consentent que je perde,
Sans toutefois mourir,
Celle que sans mourir
Mon coeur jamais, jamais ne devait perdre.
Ô ciel rendez-la moi,
Rendez-la moi destins;
Amour, si toutefois
Sylvanire étant morte
Quelque amour reste encore,
Rends-la moi, cette belle
Que la mort m'a ravie:
Et toi mort rends-la moi,
Ou me reçois pour elle.
Ah Sylvanire! Écoute ton berger,
Et reviens-t-en vers moi,
Ma chère Sylvanire,
Ou m'emmène avec toi.
MÉNANDRE
Ô dieux! Elle revient,
Les dieux auraient-ils bien
Ta juste voix ouïe?
LERICE
Elle revient sans doute.
AGLANTE
Finissez, ô grands dieux!
La grâce commencée.
MÉNANDRE
Cessons les pleurs, et puisqu'il plaît au ciel
Lui redonner quelque signe de vie,
Emportons-la dedans notre cabane,
Plus aisément nous pourrons soulager
La grandeur de son mal:
Aglante donne moi
Tes mains, et les attache,
Je te supplie, aux miennes,
Nous en ferons un siège
Afin de l'emporter,
Cependant que Lerice,
Accompagnant nos pas,
Gardera par hasard
Qu'elle ne tombe pas.
SYLVANIRE
Hélas mon père! Hélas mon cher Aglante,
Que de peine je donne
À qui je dois rendre tant de service.
AGLANTE
Ô douce peine! Ô glorieux travail!
Ô cher fardeau, qui rends Aglante heureux!
Heureux trois fois Aglante,
Qu'amour a destiné
À ce mystère saint,
De porter en ces bras
Tout ce que le flambeau
Du soleil vit jamais
De plus rare et plus beau.
SCÈNE VII
FOSSINDE
Vraiment grand est son mal,
Je crois qu'elle en mourra:
Combien elle est changée,
Que la beauté dont on fait tant de cas
Enfin est peu de chose,
Un bouton le matin
Qui s'éclot au midi,
Et qui le soir se fane,
Et c'est bien pour cela
Que j'estime peu sages
Celles à qui le ciel
A fait un tel présent,
Et qui le laissent perdre,
Puisqu'il dure si peu,
Sans s'en vouloir servir.
Voyez vous Sylvanire,
C'est de Lignon la plus belle bergère,
Mais la plus insensible
Aux traits d'amour de toutes les bergères,
Elle n'aima jamais,
À ce que chacun dit;
Et n'est-ce pas dommage
Qu'elle ait eu ce visage,
N'ayant su, l'imprudente,
Ou n'ayant pas voulu
S'en servir à l'usage
Pour lequel il est fait?
Or la voilà maintenant bien payée,
Elle a vécu, mais telle que l'avare,
Qui pour ne s'en servir
Aux entrailles profondes
Des lieux moins fréquentés,
Idolâtre de l'or
Va cachant son trésor:
Idolâtre de même
De ta beauté, cache-la maintenant
Dans la tombe relante,
Garde-la pour Pluton,
Ou pour ces vains fantômes
Qui courent toute nuit
À l'entour des tombeaux.
Ô folle! Les grands dieux
Ont la beauté faite pour les vivants,
Et les os pour les morts:
Et c'est pourquoi leur justice est très grande
De te l'ôter, comme ils font maintenant,
Ne voulant pas en user comme il faut.
Ô! Si les dieux d'une main libérale
M'avaient rendue aussi belle que toi,
Et que Tirinte eut de l'amour pour moi,
Je jure qu'aujourd'hui,
S'il était tout à moi,
Je serais toute à lui.
SCÈNE VIII
Tirinte, Fossinde.
TIRINTE
Mais où le trouverai-je?
Ce traître, ce perfide,
Où le rencontrerai-je?
Il a beau se cacher:
Quand les profonds abîmes
Du centre de la terre
L'auraient couvert, je le découvrirai,
Et je le punirai,
Sans que l'enfer, ni le ciel, ni la terre
Le sauve de mes mains.
FOSSINDE
Il est bien en colère.
TIRINTE
Ah! Le cruel qu'il est
D'un même coup il en fait mourir deux,
Deux innocents qui ne crurent jamais
Lui faire déplaisir:
Mais qu'il s'assure, et je le lui promets,
Qu'avec ces deux, que traître il fait mourir,
Il sera le troisième,
Si Tirinte le trouve,
Ou ce fer ne voudra,
Du sang abominable
Ayant horreur, se teindre par mes mains.
FOSSINDE
Il est tout vrayi que sa colère est grande,
Il le faut divertir,
Je ne puis m'empêcher,
Quoi qu'il me sache faire,
De le chérir toujours.
Ô qu'il est difficile
De se désembrouiller
De ce brouillon d'amour!
Holà Tirinte, et d'où vient ce courroux?
D'où vient cette furie?
Veux-tu mal à quelqu'un?
Dis-le moi, tu verras
Si je suis prête à faire tes vengeances.
TIRINTE
Eh laisse moi! Te voici revenue.
FOSSINDE
Oui je suis revenue,
Mais c'est pour te servir.
TIRINTE
Va si loin que jamais
Tu ne puisses venir.
FOSSINDE
Long serait le voyage:
Mais je vois bien que le courroux t'emporte;
Quelqu'un t'a-t-il fâché?
Dis-le moi, je te prie.
TIRINTE
Oui quelqu'un m'a fâché,
Me fâche, et fâchera,
Tant que Fossinde ici demeurera.
FOSSINDE
Est-ce donc Fossinde
Qui te fâche si fort?
TIRINTE
Plus cent fois que la mort.
FOSSINDE
Ô qu'elle est malheureuse!
TIRINTE
Malheureuse à son dam,
Mais au mien très fâcheuse.
FOSSINDE
Tu ne l'aime donc pas?
TIRINTE
Ainsi que le trépas.
FOSSINDE
Et cette inimitié
Toujours durera-t-elle?
TIRINTE
Je la tiens immortelle.
FOSSINDE
Et cela, mais pourquoi?
TIRINTE
C'est pour l'amour de toi.
FOSSINDE
Ah Tirinte!
TIRINTE
Ah Fossinde!
FOSSINDE
Tu ne m'aimeras point?
TIRINTE
Point.
FOSSINDE
Point, mais du tout point?
TIRINTE
Point, point, et du tout point,
Et crois-le si tu veux.
FOSSINDE
Qui telle inimitié
A mise entre nous deux?
Entre nous deux, je faux,
Tu sais bien que je t'aime.
Mais qui te peut tant éloigner de moi?
TIRINTE
Toi.
FOSSINDE
Moi, comment?
TIRINTE
Qui le peut, sinon toi?
Toi de toutes les filles
La fille plus fâcheuse,
Et la plus importune?
Ne vois-tu pas, Fossinde,
Que j'ai l'esprit ailleurs,
Que j'ai d'autres desseins,
Laisse-moi je te prie.
Dieux! Faut-il que le ciel,
Avec tous mes ennuis,
Encore me surcharge
D'un faix insupportable.
Va-t-en, je te supplie,
Va-t-en, je te conjure
Par la plus importune
Qui fût jamais, et ce sera par toi.
FOSSINDE
Et bien je m'en irai,
Insensible berger,
Oui, oui, je m'en irai,
Et peut-être de sorte
Qu'avant que je revienne
Amour m'aura vengée.
Va cruel, va sauvage,
Va barbare, va tigre,
Va-t-en âme de fer,
Va coeur de diamant:
Aime, aime, qui ne t'aime,
La haine enfin, puisque l'amour ne veut,
Me vengera de toi:
Mais très juste est la loi,
Qui venge l'innocent
Sur la coupable tête,
Avec le même fer
Duquel l'offense est faite.
SCÈNE IX
TIRINTE
Que les dieux soient loués!
Enfin elle s'en va,
Peut-être qu'à ce coup
J'en serai déchargé,
De cette babillarde,
Ce n'est pas sans raison
Qu'on dit heureux celui
Qui rencontre pour femme
Une cigale. On dit que la femelle
De nature est muette:
Que plût à Dieu que Fossinde fut telle:
Ô l'importune fille!
Et puis encor par force
Elle veut être aimée.
Mais à quoi pensons-nous?
Que faisons nous ici?
Que n'allons-nous chercher
Ce traître et ce perfide,
Qui sous le nom d'ami
M'a fait dedans le coeur
La plus cruelle et profonde blessure,
Qu'ennemi saurait faire?
À quoi retardons-nous?
Allons sacrifier
Son sang à la vengeance.
SCÈNE X
Le messager, Tirinte.
LE MESSAGER
C'en est fait, je l'ai vue
Avec mes propres yeux
Mettre dans le tombeau.
TIRINTE
Dans le tombeau, dit-il,
De Sylvanire il parle;
Puisqu'elle est morte, ô dieux! Il faut mourir:
Mais avant que mourir
Il nous la faut venger,
Cette belle innocente,
Et porter aux enfers
Le sang de ce perfide,
Pour apaiser ses mânes offensées. (35)
LE MESSAGER
Elle est morte, il est vrai,
Cette belle bergère:
Qui jamais eut pensé
Qu'une beauté si grande
Se fut si tôt perdue?
TIRINTE
Avant ma mort encore veux-je entendre
La cause de ma mort,
Et savoir misérable,
Puisque j'ai fait le mal,
Comment il s'est passé.
Ce sera rengréger (36)
Ma douleur davantage:
Or sus prenons courage,
Apprenons de sa mort,
Ou bien plutôt de notre propre mort
L'accident déplorable.
Berger, dis-moi, de qui plains-tu la perte?
LE MESSAGER
De Sylvanire, et cela te suffise.
TIRINTE
Donc Sylvanire est morte?
LE MESSAGER
Au tombeau on l'emporte,
N'en doute nullement.
TIRINTE
Hélas! Berger, raconte-moi comment.
LE MESSAGER
Je le ferai: mais si d'un dur rocher,
Ami, tu n'as le coeur,
De bonne heure prépare
Tes yeux aux pleurs, ta poitrine aux sanglots,
Et ta voix à la plainte.
Soudain qu'au lit cette fille fut mise,
Belle comme un soleil,
Mais un soleil dont les rays affaiblis
Passent à peine à travers de la nue,
Son mal lui redoubla.
Autour du lit à grands ruisseaux de larmes
Et Ménandre et Lerice
Accompagnaient son mal:
Mais un berger qu'Aglante l'on appelle.
TIRINTE
Ah! Je le connais bien.
LE MESSAGER
Toujours au plus près d'elle,
Ne jetait pas une source de pleurs
Comme faisaient les autres,
Mais bien plutôt un océan de larmes,
Dont il noyait les mains de Sylvanire:
Mais si ses yeux à tous faisaient pitié,
Ses regrets et ses plaintes
Doublement arrachaient
Des regrets et des plaintes
De la bouche et du coeur
De ceux qui l'écoutaient;
Hélas! Ce disait-il,
Ô parques inhumaines
Pourquoi m'épargnez-vous
La faveur de vos coups?
Qu'est-ce parques, hélas!
Qu'est-ce que j'ai commis,
Et ma foi si fidèle,
Que votre ardent courroux
Ne me prenne avec elle?
Hélas! Vous savez bien
Que nous sommes unis,
Et pourquoi désunir
Ce qu'un vouloir assemble?
Ah! Prenez-nous ensemble,
La victoire en sera
Plus belle et plus entière,
Et vous ferez qu'avec un coup si beau,
Ce que ne peut la vie
L'aura pu le tombeau.
Que si vous ne le faites,
Aussi bien cette main
M'octroiera cette juste requête.
Ainsi disait le désolé berger,
Et d'un oeil égaré,
Jetant autour sa vue,
Semblait déjà de regarder la mort.
Elle de qui la main
Était entre les siennes,
Faisant effort un peu la releva,
Et la posant dessus les yeux d'Aglante,
Comme ne voulant voir
Ces yeux pleins de fureur,
Qui jadis voulaient être
Si remplis de douceur,
À toute force ouvrit sa belle bouche.
"Vis, ami, lui dit-elle,
Le ciel l'ordonne ainsi;
Ainsi le veut aussi
Ta chère Sylvanire:
Que si mourant encore auprès de toi
Du crédit il me reste,
Je te commande, Aglante,
De ne jamais attenter sur ta vie,
Car ta vie est aux dieux,
Aux dieux tu la dois rendre
Alors qu'ils la voudront,
Et non à ta douleur.
Contente toi, que Sylvanire est tienne,
Et que jamais autre elle ne sera:
Conserve toi l'amour que je te porte,
Et je conserverai
La tienne dans mon âme.
Ainsi dedans ton coeur
Je vivrai sur la terre,
Et dans le mien tu vivras dans les cieux.
Avec ce penser
Ami console-toi,
Et surtout aime-moi,
Car je meurs tienne, Aglante."
TIRINTE
Ah fortuné berger,
Heureux en ton malheur!
LE MESSAGER
En ce point un soupir
Qui lui ravit la voix
Avec le nom d'Aglante,
Ravit aussi sa vie.
TIRINTE
Sylvanire est donc morte?
LE MESSAGER
Elle est morte, berger.
TIRINTE
C'est honte que de vivre
Après un tel malheur:
Allons, allons mourir:
Mais avant que mourir
Faisons-en la vengeance.
LE MESSAGER
Ô dieux! Que fera-t-il?
Il s'en va transporté
Où la rage l'emmène.
Conduisez-le grands dieux.
Il aimait cette fille,
Mais qui ne l'aimait pas?
Quant à moi je m'en vais
Son deuil accompagner,
Chacun lui doit ce pitoyable office.
Combien de jeunes coeurs
Iront suivant ce deuil,
Puis avec elle entreront au cercueil.
LE CHOEUR
Plus je cherche en moi-même
Que c'est qu'amour, et moins je le connais:
Qu'il soit dieu je le crois,
Sa force est trop extrême:
Mais s'il est dieu, comment
Souffre-t-il que l'amant
Dont l'âme est sa sujette
À l'honneur se soumette?
Non, il est sans puissance,
Ou pour le moins sans nul ressentiment:
Mais s'il est vrai, comment
Sous son obéissance
Voit-on les plus grands dieux
Se rendre, pour les yeux
De nos simples bergères,
Déités bocagères?
Comment peut-il produire,
S'il n'est pas dieu, des miracles si grands,
Que tous les jours j'apprends?
Il fait ce qu'il désire,
D'un changement divers,
Dans tout cet univers,
En dépit de nature,
Et faut qu'elle l'endure.
Il va changeant les âges
Comme il lui plaît, les vieux il rajeunit,
Des jeunes il ternit
Et ride les visages:
S'il veut tout ce qu'il peut
Il peut tout ce qu'il veut,
Et nulle résistance
N'égale sa puissance.
Que s'il semble au contraire,
Mais rarement, que l'amant quelquefois
Observe d'autres lois
Que la sienne ordinaire;
C'est pour faire mieux voir
Un plus entier pouvoir:
Car quoi qu'il en puisse être
Il est enfin le maître.
ACTE V
ACTE V
SCÈNE I
AGLANTE
Pleurer, mais que sert-il
De pleurer un malheur
Qui n'a point de remède,
Et dont la guérison
En la mort est remise?
Car telle est la grandeur
Du mal qui me travaille,
Que quand tout l'océan
Se changerait en larmes,
Et que j'aurais au front
Autant d'yeux, que le ciel
A de feux qui l'éclairent,
Mes larmes ne sauraient
Égaler ma douleur,
Ni ma douleur encore
Égaler mon malheur.
On dit que la nature
Produit de certains fruits,
Dont qui goûte une fois
Ne voit jamais tarir
La source de ses pleurs:
Hélas! Puisque le ciel
Et mon cruel destin
L'ordonnent de la sorte,
Et qu'il faut que je pleure
Jusques dans le cercueil
La perte que j'ai faite:
Plut-il au ciel, plut-il à mon destin,
Que j'eusse de ces fruits,
Pour ne manquer non plus
De larmes et de pleurs
Tout le temps de ma vie,
Que tant que je vivrai
Jamais ne manquera
Le sujet misérable,
Que mes yeux ont de sans cesse pleurer.
L'impitoyable Parque
A donc fermé tes yeux,
Et tes beautés n'ont peu
Empêcher le destin
De finir ta journée
Dès son plus beau matin?
Est-il donc, bien vrai,
Que celle qui donnait
À mille coeurs la vie
Soit morte, ou pour le moins
Ne vive plus, si ce n'est en mon coeur?
Je ne l'eusse pas cru;
La raison au contraire
Hélas! M'eût fait jurer,
Que toi vivant en moi,
Et moi vivant en toi,
Pour te faire mourir
Il me fallait tuer,
Et te ravir la vie
Pour me donner la mort.
Mais hélas! Je vois bien
Que seulement les forces de l'amour
J'allais considérant,
Non celles de la mort,
De la mort qui toujours
À désunir les choses plus unies
Se plaît et s'étudie.
Mais fatale Atropos,
Puisque tu desseignais (37)
La mort de Sylvanire,
D'où vient, hélas! Que seulement son corps
Soit mis dans le tombeau,
Et qu'en mon coeur vive encore son âme?
Hélas! pourquoi dans un même cercueil
N'enfermes-tu le corps
D'Aglante qui t'en prie,
Puisqu'elle vit en lui,
Pour en avoir une victoire entière?
Ah! Je vois bien pourquoi tu ne le fais;
C'est, Atropos, que de m'ôter la vie
Serait, hélas! Une oeuvre pitoyable,
Et que nulle pitié
Ne peut trouver place dedans ton âme.
Mais, fière Parque, à qui veut le trépas
Il est bien malaisé
De le lui refuser,
Je ferai bien paraître
Que si les dieux sans que nous le sachions,
Nous font venir au monde,
Et nous donnent la vie,
Que nous pouvons, lorsque nous le voulons,
La quitter cette vie,
Et que pour en sortir
On peut trouver toujours quelque passage,
En ayant le courage.
Mais avant que mourir,
Allons voir le tombeau
Riche de nos dépouilles:
Noyons-le de nos pleurs,
Afin que comme il a
Nos flammes par dedans,
Par le dehors il ait aussi nos larmes:
Larmes qu'hélas! Mes yeux ne finiront
Qu'en finissant ma vie.
Ô bienheureux tombeau!
De qui la froide pierre
Tant de flammes enserre,
Tu n'es pas le séjour
Comme les autres sont
De cendres amorties,
Mais de cendres de feu,
Mais de cendres si vives,
Qu'amour encore y brûle tout d'amour.
Oui, je les sens, hélas! Ces mêmes flammes,
Dont autrefois mon coeur voulait brûler;
Moins douces, il est vrai,
Mais non pas moins ardentes;
Beaucoup moins supportables,
Mais non pas moins aimables.
Rends-moi, tombeau, si ma pitié te touche,
Ce que tu me retiens,
Ou si tu ne le veux,
Au moins prends nous tous deux,
Et renferme mon corps
Où tu retiens mon coeur,
Et qu'ainsi je sois mis
Dessous la même pierre,
Imitant le lierre
À son ormeau serré,
Qui par la mort de l'arbre
N'en est point séparé.
Et cependant reçois,
Pierre sainte et sacrée,
Mes soupirs et mes larmes,
Et reçois les baisers
Qu'ensemble je te donne:
Donne les ces baisers
À ces cendres d'amour
Qui reposent en toi,
Présente les ces larmes
À celle que jamais
Mon coeur ne cessera
D'aimer et d'adorer,
Ni mes yeux de pleurer:
Mais à qui mes discours,
Ô dieu! Vais-je adressant?
À l'insensible pierre,
À l'insensible mort,
Au destin insensible,
Qui n'écoutent jamais
Nos cris, ni nos regrets?
Mais si Pygmalion
Obtint jadis qu'un marbre
Reçut le sentiment,
Aglante aimes-tu moins
Que ce Pygmalion,
Pour animer encor ce monument?
Et si jadis Orphée
Pût de la mort retirer Eurydice
Par son chant pitoyable,
Ton malheur déplorable,
Ô malheureux Aglante!
Te fournira-t-il moins
De soupirs et de larmes,
De regrets et de plaintes,
Pour retirer aussi
De la mort à la vie
Celle qu'on t'a ravie?
Hélas! Ce sont discours,
Ce sont des vaines fables
Tout ce qu'on va disant,
Et de Pygmalion,
Et du congé qu'Orfée
Eut de revoir encor sa bien aimée:
Jamais, jamais, deux fois,
Pour passer l'Acheron,
L'on ne paye à Charon.
Que la descente aux enfers est aisée,
Mais rappeler ses pas
Et remonter en haut,
C'est là l'oeuvre et la peine.
Et quand tous les humains
Cent et cent fois encore
Pourraient bien revenir
Et reprendre leur corps,
Le malheur est si grand
Qui te poursuit, Aglante,
Qu'il ne faut espérer
Qu'il soit permis pour ton contentement
À celle que tu plains,
Et contente toi d'être
Phoenix en ton malheur
Ainsi qu'en ton amour.
Donc puisqu'il est ainsi,
Dieux! Qu'il ne l'est que trop,
Qu'est-ce que tu veux faire
De conserver plus longtemps cette vie,
Qui ne te reste plus
Sinon pour prolonger,
Sans aucune allégeance,
La douleur qui t'offense.
Ah! Meurs, ah! Meurs, Aglante,
Sylvanire t'appelle,
Ne veux-tu pas la suivre,
Et cesser de languir
Cessant aussi de vivre?
Si fais, tu le veux bien,
Aussi l'amour avec le courage
T'oblige à ce voyage.
Allons donc, ô mon coeur,
Non point avec transport,
Mais résolus de rencontrer la mort,
Elle nous sera douce,
Puisque déjà Sylvanire la belle
Mourant l'a faite telle.
Et vous, ô chères cendres,
Qui dedans ce cercueil
Maintenant reposés,
Et vous qui m'écoutez
Du plus profond des cieux,
Ô de ma Sylvanire
Âme sainte et sacrée
Recevez de mes larmes,
Et de mon sang le dernier sacrifice:
Jamais larmes ni sang,
Et des yeux et du coeur
D'un plus fidèle amant.
Amour ne tirera,
Que les pleurs et le sang
Que maintenant le mien vous offrira.
SCÈNE II
Aglante, Echo.
AGLANTE
Mourons, mourons, Aglante:
Hâtons-nous, hâtons-nous:
Quoi que nous puissions faire,
Pour devancer un désastre si grand
Nous ne mourrons jamais assez à temps.
ECHO
Attends.
AGLANTE
Attends, et qui me dit
Maintenant que j'attende,
Maintenant que je vois
Au dernier point mes malheurs parvenus?
ECHO
Venus.
AGLANTE
Vénus mère d'amour,
Amour qui ne se plaît
En tout ce qu'il promet
Sinon d'être infidèle?
ECHO
Elle.
AGLANTE
Elle, ne dis-tu pas?
Et qui se fierait
À la mère infidèle
D'un enfant si trompeur?
Que dois-je plus attendre,
Et quoi plus espérer;
Si seulement je ne puis plus la voir?
ECHO
L'avoir.
AGLANTE
Comment l'avoir si la mort l'a ravie?
Il est éteint le soleil de nos yeux,
Il est dans le tombeau,
Et son aurore à nos yeux plus ne point.
ECHO
N'est point.
AGLANTE
Menteuse voix, maudit qui te croira:
Ces yeux dont je la pleure
L'ont vue, hélas! Dedans la sépulture:
Et tu me dis que morte elle n'est point?
Trompeuses espérances,
Promesses infidèles,
Ce sont les paiements
Qu'amour donne aux amants:
Mais ne l'écoutons plus,
Le perfide qu'il est,
À la mort, à la mort,
Allons, Aglante, allons,
Sans qu'autre espoir nous vienne plus flattant.
ECHO
Attends.
SCÈNE III
Tirinte, Alciron.
TIRINTE
Peut-être de mes mains
Tu penses d'échapper
Par ces belles promesses,
Berger tu te déçois,
Tu n'éviteras pas
La justice du ciel,
Ni celle qu'en la terre
Les hommes en feront.
ALCIRON
Comme le ciel tourne quand il lui plaît
Nos desseins à rebours,
Pour te complaire et te rendre une preuve
De mon affection,
Je t'ai donné, Tirinte,
Un trésor que j'avais;
Mais un trésor si grand et précieux
Que peut-être la terre
N'en a point un plus grand:
Et je vois au contraire
Qu'au lieu de t'obliger
À me vouloir du bien,
Ce don est cause, ô dieu qui le croira!
Que le plus grand ami
Que j'avais en ce monde
Se soit rendu mon plus grand ennemi.
TIRINTE
Mais comment peut-il être
Que ce miroir soit tel que tu le dis?
Que s'il est vrai qu'il ait cette puissance,
Pourquoi, berger, quand tu me l'as donné
Me l'aurais-tu cachée?
Non pour certain ce ne sont que paroles,
Dont tu penses encore
Ma créance abuser.
ALCIRON
Je ne suis point abuseur ni trompeur, (38)
L'effet bientôt te le fera connaître;
Car celle que tu pleures
N'est pas, berger, morte comme tu crois,
Ce miroir précieux
D'une vertu secrète
L'a de sorte assoupie,
Que chacun la croit morte.
TIRINTE
Mais est-il bien possible?
ALCIRON
Écoutes-en, berger,
L'histoire véritable.
J'eus ce miroir de l'homme le plus fin
Qui fut dessus la terre,
Il se nommait Climanthe,
Grand artisan d'erreur et de mensonge:
Ce berger amoureux
D'une jeune bergère,
Mais qui ne l'aimait guère,
Me donna ce miroir,
De peur que je ne dise
À chacun sa malice:
Après que j'eus reconnu par l'effet
Quelle était sa vertu:
Car cette jeune fille,
Et je dis vrai, Tirinte,
Quoi qu'il semble incroyable:
Cette fille, te dis-je,
N'eut pas plutôt cette glace aperçue,
Qu'un poison aussitôt
Occupant son cerveau
Je la vis assoupir
D'un si profond sommeil,
Que quant à moi je la crus être morte:
Mais lui qui se moqua
De mon étonnement,
Soudain qu'il le voulut,
Soudain elle revint,
Et puis soudain encore
Le lui faisant revoir
Elle se rendormit.
TIRINTE
Étrange effet que celui que tu dis!
ALCIRON
Et tant de fois il la fit éveiller,
Puis rendormir, puis réveiller encore,
Qu'à la fin elle crut,
Ne sachant l'artifice,
Que le vouloir des dieux
Étoit qu'elle l'aimât,
Ou qu'il fallait mourir,
Et cette opinion
La contraignit, quoi qu'elle y resistat,
De se donner à lui,
Tant le désir de vivre
Est puissant dessus tous.
Admirant la vertu
De ce divin miroir
Je le voulus avoir,
Et je l'eus à la fin.
Mais bien à contre-coeur
De qui me le donnait,
Et n'eut été la crainte de la perdre,
Cette jeune bergère
Qu'il avait abusée,
Et d'être encor puni
D'une telle malice,
Si les sages druides
En eussent eu la plainte,
Il est certain, je ne l'eusse pas eu.
Mais s'y voyant contraint:
Or écoute, Alciron,
Ce présent, me dit-il,
Est peut-être plus grand
Que tu ne penses pas:
Tiens-le bien cher, et crois qu'en l'univers
On ne saurait en trouver un semblable.
La glace du miroir
Est faite d'une pierre
Qu'on nomme memphitique, (39)
Elle assoupit les sens
Aussitôt qu'on la touche,
Et du poisson, que torpille on appelle, (40)
La quintessence extraite par le feu
Mêlée à cette pierre,
A tellement la glace empoisonnée,
Qu'aussitôt qu'on la voit
On perd le sentiment
Tout ainsi qu'au trépas.
Car la torpille est de telle nature,
Que qui la touche avec une baguette,
Voire avec l'hameçon,
Ressent soudain un assoupissement
Par tout le bras, et puis du bras au corps,
Va serpentant d'une veine en une autre
Le poison endormi.
Mais lorsqu'on veut on rappelle les sens
Par cette eau composée,
Dit-il me la donnant,
De celle du citron,
Et de simples divers,
Dont par expérience
La vertu j'ai connue.
Or maintenant, Tirinte, réponds-moi,
Si je t'ai fait présent
De ce miroir si rare,
As-tu raison de me traiter ainsi;
Puisque l'amour que vraiment je te porte
M'a dépouillé de ce riche trésor?
Ô des ingratitudes
La mère ingratitude!
TIRINTE
S'il est ainsi, n'as-tu pas tort, Berger,
De ne me l'avoir dit?
ALCIRON
En ceci même encor mon amitié
Se voit plus clairement:
Je ne te l'ai pas dit,
Parce que je craignais
Qu'il te manquât la résolution
De l'oser entreprendre.
Penses-tu bien, Tirinte,
Que je ne sache pas
Jusques où vont les forces
D'une puissante amour?
Que si je t'eusse dit,
Soudain que Sylvanire
Aura vu ce miroir,
Avec mille douleurs
Elle tombera morte,
Ou pour le moins elle semblera telle,
On la mettra dans le fond d'un cercueil,
Sonde bien ton courage,
Et puis me dis, Tirinte,
Si ton affection
Eut permis à ton coeur
De l'oser entreprendre,
Et cela n'étant pas
Dis-moi, dis-moi, Tirinte,
Par quel moyen eusses-tu pu l'avoir,
Ta chère Sylvanire?
Car de son gré tu n'y dois point prétendre,
Tu ne le sais que trop,
Et toutefois tu ne voulais plus vivre
Si tu ne l'obtenais.
TIRINTE
Mais comment prétends-tu,
Quand tout ce que tu dis
Serait bien véritable,
Qu'elle peut être mienne?
ALCIRON
Qu'elle peut être tienne,
Qui te la peut ôter?
Chacun ne croit-il pas
Que Sylvanire est morte?
Qui saura qu'elle soit
Maintenant en tes mains?
Vois-tu, Tirinte, il n'en faut point douter,
Sylvanire est à toi,
Alciron te la donne,
Sache-toi bien servir
Du présent qu'il te fait.
TIRINTE
Il est donc bien vrai
Que morte elle n'est pas?
ALCIRON
Tu ne crois pas encore
Ce que dit ton ami?
Quelle incrédulité!
TIRINTE
S'il est ainsi, que retardons nous plus?
Allons, ô cher ami,
Allons d'entre les morts
Retirer promptement
Celle dont la beauté
Ne doit jamais mourir.
ALCIRON
Nous n'irons pas fort loin,
Car c'est ici le lieu
Où l'on l'a mise.
TIRINTE
Et comment le sais-tu?
ALCIRON
Eh! Je le sais, parce que je l'ai vue;
Et lorsqu'on l'y mettait
J'y voulus assister,
Pour voir si de fortune
On ne lui faisait point
Du mal en l'enterrant,
Car je l'eusse empêché:
J'ai plus de soin de ton contentement
Que tu ne penses pas.
TIRINTE
En quel état est elle?
ALCIRON
Tu la verras bientôt:
Mais sache cependant
Que Ménandre et Lerice
L'aiment de telle sorte,
Qu'ils ne purent souffrir
Que l'on la dépouillât:
Mais toute ainsi vêtue
Qu'elle s'était trouvée,
Toute telle ils voulurent
Qu'on la mit au cercueil,
Un linge seulement
Lui couvre le visage,
Et ce fut moi qui lui fis cet office,
De peur que la poussière
Ne lui fit quelque mal.
TIRINTE
Quelle obligation
En tout ceci, berger, ne t'ai-je point?
ALCIRON
Quand tu verras la belle Sylvanire
Être du tout à toi,
Tu pourras dire alors
Que tu m'es obligé:
Mais maintenant allons, Tirinte, allons,
Ne perdons plus de temps,
Le temps en tout affaire
Doit être cher, mais plus en celui-ci
Que peut-être en tout autre:
Mais approche, voici
L'endroit où l'on l'a mise.
TIRINTE
Heureux tombeau! Mais non,
Plutôt heureux séjour
Où l'amour a remis
Tout ce qu'il eut de beau,
Où ses trésors pour plaisir il enserre,
Où mille coeurs ensemble renfermés,
Et bref où tout mon bien
Ou tout mon mal demeure.
Gardien glorieux (41)
De tout ce que la terre
A de plus précieux,
Rends-le moi ce trésor,
Sans qui je ne puis vivre,
Et montre toi fidèle à me le rendre,
Comme tu fus heureux
Lorsqu'on te le fit prendre.
ALCIRON
Tirinte ces discours
Sont hors de temps, à loisir tu pourras
Les raconter quand l'oeuvre sera faite:
Si quelqu'un survenait,
Encore que ce fut
Le moindre des bergers,
Il rendrait notre peine
Toute inutile et vaine.
TIRINTE
Que veux-tu que je fasse?
ALCIRON
Ôtons d'ici la pierre.
TIRINTE
Ô dieux qu'elle est pesante!
J'ai grand peur, Alciron,
Que cette pesanteur
Ne l'ait bien offensée.
ALCIRON
L'amour craint tout, car il est un enfant:
Ne vois-tu que la pierre
Repose sur les quatre
Qui lui sont au dessous?
Or sus relevons-la,
La morte-vive, et moquons nous de ceux
Dont les ruisseaux de pleurs
Cette pierre ont noyée.
Mais aide-moi, Tirinte,
Qu'est-ce que tu fais là
Planté dessus tes pieds
Comme un terme insensible?
Aide-moi si tu veux.
TIRINTE
Ah! Trompeur elle est morte.
ALCIRON
Je te dis qu'elle dort.
TIRINTE
Oui d'un sommeil de mort.
ALCIRON
Si morte tu la crois,
Tu diras que bientôt
Elle est la morte-vive:
Mais ne perds point le temps,
Approche je te prie,
Car je ne puis la soutenir ensemble
Et l'arroser, comme il faut que je fasse.
TIRINTE
Ô dieux qu'elle est bien morte!
ALCIRON
Soutiens-la seulement,
Et tu verras bientôt,
Qu'ainsi que je t'ai dit,
Elle est la morte-vive.
TIRINTE
La morte-vive hélas! Fut Sylvanire,
Et que Tirinte en sa place fut mort.
ALCIRON
Tirinte et Sylvanire
Vivront, si bon leur semble,
Bientôt tous deux ensemble.
TIRINTE
Ah garde que cette eau
Ne gâte son beau teint.
ALCIRON
Tu crois qu'elle soit morte,
Et tu crains toutefois
Qu'on lui gâte le teint:
Ô de l'amour enfant
Crainte et peur enfantine!
Laisse-la peur, Tirinte,
Tu l'auras toute belle,
J'aimerais mieux la mort,
Qu'à sa beauté faire le moindre tort.
TIRINTE
Ô dieux! Elle revient.
ALCIRON
Ne te l'ai-je pas dit?
Une autre fois, peut-être,
Tu croiras Alciron.
TIRINTE
Ô dieux! Elle respire.
ALCIRON
Diras-tu pas aussi bien comme moi,
Qu'elle est la morte-vive?
TIRINTE
La morte-vive est-elle,
Et des heureux bergers
Le berger plus heureux,
Par ton moyen, se peut dire Tirinte.
Elle entr'ouvre les yeux.
ALCIRON
J'ai satisfait à ce que j'ai promis,
Voilà ta Sylvanire,
Voilà la morte-vive
Qu'en tes mains je remets:
Saches-toi prévaloir
D'une telle fortune:
Que si tu ne le fais
Ne te plains jamais plus
D'autre que de Tirinte.
Souviens-toi de trois choses,
Ne perds le temps, ne crois à ses paroles,
Ni moins de la fléchir:
Car si tu ne me crois,
Tu diras avec moi,
Ta faute regrettant,
L'occasion est chauve,
Et des belles bergères
Les douces flatteries
Sont toutes mensongères:
Et pour conclusion
Te voyant rejeté,
Et quelqu'autre obtenir
Avec moins de mérite
Le bien que tu désires,
Tu diras, mais trop tard,
La femme la mieux faite
A le soleil aux yeux
Et la lune en la tête.
SCÈNE IV
Sylvanire, Tirinte.
SYLVANIRE
D'où viens-je, ô dieux! Et de quelle lumière
Vois-je encor la clarté,
Qui me rappelle au monde
Une seconde fois
Outre mon espérance?
Ou bien dans le cercueil
Voit-on un autre jour,
Voit-on un autre ciel,
D'autres ruisseaux, d'autres prés, d'autres arbres,
D'autres bergers, et bref un autre monde?
Où suis-je, ô dieux! Que suis-je, vive ou morte?
Vive, non, je mourus,
Et l'on ne revit plus:
Morte, non, car je vois,
Et je parle, et je marche:
Dieux! Qu'est-ce que ceci?
Serait-ce point peut-être
Cette seconde vie
Dont parlent nos druides?
Ah! Non, ce ne l'est pas,
Car nous laissons le corps
Avec le trépas
Dedans la sépulture:
Et voici bien le corps
Que je voulais avoir,
Voici mes mains, voici mes pieds encore,
Voici mon même habit,
Et bref me voici toute
Comme je coulais être
Avant que je mourusse.
Qu'est-ce donc que de moi?
Quel air, quel ciel, quel monde,
Quelle terre, et quels lieux
Sont ceux où je me trouve?
Mais quel est ce berger?
Je vois bien là Tirinte.
TIRINTE
Tirinte, tu te trompes.
SYLVANIRE
Et qu'es-tu donc pasteur?
TIRINTE
Je suis ton serviteur.
SYLVANIRE
Ainsi disait Aglante
Lorsque j'étais au monde.
TIRINTE
Ô dieux! Encore Aglante
Est parmi ses pensées.
SYLVANIRE
Mais dis-moi, je te prie,
En quel lieu maintenant
Se trouve Sylvanire?
TIRINTE
Dans le coeur de Tirinte.
SYLVANIRE
Tirinte le berger,
Qui vivait en forêts
Lorsqu'aussi j'y vivais?
TIRINTE
C'est celui que tu vois.
SYLVANIRE
Est-il mort comme moi?
TIRINTE
Il mourut en ta mort,
Et revit avec toi.
SYLVANIRE
Revivre avec moi,
Et ne suis-je pas morte?
TIRINTE
La mort fléchit à mon amour trop forte.
SYLVANIRE
Explique-moi ce que tu dis, berger,
Car je ne t'entends pas.
TIRINTE
À ce coup mon amour
A vaincu le trépas;
Et vois-tu, Sylvanire,
Combien elle surpasse
Toute autre affection;
Lorsque la mort pensa t'avoir acquise,
Et qu'au cercueil elle crut t'avoir mise,
Je fis changer cette mort en sommeil,
Et ton trépas en gracieux réveil,
De sorte Sylvanire
Que chacun te peut dire
La morte-vive, étant plus que certain
Que tu mourus, sans toutefois mourir,
Et qu'on me peut nommer
Au contraire de toi
Le vivant mort. Ô miracle d'amour!
Car vivant je mourus
D'un trop extrême deuil,
Dès que je sus qu'on te mit au cercueil.
SYLVANIRE
Ô dieux! Berger avec tes paroles
Tu m'embrouilles l'esprit
Plus qu'il n'était encore:
Comment ton amitié
A-t-elle pu cette mort surmonter,
Qui remporte sur tous
L'infaillible victoire?
Et comment as-tu pu
Faire changer cette mort en sommeil?
Pour moi je te confesse
Que je ne l'entends pas,
Si tu ne me le dis
Avec d'autres paroles.
TIRINTE
Écoute donc, bergère trop aimable,
Et trop aimée aussi;
Écoute, et tu sauras
Jusqu'où peut arriver
L'amitié de Tirinte.
Après avoir diverses fois tenté
Tous les moyens, qu'une amour trop extrême
Peut faire retrouver
Au coeur qui sait aimer,
Pour vaincre ton courage:
Et les ayant trouvés
Inutiles et vains,
Enfin je recourus,
Pardonne, Sylvanire,
À la ruse et malice
D'un plaisant artifice:
Te souviens-tu, bergère, du miroir
Que je te présentai?
SYLVANIRE
Oui, je m'en ressouviens.
TIRINTE
Tel était ce miroir,
Que ceux qui s'y voyaient
De telle léthargie
Ils étaient assoupis,
Que chacun eut pensé,
Les voyant en ce point,
Qu'ils eussent été morts,
Telle tu fus jugée,
Et pour telle remise
Dans ce tombeau voisin.
SYLVANIRE
Et quel fut ton dessein?
TIRINTE
Mon dessein, Sylvanire,
Je ne te le puis dire.
SYLVANIRE
Mais je le veux savoir.
TIRINTE
Amour bientôt te le fera bien voir.
SYLVANIRE
De toi, berger, je désire l'entendre,
Et non pas de l'amour.
TIRINTE
Si l'amour te le dit,
C'est Tirinte toujours:
Et si je te le dis,
Aussi bien est ce amour.
Sache donc, bergère,
Que j'eus dessein de faire croire à tous,
Que vraiment Sylvanire fut morte.
SYLVANIRE
Et quel profit de cette tromperie?
TIRINTE
Tu veux enfin, tu veux que je la dise.
SYLVANIRE
Dis-la moi hardiment.
TIRINTE
Hardiment, non, mais plutôt en amant.
Je pensai, Sylvanire,
Qu'étant mise au tombeau,
Et faisant croire à tous
Qu'ayant laissé la vie
Tu n'étais plus que cendre,
Comme j'ai fait, je te pourrais reprendre.
SYLVANIRE
Et puis.
TIRINTE
Et puis en tel lieu te conduire
Où pussent vivre ensemble
Tirinte et Sylvanire
Sans être reconnus.
SYLVANIRE
Et de ma volonté
Tu n'en faisais nul compte?
TIRINTE
Un long service enfin
Toute chose surmonte.
SYLVANIRE
C'est donc toi, berger,
Dont l'extrême malice
M'a mise entre les morts?
TIRINTE
Amour l'a fait, à lui soit tout le tort:
Tirinte seulement
T'a fait sortir hors de ce monument.
SYLVANIRE
Amour jamais ne commit trahison,
Et pour te faire voir
Que l'amour en ceci
Ne prétend point de part,
Au lieu de me gagner
Avec cette malice,
Tu m'as, berger, au contraire perdue,
Et perdue à jamais.
Très juste amour, certes l'on te peut dire,
Le traître punissant
Avec tant de raison,
Et par sa trahison.
TIRINTE
Que je t'ai, ô bergère,
Comme tu dis perdue,
Je ne vois pas comme cela soit vrai:
Car n'es-tu pas au pouvoir de Tirinte?
Tirinte qui tout seul
Sait qu'entre les vivants
Est encor Sylvanire?
Non, non, tu te déçois
De t'aller figurant
Que je ne sache en cette occasion
Me prévaloir de l'heur qui m'est offert. (42)
SYLVANIRE
Toi-même tu te trompes,
Ô perfide berger,
Et de ton propre fer
Tu t'es fait cette plaie.
TIRINTE
S'il est vrai sois certaine,
Que qui fit la blessure
En fera bien la cure.
SYLVANIRE
Il ne peut être, encor que Sylvanire,
Ce qui ne sera pas,
Y voulut consentir;
Car elle n'est plus sienne.
TIRINTE
Sienne n'est plus la belle Sylvanire
Et de qui peut-elle être?
SYLVANIRE
Autrefois, il est vrai,
Et Ménandre et Lerice,
Et peut-être elle encore
Y pouvaient avoir part:
Mais maintenant Ménandre ni Lerice
Ni même Sylvanire,
N'y peuvent rien prétendre.
Tirinte l'a donnée.
TIRINTE
Tirinte l'a donnée?
SYLVANIRE
Tirinte l'a donnée,
Et par sa trahison
En a fait possesseur
Aglante le berger.
TIRINTE
Aglante possesseur
De celle que j'adore?
SYLVANIRE
Aglante possesseur
De celle que je dis;
Ne t'en tourmente plus,
La pierre en est jetée.
TIRINTE
Il ne sera pas vrai.
SYLVANIRE
N'en accuse que toi,
Et m'écoute, berger,
Ménandre ni Lerice
Ne voulaient consentir
Que j'épousasse Aglante,
Ayant dessein de me loger ailleurs:
Et quant à moi la mort m'eust été douce
Plutôt que d'épouser
Autre qu'Aglante, et toutefois je jure
Que mille morts plutôt j'eusse endurées
Que d'épouser Aglante
Contre leur volonté.
Or vois-tu bien comme ton artifice
A fait ce que sans lui
Nous ne pouvions pas faire.
Quand le poison de ton heureux miroir,
Car heureux je l'appelle,
M'eust réduite à tel point,
Que mon père et ma mère
Crurent que j'étais morte,
Ce qu'en vivant je n'avais osé faire,
Amour me conseilla
De le faire en mourant:
Je priai donc ma mère,
Je suppliai mon père,
Qu'avant que de mourir,
Pour satisfaction
Des services d'Aglante,
Par leur consentement
Je le pusse épouser.
Eux qui me crurent morte,
Quoi que d'autres desseins
Ils eussent bien dans l'âme,
Voulurent pitoyables
À mon trépas ce plaisir me donner.
Lors vers Aglante à peine me tournant
Je lui tendis la main,
Pour un gage fidèle
Que lui donnait mon âme
Que je mourais sa femme.
Il me reçut pour telle,
Pour telle il me pleura,
Et pour telle il m'aura:
N'y penses plus Tirinte.
TIRINTE
N'y penses plus toi-même.
Aglante te croit morte,
Et ton père et ta mère
Pour morte t'ont pleurée,
Et t'ont enclose ici
Pour eux tu l'es aussi.
Tu ne vis plus, bergère,
Pour personne du monde,
Si ce n'est pour Tirinte:
La mort qui résout tout,
La mort te désoblige
De ces vaines promesses
Que tu peux avoir faites.
Mais quoi que le trépas
Ne le fit pas, amour, amour l'ordonne,
Amour qui Sylvanire
À son Tirinte donne,
Maintenant leur commande,
De vivre ensemble, et de mourir ensemble.
Allons donc, ô bergère,
Allons et résous toi
De vivre toute à moi,
Et je vivrai de même
À toi seule que j'aime.
SYLVANIRE
Ne me touche, Tirinte,
Aglante seul est né pour Sylvanire,
Et Sylvanire est seule pour Aglante,
Et perds en toute attente.
TIRINTE
Mais perds toi-même,
Et perde Aglante aussi,
Toi l'espoir de l'avoir,
Lui l'espoir de te voir.
Allons; car je le veux,
L'amour te le commande,
Et mon affection
T'oblige à le vouloir:
Que si tu ne le veux
Saches que résister
Aussi bien tu ne peux.
Il ne faut point maintenant des paroles:
Allons, allons.
SYLVANIRE
Tirinte laisse-moi.
TIRINTE
Allons, allons.
SYLVANIRE
Fais-moi mourir plutôt.
TIRINTE
Allons, allons, je te veux toute en vie.
SYLVANIRE
Non je mourrai plutôt,
Berger tu te déçois.
TIRINTE
Tu te déçois toi-même.
SYLVANIRE
Au secours, ô bergers,
Ô dieux! Secourez-moi.
SCÈNE V
Aglante, Sylvanire, Tirinte.
AGLANTE
Je reviens, car il faut
Que de mon sang je souille
Ce tombeau glorieux
De ma riche dépouille.
SYLVANIRE
Aglante secours-moi:
Aglante ne vois-tu,
Ne vois-tu pas, Aglante,
Vois-tu pas que Tirinte,
Tirinte l'infidèle
M'emmène et me ravit?
AGLANTE
Dieu! Qu'est-ce que je vois?
Dieu! Qu'est-ce que j'entends?
Est-ce bien Sylvanire?
SYLVANIRE
Aglante, que fais-tu?
Que ne me secours-tu?
Ne me connais-tu pas?
AGLANTE
C'est bien elle, mais non,
Car Sylvanire est morte,
C'est une vision.
SYLVANIRE
Devant tes yeux, Aglante,
Il m'emmène, ô mon dieu!
TIRINTE
Je serai le plus fort.
AGLANTE
Ô c'est bien là sa voix,
Ce n'est point un fantôme:
Ah Tirinte, Tirinte,
Traître Tirinte, il faut
Qu'Aglante meure,
Avant que Sylvanire
À quelque autre demeure.
SCÈNE VI
Le choeur des bergers, Aglante, Tirinte, Sylvanire.
LE CHOEUR
Quelle rumeur entend-on par ces bois?
Quels cris, quelles alarmes?
AGLANTE
Ah perfide berger,
Tu ne raviras pas
Une si belle prise.
TIRINTE
La victoire ou la mort
Clora mon entreprise.
SYLVANIRE
Au secours, ô bergers,
Ô bergers, au secours:
Secourez-nous, bergers.
LE CHOEUR
Quelle dispute est cette-ci, bergers?
D'où vient l'outrecuidance
De faire force aux filles?
Laissez cette bergère.
TIRINTE
Ô dieux! Je veux mourir.
SYLVANIRE
Meurs, si d'une autre sorte
Tu ne peux pas guérir,
Fusses-tu déjà mort,
Trop insolent berger.
AGLANTE
Monstre de nos forêts
Qui te peut émouvoir
D'outrager une fille
Que tous doivent servir?
TIRINTE
Monstre suis-je vraiment,
Mais un monstre d'amour,
D'aimer tant qui ne m'aime:
Mais je m'en vengerai,
Oui je m'en vengerai,
Et ce sera sur qui la faute a faite,
J'entends dessus mon coeur.
SYLVANIRE
Les hommes et les dieux
Ensemble me la doivent
Cette vengeance, et je la leur demande.
LE CHOEUR
N'est-ce pas Sylvanire
Celle que nous voyons?
Mais n'est-elle pas morte?
Dieux! Comme est-elle ici?
SYLVANIRE
Vous voyez une fille,
Que ce berger, monstre entre les bergers,
A fait mettre au cercueil
Par la plus grande ruse
Qui fut jamais d'un méchant inventée.
TIRINTE
Dis plutôt d'un amant.
SYLVANIRE
Mais bien d'un ennemi
Plus cruel et méchant.
TIRINTE
Ô coeur ingrat!
SYLVANIRE
Ô coeur faux et perfide!
TIRINTE
Âme sans amitié.
SYLVANIRE
Mais bien âme sans âme.
SCÈNE VII
Lerice, Ménandre, Fossinde, Aglante, Tirinte, Hylas, Sylvanire, Le
choeur des bergers.
LERICE
Allons, voyons que c'est.
MÉNANDRE
Quel bruit? Quelles clameurs?
Voilà pas Sylvanire?
LERICE
Eh! Qu'est-ce que je vois?
SYLVANIRE
C'est Sylvanire.
MÉNANDRE
Ô dieux!
LERICE
Ô dieux! Ô dieux!
SYLVANIRE
Me craignez-vous ma mère?
Avez-vous peur mon père?
Me connaissez-vous pas?
LERICE
Va-t-en, va-t-en fantôme.
AGLANTE
N'ayez peur, et croyez
Que c'est vraiment la belle Sylvanire.
MÉNANDRE
Sylvanire ma fille?
LERICE
Ma fille Sylvanire?
SYLVANIRE
Je suis celle-la même.
MÉNANDRE
Et n'étais-tu pas morte?
FOSSINDE
Ô dieu! C'est Sylvanire,
Et c'est bien elle-même
Qui retourne en ce monde.
Recule-toi fantôme,
Ne t'approche de moi,
Retourne avec tes os,
Et me laisse en repos.
SYLVANIRE
Tu me fuis donc, Fossinde?
FOSSINDE
Et qui ne s'enfuirait?
Ô dieu comme elle parle!
HYLAS
L'âme de Sylvanire
Ô dieux! Que cherche-t-elle?
Va-t-en, va-t-en fantôme.
SYLVANIRE
Je ne suis pas son âme seulement,
Touche, voici le corps
De cette Sylvanire.
HYLAS
Dieu! C'est bien elle: ô c'est elle sans doute:
En quel pays, hélas! Suis-je venu
Où les morts sont en vie?
SYLVANIRE
N'en doutez point, je suis bien Sylvanire.
HYLAS
J'avais bien ouï dire
Que les femmes avaient
L'âme au corps de travers,
Et qu'avec grande peine
Elle en pouvait sortir:
Mais c'est bien plus ceci,
Puisqu'ayant vu de mes yeux Sylvanire
Morte dans le tombeau,
Je la revois en vie,
Car c'est elle en effet.
MÉNANDRE
Mais es-tu bien ma fille?
SYLVANIRE
Je la suis, ô Ménandre.
LERICE
Sylvanire ma fille?
SYLVANIRE
Oui je suis Sylvanire,
Que ce traître berger
Que Tirinte on appelle
Avait mise au tombeau,
Et que le ciel plus juste,
À sa confusion,
A fait sortir ainsi que vous voyez.
MÉNANDRE
Que je t'embrasse, ô mon enfant aimé!
LERICE
Que je te baise, ô soutien de ma vie!
MÉNANDRE
Eh! Soient les dieux loués
De la grâce qu'ils font
À mes vieilles années,
De te voir, mon enfant,
Encor un coup avant que de mourir.
FOSSINDE
Eh! Ma chère compagne,
N'aurai-je pas quelque part à la joie,
Puisque notre amitié
M'a fait si bien ta perte ressentir,
Que je ne sais comment
Dans le cercueil je ne t'ai point suivie.
LE CHOEUR
Et nous aussi, puisque tous nous avons
À ton départ pleuré
Devons-nous pas nous réjouir aussi
À ton heureux retour?
SYLVANIRE
Aglante, et toi pourquoi comme les autres
Ne te réjouis-tu
Que je sois retournée?
AGLANTE
À ton départ je reçus tant d'ennuis,
À ton retour tant de contentement,
Que n'étant mort, ni pour l'un ni pour l'autre,
Il ne faut plus penser
Que l'on puisse mourir
D'ennui ni de plaisir.
MÉNANDRE
Mais, ma fille, comment
Les dieux t'ont-ils permis
De nous revoir encore?
SYLVANIRE
Ce perfide berger
Que vous voyez si loin de tous les autres
Vous le pourra mieux dire.
TIRINTE
Oui je le pourrai dire,
Des ingrates bergères
La plus ingrate et plus méconnaissante:
Oui-dà je le dirai,
Je ne veux pas cacher
Jusqu'où l'affection
Que pour toi j'ai conçue
M'a transporté; car aussi bien sois sûre,
Puisque mon entreprise
A trompé mon espoir,
Qu'à vivre davantage
Je n'ai plus le courage.
Sachez donc, ô bergers,
Qu'esprits de la beauté
De cette belle, et trop ingrate fille,
Après avoir trouvé
Toute chose inutile
À mon contentement,
Peines et soins, affections extrêmes,
Services et prières;
Enfin j'ai recouru,
Ne sachant plus que faire,
À la ruse et finesse.
Donc avec artifice
Je la fis endormir,
Mais d'une telle sorte
Que chacun la crut morte.
MÉNANDRE
Ô quelle trahison!
Et quel fut ton dessein?
TIRINTE
Mon dessein, ô Ménandre,
Fut de la retirer,
Comme j'ai fait, du creux de ce tombeau,
Sans que nul s'en prît garde,
Et la mener dans quelque antre sauvage
Y passer avec elle
Le reste de mon âge,
Sans souci des parents,
Sans souci des amis,
Sans souci des troupeaux
Que je laissais ici:
Car la perte de tous,
Voire encore de ma vie,
M'est agréable et douce,
Pour obtenir ce que j'estimais tant.
LE CHOEUR
Mais à quelle rumeur
Sommes-nous accourus?
Appelles-tu, Tirinte,
Services et prières,
Affections et soins,
La force et violence
Dont tu voulais user,
Quand nous sommes venus?
MÉNANDRE
De la force à ma fille?
TIRINTE
De la force, il est vrai,
Berger, je ne le nie,
J'étais désespéré.
LERICE
De la force, ô pasteurs,
J'en demande justice.
FOSSINDE
Comment, pasteurs, pourriez-vous bien souffrir
Que cet audacieux,
Sans ressentir la peine
D'une telle insolence,
Sortit d'entre vos mains?
Avoir, traître et perfide,
Enclose en un tombeau
Cette belle bergère;
Avoir mis en danger,
Et Ménandre et Lerice
De mourir de douleur,
Perdant leur chère fille,
Même en l'âge où ils sont?
Et puis outre cela
User encor de force,
Et contre son désir
La vouloir emmener?
Quelle sûreté pouvons-nous plus avoir
Avec les bergers,
Si telles trahisons,
Et si tels attentats,
Ne sont punis ainsi qu'ils le méritent?
Ô vous pasteurs, qui savez de nos lois
L'ordonnance sacrée,
Faites que nos druides,
Par votre bouche même,
Soient informés, et nous fassent justice.
MÉNANDRE
Je la demande, ô pasteurs, à vous tous.
LERICE
Comment user de force?
LE CHOEUR
Assure-toi, Ménandre,
Que tu l'auras bientôt,
Le cas mérite un supplice exemplaire.
FOSSINDE
Attachez-le, bergers,
De peur qu'il ne s'échappe.
TIRINTE
Non, ne m'attachez point,
Je suivrai librement
Où vous voudrez aller:
En un lieu seulement
Je ne vous suivrai pas,
C'est par où l'on s'éloigne
Du chemin du trépas.
HYLAS
Je veux le suivre, et voir quel jugement
Donneront les druides.
FOSSINDE
Enfin il est tombé
Dedans son propre piège,
Je le tiens à ce coup,
Il ne peut m'échapper,
Le ciel en soit loué:
Mais je m'en vais le suivre,
Pour être à temps lorsqu'il sera jugé.
SCÈNE VIII
Lerice, Aglante, Sylvanire, Ménandre.
LERICE
Ô des bontés de Dieu
Inépuisable source!
Ô de ses jugemenTs
Océan infini!
Quelles grâces jamais,
Telles que nous devons,
Te pouvons-nous rendre Ménandre et moi?
AGLANTE
Ajoutez avec vous,
Lerice, s'il vous plaît,
Aglante le berger
Le plus heureux du monde:
Car de tous les bonheurs
Où peut atteindre un homme,
Nul ne peut s'égaler
À celui que je sens.
Mais, ô sage Ménandre,
Puisque le ciel tant de grâces m'a faites,
Ne perdons point le temps,
Tous les dilayements
Qui se font sans propos,
Ne sont rien d'ordinaire
Que la ruine et perte d'une affaire:
Vous plaÏt-il pas accomplir le bonheur
De notre mariage?
MÉNANDRE
À nouveau fait il faut nouveau conseil:
J'avais promis à d'autres,
Avant qu'à toi, ma fille Sylvanire:
Chacun le sait assez,
Tu le peux demander
À tous ceux du hameau.
AGLANTE
À nouveau fait il faut nouveau conseil?
Par ainsi ta parole
N'aura non plus d'arrêt
Que la plume qui vole?
MÉNANDRE
Ma parole est certaine,
Et c'est bien pour cela
Qu'ayant donné ma parole à Théante
Je la veux observer.
AGLANTE
Ô dieux! ô foi trompée!
Ô parjure Ménandre!
Ô malheureux Aglante!
L'on vous d2çoit ainsi:
Et vous souffrez, ô dieux,
Si grande perfidie?
Ôte-la moi, Ménandre,
Ôte-la moi, la vie, (43)
Avant que me ravir
Celle qu'amour, celle que le destin,
Celle que toi, que Lerice sa mère,
Et qu'elle aussi d'accord m'avez donnée:
Car rien que le trépas
Ne m'en saurait priver:
Elle est mienne, elle est mienne,
Il faut qu'elle le soit,
Ou que je ne sois plus.
MÉNANDRE
Et pour quelle raison
Prétends-tu Sylvanire?
AGLANTE
Par la raison des gens,
T'en saurais-tu dédire?
Par la corne on attache
Les boeufs et les taureaux,
L'homme par sa parole.
MÉNANDRE
Théante en dit autant,
Et par cette raison
Tu n'as pas plus de droit
Qu'il en peut bien prétendre,
Et tant s'en faut il en a davantage;
Car il est le premier
À qui je l'ai promise,
Et si tu ne veux croire
Ce que je dis, berger,
Voila Lerice, et voilà Sylvanire,
Demande leur si je ne dis pas vrai.
LERICE
Il est certain.
MÉNANDRE
Qu'en dis-tu Sylvanire?
SYLVANIRE
Je l'ai bien ouï dire:
Mais.
MÉNANDRE
Qu'est-ce à dire ce mais?
SYLVANIRE
Mais je n'y fus jamais.
AGLANTE
Écoute bien, Ménandre,
Toute excuse cessante,
Nul autre que le ciel
Ne me saurait ôter
Celle qui m'est acquise:
Je m'en vais aux druides,
Ils me feront justice,
Et s'ils ne me la font,
Et mon bras, et les dieux
Me vengeront d'un parjure odieux.
Quand je perds le respect
Je sais faire observer
La parole promise.
SCÈNE IX
Ménandre, Lerice, Sylvanire.
MÉNANDRE
Je l'ai bien ouï dire,
Mais je n'y fus jamais;
La petite affétée,
Elle n'y fut jamais:
Or je t'assure, et m'en crois, Sylvanire,
Qu'une autrefois, si je ne suis d2çu,
Tu ne le diras plus:
Car en propre personne
Je t'y ferai bien être.
Je l'ai bien ouï dire,
Mais je n'y fus jamais:
Quoi? Tu voudrais plutôt
Celui-ci que Théante;
Il est plus à ton goût:
Ô je t'en ferai faire
Des maris à ton gré,
Laisse m'en le souci.
Tu pouvais bien, Lerice, m'assurer
Que ta fille ferait
Tout ce qu'il me plairait:
Oui, pourvu que je veuille
Tout ce qu'elle voudra:
Autrement sois certaine
Qu'elle te saura dire
Aussi bien comme à moi,
Je l'ai bien ouï dire,
Mais je n'y fus jamais.
Tu l'as bien ouï dire,
Mais tu n'y fus jamais;
C'est, et n'en doute point,
C'est là la prophétie
Du futur mariage,
Et d'Aglante, et de toi;
Car tu l'as ouï dire:
Mais crois moi, Sylvanire,
Tu n'y seras jamais.
Mais viens ça, réponds-moi,
Que peut avoir Aglante
Que Théante n'ait pas?
Tu ne me réponds point.
LERICE
Que voulez-vous qu'elle puisse répondre
À son père en courroux?
MÉNANDRE
Je répondrai pour elle:
Aglante a plus que lui
De jeunesse et d'erreur,
Il a plus d'imprudence,
Plus d'inexpérience,
Plus de présomption,
Un peu plus de beauté,
Mais plus de pauvreté:
Et faut-il pour cela
Le préférer, ainsi comme elle fait,
À ce sage Théante?
À ce riche Théante?
À ce noble Théante?
À ce Théante enfin
Qui n'a rien qui ne soit
Plus qu'Aglante estimable?
Figure-toi, l'homme plus accompli
Qui soit dessus la terre,
Qu'il sache bien chanter,
Qu'il sache bien danser,
Qu'il sache bien parler,
Qu'il soit la beauté même:
Que chacun à le voir
Par la place s'arrête;
S'il n'est bien riche, ô folle,
Ce n'est rien qu'une bête:
Si tu savais, ô peu prudente fille,
Si tu savais quel monstre épouvantable
Est la nécessité,
Tu fremirais au nom de pauvreté:
Mais avec l'or qu'est-ce qu'on ne fait pas?
Non seulement les hommes on surmonte,
Mais l'on fléchit les dieux,
Les dieux par les présents
Nous sont rendus propices,
Et le rameau, ce dit-on, que porta
Le grand troyen, quand il vit les enfers,
Parce qu'il était d'or,
Lui fit passer et repasser encor
Le fleuve de Charon.
Quelques uns vont disant,
Que le ciel, que la terre,
Que l'air, le feu, la mer,
Le soleil, les étoiles,
Sont les dieux d'ici bas:
Mais je ne le crois pas.
Car les vrais dieux visibles
En la terre où nous sommes,
Pour le moins pour les hommes,
Ne sont que deux; mais sais-tu bien lesquels?
L'or et l'argent, aies ces dieux chez toi
Et n'aies peur de rien,
Tout te sera propice,
Et ce que tu voudras
Soudain tu l'obtiendras:
Mais au contraire
Avec la pauvreté
Toute chose déplaît,
Les incommodités,
Les mépris, l'impuissance,
Sont accidents inséparables d'elle:
Et toutefois Aglante te plaît mieux
Que ce riche Théante:
Es-tu toujours en cette même erreur?
Quoi, tu ne parles point?
SYLVANIRE
Pardonnez-moi, mon père,
Vous êtes en colère.
MÉNANDRE
Reviens, où t'en vas-tu?
Elle nous paye encore,
Ainsi que l'autre fois,
Par une révérence.
Ô grands dieux! Qui peut être
Plus malheureux qu'un père,
Sinon qu'un autre père
Ayant encor davantage d'enfants.
Qu'est-ce que d'en avoir
Comme j'en ai, sinon
Peine, crainte et souci,
Et rien outre cela.
Et bien elle s'en va,
Qu'elle s'en ressouvienne,
Nul ne voit pour certain
La grandeur de la faute
Cependant qu'il la fait;
Mais il la voit après,
Lorsque la pénitence
Remet devant ses yeux
Un trop tard repentir:
De même adviendra-t-il
À l'imprudente fille
Qui ne veut m'écouter.
Mais je vois bien qu'ils s'en iront tous deux
Vers les sages druides,
Et diront leurs raisons
Sans leur parler des miennes,
Je m'en vais les trouver,
Et qu'ils s'assurent bien
Qu'ils s'en repentiront.
LERICE
Encor faut-il excuser la jeunesse.
MÉNANDRE
Excuser, c'est ainsi
Que tu me l'as gâtée;
Mais j'y mettrai bien ordre.
LERICE
Vous la voulez perdre encor une fois.
MÉNANDRE
Ô fut-elle perdue
Plutôt que d'être sotte.
LERICE
Ô cruauté d'un père!
Hélas! Ma pauvre fille.
SCÈNE X
AGLANTE
Non, non, il faut, Aglante,
Ou l'avoir, ou mourir;
Que si l'on se résout
De te l'ôter encore,
Il faut que cette histoire
Finisse en tragédie:
Car rien sinon la mort
Ne saurait séparer
Aglante et Sylvanire.
Mais, ô grands dieux!
Quel fut l'astre cruel
Qui dominait au point de ma naissance,
Puisque pour parvenir
Au bonheur qui me fuit,
Et la mort et la vie
Également me nuit?
Sylvanire était mienne
Hélas! Si le tombeau
Ne me l'eut pas ravie:
Mienne dans le tombeau
Encore serait-elle,
Si pour n'être plus mienne
Du profond du tombeau
Elle n'était sortie.
Que faut-il donc désormais que j'espère,
Si tout m'est si contraire?
Sa mort m'ôta le bien que je désire,
Sa vie encore, ô dieux, me le ravit:
Il ne faut donc penser
Que sa vie et sa mort
À mon contentement
Puisse être favorable:
Voyons de moi ce qui le pourrait être.
Mais si ma vie inutile à mon bien
J'ai toujours retrouvée,
Que me reste-t-il plus
Que d'essayer la mort,
Résolus en nous-même,
Qu'il nous faut l'un des deux,
Vivre avec plaisir,
Ou bien mourir pour n'être malheureux?
Il faut donc en la mort,
La fin de tous les maux,
Rechercher le salut.
Que jusqu'ici nous n'avons pu trouver:
Car saurais-je espérer
De rencontrer plus de compassion
Dedans le coeur sévère
Des rigoureux druides,
À qui ma plainte, hélas! Je viens de faire,
Que dans celui d'un père et d'une mère?
Il ne faut plus, il ne faut plus flatter
D'une vaine espérance
Le mal qui nous offense:
À l'arrêt du destin
Rien ne peut résister;
Inutiles et vains,
Contre l'effort du ciel,
Sont les efforts humains.
SCÈNE XI
Sylvanire, Aglante.
SYLVANIRE
Hélas! Ô dieux! Où le rencontrerai-je,
Celui que mon coeur aime
Cent fois plus que soi-même?
Mais ne le voilà pas?
Ô l'heureuse rencontre
Pour sujet malheureux!
AGLANTE
Bienheureuse rencontre,
Quoi que puisse avenir,
Sera toujours la vôtre.
SYLVANIRE
Aglante mon berger,
Écoute je te prie,
Ce que je te viens dire.
J'ai trouvé les druides
Assemblés pour juger
Le malheureux Tirinte,
Et j'y suis arrivée
Qu'à peine en sortais-tu.
Je leur ai fait ma plainte,
Je leur ai remontré
Que j'étais tienne, et qu'Aglante était mien;
Qu'avec permission
Et de mon père et de ma mère aussi,
En leur même présence,
J'avais reçu de toi,
Et toi de moi, le serment réciproque
D'un sacré mariage,
Qui nous liait tous deux
D'indissolubles noeuds,
Non pas par des paroles
Qu'à l'avenir on dût effectuer;
Mais que dès lors nous nous étions donnés,
Et nous étions reçus
Pour femme et pour mari,
Et tels aussi nous voulions vivre ensemble.
À peine ai-je pu dire
Ces dernières paroles,
Que Ménandre est entré,
Et Lerice avec lui,
Mais comment? En colère,
Les yeux ardents, comme de nuit on voit
Un charbon allumé,
Le visage enflammé,
Les jambes et les mains
Tremblantes de courroux:
À grand'peine a-t-il dit,
Recommençant cent fois
Le nom de Sylvanire,
Tant il était de passion extrême
Presque hors de soi même,
Le voyant tel, et ne pouvant souffrir
Sa présence irritée
Je me suis dérobée
Pour te venir chercher,
Et t'assurer, Aglante,
Que mon affection
Jamais ne changera,
Quoi qu'ordonne au contraire,
Ni l'arrêt des druides,
Ni celui de mon père,
Tienne je suis, et tienne je serai
Autant que je vivrai.
AGLANTE
Ô belle Sylvanire,
Que mienne, mon malheur
M'empêche d'oser dire.
SYLVANIRE
Dis-le berger en dépit du malheur,
Tienne je suis, et tienne de bon coeur.
AGLANTE
Ô belle Sylvanire,
Que puisque vous voulez,
En dépit du malheur
Mienne j'oserai dire,
Quelle grâce jamais
Faut-il que je vous rende
D'une faveur si grande?
Puisque non seulement
Il vous a plu d'aimer
Un berger sans mérite,
Mais dédaigner encore
Un si gentil berger
Que peut être Théante,
Mépriser ses richesses,
Et ses commodités,
Pour vivre avec Aglante?
Aglante qui n'a rien
Qui puisse être estimable,
Sinon qu'il aime bien.
Mais en cela je proteste et je jure,
Que si de tous les coeurs
Qui sont en l'univers
Un coeur se pouvait faire
Pour seulement aimer
Autant comme je fais,
Tous ses efforts resteraient imparfaits.
Je veux que cette amour
Par son extrémité
Supplée à toutes choses
Qui défaillent en moi:
Je veux que chacun dise,
Considérant votre perfection,
Et mon affection,
L'une sans l'autre eut été sans égale.
Recevez donc la foi,
La foi que je vous jure
Si parfaite et si pure,
Pour gage qu'à jamais
Aglante sera vôtre;
Mais de telle façon,
Que le ciel peut encor
Se brouiller en la terre,
Et tous les éléments
Dans la confusion
De l'antique chaos:
Mais jamais, mais jamais
Aglante on ne verra,
Sans que de Sylvanire
Les beautés il n'adore,
Plus s'il se peut qu'il ne fait pas encore.
Et quoi que la rigueur
D'un père impitoyable,
Ou bien l'inique arrêt
D'un juge inexorable
Me puisse retarder
L'heur que nous désirons;
Ne croyez, Sylvanire,
Que mon affection
Puisse diminuer.
Ma passion peut bien
Augmenter à l'extrême,
Mais non pas m'empêcher
Qu'à jamais je vous aime.
Je ne mériterais
De respirer cet air,
Ni de voir la clarté
Que le soleil nous donne,
Ni d'être entre les hommes,
Si je manquais à l'obligation
Où m'a mis Sylvanire.
SYLVANIRE
Point, point, Aglante, point d'obligation,
Quoi que je puisse faire,
Ne saurait satisfaire
À celle en qui l'amour
Envers toi m'a liée,
Et tous ces témoignages
De bonne volonté,
Reçois les pour tribut
De mon affection:
Je paye ainsi les devoirs qui sont deux
À l'amour réciproque,
Dont amour me lia,
Alors que Sylvanire
Pour femme il te donna.
SCÈNE XII
Alciron, Sylvanire, Aglante.
ALCIRON
Mais si veux je bien être
Le premier à leur dire
Les nouvelles que j'ai:
Où les rencontrerai-je?
SYLVANIRE
Quelles sont tes nouvelles,
Et qui vas-tu cherchant?
AGLANTE
Berger fais-nous en part.
ALCIRON
C'est vous deux que je cherche.
AGLANTE
Moi, berger?
ALCIRON
Vous et vous.
SYLVANIRE
Et moi j'en suis aussi?
ALCIRON
Vous en êtes tous deux.
Celui soit malheureux
Qui vous séparera.
AGLANTE
Et que me veux-tu dire?
ALCIRON
Que tienne est Sylvanire,
Et que tien est Aglante.
SYLVANIRE
Ô que Dieu te contente.
AGLANTE
Mais te moques-tu point?
ALCIRON
Comment? Si je me moque,
Pourquoi voudrais-je, Aglante,
User de moquerie
Avec des personnes
Que j'honore si fort?
SYLVANIRE
Mais comment le sais-tu?
ALCIRON
Je le dirai, je me suis rencontré
Lorsque Ménandre, outré de la colère
S'est présenté devant le grand druide
Pour rompre cette affaire:
Quelles raisons n'a-t-il point rapportées?
Une fille jamais,
Disait-il, ne se peut
Lier en mariage
Sans le vouloir du père:
Mais (lui répond Hylas,
Parlant pour vous) Sylvanire a reçu
Aglante pour mari
Avec le congé
De Lerice et de toi.
SYLVANIRE
Hylas disait bien vrai.
ALCIRON
Alors Ménandre, il est vrai, je confesse
Que pensant que ma fille
Était prête à mourir,
Je lui permis tout ce qu'elle voulut:
Mais mon intention
Fut seulement de lui donner pour lors
Quelque contentement,
Étant bien résolu,
Que si du mal elle pouvait guérir,
Je la redonnerais
Encore à Théante.
SYLVANIRE
Ô le trompeur qu'il est!
ALCIRON
Soudain Hylas répond:
Si telle ruse était autorisée,
Adieu tout le commerce
Qu'on voit entre les hommes,
Et qui dorénavant
Se pourrait assurer
De chose qu'on promette?
Nul ne saurait entrer
Dans le secret du coeur,
L'on ne contracte pas
Avec la pensée,
C'est avec la parole
Que tout homme s'oblige,
Et ta fille eut congé.
Ce congé ne vaut rien,
Reprend soudain Ménandre,
Parce qu'auparavant
Nous avions Sylvanire
À Théante promise.
AGLANTE
Cette promesse est nulle,
Elle n'y consentant.
ALCIRON
Hylas en dit autant.
Mais qui la rendrait nulle,
Dit Ménandre en colère,
Le père n'est-il pas seigneur de son enfant?
N'en peut-il pas disposer comme il veut?
Tu te trompes, pasteur,
Dit froidement Hylas,
Les enfants parmi nous
Naissent enfants, et non pas des esclaves,
Ce serait autrement
Honte que d'être père,
Et la terre où nous sommes
Serait bien diffamée,
Si la seule en la Gaule
Elle ne produisait
Des hommes francs et libres,
Mais seulement des serfs et des esclaves.
Hylas voulait continuer encore,
Lorsque Ménandre enflammé de colère
Voulut répondre aux raisons du berger:
Mais les sages druides
Leur imposant silence:
C'est assez, ont-ils dit,
Car vos raisons nous sont assez connues:
Si bien que le respect
A fait taire Ménandre,
Attendant quel arrêt
Les sages donneraient:
Même qu'alors Tirinte
Conduit par devant eux
Attendant la sentence
Ou de vie ou de mort,
Impatient au pied du tribunal:
Qui m'accuse, dit-il?
Et pourquoi suis-je ici?
SYLVANIRE
Mais qu'est-ce qu'ont jugé
Les druides de nous?
ALCIRON
Donne-moi le loisir
De te le pouvoir dire:
Fossinde alors se faisant faire place:
Misérable berger,
Dit-elle en soupirant,
Demandes-tu qui te peut accuser?
Les rives de Lignon,
Les prés, et les bocages,
Les antres, les forêts,
Les sources, les ruisseaux,
Les hommes, et les dieux,
Tous t'accusent, berger,
Tous demandent vengeance;
Même ta conscience
De ton méfait et de ta trahison
Te juge et te condamne.
SYLVANIRE
Et Fossinde a parlé
Ainsi contre Tirinte.
ALCIRON
Chacun l'ayant ouïe
Comme toi s'étonna,
Parce que presque tous
Savaient bien son amour.
Mais lui sans s'émouvoir,
Parle aux juges, dit-il,
Accuse ce Tirinte
En ce qu'il a forfait,
C'est d'eux, et non de moi
De qui tu dois attendre
Le juste châtiment
De ses fautes commises:
Penses-tu que je manque
De coeur pour supporter
Les supplices qui peuvent
Ton âme contenter,
Ou ma faute effacer?
AGLANTE
Son courage était grand,
Et chacun le doit plaindre.
ALCIRON
Elle alors rougissant,
Et se tournant vers les sages druides:
Ce berger inhumain
Que vous voyez à votre tribunal,
C'est le berger, dit-elle,
Le plus digne de mort
Qui fut jamais accusé devant vous.
Il aima Sylvanire,
À ce qu'il va disant:
Mais qui le pourrait croire?
Jamais il ne connut
Les forces de l'amour,
Quoi qu'à l'amour ses fautes il rejette:
Fait-on mourir la personne qu'on aime?
Et toutefois il n'a pas seulement
Présenté le poison
À cette belle fille,
Mais le cruel l'a-t-il pas vu mourir
Avec tant de douleurs,
Qu'il faut bien n'avoir point
Ni d'amour ni de coeur,
Pour avoir le courage
De faire à ces beautés
Un si cruel outrage:
Mais de sa mort s'est-il encor saoulé?
Non, non, sages druides,
Il la va déterrer,
Il veut paître ses yeux
D'un forfait qu'une tigre
N'aurait pas perpétré;
N'est-ce pas là le comble plus extrême
De l'inhumanité?
Mais oyez des grands dieux
La clémence infinie:
Ce perfide retrouve,
Contre son espérance,
La morte-vive, un miracle si grand
Devait-il pas lui ramollir le coeur,
Et touché dedans l'âme
D'un puissant repentir
Lui faire détester
L'erreur qu'il avait faite?
Au contraire il s'obstine,
Ajoute crime à crime,
Et montre bien être vrai ce qu'on dit,
Qu'enfin l'abîme appelle un autre abîme.
L'ayant donc trouvée
Vive dans le cercueil,
Peut-être qu'à ses pieds
Pardon il lui demande;
Tout au contraire il la veut dérober,
Et par force emmener
Dans des antres sauvages,
À quel dessein? Vous le pouvez penser,
Et croit que ce forfait,
Aux hommes bien caché,
Aux dieux aussi de même le sera.
Mais seulement il en eut le vouloir,
Sans toutefois mettre la main à l'oeuvre:
Non, non, sages druides,
Il a mis en effet
La résolution
D'une telle pensée,
Ou pour le moins il s'en mit en devoir,
Et n'eût été qu'aux cris de Sylvanire
Ces bergers accoururent,
Qui la force à la force
Vaillamment opposèrent,
Dieu sait que ce félon (44)
N'eût entrepris contre une faible fille.
SYLVANIRE
Fossinde a bien dit vrai.
ALCIRON
Je vous ai dit le crime,
Continua Fossinde,
Vous savez mieux que nous
Ce que les lois ordonnent,
On demande justice,
C'est à vous de la faire,
Et l'attendre des dieux
Comme vous la rendrez.
AGLANTE
Que répondit Tirinte?
ALCIRON
Elle a raison, ô très sages druides,
Répond Tirinte alors,
Disant que j'ai failli,
Mais elle a tort aussi
De m'accuser d'un crime auquel mon âme
N'a jamais consenti.
Je ne refuse pas
Les tourments ni la mort,
Je suis assez coupable,
Je le confesse, et n'ai point de raison,
Ni n'en veux point avoir
Pour m'excuser du moindre des supplices
Qui me sont préparés:
Mais que sert-il d'ajouter sans raison
Des crimes faux aux crimes véritables?
Je l'aime trop, et l'ai toujours aimée
De trop d'affection,
La belle Sylvanire,
Pour avoir le courage
De lui faire du mal;
Je ne dis pas seulement par l'effet,
Mais avec la pensée.
Il est vrai, mais déçu,
J'ai donné le poison:
Que je sois seulement
Déchargé de ce crime,
Tous les autres j'avoue,
Ne me souciant guère
Des plus cruels supplices
Dont je suis menacé,
Pourvu que nette et pure
J'emporte mon amour
Dedans ma sépulture.
À ce mot il se tut.
AGLANTE
Courage résolu
D'un généreux berger.
ALCIRON
Et parce qu'au grand bruit
J'étais comme plusieurs
Accouru sur le lieu,
Ne pouvant supporter
De voir sa cause ainsi mal défendue,
Je me mis en avant
Pour répondre à Fossinde.
Mais lui soudain mon dessein connaissant:
Cesse ami, me dit-il,
Je veux mourir enfin,
Heureux qui meurt ne pouvant vivre heureux.
Mon amour toutefois
Encore un coup me fit ouvrir la bouche:
Mais lui pour m'interrompre,
Ô très sages druides,
S'écria-t-il, c'est la compassion,
Et non la vérité
Qui fait que ce berger
Veut défendre ma faute,
Vous ne le croyez pas,
Car je le désavoue.
SYLVANIRE
Que faisait lors Fossinde?
ALCIRON
Elle se souriait:
Mais vois, berger, lorsque le ciel ordonne
Que quelque chose en la terre se fasse
Comme il va disposant,
Tout ce qui peut telle chose parfaire,
Lorsque peut-être en plus d'incertitude
Tes affaires, Aglante,
S'en allaient balançant.
AGLANTE
Ô qu'il est dangereux
D'être soumis au jugement des hommes!
ALCIRON
Voilà pas que Théante
Suivi de plusieurs autres
Accourt au tribunal:
Chacun à foule auprès de lui se presse
Pour ouïr les raisons
Qu'on croyait qu'il peut dire
Pour avoir Sylvanire.
Pères, dit-il, je viens vous déclarer
Que Sylvanire à quelque autre peut être,
Mais non pas à Théante.
Si l'amour est folie,
Il faut dire manie,
Encore plus extrême,
D'aimer qui ne nous aime,
Et comme que ce soit
Grande est la servitude
Du mariage, et mille fois plus grande
Celle dont les liens
Des noeuds d'amour ne sont point attachés.
Il partit à ce mot,
Quoi que lui dit Ménandre.
Alors le grand druide
Prononça ces paroles.
Libre est la volonté,
Et d'un libre vouloir
Sont faits les mariages:
Que Sylvanire épouse donc Aglante,
Et que Ménandre en cela se contente.
AGLANTE
Ô très juste décret!
SYLVANIRE
Ô très justes druides!
C'est bien avec raison
Que pères l'on vous nomme.
ALCIRON
Mais écoutez qu'il advint de Tirinte:
Tel fut le jugement.
Amour permet, et nous le permettons,
Dit alors le druide,
Que tout amant essaye
Avec tout artifice
D'obtenir ses désirs
De celle qu'il adore.
Dans le règne d'amour
Le larcin est permis,
Les ruses, les finesses
S'appellent des sagesses.
Mais qu'on se garde bien
De force et violence,
L'amour est volontaire,
Et qui fait au contraire,
Par cette déité
Est criminel de lèse-majesté:
Pour ce Tirinte en vertu de la loi
Absous est déclaré
De toutes ses finesses;
Car amour les avoue:
Mais pour la violence
Dont il est convaincu,
Nous ordonnons pour juste châtiment
D'un si grand démérite,
Du rocher malheureux
Que l'on le précipite.
AGLANTE
Ô dur arrêt! ô cruelle sentence!
SYLVANIRE
Donc Tirinte mourra.
ALCIRON
Donnez-vous patience.
En même temps Tirinte est attaché,
Chacun le pleure, et tous blâment Fossinde
De l'animosité
Qu'elle a montrée envers ce beau berger.
Elle au rebours d'un visage joyeux,
D'un oeil riant, Tirinte je confesse,
Lui dit-elle tout haut,
Que je te vois réduit au même point
Que dès longtemps j'avais tant souhaité:
Et bien, lui répond-il,
Tu dois être contente:
Quant à moi je le suis,
Saoule-toi de mon sang.
Non, non, dit-elle, insensible berger,
Ce n'est pas de la sorte
Que je l'entends: si je t'ai souhaité
En cet état, c'est pour faire paraître
Qu'amour en moi surpasse ta rigueur.
Lors se tournant vers les sévères juges:
Puisque vous condamnez
Selon la loi, dit-elle, ce berger,
Selon la loi de même je demande
Que vous me le donniez
Pour mon mari, puisque la loi le veut.
SYLVANIRE
Vraiment elle fit bien.
AGLANTE
Mais voyez quelle ruse,
L'accuser pour l'avoir.
ALCIRON
Mais écoutez d'une amour insensée
Le conseil insensé:
Tirinte condamné
Au rocher malheureux,
Et rappelé de la mort à la vie
Par l'amour de Fossinde,
Aime mieux du rocher
L'horrible précipice,
Que de cette Fossinde
L'amour ni les faveurs.
Donc, ce disait-il,
Je la rachèterai,
Cette vie odieuse,
D'une vie à jamais
Odieuse pour moi
Mille fois davantage?
Donc pour ne mourir
Une fois seulement,
Tous les jours je mourrai?
Quoi? Tous les jours, mais à tous les moments
Mille fois je mourrai?
Vaut-il pas mieux achever tout d'un coup
Le destin malheureux
Que le ciel nous ordonne,
Et de tant de malheurs
Tromper la tyrannie,
Que vivre encor pour ne vivre jamais,
Puisque ce n'est pas vivre
Que vivre malheureux?
Ainsi disait Tirinte,
Et pressé du regret
De perdre Sylvanire
S'allait mettre à genoux,
Pour déclarer que la mort à l'amour
Il voulait préférer:
De quel aveuglement
Est occupé l'amant!
Et déjà les genoux
Il fléchissait devant le tribunal,
Joignait les mains ensemble:
Pères, voulut-il dire,
Quand j'accourus, de la main lui fermant
Déjà la bouche ouverte,
Sur lui je m'abouchai:
Je veux donc mourir,
Lui dis-je, comme toi,
Si tu ne veux pas vivre;
À mon exemple alors
Les parents, les amis
De ce gentil berger,
Dont le nombre était grand,
M'aidant à cet office,
Pour lors nous arrêtâmes
Le cours précipité
De ce mauvais conseil.
SYLVANIRE
En cet instant, mais que faisait Fossinde?
ALCIRON
Toute étonnée elle pâlit dabord,
D'un oeil chargé d'effroi
Le va considérant,
Reste immobile, et d'un pas se recule:
Puis tout à coup, donc c'est moi, Tirinte,
Qui suis ton homicide:
C'est donc, dit-elle, moi
Qui t'ai conduit au rocher malheureux:
Il ne sera pas vrai,
J'aime mieux que ma mort
Témoigne ma pensée,
Que si jamais Tirinte pouvait croire,
Ou quelque autre après lui,
Que Fossinde, ô grands dieux!
Eut sa mort consentie.
Écoute donc, berger,
Reçois cette Fossinde,
Si tu ne veux pour femme,
Dis-la seulement telle,
Pour fuir la rigueur
Des lois qui te condamnent,
Et puis tiens-la pour ce que tu voudras,
Tiens-la pour ton esclave,
Telle je veux bien être
Et moindre s'il se peut,
Pourvu que de Tirinte
Le destin je déçoive.
AGLANTE
Elle me fait pitié.
ALCIRON
Tout de même en fit-elle
À tous ceux qui l'ouïrent:
Et parce que les pleurs,
Et les sanglots lui refusaient la voix,
Ce silence contraint
Parlait sans doute à ce berger cruel
Avec plus d'éloquence.
Quelque temps sans parler
Il la considéra
En l'état où je dis,
Et cependant l'amour
Qui, comme on dit, ne pardonne jamais
À la personne aimée
Les cruautés qu'elle fait à qui l'aime,
De sorte à ce Tirinte
Représenta l'entière affection
De cette honnête fille,
Qui pouvait être dite
Opiniâtreté
Plutôt qu'affection,
Qu'enfin vaincu, je mets à bas les armes,
Et je me rends, dit-il,
Fossinde ton amour
A surmonté ma résolution,
Et lui tendant la main,
Soit donc pour jamais
Tirinte à sa Fossinde,
Fossinde à son Tirinte.
Un battement de mains
Remplit soudain le lieu
De bruit et d'allégresse,
Et Ménandre et Lerice
Ensemble avec Alcas
Par les mains se prenants,
D'un visage joyeux,
C'est aujourd'hui, dirent-ils d'une voix,
Le jour heureux que le ciel établit
Pour le contentement
Des bergers de Lignon.
Soit Io redoublé,
Soit Hymen appelé,
Soient les dieux invoqués,
Les pans, les égipans, (45)
Les nymphes, les dryades,
Tout se doit réjouir,
Et vous très justes pères
Concédez à Fossinde
Sa trop juste demande.
Nous pardonnons Tirinte
Et Sylvanire aussi,
Veuillez que tous ensemble
Au temple nous allions
Remercier les dieux,
Et finir, puis qu'ainsi
Ils montrent qu'ils le veulent,
D'Aglante et Sylvanire,
De Tirinte et Fossinde,
Les heureux mariages.
SYLVANIRE
Ô c'est bien à ce coup,
Que mon coeur est content,
Puisque mon père et que ma mère aussi
À la fin y consentent.
ALCIRON
Les druides alors
Pleins de contentement,
En vertu de la loi
Et du consentement
D'Alcas le bon pasteur,
Accordèrent Tirinte
À la fine Fossinde,
Et ton père embrassèrent
D'extrême joie, et moi pour te le dire
Je suis venu courant,
Afin d'être premier
À ces bonnes nouvelles,
Pour satisfaire au mal que je t'ai fait;
Car ce fut moi qui donnai le miroir,
Comme ami de Tirinte,
Qui te mit au cercueil:
Et je voudrais bien être
Pour le moins à ce coup
Ministre de ta joie,
Comme j'avais été
Ministre de ton deuil.
SYLVANIRE
Ministre vraiment
Es-tu bien de ma joie,
Puisque ton artifice
Fut cause que j'obtins
Cet Aglante que j'aime:
Alciron à jamais
Soit heureux et content,
Duquel la sage ruse
Non seulement j'excuse,
Mais j'estime et bénis.
Ô que tardons-nous plus
Allons-nous en, Aglante,
Nous prosterner aux pieds
De Ménandre et Lerice,
Et de nos justes juges.
AGLANTE
Allons, nous le devons:
Ô jour trois fois heureux!
ALCIRON
Il vous cherchent partout,
Pour vous conduire au temple:
Mais les voici qui viennent.
SYLVANIRE
Je les vois, les voici,
Allons, mon cher Aglante.
SCÈNE XIII
Sylvanire, Aglante, Ménandre, Lerice, Fossinde, Alciron, Tirinte,
Hylas.
SYLVANIRE
Si je vous ai déplu
Votre grâce j'implore,
Pardonnez ma jeunesse.
AGLANTE
Et mon affection.
MÉNANDRE
Mes enfants; car tous deux
Je vous reçois pour tels,
Oublions le passé,
Et l'effaçons du tout:
Faisons un autre livre
Où je mettrai tous les contentements
Que je dois recevoir
Et de l'un et de l'autre,
Et vous les témoignages
De mon affection,
Et pour bien commencer,
À toi, mon fils Aglante,
Je donne Sylvanire,
Tu mérites bien mieux:
Mais à toi, Sylvanire,
Aglante je te donne,
Et je sais bien que tu ne veux pas mieux.
Les dieux vous soient propices et bénins,
Et prolongent vos jours,
Avec contentement,
Au nombre de l'arène.
AGLANTE
Quand les bienfaits peuvent être égalés
Par les remerciements,
Ou bien par les services,
Il faut user d'effet et de paroles
Pour n'être point ingrat:
Mais lorsque leur grandeur
Surpasse la puissance,
Et des remerciements,
Et de tous les services,
Il faut recoure aux voeux,
Et prier les grands dieux
Par leur bonté, de vouloir satisfaire
À de si grandes dettes.
Et c'est ainsi qu'en cette occasion
Je suis contraint de faire,
Étant si grand le bien que je reçois
Que je ne le puis dire
Ni satisfaire aussi,
Qu'en suppliant les dieux,
Les dieux tous bons qu'ils veuillent reconnaître
Tout ce que je vous dois,
Et cependant donnez-moi votre main,
Et vous aussi ma mère,
Afin que je les baise,
Pour un sûr témoignage
De mon fidèle hommage.
SYLVANIRE
J'en dis autant, ma mère.
LERICE
Mes chers enfants, je vous reçois tous deux
Pour mes propres enfants,
Et comme tels je veux que vous m'aimiez,
Et vivez bienheureux.
FOSSINDE
Et nous n'aurons-nous pas
Quelque reconnaissance
De bonne volonté?
Notre vieille amitié
Ne fera-t-elle pas
Que tous les déplaisirs
Que vous avez reçus
De l'amour de Tirinte?
ALCIRON
Et de mes artifices?
FOSSINDE
Soient oubliés dans vos contentements?
SYLVANIRE
Tout, tout, Fossinde, il n'en faut plus parler.
FOSSINDE
Aglante et toi?
AGLANTE
Je n'ai jamais haï
Personne qui voulût
La belle Sylvanire,
J'eusse été trop injuste
De blâmer en autrui
Ce qu'en moi j'estimais,
Et crois-le ainsi, Tirinte.
TIRINTE
J'ai désiré plus que moi Sylvanire,
Et tout ce que j'ai pu
Pour la gagner je l'ai fait, je l'avoue,
Les dieux te l'ont donnée,
Garde-la bien, Aglante,
Pour moi je me contente,
Puisque les dieux ainsi l'ont ordonné,
De l'amour de Fossinde.
MÉNANDRE
Or allons mes enfants
De l'amour triomphants,
Allons au temple, allons;
Un bienfait reconnu
Doit espérer des dieux
D'avoir encore mieux.
HYLAS
Heureux amants, voilà de votre peine
Le loyer mérité,
Votre constance à ce coup n'est point vaine,
Ni votre loyauté:
Que si toujours semblable récompense
Un coeur fidèle attend,
À votre exemple? Ah! Quant à moi je pense
Que je serai constant.
LE CHOEUR
Amour pour passe-temps
D'une même racine,
Produit en même temps
Et la rose et l'épine.
Si la fleur on en veut,
Qu'en soi-même on propose,
Que l'épine se peut
Rencontrer pour la rose.
Mais qui retirera
La main pour la piqûre,
Jamais il n'en aura
Que la seule blessure.
Qui veut donc cette fleur,
Qu'il n'en craigne la plaie;
Car il doit être sûr
Qu'enfin l'amour nous paye.
NOTES
Notes.
(1) Lignon: Rivière du Forez en France rendu célèbre par Honoré d'Urfé, dans sa pastorale L'Astrée.
(2) Marcilly le Pavé: Commune de la Loire dans le Forez, entre Thiers et Saint-Etienne, à l'ouest de Lyon.
(3) Prométhée: Titan qui offrit le feu aux hommes et qui fut enchaîné au sommet du Caucase par Jupiter: un aigle dévorait son foie qui se régénérait sans cesse.
(4) Rhadamante: Fils de Jupiter et d'Europe et frère de Minos, est un des juges des Enfers. Il avait épousé Alcmène, veuve de d'Amphitryon.
(5) Le vers 418 est absent de l'édition Champion.
(6) Moyeu: Jaune d'oeuf.
(7) Avette: ou apelle. Un des noms vulgaires de l'abeille domestique.
(8) Jeu coquimbert: Jeu à qui perd gagne. Cité par Rabelais.
(9) Abshtinthe: Plante aromatique et très amère. Espèce de liqueur faite avec l'absinthe. Fig. Amertume.
(10) Cérès: Dans le polythéisme gréco-romain, déesse qui présidait aux moissons.
(11) Pomone: Nymphe et fausse divinité des Anciens, qu'ils croyaient présider aux jardins; ils feignent qu'ils fut mariée à Vertumne, qu'ils avaient pour ce sujet en grande vénération.
(12) Briarée: personnage de la mythologie grecque, Géant, frère des Titans et des cyclopes, qui a cinquante têtes et cent bras.
(13) Affeté: Qui a de l'affetterie [c'est à dire une) Recherche
mignarde dans les manières ou dans le langage.
(14) Recrêper: Crêper de nouveau. [c'est à dire) Friser en manière de crêpe.
(15) Isoure: Il doit s'agir d'Issoire, ville au sud de Clermont-Ferrand en Auvergne.
(16) Fuitif: Celui qui prend la fuite. Qui s'échappe, qui fuit.
(17) Relent: Qui a une odeur de renfermé.
(18) Semondre: convier à une cérémonie, à un acte public, à une réunion, à un rendez-vous. Réprimander.
(19) Tétin: Le bout de la mamelle des femmes par où sort le lait, et que les enfants sucent pour se nourrir. Il se dit aussi pour téton, mais dans le style bas et comique.
(20) Satyre: C'était chez les païens une Demi-Dieu fabuleux, qui présidait aux forêts avec les faunes et les sylvains. Il les peignaient moitié homme, et moitié boucs. Hommes par en haut avec des cornes sur la tête; et en bas une queue, des pieds de boucs et tout velus par le corps.
(21) Vulcain: le nom romains du dieu grec Héphaïstos, dieu du feu, de la forge et des volcans.
(22) Cypris: Qui signifie proprement une femme de Cypre, mais qui ne se dit que de Vénus, à qui cette île était consacrée.
(23) Déjanire: Fille d'OEnée, roi de Calydon, en Étolie, fut épousée par Hercule qui en eu Hyllus.
(24) Endymion: Berger de Carie ou d'Elide (Grèce antique) d'une grande beauté, avait été, selon la Fable, placé dans le ciel par Jupiter, qui l'en chassa parce qu'il avait voulu attenter à l'honneur de Junon, et le condamna à un sommeil perpétuel. Diane s'éprit d'une vive passion pendant qu'il dormait pour lui et le transporta dans une caverne.
(25) Folâtre: Qui aime à faire gaiement de petites folies.
(26) Le vers 4494 est absent de l'édition Honoré Champion.
(27) Dilayer: Renvoyer à un temps plus éloigné. User de remise.
(28) Muguetter: Courtiser, comme fait le muguet. Fig. Rechercher, désirer d'obtenir.
(29) Ambrosie: ou ambroisie. Mets des divinités de l'Olympe.
(30) Encorné: Qui porte des cornes.
(31) Colombelle: Petite colombe, au propre et au figuré.
(32) Styx: Fleuve qui, selon la mythologie, coulait aux enfers; les dieux juraient par le Styx, et ce serment ne pouvait être violé.
(33) Esculape: dieu romain de la médecine (Asclepios en grec). Selon le mythe grec, il est le fils d'Apollon et de Coronis.
(34) Rengrégement: Augmentation.
(35) Mânes: terme poétique qui signifie l'ombre ou l'âme des morts.
(36) Rengréger: Augmenter, en parlant du mal des maladies.
(37) Deseignier: Dépouiller d'un signe, d'une marque.
(38) Abuseur: Celui qui abuse, qui trompe.
(39) Mémenphitique: Qui appartient à Memphis. [ville d'Egypte.)
(40) Torpille: Genre de poissons cartilagineux plagiostomes voisins des raies, ayant un appareil électrique sur les côtés de la queue et donnant une commotion à ceux qui les touchent.
(41) L'édition Honoré Champion ne fait qu'un vers: 'Et bref où tout mon mal demeure' au lieu des deux vers précédents.
(42) Heur: rencontre avantageuse. (...) [antonyme de malheur)
(43) Le vers 8381 n'est pas dans l'édition Honoré Champion.
(44) Les deux vers du dessus sont dans l'édition Champion un seul vers: 'Que la force à la force posèrent.
(45) Égipan: Terme de mythologie. Sorte de divinité champêtre, satyre.
Date de dernière mise à jour : 01/01/2023