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BIBLIOBUS Littérature française

Sylvanire ou la morte vive - Honoré D'Urfé (1568-1625)

PROLOGUE

Sylvanire ou la morte vive - Honoré D'Urfé  (1568-1625)

 

(Marquis De Valromey, Comte De Châteauneuf.)

Fable Bocagère.

M. DC. XXVII.

De messire Honoré D'Urfé, Marquis de Bagé et Verromé, Comte de Chasteau-neuf, Baron de Chasteau-Morand, et Chevalier de l'Ordre de Savoye, etc.

A Paris, chez Robert Fouet, rue Saint Jacques. Au Temps, et à l'Occasion.

TABLE DES MATIERES.

Personnages.

Prologue.

ACTE I

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

ACTE II

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

ACTE III

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

ACTE IV

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

ACTE V

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

Scène XI

Scène XII

Scène XIII

Notes.

PERSONNAGES.

  • FORTUNE, prologue.

  • AGLANTE, berger.

  • ALCIRON, berger.

  • HYLAS, berger.

  • TIRINTE, berger.

  • ADRASTE, berger fol.

  • SYLVANIRE, bergère.

  • FOSSINDE, bergère.

  • MÉNANDRE, père de Sylvanire.

  • LERICE, mère de Sylvanire.

  • UN MESSAGER.

  • SATYRE.

  • ÉCHO.

  • LE CHOEUR DE BERGERS.

LA SCENE EST A LILLE.

PROLOGUE.

FORTUNE en habit de Bergère

Peut-être dans ces lieux solitaires

Dans ces bois reculés

Du commerce des hommes,

Dans ces replis tortus

Des rochers caverneux,

Dans ces antres cachés,

Ainsi qu'on jugerait

Même aux yeux du soleil,

Je me déroberai

À l'importunité

De ces fâcheuses filles,

Électre, Ocyroé,

Melobasis, Yanthe,

Et Leucipe, et Phoenon,

Et mes autres compagnes,

Filles de l'Océan,

Et que l'on croit mes soeurs,

Me vont cherchant et demandant à tous

Aux marques ordinaires

Que je voulais porter,

Pour savoir où je suis,

Et pour me découvrir

Vont promettant des perles, des coquilles,

De branches de corail,

À qui leur voudra dire

Où je me suis cachée.

Voire elle sont bien fines,

Elles sont si plaisantes

De promettre des choses

À qui me montrera,

Comme si je ne puis

Donner comme je voudrai

Des perles bien plus belles,

Des nacres, des coquilles

Des branches de corail

À qui me cachera?

Il en manque peut-être

À la Fortune, à qui tout l'Univers

En partage est donné:

Car vous ne vous trompez pas,

Encor que maintenant

Vous ne me voyez pas,

Comme je voulais être,

D'une grandeur extrême;

Ni ne porter en l'une de mes mains

La corne d'Amalthée,

Ni dans l'autre un timon,

Si le fils de Vénus

N'est point à mon côté,

Si d'un bandeau mes yeux ne sont voilés,

Si sous mes pieds je ne presse une boule,

Si sur ma tête une sphère on ne voit,

Et si mon dos n'est chargé de deux ailes

Peintes de cent couleurs,

Si l'on ne voit ma voile

Au vent abandonnée

Ni que je me joue

À ma volage roue,

Comme c'est ma coutume;

En bref je ne tiens

Entre mes bras le jeune enfant Plutus,

Qu'on dit dieu des richesses,

Lui donnant le tétin

Comme mère et nourrice.

Ce n'est pas pour cela

Que je ne sois Fortune,

Fortune qui commande

À tout ce qui s'enserre

Depuis la Lune au centre de la Terre.

Que je ne sois cette même déesse,

Par qui le grand Sénat

Dans la grandeur de Rome

Enferma tout le monde,

Sans que le monde entier

Peut enfermer Rome qu'en Rome même.

Mais ne vous étonnés

De me voir maintenant

Sous mes habits, la houlette en la main,

Au dos la panetière

Ainsi qu'une bergère,

Je me cache à ces nymphes

Filles de l'Océan

Qui me vont poursuivant;

Et qui par leurs prières

Sans cesse m'importunent

De satisfaire à leur ambition.

Je ne saurais me plaire

De donner mes faveurs

À qui trop m'importune.

je suis semblable à l'ombre,

Je fuis qui me poursuis,

Et je suis qui me fuit.

Elle voudraient les fines,

Que je leur fisse part

De pouvoir absolu

Que j'ai sur l'Océan,

Quoiqu'à leur père il échut en partage.

Tiché, me disent-elles,

Car Tiché c'est son nom

Quand nous sommes ensemble,

Laisse nous avoir part

Au règne paternel,

Et nous soulageons

Avec notre peine

La peine qu'il te donne.

Il est vrai, je les aime,

Ces gentilles naïades,

J'aime bien leurs vertus,

J'aime leurs exercices;

Mais je ne veux pourtant

Partager mon Empire,

Que de régner tout seul

Est une douce peine:

Je veux bien quelquefois

Leur donner le pouvoir

D'y commander, mis que ce soit moi sous moi,

Et tant qu'il me plaira.

Or pour fuir leur importunité,

Sous ces habits je me suis déguisée,

Et m'en viens dans ces bois

Me dérober aux yeux ambitieux

Des nymphes qui me cherchent

Parmi les plus grands rois,

Et les plus grands monarques,

Comme si je devais

Toujours rompre des sceptres,

Et fouler des couronnes,

Renverser des royaumes,

Bâtir des républiques,

Ou fonder des cités.

Folles qui s'imaginent

Que moi qui paye chacun

De cette ambition

Je doive de même m'en repaître

Elles ne savent pas

Que je me plais souvent

Avec ces bergers,

Et ces simples bergères,

Hôtesses innocentes

De ces bois innocents,

Plus que dedans les cours,

Où qui mieux se déguise

Vend mieux sa marchandise

Peut être du travail

Elles se lasseront,

Ces filles importunes,

Et cependant dessous ses doux ombrages

Je passerai le temps,

Et parmi ces rivages

J'irai folâtrement,

Tournant ma roue aux dépend des bergères

Et des bergers mignards:

Mais j'entends aux dépens

Seulement de leurs plaintes,

Seulement de leurs craintes

Seulement de leurs larmes,

Je ne veux qu'aujourd'hui

Sur mes autels du sang ou sacrifice.

Cupidon m'en pria

Quelques jours sont passés:

Je l'aime cet enfant,

Encore que bien souvent

Il dépende ses coups

Où le moins il devrait

Mais qu'importe cela,

Je l'en aime tant mieux,

Car c'est peut-être en quoi,

Comme disent les hommes,

Plus semblables nous sommes.

Il me dit, en Forez

Sur les bords de Lignon, (1)

Aglante le berger

Adore Sylvanire,

Et Fossinte Tirinte

Il n'y faut qu'un seul tour de roue.

Voici bien le Forez

Ma plus chère contrée,

Où je fis naître Astrée

L'honneur de l'univers;

Et voici bien Lignon,

Je le connais à ces belles prairies

Qui suivent son rivage.

Voici le bois d'Isoure,

Et voici Mont-Verdun,

Plus en là Marcilly, (2)

L'un semblable l'écueil

Dans le sein de la mer,

L'autre comme un roche

Le rempart du rivage.

Je me résous pour complaire à l'Amour

De lui donner ce jour,

Et qu'aujourd'hui ces forêts et ces plaines

Ressentent mon pouvoir.

Ici ma déité

Jointe à celle de l'Amour

Des deux n'en faisant qu'une,

Produira les effets

D'Amour et de Fortune.

Je me plais et me pais,

Aussi bien que l'amour,

Des larmes innocentes;

Je veux donc ouïr

Les plaintes et le deuil

De ces bergers fidèles,

Et si le désespoir

Ne prévaut sur l'Amour,

Ils connaîtront en leur plus grand ennui

Qu'à la fin toute chose

Sagement je dispose.

Les voilà qui s'en viennent,

Entre eux je me mettrai,

Sans qu'ils me reconnaissent:

Mais les effets divers

Qui les agiteront,

Leur feront bien connaître

Que le Fortune et l'Amour sont ici:

Mais Amour fortuné

Et Fortune amoureuse.

ACTE I

ACTE I

SCÈNE I

Aglante, Hylas.

AGLANTE

Le prix d'amour, c'est seulement amour,

Et sois certain Hylas,

Qu'on ne peut acheter

Si belle marchandise

Qu'avec cette monnaie;

Il faut aimer si l'on veut être aimé.

HYLAS

Et qui peut accuser

Hylas de n'aimer point?

Hylas de qui la vie

Fut toujours employée

Au service d'amour:

J'aime, mais j'aime, Aglante,

Non pas comme je vois

Ces ignorants d'amour,

Et ces jeunes novices,

Qui pensent n'aimer pas,

Si telle amour ne les porte au trépas,

Si quelquefois ces belles qu'ils adorent

Leur font la mine froide,

Ils perdent tout repos:

Si d'autrefois avec quelque dédain

Elles tournent la tête,

Ils sont désespérés;

Et si par ruse elles leur font semblant

D'en mieux aimer quelqu'autre,

Ils ne veulent plus vivre;

Et bref, ainsi qu'il plaît

À ces petites folles,

Ces constants amoureux

Sont contraints de geler,

De brûler, de transir,

De rire et de pleurer,

D'humeur et de visage

Changeant à tous les coups

Comme s'ils étaient fous:

Si bien que l'on peut dire

À voir leurs changements,

Ce sont des girouettes

Au faîte d'une tour

Où les attache Amour.

Ah! Quant à moi, je les veux bien aimer

Ces gentilles bergères,

Mais avec raison,

Et non pas insensé

De sotte passion,

M'emporter tellement,

Que je sois un esclave,

Et non pas un amant.

Cent et cent fois ne m'a-t-on ouï dire

Parmi ces bois, et parmi ces campagnes;

Si l'on me dédaigne, je laisse

La cruelle avec son dédain,

Sans que j'attende au lendemain

De faire nouvelle maîtresse.

C'est erreur de se consumer

À se faire par force aimer.

AGLANTE

Que je te plains, Hylas!

Et qu'avec raison

De ton erreur l'opinion j'abhorre;

Puisque si les grands dieux

Ne donnent aux mortels

Rien, qui puisse approcher

Aux bonheurs dont amour

Rend l'homme bienheureux;

N'est-ce avec raison

Que je crois misérable

Cet Hylas inconstant,

Qui ne sachant aimer,

De nul aussi ne saurait être aimé.

HYLAS

Aglante que dis tu?

Qu'Hylas ne sait aimer?

AGLANTE

Qu'Hylas ne sait aimer.

HYLAS

J'ai plus aimé tout seul

Que n'ont pas fait, mais je dis tous ensemble,

Vos bergers de Lignon,

Carlis, et Stiliane,

Aimée et Floriante,

Cloris, Circeine, et Florice et Dorinde,

Chryseide, Madonte,

Laonice, Phillis,

Alexis, et tant d'autres

Que pour la brièveté

Je ne veux pas nommer,

En rendront témoignage.

AGLANTE

Hylas tu n'aimes point,

Mais tu penses d'aimer;

Car c'est chose certaine

Que personne ne peut

Se l'acheter cette amour que je dis,

Qu'avec une autre amour:

Ce n'est point au marché

Que telle marchandise

Se trouve avec argent:

Le prix et la monnaie

De l'amour c'est amour,

Et tu ne peux aimer,

Au moins si tu ne cesses

De n'être plus Hylas,

C'est à dire inconstant,

Ainsi que je l'entends.

HYLAS

C'est l'entendre bien mal,

Aglante ce me semble,

Et ton opinion

Aux plus sages contraire,

Pour fondement n'a qu'une vieille erreur,

Dont les femmes plus fines

Ont abusé les esprits des peu fins:

Jusqu'au trépas, nous vont elles disant,

Il n'en faut aimer qu'une,

Voire il ne faut donc point

Que l'univers par la diversité

Se change et s'embelisse.

Il ne faut que l'abeille

Suce donc qu'une fleur,

Que notre oeil ne se plaise

Qu'à voir un seul objet,

Que notre esprit jamais

Ne pense qu'une chose,

Et que tous nos jardins

Qu'une herbe ne produisent.

Ô la grande folie,

Pour ne dire sottise,

Qui ne dira que l'homme ainsi contraint

Est un vrai Promethée, (3)

Par l'exprès jugement

D'un cruel Radamante, (4)

Sur un même rocher

À jamais attaché?

La nature se plaît

À la variété;

La nature et l'amour

Sont une même chose.

AGLANTE

L'inconstance et l'amour

Sont deux fiers ennemis,

Qui ne peuvent jamais

Avoir trouve ni paix,

Et t'assure, berger,

Que lorsque tu pensais

D'aimer bien ces bergères,

Tu te moquais et d'elles et d'amour;

Car nul ne peut aimer

Qu'il n'aime infiniment:

Mais l'amour infinie

Ne peut jamais finir.

HYLAS

Si nul ne peut acheter cet amour

Dont tu fais tant de cas

Qu'avec la constance,

Pour moi je m'en dispense,

Et je veux bien qu'on raconte partout,

Parlant d'Hylas, qu'il n'aime point du tout.

Mais à t'ouïr Aglante

L'on dirait que Tircis,

Ou le berger Sylvandre,

T'aient de leur erreur

Enseigné la folie:

Es-tu point leur disciple?

AGLANTE

Et Sylvandre et Tyrcis

Sont remplis de raison;

Si parlant de l'amour

Ils enseignent, Hylas,

Qu'amour et la constance

Doivent être en l'amant

Inséparablement.

Mais, ô berger! J'ai bien eu ces leçons

D'un maître plus savant

Que Tircis ni Sylvandre.

HYLAS

Malaisément croirai-je

Qu'on puisse voir le long de ce rivage

Deux bergers, mais plutôt

Deux rêveurs plus semblables,

Et si tu continues,

Aglante mon ami,

Je te vois le troisième,

Et peut-être des trois,

Tant tu commences bien,

Te mettra-t-on bientôt

Par honneur le premier.

AGLANTE

Je reçois, ô berger!

Avec contentement

Le lieu que tu me donnes,

Si ce n'est qu'accepter

Ce rang trop honorable

Soit une outrecuidance:

Mais toutes fois ce ne sont pas, crois moi,

Ces bergers que tu dis,

Qui m'ont rendu savant

En l'école d'amour:

J'ai bien eu d'autres maîtres,

Et qui m'ont fait payer

Avec un plus cher gage

Un tel apprentissage.

Amour dedans le coeur

M'a ces leçons écrites,

Mais non pas, ô berger!

Comme aux autres amants

D'une plume ordinaire;

Il a fait l'écriture

Qu'au coeur il m'a gravée

Du plus beau trait qui fut dedans sa trousse,

Et de cette écriture

J'ai les leçons apprises (5)

Que je vais t'enseignant.

HYLAS

Que ce soit le plus beau

De tous les traits d'amour,

Qui dans ton coeur a mis

Les leçons que tu dis:

Ajoute au moins que c'est,

Ainsi que tu le penses,

Et lors pour te complaire

Je le croirai, peut-être:

Car depuis que l'on aime

L'on a ce privilège

De jurer sans parjure

Contre la vérité,

Soutenant la beauté

De celle qu'on adore.

AGLANTE

Berger je ne crois pas,

Pour grande que puisse être

L'erreur qui te séduit,

Quand tu sauras celle qui m'a blessé,

Que vaincu tu ne dis,

Toute beauté suprême

Cède à celle qu'il aime.

HYLAS

Ce blasphème est trop grand.

AGLANTE

Jamais la vérité

Blasphème ne se rend.

HYLAS

Souvent l'opinion

En prend bien le visage.

AGLANTE

Celui qui s'y déçoit

Ne doit pas être sage.

HYLAS

Pour soi-même chacun

Est juge intéressé.

AGLANTE

Le jugement de tous

Doit être confessé.

HYLAS

De tous, tu te déçois,

Car le mien n'en est pas.

AGLANTE

Le tien même en serait

Si tu n'étais Hylas.

HYLAS

Ô le plaisant discours,

Si je n'étais Hylas,

Le jugement d'Hylas

Serait contraire au jugement d'Hylas.

Quel voudrais-tu que je fusse, berger,

Si je n'étais moi-même?

AGLANTE

Constant.

HYLAS

Constant?

Eh, ne le suis-je pas?

Puisqu'en effet si j'aime

Je n'aime rien que la seule beauté,

Et partout où je voyais

Cette beauté suprême,

Aglante par ma foi

Je le confesse, incontinent je l'aime.

AGLANTE

S'il était vrai comme tu dis, Hylas,

Tu n'aimerais pas Stelle,

Mais celle que j'adore,

Comme la beauté seule

Qu'on peut dire beauté.

HYLAS

Aglante mon ami,

Ta passion trop forte

Te trompe de la sorte;

Une amour violente

C'est un verre qui rend

Tout ce qu'on voit par lui

Beaucoup plus grand qu'il n'est pas en effet.

Cette beauté dont amour t'a blessé

Semble d'être plus grande

À tes yeux abusés,

Que toutes les beautés

Que la nature a faites,

Et moi de mon côté

Je te jure au contraire

Que rien n'est de plus beau

Que les beaux yeux de Stelle.

Comme accorderons-nous

Un si grand différent?

Un seul moyen ce me semble nous reste,

C'est que d'Aglante Hylas prenne le coeur,

Et tout soudain ses yeux intéressés

Rapporteront avec même avantage,

Au jugement d'Hylas,

La beauté que tu dis.

Et celui-ci n'est pas

Du puissant dieu d'amour

L'un des moindres miracles,

Nous faisant voir, ainsi comme il lui plaît,

Différemment à tous un même objet.

AGLANTE

Je le sais bien, Hylas,

Qu'amour comme il lui plaît

Nous fait voir ce qu'il veut:

Mais je sais beaucoup mieux

Qu'amour ni tous les dieux

Ne sauraient jamais faire

Qu'une beauté parfaite,

Tant qu'elle sera telle,

Ne soit vraiment beauté,

Et celle que j'adore

Ayant atteint à la perfection,

Doit quoiqu'on puisse dire

Être telle estimée

Par tous les yeux dont elle sera vue,

Si toutefois leur raison n'est perdue.

Mais que sert-il d'en aller disputant?

Je suis certain qu'aussitôt que son nom

Frappera tes oreilles,

Tu diras avec moi,

Je lui donne le prix

De toutes les plus belles.

HYLAS

J'attends d'ouïr ce nom

Avec impatience,

Pour te dire soudain

Ce que d'elle je pense.

AGLANTE

C'est, ô berger! La belle, et plus que belle:

La belle. Mais voici

Et Ménandre et Lerice,

Retirons nous un peu,

Et puis nous reviendrons:

Je ne veux pas que ce vieillard me voit.

SCÈNE II

Ménandre, Lerice.

MÉNANDRE

C'est un grand cas que je ne puis trouver,

En quelque lieu que j'aille,

Cette imprudente fille:

Si faut-il que le soir,

Quoiqu'elle sache faire,

Elle vienne au logis:

Qu'en pensez vous Lerice?

LERICE

Je ne croirai jamais

Que Sylvanire fuit

De parler à son père;

Elle est trop bien apprise,

Et soyez sûr, Ménandre,

Que quoiqu'elle soit jeune

Je ne connais bergère de son âge,

Qui puisse être plus sage.

MÉNANDRE

Vous l'aimez trop Lerice, croyez moi.

LERICE

Je l'aime, il est certain,

Mais c'est comme je dois.

MÉNANDRE

Vous l'aimez comme mère.

LERICE

Et ne l'aimez vous pas,

Ménandre, comme père?

MÉNANDRE

Comme père il est vrai;

Mais non pas tendre père.

LERICE

Moi je lui suis trop douce,

Vous un peu trop sévère.

MÉNANDRE

Croyez moi la jeunesse

Se perd par l'indulgence.

LERICE

Sylvanire a déjà

Beaucoup de connaissance.

MÉNANDRE

Elle en pense avoir trop,

C'est une suffisante.

LERICE

L'avez vous reconnue

Pour désobéissante?

MÉNANDRE

Quand elle voit Théante,

Quelle mine fait-elle?

LERICE

Elle est toujours fort belle.

MÉNANDRE

Il faut dire à vos yeux;

Mais lorsque je lui dis:

«Sylvanire je veux

Que Théante t'épouse.»

Qu'est-ce qu'elle répond?

LERICE

Il ne faut pas le trouver tant étrange,

C'est une jeune fille,

Qui ne sait point encore

Que c'est de mariage.

À ces petits enfants

Qui sortent du berceau

On leur fait peur du loup:

À ceux qui sont plus grands,

Des fantômes qu'on voit

En divers lieux paraître:

Mais à celles qui sont

D'âge de marier,

Que pensez-vous, Ménandre, qu'on leur dit,

Des extrêmes contraintes,

Des ennuis, des travaux,

Et des inquiétudes,

Qui sont inséparables

De tous les mariages?

Le moins que l'on leur dit,

C'est qu'il ne leur faut plus

Avoir de volonté,

Qu'il se faut résigner

À celle d'un mari,

Qui peut-être sera

D'humeur insupportable:

Et trouvez-vous étrange,

Que Sylvanire ait peur de ce Théante?

Qu'elle n'a jamais vu,

Sinon comme l'on voit

Un autre homme étranger?

Je ne sais quant à moi,

Quoique vous soyez homme,

Si vous eussiez voulu,

Sans me connaître, autrefois m'épouser.

Mais je ne doute point

Que lui laissant du temps à se résoudre,

Elle ne fasse enfin

Tout ce qu'il vous plaira.

MÉNANDRE

Ainsi je le veux croire,

Et s'il advient qu'elle fasse autrement,

Je saurai bien la rendre obéissante;

Car je suis résolu

Qu'elle l'épouse: et peut-elle avoir mieux?

Mais allons la chercher,

Peut-être enfin la rencontrerons-nous.

SCÈNE III

Aglante, Hylas.

AGLANTE

Ô dieux! Qu'ai-je entendu,

Hylas je suis perdu;

Car c'est de Sylvanire

Que je brûle d'amour:

Sylvanire l'honneur

Des rives de Lignon,

La plus belle bergère

Qui jamais ait conduit

Les troupeaux en forêts:

Forêts heureux, certes l'on te peut dire,

Mais seulement pour avoir Sylvanire.

HYLAS

Je la connais, Aglante,

Cette belle bergère,

Fille de ce Ménandre

Qui ne fait que partir,

De qui les gras troupeaux,

Et les beaux pâturages,

Ne sont point égalés

D'autres de la contrée.

Bien souvent je l'ai vue

Conduire ses brebis

Ensemble avec les autres:

Mais certes je te plains,

Car d'autant qu'elle est belle

C'est la plus orgueilleuse

De toute la contrée:

Il ne s'en peut trouver

Une autre qui l'égale.

AGLANTE

Non pas en sa beauté.

HYLAS

Je dis en cruauté;

Car regarde, berger,

Combien déjà de bergers l'ont aimée,

Et nomme m'en un seul

Qui se puisse vanter

D'en avoir eu tant soit peu de faveur.

Il est vrai, je confesse

Que Sylvanire est belle,

Mais non pas plus que Stelle;

Et tu m'avoueras,

Si tu veux dire vrai,

Que Stelle est moins cruelle,

Et par ainsi que Sylvanire cède

À la beauté dont mon amour procède.

AGLANTE

Il ne faut pas conclure de la sorte,

Quoiqu'elle soit cruelle

La belle que j'adore;

Mais il faut dire avec la raison,

Stelle a moins de beauté,

Et Sylvanire a plus de cruauté,

HYLAS

Soit que ta Sylvanire

Puisse avoir quelques traits

Plus beaux que non pas Stelle,

Elle est plus jeune aussi:

Mais pour moi j'aime mieux

Qu'elle ait moins beaux les yeux,

Pourvu qu'elle ait le coeur

Plus rempli de douceur.

Mais cher ami dis-moi,

Puisqu'elle est si cruelle

Comment ton coeur s'en laissa-t-il surprendre?

AGLANTE

Que puis-je dire à ce que tu demandes,

Il eût été beaucoup plus malaisé,

Voyant tant de beautés,

De n'en être surpris.

HYLAS

Je demande comment

Cet amour prit naissance?

AGLANTE

Hylas ce fut d'enfance:

À peine avais-je atteint deux fois sept ans,

Et Sylvanire à peine six fois deux,

Lorsque l'amour, mais un amour enfant,

Nous retenait presque toujours ensemble:

Si nous sortions aux champs,

Nous y sortions tous deux:

Si nous y demeurions,

C'était l'un près de l'autre:

Si nous en revenions,

C'était de compagnie.

Mille petits plaisirs

Que prennent les enfants

N'étaient plaisirs pour nous,

Si nous n'étions ensemble,

Si quelquefois nous étions séparés,

Et c'était peu souvent,

Nous n'avions nul repos

Que nous ne revinssions

Nous trouver promptement:

Et quand nous-nous trouvions,

Te pourrais-je redire,

Ô cher ami! Notre contentement?

Tous ceux qui nous voyaient,

Jugeaient dès ce temps-la,

Que cette affection

Que ces tendres années

Produisaient entre nous,

Serait un jour le plus parfait miroir

Du plus parfait amour.

Ah! Qu'ils dirent bien vrai:

Mais, ô berger! Seulement pour Aglante;

Car il est tout certain

Que sous le ciel amour ne vit jamais

Une amour plus parfaite

Que celle dont Aglante

Adore Sylvanire.

Mais que leur prophétie,

Ô grands dieux! Fut bien fausse

Pour cette belle fille;

Car dès le jour que je lui dis: «Bergère

Aglante vous adore.»

Écoute bien Hylas,

Jusqu'au moment que je parle avec toi,

Jamais Aglante, avec tous ses services,

N'a remarqué qu'un seul trait de pitié

Ait pu toucher le coeur de cette belle.

HYLAS

Et toutefois tu l'aimes,

Toutefois tu la sers;

Toutefois Sylvanire

Est l'idole où ton coeur

Adresse tous ses voeux.

Ô misérable Aglante!

As-tu point de pitié

De ta condition?

Te laisser dévorer

À ce tigre inhumain,

Qui ne se paît que des pleurs et du sang

De celui qui l'adore;

Qu'appelles-tu cela

Qu'une pure folie?

Or loue Aglante, or louée maintenant

Cette sainte constance,

Dresse lui des autels,

Charge les de tes voeux,

Et saoule si tu peux

De larmes et de sang

Ce farouche animal,

Qu'on nomme Sylvanire;

Et puis sache moi dire,

Quel bien tu recevras,

Et quel contentement

De ta sotte constance.

AGLANTE

Amour dedans ma perte

A mis ma récompense.

SCÈNE IV

Aglante Hylas Sylvanire

AGLANTE

Mais la voici, la belle Sylvanire,

Regarde Hylas, si les yeux l'ayant vue

Le coeur a le pouvoir

De ne la point aimer.

HYLAS

Elle est belle, il est vrai,

Mais telle est mon humeur,

Qu'enfin si l'on ne m'aime

Je ne saurais aimer.

AGLANTE

Ah! Ce n'est rien que de voir sa beauté,

Il faut l'ouïr parler,

Son oeil appelle, et son esprit arrête

De liens si serrés,

Et d'étreinte si belle,

Que la prison n'en peut qu'être éternelle.

Approchons-nous, Hylas,

Si tu n'en crains toutefois le trépas.

HYLAS

Mes remèdes sont bons,

Je n'ai pas peur pour ce coup d'en mourir:

Si mes yeux font le mal,

Mes yeux me font guérir.

SYLVANIRE

Bergers, pourriez-vous point

Me donner des nouvelles

De mes chères compagnes?

Tout aujourd'hui je cours par ces bocages

Sans les pouvoir trouver,

Et toutefois, à ce qu'elles m'ont dit,

Elles devaient m'attendre

Au carrefour qu'on nomme de Mercure,

Et de là nous devions

Aller toutes ensemble

Faire mourir un cerf.

AGLANTE

Nous ne vous dirons point

De plus fraîches nouvelles

De vos chères compagnes,

Ô belle Sylvanire!

Que celles que vous dites;

Car nos yeux ne s'amusent

À voir d'autres beautés

Ne pouvant voir les vôtres.

HYLAS

Parle des tiens Aglante.

AGLANTE

Et toutefois nous trouvons bien étrange

Que vous que chacun cherche

Alliez cherchant quelque autre;

Mais peut-être le ciel

De la sorte l'ordonne,

Pour vous faire sentir

Le mal que tous les coeurs

Ont pour vous d'ordinaire.

SYLVANIRE

Les coeurs n'ont rien à faire

Avec Sylvanire.

AGLANTE

Le mien sait bien qu'en dire.

SYLVANIRE

Ou Sylvanire au moins n'a rien à faire

Avec les coeurs.

AGLANTE

            Ah! C'est trop de rigueur:

La mère est bien cruelle

Qui ne veut reconnaître

L'enfant qu'elle a fait naître.

SYLVANIRE

Toujours, berger, une même chanson:

Ne te suffit-il pas

Que cent fois de ta bouche

J'ai ouï ces propos?

Tu t'en devrais lasser:

Laisse moi quelquefois

Je te supplie en paix.

AGLANTE

C'est à vous Sylvanire,

Non pas à moi, d'établir cette paix.

Si la vôtre de moi

Dépendait, ô bergère!

Combien serait heureux

Mon coeur qui ne l'est pas.

SYLVANIRE

J'aimerais mieux être toujours en guerre,

Que si ma paix d'un homme dépendait.

AGLANTE

Mais je ne suis pas homme.

SYLVANIRE

Et qu'es-tu donc pasteur?

AGLANTE

Je ne suis rien que votre serviteur.

SYLVANIRE

Mon serviteur, berger,

Et n'es-tu pas Aglante?

Aglante est-il pas homme?

AGLANTE

Aglante homme eut été

S'il n'eût vu la beauté

De cette Sylvanire.

SYLVANIRE

Et comment la beauté

Saurait-elle empêcher

Qu'un homme ne soit homme?

Ô la belle pensée!

AGLANTE

J'étais encore enfant

Alors que je la vis,

Cette beauté suprême:

Beauté qu'on ne peut voir

Qu'aussitôt on ne l'aime:

J'en fis la preuve alors,

Car la voir et l'aimer

Fut un même moment:

Mais d'autant qu'on ne peut

L'aimer qu'infiniment,

Infiniment aussitôt je l'aimai,

Et l'ai toujours aimée,

Et jusques au tombeau,

Et dans le tombeau même

Encor je l'aimerai

D'une amour infinie.

SYLVANIRE

Quand il serait ainsi,

Ce que je ne crois pas,

Je ne vois pas pourtant

Que tu ne sois Aglante;

Qu'Aglante ne soit homme.

AGLANTE

J'étais encor enfant

Quand cet heurt m'arriva,

Et de voir et d'aimer

La belle Sylvanire.

HYLAS

Cette histoire te plaît,

Tu la redis souvent.

AGLANTE

J'abrégerai. Lorsque l'âge devait

D'Aglante faire un homme,

Amour plus fin, ô belle Sylvanire,

Amour pour vous en fit un serviteur.

SYLVANIRE

Mais plutôt un menteur,

Un menteur qu'il ne faut

Écouter ni ne croire,

Si l'on veut pour le moins

N'en être point trompée.

Mais cependant qu'en ce lieu je m'arrête

Mes compagnes iront,

Et forceront la bête.

AGLANTE

Ah! Qu'allez vous cherchant

À travers ces forêts?

Quelle plus belle chasse

Que celle de nos coeurs?

Mais Dieu, votre oeil méprise,

Je le vois bien, la chasse qu'il a prise.

SCÈNE V

Aglante Hylas

AGLANTE

Elle s'en va, la cruelle qu'elle est,

Sans souci de mes peines:

Amour jusques à quand

Ordonnes tu que dure

Cette extrême rigueur?

HYLAS

Je te proteste Aglante,

Que de tous les ennuis,

Et de toutes les peines

Des bergers de Lignon,

Un seul Sylvandre en doit être taxé.

AGLANTE

Sylvandre ce berger,

Si rempli de vertu?

HYLAS

C'est ce même Sylvandre;

Car ce berger subtil en ses discours,

Pour obliger Diane

Qu'il aime et qu'il adore,

La va flattant, du côté qu'il connaît

Qu'elle est la plus sensible.

Or tient ceci de moi;

Toute femme est altière:

Mais plus la femme est belle,

Plus glorieuse elle est;

Car la présomption

Va suivant la beauté

Comme l'ombre le corps.

Sylvandre donc pour seconder l'humeur

De la belle Diane,

Va publiant partout

Qu'il les faut adorer,

Ces belles que l'on aime,

Et que comme on ne doit,

Pour quoi qui nous arrive,

N'adorer pas ce qu'on doit adorer,

De même il ne faut croire

Que quelque cruauté,

Que quelque ingratitude

De celle qu'on adore,

Puisse nous exempter

De honte ni de blâme,

Si nous cherchons ailleurs

Une beauté, qui nous soit moins cruelle,

Faisant ainsi d'un homme un dur rocher,

Qui pour fuir l'outrage

Des vents, et de l'orage,

Ne peut changer de lieu.

AGLANTE

N'en crois-tu pas de même?

HYLAS

Folie trop extrême;

Car ces bergères pensent

Qu'attachés de la sorte

Nous n'oserions d'un pas nous éloigner,

Pour quelque cruauté

Que nous trouvions en elles,

Sachant bien que la honte

Est un lien trop fort

En des coeurs généreux,

Pour être détaché;

Et de là se produit

La sotte nonchalance,

Que nous voyons quand nous aimons ces belles,

Étant trop assurées

De notre patience,

Leur semblant qu'aussitôt

Que l'on se dit amant,

On perd tout sentiment,

Et qu'on est obligé

De souffrir, d'endurer,

Sans oser murmurer,

Voire comme en effet

Si les lois de Sylvandre

Avaient bien le pouvoir

D'insensibles nous rendre.

AGLANTE

Insensibles, non pas,

Mais fermes et constants.

HYLAS

Ou plutôt malcontents,

Aglante est-il pas vrai

Que si pleins de courage

Nous nous fâchions un jour

De ce honteux servage,

Nous les verrions, ces belles,

Nous combler à l'envi

De cent et cent faveurs,

Inventant tous les jours

Des caresses nouvelles

Pour nous pouvoir retenir auprès d'elles?

Prends donc courage, Aglante,

Romps-moi tous ces liens,

Liens honteux qui te serrent les mains,

Ou bien le coeur plutôt

Dessous la tyrannie

D'une ingrate bergère,

Et crois moi cette fois,

J'ai plus d'expérience,

Ami, que tu n'as pas;

L'âge que j'ai me permet de le dire,

Laisse là cette belle,

Laisse cette cruelle

Avec sa cruauté,

Et va chercher ailleurs

Quelqu'autre, qui te soit

Maîtresse, mais amante,

Et non pas un rocher,

Qui croit que sa beauté

Se rendrait beaucoup moindre,

Si de sa cruauté

Elle se démentait,

Et tu verras que par ce changement

Tu t'acquerras le bien que tu mérites.

AGLANTE

Ah! Berger que dis-tu?

HYLAS

Je dis la vérité.

Il en manque peut être

Des femmes par le monde,

Pour une que j'en perds

Deux soudain j'en recouvre:

Il en est plus épais

Que de mouches fâcheuses

Au plus chaud de l'automne:

Voire, c'est bien marchandise si rare,

Et crois moi pour ce coup,

Il est ainsi des maîtresses nouvelles,

Que des valets nouveaux.

AGLANTE

Belle comparaison!

HYLAS

Elle n'est pas pour le moins sans raison,

Car ces nouveaux venus,

Je parle des valets,

Sont toujours si soigneux

Les premiers jours de bien servir leurs maîtres,

Que le plus paresseux

Surpasse en ce temps-la

Tous ceux d'une maison.

Tout ainsi font ces belles,

Les premiers jours que nous les enrôlons

Dans le nombre de celles

Que nous voulons aimer,

Ce ne sont que douceurs,

Qu'oeillades, que faveurs,

Que toute courtoisie;

Nous sommes écoutés,

Nous sommes préférés;

Mais sais-tu bien, Aglante,

Quelle en est la raison?

C'est pour nous attraper,

C'est pour nous attacher

Avec des liens

Plus forts et plus serrés;

C'est pour faire allumer

Plus ardemment les flammes,

Qui déjà sont éprises

Dans nos coeurs innocents:

Car aussitôt, hélas!

Aussitôt qu'elles pensent

De nous avoir bien pris,

Et que cette constance,

Que va prêchant Sylvandre,

Ne permet plus sans blâme et déshonneur

Qu'on les puisse quitter,

Adieu faveurs, adieu trompeurs appas,

La cruauté commence de paraître,

Nous voilà mis dedans le rang des autres,

Nous ne sommes plus rien,

Et faut qu'à notre tour

Nous souffrions pour quelque autre

Ce que déjà l'on a souffert pour nous.

AGLANTE

Cesse Hylas mon ami,

Tu sèmes sur l'arène,

Tu parles aux rochers,

Personne ne t'écoute,

Vaines sont tes paroles,

Rien ne peut divertir

Mon coeur de la servir,

Cette belle cruelle.

Lorsque je cesserai

D'adorer sa beauté,

Je veux cesser de vivre,

Et qu'elle aille augmentant,

Autant en ses rigueurs

Sur toutes les cruelles,

Que sa beauté surpasse les plus belles:

Toujours, toujours, Aglante, l'on verra

Adorer Sylvanire:

Et vois-tu bien, Hylas,

Si je suis éloigné

De ton avis, j'aimerais beaucoup mieux

Être privé des yeux,

Que de les employer

À voir avec amour

Quelque beauté nouvelle.

HYLAS

Et telle est ton humeur.

AGLANTE

Je te l'ai dite, Hylas.

HYLAS

Fais donc, si tu m'en crois,

De bonne heure, berger,

Bonne provision

De longue patience

Et de bonnes lunettes;

Je dis de patience,

Afin de supporter,

Sans plaindre ou murmurer,

Tous les tourments si longs et si fâcheux

Qui te sont préparés.

AGLANTE

Et pourquoi des lunettes?

HYLAS

Afin que s'il advient

Qu'après un long service,

Ce que je ne crois pas,

Elle et toi parvenus

Aux vieux ans de Nestor

Par le cours d'un long âge,

Tu la puisses gagner,

Cette vieille cruelle,

Ces lunettes au moins

Te puissent faire voir

De ces rances beautés

Les dépouilles ridées,

Car autrement tes yeux,

En un âge si vieux,

Pourront malaisément

Te faire voir cette blanche toison,

De qui ta foi t'aura fait le Jason.

AGLANTE

Ah! Berger tu te ris

Du malheur où je suis,

Au lieu de plaindre en ami ma fortune.

HYLAS

Celui n'est pas à plaindre

Qui chérit son malheur.

AGLANTE

L'ami de son ami

Sent au moins la douleur.

HYLAS

À quoi te peut servir

Que ton mal je ressente?

AGLANTE

La bonne volonté

Pour le moins nous contente.

HYLAS

Mais s'il ne te plaît pas

De sortir de ta peine,

La mienne y serait vaine:

À quoi sert au malade

Du médecin l'extrême vigilance,

S'il ne veut pas suivre son ordonnance?

Et pour te faire voir

Que je ne suis menteur,

Or sus dis moi, veux tu trouver remède

À ton malheur extrême?

AGLANTE

N'en doute pas.

HYLAS

N'aime qu'autant qu'on t'aime.

AGLANTE

Mais je ne puis.

HYLAS

            Si tu veux tu le peux.

AGLANTE

Mais je ne veux.

HYLAS

Va t'en donc dans Lignon.

AGLANTE

Que veux tu que j'y fasse.

HYLAS

Vas y noyer et ta vie et tes feux:

Ainsi fit Céladon

Étant atteint d'un mal semblable au tien,

Céladon le berger,

Qui ne voulant changer, dans les eaux de Lignon

Chercha remède à son mal, ce dit-on.

AGLANTE

Tu te déçois, Hylas,

Lignon malaisément

Peut éteindre d'amour

L'extrême embrasement,

Puisque tout l'océan

Des flammes de Neptune,

Jamais, jamais, ne peut en éteindre une.

HYLAS

En quoi pourrais-je donc,

Aglante mon ami,

Te rendre du service,

Si mes conseils ne te semblent pas bons?

AGLANTE

Tu peux, si tu le veux,

Parler à cette belle;

Je sais qu'elle te croit,

Et que le parentage

De Ménandre, et de Stelle,

Te donne du crédit

Envers Ménandre, et Sylvanire encore,

Et parlant à Ménandre

Fais lui honte, berger,

De la sacrifier,

La belle Sylvanire,

À ce veau d'or qui s'appelle Théante,

C'est ainsi que se nomme

Le bienheureux berger,

À qui l'on veut donner

Cette belle bergère.

Qu'il ne manque pas d'hommes

Pour donner à sa fille,

Qui pourraient bien avoir

Peut-être moins de bien

Que Théante n'a pas,

Mais qui d'autre côté

Seraient plus convenables

À l'âge de sa fille,

Et peut-être à l'humeur

Encor plus agréables:

Dis lui que les richesses

Sont tellement aveugles,

Qu'aveugles elles rendent

Tous ceux qui les regardent:

Dis lui que la fortune

Peut en un jour ôter quand elle veut

Les sceptres, les couronnes,

Les trésors les plus grands,

Et que jamais les sages,

D'eux ni de leurs enfants,

Ne doivent assurer,

Sur de tels fondements,

Tous les contentements.

Et puis parlant à elle,

Ne peux-tu pas, berger,

Lui dire que ses yeux

Brûlent de leurs beautés

Les hommes et les dieux,

Et que tous ceux qui voient Sylvanire,

Ou meurent du plaisir,

Ou meurent du martyre.

Lui dire que je l'aime,

Ou plutôt je l'adore,

Et qu'elle ne doit pas

Avec tant de douceur

Nous promettre la vie,

Et donner le trépas.

Et bref, lui remontrer

Si de quelque pitié

Le secours je ne sens,

Que ma mort elle attende;

Mais avec ma mort

Qu'elle attende de même

D'un juste amour la certaine vengeance:

Car les dieux ne sont pas,

Ni fauteurs ni complices

De telles injustices.

Là tu peux ajouter

Tant et tant de raisons,

Pour lui montrer qu'elle doit amollir

Ce coeur, mais ce rocher

Que pour coeur elle porte,

Que peut-être à la fin

Tu la pourras changer,

Et la changeant, Hylas,

Éloigner mon trépas,

Me prolonger la vie,

Qu'Hylas je ne désire

Que pour servir plus longtemps Sylvanire.

Hylas mon cher ami

Je te prie et supplie,

Je t'adjure et conjure,

Et par notre amitié,

Et par celle de Stelle,

Voire encor si tu veux

Par toutes les plus belles

Que tu servis jamais,

Ou que tu serviras,

De m'assister en ce que tu pourras.

HYLAS

Tends moi la main, Aglante,

Et reçois le serment

Que ton ami te fait:

Je te jure, berger,

Par le gui de l'an neuf,

Et par la serpe d'or,

Dont ce présent des cieux

Détaché de son tronc

Tombe dedans le linge

Soutenu par les mains

De nos sacrés druides,

Que tu ressentiras

Combien Hylas, et te chérit et t'aime,

Et combien de crédit

Il peut avoir envers ta Sylvanire:

Espère, car enfin

Par raison il faut croire

Qu'elle se changera.

On dit que l'inconstance

Aux coeurs des femmes tient

Le propre lieu de l'âme,

Et Sylvanire est femme.

AGLANTE

Que veux-tu que j'espère,

L'espoir et la raison

Doivent avoir quelque correspondance.

Mais quand je me regarde

Et cette belle aussi,

Je me vois, ô berger,

Pauvre en mérite, et très riche en amour,

Et ma belle au contraire

Pauvre en amour, et très riche en mérite.

HYLAS

Espère, Aglante, espère,

Et te souviens ami,

Que la femme et la mort

Ont quelque ressemblance,

On les a bien souvent

Lorsque moins on le pense.

AGLANTE

Soit ainsi que tu dis;

Veuille amour me donner

Bientôt ou l'une ou l'autre.

SCÈNE VI

HYLAS

Or va pauvre berger,

Va t'en et continue

Le chemin que tu tiens,

Et sois certain, que tu ne peux faillir

D'être bientôt exemple mémorable

Des maux que la constance

Peut produire en amour:

L'opiniâtreté en ce qui ne se doit

Est chose autant blâmable,

Que la persévérance

Au bien est estimable.

Nous avons vu deux puissants témoignages,

Depuis fort peu de temps,

Du mal que nous rapporte

La sotte loi que Sylvandre nous prêche:

Celadon le berger

De toute la contrée

Le plus aimable, et le plus estimé,

Après avoir longuement adoré

Une jeune bergère,

Une imprudente fille,

Ne voilà pas, quoique l'on nous déguise

De sa cruelle fin,

Ne voilà pas qu'un désespoir l'emporte

Dans le profond des ondes de Lignon?

Mais le gentil Adraste

Pour l'amour de Doris,

Qu'est-ce qu'enfin le pauvre est devenu?

Après l'avoir aimée

Presque dans le berceau,

Et qu'il voit Palemon

Le possesseur du bien qu'il désirait,

Que fait cette constance?

Amour lui prend le coeur,

Mais elle lui dérobe

L'usage de raison.

Le voila fol, comme jà dès longtemps

Il avait bien été:

Car vraiment je les crois,

Tous ces opiniâtres,

Être aussi fols qu'Adraste:

Mais sa folie, alors autorisée

Par l'exemple de tous,

Hormis d'Hylas, de blâme l'exemptait.

Or je vois que bientôt

Aglante pour troisième,

De ces deux insensés

Le nombre augmentera.

Ne vaudrait-il pas mieux

Changer et rechanger

Mille fois tous les jours

D'amour et de maîtresse,

Que de perdre un moment

L'usage de raison

Pour aimer constamment?

Qu'elles viennent vers moi,

Ces belles rigoureuses,

Avec tous leurs dédains,

Et toutes leur rigueurs,

N'ayez peur que jamais

Elles puissent réduire

Mon courage à ce point,

Qu'un désespoir soit mon dernier remède,

Ou qu'un regret d'y voir un autre amant

M'ôte l'entendement.

Contre tous ces malheurs

J'ai des armes si bonnes,

Que leurs tranchants ne peuvent m'offenser.

Sont elles dédaigneuses?

Je les dédaigne aussi.

En aiment-elles d'autres?

J'en fais bien autant qu'elles.

Me vont elles changeant?

Croyez que sur ce point,

Si l'une d'entre toutes

D'un seul moment a pu me devancer,

Il faut que pour certain

Elle s'y soit prise de bon matin.

Mais la voici,

La belle Sylvanire,

Parlons lui pour Aglante.

SCÈNE VII

Sylvanire Fossinde Hylas

SYLVANIRE

Ô dieux, qu'il me déplaît

Que ce matin j'ai été paresseuse

Plus que toutes les autres,

Ayant perdu le plaisir de ce cerf

Que vous avez forcé:

Car dites-moi n'est-il pas vrai, Fossinde,

Qu'entre tous les plaisirs

Que nous pouvons avoir,

Rien ne peut égaler

Le doux contentement

Que la chasse nous donne?

Quel plus beau passe-temps

Saurait-on inventer

Pour s'éloigner du vice,

Que ce bel exercice?

FOSSINDE

Je le veux bien, puisque vous le voulez,

Je ne contredirai

Jamais à Sylvanire,

Encore que mon humeur

Serait, je le confesse,

De passer une vie

Un peu plus reposée

Que celle de la chasse.

SYLVANIRE

Mais pouvions-nous

Avoir plus de plaisir,

Que celui qu'avant-hier

Nous eûmes à la chasse,

Je jure quant à moi

Que je ne puis avec la pensée

M'en figurer quelque autre de plus grand.

HYLAS

Maigres plaisirs, bergères,

Sont ceux que vous prenez,

Et vous laissez, croyez-moi, les plus grands:

Mais c'est ainsi qu'il en advient toujours,

Lorsque l'élection

N'est point guidée avec l'expérience.

SYLVANIRE

Que voudrais-tu, berger,

En cet âge où nous sommes,

Après avoir conduit

Nos troupeaux au matin

Paître sans nul danger,

Et le trèfle et le thym,

Que nous puissions mieux faire,

Que de passer le temps

Ainsi que nous faisons,

À la pénible chasse?

Pénible, mais plaisante,

Tantôt de mille oiseaux,

Par des filets cachés,

Faisant un doux butin,

Tantôt par des gluaux,

Ou par un fin ramage,

En repeuplant nos cages?

Et quelquefois, berger,

Allant au bois dès le plus grand matin,

Le dard au poing, ou bien l'arc et la flèche,

La robe retroussée,

Telles comme les nymphes

Qui vont suivant Diane

Poursuivre vivement

La bête mal menée

Jusqu'aux derniers abois?

HYLAS

Ce sont maigres plaisirs,

Et m'en crois, Sylvanire,

Que ceux que tu racontes,

Que s'ils te semblent tels,

Ô folle, c'est d'autant

Que tu n'as point goûté

Ceux qui sont en effet

Les vrais plaisirs du monde.

Les glands jadis avec l'eau toute pure

D'une vive fontaine

Dedans la main puisée,

Furent de nos aïeuls

La chère nourriture,

Et les chères délices:

Mais depuis que le grain

De Ceres retrouvé,

Et de Bacchus la vigne cultivée

Vint à leur connaissance,

Les glands et l'eau furent tous deux laissés

Pour pâture au bétail,

Comme chose trop vile;

De même en feras-tu,

Et crois-le Sylvanire,

Lorsque l'expérience

T'aura des vrais plaisirs

Donné la connaissance.

FOSSINDE

Quant à moi je le crois

Ainsi comme il le dit.

HYLAS

Tu n'as que trop longtemps

Déjà dedans les bois

Cette chasse suivie,

Où le travail surmonte le plaisir;

Il t'en faut maintenant

Un autre commencer,

Où le plaisir surmontera la peine.

À quoi dedans tes mains

Ces flèches et ces dards?

Puisque dedans tes yeux

Tu portes plus de flèches et de traits,

Que toutes les bergères

Des rives de Lignon:

Ni que toutes les nymphes,

Qui vont suivant Diane dans ces bois,

N'en ont dans leur carquois.

Avec ces traits, ô belle Sylvanire,

Ces traits remplis d'amour,

Il faut que tu t'apprêtes

À faire tes conquêtes

Dedans les coeurs qui méritent tes coups,

Et non pas vainement,

Suivant dedans les bois

Une bête sauvage,

Passer ainsi ton âge.

FOSSINDE

Ce berger a raison.

HYLAS

Dedans les bois que les bêtes demeurent

Avec les autres bêtes,

Et qu'ensemble elles fassent,

Ainsi qu'il leur plaira,

Ou la guerre ou la paix.

Mais nous que la raison

A séparés d'entre elles,

Vivons et nous plaisons

Parmi les animaux

Que la nature a voulu rendre égaux.

Quel commerce faut-il

Que nous ayons, bergère,

Avec des ours et des bêtes sauvages?

Celui qui tout disposé,

S'il eut jugé qu'il le fallut ainsi,

Nous eut fait ou des ours,

Ou des bêtes sauvages,

Et au lieu de parler,

Avec les loups il nous eut fait hurler.

SYLVANIRE

Et la chasse et les bois

Sont mes chères délices,

Et quant à moi, quoique tu saches dire,

Je ne changerais point

La prise d'un chevreuil

À toutes les conquêtes

Des coeurs que tu me dis.

Et qu'ai-je affaire, Hylas,

De ces coeurs, qui me sont

Plus cruels ennemis

Que ne sont pas les bêtes plus farouches?

Ne sais-je point que ce fier animal

Que l'on nomme un amant,

Est le plus dangereux

Qui nous puisse approcher.

Mais dis-moi je te prie,

Qu'est-ce que veut de nous

L'amant qui nous recherche?

HYLAS

L'honneur de vous servir

SYLVANIRE

Mais plutôt cet honneur

Il nous voudrait ravir.

Crois-tu que je ne sache

Que de tant de soupirs,

Que de tant de services,

Et que de tant de voeux

Le dessein principal

Ne soit pour notre mal?

Les ours, il est certain,

Sont privés de raison,

Et quelquefois les loups

Se repaissent de nous:

Mais les loups ni les ours,

Pour grand nombre qu'ils soient,

Ne sont si dangereux

Qu'un homme seul, qui sous titre d'amant

Nous hante finement.

FOSSINDE

Tous ne sont pas ainsi,

L'homme à l'homme est un loup:

L'homme à l'homme est un dieu.

SYLVANIRE

Et c'est pourquoi nous fuyons par raison

Dedans les bois ces cruels ennemis,

Où nous trouvons, à la honte des hommes,

À notre honnêteté

Beaucoup plus de sûreté.

HYLAS

S'il était vrai comme tu dis, bergère,

Que les amants fussent vos ennemis,

Hélas que d'ennemis

T'aurait acquis ta beauté, Sylvanire;

Car je ne vois personne

Qui ne meure d'amour

En voyant tes beaux yeux.

SYLVANIRE

Qu'il soit, ou ne soit pas,

Cela m'importe peu,

Car j'aime beaucoup mieux

Qu'ils meurent par mes yeux,

Que si mon coeur devenait si peu sage

Qu'il crût à leur langage.

HYLAS

Ô farouche pensée

D'un esprit insensible,

Le ciel te punira,

Si bientôt, Sylvanire,

Tu ne changes ce coeur

Que tu retiens d'une ourse bocagère

En celui de bergère.

Orgueilleuse beauté

Pourquoi peux-tu penser

Que le ciel t'ait donné

Cette extrême beauté,

Qui te rend tant aimable,

Et tant aimée aussi?

Quoi? Pour faire mourir,

Par des rigueurs extrêmes,

Tous ceux qui te verront,

Le ciel eût bien été

Injuste autant que toi,

De te pourvoir au dommage de tous

D'une beauté si rare,

Et tous les yeux qui te verront jamais

Avec raison se plaindraient bien du ciel,

Et du cruel destin.

Mais au rebours, bergère,

Ce puissant dieu qui t'a faite si belle,

Quand tu naquis prononça par tes yeux

Cet oracle infaillible:

Cette beauté rendra

Les hommes plus heureux

Que ne sont pas les dieux,

Et dès lors le génie

Que le ciel a donné,

Comme pour conducteur,

Au beau berger Aglante,

À t'aimer le poussa

De telle passion,

Que ta seule beauté

Peut être égale à son affection.

SYLVANIRE

Parles-tu pas d'Aglante?

Aglante le berger,

Le seul fils de Cléandre?

HYLAS

C'est de lui, Sylvanire.

SYLVANIRE

Ce n'est donc que de lui

Dont tu me veux parler;

C'est assez, je t'entends,

C'est le berger Aglante,

C'est le fils de Cléandre:

Mais ma chère Fossinde

N'est-il pas gracieux

De me parler d'Aglante?

HYLAS

Mais voyez cet orgueil,

Voyez la dédaigneuse,

On lui fait un grand tort

De lui parler d'Aglante.

SYLVANIRE

Mais c'est donc d'Aglante

Le seul fils de Cléandre,

Duquel tu veux parler.

Ô je t'entends, ô je t'entends, Hylas,

C'est le berger Aglante,

Le seul fils de Cléandre,

Aglante le berger.

HYLAS

Va cruelle beauté,

Va jeunesse peu sage,

Trop orgueilleux esprit,

Va courage indompté,

Si le ciel ne punit

Si grande cruauté,

Il ne sera pas juste.

SYLVANIRE

Parles-tu pas d'Aglante,

D'Aglante le berger,

Le seul fils de Cléandre?

Qu'Hylas est en colère,

Il s'en va bien fâché.

SCÈNE VIII

Fossinde Sylvanire

FOSSINDE

Vous plaît-il, Sylvanire,

Que le vrai je vous dise,

Je ne crois pas, que ce qu'Hylas vous dit

Soit tant hors de raison.

SYLVANIRE

Soit tant hors de raison,

Comment l'entendez-vous?

FOSSINDE

Ma soeur je l'entends bien:

Dites-moi je vous prie,

Quand nous aurions forcé

Tous les cerfs de ces bois,

Pour cela que serait-ce,

Et quel grand avantage

Nous en reviendrait-il?

Seulement de la peine,

Et de la peine encore

Que je trouve bien vaine.

Aller parmi les bois

Se déchirer la chair

Avec les habits,

Laisser contre une ronce

La toison attachée

De nos cheveux, comme font nos brebis,

Se planter quelquefois

Bien avant dans les pieds

Une tranchante épine,

Suivre par les rochers,

À travers les montagnes,

Aux soleils plus ardents,

Et courre tout un jour

La bête qui s'enfuit,

De la chasse, ô ma soeur,

N'est-ce pas tout le fruit?

J'aime bien mieux, pour moi je le confesse,

Passer sans tant de peine

Plus doucement la vie,

Entre les jeux mignards

Des bergers et bergères,

Les voir, ces beaux bergers,

Courre, sauter, lutter,

Et les voir, ces bergères,

Filer, danser, chanter,

Les uns mourants d'amour

Essayer de fléchir

Avec milles prières

Ces âmes trop altières;

Les autres au rebours

Ne se souciant guère

D'eux ni de leurs prières:

De petites rigueurs,

Qui tiennent lieu quelquefois de faveur;

Se montrer plus cruelles

Qu'elles ne le sont pas,

Mais non pas toutefois

Autant qu'elles sont belles:

Et lors entre eux par des douces disputes,

Par des petites guerres,

Par des petites paix,

Rompre, nouer, et dénouer encore,

Puis rattacher par des noeuds plus serrés

Leurs amours innocentes.

Je me plais, il est vrai,

À voir ce que je dis,

Plus qu'aux durs exercices

D'une pénible chasse,

Où l'on n'entend sinon

Que des chiens clabauder

Avec confusion,

Où tout ce que l'on voit

Sont des ronces sauvages,

Ou des plaines brûlées,

Ou des âpres montagnes,

Ou des rochers rompus en précipices

Par où s'enfuit une bête suivie

De plusieurs autres bêtes.

Dites moi Sylvanire,

À nous voir courre ainsi,

Qui ne nous jugerait

Des bacchantes plutôt,

Que non pas des bergères?

SYLVANIRE

L'oisiveté c'est la mère du vice;

C'est pourquoi l'exercice

À celles de notre âge

Apporte, croyez-moi,

Un très grand avantage.

Amour qui suit, et sans cesse poursuit

Une molle jeunesse,

Aisément dans ces jeux

Et dans ces passe-temps

En rencontre le temps,

Au lieu qu'il ne peut pas,

Quoiqu'il soit fin, et quoiqu'il soit léger,

Nous atteindre si fort

Dans les durs exercices.

Et par ainsi, ce travail bien petit

Nous exempte des coups,

Dont il blesse les coeurs

Qui sont oisifs avec tant de rigueurs.

SCÈNE IX

Adraste fol, Sylvanire, Fossinde.

ADRASTE

Amour, gente fillette,

Ne va pas au marché,

Il se tient mieux caché,

La fine bête,

Bête, non, mais un dieu

Qui naît dans le moyeu (6)

D'un oeuf d'autruche,

Doris le fait éclore avec ses beaux yeux,

Et le malicieux

De la coque qui reste

Il en fait une cruche;

Car il est bien subtil.

Dites-moi qu'en fait-il?

Il l'emplit de son fiel,

Et du miel d'une avette, (7)

Le miel sur Palemon

Son mignon,

Le fiel sur Adraste il jette.

SYLVANIRE

Fuyons ma soeur, c'est le berger Adraste,

À qui l'amour a fait perdre le sens.

FOSSINDE

Plusieurs sont comme lui

Qui ne s'en vantent pas,

Et que l'on ne fuit pas:

Mais n'ayez point de peur,

Il n'est pas malfaisant,

Je l'ai vu, Sylvanire,

L'un des gentils bergers

De toute la contrée,

Et n'est-ce pas pitié

Que l'amour l'ait réduit

À ce point déplorable?

SYLVANIRE

Je l'ai vu tel, ma soeur, que vous le dites,

Puis l'amour de Doris

L'a mis en cet état:

Mais à quoi pense-t-il?

Voyez un peu la mine qu'il nous fait:

Ô dieux qu'il est affreux!

Allons-nous en Fossinde,

Vous verrez qu'à la fin

Il nous fera du mal.

FOSSINDE

Ne fuyez point, il vous courrait après,

Mais tenons bonne mine,

Quelque berger peut-être surviendra.

SYLVANIRE

Dieux! Qu'est ce que l'amour?

ADRASTE

Ce que c'est que l'amour,

Je m'en vais le vous dire.

Amour, fillette, est le jeu coquimbert, (8)

Qui gagne perd.

Amour est au contraire

D'une châtaigne en gousse

Piquante par dehors,

Et par dedans fort douce.

Amour est la lanterne,

Mais lanterne allumée,

Au dedans est le feu,

Dehors quelque clarté,

Mais beaucoup de fumée.

SYLVANIRE

Mon dieu qu'il est plaisant.

FOSSINDE

Je trouve qu'il dit bien:

Mais faisons le parler.

Berger qu'est-ce qu'amour?

ADRASTE

Amour c'est un vieux singe

Qui fait à tous la moue,

Et mord souvent celui qui trop s'y joue.

SYLVANIRE

Ah! Sur ma foi ma soeur

À ce coup il dit vrai.

FOSSINDE

Or sus qu'est ce qu'amour?

ADRASTE

Qu'est-ce qu'amour, c'est un gros escargot.

FOSSINDE

Escargot, et pourquoi?

ADRASTE

Ah c'est d'autant, que pour peu qu'il séjourne

Soudain il fait les cornes:

Mais croyez, belle fille,

Que de cet escargot

Vous êtes la coquille.

FOSSINDE

N'est-il pas bien plaisant?

Or sus qu'est-ce qu'amour?

ADRASTE

Amour c'est la quenouille

Que plus l'on veut filer,

Et que plus on embrouille.

FOSSINDE

Non, non, tu te déçois.

ADRASTE

C'est donc une marmite

Et du feu par dessous:

Le feu, filles, c'est vous,

Et nous les pois que le bouillon agite.

SYLVANIRE

Mais n'en faut-il pas rire?

FOSSINDE

Dis donc qu'est-ce qu'amour?

ADRASTE

Amour c'est un pourceau,

L'ordure il aime fort,

Et ne vaut jamais rien

Sinon quand il est mort.

SYLVANIRE

Je crois bien qu'il dit vrai.

ADRASTE

Et bref amour ressemble à la souris

Qu'un chat poursuit,

Et qui s'enfuit

Deçà, delà;

Enfin voila

Qu'elle rencontre un trou,

Monsieur le chat trompé

En peut chercher une autre à son souper.

Adraste il est bien vrai,

Doris te fît ainsi,

Trop injuste Doris,

Trop ingrate Doris,

Lorsque pour Palemon

Adraste elle laissa,

Adraste elle trompa,

Adraste elle trahit,

La perfide qu'elle est.

FOSSINDE

Il entre en sa furie.

ADRASTE

Où s'en est-elle allée

Avec son Palemon?

La trouverai-je point

Pour me venger quelquefois en ma vie?

Oui je l'étranglerai

Avec mes propres mains,

Et son petit mignon,

Son aimé Palemon:

Mais la voici.

SYLVANIRE

Ma soeur je meurs de peur.

FOSSINDE

Non, non, ce n'est point elle.

SYLVANIRE

Vous vous riez Fossinde,

Je vous jure ma soeur

Que je tremble de crainte.

ADRASTE

Ce n'est pas celle-ci?

FOSSINDE

Non, non, ce ne l'est pas.

ADRASTE

Ne serait-ce point toi,

Qui pensant me tromper

As changé de visage?

FOSSINDE

Non, non, la veux-tu voir,

La voilà ta Doris,

La voilà qui s'en va

Avec son Palemon.

À Doris.

Bonjour belle Doris

Où courez vous si vite?

Venez vers nous Doris.

ADRASTE

Venez vers nous Doris,

Doris venez vers nous.

FOSSINDE

Ô comme elle s'enfuit!

ADRASTE

Elle s'enfuit, je l'atteindrai bientôt

FOSSINDE

Je savais bien qu'avec cet artifice

Nous nous en déferions.

SYLVANIRE

Dieu soit loué Fossinde:

Mais avant qu'il revienne

Allons-nous en aussi:

Mais ô dieux il revient,

Fuyons, ma soeur, fuyons.

LE CHOEUR

Ceux qui d'amour font la peinture,

Enfant ailé nous le feignant,

Sans savoir quelle est sa figure

Vont à l'aventure peignant.

Car il n'est mâle ni femelle,

Homme ni Dieu, jeune ni vieux,

Mais plusieurs choses pêle-mêle

Dont il nous abuse les yeux.

Des dieux il a bien la puissance,

Mais des mortels l'infirmité,

Des femmes il a l'inconstance,

Et des hommes la fermeté.

Du jeune il a la hardiesse,

Du vieux déjà le sang glacé,

Du sage il retient la sagesse,

Et la fureur de l'insensé.

Lion de force et de courage,

Brebis de faiblesse et de peur,

Ferme rocher, plume volage,

Autant trompé comme trompeur.

Et bref, amour c'est un mélange

De toutes choses en un point,

Dont la nature est tant étrange,

Qu'enfin je ne la connais point.

Je sais toutefois qu'on appelle

Comme je dis ce grand démon,

Mais sa nature quelle est elle?

Pour moi je n'en sais que le nom.

ACTE II

ACTE II

SCÈNE I

SATYRE

Injuste amour, pourquoi si rarement

Unis tu les desseins

Des fidèles amants?

Pourquoi perfide as-tu tant de plaisir

De voir dedans deux coeurs

Un différent désir?

Je brûle et meurs d'amour

Pour Fossinde la belle,

Fossinde aime Tirinte,

Tirinte Sylvanire:

Et Sylvanire, ô dieux!

Ne daigne voir Tirinte,

Ni Tirinte Fossinde,

Ni Fossinde cruelle

Me regarder, et si je meurs pour elle.

L'abeille aime les fleurs,

Mais le cruel amour

Se repaît de nos pleurs.

Il aime, le cruel,

De voir languir, souffrir,

Puis à la fin mourir

Noyé dedans les larmes,

Sans que nulle douleur

Que l'amant puisse avoir

L'émeuve à la pitié

Qu'il doit avoir de lui.

Vraiment tu montres bien

Que ta mère naquit

Dans les flots de la mer;

Et qu'on te doit nommer,

Au lieu d'amour amer:

Amer vraiment amour,

Puisqu'à ceux qui te suivent

Tu ne donnes jamais,

Et telle est ta coutume,

Sinon de l'amertume.

Amers sont nos espoirs,

Amers sont nos désirs,

Et d'absinthes amers (9)

Sont mêlés nos plaisirs,

Si des plaisirs toutefois tu nous donnes.

Je sais bien que les dieux

Veulent que les mortels

Cueillent toujours la rose

Au danger de l'épine,

Et que le miel si doux

Ne se prend dans la ruche

Sans courre le danger

Des piquantes abeilles.

Mais ton rosier, amour,

Sans rose ne produit

Que des pointes tranchantes,

Et tes ruches sans miel

Que des mouches piquantes;

De sorte que la main

Qui veut cueillir tes fleurs,

Ou le miel que tu donnes,

Ne rencontre jamais

Que des égratignures,

Ou bien, hélas! Des cuisantes piqûres.

Tu sentis autrefois,

À ce que l'on nous dit,

Quelles sont de tes flèches

Les blessures amères,

Quand pour une Psyché

Dessus toi même il te plut d'essayer

La force de tes coups;

Et cela toutefois

Ne t'a rendu plus doux

Envers ceux que tu blesses.

Mais je crois au contraire

Que cet essai t'a rendu plus cruel,

Comme si tu voulais

Dessus autrui te venger de toi-même.

Et ne voyons-nous pas

La même cruauté

Dans le coeur de Fossinde?

Car autrement, ô Fossinde cruelle,

Qui pour Tirinte as ressenti le mal

Que tu me fais souffrir,

Comment ne changes-tu

Cette extrême rigueur,

Puisque tu sais quel tourment elle donne?

Ne vois-tu pas, bergère,

Qu'en cette cruauté

Que tu me fais sentir,

Très justement amour

Fait que Tirinte aussi

Te dédaignant me venge?

Mais faut-il que longtemps

Ce mépris je supporte?

Moi, dis-je, qui ne cède

En noblesse de sang,

Non pas même au dieu Pan:

Qui voit de mes troupeaux

Les campagnes couvertes;

Troupeaux de qui le lait

Presque en toute saison

Inonde ma maison:

Qui des biens de Cérès (10)

Et de ceux de Pommone (11)

Vois mes toits regorger,

Soit l'été, soit l'automne.

Moi, dis-je, qui de force

Surpasse un Briarée, (12)

Un Hercule en courage,

Et bref qui ne vois point

Un mortel qui m'égale,

En tout ce qu'un mortel

Peut avoir d'estimable:

Supporterai-je encore longuement

Qu'une affectée, une imprudente fille,

Aille estimant un berger plus que moi?

Un berger qui n'a rien

Qui puisse être estimable,

Sinon qu'il a la peau tendre et douillette,

Le teint uni comme du lait caillé,

L'oeil affetté, le visage sans rides, (13)

Et les cheveux en ondes recrêpés, (14)

Ressemblant mieux en somme

Une fille qu'un homme.

Ignorante bergère,

Si tu savais combien se doit fuir

L'homme qui fait la femme,

Tu chérirais beaucoup plus mon visage,

Puisqu'étant homme

Un homme je ressemble,

Et non pas une fille

Comme Tirinte fait.

Mais réponds-moi Fossinde,

Croirais-tu d'être aimable,

Si fille étant on voyait ton visage

Se revêtir de poil

Comme celui des hommes?

Comment trouves-tu beau

En ce tendre berger

De n'y remarquer rien

De l'homme que le nom?

Mais je prêche aux déserts,

Je parle aux vents, et je perds mes paroles:

Fossinde la cruelle

Ne m'entend point, et quand ma voix encore

Atteindrait ses oreilles,

Je sais qu'en vain elle les entendrait,

Tant elle est affolée

De ce teint damoiseau,

De ces cheveux frisés,

De ces roses nouvelles

Qu'un hiver flétrira,

Ou le moindre soleil

Dont il se hâtera:

Et c'est pourquoi je veux sans plus attendre

Lui montrer en effet

Quel je suis, quel il est;

Je ne veux plus recoure à ces prières,

Que jusqu'ici si vaines j'ai trouvées,

Je me veux désormais

Servir des avantages

Que j'ai de la nature.

Tu m'enseignes, Tirinte,

Ce que je devrais faire,

Et jusqu'à ce moment

Je ne l'ai su connaître.

Tu te prévaux des grâces que Nature

En ton visage a mises,

Et n'est-ce pas me dire,

Qu'il faut que je me serve

De ce que j'ai de même

De plus avantageux?

La force et le courage

Ont été mon partage;

Donc par cette force,

Donc par courage

Saisissons-nous de cette dédaigneuse,

Et montrons lui le courage et la force

Que nous avons, peut-être se voyant

Réduite à la merci

Que nous voudrons lui faire,

Se repentira-t-elle

D'avoir été cruelle.

Qu'elle crie au secours,

Qu'elle appelle Tirinte,

Nous le verrons venir,

Ce tendre jouvenceau,

Cette douce pucelle

Sous l'habit déguisée,

Et sous le nom d'un homme:

Si toutefois, ce que je ne crois pas,

Il en a le courage,

Je jure Pan le grand dieu bocager,

Je jure de Lignon l'un et l'autre rivage,

Je jure par les bois

Dont Isoure s'honore; (15)

Et bref je jure et je proteste ici

Par mon bras invincible,

Que s'il y vient au secours de la belle,

Je veux de cette masse

Ravir d'un coup vainqueur,

Et l'âme de son corps,

Et l'amour de son coeur.

Je sais que bien souvent

Elle vient par ces bois,

Cette imprudente fille,

Je m'en vais me cacher

Dans ce buisson touffu,

Attendant qu'elle vienne:

Si je puis l'attraper,

Elle aura beau crier

Avant qu'elle m'échappe:

Aussi bien m'a-t-on dit

Que bien souvent ces belles

Veulent que leurs faveurs

On prenne en dépit d'elles,

Et que par force on semble être vainqueur

D'un combat, où vaincues

Elles sont de bon coeur.

SCÈNE II

SYLVANIRE

Le ciel jamais ne fait rien d'inutile,

À ce que l'on nous dit?

Mais pourquoi donne-t-il,

S'il est ainsi, la franche volonté

Au sexe dont je suis,

Puisque jamais on ne voit que la femme

Se puisse prévaloir

De son propre vouloir:

Tant que nous sommes filles

Se peut-il voir esclave

Plus sujet que nous sommes

Aux volontés du père et de la mère?

Et si nous espérons

De rompre ces liens

Avec le mariage,

Que nous sommes déçues,

Puisque d'autres liens

Mille fois plus serrés

Mettent en servitude

Encor nos volontés:

Car les maris (enfin ce sont les hommes

Qui firent cette loi)

Les maris, dis-je, avec tyrannie

Vont s'usurpant toute l'autorité

Sur notre volonté.

Que si le ciel enfin,

Rompt encor ces liens

Qu'un mariage étreint,

Nous séparant par la mort d'un mari,

Nous voila rattachées

Encore de nouveau

Par d'autres noeuds plus forts que les premiers.

Le père s'il survit,

Ou bien à son défaut

Le plus proche parent,

Nous prive incontinent

De pouvoir disposer,

Ainsi que nous voudrions,

Du reste de nos jours.

S'il est ainsi (comme il n'est que trop vrai)

Qu'on me dise en quel temps

Nous peut jamais servir

La libre volonté

Que du ciel nous avons.

Ô misérable état!

Que celui de la femme,

De qui la volonté

N'est jamais de saison,

Et de qui la raison

Est sans autorité:

Et toutefois il ne faut pas se plaindre

De ce grand dieu sous telle servitude;

Car ce n'est pas de lui

Dont procède ce mal,

Les hommes seuls, ah! Ce sont les seuls hommes,

Qui par la force ont ces lois établies:

Lois injustes sans doute,

Puisqu'à notre dommage

Elles ne sont qu'à leur seul avantage.

Ne voilà pas, dois-je dire mon père,

Ou Ménandre plutôt

Sans ce doux nom de père,

Puisque le père à son enfant jamais

Ne doit ravir la vie,

Et qu'il ravit la mienne

Par la force qu'il fait,

Ou qu'au moins il veut faire

Contre ma volonté.

Ne voila pas cet avare Ménandre,

Ainsi le nommerai-je;

Ô dieu ne voilà pas

Qu'avec mille rigueurs

Il veut sacrifier

La pauvre Sylvanire

À ce fâcheux Théante,

Qui m'est plus en horreur

Que l'horreur ne peut être.

Ah! J'aime mieux, j'aime bien mieux cent fois

Épouser un tombeau.

Fasse le ciel ce qu'il voudra de moi,

Jamais, quoiqu'on m'en die,

Je n'y consentirai.

Et lorsque par la force

On m'y voudra contraindre,

La mort plus douce avec son secours

Abrégera mes jours:

Tout le regret qu'alors

Dans le cercueil je pourrai ressentir,

Sera sans plus de te laisser, Aglante,

Avec l'opinion

Que Sylvanire est ingrate envers toi:

Car je confesse, et je l'avoue ici,

Où pour témoins j'ai seulement ces arbres,

Que tes vertus, Aglante,

Que ta discrétion, que ton affection,

Et que tes longs services

Méritaient de trouver

Quelque autre plus heureuse

Que Sylvanire à ton dam ne l'est pas.

Mais que saurais-je faire,

Puisque si je t'aimais

Il faudrait bien aussi

(Ainsi le veut ma cruelle misère)

Et souffrir, et me taire.

Ménandre qui desseigne

De m'allier à ce riche berger,

Ô damnable avarice!

Ne tourne pas les yeux

Sur ce qui vaut le mieux,

J'entends sur ta vertu,

Et dessus tes mérites:

Mais l'éclat seulement

D'un métal qui reluit

À l'oeil avare, également nous nuit.

Ne trouve donc étrange,

Aglante que j'estime

Plus que tous les bergers

Des rives de Lignon,

Si dedans les liens

Du devoir retenue

Connaître tu ne peux

Le bien que je te veux.

J'aime mieux que la mort

Mette fin à ma vie,

Que si l'on pouvait dire,

Amour enfin a vaincu Sylvanire.

SCÈNE III

Tirinte, Sylvanire.

TIRINTE

Quelle heureuse rencontre

Est celle que je fais,

Vous trouvant Sylvanire.

SYLVANIRE

Tirinte je ne sais

Pourquoi tu veux nommer

Heureuse ma rencontre,

Puisque si nul ne peut

Donner ce qu'il n'a pas,

Comment te donnerai-je

Ce bonheur que tu dis,

Si le bonheur jamais

Avec moi n'habita?

TIRINTE

Heureuse avec raison,

Ô belle Sylvanire!

Mon coeur vous peut bien dire,

Puisque non seulement

On vous doit estimer

Pour vos perfections,

Et pour votre beauté,

Sur toutes bien heureuse;

Mais plus encor pour pouvoir, s'il vous plaît

Rendre heureux un amant

D'un clin d'oeil seulement.

SYLVANIRE

Malaisément celui

Peut rendre heureux autrui,

Dont le pouvoir en son malheur extrême

Est faible pour soi-même.

TIRINTE

Ne dois-je pas heureux dire celui,

Qui (s'il le veut) peut rendre heureux autrui,

En chassant de soi même

Le mal qu'il croit extrême.

SYLVANIRE

Ce sont discours dont Tirinte repaît

Ceux qui veulent le croire;

Mais, ô berger, je sais pour mon malheur

Que ces propos ne sont que flatterie,

Et que mon mal est chose véritable.

TIRINTE

Aimer et vous flatter

Sont deux choses contraires,

Si bien que quand vous dites

Que Tirinte vous flatte,

Vous lui dites de même

Que son coeur ne vous aime.

SYLVANIRE

Si nous flatter et nous aimer ensemble

Sont tant incompatibles,

Il est certain, Tirinte,

Que toutes nous pouvons

Jurer assurément,

Que nul homme jamais

Ne se peut dire amant.

TIRINTE

Blasphème insupportable!

SYLVANIRE

Toutefois véritable.

TIRINTE

Mais la fausseté même.

SYLVANIRE

Que sans flatter quelqu'homme puisse aimer?

Et réponds-moi Tirinte,

N'est-ce pas bien flatter

De dire une beauté

Être toute parfaite,

Où d'autres yeux remarquent cent défauts?

TIRINTE

Ce mystère d'amour,

Ô belle Sylvanire,

Se peut mieux ressentir

Qu'il ne se peut pas dire;

Et toutefois pour vous ôter d'erreur

Je vous dirai, qu'il est vrai que l'amant

Estime la beauté

Qu'il aime et qu'il adore,

Plus parfaite et plus grande

Que toutes les beautés

Qui sont en l'univers;

Et s'il l'estime telle

Vous êtes bien cruelle,

Vous disant ce qu'il croit,

De l'estimer flatteur.

SYLVANIRE

Il est donc un menteur.

TIRINTE

Mentir, c'est quand on parle

Contre la vérité

Qui nous est bien connue,

Et qu'en soi-même

On sait bien que l'on ment:

Mais l'amant n'est pas tel,

Parce qu'en vérité

Il croit celle qu'il aime

Unique en sa beauté,

Et toutefois peut-être il se méprend.

SYLVANIRE

Il est donc ignorant.

TIRINTE

Ignorant, je l'avoue:

Mais de cette ignorance

On ne le peut blâmer,

Ayant pour précepteur

Des dieux le dieu plus grand,

Le puissant dieu d'amour,

Amour de qui les lois

Sans châtiment ne se peuvent enfreindre

Par le fidèle amant.

Car sachez, Sylvanire,

Qu'aussitôt que l'amour

Se rend maître de nous,

Incontinent d'un art industrieux

Nos yeux il change avec ses propres yeux;

De sorte qu'aussitôt

Que nous sommes amants

Notre oeil ne nous sert plus,

Et nous ne voyons rien

Qu'autant qu'il plaît au sien:

Et cela c'est d'autant

Que nul ne peut aimer

Que ce qu'il juge beau;

Mais un tel jugement

Jamais ne se produit

Sinon par le rapport

Que les yeux nous en font.

Or ce grand dieu d'amour

Qui veut que chacun aime,

Sans changer le visage,

Avec ses propres yeux

Trompe le jugement

Que peut avoir l'amant:

Et de là vient qu'on dit

Par un commun discours,

Jamais laides amours.

SYLVANIRE

Et par ainsi Tirinte

Sans offense on peut dire,

Qu'amour est un trompeur;

Et que tous les amants

Font de faux jugements.

TIRINTE

Vous pourriez bien mieux dire,

Bergère, s'il vous plaît.

SYLVANIRE

Et que pourrais-je dire?

TIRINTE

Que tout amant adore

La personne qu'il aime,

Et que n'ayant des yeux

Que pour voir ses beautés,

Il ne saurait juger

Rien qui soit plus aimable:

De là vient que son coeur

Est plein de passion,

Quand l'ingrate beauté

Qu'il aime et qu'il adore,

Ne correspond à son affection.

Par là vous jugerez

Quel est le mal que supporte Tirinte

Adorant Sylvanire,

Sylvanire la belle,

La belle, mais cruelle,

Cruelle, ô dieux, mais toutefois aimée

Plus encor mille fois

Qu'elle n'est pas cruelle.

SYLVANIRE

De quelle cruauté

Tirinte te plains-tu;

Et qu'est-ce que tu veux

Que Sylvanire fasse

Avec la raison?

TIRINTE

Avec la raison

Vous devez, Sylvanire,

Aimer celui qui n'adore que vous:

Amour l'amour demande,

Et la moisson de l'amour c'est amour.

SYLVANIRE

Et cette loi dis-moi

Se doit-elle observer

Par les bergers comme par les bergères?

TIRINTE

D'une loi générale

Personne n'est exempt,

Et cette loi, bergère,

Aime celui qui t'aime,

Est une loi que la nature a faite,

Que la raison approuve,

Que l'amour autorise,

Et que chacun observe,

Si ce n'est vous cruelle Sylvanire.

SYLVANIRE

Pour moi j'en suis exempte,

Parce que dans mon coeur,

Et la nature, et la raison aussi,

Ont empreint une loi

D'un chaste caractère

À celle-ci contraire,

Qui dit ainsi: sage n'aime jamais

Si tu veux vivre en paix.

Et quand aux ordonnances

De l'amour que tu dis,

Je fais gloire, Tirinte,

De ne rien observer

De tout ce qu'il commande.

Mais toi, berger, pourquoi n'observes tu

La loi que tu confesses

Être si juste et bonne?

TIRINTE

Je fais bien davantage

Que d'observer la loi:

Car, Sylvanire, j'aime

Autrui plus que moi-même,

Et de plus j'aime, hélas!

Ce qui ne m'aime pas.

SYLVANIRE

Non ce n'est pas cela,

Berger, que je veux dire,

Aime, aime seulement

La personne qui t'aime,

Observe bien la loi

Sans y rien ajouter.

TIRINTE

Si je ne dois aimer

Sinon celui qui m'aime,

Qui puis-je aimer si Tirinte je n'aime?

SYLVANIRE

Berger menteur que n'aimes-tu Fossinde,

Fossinde qui t'estime,

Fossinde qui mérite

Pour ses vertus d'être de tous aimée,

Et qui par ses beautés,

Et ses perfections,

Pourrait bien acquérir

Le plus parfait berger

De toute la contrée,

Si seulement son coeur y consentait.

Tu ne me réponds rien,

Es-tu muet? As-tu perdu la langue?

TIRINTE

Cruelle Sylvanire,

Injuste Sylvanire,

Ingrate Sylvanire,

Il ne te suffit pas

De tes dédains et de tes cruautés,

Pour tourmenter ce coeur

Dont ton oeil est vainqueur,

Si de plus tu n'ajoutes

À tant de cruautés,

Quoiqu'elles soient extrêmes,

Encore ce tourment

D'une importune fille,

Que plutôt que d'aimer

Dedans Lignon je voudrais m'abîmer.

Ah bergère! Ah bergère!

Si toutefois bergère

Une cruelle, une injuste, une ingrate,

On peut nommer sans offenser ce nom:

Cruelle, injuste, ingrate,

Si tu savais quelle est l'affection

Que Tirinte te porte,

Tu parlerais pour certain d'autre sorte.

Amour ne peut sur une vraie amour

Anter une autre amour,

Il faut que l'une meure,

Et pour moi je te jure

Que mille morts je m'élirais plutôt

Que l'amour de Fossinde,

Fossinde l'importune,

Fossinde que je hais,

Si ce que tu me dis

Est chose véritable,

Autant comme elle m'aime.

Dis-le lui, Sylvanire,

Si pourtant il te reste,

Cruelle, injuste, ingrate,

Encor quelque pitié:

Dis-le lui seulement;

Dis-le lui hardiment,

Et que jamais, jamais

Elle n'espère en moi,

Ni plus d'amour,

Ni moins de haine aussi.

SYLVANIRE

Tirinte c'est à tort

Que tu me vas blâmant,

Écoute mes raisons.

Mais dieu voici mon père

Je ne veux pas l'attendre.

SCÈNE IV

Ménandre, Tirinte, Alciron

MÉNANDRE

Mais ne l'ai-je pas vue,

Cette imprudente fille

Que je vais recherchant?

Tirinte dis-le moi

N'est-ce pas Sylvanire

Celle-là qui s'enfuit?

TIRINTE

Tes yeux, ô bon Ménandre

Cette fois t'ont déçu.

ALCIRON

Que c'est bien Sylvanire.

Tyr parce que la bergère

Que tu prends pour ta fille

C'est la jeune Almerine,

Almerine qui cherche

Par ces buissons touffus,

Et parmi ces rivages,

La brebis la plus chère

Qu'elle ait dans son troupeau.

MÉNANDRE

Almerine dis-tu,

Et non pas Sylvanire?

TIRINTE

Almerine, il est vrai.

MÉNANDRE

Je confesse, berger,

Que mes yeux à ce coup

Ont été mensongers.

ALCIRON

Ou bien plutôt Tirinte.

MÉNANDRE

Mon dieu que la jeunesse

Tout à coup se fait grande;

Je la vis, cette fille,

Chez son père Andronire,

Si j'ai bonne mémoire,

Six lunes ne sont pas

Encore bien passées,

Mais certes si petite,

Que c'est avec raison

Si mes yeux m'ont trompé

S'étant faite si grande

Depuis si peu de temps.

Il est vrai que les filles,

Ainsi comme l'on dit,

Croissent en une nuit;

Il faut bien qu'Andronire

Commence d'avoir soin

De lui trouver mari,

Et surtout de l'argent:

Car aujourd'hui c'est l'argent qui fait tout.

Tant de beauté qu'on veut,

Tant d'attraits agréables,

Tant de nobles aïeuls,

Tout cela ce n'est rien,

Si pour enseigne il ne pend au logis

Or et argent, personne ne la veut,

Cette extrême beauté,

Ces attraits agréables,

Sinon peut-être un autre encor plus pauvre

Mais aussi n'est-ce pas

Une grande folie

Que de se marier,

Si l'argent comme guide

Ne marche le premier?

Personne ne se paît

Trois jours entiers de la seule beauté,

Depuis qu'il faut mettre couteaux sur table,

Il faut bien d'autres choses

Que ces afféteries,

Que ces attraits aimables,

Ni que tant de beautés;

Cent quintaux assemblés

De telle marchandise,

Ne saouleraient le moindre de tous ceux

Qui sont dans un logis.

Ah! Si ces jeunes filles,

Je parle pour la mienne,

Savaient combien est grande

La peine que l'on a

Pour conduire un ménage,

Pour éviter la pauvreté honteuse,

Et combien peu se trouvent aujourd'hui

De partis convenables,

Je sais bien pour certain

Qu'elles ne seraient pas

Si peu reconnaissantes,

Qu'elles ne les reçussent,

Ces partis quand ils viennent.

Mais pour notre malheur

Cette inexperte et peu sage jeunesse

Ne reconnaît jamais

Son bien, que quand il est outrepassé:

Mais lors il n'est plus temps,

Ô jeunesse imprudente,

Tu l'as beau rappeler

Par les regrets d'un trop tard repentir,

N'espère plus qu'il doive revenir.

Le propre de ce point,

Qu'en toute affaire il faut savoir connaître,

Est de telle nature,

Que jamais plus, jamais il ne rappelle

Ces pas fuitifs pour retourner vers nous. (16)

Quand il nous vient trouver

Sachons le prendre, ou bien n'espérons plus

De le revoir une seconde fois:

Mais c'est grand cas de l'extrême imprudence

Qui suit cette jeunesse,

Inexperte jeunesse,

Et jeunesse peu sage,

La mère très féconde

Des incommodités

Qu'en vieillesse on ressent.

Encor serait-ce peu;

On les pourrait conduire,

Ces ignorantes filles,

Pourvu qu'avec toute leur ignorance

Elles crussent à ceux

Qui sont plus sages qu'elles.

Mais tant s'en faut elles ont un vouloir,

Et puis Dieu sait comme il est bien fondé,

Qu'à faute de raison

Elles vont soutenant

D'opiniâtreté.

Ô de mon temps qu'une fille eut osé

Dire sa volonté,

Et celui-ci me plaît

Plus que non pas cet autre,

Elle eut été tenue

Pour montre entre les filles,

Et chacun dans la rue,

En la voyant passer,

Vous l'eut montrée au doigt,

Disant, c'est celle-la.

ALCIRON

Mais d'où viennent ces plaintes,

D'où viennent ces censures

Que tu fais, ô Ménandre?

MÉNANDRE

Alciron elles viennent

D'une juste douleur

Qui me presse et m'oppresse

En ma faible vieillesse.

ALCIRON

Ménandre bien souvent

Nous nous représentons

Les maux plus grands qu'en effet ils ne sont.

MÉNANDRE

Qu'ils ne sont que trop grands

Ceux desquels je me plains,

Et je te les veux dire,

Et t'en faire le juge,

Si je te dis que j'aime

Ma fille Sylvanire.

TIRINTE

Aussi fait bien quelque autre.

MÉNANDRE

Autant qu'on puisse aimer

L'enfant qu'on a fait naître,

C'est chose superflue;

Car outre les raisons

Que tous les pères ont,

Encor s'il m'est permis,

Quoiqu'elle soit ma fille,

De le dire, berger,

Encore ses vertus

M'obligent à l'aimer.

TIRINTE

Et d'autres sa beauté.

MÉNANDRE

Car certes je puis dire

De n'avoir jamais vu

En cette jeune fille

Une seule action

Qui ne soit à louer,

Sinon pour le sujet dont je te veux parler:

Et c'est pourquoi chargé d'âge et de peine,

Ainsi que tu me vois,

Je vais toujours rêvant à son profit,

Sans pardonner à ces jambes tremblantes,

Et sans flatter ces bras

À moitié décharnés;

Je vais sans cesse, et sans cesse je cherche,

Et me travaille, afin de voir un jour

Qu'elle soit bien à son contentement.

Or j'ai tant fait avec mes amis

Que le berger Théante,

Théante à qui le ciel

D'une main libérale

A donné tant de biens,

Veut contracter alliance avec elle.

TIRINTE

J'en ferais bien autant.

MÉNANDRE

Dieu sait combien heureuse

Une fille sera parmi tant de richesses;

Car rien ne défaut là

Qu'elle puisse vouloir.

TIRINTE

Elle voudrait un homme,

Et non pas une bête.

MÉNANDRE

Et toutefois cette jeunesse folle,

Cette imprudente fille,

Quand je lui dis que Théante la veut.

TIRINTE

Aussi feraient bien d'autres.

MÉNANDRE

Théante l'héritier

Du plus riche berger

De toute la contrée,

Elle tourne la tête,

Comme si cette offense

Était insupportable,

Elle demeure muette

À ce que je lui dis,

Comme si ce parti

Se devait dédaigner.

Que si lors je la presse

De me faire réponse,

Les soupirs la devancent

Suivis de tant de pleurs

Qu'elle ne peut parler,

Et si je la contrains

Enfin de me répondre,

Parmi les pleurs et les sanglots menus,

Toujours un non s'échappe de sa bouche,

Et puis après ce non,

Cent protestations

Qu'elle veut être ou vestale ou druide.

TIRINTE

Quelle dévotion!

MÉNANDRE

Dieux, que ferais-je là?

Je me vois vieux, et désormais plutôt

Je dois songer au départ qu'il faut faire,

Que de penser aux affaires d'autrui,

Que si je meurs, ah! Que deviendra-t-elle?

TIRINTE

Qu'elle vienne vers moi.

MÉNANDRE

Ah, qui ne sait combien est misérable

Une jeune orpheline,

Entre les mains de ceux

Qui n'ont que le souci

De leurs propres enfants:

Si dedans le cercueil

On a le souvenir

Des choses des vivants,

Dieu quel serait l'ennui,

Quel serait le regret

De voir ce jeune enfant

Qui n'a point de malice,

Entre les mains de tel

Qui la dédaignerait,

Et la ferait servir

Ainsi comme une esclave

Aux choses les plus viles.

ALCIRON

Ô Ménandre, ô Ménandre,

Je n'eusse jamais cru

Qu'il sortit de ta bouche

De semblables paroles:

Toi dont le nom par réputation

Porte avec soi le titre de prudence.

TIRINTE

Voilà comme on se trompe.

ALCIRON

Comment? Tu veux marier une fille

Contre sa volonté?

MÉNANDRE

Et quelle volonté

Doit avoir une fille?

ALCIRON

Celle de sa raison.

Crois-tu qu'elle soit folle?

Que si cela n'est pas,

Pourquoi sa volonté

Ne se réglera-t-elle

Aux lois de la raison?

Et pourquoi dois-tu croire

Qu'aussi cette raison

Ne lui fasse vouloir

Ce qu'elle doit vouloir?

Aux bêtes plus grossières,

Les voulant conserver,

Ne suivons-nous, Ménandre, leur vouloir?

Et nos brebis quand elles veulent boire

Les faisons-nous au contraire manger?

MÉNANDRE

Nature leur apprend

D'une soigneuse cure.

ALCIRON

Crois-tu que plus avare

Soit pour nous la nature?

MÉNANDRE

Quoi donc l'expérience

Ne servira de rien?

ALCIRON

L'expérience est bonne,

Mais chacun sait son bien.

MÉNANDRE

Par ainsi les plus vieux

N'auront point d'avantage.

ALCIRON

Ils l'auront bien, Ménandre,

Mais qu'ils soient les plus sages.

MÉNANDRE

Et leur expérience?

ALCIRON

Jointe avec la prudence,

Autrement sois certain

Que cette expérience

Sert de si peu de chose,

Que c'est grande imprudence

De mettre entièrement

Tout son bonheur sur chose si douteuse.

J'ai vu des mêmes causes

Produire bien souvent

Des effets différents.

MÉNANDRE

Rien donc, berger, au monde n'est certain,

Puisque l'expérience est encore douteuse.

ALCIRON

Qu'il soit ainsi, Ménandre,

Que rien dedans le monde

Ne puisse être certain,

Faut-il pourtant conclure

Que cette Sylvanire,

Ô dieux! Qui n'en peut mais,

Soit pour cela malheureuse à jamais?

MÉNANDRE

Au contraire, berger,

Heureuse elle sera,

Pourvu qu'elle me croie:

Alciron mon ami

Qu'elle aura de troupeaux?

TIRINTE

Mais qu'elle aura de maux.

MÉNANDRE

Que de grands héritages?

ALCIRON

Que de cruels servages.

MÉNANDRE

Que de belles maisons?

TIRINTE

Que de tristes prisons.

MÉNANDRE

Que de riches habits?

ALCIRON

Que de mortels ennuis.

MÉNANDRE

Que lui défaudra-t-il

Ayant tant de richesses?

ALCIRON

Sans le contentement

Ce ne sont que tristesses.

MÉNANDRE

Avec la pauvreté

Toute chose déplaît.

ALCIRON

Riche est la pauvreté

Lorsque contente elle est.

MÉNANDRE

D'être contente et riche

Qui l'en empêchera?

ALCIRON

Le choix que tu feras.

MÉNANDRE

Théante l'aime tant:

ALCIRON

Elle le hait autant.

MÉNANDRE

Enfin il la vaincra.

ALCIRON

Peut-être il la vaincra,

Mais elle est très certaine

Que maintenant elle ne l'aime point;

De sorte que ton choix,

Sous la faible espérance

De ce bien incertain,

Lui donne un mal certain.

MÉNANDRE

Il est beau sans mentir

Qu'une fille ait un choix.

ALCIRON

Et sans choix n'est-ce pas

Une pièce de bois?

MÉNANDRE

Quoi choisir un mari?

ALCIRON

Et quoi donc un fuseau?

Ô trop insupportable

Des pères l'ignorance,

Ou plutôt cruauté

Qu'on peut avec raison

Appeler tyrannie.

Si pour filer une pauvre quenouille

Leurs filles vont choisir

Entre cent un fuseau,

Ils ne l'empêchent pas,

Et leur laissent le choix

De celui qu'elles veulent:

Mais s'il leur faut un mari pour jamais,

Non, non, il ne faut pas

Qu'elles le puissent faire,

Dit aussitôt le père.

Ô pauvres vieux rêveurs

Qui pensez sous vos lois,

Étant dans le tombeau,

Retenir vos enfants,

Qui pensez imprudents

Qu'ils aient même goût

En leurs tendres jeunesses,

Que vous avez en vos rances vieillesses:

Que vous êtes déçus,

Que vous êtes trompés;

Ceux que vous leurs donnés

Pour être leur maris,

Deviennent, croyez-moi,

Les plus fiers ennemis

Qu'elles puissent avoir:

Et faites par ainsi

Qu'hélas! Ces mariages,

Au lieu d'être en effet

Des champs élysiens,

Des paradis d'amour,

Ainsi qu'ils doivent être,

Se trouvent des prisons,

Ou plutôt des enfers,

Pour tourmenter vos filles.

Car juge un peu quel plaisir leur doit être

De se voir à jamais

Entre les bras des maris qu'elles ont

Plus mille fois en horreur que la mort:

Leurs baisers ne leur sont

Que des cruels supplices,

Leurs plus douces caresses

Des absinthes mortels,

Leurs honneurs des mépris

Qui blessent leur courage,

Et leurs dons des outrages.

Et quelques uns s'étonnent

Qu'on remarque si peu

De contents mariages,

C'est vous autres sans plus,

C'est votre cruauté,

C'est votre tyrannie,

Qui cause ces désordres:

Si vous laissiez choisir

Aux filles leurs époux,

Chacune choisirait

Celui qu'elle aimerait:

Mais votre autorité

Leur donne des maris

Qu'elles voudraient pleurer

Plutôt dans le tombeau

Un siècle entier, que non pas un moment

Caresser en amant.

Que si comme tu dis

On a dans le cercueil

Des vivants la mémoire,

Quel regret auras tu,

Étant chez Radhamanthe,

Réponds, réponds, Ménandre,

De savoir par ton choix

Ta fille misérable,

Par dessus la misère

De tous les malheureux

Qui vivent dans le monde?

De savoir qu'à toute heure,

Pour son bonheur plus grand

Elle ne requerra

Qu'une hâtive mort?

Les imprécations,

Les malédictions

Que tu peux bien prévoir,

Ne te font-elles point

Et frémir et trembler?

Quel repos auras-tu

Dans ce triste tombeau,

Où chaque jour cette pauvrette ira

Pour te maudire,

Et tes cendres aussi,

Comme l'auteur de toutes ses misères?

Ô vieillards abusés

Laissez à vos enfants,

Laissez, laissez choisir,

Selon leur volonté,

Les maris qu'elles veulent,

Ou pour le moins nul de vous ne les force

Avec violence

D'épouser les personnes

Qu'elles aiment, ainsi

Qu'on aime le trépas.

C'est la sage nature,

Qui vous ordonne avec moi cette loi,

Jamais elle ne fait

Une union de deux choses contraires,

Sinon par un milieu

Qui sympathise aux deux.

MÉNANDRE

Pourquoi n'aimeront-elles

Des maris dignes d'elles?

ALCIRON

Ô vieillard peu savant,

Ne sais-tu pas que le mérite seul

Est le plus grand empêchement de tous

Pour obtenir le bien que l'on désire?

Ne sais-tu pas que l'amour a pour soi

D'autres raisons que n'ont pas tous les dieux?

Sache, sache, Ménandre,

Que la raison d'amour,

Et je dis la meilleure,

C'est de dire, il me plaît,

Ou bien ne me plaît pas,

Chercher dedans ces lois

Ou dans ces volontés

Quelque meilleur pourquoi,

C'est bien être ignorant

Du pouvoir de l'amour.

MÉNANDRE

Alciron mon ami,

Coupons là ce discours,

C'est assez pour ce coup,

Lorsque tu seras père

Fais comme tu voudras,

Et s'il te semble bon,

Permets non seulement

À ta fille de prendre

À son choix un mari,

Mais trente si tu veux;

Et si ce n'est assez,

Donne lui, mon ami,

Tous ceux qu'elle voudra,

Ou bien tous ceux encore

Qui la voudront avoir;

Ce n'est pas ce souci

Qui le plus me travaille,

Chacun fasse à son gré

Du sien comme il l'entend.

Mais quant à Sylvanire

Je veux qu'elle l'épouse,

Ce berger que je dis,

Je sais mieux qu'elle même

Ce qu'il lui faut: mais avec toi, berger,

Je n'en veux plus parler,

Tu causes trop pour moi:

Quel précepteur de filles,

Je t'en ferai donner

Par nos voisins afin de les instruire;

Prépare ton logis pour les bien recevoir.

Je vous laisse à penser

Le gentil discoureur que nous avons trouvé,

Et les belles leçons

Qu'il leur enseignerait.

ALCIRON

Adieu, Ménandre, adieu,

Au moins ressouviens-toi

Qu'Alciron aujourd'hui

T'a dit la vérité:

Un jour, je le sais bien,

Un jour il adviendra,

Que tu regretteras

De n'avoir pas suivi

Un si sage conseil.

SCÈNE V

Alciron, Tirinte.

ALCIRON

Le voila bien fâché:

Pourquoi n'a-t-il encore

Avec ses déplaisirs,

Tous ceux que la fortune

Me prépare à jamais.

TIRINTE

Ah! Cher ami, les déplaisirs qu'il a,

Ou tous ceux que quelque autre

Pourra jamais souffrir,

Ne sauraient égaler

Ceux que mon coeur endure.

ALCIRON

Chacun prétend tout de la même sorte,

Qu'il n'est nul mal que le mal qu'il supporte.

TIRINTE

Ami, si tu savais

Quel est le mien, tu dirais avec moi

Qu'où la mort ne suffit

À plaindre des malheurs,

Trop faibles sont les pleurs.

ALCIRON

Plus on redoute un mal,

Et plus aussi se fait-il ressentir:

Mais tiens ceci de moi

L'effet est toujours moindre,

Et du bien et du mal,

Que n'est l'opinion.

Mais quel mal, ô Tirinte

Est celui qui t'afflige?

TIRINTE

À quoi sert-il de découvrir la plaie,

Que la grandeur a rendue incurable?

ALCIRON

Un bon ami souvent

Nous donne des conseils

Contre nos déplaisirs,

Que de nous seuls nous n'eussions su choisir.

TIRINTE

Il est vrai, je l'avoue,

Mais c'est aux maux qui se peuvent guérir,

Et non en ceux qui n'ont point de remède.

ALCIRON

L'essai n'en coûte rien.

TIRINTE

Ah! Combien, Alciron,

Est arrogant l'essai

Qui pense atteindre au dessus de l'espoir.

ALCIRON

Encor le faut-il voir,

Jamais d'un mal l'on ne sait la grandeur

Qu'on ne l'ait mesurée,

Et faible est le courage

Qui ne se hausse avec l'espérance,

Autant que lui permettent

Les lois de la raison.

TIRINTE

C'est la raison, Alciron, qui m'empêche

De pouvoir espérer quelque remède

Au mal qui me possède:

Et toutefois puisqu'ainsi tu le veux,

Je le veux bien de même;

Je le veux bien te le dire, berger:

Non pas pour soulager

Un mal que je connais

Sans nul soulagement;

Mais seulement afin de satisfaire

Aux lois de l'amitié

Entre nous contractée.

Saches donc, Alciron,

Que j'aime et que j'adore

Plus que je ne puis dire,

La belle Sylvanire.

Cent fois elle m'a vu

Prêt à mourir pour elle,

Sans que ce coeur cruel,

Ce coeur de diamant,

Ait jamais fait paraître

D'être sensible aux traits de la pitié.

Elle m'a vu sur l'excès de mon mal

Presque dissoudre en pleurs,

Noyer ces mains de larmes inutiles,

Sans que jamais elle ait fait action

Qui peut faire juger

Que de mon mal elle eut compassion.

ALCIRON

Donc l'amour d'une bergère ingrate

Te tourmente si fort,

Et tu ne peux ravoir ta liberté

Des mains de cette fille?

Vois-tu Tirinte, et tiens cela de moi,

On ne se doit jamais

Tellement enfoncer

Aux bourbiers de l'amour,

Que quand on le voudra

Les pieds l'on n'en retire.

TIRINTE

Aussi bien comme toi

Je sais ce qu'il faut faire:

Mais de le pouvoir faire,

Ô cher ami, cela m'est défendu.

ALCIRON

Si sais-je bien que de ces passions,

Et que de ces transports,

Dont les amants remplissent les oreilles

De ces jeunes beautés,

Qui les vont écoutant,

Il en reste toujours

Bien moins dedans leurs coeurs

Que dedans leurs discours,

Et je sais bien encore beaucoup mieux,

Que l'amour n'a de vie

Qu'autant qu'il plaît au coeur qui veut aimer;

Et que ce dieu, ce dieu que nous feignons

Vaincre avec des yeux

Les hommes et les dieux,

N'a sur nous nul pouvoir

Que par notre vouloir:

Et de là je conclus,

Quoi que tu saches dire,

Que de ce mal ton âme guérira

Alors qu'il lui plaira.

L'on dit qu'amour est un puissant désir

De sa perfection,

Par l'union du bien qui nous défaut:

Crois moi, Tirinte, amour est au contraire

Un défaut de raison,

Un accès violent,

Qu'un désir mal réglé

Avec l'oisiveté

Conçoit dedans notre âme,

Et qui n'est maintenu

Que par l'espoir véritable ou menteur

D'un plaisir prétendu.

Donc, berger, pour guérir de ce mal

Le plus certain remède

C'est de vouloir guérir;

Car tout le mal que l'amour nous peut faire

Git en la volonté:

Mais rien n'est de si libre

Que cette volonté:

Car tous les fers et toutes les prisons,

Toutes les dures chaînes

Des plus cruels tyrans,

Ne sauraient asservir

La liberté du moindre des humains,

Au moins s'il ne le veut.

TIRINTE

Alciron mon ami,

Savoir que c'est que le mal qui me blesse,

À ma douleur ne sert pas de remède,

Que ce soit un désir,

Ou le défaut d'une raison malsaine,

Ou l'accès violent

D'un espoir prétendu,

Cela me sert de peu:

Tant y a qu'il est vrai,

Quoi que ce mal puisse être,

Qu'enfin, ami, c'est le plus violent,

C'est le plus incurable,

Que jamais un amant

Ait souffert en aimant.

Incurable, ô berger,

D'autant que ma blessure

N'espère guérison

Que du fer qui l'a faite,

Et l'inhumaine et sauvage beauté

De ma bergère à tel point est venue,

Que l'insensible et cruelle qu'elle est

Ne daigne voir le mal qu'elle m'a fait,

Ou le voyant les coups en désavoue,

Encore que chacun

Connaisse bien, que sans plus de ses mains

Peuvent venir de si profondes plaies,

Et que nul ne saurait

Tant de flammes produire

Que l'oeil de Sylvanire.

ALCIRON

Et qu'est-ce qu'elle dit

Quand ton mal tu lui contes?

TIRINTE

Mais en fait-elle conte?

ALCIRON

Elle ne répond rien?

TIRINTE

Si fait, mais jamais bien.

ALCIRON

Peut-être un autre elle aime?

TIRINTE

Ce n'est donc qu'elle-même.

ALCIRON

Mais comment se peut-il

Que l'amour ne la touche?

TIRINTE

Non plus que si c'était

Une insensible souche.

ALCIRON

Prends courage, Tirinte,

Puisque nul jusqu'ici

Ne possède son âme,

L'on prend plus aisément

La place qui n'est point

Par un autre occupée.

TIRINTE

Tout au rebours ce point me désespère,

Car si son coeur avait été blessé

Je le croirais sensible,

Et pourrais espérer

En la servant d'en pouvoir autant faire:

Mais quel espoir puis-je avoir, Alciron,

D'aimer cette sauvage,

Qu'amour jamais ne peut apprivoiser?

Aussi de telle sorte

Ce penser me travaille,

Qu'il faut, ami, que je prenne à la fin

La résolution

Qu'aux plus irrésolus

Le désespoir apporte.

Je me résous, puisque le ciel le veut,

Non seulement d'éloigner la cruelle

Par un lointain voyage,

Mais d'un courage d'homme

Sortir enfin, oui sortir à la fin

De ce honteux servage,

Rompre les noeuds, éteindre tous les feux

D'amour et d'elle.

ALCIRON

Ah! Résolution

Vraiment digne de toi.

TIRINTE

Oui pour certain je veux enfin sortir

Des mains de la cruelle,

J'ai de ma patience

Rompu toutes les chaînes,

Je veux ravoir ma chère liberté:

Mais sais-tu bien, Alciron mon ami,

Comment? Et quel chemin

Je me résous de prendre?

Des cendres du tombeau

Je veux les feux éteindre

D'une telle chimère,

Et par le seul trépas

Je me veux éloigner

De cette servitude,

Et je crois bien qu'aujourd'hui le destin

N'a tes pas adressés

Par où les miens devaient prendre leur route,

Qu'avec prévoyance,

Parce qu'il ne veut pas,

Ce très juste destin, que par ma mort

Meure aussi la mémoire

Du beau feu qui me brûle,

Sachant bien que jamais

Pour un plus beau sujet

Une plus belle flamme

Ne s'éprit dans une âme:

Il nous a fait rencontrer en ce lieu,

Afin, berger, qu'en ton sein je remisse

L'histoire pitoyable

De mes tristes amours,

Et que toi, cher ami,

Fidèle secrétaire,

Lorsque je serai mort,

Pour mémoire éternelle,

Tu mettes sur ma tombe;

Voila l'effet des plus beaux yeux du monde:

Peut-être un jour ces mêmes yeux lisant

En ton écrit leurs dédains et ma peine,

Quelque pitié, quoique tardive et vaine,

Leur ira dérobant

Des soupirs et des larmes:

Que si dedans le sein

De cette belle il en tombe une seule,

Ou bien parmi mes cendres,

Je tiens déjà les peines que j'endure

Pour ma plus belle gloire,

Et ma mort pour victoire.

ALCIRON

Que parles-tu de larmes,

De cercueil et de mort?

Amour donne la vie

À tout cet univers,

Et tu penses, Tirinte,

Que pour un seul Tirinte

Il cesse d'être amour:

Non, non, ce ne sont pas

Effets d'amour ceux desquels tu te plains,

Tous ces désirs de mort,

Et tous ces désespoirs

Ne viennent pas d'amour,

Mais d'un démon contraire

Qui le veut contrefaire.

Lorsque tu seras mort

Quel bien recevras-tu,

Et quel allègement

Dans la tombe relente (17)

Au mal qui te tourmente?

Il faut chasser de toi

Cette vaine folie,

Et te ressouvenir

Que tout amant est obligé de vivre,

Pour ne priver celle qu'il aime tant,

Quoiqu'elle soit cruelle,

D'un serviteur fidèle.

TIRINTE

Mais Alciron, ne faut-il pas mourir

Ayant perdu tout espoir de guérir?

ALCIRON

L'homme vivant peut toujours espérer.

TIRINTE

Sans espoir espérer

N'est pas d'homme d'esprit.

ALCIRON

C'est d'homme de courage.

TIRINTE

Non pas prudent ni sage.

ALCIRON

Le désespoir nous témoigne bien mieux

Un esprit imprudent.

TIRINTE

Mais la raison quelquefois nous l'apprend,

Et puis du mal l'extrême violence

De la raison bien souvent nous dispense;

Enfin quoi que ç'en soit,

Vois-tu bien, Alciron,

Ma résolution

Est telle que je dis,

Car je veux à ce coup avec sa cruauté

Mettre fin à ma peine.

ALCIRON

Arrête, attends un peu,

Tirinte écoute moi.

TIRINTE

Ô le cruel ami!

ALCIRON

Attends un peu Tirinte,

Et tu verras peut être

Que cette cruauté

Que tu blâmes en moi

Te donnera la vie.

Vois-tu, berger, j'eusse bien désiré

De voir ton coeur libre des passions

Dont amour te tourmente:

Mais puisqu'il ne se peut,

Et que je vois que ta raison trop faible

Cède à la violence

Dont cet amour t'offense:

Je te promets par le gui de l'an neuf,

Pourvu que tu me crois,

De mettre entre tes mains

Cette belle cruelle

Avant qu'il soit demain.

TIRINTE

Avant qu'il soit demain

Cette belle cruelle

Tu mettras en mes mains?

Ô cher ami! Qu'est-ce que tu promets?

ALCIRON

Je ne te promets rien

Qu'en effet je ne fasse.

TIRINTE

Puis-je espérer une si grande grâce?

ALCIRON

Espère si tu crois,

Tirinte, que je t'aime.

TIRINTE

Mon malheur est trop grand,

Et ce bien trop extrême.

ALCIRON

Plus grande est l'amitié

Que te porte Alciron.

TIRINTE

Je le crois; mais...

ALCIRON

            Mais qu'est-ce que ce mais?

TIRINTE

Mais, ô berger, tu prends un pesant faix,

Quand tu prétends supporter mon malheur.

ALCIRON

Non, je ne prétends rien

Que je ne parachève,

Je te la remettrai

Dans demain, cette belle,

Si bien en ta puissance,

Que nul que nous n'en aura connaissance,

Et seulement, Tirinte, résous-toi

De ne point perdre alors

L'occasion qui se présentera.

TIRINTE

Mais Alciron, et pour qui te tiendrai-je,

Si de tes mains je reçois ce bonheur.

ALCIRON

Tiens moi pour ton ami,

Et pour ton serviteur.

TIRINTE

Mais plutôt pour mon dieu,

Pour mon dieu puis-je dire,

Puisque tu me rendras

Une seconde vie,

Que je suis obligé

D'employer à jamais

Pour te faire service.

ALCIRON

Ces beaux discours ne conviennent pas bien

À notre affection:

Aime moi seulement

Autant comme je t'aime,

Et je m'estimerai

Mieux que récompensé:

Mais sans plus retarder,

Allons, berger, mettre la main à l'oeuvre.

SCÈNE VI

Sylvanire, Fossinde.

SYLVANIRE

Ne croyez pas, Fossinde,

Que je sois oublieuse

De ce que j'ai promis,

Pour le souffrir l'amour que je vous porte,

Ô ma soeur, est trop forte.

J'ai fait envers Tirinte

L'office que j'ai dû:

Mais...

FOSSINDE

J'entends ce langage,

N'en dites davantage:

Mais le cruel berger,

N'est-il pas vrai, bergère,

Ne s'en soucie guère?

Je l'avais toujours cru

Que cette âme insensible

En userait ainsi,

Je ne suis point trompée,

Et contre mon espoir

Rien ne m'est advenu.

Que pouvais-je prétendre

De ce coeur de rocher,

Sinon toute dureté?

J'ai honte seulement

Que Sylvanire ait su de ma folie

L'accès trop véhément:

Mais, ma soeur, excusez

En votre chère soeur

Ce mal qui ne pardonne,

Ce dit-on, à personne,

Et ne laissez d'aimer

Cette triste Fossinde

Autant que vous faisiez.

SYLVANIRE

Je plains, Fossinde, et ne le puis nier,

Le mal qui vous tourmente:

Mais je le plains, d'autant

Que je le vois sans espoir de remède:

Et croyez moi que si je connaissais

Que ce coeur arrogant

Peut être surmonté,

Je ne vous dirais pas

Ce que je vous en dis:

Mais soyez sûre, et n'en doutez jamais,

Entre tous les bergers

Des rives de Lignon,

Tirinte est le moins digne

D'avoir votre amitié.

Si vous saviez avec quelles paroles

L'indiscret m'en parla,

Vous diriez avec moi,

Que de tous les humains

Il mérite le moins

Que vous le regardiez.

Et c'est pourquoi, si vous m'en voulez croire,

Laissez-le là, ma soeur,

L'impertinent qu'il est,

Et faites lui paraître

Qu'il ne méritait pas

L'honneur qu'on lui faisait.

Pour moi, je le confesse,

Si ce malheur m'arrivait comme à vous,

Je veux dire d'aimer

Ainsi comme vous faites,

Je pourrais supporter

Tout, sinon le dédain:

Mais du mépris les coups sont si sensibles,

Que je ne puis penser

Que les liens d'amour,

Pour forts qu'ils puissent être,

Un seul moment me sussent arrêter.

Considérez, Fossinde,

Ce que Fossinde vaut,

Et ce que peut valoir

L'ingrat Tirinte avec son arrogance.

Considérez, ma soeur,

Que ce jeune berger

Fera toute sa gloire

De votre déshonneur;

Et comment pouvez-vous,

Ayant tant de mérite,

Aimer qui ne vous aime?

Mais quel berger encore?

Le plus méconnaissant,

Le plus ingrat berger,

Et le plus insolent

Qui jamais eut la houlette en la main.

Laissons-le là, Fossinde,

Laissons-le, et m'en croyez,

Il ne manquera pas

D'autres bergers au monde

Mieux faits encor que lui,

Qui sauront reconnaître

L'honneur que celui-ci

Imprudemment dédaigne.

FOSSINDE

Ah Sylvanire! Ah dieu qu'il est aisé

De parler sagement,

Quand on n'est pas amant.

SCÈNE VII

Fossinde, Echo.

FOSSINDE

À qui faut-il que mon mal je raconte,

Puisque déjà de moi-même j'ai honte,

Et qu'il ne faut jamais plus espérer

Ce que l'amour m'a tant fait désirer.

Nymphe des bois qui te plais à redire

Le triste accent de celui qui soupire,

C'est à toi seule à qui je veux conter

Le mal cruel qui me fait lamenter.

Réponds-moi donc pour soulager ma peine:

Que m'acquerra cet amour inhumaine?

ECHO

            Haine.

FOSSINDE

Que deviendra cet espoir décevant

Qui m'a promis tant de bien ci-devant?

ECHO

De vent.

FOSSINDE

Et que faut-il que fasse de bonne heure

L'ardente amour qui dans mon coeur demeure?

ECHO

Meure.

FOSSINDE

Et quels seront, si l'amour ne vit plus,

Les beaux desseins que j'avais faits dessus?

ECHO

Déçus.

FOSSINDE

Que dois-je croire en ma peine présente?

Que fait l'espoir qui quelquefois augmente?

ECHO

Mente.

FOSSINDE

Et quel loyer dois-je donc présumer

D'avoir, de l'oeil qui me vient enflammer?

ECHO

            Amer.

FOSSINDE

Amour cruel sont-ce donc là tes charmes?

Que deviendront à la fin tant d'alarmes?

ECHO

Larmes.

FOSSINDE

Ô vous amants qui lui gardez la foi,

Voyez à quoi m'a réduit cet émoi.

ECHO

Et moi?

FOSSINDE

Malheureuse fortune,

Impitoyable amour,

Ô destin rigoureux!

Que sera-ce de moi?

Et quelle fin mettrez vous à mes peines?

Insensible berger,

Dénaturé berger,

Ô berger imprudent,

Cesseras-tu jamais

De suivre qui te fuit,

Et fuir qui te suit?

Mais comment puis-je croire

Que ce destin, ce destin tant injuste

Dans le ciel soit écrit?

Dans le ciel où jamais

L'injustice ne fut?

Peut-être Écho de mon tourment se moque:

Retentons de nouveau

L'oracle de la nymphe.

Ma voix encore un coup à parler te semond: (18)

Que ferons-nous Écho contre ce grand démon?

ECHO

            Aimons.

FOSSINDE

Aimer, mais qui pourrait aimer quand on ne l'aime?

Echo c'est ce me semble une folie extrême:

ECHO

Aime.

FOSSINDE

De ce conseil nouveau nymphe je m'ébahis:

Mais le suivant mon coeur sera-t-il réjoui?

ECHO

Oui.

FOSSINDE

Est-il vrai que le ciel à mon désir consente,

Et que je puisse enfin obtenir mon attente?

ECHO

Tente.

FOSSINDE

Et ce coeur de rocher cause de mon tourment,

Quel le verrai-je enfin si j'aime constamment?

ECHO

Amant.

FOSSINDE

Ne te moques-tu point du tourment que j'endure?

Et quelle guérison aurai-je à ma blessure?

ECHO

            Sûre.

FOSSINDE

Heureux trois fois mon coeur tu te peux estimer:

Mais pour cueillir ce fruit comment faut il semer?

ECHO

Aimer.

FOSSINDE

En cet art je ne suis, nymphe, que trop savante:

Mais quelle récompense à l'amour violente?

ECHO

Lente.

FOSSINDE

Lente il n'importe pas,

Pourvu que d'un moment

Elle devance au moins

L'heure de mon trépas.

SCÈNE VIII

Satyre, Fossinde.

SATYRE

Elle s'en veut aller,

Gardons qu'elle n'échappe,

Jamais occasion

Ne se trouva plus belle,

Personne n'est ici:

Amour à mes desseins

Sois ce coup favorable.

FOSSINDE

Dieu voici le satyre,

Sois Diane à mon aide.

SATYRE

Avant qu'user avec elle de force

Il nous faut essayer

Celle de la prière,

Les faveurs sont plus douces

Que ces belles nous donnent

De leur bon gré, que celles qu'on ravit

Contre leur volonté.

FOSSINDE

Il s'approche de moi,

Dois-je fuir, ou dois-je demeurer?

Fuir, il est plus vite:

De demeurer aussi,

Le séjour en ce lieu

N'est pas peu dangereux:

Ah fâcheuse rencontre!

SATYRE

Quel bon démon conduit ici mes pas

Où je te vois Fossinde,

Fossinde que j'adore,

Fossinde de mon coeur

Le plus ardent désir?

Il faut bien que ce jour

Marqué de blanc me soit saint et sacré,

Et que le souvenir à jamais m'en demeure.

FOSSINDE

Il parle doucement,

Il faut que je m'essaye

Avec la douceur

De tromper ses desseins:

Car tromper le trompeur

Avec son artifice,

C'est un effet propre de la justice.

SATYRE

Tu parles seule, et tu ne réponds point

À cet amant qui n'aime que tes yeux,

Qui consumé par eux,

Comme au soleil ardent

L'on voit fondre la neige,

Et tu ne l'aimes point?

Mais comment se peut-il

Que tu brûles mon coeur,

Et gèles de froideur?

Car si, comme l'on dit,

Nul ne saurait donner

Ce qu'il n'a pas, ô dieu! Comment, Fossinde,

Me peux-tu bien donner

Une si grande amour,

Puisque tu n'en as point?

FOSSINDE

Ah! Je n'en ai que trop.

SATYRE

Sont-ce pas des miracles

Et d'amour et de toi?

D'amour qui m'a pu vaincre,

Moi qui suis invincible,

Et de toi belle à qui j'offre mon coeur,

Et de qui l'oeil cruel

Étant vainqueur ne daigne être vainqueur?

Je ne suis pas, ô nymphe impitoyable,

À dédaigner comme tu peux penser,

Et quelquefois si tu tournes les yeux

Sur mon affection,

Et sur ce que je vaux,

Je ne crois pas qu'enfin ton jugement

Ne soit en ma faveur.

FOSSINDE

Ô le beau serviteur!

Jamais de ton mérite,

Gentil Satyre, et crois qu'il est ainsi,

Je n'ai douté, ni de l'affection

Que tu m'as fait paraître;

Mais seulement, vois-tu, je le confesse,

L'erreur commune où mes compagnes sont

De fuir les satyres,

Est cause que comme elles

Aussi je t'ai fui.

SATYRE

Tes compagnes, Fossinde,

Sont des petites folles,

Qui ne savent connaître

Ceux qui valent le mieux,

Qui ne vont estimant

Le prix de toute chose

Qu'à leur opinion.

Mais si comme elles doivent,

Sans s'arrêter à quelques apparences

De ces délicatesses

Qui ne sont plus en nous,

Elles voulaient juger de nos mérites;

Crois moi, Fossinde, elles nous aimeraient

Autant qu'elles nous fuient,

Ces délicates filles,

Ces jeunes affectées,

Qui ne savent encore

Que c'est que vivre, et se vont figurant

D'être les plus prudentes

Et les plus entendues,

De toute la contrée.

Mais toi, Fossinde, en qui le ciel a mis

Non seulement la beauté du visage,

Mais de l'esprit les qualités plus belles,

Sois juge de ma cause,

Et vois si j'ai raison

De les dire ignorantes,

Alors qu'elles choisissent

Ces petits pastoureaux,

Qui semblent à des filles

En garçons revêtues,

Et s'en vont nous fuyant,

Non pour autre raison,

Tu le sais bien, bergère,

Sinon d'autant qu'on nous voit au visage

Les signes très certains

D'un généreux courage,

Parce que nous avons

Des bras forts et nerveux,

Des rides sur le front,

Du poil partout le corps,

Et que dessous nos pas

On voit trembler la terre,

Ces petites fillettes,

Que vous nommez bergers,

Vous font entendre, ô dieu quelle folie!

Que nous sommes grossiers,

Incapables d'amour,

Ou pour le moins de ses délicatesses.

Que nous n'entendons pas

Comme il vous faut servir,

Et disent que l'amour

Étant enfant n'aime rien que l'enfance,

Étant petit n'aime que la douceur,

Et qu'on ne voit en nous

Que des choses contraires

Aux humeurs de l'amour.

Mais dites-moi, sont-ce des jeux d'enfants,

Ah petites follettes!

Que les jeux dont amour

Enseigne les leçons?

Ce sont des jeux d'enfants

Ceux que l'on voit que la nourrice fait

Avec le petit,

Qu'elle tient attaché

Au bout de son tétin. (19)

Ce sont des jeux d'enfants

De jouer aux épingles,

De jouer aux noisettes

Au jeu de la fossette:

Mais croyez-moi, mes filles croyez-moi

Ce n'est pas jeu d'enfant

Que celui de l'amour.

Amour enseigne bien

Un plus beau jeu que celui des enfants,

Ne vous y trompez pas;

Et si vous le saviez

Vous diriez avec moi

Que ces jeunes puceaux,

Ces tendres jouvenceaux,

Ces petites fillettes,

Et j'entends vos bergers

Enjolivés comme des jeunes filles,

S'ils se veulent jouer

Qu'ils aillent au tétin,

Qu'ils caressent, s'ils veulent,

Comme au berceau les nourrices qu'ils ont,

Qu'ils jouent aux épingles,

Qu'ils jouent aux noisettes

Au jeu de la fossette,

Et qu'ils laissent aux hommes,

Aux hommes courageux,

Et tels comme nous sommes,

Le propre jeu des hommes.

FOSSINDE

Je vois que tu dis vrai,

Gentil Satyre, et que par tes raisons (20)

Mes compagnes ont tort:

Mais réponds-moi, n'est-il pas vrai qu'amour

Se plaît en la beauté?

À part.

Je veux de cette sorte

L'entretenant pousser toujours le temps,

Qui sait, quelqu'un viendra

Qui m'ôtera des mains de cette bête.

SATYRE

En la beauté, dis-tu,

Je ne le nie pas;

Mais que voit-on en nous

Où la beauté ne soit très apparente?

FOSSINDE

La belle opinion!

SATYRE

La taille droite et de belle hauteur,

Les jambes bien plantées,

L'estomac relevé,

La carrure bien faite;

Que nous faut-il que doit avoir un homme?

FOSSINDE

Il est certain, mais que répondrons-nous

À ceux qui nous diront,

Tout ainsi que des chèvres

Ils ont les pieds fendus.

SATYRE

Et la belle Vénus

N'a-t'elle pas choisi

Pour son mari ce boiteux de Vulcain? (21)

FOSSINDE

Mais si l'on te reproche

Que l'estomac que tu portes velu

Ressemble au bois touffu,

Où l'on ne voit que des ronces piquantes,

Que leur répondras-tu?

SATYRE

Je leur dirai que Mars

L'avait fait tout de même,

Et toutefois que la belle Cypris (22)

Ne l'eut point à mépris.

FOSSINDE

Et cette barbe encore tant épaisse?

SATYRE

Telle l'avait cet invincible Hercule,

Hercule le dompteur

Des monstres de la terre,

Et toutefois Déjanire l'aima. (23)

FOSSINDE

Et ces petites cornes?

SATYRE

Ah folâtre bergère,

Et vous et vos compagnes

Les devez bien aimer,

Si chacun pour le moins

Aime bien ce qu'il fait.

FOSSINDE

Jamais, jamais, au moins que je le sache,

Des cornes je ne fis.

SATYRE

Ce que par le passé

Tu n'as pas fait encore,

À l'avenir tu les feras peut-être,

Ne les dédaigne pas,

C'est quelquefois le meuble plus certain

Qui soit au mariage.

Mais outre tout cela

Il ne faut pas, Fossinde,

Les cornes dédaigner,

La lune est bien cornue,

Et le mont de Lathmie

Est bien témoin qu'un jeune Endymion (24)

Ne l'a pas dédaignée.

Bacchus eut bien des cornes,

Et toutefois la belle Cadienne

Ne fut-elle pas sienne?

FOSSINDE

Il est vrai, je l'avoue,

Jusques ici mes compagnes et moi

Avons eu tort de ne vous aimer pas,

Puisque tant de beauté

Se voit en vos visages.

Et pour ce à l'avenir,

Satyre, je le veux,

Je veux que tu te nommes

Serviteur de Fossinde.

SATYRE

Ah dès longtemps déjà je le suis bien.

FOSSINDE

Mais je dis serviteur

Que Fossinde aimera

Autant comme il mérite.

SATYRE

Mais dis que je désire.

FOSSINDE

Autant que tu désires.

SATYRE

Ô bienheureux Satyre!

FOSSINDE

Mais sois modeste, et ne me touche point.

SATYRE

Donc de ton amour

Donne moi quelque gage.

FOSSINDE

Et qu'est-ce que tu veux,

Regarde bien ce que tu me demandes,

Car un amant se doit sur toute chose

Toujours montrer discret.

SATYRE

Permets, belle bergère,

Qu'en te baisant je touche

Ton beau sein et ta bouche.

FOSSINDE

Le délicat baiser;

Cela ne se peut pas.

SATYRE

Il se peut si tu veux,

Et rien que ton vouloir

Ne me peut retarder

Le bien que je désire.

FOSSINDE

Non, Satyre, non, non,

Cela ne se peut pas,

Nous sommes ignorantes,

Nous autres jeunes filles,

Nous ne savons comment il faut baiser.

SATYRE

Je te le veux apprendre,

Et si je ne veux rien

Pour ton apprentissage.

FOSSINDE

Retire-toi Satyre,

Ou bien je m'en irai:

Dieu! Nul ne viendra-t-il

Pour m'ôter de ses mains?

SATYRE

Je prends bien à la course

Les chevreuils et les daims,

Ne t'atteindrai-je pas?

FOSSINDE

Satyre laisse-moi,

Ou de ce fer bientôt je punirai

Ta lâcheté.

SATYRE

Ce serait bien plutôt

Extrême lâcheté,

Pour crainte de la mort;

De perdre le profit

D'une telle rencontre.

FOSSINDE

Puisque la force est inutile ici

Recourons à l'astuce.

SATYRE

Qu'est-ce que tu me dis?

FOSSINDE

J'ai dit, Satyre, et je le dis encore

Que je veux bien faire l'apprentissage

De ce que tu me dis:

Mais connaissant l'extrême affection

Qui te transporte, et la très grande force

Que la nature a voulu mettre en toi,

Je l'avoue, il est vrai,

Je crains.

SATYRE

Et que crains-tu?

FOSSINDE

Je crains que transporté

De cette amour trop grande,

Me tenant en tes bras,

Tu n'étreignes si fort

Ces liens amoureux,

Sans penser de le faire,

Que j'en étouffe.

SATYRE

Ah petite folâtre, (25)

Non, non, ne le crains pas.

FOSSINDE

J'en ai peur toutefois.

SATYRE

Il est bien vrai, bergère, que je t'aime,

Et d'une amour extrême.

FOSSINDE

Et que ta force est grande.

SATYRE

Elle l'est, il est vrai,

Plus qu'on ne saurait dire.

FOSSINDE

N'ai-je donc pas raison

D'en avoir peur?

SATYRE

            Ne crains point, ma mignonne.

FOSSINDE

Et quand je serai morte

Te fâchera-t-il pas?

SATYRE

J'aimerais mieux la mort:

Mais pour si sotte crainte

Je ne veux pas aussi

Que nous perdions si belle occasion.

FOSSINDE

Ni moi non plus, je te veux bien complaire:

Mais sais-tu bien pour m'ôter toute crainte

Ce qu'il nous faudrait faire?

SATYRE

Dis-le Fossinde.

FOSSINDE

            Il faudrait attacher

Tes fortes mains de sorte

Qu'en ce transport où tu te trouveras

Tu ne me puisses nuire.

SATYRE

Vois-tu, Fossinde, afin de t'assurer

Je le veux bien, tiens, mes bras sont à toi,

Attache les ainsi qu'il te plaira.

FOSSINDE

Je vois bien que tu m'aimes,

Aussi te veux-je aimer,

Gentil Satyre, ainsi qu'il te plaira,

Et pour plus de faveur,

Je veux que de mon arc

La corde nous prenions

Pour servir de liens.

SATYRE

Ô doux liens combien vous tiens-je chers,

Étant nouées de la plus belle main

Qui fut jamais au monde.

Nouez, serrez autant qu'il vous plaira,

Déjà d'autres liens

Bien plus forts que ceux-ci

M'étreignent beaucoup mieux.

FOSSINDE

Ces noeuds ne rompront pas,

Quelque force qu'il ait.

SATYRE

Encor que ces liens

Fussent beaucoup plus faibles,

Je ne les romprais pas:

Car jamais, ô Fossinde,

De ton vouloir je ne m'éloignerai:

Mais qu'est-ce que tu fais?

FOSSINDE

Je veux lier, Satyre,

Comme tes mains, tes jambes trop légères;

Car je crains que l'ardeur

De ton affection

Encor avec les jambes

Ne me fît quelque outrage.

SATYRE

Qui le coeur m'a lié

Peut bien comme il voudra

Me lier tout le corps:

Fais donc ce que tu veux,

Et prends ce témoignage

De ton pouvoir sur moi,

Afin qu'à l'avenir

Tu ne redoutes plus

De ma force trop grande

L'extrême violence.

Or sus voilà le satyre lié

Ainsi comme il t'a plu.

Or ma belle bergère

Il ne reste donc plus

Sinon que tu t'approches,

Pour prendre les leçons

Que je t'avais promises.

FOSSINDE

Il n'est pas beau, Satyre, ce me semble,

De voir qu'une bergère,

Pour baiser son amant

S'en aille le chercher;

C'est pourquoi je te prie

De t'en venir ici.

SATYRE

Je le veux bien; mais tu t'enfuis de moi.

FOSSINDE

Non, non, je ne fuis pas,

Je me promène un peu;

Et puis je te confesse

Que je me plais de te voir si léger.

Ô comme il saute bien,

Tu sembles à ces pies

Qui vont de branche en branche

Sautant comme tu fais.

Or saute donc, Satyre,

Saute encore plus haut,

Un peu plus haut encore.

SATYRE

Mais où vas-tu?

FOSSINDE

Je reviens, attends-moi.

SATYRE

Elle s'en est allée,

Elle ne revient plus,

Ô trompeuse Fossinde,

Ô Fossinde perfide;

Tu t'en vas donc, ô bergère cruelle,

Et te moques de moi,

Après avoir connu

L'extrême affection

Que je te porte; et bien je suis appris

Je suis appris à jamais plus ne croire

Les feintes apparences

De ces trompeurs visages,

Qui ne portent aux yeux

Sinon toute douceur,

Et n'ont dedans le coeur

Que toute cruauté.

Soyez appris, amants qui vous fiez

Aux discours de ces belles.

Dessous la belle fleur

Le serpent est caché,

Et sous ces beaux visages

Des perfides courages.

LE CHOEUR

Heureux hommes qui fûtes

En ce temps où vous eûtes

La nature pour loi, non pas pour tant de fruits

De la terre produits,

Mais seulement heureux pour n'avoir eu le vice

D'exécrable avarice.

En saison tant heureuse

La bergère amoureuse

Au berger amoureux, sans nul déguisement,

Donnait contentement;

Et lors à toute amour, amour était rendue,

Non comme ores vendue.

Ce fut toi vaine idole

Qui fis dans ton école

Ce qui fut don d'amour, et faveur de Cypris,

Vendre pour certain prix,

Et qu'en ces paiements l'amoureuse monnaie

Sans mise se renvoie.

C'est toi vice exécrable

Qui rends insatiable

En l'avare faim d'or le coeur de ce berger,

Et qu'il ne veut changer

Ni permettre qu'Aglante épouse Sylvanire,

Quoi qu'elle le désire.

Mais si les sacrifices

Rendent les dieux propices,

Et si près du destin la raison fait séjour,

Nous verrons vaincre amour:

Il vaincra, cet amour, et de si belles âmes

Il unira les flammes.

ACTE III

ACTE III

SCÈNE I

Hylas, Aglante.

HYLAS

Enfin berger que te saurais-je dire?

Ta Sylvanire est bien la plus ingrate

De toutes les bergères;

C'est la plus arrogante,

La plus méconnaissante

Qui fut jamais, ni qui jamais sera.

Vois-tu, berger, ne te figure point

Que quand toutes les femmes,

Mais je te dis les femmes, les plus femmes,

Ensemble seraient mises,

L'on en peut faire une femme plus femme

Que cette Sylvanire.

AGLANTE

Ô dieu que me dis-tu?

HYLAS

Je te dis, mon ami,

La pure vérité.

Si je voulais avec des flatteries

Te retenir toujours en ton erreur,

Je te dirais que tu peux espérer

Qu'elle se changera:

Mais je ne veux qu'un Aglante que j'aime,

Et que je tiens pour un autre moi-même,

Se paisse d'espérance,

D'espérance trompeuse,

Et d'espérance enfin,

Qui ne sera jamais

Qu'à son désavantage.

AGLANTE

La rude main que la tienne, berger,

Pour penser une plaie

Si sensible et cuisante.

HYLAS

La main trop pitoyable,

Le mal qu'on peut guérir

Rend souvent incurable.

Mais quoi! Berger, veux-tu que je te flatte?

Je le veux comme toi,

Mais appris ne te plains

Si tu te vois déçu:

Il m'est aisé de te feindre des fables,

Et de te les donner

Pour choses véritables.

Il m'est aisé de dire

Que j'ai vu Sylvanire

Tressaillir d'aise et de contentement

Oyant le nom d'Aglante,

Que j'ai vu son bel oeil

Comme un soleil découvert de nuage,

Qu'un doux souris a mignardé sa bouche,

Et que son coeur a rendu témoignage

Par des soupirs qu'il n'a peu retenir

De son amour trop forte.

AGLANTE

Ah trop heureux! Ah trop heureux berger.

HYLAS

Je te puis dire, Aglante,

Qu'après tant de soupirs

D'une voix douce et tremblante d'amour

Elle m'a dit, Hylas

Assure mon Aglante

Que je suis son amante.

AGLANTE

Quelle douce parole!

HYLAS

Qu'après étant parti

Elle accourut en me disant, Hylas,

Hylas, Hylas, écoute encor, Hylas;

Et qu'étant près de moi

Elle me dit avec un doux sourire,

Dis-lui que Sylvanire

N'aime qu'Aglante, et qu'Aglante sera

Celui que Sylvanire

À jamais aimera.

AGLANTE

Ô dieux! ô dieux!

HYLAS

            Et pour lui rendre preuve

De ce que de ma part

Tu lui diras, porte lui, me dit-elle,

Ce noeud que je te donne,

Qu'il le prenne pour gage

De ce noeud gordien

Qui retient mon courage

Avec le sien.

AGLANTE

Ah berger mon ami,

Que ne me donnes-tu

Ce cher présent que ma belle m'envoie?

Pourquoi retardes-tu

Un tel contentement

À ce berger qui t'aime?

HYLAS

Comment, Aglante, es-tu sorti du sens?

Penses-tu que je l'aie,

Ce noeud que je te dis;

Ni que cette cruelle

M'ait tenu les discours,

Que je te fais? Ah désabuse toi,

Jamais elle n'en eut

La moindre intention.

Voyez, ô dieux! Comme on croit aisément

Tout ce que l'on désire:

Je t'ai dit, ô berger,

Que si je le voulais,

Afin de te complaire,

Pour choses véritables

Je te dirais des fables.

AGLANTE

Il n'est donc pas vrai?

HYLAS

Mais comment vrai, berger?

Ah tant s'en faut qu'elle ait eu quelque envie

D'user de ces paroles,

Qu'au contraire, vois-tu,

D'un propos dédaigneux,

Quand j'ai pensé lui dire

L'amour que tu lui portes,

Elle en a fait risée,

Elle s'en est moquée,

Comme si ton service

Et ton affection,

L'orgueilleuse qu'elle est,

Étaient trop peu de chose.

Le cruel animal,

Le superbe animal,

Qu'une femme qui sait

Qu'à quelqu'un elle plaît.

AGLANTE

Il n'est donc pas vrai?

HYLAS

Il est certain, berger, qu'il n'est pas vrayi,

Et si certain, te dis-je,

Que jamais, mais jamais

Tu ne dois espérer

Que ce coeur glorieux,

Cette âme outrecuidée,

Pour toi puisse changer.

AGLANTE

Ah pauvre et triste Aglante!

Que sera-ce de toi?

HYLAS

Laisse, laisse les plaintes,

Et te souviens, berger,

Qu'il est honteux à l'homme de courage

De pleurer pour un mal

Auquel, s'il veut, il peut donner remède.

AGLANTE

Et quel remède, Hylas, y trouves-tu?

HYLAS

Celui de ta vertu.

Ressouviens-toi, berger,

Qu'Aglante est homme, et Sylvanire femme,

Et qu'homme, c'est à dire

Celui qui doit la terre dominer,

Et que femme au contraire,

C'est à dire l'esclave

Des volontés de l'homme,

Et que cette vertu

Qu'au coeur de l'homme a mise la nature,

Ne se doit pas soumettre,

En renversant les lois,

Au pouvoir de la femme.

AGLANTE

Ah berger! Ah berger!

Si pour ma guérison

Tu n'as autre raison,

Je vois mon mal d'éternelle durée:

Car tant s'en faut

Que l'homme soit au monde

Pour commander, qu'au contraire tout homme

Qui se veut acquitter

Du nom d'homme qu'il porte,

Ne doit jamais penser,

Sinon qu'à la servir,

Sinon qu'à l'adorer,

La femme que tu dis,

Et pour qui nous devons,

Pour dignement la pouvoir bien nommer,

Inventer quelque nom

Digne de ses mérites,

Celui de femme étant peu digne d'elle,

Et qu'au défaut de quelqu'autre meilleur,

On peut dire déesse,

Déesse vraiment

En ses perfections,

Déesse en ses beautés,

Déesse en ses vertus,

Déesse en fin que seulement aimer

Ce serait profaner

D'irrévérence une chose sacrée.

Mais que plutôt on doit pour ne faillir

Adorer et servir,

Comme la vraie idée

Où toutes les vertus,

Où toutes les beautés,

Et les perfections

De la nature humaine

Sont en perfection.

HYLAS

Et telle est ta créance.

AGLANTE

Et telle est ma créance,

Et telle aussi doit être

Celle de tous les hommes,

Sur lesquels la raison

Encore a quelque force.

HYLAS

L'homme que la nature

A rendu si puissant,

Ne doit-il avoir honte

De se soumettre à quelqu'autre plus faible?

AGLANTE

Si l'homme est le plus fort,

C'est pour lui faire entendre

Qu'il a la force afin de la servir,

Cette femme plus faible:

Et ne vois-tu, berger,

Cette même ordonnance

En toute la nature?

Le cheval n'est-il pas

Beaucoup plus fort que l'homme?

Et voudrais-tu que l'homme se soumît

À porter le cheval?

Et le boeuf n'est-il pas

Plus fort encor que l'homme?

Et voudrais-tu que le boeuf pour cela

Mit l'homme à la charrue?

Non, non, berger, crois-moi,

Si l'homme a cette force,

C'est pour le servir mieux,

Ainsi que je t'ai dit,

Ce cher présent des cieux,

Cette femme admirable,

Cette femme adorable,

Si parmi les mortels

Quelque chose admirable,

Quelque chose adorable

Est digne des autels.

HYLAS

Que je te plains, Aglante,

D'avoir cette pensée.

AGLANTE

Mais que je me plaindrais

Si j'avais eu jamais autre pensée.

HYLAS

Qu'il les faille adorer?

AGLANTE

Qu'il les faille adorer.

HYLAS

Ces femmes imparfaites?

AGLANTE

Ces femmes si bien faites.

HYLAS

Et nous soumettre à elles?

AGLANTE

Et nous soumettre à elles.

HYLAS

Quoi qu'elles soient cruelles?

AGLANTE

Cruelles comme belles.

HYLAS

Ô pauvre Aglante, ou plutôt pauvre Adraste,

Adraste le plus fol

D'entre les plus grands fous!

Apprends de moi ceci,

La femme plus modeste

Est un fier animal,

Qui tant plus est aimé

Et tant plus fait de mal.

AGLANTE

Au contraire la femme

Est un bien si parfait,

Que plus on l'aime et plus aimable elle est.

HYLAS

Tu la veux donc aimer

Quoi que j'en sache dire.

AGLANTE

Mon vouloir n'est-il pas

Du tout à Sylvanire?

HYLAS

Mais elle ne veut pas

Que tu l'aimes, berger.

AGLANTE

Mon coeur est immuable,

Il ne saurait changer.

HYLAS

Tu ne veux donc point

Faire ce qu'elle veut.

AGLANTE

Voudrait-elle d'Aglante

Plus qu'Aglante ne peut?

Tu perds le temps, tu travailles en vain,

Hylas, assure-toi

Qu'amour n'est pas semblable à la chemise

Qu'on peut laisser pour en vêtir un autre,

Et toutefois semblable à la chemise

Peut-être est-elle bien;

Mais à celle, berger,

Dont la dernière fois

Hercule se vêtit,

Et de qui sans mourir

Il ne put se défaire.

Amour dedans un coeur

Vient volontairement,

Mais par la volonté

D'un coeur fidèle il ne sort nullement.

HYLAS

Ah misérable Aglante!

AGLANTE

Mais bienheureux Aglante!

HYLAS

N'est-tu pas malheureux

D'aimer sans être aimé?

AGLANTE

Mais bienheureux Phoenix

Aux rayons d'un soleil

Je me vois consumé.

HYLAS

Et quand tu seras mort

Que servira ta flamme?

AGLANTE

Je la conserverai

Toujours dedans mon âme.

HYLAS

Te voila bien, tiens-toi bien chaud, Aglante.

AGLANTE

J'aurai l'âme contente.

HYLAS

S'il est ainsi de peu tu te contentes:

Comment, berger, perdre l'âge et la peine,

Tant de soupirs, tant de pleurs épandus,

Tant de soins employés,

Et vainement pour une fille ingrate?

Et puis, ô dieux! Pour toute récompense

Il te suffit d'en avoir au cercueil

La vaine souvenance:

J'aimerais mieux en perdre tellement

Tous les ressouvenirs,

Que je n'eusse mémoire,

Non seulement d'elle ou de ses rigueurs,

Mais de personne encore

Qui l'eût jamais connue.

AGLANTE

J'aimerais mieux, Hylas,

Et cela te suffise,

N'avoir jamais été

Du nombre des vivants,

Que si j'avais vécu

Sans avoir vu la belle Sylvanire.

Et j'élirais plutôt

N'avoir jamais rien vu,

Que si dès la même heure

Que mes yeux l'aperçurent

Mon coeur ne l'eût aimée.

Et je voudrais plutôt

N'avoir jamais aimé,

Et si je tiens l'amour

Tout le bonheur du monde,

Que si l'ayant aimée,

Cette belle cruelle,

Mon amour à jamais

Ne vivait éternelle.

HYLAS

Qu'est-ce que tu prétends?

AGLANTE

De la servir.

HYLAS

Mais servir sans loyer

C'est ce me semble une grande imprudence.

AGLANTE

Ce m'est un heurt si grand

D'aimer cette bergère,

Qu'amour m'a surpayé

Me la faisant aimer:

Il ne la faut aimer, cette belle cruelle,

Sinon que pour l'aimer,

Et pour payer le tribut que tout homme

Est obligé de rendre

À ses perfections,

Et non pour les faveurs

Qu'un amant comme toi

En pourrait désirer.

Trop vile, Hylas, est cette récompense

Pour mon affection,

À des amours vulgaires

Les faveurs ordinaires:

Mais à la mienne il faut

Quelque chose de plus,

Et ce plus, ô berger,

C'est aimer pour aimer.

L'amour est de l'amour

La seule récompense:

Et par ainsi, pour me la faire aimer,

Il me suffit qu'elle soit elle-même.

HYLAS

Or va berger,

Pour moi je te le quitte,

Je n'en dispute plus,

Je n'eusse jamais cru

Dedans l'esprit d'un homme

Une folie telle:

Aime à ton gré, mais le tout sans envie,

Et ne crains point que ce loyer d'amour

Que tu prises si fort

Te soit jamais ôté,

Sinon que la folie

Qui te tient abusé

Finisse par ta mort.

SCÈNE II

Hylas, Sylvanire, Fossinde, Aglante.

HYLAS

Mais la voici

La belle Sylvanire,

La voici ta déesse,

Si tu n'as cru, berger, à mes paroles

Tu sauras de sa bouche,

S'il n'est pas vrai qu'elle soit une souche.

SYLVANIRE

Mon dieu, ma soeur, tournons nos pas ailleurs.

FOSSINDE

Est-ce un serpent que vous avez trouvé?

Venez, venez, il n'est pas venimeux.

AGLANTE

Ô courtoise Fossinde,

Serpent se peut bien dire

Ce malheureux berger,

Si le serpent est haï de la femme.

Mais au rebours, serpent je ne suis pas,

Si le serpent est de nature froide,

Car je suis tout de feu:

Et s'il est vrai qu'à certaine saison

Il dépouille sa peau,

Car je n'ai jamais peu

Me dépouiller de l'amour que je porte

À cette belle et cruelle bergère,

Qui pour ne me voir pas

Ailleurs tourne ses pas.

Mais, belle Sylvanire,

Quelle raison vous peut faire en aller,

Si c'est pour me fuir

Vous ne le sauriez faire,

Car vous êtes toujours

Au milieu de mon coeur,

Et si vous ne pouvez

Fuir si vitement,

Qu'Aglante ne vous suive

Encor plus promptement;

Que si ce n'est du corps

Au moins de la pensée.

Arrêtez donc puisqu'il est impossible

Vous éloigner de moi:

Arrêtez Sylvanire,

Pour voir au moins dans ce coeur que je porte

Les coups plus glorieux

Qui soient jamais procédés de vos yeux:

Quelquefois le vainqueur

Se plaît d'ouïr redire

L'histoire de ses faits,

Se plaît de voir les coups

Qu'en la chaleur du combat il donna.

Et pourquoi mon vainqueur

Vous plaît-il pas de voir,

Puisque c'est votre gloire

En moi votre victoire?

FOSSINDE

Vraiment il sait aimer.

HYLAS

Voyez la dédaigneuse,

Elle ne daigne pas

Tourner les yeux vers lui.

AGLANTE

Vous détournez ailleurs

Vos beaux yeux que j'adore,

Cruelle je vois bien,

Je le vois bien que vos yeux ne sont pas

Égaux en cruauté

Au coeur que vous portez:

Car ils ne peuvent voir

Les profondes blessures

Dont votre âme cruelle,

Ni votre coeur aussi dur qu'un rocher

N'ont jamais eu pitié.

Serez-vous jamais lasse

De me voir tant souffrir?

HYLAS

Le voilà le bonheur

De ces amants fidèles.

FOSSINDE

Mais toutes ne sont pas

D'une humeur si cruelle.

AGLANTE

Au moins avant ma mort

Faites-moi cette grâce,

Qu'hélas je puisse dire,

Je les vis sans rigueur

Un moment, ces beaux yeux,

Ces yeux de Sylvanire.

HYLAS

Ô belle récompense.

AGLANTE

Vous ne répondez point,

Ô ma belle bergère!

Dieu voulut que celui

Qui m'a lié le coeur

Vous eût lié la langue.

SYLVANIRE

Que cherches-tu de moi?

Aglante que veux-tu?

AGLANTE

Amour! Amour!

SYLVANIRE

Amour, il ne se peut,

Amour et mon honneur ne peuvent être ensemble.

FOSSINDE

Amour et votre honneur

Ne peuvent être ensemble;

Car l'amour et l'honneur

Ne sont pas ennemis

Sinon dans votre coeur.

SYLVANIRE

Je veux bien que l'on croit

Que dans mon coeur l'amour

Ne peut faire séjour,

Pourvu que de l'honneur

L'on n'en soit point en doute.

HYLAS

Honneur vraiment humeur

Et pure opinion,

Un idole impuissant

Qui jamais ne se sent,

Une feinte chimère,

Dont aujourd'hui les filles

Se laissent abuser

Par leurs mères plus fines.

SYLVANIRE

Soit ainsi que tu dis,

Ce que je ne crois pas,

Qu'en puis-je-mais, Hylas?

Je ne veux tant y a

Me faire d'autres lois,

Que les lois ordinaires

Que nous donnent nos mères.

HYLAS

Ta mère quelquefois,

Et n'en sois point en doute,

Fut jeune comme toi.

AGLANTE

Mais non pas aussi belle.

HYLAS

Peut-être moins cruelle.

SYLVANIRE

Et qu'est-ce pour cela?

HYLAS

Pour cela je veux dire

Que maintenant ta mère

Te porte envie, ô folle,

Et qu'elle ne veut pas

Que tu goûtes les biens

Que l'âge lui dénie.

Elle s'en ressouvient,

De ces biens que je dis,

Et sans cesse ils reviennent

Devant ses yeux, en te voyant si belle,

Et de chacun aimée,

Et l'envieuse en sa fille elle blâme

Ce qu'elle eut autrefois

De plus cher en son âme.

FOSSINDE

Hylas toujours est Hylas en effet.

AGLANTE

Non, non, belle bergère,

Et sage autant que belle,

N'écoutez point Hylas,

Votre beauté fait que chacun vous aime,

Votre vertu doit en faire de même.

Je vous aime, il est vrai,

Plus que jamais amant

Autre beauté n'aima:

Mais croyez-moi, j'aimerais mieux la mort

Que de voir, Sylvanire,

La moindre tache en vous,

L'amour que je vous porte

Parfaite en toute sorte

Ne demande sinon

Ce que l'honneur justement vous commande:

Mais cet honneur dont vous êtes soigneuse

Comme vous le devez,

Ne vous y trompez pas,

N'est pas d'être cruelle,

N'est pas d'être insensible,

N'est pas d'être une tigre,

N'est pas d'être un rocher;

Car autrement l'honneur et la nature

Se diraient ennemis.

Nature qui commande

D'aimer, non pas peut-être

Comme l'on va disant,

Tous ceux belle bergère

Dont nous sommes aimés,

Mais tous ceux qui nous aiment

Comme l'on doit aimer,

Et cet honneur, ô sage Sylvanire,

Gît à ne faire rien

Qui puisse être contraire

À la vertu dont cet honneur procède.

Et par ainsi l'amour,

J'entends l'amour que le berger Aglante

A pour vous dans le coeur,

Naissant de la vertu,

Aussi bien que l'honneur

N'est pas son ennemi,

Mais son frère plutôt.

HYLAS

Belle philosophie.

AGLANTE

Et pour montrer que cet amour est né,

Et cet honneur tous deux de même mère,

Avez-vous jamais vu

En moi quelque action

De l'amour que je dis

Qui soit contraire aux lois de cet honneur?

SYLVANIRE

Aglante il est bien vrai,

Mais l'amour que tu dis

Est si semblable à l'autre,

Que bien souvent ils sont pris l'un pour l'autre.

AGLANTE

L'oeil qui s'y trompe a bien mauvaise vue.

SYLVANIRE

Je le veux croire ainsi

Pour ton contentement: (26)

Ne sais tu pas, Aglante,

Qu'entre nous il y a

De ces mauvaises vues

Plus grande quantité,

Que non pas de bien bonnes?

Ne sais-tu pas que l'oeil

De ces choses cachées

N'en voit qu'autant que le soupçon le veut?

Retiens ceci de moi,

Puisque l'honneur gît en l'opinion,

Il ne faut pas donner occasion

De soupçonner chose que l'on ne voie:

Donc n'en parlons plus,

N'en parlons plus, je ne veux point d'amour,

Je ne veux point de commerce avec lui,

Et quand ce ne serait

Que ces amours ont un semblable nom,

Je ne veux point d'amour.

HYLAS

Le voila bien payé.

AGLANTE

Ô quelle cruauté,

Parce qu'on nomme amour du nom d'amour

Elle rejette amour.

FOSSINDE

Puisque le nom vous fait haïr la chose,

Changeons ce nom d'amour,

Nommons le d'autre sorte.

SYLVANIRE

Non ma soeur je ne veux

Ni l'effet ni le nom

De l'amour que vous dites;

Au contraire je veux

Le fuir, le haïr,

Et tous ceux qui le suivent

Comme fiers ennemis.

AGLANTE

Ennemi, Sylvanire,

Pouvez-vous bien nommer

Celui qui vous honore,

Celui qui vous révère,

Celui qui vous adore:

Et quels seront ceux-là

Que vous honorerez

Du nom de vos amis,

Et de vos serviteurs?

SYLVANIRE

Je donnerai ce nom

De cruel ennemi

À tous les ennemis

De mon honnêteté.

Crois-tu que je ne sache

Que le miel est toujours

Dans la bouche au trompeur,

Et le fiel dans le coeur?

N'en parlons plus, Aglante,

Mets ton coeur en repos,

Jamais je n'aimerai

Que qui j'épouserai.

J'ai de ma mère appris

Qu'il faut vaincre en fuyant

Cet enfant de Cypris:

Fuyons le donc, berger,

Pour vaincre ce vainqueur.

Et si tu ne veux pas

Le fuir avec moi,

Ne trouve point étrange

Qu'avec toi je ne le veuille suivre.

AGLANTE

Ô cruelle bergère!

Est-ce donc là toute ma récompense?

HYLAS

Tantôt, ce disait-il,

Il n'en demandait point.

AGLANTE

Devais-je point attendre

D'une amour si fidèle

Une fin moins cruelle?

Le ciel m'en vengera,

Le ciel qui n'aime pas

La cruauté, ni l'injustice aussi.

Mais va, cruelle, va,

Va de toutes les âmes

L'âme la plus sauvage,

Va la plus insensible

Qui fut jamais au monde,

Augmente ta rigueur,

Si tu le peux, par dessus ta beauté,

Tu ne feras jamais

Que cette amour que dans le coeur je porte,

Jamais, jamais en sorte.

HYLAS

Nyi toi tu ne feras

Par ta sotte constance,

Que jamais, que jamais

À te plaire elle pense.

Il est hors de lui même:

Mais pour dire le vrai

Sylvanire est cruelle.

Nous n'avions qu'un Adraste,

J'ai peur s'il continue,

Comme j'ai déjà dit,

Que bientôt ils soient deux.

Mais je m'en vais le suivre

Pour essayer s'il se peut consoler.

SYLVANIRE

Ô quelle force il faut que je me fasse,

Nul ne le sait que mon coeur seulement.

SCÈNE III

Ménandre, Lerice, Sylvanire, Fossinde.

SYLVANIRE

Mais dieu voicI mon père,

Quelle importune et fâcheuse rencontre,

Je ne m'en puis aller

Sans qu'il s'en aperçoive.

MÉNANDRE

Enfin, enfin peut-être en quelque lieu

Elle se trouvera,

Cette coureuse.

LERICE

Il le faut pour certain,

Car nous l'avons cherchée

Partout où par raison

Nous la pouvions trouver:

Mais la voilà, Ménandre.

MÉNANDRE

Dieu soit loué, je ne veux plus, Lerice,

Remettre cette affaire,

Ni l'aller dilayant, (27)

Je veux avoir sa résolution,

Et qu'elle parle clair,

Il faut qu'elle l'épouse,

Quoi qu'elle sache dire.

LERICE

Je crois bien que jamais

Elle ne sortira

De vos commandements.

MÉNANDRE

Je l'entends bien ainsi,

Ou bientôt, ou bientôt,

Elle ressentira

La puissance d'un père

Justement courroucé.

Il faut parler à elle:

Écoute Sylvanire?

SYLVANIRE

Que vous plaît-il mon père?

MÉNANDRE

Je veux que tu sois sage.

FOSSINDE

Sage, Ménandre, et ne l'est-elle pas?

MÉNANDRE

Je veux qu'à mon vouloir

Ton vouloir tu réduises,

Si tu fais autrement

Je te ferai sentir

D'un père le pouvoir.

FOSSINDE

Jamais, sage Ménandre,

La charge n'est bien faite

De qui le faix penche tout d'un côté.

Il faut que Sylvanire,

Et c'est bien la raison,

Obéisse à Ménandre,

De son côté commande comme il faut.

MÉNANDRE

Je veux, et je le veux,

Qu'elle épouse Théante,

Et de plus qu'elle l'aime.

FOSSINDE

Ménandre tu peux bien

La donner à Théante,

Parce qu'elle est ta fille,

Mais faire qu'elle l'aime

Tu ne saurais, et ne t'y trompe pas,

La volonté dont amour prend naissance

N'est point sujette à quelque autre puissance,

Même les dieux, et prends exemple d'eux,

Laissent libre à chacun

Sa propre volonté.

MÉNANDRE

Je ne crois pas, Fossinde,

Quoi que tu saches dire,

Que si ton père Alcas,

Et ta mère Alderine,

Te proposaient Théante,

Ta résolution fut de le refuser:

Une fille bien née,

Une fille bien sage,

Comme tu sais, doit toujours se remettre

Au vouloir de son père.

Il est, crois-moi, presque plus excusable

À son sexe, bergère,

De faillir, et de suivre

Le conseil de son père,

Qu'il n'est pas honorable

De faire bien, et suivre seulement

Sa propre opinion.

FOSSINDE

Ménandre, il est bien vrai

Que j'élirais plutôt

De n'être pas, que de désobéir

Mon père ni ma mère,

Mais je sais bien aussi

Qu'ils ne m'ordonneront

Jamais chose qu'ils sachent

Que j'aie à contrecoeur.

MÉNANDRE

Chacun fait comme il veut

Des choses qui le touchent:

Pour moi je veux que Sylvanire épouse

Ce berger que je dis.

Mais tu ne réponds point,

Peut-être es-tu muette;

Parle un peu Sylvanire?

SYLVANIRE

Je ne suis pas muette,

Pardonnez-moi mon père,

Mais comment répondrai-je?

Vous ne me dites rien.

MÉNANDRE

Celui, comme l'on dit,

Est le plus sourd, qui ne veut pas entendre:

Je te dis, Sylvanire,

Que Théante te veut,

Théante le plus riche

Des bergers de Lignon,

Que son père déjà

M'en a fait la demande,

Que ta mère y consent,

Que je te le commande,

Et qu'il ne tient qu'à toi

Que les liens d'un heureux hyménée

Tous deux ne vous étreignent

D'indissolubles noeuds:

Qu'est-ce que tu réponds?

N'as-tu point de parole?

Tu te caches les yeux:

Et d'où vient cette honte?

Ne veux-tu point parler?

LERICE

Est-ce ainsi, Sylvanire,

Quand quelqu'un parle à toi,

Même quand c'est ton père,

Qu'il faut être muette:

T'ai-je enseigné cette civilité?

SYLVANIRE

Pardonnez-moi, mon père,

Et vous ma mère aussi,

Si je ne vous réponds

Comme vous le voulez,

L'affection que je porte à tous deux,

Ainsi que la nature

Et mon devoir me tiennent obligée,

M'empêche la parole,

Et la voix me dérobe.

MÉNANDRE

Pourquoi l'affection

Et le devoir, font-ils un tel effet?

SYLVANIRE

Parce que je sais bien

Que cette servitude,

Qu'on nomme mariage,

Loin de tous deux à jamais me tiendra.

FOSSINDE

Elle a raison.

MÉNANDRE

            Elle a raison, bergère;

Mais tant s'en faut, si Théante la prend:

Des deux maisons je n'en veux faire qu'une.

LERICE

Non, non, mon cher enfant

Efface cette doute,

C'est la première chose

Qu'on leur a protestée.

FOSSINDE

L'amant promet, et promet ce qu'on veut

Pour obtenir la chose désirée,

Mais l'ayant obtenue,

De toutes ses promesses

Il n'en tient qu'une seule,

Et c'est d'être mari,

C'est à dire le maître

Au langage commun

Des hommes de ce temps,

De tout le reste il n'en fait point de compte.

SYLVANIRE

Ô dieux! Mon père, et qu'est-ce que j'ai fait,

Que vous veuillez, et vous ma mère aussi,

Vous défaire de moi?

Me chasser de chez vous?

Me bannir de chez vous?

Et me priver de l'heur de votre vue?

Si je ne suis pas digne

De vivre auprès de vous

Avec le nom de fille,

Ah donnez-moi celui

De servante et d'esclave,

Tous noms me seront doux,

Toutes conditions

Me seront agréables,

Pourvu, mon père, hélas! Pourvu ma mère

Que je sois près de vous,

Et que je puisse, ainsi que je le dois,

Jusqu'à ma mort vous servir l'un et l'autre.

LERICE

Elle me fend le coeur

Voyez le naturel

De cette pauvre fille.

Mais penses-tu m'amie,

Penses-tu que ton père,

Ni que ta mère aussi

Puissent t'aimer si peu,

Qu'ils veulent consentir

À ton éloignement?

Perds cette opinion,

Et sois très assurée

Qu'à jamais près de nous

Sylvanire vivra.

Et lorsque du destin

Les parques éternelles

Finiront de nos jours

La dernière fusée:

Ce sera toi, ma fille,

Ainsi les dieux le veuillent,

Qui nous rendras ce pitoyable office

De nous clore les yeux.

Mais résous-toi d'obéir à ton père,

Il te veut voir bientôt mère d'enfants,

Le support agréable

De nos vieilles années.

Il veut revivre en eux

D'une seconde vie,

Comme en toi, Sylvanire,

Déjà nous revivons.

Oui, oui, Ménandre, il n'en faut point douter,

Sylvanire est trop sage,

Elle le veut, puisqu'il vous plaît ainsi.

SYLVANIRE

Ah! Ma mère pour dieu

Ne me procurez point

Un désastre si grand.

J'ai promis à Diane

De suivre dans les bois

Ses chastes exercices:

Et de fuir d'hymen

Les impures délices.

Je serai, s'il vous plaît,

Et s'il plaît à mon père,

Ou vestale ou druide,

Ou si mieux vous l'aimez,

Je suivrai dans les bois,

Avec le choeur des nymphes,

Cette chaste Diane,

Comme je suis par mes voeux obligée,

Vous savez bien comme saints et sacrés

Doivent être les voeux.

MÉNANDRE

Belle dévotion,

Pour ne point obéir

À ce que je commande:

Ne sais-tu point encore

Que par les lois les enfants ne sauraient

Disposer d'eux sans le consentement

Du père et de la mère?

FOSSINDE

Ces lois sont lois des hommes,

Les voeux sont faits aux dieux,

Où les lois des mortels

Ne peuvent arriver.

MÉNANDRE

Ces lois dont je lui parle,

Quoi que faites des hommes,

Sont aussi lois des dieux;

Ce sont lois de nature,

Et la nature et Dieu

Sont une même chose.

Mais je vois bien d'où procèdent ces voeux:

Tu prétends, Sylvanire,

Dessous le voile feint

De cette piété

Couvrir tes beaux desseins,

Et d'abuser les miens,

Pensant ainsi de rompre par souplesse,

Ou par longueur de temps

L'hymen que je désire:

Mais tu te trompes fort,

Je suis plus fin que toi,

Je vois jusqu'en ton coeur.

SYLVANIRE

Plut à dieu!

MÉNANDRE

Les desseins que tu fais.

Que défaut-il à ce gentil Théante,

Que puisse avoir un berger accompli?

Et toutefois, fille malavisée,

Théante te déplaît,

En voudrais-tu quelque autre

Ou plus noble, ou plus riche?

Mais je vois bien que c'est;

Ces petits affettés

Qui te vont muguettant, (28)

De ta beauté t'ont conté des merveilles.

T'ont-ils pas dit que rien n'est de si beau

Que Sylvanire est belle?

Que c'est un grand dommage

De la mettre si tôt

Dans le tombeau d'hymen:

Car c'est ainsi qu'ils vont nommant entre eux,

Ces têtes éventées,

Les saints liens du sacré mariage;

Qu'il faut que tes beautés

Longtemps soient admirées,

Longuement soient servies,

Et de tous adorées,

Avant que se soumettre

À la sévérité

Des tyranniques lois

De quelque mariage,

Qu'il sera toujours temps

D'entrer en servitude,

Que cependant il faut,

Puisque le ciel t'a voulu faire belle,

User de ta beauté,

Te faisant désirer

Par tous les coeurs

De ceux qui te verront.

Voilà sans doute, ô folle, de tes voeux

La source et l'origine,

Tu veux être servie,

Tu veux être admirée

Par ces jeunes garçons,

Qui te vont abusant

De vaine flatterie:

Car tu sais qu'un mari

Ne le souffrirait pas.

Mais imprudente, imprudente et peu sage,

Si tu savais combien cette beauté

Est peu de chose, et combien aisément

Elle se change en extrême laideur,

Tu dirais avec moi

Que c'est une folie,

Que celle qui t'abuse.

La beauté c'est un verre

Qui reluit au soleil;

Mais aussi qui se casse

Au moindre coup qu'il a.

Au soleil des beaux ans,

Et les beaux ans j'appelle

Les ans de la jeunesse:

Il est vrai, la beauté

Jette bien quelque fleur;

Et cette fleur sans doute

S'admire en son printemps:

Mais combien aisément

Se flétrit-elle aussi?

On voit souvent que le même soleil

Qui l'adorait au point de son réveil

À son coucher la pleure.

Ces beaux cheveux qui recrépés et longs

Font par leurs filets d'or

Honte à l'or même, ô jeunesse imprudente,

Bientôt, bientôt, changeront en argent;

Et tous ces rets où les coeurs sont surpris

Seront filets d'araigne

Sans force et sans puissance.

Ce front poli qui semble un lait caillé,

Dont la blancheur dispute avec le lys,

Bientôt perdant l'éclat de cette neige

Se ridera par autant de sillons

Que nos riches campagnes,

Lorsque du coultre aigu

L'outrage elles ressentent:

Et ces yeux où l'amour

Semble prendre les feux

Pour allumer ses flambeaux plus ardents,

Bientôt changés par le cours des années,

Au lieu de feux n'auront plus que la cire

De ces mêmes flambeaux.

Ô dieu quel changement!

Car alors, Sylvanire,

Au lieu de ces ardeurs

Dont ces beaux yeux sont pleins,

Si beaux on les peut dire,

Faits chassieux par l'usage du temps,

Ils ne produiront plus

Que de l'eau pour éteindre

L'embrasement qu'ils auront allumé.

Mais cette belle bouche

Où de rougeur, ainsi que l'on te dit,

Le corail est vaincu,

Où le désir quoique l'on puisse faire,

Par les baisers n'est jamais contenté,

Bientôt sera ternie,

Et bientôt par les ans

Les ris mignards en seront déchassés,

Les baisers s'enfuiront,

Et les désirs même s'étonneront

De l'avoir désiré.

Quelle crois-tu que deviendra ta joue

Des roses et des lys

La beauté ternissant?

Et ce beau teint l'honneur de ton visage?

L'hiver bientôt par les ans redoublé

De cette fleur la beauté flétrira,

N'en doute point, et lors au lieu de fleur

Il ne t'en restera

Seulement que l'épine.

Cette taille si droite

En arc se voûtera,

Et la tête arrogante

Que tu vas élevant

Altière et glorieuse,

Bientôt, bientôt, contre terre abaissée

Semblera de chercher

Cette beauté perdue

Parmi la terre, et dès lors montrera

Que toutes tes beautés

N'ont rien été que poussière et que terre,

Et que tu vas aussi

En terre les cherchant.

Dis-moi, dis-moi, peu prudente jeunesse,

Lorsque tu seras telle,

Que te vaudra l'orgueilleuse beauté,

Qui te fait dédaigner,

Et mes commandements,

Et le berger Théante

Avec tant d'avantages?

Réponds, où t'en vas-tu?

Où vas-tu Sylvanire?

Voyez être arrogante,

Voyez cette imprudente,

Voyez l'outrecuidée,

Elle s'en va sans répondre un seul mot.

SCÈNE IV

Fossinde, Ménandre, Lerice.

FOSSINDE

Jamais de tous les pères

Il n'en fut un plus cruel que le tien,

Ô pauvre Sylvanire.

MÉNANDRE

Il est bon là, le battu cette fois

L'amende payera:

Encore ai-je le tort.

Ô siècle dépravé!

Ô siècle monstrueux!

Ô siècle où la vertu

A perdu son crédit!

Ou bien siècle plutôt

Qui ne la connais plus,

Cette vertu que les enfants jadis

Estimaient tant, et qui faisaient aussi

Qu'ils étaient estimés

De ceux qui les voyaient

Observateurs des lois d'obéissance.

Qu'un enfant eut osé

Désobéir, je ne dis pas au père,

Mais au moindre de ceux

Sous qui l'âge et le sang

Les soumettait; ô dieu combien étrange

Chacun l'eut-il trouvé.

Je crois, oui je le crois

Que par décret commun

De toute la contrée,

Il eut été puni,

Il eut été banni

Du commerce des hommes:

Et maintenant ce n'est que l'ordinaire

Désobéir et son père et sa mère,

C'est avoir de l'esprit,

C'est avoir du courage,

C'est, ce dit-on, avoir du sentiment:

Ô ciel! Ô terre! Ô dieux je vous appelle,

Venez, voyez, jugez, et punissez,

Punissez-la, grands dieux,

Cette malavisée,

D'une si grande faute.

On dit que les enfants,

Ainsi du ciel l'ordonne la justice,

Punissent bien souvent

Les désobéissances

Que leurs pères ont faites

À leurs aïeuls, par des autres semblables.

Mais de moi je sais bien

Qu'il ne m'advint jamais

D'avoir fait cette faute,

Même de la pensée.

Et toutefois vous l'ordonnez ainsi,

Vous l'ordonnez, ô grands dieux! Que je sache

Combien telle blessure

Est cuisante et sensible

Au père qui l'endure;

Que votre volonté

Soit en tout accomplie:

Seulement je requiers

Avoir assez de force

Pour la bien supporter.

Mais bien, mais bien, et qu'elle s'en assure,

Elle n'en rira pas,

Cette peu sage fille,

Je lui ferai sentir,

Et bientôt, et bientôt,

D'un père le courroux:

Je dis d'un père à qui toute raison

Donne l'autorité

De châtier une fille insolente.

Tu ne l'eusses pas cru,

N'est-il pas vrai, Lerice?

Si tu ne l'eusses vu:

Tu me disais toujours,

Pour certain notre fille

Ne sortira jamais

Du respect qu'un enfant

Doit à son père. Or dis-le maintenant,

Et sois sa caution

Comme tu voulais être.

LERICE

Je la blâme à cette heure

Aussi bien comme toi,

Cette inconsidérée,

Je le confesse, elle m'a bien deçue.

FOSSINDE

Et moi je crois qu'elle n'a point de tort,

Et que c'est vous, vous Ménandre et Lerice

Qui l'avez tout entier,

Et qu'elle seule en fait la pénitence.

LERICE

Que nous avons le tort?

FOSSINDE

Que vous avez le tort.

MÉNANDRE

Que Ménandre a le tort?

FOSSINDE

Oui toi plus que Lerice.

Et qu'a dit Sylvanire

Qu'avec raison quelqu'un puisse blâmer?

MÉNANDRE

Que n'a-t-elle pas dit?

Que n'a-t-elle pas fait?

FOSSINDE

Elle a dit des paroles

Pour émouvoir des rochers insensibles:

Elle a pleuré, mais des pleurs qui pouvaient

Faire pleurer par la compassion

Et des ours et des tigres.

MÉNANDRE

Elle s'en est allée?

FOSSINDE

Elle s'en est allée:

Mais pleine de respect

Elle a fait à tous deux

Une humble révérence

Avant que de partir.

MÉNANDRE

Donc, Fossinde, à ton opinion

On peut payer un père et une mère

Par une révérence?

Il faut qu'en ton pays

Il en soit cette année

Une grande cherté

De telles révérences,

Puisque l'on paye ainsi

Les devoirs qui sont dûs

Au père et à la mère.

FOSSINDE

Je vois bien qu'il est vrai,

Quoi que jusques ici

J'aie eu peine à le croire.

MÉNANDRE

Qu'est-ce que tu veux dire?

FOSSINDE

Je veux dire, Ménandre,

Que le gentil Sylvandre,

Sylvandre ce berger

Qui de tous les bergers

Est estimé le plus sage et prudent,

Peu de jours sont passés

Disait avec raison,

Qu'il s'estimait le plus heureux berger

De toute la contrée,

En ce que tous l'estimaient malheureux.

Car chacun, disait-il,

Me croit infortuné

De ne connaître point

Mon père ni ma mère.

Et certes il est vrai

Que j'eusse bien voulu

Les connaître tous deux,

Afin de les servir

Comme les dieux m'obligent.

Mais que mon heur est grand,

Quand je vois au rebours

Des pères et des mères

L'humeur insupportable,

Qui traitent leurs enfants,

Non comme leurs enfants,

Mais comme leurs esclaves,

Ne leur demandant pas

Des devoirs, des respects,

Mais bien des servitudes.

Telles se peuvent dire

Les dures tyrannies,

Que souffrent les enfants

Sous le titre menteur

De cette obéissance

Que les pères demandent.

Car réponds-moi, Ménandre, je te prie.

Qu'a commis Sylvanire,

Qui puisse ainsi te faire plaindre d'elle?

T'a-t-elle répondu,

Avec peu de respect?

N'a-t-elle pas avec patience

Enduré les injures

Qu'il t'a plu de lui dire!

MÉNANDRE

Que voulais-tu qu'elle fît davantage?

Ne m'a-t'elle pas dit

Qu'elle ne voulait point

De ce riche Théante?

FOSSINDE

Peut-être qu'en son âme

Elle l'a bien pensé:

Mais de te l'avoir dit,

Ménandre, tu te trompes,

Elle a bien dit vouloir suivre Diane,

Ou bien être druide,

Ou vestale sacrée.

MÉNANDRE

Mais je ne le veux pas.

FOSSINDE

Et si les dieux le veulent?

MÉNANDRE

Les dieux ne veulent rien

Contre raison de nous.

FOSSINDE

C'est raison qu'elle soit

À qui nous sommes tous.

MÉNANDRE

Et toi voudrais-tu bien

Suivre Diane aussi?

FOSSINDE

Si pour père j'avais

Un Ménandre, je pense,

Je le dirais ainsi.

MÉNANDRE

Que je t'estime au moins,

Fossinde, de le dire.

FOSSINDE

Et pourquoi le disant,

Blâmes-tu Sylvanire?

MÉNANDRE

Sylvanire est ma fille,

En toi qu'ai-je à connaître?

FOSSINDE

Dieu me garde de l'être,

Puisque par force il se faut marier

À celui qu'à ton gré

Il te plaît de choisir.

MÉNANDRE

Tu te choisiras donc

Toute seule un mari?

FOSSINDE

Mon père comme toi

N'en sera pas marri.

MÉNANDRE

Je ne saurais penser

Qu'Alcas le trouve bon,

Ni qu'il le doive faire:

Mais chacun toutefois

Fasse ce qu'il lui plaît.

FOSSINDE

Quoi? Que pour moi mon père

En choisit un si laid?

MÉNANDRE

Pourvu qu'il eût du bien.

FOSSINDE

Jamais, jamais, un mari pour le bien

Ne sera mien.

MÉNANDRE

Que faut-il davantage?

FOSSINDE

Qu'il ait un beau visage,

Et qu'il soit honnête homme.

MÉNANDRE

L'homme jamais ne se peut dire laid,

Pourvu qu'il le soit moins

Qu'un démon ne l'est pas.

FOSSINDE

Proverbe remarquable:

Pour moi je le veux beau,

Ou bien je n'en veux point,

Si je rencontre au milieu de la rue

De ces visages faits

En dépit des visages,

Et d'horreur et de peur

Ils me font tressaillir,

Et que ferais-je, ô dieux,

Si je les rencontrais

Dans un lit toute seule?

Qu'on ne m'en parle point,

Pour moi j'aime les beaux,

Et je vois que les hommes

Aiment aussi les belles.

LERICE

Et bien, Fossinde, étant ton humeur telle,

Quand on voudra te donner un mari,

Nous te le ferons faire

Expressément; car comme tu le veux

Il ne s'en trouve point

Si l'on ne les commande.

SCÈNE V

Tirinte, Alciron.

TIRINTE

Mais est-il bien possible

Que ce miroir ait si grande vertu?

ALCIRON

N'en doute point, Tirinte,

Fais seulement qu'elle y jette les yeux,

Et tu verras un effet admirable.

TIRINTE

Quel effet fera-t-il?

ALCIRON

Contente toi, berger,

Que tel sera l'effet

Que ton coeur le désire.

TIRINTE

Crois-tu qu'il puisse faire

Que Sylvanire m'aime?

ALCIRON

Que vas-tu recherchant?

Contente toi que je la remettrai

Entre tes mains, cette belle cruelle.

TIRINTE

Du consentement d'elle.

ALCIRON

Ô la plaisante humeur!

Tirinte je te dis

Que si dans ce miroir

Sylvanire regarde,

Rien ne peut empêcher

Qu'elle ne soit à toi:

Et n'es-tu pas content

Si tienne elle peut être?

TIRINTE

Je le suis pour certain.

ALCIRON

Mais écoute berger

Garde-toi bien toi-même

D'y regarder dedans.

TIRINTE

Est-ce un enchantement?

ALCIRON

Je ne suis pas, Tirinte,

De ceux qui par leurs vers

Ensanglantent la lune,

Ou qui de leurs regards

Les troupeaux ensorcellent:

Mais ce miroir de sorte est composé

De choses naturelles,

Que dès que Sylvanire

Les yeux y jettera,

Assure-toi que tienne elle sera:

Mais vois-tu bien de crainte qu'en quelque autre

Même effet il ne fasse

Ressouviens-toi, berger,

De l'ôter de ses mains,

Sans qu'elle prenne garde,

Que ce soit à dessein:

Que si tu ne peux mieux

Fais semblant de le rompre,

Ou le romps en effet,

Quoi qu'il vaille beaucoup,

J'aime mieux toutefois

Qu'il te serve à ce coup,

Ainsi que tu désires,

Et qu'il se rompe après t'avoir servi.

Que s'il t'advient, écoute bien, berger,

D'y regarder peut-être par mégarde:

Ne sois point paresseux

De me venir trouver,

Afin que je te donne

Le remède qu'il faut

Contre le mal qui t'en arriverait.

TIRINTE

Que ne devrai-je point

À mon cher Alciron,

Si par un tel moyen

J'obtiens le bien que mon âme désire?

ALCIRON

Aime-moi seulement.

TIRINTE

Je t'aimerai, mais éternellement.

ALCIRON

Surtout ressouviens-toi

De ne point t'étonner,

Pour chose que tu vois:

Car je t'assure, et cela sur ma vie

Que tout réussira

À ton contentement.

SCÈNE VI

TIRINTE

Or cessez mes soupirs,

Tarissez-vous mes pleurs,

Adieu tristes pensées,

Désespoirs qui vouliez

Toujours m'accompagner,

Je vous bannis de moi,

Votre temps est passé,

Vous n'avez plus de commerce en mon âme,

Ni mon âme avec vous,

Trop longuement mon coeur vous a permis

De loger avec lui,

Le bonheur maintenant

Occupe votre place,

Et le destin se plaît même de voir

Que ma fidélité

Surmonte son pouvoir.

Des grands dieux je n'envie,

Ni le nectar, ni la douce ambrosie, (29)

Ni de tous les humains

Le bonheur le plus grand:

Rien de mortel ne saurait égaler,

Ni même la pensée,

L'heur que j'attends de cet heureux miroir.

Ô cher miroir sois ministre fidèle,

Ne déçois point l'espoir que j'ai de toi;

Et si les dieux dans les cieux ont bien mis

Une balance, un navire, un autel,

Un dard, une couronne;

Pourquoi miroir plus digne mille fois

D'être mis dans les cieux

Ne t'y mettront-ils pas?

Dès ici je consacre,

Si tu me fais ce bien,

Un saint autel à ta divinité,

Et par raison ne te devrai-je pas

Estimer comme un dieu,

Si tu me fais le bien

Que tous les dieux tant de fois invoqués,

Mais invoqués en vain,

Jamais ne m'ont pu faire?

Mais dieu quelle fortune!

Tout rit à mon dessein,

Voici venir la belle Sylvanire.

Ô déité qu'en ce miroir j'adore

Sois propice à mes voeux,

Dénoue en moi la langue

Et lui serre le coeur.

SCÈNE VII

Sylvanire, Fossinde, Tirinte.

SYLVANIRE

Faut-il toujours que quelqu'un je rencontre

Qui trouble mon repos?

FOSSINDE

Cette rencontre est peu désagreéable,

Elle se peut souffrir

Sans danger de mourir.

SYLVANIRE

Je sais fort bien, Fossinde,

Que ce n'est pas celle d'un basilic,

Pour le moins que sa vue

Ne blesse ni ne tue.

FOSSINDE

Elle blesse, elle tue,

Sylvanire, sa vue,

Les coeurs le savent bien,

Et si ce n'est le tien

Pour cela ne crois pas

Qu'un autre ne l'épreuve.

Mais berger Dieu te garde.

TIRINTE

Dieu garde Sylvanire.

SYLVANIRE

Et toi gentil berger.

FOSSINDE

Et moi, Tirinte, ô dieux,

Ne dois-je point avoir

De part en ton salut?

TIRINTE

Malaisément t'en puis-je faire part,

Puisque moi-même, hélas,

Pour moi je ne l'ai pas.

FOSSINDE

Si tu voulais, Tirinte,

Aimer celle qui t'aime,

En me rendant heureuse

Ton heur serait extrême.

TIRINTE

Vous belle Sylvanire,

Si vous vouliez aussi

Bien aimer qui vous aime,

En me rendant heureux

Votre heur serait extrême.

SYLVANIRE

Tirinte je t'ai dit

Et mille et mille fois,

Mets fin à tes ennuis,

Car t'aimer je ne puis.

TIRINTE

Fossinde je t'ai dit

Et mille et mille fois,

Mets fin à tes ennuis,

Car t'aimer je ne puis.

FOSSINDE

Tu ne me peux aimer,

Ô Tirinte cruel!

TIRINTE

Vous ne pouvez m'aimer,

Cruelle Sylvanire.

SYLVANIRE

Ce que j'ai dit, berger, te doit suffire.

TIRINTE

Ce que j'ai dit ne doit-il te suffire?

FOSSINDE

Mais quoi mon amitié?

TIRINTE

Mais quoi mon amitié?

SYLVANIRE

Quelqu'autre en ait pitié.

TIRINTE

Quelqu'autre en ait pitié.

FOSSINDE

Ô cruelle parole!

TIRINTE

Ô cruelle parole!

SYLVANIRE

Que le ciel te console.

TIRINTE

Que le ciel te console.

FOSSINDE

D'autre salut, berger,

N'en dois-je espérer point?

TIRINTE

D'autre salut, bergère,

N'en dois-je espérer point?

SYLVANIRE

Point.

TIRINTE

Point.

FOSSINDE

Ô cruauté!

TIRINTE

Ô cruauté!

SYLVANIRE

            Que veux-tu que j'y fasse,

Si telle est la disgrâce

De ton cruel destin?

TIRINTE

Que veux-tu que j'y fasse,

Si telle est la disgrâce

De ton cruel destin?

FOSSINDE

Ce n'est pas le destin,

Mais c'est ta volonté

Qui t'endurcit en cette cruauté.

TIRINTE

Ce n'est pas le destin,

Mais c'est ta cruauté

Qui t'endurcit en cette cruauté.

SYLVANIRE

Non, non, crois-moi, Tirinte,

Ce n'est point cruauté

Qui me contraint d'en user de la sorte.

TIRINTE

C'est donc dédain.

SYLVANIRE

Ce n'est dédain non plus,

Je ne vois en Tirinte

Chose dont puisse naître

Ni dédain ni mépris.

FOSSINDE

Que ne me réponds-tu

Pour le moins ces paroles,

Malicieuse Echo?

TIRINTE

Laisse-moi je te prie,

J'ai bien la tête ailleurs:

Mais, belle Sylvanire,

Est-il bien vrai que dédain ni mépris

Pour mon sujet ne soit dans votre coeur?

Rendez m'en témoignage.

SYLVANIRE

Et quel le voudrais-tu?

TIRINTE

Recevez, Sylvanire,

Mon coeur que je vous donne.

FOSSINDE

Je le reçois.

TIRINTE

Ô l'importune fille!

SYLVANIRE

Donne le lui, Tirinte.

FOSSINDE

Elle dit bien, Tirinte,

Fais ce qu'elle te dit.

TIRINTE

Eh laisse-moi, Fossinde,

Quelle mouche importune?

Mais vous, belle bergère,

Voulez-vous recevoir

Le coeur que je vous offre?

SYLVANIRE

Tirinte je ne puis:

Une fille bien sage,

Au moins de mon humeur,

Se contente d'avoir

Puissance sur son coeur.

FOSSINDE

Et bien, bien, Sylvanire,

Un jour, un jour, vous saurez que m'en dire.

SYLVANIRE

Lors comme alors, mais maintenant je suis

De l'humeur que je dis.

TIRINTE

Aussi je vous confesse

Que vainement je vous faisais cette offre:

Car dès longtemps

Je ne l'ai plus ce coeur,

Je le vous ai donné

Dès que je vous ai vue;

Et toutefois, s'il est vrai qu'un mépris

Ne soit point le sujet

Du refus que vous faites,

Recevez pour le moins

Ce fidèle miroir

Que je vous offre, il vous dira pour moi

De mon affection

La cause légitime,

En vous représentant

Par une vraie image

La beauté qu'il verra,

Lorsque vous le verrez.

Dieux! Vous le refusez.

SYLVANIRE

Je ne refuse pas

Ce que tu me présentes:

Mais je consulte en moi

Si je le puis sans blâme recevoir.

TIRINTE

Et pourquoi, Sylvanire,

Le refuseriez vous?

SYLVANIRE

Les dons des ennemis

Sont suspects en tout temps.

TIRINTE

Je suis votre ennemi?

Je suis donc le mien même.

SYLVANIRE

L'amant est ennemi,

Si sans raison il aime.

TIRINTE

Est-ce aimer sans raison

Qu'aimer votre beauté?

SYLVANIRE

Quel amant n'aime point

Contre l'honnêteté?

TIRINTE

Tirinte pour le moins.

SYLVANIRE

Ils disent tous ainsi:

Qui m'en sera témoin?

TIRINTE

J'en demande du ciel,

Qui contient et voit tout,

L'assuré témoignage.

J'appelle du soleil

La lumière éternelle,

Qui ne voit seulement

L'univers tout entier;

Mais sans qui l'on ne peut

Rien voir en l'univers.

Je l'appelle à témoin,

Et tous les dieux ensemble,

Ceux du ciel, ceux de l'air,

De la terre et de l'onde,

Et des abîmes creux

Où commande Pluton,

Qu'ils reprochent en moi

L'amour que je vous porte,

Et punissent mon coeur,

Si mon affection

Ne s'est toujours tenue

Dedans les lois du plus étroit honneur.

SYLVANIRE

Oh! Les dieux ne punissent,

Comme on dit, les serments

Des parjures amants:

Mais toutefois je crois ce que tu dis,

Et sous cette assurance

Tirinte je reçois

Ce que tu me présentes:

Mais à condition

De ne le retenir

Qu'autant qu'il me plaira.

TIRINTE

Et moi, bergère, et tout ce qui de moi

Sera jamais, de votre volonté

Recevra l'ordonnance,

Sans s'y point opposer,

Hormis mon coeur: mais celui-là jamais

Ne vous éloignera,

Quoi que vous puissiez dire.

Heureux miroir, heureux je te puis dire,

Et plus heureux que celui qui te donne

Au mystère d'amour,

Élu par l'amour même:

Souviens-toi que je l'aime,

Et l'en fais souvenir

Jusqu'à ce qu'elle sente

En sa propre personne,

Qu'amour jamais l'aimer

À l'aimé ne pardonne.

SYLVANIRE

Sans mentir il est beau,

Et je le crois plus fidèle peut-être

Que n'était pas son maître.

Mais qu'est-ce que je sens,

Je suis toute étourdie.

TIRINTE

Ô bon commencement!

FOSSINDE

Je le veux voir aussi,

Donnez-le moi ma soeur.

TIRINTE

Non, belle Sylvanire,

Ne le lui donnez pas;

Ce qu'aux dieux on consacre,

D'une main si profane

Ne doit être touché.

FOSSINDE

Voyez le dédaigneux:

Ce qu'aux dieux on consacre,

D'une main si profane

Ne doit être touché:

Mais, discourtois berger,

Je le verrai, quoi que tu saches faire.

TIRINTE

Tu ne le verras pas,

Quand je le devrais rompre.

SYLVANIRE

Tiens, berger, ton miroir,

Je suis tant hors de moi

Que presque je ne sais

En quel monde je suis.

FOSSINDE

Donne le moi, berger,

Me veux-tu refuser

Le refus de quelque autre?

TIRINTE

Importune bergère,

Cesseras-tu jamais?

En cent pièces plutôt,

Que de te le donner,

Sous les pieds je le foule.

Voyez cette importune!

SCÈNE VIII

FOSSINDE

Donc sera-t-il vrai

Que je prie et supplie

Celui qui me dédaigne,

Et qui plein de mépris,

Plus je le vais suivant,

Et plus s'enfuit de moi?

Sera-t-il vrai que par des vaines plaintes

De ce cruel j'aiguise la rigueur?

Et pourrai-je souffrir

De me voir dédaignée

De celui qu'on dédaigne?

De ce double mépris

Tirons, Fossinde, ah! Tirons un remède

Qui nous puisse guérir,

C'est honte de souffrir

Pour un amant qui souffre pour un autre,

Et qui quand il voudrait

Ne saurait être notre.

Rompons-les donc, ces chaînes trop honteuses,

Rompons-les ces liens

Dont mon coeur fut étreint,

Et d'un libre courage

Sortons de ce servage:

Et disons en sortant,

Inutile constance,

Honteuse patience,

Mon coeur est allégé.

Adieu triste pensée

D'une amour insensée,

Je vous donne congé.

Mais dieu qu'il est aisé

D'avoir un tel dessein,

Et qu'il est malaisé

De le mettre en effet.

Je pourrai donc n'être plus à Tirinte,

J'en dénouerai les noeuds,

Ou bien je les romprai:

Mais comment peut-il être,

Que sans être à Tirinte

Fossinde je puisse être?

SCÈNE IX

Fossinde, Satyre.

FOSSINDE

Mais qu'est-ce qui me tient

Ô dieux! C'est le satyre.

À l'aide, à l'aide, accourez mes compagnes:

Bergers à l'aide, hélas secourez-moi!

SATYRE

Crie et crie à ton gré,

Nous les verrons venir,

Ces filles déguisées

En tendres jouvenceaux:

Nous verrons leur courage,

Leur force et leur adresse:

Que s'ils te peuvent mettre

Hors de mes mains, aime-les plus que moi,

Tu n'auras point de tort.

FOSSINDE

Gentil Satyre, honneur de ces forêts?

SATYRE

Me suis-je pas en peu d'heure rendu

Gentil Satyre honneur de ces forêts?

Mais ce n'est que depuis

Que je te tiens liée.

FOSSINDE

Détache-moi, Satyre.

SATYRE

Non, non, trompeuse, il faut que plus longtemps

Je sois gentil Satyre,

Honneur de ces forêts.

FOSSINDE

Détache-moi, Satyre,

Et crois qu'en liberté Je te ferai paraître

L'amour que je te porte.

SATYRE

Je ne veux pas, je ne veux pas, finette,

De l'amour que tu dis

Avoir plus d'assurance

Que celle que j'en ai,

Je sais bien que tu m'aimes

Comme l'agneau le loup,

Je n'en suis point en doute.

FOSSINDE

Satyre tu te trompes,

Je t'aime, il est certain,

Pourquoi ne t'aimerais-je?

Que peut-on voir en toi

Qui ne se doive aimer?

Mais tu sais que les filles

N'osent le plus souvent

Déclarer leur amour.

SATYRE

Puisqu'il est vrai, Fossinde,

Que tu m'aimes si fort,

Et comme je le crois,

Tu dois être bien aise

De venir avec moi

Dans l'antre où je demeure.

FOSSINDE

Je le veux bien: mais détache ces noeuds.

SATYRE

Les dénouer, ô folle, il ne faut pas,

Car ton amour dépend

De cet enchantement.

Je veux dire, Fossinde,

Qu'aussitôt que ces noeuds

Se verront détachés,

Encore plus soudain

Se dénouera l'amour que tu me portes.

Mais c'est assez parler,

Allons, Fossinde, allons,

Si tu ne viens de bonne volonté

J'userai de la force,

Tu sais bien si j'en ai.

FOSSINDE

Moi te suivre brutal

Honte de la nature,

Qui ne tiens rien de l'homme

Qu'un peu de la figure?

Ah j'aime mieux la mort!

Ô bergers, au secours,

Au secours mes compagnes,

Ô dieux secourez-moi!

SATYRE

Vains sont tous tes efforts

Et tes injures vaines,

Enfin il faut venir.

SCÈNE X

Adraste, Fossinde, Satyre.

ADRASTE

La femme, il est certain,

Ressemble au médecin,

Elle en fait plus mourir

Par ses trompeurs appas

Qu'elle n'en guérit pas.

FOSSINDE

Adraste, Adraste, Adraste?

ADRASTE

Adraste, et qui l'appelle?

SATYRE

Appelle Adraste autant qu'il te plaira;

Appelle encor Tirinte,

Pour t'ôter de mes mains:

Autant vaut l'un que l'autre:

Allons, allons, te dis-je.

FOSSINDE

Au secours, au secours,

Adraste vois Doris

Que Palemon emmène.

ADRASTE

Que Palemon emmène?

Laisse-la Palemon,

Laisse-la ma Doris,

Tu l'as assez gardée:

En dépit de l'amour,

Je la veux à mon tour:

Laisse-la ma Doris,

Elle est à moi, c'est mon chien qui l'a pris.

SATYRE

Adraste vois-tu pas

Que ce n'est pas Doris?

FOSSINDE

C'est Doris, vois-tu pas

Que Palemon l'emmène?

ADRASTE

Ô que c'est bien Doris;

Tu me voudrais tromper,

Je la veux à mon tour,

Tu l'as assez gardée,

En dépit de l'amour.

SATYRE

Non, tu ne l'auras pas.

ADRASTE

Donc je ne l'aurai pas?

Tu la veux, je la veux,

Nous verrons qui des deux

Sera le maître.

FOSSINDE

Sois Hesus à mon aide!

SATYRE

Ô dieux, ô dieux, comme elle m'a surpris!

Ô la malicieuse,

Comme elle a pris son temps

Pour me croiser la jambe.

FOSSINDE

Ô que dieu soit loué,

Me voila démêlée

Des mains de cette bête.

SATYRE

Ah je suis tout froissé!

Le méchant animal

Qu'une femme en effet,

Qui ne fait jamais mal,

Quand le dépit l'émeut,

Sinon quand elle peut.

FOSSINDE

Tu mens, vilain Satyre,

Fils de cornu, cornard,

Et père d'encorné. (30)

Ô le bel amoureux!

N'en a-t-il pas la mine?

Il t'en faut donc des Nymphes;

Il te faut des Fossindes;

Il te faut une hart

Pour t'attacher au sommet de cet arbre.

SATYRE

Va que jamais puisses-tu revenir.

Ô dieu les bras! ô dieu la tête! ô dieu

La hanche, et tout le corps!

ADRASTE

Ô pauvre Palemon

L'amour te coûte cher.

Il est tombé il le faut secourir:

Mais ô grands dieux le vilain Palemon!

Dieux! Il est tout velu.

Dieux! Qu'est-il devenu?

Ne sont-ce pas des cornes

Qu'il porte sur la tête?

Ô ce sont bien des cornes,

Mais de parfaites cornes.

Ô Palemon, et qui l'eût jamais cru?

Aussitôt marié

Tout aussitôt cornu?

Mais dieux! Quels sont tes pieds?

Ce n'est donc pas assez

D'avoir au front des cornes bien plantées;

Tu veux encor de plus

Avoir les pieds cornus,

Sont-ce du mariage

Les plus beaux avantages?

Si tous ceux qui s'épousent

En ont autant que toi,

Fi, fi, du mariage

Et de ses avantages,

Garde les Palemon

Je n'en veux point pour moi:

Ô dieu le mariage

A fait d'un Palemon

Une bête sauvage.

SATYRE

Le grand saut que j'ai pris,

Je ne puis plus marcher:

Que maudit soit la femme!

Que maudit soit l'amour!

Maudit qui l'engendra,

Maudit qui l'allaita,

Et maudit soit qui jamais le suivra.

LE CHOEUR

Les mortels sont toujours en guerre,

Nul n'a repos dessus la terre:

Si la fortune est dans la cour,

Dedans nos bois aussi nous trouble amour.

Dans les grandes cours la fortune

Fait sa demeure plus commune,

Comme le foudre tournoyant

Les hautes tours va plutôt foudroyant.

Nous dans l'épais de nos bocages,

Bien qu'exempts de si grands orages,

D'amour nous ressentons les coups

Non moins cruels, quoi qu'ils semblent plus doux.

Mais bien qu'autrement on le pense,

Amour plus aigrement offense

Ceux desquels il est le vainqueur;

Car tous ses coups ne s'adressent qu'au coeur.

Ainsi d'une guerre ordinaire

Ce que fortune ne peut faire,

Amour le fait plus finement,

Afin que nul ne vive sans tourment.

ACTE IV

ACTE IV

SCÈNE I

Aglante, Tirinte, Hylas.

AGLANTE

Tirinte il est certain

Que j'aime et que j'adore

Une beauté, que rien du tout n'égale

En son extrémité

Que ma fidélité.

TIRINTE

Celle de qui mon coeur

Honore le mérite,

Aglante, est un soleil,

Et je suis le phoenix

En ma fidélité,

Qui brûle à son bel oeil.

HYLAS

Et moi j'en adore une

Faite comme la lune,

C'est à dire inconstante,

Et si je m'en contente.

AGLANTE

Celle de qui les beaux yeux m'ont surpris,

Tirinte, en sa beauté

Est vraiment un soleil:

Mais un soleil, ô dieux,

Si glorieux qu'il ne veut pas permettre

Que son phoenix en mourant je puisse être.

TIRINTE

Et celle que j'adore

Est si bien sans égale,

Qu'encore que ma foi

Et mon affection

Soient enfin parvenues

À toute extrémité,

Si sont-elles, Aglante,

Moindres que sa beauté.

HYLAS

La mienne est toute telle

Que la tienne, Tirinte,

Quoi qu'elle ne soit pas

Des plus belles du monde,

Parce que sa beauté

Est plus grande beaucoup

Que ma fidélité.

Et telle que tu dis,

Aglante, qu'est la tienne,

Toute telle est la mienne;

Car je ne puis, quoi que je sache faire,

Être son seul phoenix,

Parce que la folâtre

En veut toujours pour le moins trois ou quatre.

Mais, Aglante, dis-moi,

Et dis-le aussi, Tirinte,

Dites-le moi tous deux

Quelles sont ces deux belles?

AGLANTE, TIRINTE

Belles.

HYLAS

Belles aux yeux

Qui comme vous les voient.

AGLANTE

Qui la voit autrement,

Celle pour qui mon coeur

Est tout rempli de flamme,

Est bien aveugle, Hylas,

Et s'il ne le sait pas.

TIRINTE

Qui dirait le soleil

N'avoir point de lumière,

On dirait par raison

Que son oeil n'y voit guère;

Mais de celle que j'aime

Qui ne voit la beauté

Extrême comme elle est,

On peut assurément

Dire qu'extrême est son aveuglement.

HYLAS

Soit ainsi que vous dites,

Je m'en remets à vous,

Si tous deux vous croyez

À vos mêmes paroles:

Mais ce que je demande,

C'est de savoir enfin

Quel fut le trait

Dont amour se servit

Pour faire vos conquêtes.

AGLANTE, TIRINTE

Beau.

HYLAS

Beau vous l'avez dit,

Je ne demande pas

Si vous le trouvez beau:

Mais qui sont ces beaux yeux?

AGLANTE

Hylas, c'est l'oeil qui d'un clin de paupière,

La haussant ou baissant,

Peut, s'il lui plaît, enflammer tous les coeurs

D'amour et de désir,

Quoi qu'ils eussent en eux

Tous les glaçons et les neiges plus froides,

Dont en tout temps blanchissent du mont d'or

Les sommets plus chenus,

Et les rochers plus nus.

HYLAS

Dis-le plus clairement.

TIRINTE

C'est l'oeil qui désarmant

Pour un moment sa beauté de dédain,

Peut désarmer l'âme la plus barbare,

Contre sa volonté,

De toute liberté.

HYLAS

Ce n'est encor assez.

AGLANTE

C'est l'oeil, Hylas, c'est le bel oeil qui peut,

Toutes les fois qu'il veut,

Écrire d'un seul trait

Dans le coeur des humains

Les lois plus rigoureuses,

Qui se puissent trouver

Dans le règne d'amour,

Sans qu'un seul coeur

Ose ou puisse espérer

De ravoir sa franchise

À telles lois soumise.

HYLAS

Dis-le moi d'autre sorte.

TIRINTE

C'est l'oeil, Hylas, c'est l'oeil qui doucement

Brûlant d'amour tout autre,

N'élance dans mon coeur

Que foudre et que rigueur.

HYLAS

Ni même encor ne le connais-je pas,

Cet oeil dont vous parlez.

AGLANTE

Si quand on dit, que la terre, ô berger,

De ce germe fécond

Qu'elle reçoit du ciel,

D'agréable parure

S'embellit de nouveau:

Si quand on dit, qu'amour va rallumant

Au coeur de la nature

Ses flambeaux à moitié

Sous la neige assoupis

D'un rigoureux hiver:

Si quand on dit, que mille fleurs nouvelles

Émaillent à l'envi

Le beau sein de nos prés,

Et qu'on voit par les champs

La douce tourterelle,

La simple colombelle, (31)

Avec leurs compagnes

Redoubler leurs baisers,

Et montrer le transport

Qu'amour fait naître en elles

D'un trémoussement d'ailes;

Et que tout amoureux

Le rossignol mignard

Vole de branche en branche,

De bocage en bocage,

Invitant sa compagne

Par sa douce harmonie

À l'amour qui le lie,

Nous entendons sans doute le printemps:

Pourquoi de même aux effets que je dis,

Ne reconnais-tu l'oeil

Qui cause mon trépas?

HYLAS

Je ne le connais pas.

TIRINTE

Si quand on dit, que la terre altérée

Béante en mille lieux

D'extrême sécheresse,

Désire l'eau pour alléger l'ardeur

Qui la sèche et la cuit:

Si quand on dit, que le dieu de Lignon

Découvre de son lit

En divers lieux les humides cachettes,

Faute de l'eau qu'un soleil trop ardent

Lui sèche et lui consume;

Nous entendons incontinent l'été:

Pourquoi de même aux effets que je dis,

Ne reconnais-tu pas

Le bel oeil que j'adore?

HYLAS

Je ne le puis encore.

AGLANTE

Si quand on dit, que les fruits sur la branche

Vont jaunissant

Des feuilles dépouillés,

Que nos fertiles champs

Où Cerès ondoyait

Sur des épis dorés,

Veufs des riches moissons

Qu'ils avaient autrefois,

N'ont pour toute parure

De leurs sillons, que le chaume resté

Témoin des doux larcins

Du courbé moissonneur:

Si quand on dit, que les dons de Bacchus

Rougissent sous le pampre,

Retortillé de cent plis l'un sur l'autre;

L'on sait que c'est l'automne:

Pourquoi de même aux effets que je dis,

Ne reconnais-tu l'oeil

Dont la beauté me poingt?

HYLAS

Je ne la connais point.

TIRINTE

Si quand on dit, que les vents courroucés

L'un contre l'autre

Animent la fureur

D'un dangereux orage:

Si quand on dit, que nos plaisants ruisseaux

Vont arrêtant leur pas

Sous la croûte endurcie

De leur cristal, pour avoir vu peut-être,

Non pas d'une méduse,

Mais des froideurs le visage effroyable;

Nous entendons l'hiver:

Pourquoi de même aux effets que je dis,

Ne reconnais-tu l'oeil

Qui me met au cercueil?

HYLAS

Or sus je le connais,

Je le connais enfin

Cet oeil dont vous parlez,

C'est le bel oeil de Stelle,

De Stelle la bergère,

De toutes les bergères

Celle que j'aime mieux.

AGLANTE

Nous amoureux de Stelle?

TIRINTE

Elle n'est pas, ce me semble, assez belle.

HYLAS

C'est elle toutefois,

Qui peut d'un seul clin d'oeil

Me surprendre le coeur

Qu'elle retient encore.

Et c'est elle qui peut

M'écrire avec cet oeil

Les pures lois d'amour

Dans le plus sain de l'âme;

Ainsi faisant en moi

Les effets que vous dites,

N'ai-je raison de dire que c'est elle?

AGLANTE

Tu te trompes, berger,

Non, non, ce n'est pas elle,

Stelle est belle, il est vrai:

Mais combien s'en faut-il

Qu'elle n'arrive à la beauté de celle

Que j'adore en mon coeur?

Figure toi que toutes les beautés

Que la nature a faites,

Étant jointes ensemble,

Pour embellir un sujet de tout point,

Auprès de celle-ci

Resteraient imparfaites.

TIRINTE

Figure toi, berger,

Que celle que j'adore,

Comme un soleil surpasse

Toutes autres clartés,

Elle surpasse aussi toutes beautés.

HYLAS

Vous le dites ainsi:

Mais voyez vous, bergers,

J'en jurerais de même

De celle aussi que j'aime:

Mais je dis tout autant

Que vous sauriez tous deux

Jurer et rejurer,

Et parjurer encore:

Je sais bien toutefois

Que vous n'en croyez rien,

Aussi ne fais-je pas

De ce que vous me dites.

Donc pour savoir qui de nous a raison

Prenons un juge, et ce qu'il en dira,

Soit banni de l'amour

Qui ne l'avouera.

SCÈNE II

Hylas, Aglante, Tirinte, Fossinde.

HYLAS

Tout à propos, bergers,

Ne voici pas le juge qu'il nous faut?

AGLANTE

Je la veux bien pour telle.

HYLAS

Et moi je la veux bien

Pour juge et pour maîtresse,

Je n'en refuse point

Qui soient faites comme elle.

FOSSINDE

Tirinte, et toi pour quelle veux-tu?

TIRINTE

Je ne te veux pour rien

Que pour une importune.

AGLANTE

Il semble que Tirinte,

Pour ne sortir du devoir de berger

Envers si belle fille,

Soit obligé de parler d'autre sorte.

TIRINTE

Aglante, te plaît-elle?

AGLANTE

Elle me plaît comme elle me doit plaire.

Je veux dire, Tirinte,

Que sa beauté, sa vertu, son mérite

Obligent tout berger

À l'honorer, à l'aimer et servir.

TIRINTE

Or s'il est vrai qu'elle te plaise tant,

Prends-la, je te la donne,

Et ne m'en parle plus.

HYLAS

Oui-da je la prendrai,

Et de bon coeur encore.

FOSSINDE

Laisse, Hylas, laisse-moi,

Tu n'es pas pour Fossinde,

Ni Fossinde pour toi,

Stelle en appellerait.

Mais voyez je vous prie,

Voyez le dédaigneux,

Je suis son importune:

Aglante, ce dit-il,

Prends-la, je te la donne,

Et ne m'en parle plus.

Oui, oui, je te la donne:

Comme si tu pouvais

Me donner à quelqu'un:

Et quel pouvoir crois-tu d'avoir, Tirinte,

Dessus Fossinde afin de la donner?

Impertinent berger,

Penses-tu bien, peut-être,

Que Fossinde soit tienne,

Ou qu'elle la veuille être?

Non désabuse-toi,

Personne n'eut jamais

Du pouvoir sur Fossinde,

Ni nul jamais l'aura

Qui ressemble à Tirinte.

Malgracieux berger,

Vraiment il est joli

En cette opinion:

Je suis son importune:

Prends-la, je te la donne:

Le libéral berger,

N'est-il pas bien plaisant

De donner de la sorte

Ce qui n'est pas à lui?

Attends, attends, Tirinte,

Attends à me donner

Lorsque je serai tienne,

Et si jusques alors

Tu veux attendre à faire tes présents

Tu n'en feras jamais.

Mais, Aglante, sais-tu,

Sais-tu point la raison,

Pourquoi Tirinte est si fort libéral

Envers Aglante, il faut que tu le saches,

C'est qu'il voudrait, le cauteleux qu'il est,

Le change te donner,

Pour être seul à suivre Sylvanire:

Car il en meurt d'amour.

Mais sois certain, Aglante,

Qu'elle ne l'aime point,

Et que si quelque chose

Elle a jamais aimée,

C'est Aglante sans plus.

Or va, Tirinte, aime bien Sylvanire,

Elle me vengera

De tes impertinences.

SCÈNE III

Le messager, Aglante, Tirinte, Hylas.

LE MESSAGER

Ô dieu quelle pitié!

Quelle compassion!

AGLANTE

Qu'est-ce qu'a ce berger?

LE MESSAGER

Voir cette belle fille

En cet état; car c'est bien la plus belle,

La plus discrète,

Et pleine de mérite

Qui soit en la contrée.

AGLANTE

Qu'est-ce qu'il dit de belle?

LE MESSAGER

Mais voir son père et sa mère affligés

Comme je les ai vus,

Je confesse pour moi

Que je n'en ai ni le coeur ni la force.

Ô dieux! ô dieux quelle extrême pitié!

TIRINTE

Mais de qui parle-t-il?

AGLANTE

De Sylvanire, il n'en faut point douter,

Et le coeur me le dit:

Hylas saches-le un peu,

Je n'ai pas le courage

De le lui demander.

HYLAS

S'il ne parlait de père et de mère,

J'aurais opinion

Que ce serait de Stelle,

Comme étant la plus belle.

LE MESSAGER

Mais ils ont bien raison,

Ce père et cette mère,

De plaindre et de pleurer.

TIRINTE

Gentil berger, Pan te soit favorable.

D'où procèdent tes plaintes?

LE MESSAGER

Quand mes plaintes seraient

Plus grandes mille fois

Qu'elles ne le sont pas,

Encor ne sauraient-elles

Atteindre à la grandeur

Du sujet que j'en ai,

Ou bien pour dire mieux

Que nous en avons tous.

AGLANTE

Que nous en avons tous?

LE MESSAGER

Que nous en avons tous:

Car la perte est commune

À toute la contrée;

Et par ainsi la plainte

En doit être commune:

Car sachez, ô berger!

Sachez que Sylvanire.

AGLANTE

Ah ne l'ai-je pas dit?

LE MESSAGER

L'honneur de ces forêts,

Où la beauté s'admire,

Où la vertu s'estime,

Où la perfection

Est en perfection,

Est proche du trépas,

Si morte elle n'est pas.

AGLANTE

Ah! Sylvanire est morte,

Et toi tu vis encore,

Ô misérable Aglante?

LE MESSAGER

Elle n'était pas morte

Quand la compassion

M'a contraint de partir:

Mais je crois qu'à cette heure

Elle est morte sans doute:

Ces roses et ces lys,

La beauté de sa joue,

Étaient déjà tous pâles et ternis,

Et le corail vivant

De cette belle bouche

En neige était changé.

Les feux qu'en ses beaux yeux

Elle voulait avoir,

Comme un soleil couvert d'épaisse nue,

Avaient déjà leur lumière perdue,

Et partout le visage

On ne voyait qu'une pâleur mortelle:

Encor elle était belle.

TIRINTE

D'où procède son mal?

LE MESSAGER

Personne ne le sait:

Mais on croit toutefois

Qu'elle est empoisonnée.

TIRINTE

Qu'elle est empoisonnée?

LE MESSAGER

Chacun le dit ainsi.

AGLANTE

Or va, berger, et raconte partout

Qu'Aglante ne vit plus,

Et qu'en sa mort, tout son plus grand martyre

C'est n'avoir d'un moment

Devancé Sylvanire.

LE MESSAGER

Secourez-le, bergers, car il évanouit.

Il aimait Sylvanire:

Quelle force d'amour!

Et puis elles n'ont point

De pitié des amants,

Ces cruelles beautés;

S'il n'a secours il est perdu sans doute,

Je vais quérir de l'eau,

Criez lui cependant,

Mais criez fort, qu'elle est encore en vie,

Et que son père et que sa mère aussi

La vont conduire au temple d'Esculape

Pour ravoir sa santé.

Eh! Laissez que je courre

Pour apporter de l'eau.

TIRINTE

Mais avant que partir,

Dis-moi je te supplie

Où Sylvanire était.

LE MESSAGER

Auprès du carrefour

Qu'on nomme de Mercure.

HYLAS

Laisse l'aller, Tirinte,

Le mal nous presse.

TIRINTE

Ô malheureux Tirinte!

Ô faux et déloyal!

Il en mourra le traître,

Et mon coeur trop crédule.

SCÈNE IV

HYLAS

L'homme n'a point de bien

Du tout exempt du mal,

Et quant à moi,

De tous les animaux,

Je crois qu'il est le plus infortuné,

Et je le crois de sorte,

Que si des dieux le plus puissant de tous

Me venait dire, Hylas

Choisis des animaux,

Dont par l'expérience

Tu connais la nature,

Lequel de tous plutôt tu voudrais être,

Et par Styx je te jure (32)

De te donner à ton élection

L'être que tu voudras,

Je choisirais tous les autres plutôt

Que celui d'homme, estimant que de tous

C'est le plus misérable:

Car si nous voulons prendre

Celui qui de chacun

Est nommé malheureux,

N'en cherchons point que l'âne,

La pauvre bête a le plus dur destin,

À ce qu'on dit, de tous les animaux,

Et semble n'être né

Que pour la peine et que pour le bâton;

Et toutefois il n'a que les seuls maux

Qu'il a de sa nature:

Nous au contraire, outre ceux qu'en naissant

La nature nous donne,

De bien plus grands avec notre imprudence

Nous-nous en imposons.

Si quelqu'un parle mal

Nous sommes en colère:

Si quelque chien hurle à l'entour de nous,

Si le sel tombe alors que nous soupons,

Si nous éternuons

À de certaines heures,

Si nous voyons à gauche le croissant,

Si nous choppons au sortir d'une porte,

C'est un mauvais présage,

Et commençons dès lors

À ressentir le mal

Dont nous vont menaçant

Ces mal fondés augures.

Mais ces opinions,

Mais ces ambitions,

Mais ces ardents désirs

Dont amour nous consume,

Dieux! Que sont-ce autre chose

Que des maux ajoutés

Aux maux de la nature?

Et c'est pourquoi nul entre tous les hommes

N'a vécu, qui ne vit,

Ni ne vivra jamais,

Pour heureux qu'il puisse être,

Du tout exempt du mal;

Si bien que l'on peut dire

Avec verité,

Qu'être homme, c'est à dire,

N'être jamais sans mal.

Que ce pauvre berger

Que je tiens en mes bras

En saurait bien que dire.

Pauvre berger, qui dés l'heure qu'il vit

L'ingrate Sylvanire,

N'a jamais eu que peine et que martyre.

Ô folle et des humains

Inhumaine constance,

Quelle erreur insensée

Dedans le coeur de l'homme t'a produite,

Pour le combler entièrement de maux?

N'était-ce pas assez

Qu'Aglante eut de l'amour,

Les espoirs impossibles,

Les desseins mal fondés,

Les désirs insensés,

Les tourments inhumains,

Les passions ardentes?

N'était-ce pas assez

Qu'il ressentit ensemble

Les feux d'amour, les glaces du dédain,

Les coups de la beauté

De cette Sylvanire,

Et ceux de son empire?

Sans que cette folie,

Qu'on appelle constance,

Par des noeuds tyranniques

L'attachât à jamais

À cette servitude,

Comme un Sysiphe au tourment de la roue?

Or le voici surpayé de ses peines,

Le voici presque mort,

Et cet erreur est tellement encore

Dedans son coeur ancrée,

Que s'il revit sans doute il choisira

De remourir cent fois,

Cent et cent fois plutôt,

Que de rompre les noeuds

Qui le font malheureux.

SCÈNE V

Ménandre, Lerice, Hylas, Sylvanire, Le messager, Aglante.

MÉNANDRE

Prends courage ma fille,

Allons jusques au temple

De ce grand Esculape. (33)

SYLVANIRE

Ah! Mon père je meurs.

LERICE

Soutenez-la, Ménandre,

Pour moi je n'en puis plus.

SYLVANIRE

Hélas! Je meurs, ma mère.

MÉNANDRE

Or sus efforce-toi,

Esculape sans doute

Te donnera ta première santé:

Allons au temple, allons.

SYLVANIRE

Ô dieux! Je n'en puis plus.

LE MESSAGER

Enfin j'en ai trouvé,

Voici de l'eau, berger,

Mais je ne sais si ce n'est point trop tard.

HYLAS

Apporte, apporte vite,

Le coeur lui bat encore.

SYLVANIRE

Mais qu'est-ce que je vois?

Eh! N'est-ce point Aglante?

C'est lui sans doute: ô le pauvre berger,

Qui l'a mis en ce point?

HYLAS

C'est Sylvanire. Et toi, berger, apporte,

Donne moi l'eau, pour voir si nous pourrons

Rappeler ses esprits.

SYLVANIRE

C'est Sylvanire. Et comment ce peut-il,

Que sans le vouloir faire

Je l'aie ainsi traité?

HYLAS

C'est le bruit de ta mort:

Mais, berger, je te prie

Jette lui bien de l'eau,

Cependant à l'oreille

Je m'en vais l'appeler.

Aglante, Aglante, ah prends courage Aglante,

Aglante, Aglante.

SYLVANIRE

Il est mort pour certain,

Hélas c'est grand dommage!

Mon père, s'il vous plaît,

Laissez que je me baisse

Auprès de son oreille,

Ma voix peut-être

Aura plus de vertu.

MÉNANDRE

Je le veux bien, ma fille.

LERICE

Dieu qu'elle est charitable,

À moitié morte encore elle a pitié

Du mal d'autrui.

HYLAS

Mais voyez la finesse

Elle le baise: ingénieux amour.

SYLVANIRE

Aglante, Aglante. Écoute Sylvanire,

Sylvanire t'appelle,

Réponds à Sylvanire.

HYLAS

Ô puissance d'amour,

Au nom de Sylvanire

Voyez comme il revient.

SYLVANIRE

Courage, Aglante, ouvre les yeux, et vois

Que voici Sylvanire.

AGLANTE

Quel Mercure puissant

Mon âme a rappelée

Des Champs Élysiens?

HYLAS

Ce n'est pas un Mercure,

Regarde bien, Aglante,

C'est Sylvanire.

AGLANTE

Ô dieux! C'est Sylvanire,

Et je n'adore point

Encor cette beauté

Qui m'a donné la vie?

LE MESSAGER

Quel miracle d'amour!

À sa voix seulement

Il a repris la vie:

Si je ne l'eusse vu,

J'avoue et je confesse,

Que je ne l'eusse cru.

Je m'en vais le conter

Aux bergers d'alentour,

Afin que plus encore

Chacun l'amour honore.

HYLAS

J'en veux faire de même,

Avec toi je m'en vais,

Pour à chacun redire,

Toi la force d'amour,

Et moi de Sylvanire.

SCÈNE VI

Aglante, Sylvanire, Ménandre, Lerice.

AGLANTE

Dieux! Que ne dois-je pas

À cette belle, et très belle bergère,

Pour m'avoir rappelé

De la mort à la vie?

SYLVANIRE

Je n'ai rien fait pour toi

Que je ne dusse faire,

Chacun est obligé

De servir ton mérite.

Mais ne vous plaît-il pas

Que nous allions, mon père,

Rendre nos voeux au temple d'Esculape?

MÉNANDRE

Allons ma fille, il est bien raisonnable

De le remercier

Du bien qu'il nous a fait,

Te redonnant ta première santé.

SYLVANIRE

Dieux! Qu'est-ceci, dieu qu'est-ce que je sens?

Quel mal nouveau, et quelle défaillance

Me prend encore un coup?

Ah! Ma mère je meurs.

LERICE

Mais que sera-ce enfin?

Nous pensions que ton mal

Fut un peu soulagé,

Tout au contraire, au lieu d'allègement,

C'est un rengrégement. (34)

Mais, Aglante, aide-nous:

Elle se meurt, ô dieux!

Elle n'a plus de force.

AGLANTE

Quel étrange accident?

MÉNANDRE

Il ne faut plus espérer en sa vie.

LERICE

Ah mère désolée!

MÉNANDRE

Ah père, non plus père,

Ou père sans enfant!

AGLANTE

Mais fallait-il, hélas!

Eh! Fallait-il qu'Aglante

Revint en vie, afin de voir mourir

Celle qui fut sa vie,

Pour remourir encore

D'une seconde et plus sensible mort?

LERICE

Destin qui me ravis

Ce que jadis le ciel m'avait donné,

Combien en me l'ôtant

Me fais-tu plus de mal,

Qu'en l'octroyant on ne me fit de bien?

AGLANTE

Il fallait donc qu'avec les mêmes yeux

Que j'avais vu tant de rares merveilles,

J'en visse, et j'en pleurasse

La déplorable perte.

À quoi destins me réservez-vous plus?

À quels malheurs m'ordonnez vous encore,

Pour rendre cet Aglante,

Des malheureux en somme,

Le plus malheureux homme?

MÉNANDRE

Ah chère fille! Ah fille que je n'ose

Appeler plus ma fille!

Ah chère Sylvanire!

Est-ce ainsi que le ciel

Trompe nos espérances?

Est-ce ainsi qu'il lui plaît

Se moquer des desseins

Des hommes malheureux?

Hélas j'avais pensé,

Et non point sans raison

Je l'avais esperé,

Puisqu'aux lois de nature

Cet espoir se fondait,

Qu'après avoir été

De mes faibles années

Le support charitable,

Lorsque la mort finirait ma journée

Tu me clorais les yeux

Avec tes propres mains,

Et dedans le cercueil,

M'arrosant de tes larmes,

D'un doux baiser de fille,

Tu me dirais enfin,

Va t'en, va t'en, mon père,

Va t'en en paix pour la dernière fois.

Combien hélas! Combien sont-ils changés,

Par un destin contraire,

Tous ces justes desseins,

Puisqu'il faut que ton père

Te rende les devoirs

Qu'il espérait de recevoir de toi.

AGLANTE

Ô ciel! Que la douleur

Me contraint de nommer

Injuste, ou bien aveugle:

Injuste en m'éloignant

De celle à qui le destin m'a donné;

Aveugle en me voyant,

Qu'aussi bien je ne puis

Vivre éloigné de celle

Pour qui je vis, et pour qui je veux vivre;

Que penses-tu de faire?

Quoi? Me tenir en vie

Et lui donner la mort?

Ah! Nul vivre ne peut,

Lorsqu'il n'a point de coeur,

Et tu me le ravis

Ravissant Sylvanire.

LERICE

Sera-t-il donc vrai,

Ô mon très cher enfant,

Que tu nous sois ôtée,

Sans avoir le loisir

De nous dire un adieu?

Ah! Ne le souffrez pas,

Destins rendez-la moi,

Rendez-la moi, ma chère Sylvanire.

AGLANTE

Que si le ciel veut avoir pour rançon

De quelque autre la vie,

Reçois, destin, la mienne, je te prie.

MÉNANDRE

Mais la mienne plutôt,

La mienne surannée.

AGLANTE

Mais la mienne déjà

Parvenue à tel point,

Que quoi qu'à l'avenir

S'avance mon trépas,

Je ne puis perdre, au malheur où je suis,

Pour chaque jour que des siècles d'ennuis.

LERICE

Ô Sylvanire?

AGLANTE

Ô belle Sylvanire?

MÉNANDRE

Sylvanire, ma fille?

AGLANTE

Ah Sylvanire! Hélas n'oyez-vous point?

Oyez Lerice, oyez Ménandre aussi,

Oyez, oyez Aglante,

Aglante oyez, Aglante.

MÉNANDRE

Ô dieux! Elle revient.

AGLANTE

Elle revient, ô dieux!

LERICE

Sois à notre aide, ô puissant Esculape.

AGLANTE

Courage, Sylvanire,

Ouvrez les yeux, et voyez qu'en vivant

Vous donnez vie à quatre.

MÉNANDRE

Prends courage, ma fille.

LERICE

Vois la douleur amère

Que pour toi souffre, et ton père et ta mère.

SYLVANIRE

Ô puissants dieux, qui tenez en vos mains

Les jours comptez de notre frêle vie,

Permettez m'en autant

Qu'il m'en faut seulement

Pour décharger mon coeur

D'un blâme qui l'oppresse.

Séchez vos pleurs, mon père, je vous prie,

Et vous ma mère aussi,

Souvenez-vous que les dieux ne font rien

Sinon pour notre bien,

Et s'il leur plaît de mes tendres années

Achever ma journée,

Ils le font pour mon mieux,

Pour éviter, peut-être,

Ou pour vous, ou pour moi,

Quelque plus grand malheur.

LERICE

Mais quel malheur plus grand?

MÉNANDRE

Où s'en peut-il trouver?

AGLANTE

Ah le ciel n'en a point!

SYLVANIRE

Le ciel, Aglante, a tout ce qu'il lui plaît,

Et souviens-toi qu'il peut tout dessus nous,

Car il est tout puissant,

Et qu'il fait toujours bien,

Parce qu'il est tout bon:

Je vous conjure donc

Que je ne sois point cause

Qu'il jette dessus vous

Les traits de son courroux,

Ô mon père et ma mère:

Que s'il vous ôte à cette heure une fille,

Il peut, s'il veut, égaler vos enfants

Au nombre des cheveux

Qui sont sur votre tête,

Encor qu'il semble bien

Que vos vieilles années

Y puissent contredire:

Mais au grand dieu tout est facile à faire.

Séchez donc vos pleurs,

Je vous supplie encore,

Et croyez que je pars

Du nombre des vivants,

Sans emporter nul regret de ma vie.

Deux choses seulement

Me pressent, je l'avoue:

L'une de n'avoir pu

Jusqu'ici satisfaire

À ce que je vous dois,

Ô mon père et ma mère:

Mais recevez ma bonne volonté.

LERICE

Dieu quel bon naturel!

MÉNANDRE

Ta volonté, ma fille,

Nous est tant agréable,

Que nous la recevons

Pour plus encor que tu ne nous dois pas.

SYLVANIRE

Le ciel en soit loué,

Et cette amour de père

Qu'outre tous mes mérites

Le ciel a mise en vous:

Mais oserai-je à la fin de ma vie,

Car je sens bien qu'elle me va laisser,

Oserai-je mon père,

Oserai-je ma mère,

Avec votre congé,

Avant que de partir,

Me décharger de cet autre fardeau

Qui me presse et m'oppresse?

LERICE

Ton père le veut bien.

SYLVANIRE

Le voulez-vous mon père?

MÉNANDRE

Je le veux, Sylvanire,

Et dis et fais tout ce que tu voudras,

Je t'en remets tout le pouvoir que j'ai.

SYLVANIRE

Le ciel vous rende à tous deux le loyer

D'une telle bonté,

Puisqu'il ne m'est permis.

L'ingratitude, à ce que bien souvent

Vous m'avez dit, mon père,

Est un faix si pesant,

Que la terre sur qui

Tout l'univers s'appuie,

Sans se lasser ne la peut supporter,

Et c'est pourquoi surchargée en mon âme

D'un faix tant malaisé,

Puisque tous deux vous me le permettez,

Je m'en déchargerai.

Voyez vous ce berger,

Dont le visage est tout couvert de pleurs,

Sachez mon père, et vous ma mère aussi,

Que quatre ans sont passés

Qu'il aime Sylvanire,

Mais d'une telle amour

Que je puis dire en quatre ans qu'elle dure

N'avoir jamais remarqué chose en lui,

Ni dans ses actions,

Ni parmi ses paroles,

Dont une honnête fille

Se peut croire offensée.

Or les dieux soient témoins,

Il le sait bien lui-même,

Si durant ces quatre ans

Jamais mes actions,

Ni jamais mes paroles,

Ont rendu connaissance,

Ni que je reconnusse,

Ni que j'eusse agréable,

Cette amour estimable.

Mais ne crois pas, Aglante,

Que nul mépris en ait été la cause,

Je sais que tu vaux mieux

Que ce que tu recherches:

Le seul devoir d'une fille bien née

Me contraignait d'en user de la sorte:

N'en doute point, Aglante,

Car encor que je sois

Dans ces bois d'ordinaire,

Je ne suis pas pourtant

Insensible comme eux:

Ta vertu, ton amour,

Et ta discrétion

Firent sur moi le coup que tu voulais.

Ô mort! Attends, attends encor un peu,

Que je puisse finir

Avant que tu finisses.

Mais sachant bien que mon père et ma mère

Faisaient dessein de m'allier ailleurs,

Je fis dessein aussi

De faire à cette amour

Un tombeau de silence,

Voulant plutôt mourir

Que de contrevenir

Au respect que je dois

À ceux qui m'ont fait naître.

Mais maintenant que les dieux ont voulu,

Les dieux tous bons et sages,

Par ma fin avancée,

Tous les noeuds dénouer,

Avant qu'être nouées,

Du futur mariage,

Et que ceux qui sur moi

Ont tout pouvoir m'en donnent le congé:

Saches, ami, qu'amour jamais plus grande

Ne s'éprit dans un coeur,

Que celle que pour toi

Sylvanire a conçu,

Et pour enfin partir

Du tout exempte et du tout déchargée

De cette ingratitude,

Le voulez-vous tous deux?

MÉNANDRE

Nous le voulons ma fille.

SYLVANIRE

Hélas, je n'en puis plus!

Tends-moi la main, Aglante,

Et la mienne reçois:

Si je n'ai pu vivre femme d'Aglante,

Je meurs femme d'Aglante:

Le veux-tu bien berger?

AGLANTE

Ô dieux! Si je le veux?

SYLVANIRE

Et vous mon père, et vous ma mère aussi,

Ne le voulez vous pas?

MÉNANDRE

Nous le voulons, ma fille.

À quoi sert-il de le lui refuser;

Aussi bien elle est morte.

Voici le dieu, Lerice,

Dont jadis Sylvanire

Voulait être druide,

Et servir les autels.

SYLVANIRE

Ô dieu je meurs! Mais je meurs bien contente

De mourir tienne, Aglante.

AGLANTE

Dieux! Elle est morte.

LERICE

            Hélas! Hélas! Ma fille.

MÉNANDRE

Elle est morte à ce coup.

AGLANTE

Elle est donc morte, ô dieux!

Et moi je vis encore?

Je vis encore, et j'ai devant mes yeux

La belle qui m'appelle,

Sans que j'aille après elle?

LERICE

Ô dieux! Elle est bien morte.

AGLANTE

Ah Sylvanire! Hélas est-il possible

Que tu me sois ravie,

Sans qu'on m'ôte la vie?

Faut-il que le moment

Que mienne il te plût d'être,

Ait été le moment

Que mienne, hélas! Tu ne puisses plus être?

Injuste ciel! Injuste destinée!

Injuste amour! Injuste mort, hélas!

Hélas qui ne dira,

Que dans le ciel il n'est point de justice;

Que le destin injustement ordonne;

Que sans justice amour conduit les siens,

Et que la mort est injuste envers moi?

Puisque le ciel, et l'inique destin,

Et l'amour, et la mort,

Consentent que je perde,

Sans toutefois mourir,

Celle que sans mourir

Mon coeur jamais, jamais ne devait perdre.

Ô ciel rendez-la moi,

Rendez-la moi destins;

Amour, si toutefois

Sylvanire étant morte

Quelque amour reste encore,

Rends-la moi, cette belle

Que la mort m'a ravie:

Et toi mort rends-la moi,

Ou me reçois pour elle.

Ah Sylvanire! Écoute ton berger,

Et reviens-t-en vers moi,

Ma chère Sylvanire,

Ou m'emmène avec toi.

MÉNANDRE

Ô dieux! Elle revient,

Les dieux auraient-ils bien

Ta juste voix ouïe?

LERICE

Elle revient sans doute.

AGLANTE

Finissez, ô grands dieux!

La grâce commencée.

MÉNANDRE

Cessons les pleurs, et puisqu'il plaît au ciel

Lui redonner quelque signe de vie,

Emportons-la dedans notre cabane,

Plus aisément nous pourrons soulager

La grandeur de son mal:

Aglante donne moi

Tes mains, et les attache,

Je te supplie, aux miennes,

Nous en ferons un siège

Afin de l'emporter,

Cependant que Lerice,

Accompagnant nos pas,

Gardera par hasard

Qu'elle ne tombe pas.

SYLVANIRE

Hélas mon père! Hélas mon cher Aglante,

Que de peine je donne

À qui je dois rendre tant de service.

AGLANTE

Ô douce peine! Ô glorieux travail!

Ô cher fardeau, qui rends Aglante heureux!

Heureux trois fois Aglante,

Qu'amour a destiné

À ce mystère saint,

De porter en ces bras

Tout ce que le flambeau

Du soleil vit jamais

De plus rare et plus beau.

SCÈNE VII

FOSSINDE

Vraiment grand est son mal,

Je crois qu'elle en mourra:

Combien elle est changée,

Que la beauté dont on fait tant de cas

Enfin est peu de chose,

Un bouton le matin

Qui s'éclot au midi,

Et qui le soir se fane,

Et c'est bien pour cela

Que j'estime peu sages

Celles à qui le ciel

A fait un tel présent,

Et qui le laissent perdre,

Puisqu'il dure si peu,

Sans s'en vouloir servir.

Voyez vous Sylvanire,

C'est de Lignon la plus belle bergère,

Mais la plus insensible

Aux traits d'amour de toutes les bergères,

Elle n'aima jamais,

À ce que chacun dit;

Et n'est-ce pas dommage

Qu'elle ait eu ce visage,

N'ayant su, l'imprudente,

Ou n'ayant pas voulu

S'en servir à l'usage

Pour lequel il est fait?

Or la voilà maintenant bien payée,

Elle a vécu, mais telle que l'avare,

Qui pour ne s'en servir

Aux entrailles profondes

Des lieux moins fréquentés,

Idolâtre de l'or

Va cachant son trésor:

Idolâtre de même

De ta beauté, cache-la maintenant

Dans la tombe relante,

Garde-la pour Pluton,

Ou pour ces vains fantômes

Qui courent toute nuit

À l'entour des tombeaux.

Ô folle! Les grands dieux

Ont la beauté faite pour les vivants,

Et les os pour les morts:

Et c'est pourquoi leur justice est très grande

De te l'ôter, comme ils font maintenant,

Ne voulant pas en user comme il faut.

Ô! Si les dieux d'une main libérale

M'avaient rendue aussi belle que toi,

Et que Tirinte eut de l'amour pour moi,

Je jure qu'aujourd'hui,

S'il était tout à moi,

Je serais toute à lui.

SCÈNE VIII

Tirinte, Fossinde.

TIRINTE

Mais où le trouverai-je?

Ce traître, ce perfide,

Où le rencontrerai-je?

Il a beau se cacher:

Quand les profonds abîmes

Du centre de la terre

L'auraient couvert, je le découvrirai,

Et je le punirai,

Sans que l'enfer, ni le ciel, ni la terre

Le sauve de mes mains.

FOSSINDE

Il est bien en colère.

TIRINTE

Ah! Le cruel qu'il est

D'un même coup il en fait mourir deux,

Deux innocents qui ne crurent jamais

Lui faire déplaisir:

Mais qu'il s'assure, et je le lui promets,

Qu'avec ces deux, que traître il fait mourir,

Il sera le troisième,

Si Tirinte le trouve,

Ou ce fer ne voudra,

Du sang abominable

Ayant horreur, se teindre par mes mains.

FOSSINDE

Il est tout vrayi que sa colère est grande,

Il le faut divertir,

Je ne puis m'empêcher,

Quoi qu'il me sache faire,

De le chérir toujours.

Ô qu'il est difficile

De se désembrouiller

De ce brouillon d'amour!

Holà Tirinte, et d'où vient ce courroux?

D'où vient cette furie?

Veux-tu mal à quelqu'un?

Dis-le moi, tu verras

Si je suis prête à faire tes vengeances.

TIRINTE

Eh laisse moi! Te voici revenue.

FOSSINDE

Oui je suis revenue,

Mais c'est pour te servir.

TIRINTE

Va si loin que jamais

Tu ne puisses venir.

FOSSINDE

Long serait le voyage:

Mais je vois bien que le courroux t'emporte;

Quelqu'un t'a-t-il fâché?

Dis-le moi, je te prie.

TIRINTE

Oui quelqu'un m'a fâché,

Me fâche, et fâchera,

Tant que Fossinde ici demeurera.

FOSSINDE

Est-ce donc Fossinde

Qui te fâche si fort?

TIRINTE

Plus cent fois que la mort.

FOSSINDE

Ô qu'elle est malheureuse!

TIRINTE

Malheureuse à son dam,

Mais au mien très fâcheuse.

FOSSINDE

Tu ne l'aime donc pas?

TIRINTE

Ainsi que le trépas.

FOSSINDE

Et cette inimitié

Toujours durera-t-elle?

TIRINTE

Je la tiens immortelle.

FOSSINDE

Et cela, mais pourquoi?

TIRINTE

C'est pour l'amour de toi.

FOSSINDE

Ah Tirinte!

TIRINTE

Ah Fossinde!

FOSSINDE

Tu ne m'aimeras point?

TIRINTE

Point.

FOSSINDE

Point, mais du tout point?

TIRINTE

Point, point, et du tout point,

Et crois-le si tu veux.

FOSSINDE

Qui telle inimitié

A mise entre nous deux?

Entre nous deux, je faux,

Tu sais bien que je t'aime.

Mais qui te peut tant éloigner de moi?

TIRINTE

Toi.

FOSSINDE

Moi, comment?

TIRINTE

Qui le peut, sinon toi?

Toi de toutes les filles

La fille plus fâcheuse,

Et la plus importune?

Ne vois-tu pas, Fossinde,

Que j'ai l'esprit ailleurs,

Que j'ai d'autres desseins,

Laisse-moi je te prie.

Dieux! Faut-il que le ciel,

Avec tous mes ennuis,

Encore me surcharge

D'un faix insupportable.

Va-t-en, je te supplie,

Va-t-en, je te conjure

Par la plus importune

Qui fût jamais, et ce sera par toi.

FOSSINDE

Et bien je m'en irai,

Insensible berger,

Oui, oui, je m'en irai,

Et peut-être de sorte

Qu'avant que je revienne

Amour m'aura vengée.

Va cruel, va sauvage,

Va barbare, va tigre,

Va-t-en âme de fer,

Va coeur de diamant:

Aime, aime, qui ne t'aime,

La haine enfin, puisque l'amour ne veut,

Me vengera de toi:

Mais très juste est la loi,

Qui venge l'innocent

Sur la coupable tête,

Avec le même fer

Duquel l'offense est faite.

SCÈNE IX

TIRINTE

Que les dieux soient loués!

Enfin elle s'en va,

Peut-être qu'à ce coup

J'en serai déchargé,

De cette babillarde,

Ce n'est pas sans raison

Qu'on dit heureux celui

Qui rencontre pour femme

Une cigale. On dit que la femelle

De nature est muette:

Que plût à Dieu que Fossinde fut telle:

Ô l'importune fille!

Et puis encor par force

Elle veut être aimée.

Mais à quoi pensons-nous?

Que faisons nous ici?

Que n'allons-nous chercher

Ce traître et ce perfide,

Qui sous le nom d'ami

M'a fait dedans le coeur

La plus cruelle et profonde blessure,

Qu'ennemi saurait faire?

À quoi retardons-nous?

Allons sacrifier

Son sang à la vengeance.

SCÈNE X

Le messager, Tirinte.

LE MESSAGER

C'en est fait, je l'ai vue

Avec mes propres yeux

Mettre dans le tombeau.

TIRINTE

Dans le tombeau, dit-il,

De Sylvanire il parle;

Puisqu'elle est morte, ô dieux! Il faut mourir:

Mais avant que mourir

Il nous la faut venger,

Cette belle innocente,

Et porter aux enfers

Le sang de ce perfide,

Pour apaiser ses mânes offensées. (35)

LE MESSAGER

Elle est morte, il est vrai,

Cette belle bergère:

Qui jamais eut pensé

Qu'une beauté si grande

Se fut si tôt perdue?

TIRINTE

Avant ma mort encore veux-je entendre

La cause de ma mort,

Et savoir misérable,

Puisque j'ai fait le mal,

Comment il s'est passé.

Ce sera rengréger (36)

Ma douleur davantage:

Or sus prenons courage,

Apprenons de sa mort,

Ou bien plutôt de notre propre mort

L'accident déplorable.

Berger, dis-moi, de qui plains-tu la perte?

LE MESSAGER

De Sylvanire, et cela te suffise.

TIRINTE

Donc Sylvanire est morte?

LE MESSAGER

Au tombeau on l'emporte,

N'en doute nullement.

TIRINTE

Hélas! Berger, raconte-moi comment.

LE MESSAGER

Je le ferai: mais si d'un dur rocher,

Ami, tu n'as le coeur,

De bonne heure prépare

Tes yeux aux pleurs, ta poitrine aux sanglots,

Et ta voix à la plainte.

Soudain qu'au lit cette fille fut mise,

Belle comme un soleil,

Mais un soleil dont les rays affaiblis

Passent à peine à travers de la nue,

Son mal lui redoubla.

Autour du lit à grands ruisseaux de larmes

Et Ménandre et Lerice

Accompagnaient son mal:

Mais un berger qu'Aglante l'on appelle.

TIRINTE

Ah! Je le connais bien.

LE MESSAGER

Toujours au plus près d'elle,

Ne jetait pas une source de pleurs

Comme faisaient les autres,

Mais bien plutôt un océan de larmes,

Dont il noyait les mains de Sylvanire:

Mais si ses yeux à tous faisaient pitié,

Ses regrets et ses plaintes

Doublement arrachaient

Des regrets et des plaintes

De la bouche et du coeur

De ceux qui l'écoutaient;

Hélas! Ce disait-il,

Ô parques inhumaines

Pourquoi m'épargnez-vous

La faveur de vos coups?

Qu'est-ce parques, hélas!

Qu'est-ce que j'ai commis,

Et ma foi si fidèle,

Que votre ardent courroux

Ne me prenne avec elle?

Hélas! Vous savez bien

Que nous sommes unis,

Et pourquoi désunir

Ce qu'un vouloir assemble?

Ah! Prenez-nous ensemble,

La victoire en sera

Plus belle et plus entière,

Et vous ferez qu'avec un coup si beau,

Ce que ne peut la vie

L'aura pu le tombeau.

Que si vous ne le faites,

Aussi bien cette main

M'octroiera cette juste requête.

Ainsi disait le désolé berger,

Et d'un oeil égaré,

Jetant autour sa vue,

Semblait déjà de regarder la mort.

Elle de qui la main

Était entre les siennes,

Faisant effort un peu la releva,

Et la posant dessus les yeux d'Aglante,

Comme ne voulant voir

Ces yeux pleins de fureur,

Qui jadis voulaient être

Si remplis de douceur,

À toute force ouvrit sa belle bouche.

"Vis, ami, lui dit-elle,

Le ciel l'ordonne ainsi;

Ainsi le veut aussi

Ta chère Sylvanire:

Que si mourant encore auprès de toi

Du crédit il me reste,

Je te commande, Aglante,

De ne jamais attenter sur ta vie,

Car ta vie est aux dieux,

Aux dieux tu la dois rendre

Alors qu'ils la voudront,

Et non à ta douleur.

Contente toi, que Sylvanire est tienne,

Et que jamais autre elle ne sera:

Conserve toi l'amour que je te porte,

Et je conserverai

La tienne dans mon âme.

Ainsi dedans ton coeur

Je vivrai sur la terre,

Et dans le mien tu vivras dans les cieux.

Avec ce penser

Ami console-toi,

Et surtout aime-moi,

Car je meurs tienne, Aglante."

TIRINTE

Ah fortuné berger,

Heureux en ton malheur!

LE MESSAGER

En ce point un soupir

Qui lui ravit la voix

Avec le nom d'Aglante,

Ravit aussi sa vie.

TIRINTE

Sylvanire est donc morte?

LE MESSAGER

Elle est morte, berger.

TIRINTE

C'est honte que de vivre

Après un tel malheur:

Allons, allons mourir:

Mais avant que mourir

Faisons-en la vengeance.

LE MESSAGER

Ô dieux! Que fera-t-il?

Il s'en va transporté

Où la rage l'emmène.

Conduisez-le grands dieux.

Il aimait cette fille,

Mais qui ne l'aimait pas?

Quant à moi je m'en vais

Son deuil accompagner,

Chacun lui doit ce pitoyable office.

Combien de jeunes coeurs

Iront suivant ce deuil,

Puis avec elle entreront au cercueil.

LE CHOEUR

Plus je cherche en moi-même

Que c'est qu'amour, et moins je le connais:

Qu'il soit dieu je le crois,

Sa force est trop extrême:

Mais s'il est dieu, comment

Souffre-t-il que l'amant

Dont l'âme est sa sujette

À l'honneur se soumette?

Non, il est sans puissance,

Ou pour le moins sans nul ressentiment:

Mais s'il est vrai, comment

Sous son obéissance

Voit-on les plus grands dieux

Se rendre, pour les yeux

De nos simples bergères,

Déités bocagères?

Comment peut-il produire,

S'il n'est pas dieu, des miracles si grands,

Que tous les jours j'apprends?

Il fait ce qu'il désire,

D'un changement divers,

Dans tout cet univers,

En dépit de nature,

Et faut qu'elle l'endure.

Il va changeant les âges

Comme il lui plaît, les vieux il rajeunit,

Des jeunes il ternit

Et ride les visages:

S'il veut tout ce qu'il peut

Il peut tout ce qu'il veut,

Et nulle résistance

N'égale sa puissance.

Que s'il semble au contraire,

Mais rarement, que l'amant quelquefois

Observe d'autres lois

Que la sienne ordinaire;

C'est pour faire mieux voir

Un plus entier pouvoir:

Car quoi qu'il en puisse être

Il est enfin le maître.

ACTE V

 

ACTE V

SCÈNE I

AGLANTE

Pleurer, mais que sert-il

De pleurer un malheur

Qui n'a point de remède,

Et dont la guérison

En la mort est remise?

Car telle est la grandeur

Du mal qui me travaille,

Que quand tout l'océan

Se changerait en larmes,

Et que j'aurais au front

Autant d'yeux, que le ciel

A de feux qui l'éclairent,

Mes larmes ne sauraient

Égaler ma douleur,

Ni ma douleur encore

Égaler mon malheur.

On dit que la nature

Produit de certains fruits,

Dont qui goûte une fois

Ne voit jamais tarir

La source de ses pleurs:

Hélas! Puisque le ciel

Et mon cruel destin

L'ordonnent de la sorte,

Et qu'il faut que je pleure

Jusques dans le cercueil

La perte que j'ai faite:

Plut-il au ciel, plut-il à mon destin,

Que j'eusse de ces fruits,

Pour ne manquer non plus

De larmes et de pleurs

Tout le temps de ma vie,

Que tant que je vivrai

Jamais ne manquera

Le sujet misérable,

Que mes yeux ont de sans cesse pleurer.

L'impitoyable Parque

A donc fermé tes yeux,

Et tes beautés n'ont peu

Empêcher le destin

De finir ta journée

Dès son plus beau matin?

Est-il donc, bien vrai,

Que celle qui donnait

À mille coeurs la vie

Soit morte, ou pour le moins

Ne vive plus, si ce n'est en mon coeur?

Je ne l'eusse pas cru;

La raison au contraire

Hélas! M'eût fait jurer,

Que toi vivant en moi,

Et moi vivant en toi,

Pour te faire mourir

Il me fallait tuer,

Et te ravir la vie

Pour me donner la mort.

Mais hélas! Je vois bien

Que seulement les forces de l'amour

J'allais considérant,

Non celles de la mort,

De la mort qui toujours

À désunir les choses plus unies

Se plaît et s'étudie.

Mais fatale Atropos,

Puisque tu desseignais (37)

La mort de Sylvanire,

D'où vient, hélas! Que seulement son corps

Soit mis dans le tombeau,

Et qu'en mon coeur vive encore son âme?

Hélas! pourquoi dans un même cercueil

N'enfermes-tu le corps

D'Aglante qui t'en prie,

Puisqu'elle vit en lui,

Pour en avoir une victoire entière?

Ah! Je vois bien pourquoi tu ne le fais;

C'est, Atropos, que de m'ôter la vie

Serait, hélas! Une oeuvre pitoyable,

Et que nulle pitié

Ne peut trouver place dedans ton âme.

Mais, fière Parque, à qui veut le trépas

Il est bien malaisé

De le lui refuser,

Je ferai bien paraître

Que si les dieux sans que nous le sachions,

Nous font venir au monde,

Et nous donnent la vie,

Que nous pouvons, lorsque nous le voulons,

La quitter cette vie,

Et que pour en sortir

On peut trouver toujours quelque passage,

En ayant le courage.

Mais avant que mourir,

Allons voir le tombeau

Riche de nos dépouilles:

Noyons-le de nos pleurs,

Afin que comme il a

Nos flammes par dedans,

Par le dehors il ait aussi nos larmes:

Larmes qu'hélas! Mes yeux ne finiront

Qu'en finissant ma vie.

Ô bienheureux tombeau!

De qui la froide pierre

Tant de flammes enserre,

Tu n'es pas le séjour

Comme les autres sont

De cendres amorties,

Mais de cendres de feu,

Mais de cendres si vives,

Qu'amour encore y brûle tout d'amour.

Oui, je les sens, hélas! Ces mêmes flammes,

Dont autrefois mon coeur voulait brûler;

Moins douces, il est vrai,

Mais non pas moins ardentes;

Beaucoup moins supportables,

Mais non pas moins aimables.

Rends-moi, tombeau, si ma pitié te touche,

Ce que tu me retiens,

Ou si tu ne le veux,

Au moins prends nous tous deux,

Et renferme mon corps

Où tu retiens mon coeur,

Et qu'ainsi je sois mis

Dessous la même pierre,

Imitant le lierre

À son ormeau serré,

Qui par la mort de l'arbre

N'en est point séparé.

Et cependant reçois,

Pierre sainte et sacrée,

Mes soupirs et mes larmes,

Et reçois les baisers

Qu'ensemble je te donne:

Donne les ces baisers

À ces cendres d'amour

Qui reposent en toi,

Présente les ces larmes

À celle que jamais

Mon coeur ne cessera

D'aimer et d'adorer,

Ni mes yeux de pleurer:

Mais à qui mes discours,

Ô dieu! Vais-je adressant?

À l'insensible pierre,

À l'insensible mort,

Au destin insensible,

Qui n'écoutent jamais

Nos cris, ni nos regrets?

Mais si Pygmalion

Obtint jadis qu'un marbre

Reçut le sentiment,

Aglante aimes-tu moins

Que ce Pygmalion,

Pour animer encor ce monument?

Et si jadis Orphée

Pût de la mort retirer Eurydice

Par son chant pitoyable,

Ton malheur déplorable,

Ô malheureux Aglante!

Te fournira-t-il moins

De soupirs et de larmes,

De regrets et de plaintes,

Pour retirer aussi

De la mort à la vie

Celle qu'on t'a ravie?

Hélas! Ce sont discours,

Ce sont des vaines fables

Tout ce qu'on va disant,

Et de Pygmalion,

Et du congé qu'Orfée

Eut de revoir encor sa bien aimée:

Jamais, jamais, deux fois,

Pour passer l'Acheron,

L'on ne paye à Charon.

Que la descente aux enfers est aisée,

Mais rappeler ses pas

Et remonter en haut,

C'est là l'oeuvre et la peine.

Et quand tous les humains

Cent et cent fois encore

Pourraient bien revenir

Et reprendre leur corps,

Le malheur est si grand

Qui te poursuit, Aglante,

Qu'il ne faut espérer

Qu'il soit permis pour ton contentement

À celle que tu plains,

Et contente toi d'être

Phoenix en ton malheur

Ainsi qu'en ton amour.

Donc puisqu'il est ainsi,

Dieux! Qu'il ne l'est que trop,

Qu'est-ce que tu veux faire

De conserver plus longtemps cette vie,

Qui ne te reste plus

Sinon pour prolonger,

Sans aucune allégeance,

La douleur qui t'offense.

Ah! Meurs, ah! Meurs, Aglante,

Sylvanire t'appelle,

Ne veux-tu pas la suivre,

Et cesser de languir

Cessant aussi de vivre?

Si fais, tu le veux bien,

Aussi l'amour avec le courage

T'oblige à ce voyage.

Allons donc, ô mon coeur,

Non point avec transport,

Mais résolus de rencontrer la mort,

Elle nous sera douce,

Puisque déjà Sylvanire la belle

Mourant l'a faite telle.

Et vous, ô chères cendres,

Qui dedans ce cercueil

Maintenant reposés,

Et vous qui m'écoutez

Du plus profond des cieux,

Ô de ma Sylvanire

Âme sainte et sacrée

Recevez de mes larmes,

Et de mon sang le dernier sacrifice:

Jamais larmes ni sang,

Et des yeux et du coeur

D'un plus fidèle amant.

Amour ne tirera,

Que les pleurs et le sang

Que maintenant le mien vous offrira.

SCÈNE II

Aglante, Echo.

AGLANTE

Mourons, mourons, Aglante:

Hâtons-nous, hâtons-nous:

Quoi que nous puissions faire,

Pour devancer un désastre si grand

Nous ne mourrons jamais assez à temps.

ECHO

            Attends.

AGLANTE

Attends, et qui me dit

Maintenant que j'attende,

Maintenant que je vois

Au dernier point mes malheurs parvenus?

ECHO

Venus.

AGLANTE

Vénus mère d'amour,

Amour qui ne se plaît

En tout ce qu'il promet

Sinon d'être infidèle?

ECHO

Elle.

AGLANTE

Elle, ne dis-tu pas?

Et qui se fierait

À la mère infidèle

D'un enfant si trompeur?

Que dois-je plus attendre,

Et quoi plus espérer;

Si seulement je ne puis plus la voir?

ECHO

            L'avoir.

AGLANTE

Comment l'avoir si la mort l'a ravie?

Il est éteint le soleil de nos yeux,

Il est dans le tombeau,

Et son aurore à nos yeux plus ne point.

ECHO

N'est point.

AGLANTE

Menteuse voix, maudit qui te croira:

Ces yeux dont je la pleure

L'ont vue, hélas! Dedans la sépulture:

Et tu me dis que morte elle n'est point?

Trompeuses espérances,

Promesses infidèles,

Ce sont les paiements

Qu'amour donne aux amants:

Mais ne l'écoutons plus,

Le perfide qu'il est,

À la mort, à la mort,

Allons, Aglante, allons,

Sans qu'autre espoir nous vienne plus flattant.

ECHO

Attends.

SCÈNE III

Tirinte, Alciron.

TIRINTE

Peut-être de mes mains

Tu penses d'échapper

Par ces belles promesses,

Berger tu te déçois,

Tu n'éviteras pas

La justice du ciel,

Ni celle qu'en la terre

Les hommes en feront.

ALCIRON

Comme le ciel tourne quand il lui plaît

Nos desseins à rebours,

Pour te complaire et te rendre une preuve

De mon affection,

Je t'ai donné, Tirinte,

Un trésor que j'avais;

Mais un trésor si grand et précieux

Que peut-être la terre

N'en a point un plus grand:

Et je vois au contraire

Qu'au lieu de t'obliger

À me vouloir du bien,

Ce don est cause, ô dieu qui le croira!

Que le plus grand ami

Que j'avais en ce monde

Se soit rendu mon plus grand ennemi.

TIRINTE

Mais comment peut-il être

Que ce miroir soit tel que tu le dis?

Que s'il est vrai qu'il ait cette puissance,

Pourquoi, berger, quand tu me l'as donné

Me l'aurais-tu cachée?

Non pour certain ce ne sont que paroles,

Dont tu penses encore

Ma créance abuser.

ALCIRON

Je ne suis point abuseur ni trompeur, (38)

L'effet bientôt te le fera connaître;

Car celle que tu pleures

N'est pas, berger, morte comme tu crois,

Ce miroir précieux

D'une vertu secrète

L'a de sorte assoupie,

Que chacun la croit morte.

TIRINTE

Mais est-il bien possible?

ALCIRON

Écoutes-en, berger,

L'histoire véritable.

J'eus ce miroir de l'homme le plus fin

Qui fut dessus la terre,

Il se nommait Climanthe,

Grand artisan d'erreur et de mensonge:

Ce berger amoureux

D'une jeune bergère,

Mais qui ne l'aimait guère,

Me donna ce miroir,

De peur que je ne dise

À chacun sa malice:

Après que j'eus reconnu par l'effet

Quelle était sa vertu:

Car cette jeune fille,

Et je dis vrai, Tirinte,

Quoi qu'il semble incroyable:

Cette fille, te dis-je,

N'eut pas plutôt cette glace aperçue,

Qu'un poison aussitôt

Occupant son cerveau

Je la vis assoupir

D'un si profond sommeil,

Que quant à moi je la crus être morte:

Mais lui qui se moqua

De mon étonnement,

Soudain qu'il le voulut,

Soudain elle revint,

Et puis soudain encore

Le lui faisant revoir

Elle se rendormit.

TIRINTE

Étrange effet que celui que tu dis!

ALCIRON

Et tant de fois il la fit éveiller,

Puis rendormir, puis réveiller encore,

Qu'à la fin elle crut,

Ne sachant l'artifice,

Que le vouloir des dieux

Étoit qu'elle l'aimât,

Ou qu'il fallait mourir,

Et cette opinion

La contraignit, quoi qu'elle y resistat,

De se donner à lui,

Tant le désir de vivre

Est puissant dessus tous.

Admirant la vertu

De ce divin miroir

Je le voulus avoir,

Et je l'eus à la fin.

Mais bien à contre-coeur

De qui me le donnait,

Et n'eut été la crainte de la perdre,

Cette jeune bergère

Qu'il avait abusée,

Et d'être encor puni

D'une telle malice,

Si les sages druides

En eussent eu la plainte,

Il est certain, je ne l'eusse pas eu.

Mais s'y voyant contraint:

Or écoute, Alciron,

Ce présent, me dit-il,

Est peut-être plus grand

Que tu ne penses pas:

Tiens-le bien cher, et crois qu'en l'univers

On ne saurait en trouver un semblable.

La glace du miroir

Est faite d'une pierre

Qu'on nomme memphitique, (39)

Elle assoupit les sens

Aussitôt qu'on la touche,

Et du poisson, que torpille on appelle, (40)

La quintessence extraite par le feu

Mêlée à cette pierre,

A tellement la glace empoisonnée,

Qu'aussitôt qu'on la voit

On perd le sentiment

Tout ainsi qu'au trépas.

Car la torpille est de telle nature,

Que qui la touche avec une baguette,

Voire avec l'hameçon,

Ressent soudain un assoupissement

Par tout le bras, et puis du bras au corps,

Va serpentant d'une veine en une autre

Le poison endormi.

Mais lorsqu'on veut on rappelle les sens

Par cette eau composée,

Dit-il me la donnant,

De celle du citron,

Et de simples divers,

Dont par expérience

La vertu j'ai connue.

Or maintenant, Tirinte, réponds-moi,

Si je t'ai fait présent

De ce miroir si rare,

As-tu raison de me traiter ainsi;

Puisque l'amour que vraiment je te porte

M'a dépouillé de ce riche trésor?

Ô des ingratitudes

La mère ingratitude!

TIRINTE

S'il est ainsi, n'as-tu pas tort, Berger,

De ne me l'avoir dit?

ALCIRON

En ceci même encor mon amitié

Se voit plus clairement:

Je ne te l'ai pas dit,

Parce que je craignais

Qu'il te manquât la résolution

De l'oser entreprendre.

Penses-tu bien, Tirinte,

Que je ne sache pas

Jusques où vont les forces

D'une puissante amour?

Que si je t'eusse dit,

Soudain que Sylvanire

Aura vu ce miroir,

Avec mille douleurs

Elle tombera morte,

Ou pour le moins elle semblera telle,

On la mettra dans le fond d'un cercueil,

Sonde bien ton courage,

Et puis me dis, Tirinte,

Si ton affection

Eut permis à ton coeur

De l'oser entreprendre,

Et cela n'étant pas

Dis-moi, dis-moi, Tirinte,

Par quel moyen eusses-tu pu l'avoir,

Ta chère Sylvanire?

Car de son gré tu n'y dois point prétendre,

Tu ne le sais que trop,

Et toutefois tu ne voulais plus vivre

Si tu ne l'obtenais.

TIRINTE

Mais comment prétends-tu,

Quand tout ce que tu dis

Serait bien véritable,

Qu'elle peut être mienne?

ALCIRON

Qu'elle peut être tienne,

Qui te la peut ôter?

Chacun ne croit-il pas

Que Sylvanire est morte?

Qui saura qu'elle soit

Maintenant en tes mains?

Vois-tu, Tirinte, il n'en faut point douter,

Sylvanire est à toi,

Alciron te la donne,

Sache-toi bien servir

Du présent qu'il te fait.

TIRINTE

Il est donc bien vrai

Que morte elle n'est pas?

ALCIRON

Tu ne crois pas encore

Ce que dit ton ami?

Quelle incrédulité!

TIRINTE

S'il est ainsi, que retardons nous plus?

Allons, ô cher ami,

Allons d'entre les morts

Retirer promptement

Celle dont la beauté

Ne doit jamais mourir.

ALCIRON

Nous n'irons pas fort loin,

Car c'est ici le lieu

Où l'on l'a mise.

TIRINTE

Et comment le sais-tu?

ALCIRON

Eh! Je le sais, parce que je l'ai vue;

Et lorsqu'on l'y mettait

J'y voulus assister,

Pour voir si de fortune

On ne lui faisait point

Du mal en l'enterrant,

Car je l'eusse empêché:

J'ai plus de soin de ton contentement

Que tu ne penses pas.

TIRINTE

En quel état est elle?

ALCIRON

Tu la verras bientôt:

Mais sache cependant

Que Ménandre et Lerice

L'aiment de telle sorte,

Qu'ils ne purent souffrir

Que l'on la dépouillât:

Mais toute ainsi vêtue

Qu'elle s'était trouvée,

Toute telle ils voulurent

Qu'on la mit au cercueil,

Un linge seulement

Lui couvre le visage,

Et ce fut moi qui lui fis cet office,

De peur que la poussière

Ne lui fit quelque mal.

TIRINTE

Quelle obligation

En tout ceci, berger, ne t'ai-je point?

ALCIRON

Quand tu verras la belle Sylvanire

Être du tout à toi,

Tu pourras dire alors

Que tu m'es obligé:

Mais maintenant allons, Tirinte, allons,

Ne perdons plus de temps,

Le temps en tout affaire

Doit être cher, mais plus en celui-ci

Que peut-être en tout autre:

Mais approche, voici

L'endroit où l'on l'a mise.

TIRINTE

Heureux tombeau! Mais non,

Plutôt heureux séjour

Où l'amour a remis

Tout ce qu'il eut de beau,

Où ses trésors pour plaisir il enserre,

Où mille coeurs ensemble renfermés,

Et bref où tout mon bien

Ou tout mon mal demeure.

Gardien glorieux (41)

De tout ce que la terre

A de plus précieux,

Rends-le moi ce trésor,

Sans qui je ne puis vivre,

Et montre toi fidèle à me le rendre,

Comme tu fus heureux

Lorsqu'on te le fit prendre.

ALCIRON

Tirinte ces discours

Sont hors de temps, à loisir tu pourras

Les raconter quand l'oeuvre sera faite:

Si quelqu'un survenait,

Encore que ce fut

Le moindre des bergers,

Il rendrait notre peine

Toute inutile et vaine.

TIRINTE

Que veux-tu que je fasse?

ALCIRON

Ôtons d'ici la pierre.

TIRINTE

Ô dieux qu'elle est pesante!

J'ai grand peur, Alciron,

Que cette pesanteur

Ne l'ait bien offensée.

ALCIRON

L'amour craint tout, car il est un enfant:

Ne vois-tu que la pierre

Repose sur les quatre

Qui lui sont au dessous?

Or sus relevons-la,

La morte-vive, et moquons nous de ceux

Dont les ruisseaux de pleurs

Cette pierre ont noyée.

Mais aide-moi, Tirinte,

Qu'est-ce que tu fais là

Planté dessus tes pieds

Comme un terme insensible?

Aide-moi si tu veux.

TIRINTE

Ah! Trompeur elle est morte.

ALCIRON

Je te dis qu'elle dort.

TIRINTE

Oui d'un sommeil de mort.

ALCIRON

Si morte tu la crois,

Tu diras que bientôt

Elle est la morte-vive:

Mais ne perds point le temps,

Approche je te prie,

Car je ne puis la soutenir ensemble

Et l'arroser, comme il faut que je fasse.

TIRINTE

Ô dieux qu'elle est bien morte!

ALCIRON

Soutiens-la seulement,

Et tu verras bientôt,

Qu'ainsi que je t'ai dit,

Elle est la morte-vive.

TIRINTE

La morte-vive hélas! Fut Sylvanire,

Et que Tirinte en sa place fut mort.

ALCIRON

Tirinte et Sylvanire

Vivront, si bon leur semble,

Bientôt tous deux ensemble.

TIRINTE

Ah garde que cette eau

Ne gâte son beau teint.

ALCIRON

Tu crois qu'elle soit morte,

Et tu crains toutefois

Qu'on lui gâte le teint:

Ô de l'amour enfant

Crainte et peur enfantine!

Laisse-la peur, Tirinte,

Tu l'auras toute belle,

J'aimerais mieux la mort,

Qu'à sa beauté faire le moindre tort.

TIRINTE

Ô dieux! Elle revient.

ALCIRON

Ne te l'ai-je pas dit?

Une autre fois, peut-être,

Tu croiras Alciron.

TIRINTE

Ô dieux! Elle respire.

ALCIRON

Diras-tu pas aussi bien comme moi,

Qu'elle est la morte-vive?

TIRINTE

La morte-vive est-elle,

Et des heureux bergers

Le berger plus heureux,

Par ton moyen, se peut dire Tirinte.

Elle entr'ouvre les yeux.

ALCIRON

J'ai satisfait à ce que j'ai promis,

Voilà ta Sylvanire,

Voilà la morte-vive

Qu'en tes mains je remets:

Saches-toi prévaloir

D'une telle fortune:

Que si tu ne le fais

Ne te plains jamais plus

D'autre que de Tirinte.

Souviens-toi de trois choses,

Ne perds le temps, ne crois à ses paroles,

Ni moins de la fléchir:

Car si tu ne me crois,

Tu diras avec moi,

Ta faute regrettant,

L'occasion est chauve,

Et des belles bergères

Les douces flatteries

Sont toutes mensongères:

Et pour conclusion

Te voyant rejeté,

Et quelqu'autre obtenir

Avec moins de mérite

Le bien que tu désires,

Tu diras, mais trop tard,

La femme la mieux faite

A le soleil aux yeux

Et la lune en la tête.

SCÈNE IV

Sylvanire, Tirinte.

SYLVANIRE

D'où viens-je, ô dieux! Et de quelle lumière

Vois-je encor la clarté,

Qui me rappelle au monde

Une seconde fois

Outre mon espérance?

Ou bien dans le cercueil

Voit-on un autre jour,

Voit-on un autre ciel,

D'autres ruisseaux, d'autres prés, d'autres arbres,

D'autres bergers, et bref un autre monde?

Où suis-je, ô dieux! Que suis-je, vive ou morte?

Vive, non, je mourus,

Et l'on ne revit plus:

Morte, non, car je vois,

Et je parle, et je marche:

Dieux! Qu'est-ce que ceci?

Serait-ce point peut-être

Cette seconde vie

Dont parlent nos druides?

Ah! Non, ce ne l'est pas,

Car nous laissons le corps

Avec le trépas

Dedans la sépulture:

Et voici bien le corps

Que je voulais avoir,

Voici mes mains, voici mes pieds encore,

Voici mon même habit,

Et bref me voici toute

Comme je coulais être

Avant que je mourusse.

Qu'est-ce donc que de moi?

Quel air, quel ciel, quel monde,

Quelle terre, et quels lieux

Sont ceux où je me trouve?

Mais quel est ce berger?

Je vois bien là Tirinte.

TIRINTE

Tirinte, tu te trompes.

SYLVANIRE

Et qu'es-tu donc pasteur?

TIRINTE

Je suis ton serviteur.

SYLVANIRE

Ainsi disait Aglante

Lorsque j'étais au monde.

TIRINTE

Ô dieux! Encore Aglante

Est parmi ses pensées.

SYLVANIRE

Mais dis-moi, je te prie,

En quel lieu maintenant

Se trouve Sylvanire?

TIRINTE

Dans le coeur de Tirinte.

SYLVANIRE

Tirinte le berger,

Qui vivait en forêts

Lorsqu'aussi j'y vivais?

TIRINTE

C'est celui que tu vois.

SYLVANIRE

Est-il mort comme moi?

TIRINTE

Il mourut en ta mort,

Et revit avec toi.

SYLVANIRE

Revivre avec moi,

Et ne suis-je pas morte?

TIRINTE

La mort fléchit à mon amour trop forte.

SYLVANIRE

Explique-moi ce que tu dis, berger,

Car je ne t'entends pas.

TIRINTE

À ce coup mon amour

A vaincu le trépas;

Et vois-tu, Sylvanire,

Combien elle surpasse

Toute autre affection;

Lorsque la mort pensa t'avoir acquise,

Et qu'au cercueil elle crut t'avoir mise,

Je fis changer cette mort en sommeil,

Et ton trépas en gracieux réveil,

De sorte Sylvanire

Que chacun te peut dire

La morte-vive, étant plus que certain

Que tu mourus, sans toutefois mourir,

Et qu'on me peut nommer

Au contraire de toi

Le vivant mort. Ô miracle d'amour!

Car vivant je mourus

D'un trop extrême deuil,

Dès que je sus qu'on te mit au cercueil.

SYLVANIRE

Ô dieux! Berger avec tes paroles

Tu m'embrouilles l'esprit

Plus qu'il n'était encore:

Comment ton amitié

A-t-elle pu cette mort surmonter,

Qui remporte sur tous

L'infaillible victoire?

Et comment as-tu pu

Faire changer cette mort en sommeil?

Pour moi je te confesse

Que je ne l'entends pas,

Si tu ne me le dis

Avec d'autres paroles.

TIRINTE

Écoute donc, bergère trop aimable,

Et trop aimée aussi;

Écoute, et tu sauras

Jusqu'où peut arriver

L'amitié de Tirinte.

Après avoir diverses fois tenté

Tous les moyens, qu'une amour trop extrême

Peut faire retrouver

Au coeur qui sait aimer,

Pour vaincre ton courage:

Et les ayant trouvés

Inutiles et vains,

Enfin je recourus,

Pardonne, Sylvanire,

À la ruse et malice

D'un plaisant artifice:

Te souviens-tu, bergère, du miroir

Que je te présentai?

SYLVANIRE

Oui, je m'en ressouviens.

TIRINTE

Tel était ce miroir,

Que ceux qui s'y voyaient

De telle léthargie

Ils étaient assoupis,

Que chacun eut pensé,

Les voyant en ce point,

Qu'ils eussent été morts,

Telle tu fus jugée,

Et pour telle remise

Dans ce tombeau voisin.

SYLVANIRE

Et quel fut ton dessein?

TIRINTE

Mon dessein, Sylvanire,

Je ne te le puis dire.

SYLVANIRE

Mais je le veux savoir.

TIRINTE

Amour bientôt te le fera bien voir.

SYLVANIRE

De toi, berger, je désire l'entendre,

Et non pas de l'amour.

TIRINTE

Si l'amour te le dit,

C'est Tirinte toujours:

Et si je te le dis,

Aussi bien est ce amour.

Sache donc, bergère,

Que j'eus dessein de faire croire à tous,

Que vraiment Sylvanire fut morte.

SYLVANIRE

Et quel profit de cette tromperie?

TIRINTE

Tu veux enfin, tu veux que je la dise.

SYLVANIRE

Dis-la moi hardiment.

TIRINTE

Hardiment, non, mais plutôt en amant.

Je pensai, Sylvanire,

Qu'étant mise au tombeau,

Et faisant croire à tous

Qu'ayant laissé la vie

Tu n'étais plus que cendre,

Comme j'ai fait, je te pourrais reprendre.

SYLVANIRE

Et puis.

TIRINTE

Et puis en tel lieu te conduire

Où pussent vivre ensemble

Tirinte et Sylvanire

Sans être reconnus.

SYLVANIRE

Et de ma volonté

Tu n'en faisais nul compte?

TIRINTE

Un long service enfin

Toute chose surmonte.

SYLVANIRE

C'est donc toi, berger,

Dont l'extrême malice

M'a mise entre les morts?

TIRINTE

Amour l'a fait, à lui soit tout le tort:

Tirinte seulement

T'a fait sortir hors de ce monument.

SYLVANIRE

Amour jamais ne commit trahison,

Et pour te faire voir

Que l'amour en ceci

Ne prétend point de part,

Au lieu de me gagner

Avec cette malice,

Tu m'as, berger, au contraire perdue,

Et perdue à jamais.

Très juste amour, certes l'on te peut dire,

Le traître punissant

Avec tant de raison,

Et par sa trahison.

TIRINTE

Que je t'ai, ô bergère,

Comme tu dis perdue,

Je ne vois pas comme cela soit vrai:

Car n'es-tu pas au pouvoir de Tirinte?

Tirinte qui tout seul

Sait qu'entre les vivants

Est encor Sylvanire?

Non, non, tu te déçois

De t'aller figurant

Que je ne sache en cette occasion

Me prévaloir de l'heur qui m'est offert. (42)

SYLVANIRE

Toi-même tu te trompes,

Ô perfide berger,

Et de ton propre fer

Tu t'es fait cette plaie.

TIRINTE

S'il est vrai sois certaine,

Que qui fit la blessure

En fera bien la cure.

SYLVANIRE

Il ne peut être, encor que Sylvanire,

Ce qui ne sera pas,

Y voulut consentir;

Car elle n'est plus sienne.

TIRINTE

Sienne n'est plus la belle Sylvanire

Et de qui peut-elle être?

SYLVANIRE

Autrefois, il est vrai,

Et Ménandre et Lerice,

Et peut-être elle encore

Y pouvaient avoir part:

Mais maintenant Ménandre ni Lerice

Ni même Sylvanire,

N'y peuvent rien prétendre.

Tirinte l'a donnée.

TIRINTE

Tirinte l'a donnée?

SYLVANIRE

Tirinte l'a donnée,

Et par sa trahison

En a fait possesseur

Aglante le berger.

TIRINTE

Aglante possesseur

De celle que j'adore?

SYLVANIRE

Aglante possesseur

De celle que je dis;

Ne t'en tourmente plus,

La pierre en est jetée.

TIRINTE

Il ne sera pas vrai.

SYLVANIRE

N'en accuse que toi,

Et m'écoute, berger,

Ménandre ni Lerice

Ne voulaient consentir

Que j'épousasse Aglante,

Ayant dessein de me loger ailleurs:

Et quant à moi la mort m'eust été douce

Plutôt que d'épouser

Autre qu'Aglante, et toutefois je jure

Que mille morts plutôt j'eusse endurées

Que d'épouser Aglante

Contre leur volonté.

Or vois-tu bien comme ton artifice

A fait ce que sans lui

Nous ne pouvions pas faire.

Quand le poison de ton heureux miroir,

Car heureux je l'appelle,

M'eust réduite à tel point,

Que mon père et ma mère

Crurent que j'étais morte,

Ce qu'en vivant je n'avais osé faire,

Amour me conseilla

De le faire en mourant:

Je priai donc ma mère,

Je suppliai mon père,

Qu'avant que de mourir,

Pour satisfaction

Des services d'Aglante,

Par leur consentement

Je le pusse épouser.

Eux qui me crurent morte,

Quoi que d'autres desseins

Ils eussent bien dans l'âme,

Voulurent pitoyables

À mon trépas ce plaisir me donner.

Lors vers Aglante à peine me tournant

Je lui tendis la main,

Pour un gage fidèle

Que lui donnait mon âme

Que je mourais sa femme.

Il me reçut pour telle,

Pour telle il me pleura,

Et pour telle il m'aura:

N'y penses plus Tirinte.

TIRINTE

N'y penses plus toi-même.

Aglante te croit morte,

Et ton père et ta mère

Pour morte t'ont pleurée,

Et t'ont enclose ici

Pour eux tu l'es aussi.

Tu ne vis plus, bergère,

Pour personne du monde,

Si ce n'est pour Tirinte:

La mort qui résout tout,

La mort te désoblige

De ces vaines promesses

Que tu peux avoir faites.

Mais quoi que le trépas

Ne le fit pas, amour, amour l'ordonne,

Amour qui Sylvanire

À son Tirinte donne,

Maintenant leur commande,

De vivre ensemble, et de mourir ensemble.

Allons donc, ô bergère,

Allons et résous toi

De vivre toute à moi,

Et je vivrai de même

À toi seule que j'aime.

SYLVANIRE

Ne me touche, Tirinte,

Aglante seul est né pour Sylvanire,

Et Sylvanire est seule pour Aglante,

Et perds en toute attente.

TIRINTE

Mais perds toi-même,

Et perde Aglante aussi,

Toi l'espoir de l'avoir,

Lui l'espoir de te voir.

Allons; car je le veux,

L'amour te le commande,

Et mon affection

T'oblige à le vouloir:

Que si tu ne le veux

Saches que résister

Aussi bien tu ne peux.

Il ne faut point maintenant des paroles:

Allons, allons.

SYLVANIRE

            Tirinte laisse-moi.

TIRINTE

Allons, allons.

SYLVANIRE

Fais-moi mourir plutôt.

TIRINTE

Allons, allons, je te veux toute en vie.

SYLVANIRE

Non je mourrai plutôt,

Berger tu te déçois.

TIRINTE

Tu te déçois toi-même.

SYLVANIRE

Au secours, ô bergers,

Ô dieux! Secourez-moi.

SCÈNE V

Aglante, Sylvanire, Tirinte.

AGLANTE

Je reviens, car il faut

Que de mon sang je souille

Ce tombeau glorieux

De ma riche dépouille.

SYLVANIRE

Aglante secours-moi:

Aglante ne vois-tu,

Ne vois-tu pas, Aglante,

Vois-tu pas que Tirinte,

Tirinte l'infidèle

M'emmène et me ravit?

AGLANTE

Dieu! Qu'est-ce que je vois?

Dieu! Qu'est-ce que j'entends?

Est-ce bien Sylvanire?

SYLVANIRE

Aglante, que fais-tu?

Que ne me secours-tu?

Ne me connais-tu pas?

AGLANTE

C'est bien elle, mais non,

Car Sylvanire est morte,

C'est une vision.

SYLVANIRE

Devant tes yeux, Aglante,

Il m'emmène, ô mon dieu!

TIRINTE

Je serai le plus fort.

AGLANTE

Ô c'est bien là sa voix,

Ce n'est point un fantôme:

Ah Tirinte, Tirinte,

Traître Tirinte, il faut

Qu'Aglante meure,

Avant que Sylvanire

À quelque autre demeure.

SCÈNE VI

Le choeur des bergers, Aglante, Tirinte, Sylvanire.

LE CHOEUR

Quelle rumeur entend-on par ces bois?

Quels cris, quelles alarmes?

AGLANTE

Ah perfide berger,

Tu ne raviras pas

Une si belle prise.

TIRINTE

La victoire ou la mort

Clora mon entreprise.

SYLVANIRE

Au secours, ô bergers,

Ô bergers, au secours:

Secourez-nous, bergers.

LE CHOEUR

Quelle dispute est cette-ci, bergers?

D'où vient l'outrecuidance

De faire force aux filles?

Laissez cette bergère.

TIRINTE

Ô dieux! Je veux mourir.

SYLVANIRE

Meurs, si d'une autre sorte

Tu ne peux pas guérir,

Fusses-tu déjà mort,

Trop insolent berger.

AGLANTE

Monstre de nos forêts

Qui te peut émouvoir

D'outrager une fille

Que tous doivent servir?

TIRINTE

Monstre suis-je vraiment,

Mais un monstre d'amour,

D'aimer tant qui ne m'aime:

Mais je m'en vengerai,

Oui je m'en vengerai,

Et ce sera sur qui la faute a faite,

J'entends dessus mon coeur.

SYLVANIRE

Les hommes et les dieux

Ensemble me la doivent

Cette vengeance, et je la leur demande.

LE CHOEUR

N'est-ce pas Sylvanire

Celle que nous voyons?

Mais n'est-elle pas morte?

Dieux! Comme est-elle ici?

SYLVANIRE

Vous voyez une fille,

Que ce berger, monstre entre les bergers,

A fait mettre au cercueil

Par la plus grande ruse

Qui fut jamais d'un méchant inventée.

TIRINTE

Dis plutôt d'un amant.

SYLVANIRE

Mais bien d'un ennemi

Plus cruel et méchant.

TIRINTE

Ô coeur ingrat!

SYLVANIRE

Ô coeur faux et perfide!

TIRINTE

Âme sans amitié.

SYLVANIRE

Mais bien âme sans âme.

SCÈNE VII

Lerice, Ménandre, Fossinde, Aglante, Tirinte, Hylas, Sylvanire, Le

choeur des bergers.

LERICE

Allons, voyons que c'est.

MÉNANDRE

Quel bruit? Quelles clameurs?

Voilà pas Sylvanire?

LERICE

Eh! Qu'est-ce que je vois?

SYLVANIRE

C'est Sylvanire.

MÉNANDRE

Ô dieux!

LERICE

Ô dieux! Ô dieux!

SYLVANIRE

            Me craignez-vous ma mère?

Avez-vous peur mon père?

Me connaissez-vous pas?

LERICE

Va-t-en, va-t-en fantôme.

AGLANTE

N'ayez peur, et croyez

Que c'est vraiment la belle Sylvanire.

MÉNANDRE

Sylvanire ma fille?

LERICE

Ma fille Sylvanire?

SYLVANIRE

Je suis celle-la même.

MÉNANDRE

Et n'étais-tu pas morte?

FOSSINDE

Ô dieu! C'est Sylvanire,

Et c'est bien elle-même

Qui retourne en ce monde.

Recule-toi fantôme,

Ne t'approche de moi,

Retourne avec tes os,

Et me laisse en repos.

SYLVANIRE

Tu me fuis donc, Fossinde?

FOSSINDE

Et qui ne s'enfuirait?

Ô dieu comme elle parle!

HYLAS

L'âme de Sylvanire

Ô dieux! Que cherche-t-elle?

Va-t-en, va-t-en fantôme.

SYLVANIRE

Je ne suis pas son âme seulement,

Touche, voici le corps

De cette Sylvanire.

HYLAS

Dieu! C'est bien elle: ô c'est elle sans doute:

En quel pays, hélas! Suis-je venu

Où les morts sont en vie?

SYLVANIRE

N'en doutez point, je suis bien Sylvanire.

HYLAS

J'avais bien ouï dire

Que les femmes avaient

L'âme au corps de travers,

Et qu'avec grande peine

Elle en pouvait sortir:

Mais c'est bien plus ceci,

Puisqu'ayant vu de mes yeux Sylvanire

Morte dans le tombeau,

Je la revois en vie,

Car c'est elle en effet.

MÉNANDRE

Mais es-tu bien ma fille?

SYLVANIRE

Je la suis, ô Ménandre.

LERICE

Sylvanire ma fille?

SYLVANIRE

Oui je suis Sylvanire,

Que ce traître berger

Que Tirinte on appelle

Avait mise au tombeau,

Et que le ciel plus juste,

À sa confusion,

A fait sortir ainsi que vous voyez.

MÉNANDRE

Que je t'embrasse, ô mon enfant aimé!

LERICE

Que je te baise, ô soutien de ma vie!

MÉNANDRE

Eh! Soient les dieux loués

De la grâce qu'ils font

À mes vieilles années,

De te voir, mon enfant,

Encor un coup avant que de mourir.

FOSSINDE

Eh! Ma chère compagne,

N'aurai-je pas quelque part à la joie,

Puisque notre amitié

M'a fait si bien ta perte ressentir,

Que je ne sais comment

Dans le cercueil je ne t'ai point suivie.

LE CHOEUR

Et nous aussi, puisque tous nous avons

À ton départ pleuré

Devons-nous pas nous réjouir aussi

À ton heureux retour?

SYLVANIRE

Aglante, et toi pourquoi comme les autres

Ne te réjouis-tu

Que je sois retournée?

AGLANTE

À ton départ je reçus tant d'ennuis,

À ton retour tant de contentement,

Que n'étant mort, ni pour l'un ni pour l'autre,

Il ne faut plus penser

Que l'on puisse mourir

D'ennui ni de plaisir.

MÉNANDRE

Mais, ma fille, comment

Les dieux t'ont-ils permis

De nous revoir encore?

SYLVANIRE

Ce perfide berger

Que vous voyez si loin de tous les autres

Vous le pourra mieux dire.

TIRINTE

Oui je le pourrai dire,

Des ingrates bergères

La plus ingrate et plus méconnaissante:

Oui-dà je le dirai,

Je ne veux pas cacher

Jusqu'où l'affection

Que pour toi j'ai conçue

M'a transporté; car aussi bien sois sûre,

Puisque mon entreprise

A trompé mon espoir,

Qu'à vivre davantage

Je n'ai plus le courage.

Sachez donc, ô bergers,

Qu'esprits de la beauté

De cette belle, et trop ingrate fille,

Après avoir trouvé

Toute chose inutile

À mon contentement,

Peines et soins, affections extrêmes,

Services et prières;

Enfin j'ai recouru,

Ne sachant plus que faire,

À la ruse et finesse.

Donc avec artifice

Je la fis endormir,

Mais d'une telle sorte

Que chacun la crut morte.

MÉNANDRE

Ô quelle trahison!

Et quel fut ton dessein?

TIRINTE

Mon dessein, ô Ménandre,

Fut de la retirer,

Comme j'ai fait, du creux de ce tombeau,

Sans que nul s'en prît garde,

Et la mener dans quelque antre sauvage

Y passer avec elle

Le reste de mon âge,

Sans souci des parents,

Sans souci des amis,

Sans souci des troupeaux

Que je laissais ici:

Car la perte de tous,

Voire encore de ma vie,

M'est agréable et douce,

Pour obtenir ce que j'estimais tant.

LE CHOEUR

Mais à quelle rumeur

Sommes-nous accourus?

Appelles-tu, Tirinte,

Services et prières,

Affections et soins,

La force et violence

Dont tu voulais user,

Quand nous sommes venus?

MÉNANDRE

De la force à ma fille?

TIRINTE

De la force, il est vrai,

Berger, je ne le nie,

J'étais désespéré.

LERICE

De la force, ô pasteurs,

J'en demande justice.

FOSSINDE

Comment, pasteurs, pourriez-vous bien souffrir

Que cet audacieux,

Sans ressentir la peine

D'une telle insolence,

Sortit d'entre vos mains?

Avoir, traître et perfide,

Enclose en un tombeau

Cette belle bergère;

Avoir mis en danger,

Et Ménandre et Lerice

De mourir de douleur,

Perdant leur chère fille,

Même en l'âge où ils sont?

Et puis outre cela

User encor de force,

Et contre son désir

La vouloir emmener?

Quelle sûreté pouvons-nous plus avoir

Avec les bergers,

Si telles trahisons,

Et si tels attentats,

Ne sont punis ainsi qu'ils le méritent?

Ô vous pasteurs, qui savez de nos lois

L'ordonnance sacrée,

Faites que nos druides,

Par votre bouche même,

Soient informés, et nous fassent justice.

MÉNANDRE

Je la demande, ô pasteurs, à vous tous.

LERICE

Comment user de force?

LE CHOEUR

Assure-toi, Ménandre,

Que tu l'auras bientôt,

Le cas mérite un supplice exemplaire.

FOSSINDE

Attachez-le, bergers,

De peur qu'il ne s'échappe.

TIRINTE

Non, ne m'attachez point,

Je suivrai librement

Où vous voudrez aller:

En un lieu seulement

Je ne vous suivrai pas,

C'est par où l'on s'éloigne

Du chemin du trépas.

HYLAS

Je veux le suivre, et voir quel jugement

Donneront les druides.

FOSSINDE

Enfin il est tombé

Dedans son propre piège,

Je le tiens à ce coup,

Il ne peut m'échapper,

Le ciel en soit loué:

Mais je m'en vais le suivre,

Pour être à temps lorsqu'il sera jugé.

SCÈNE VIII

Lerice, Aglante, Sylvanire, Ménandre.

LERICE

Ô des bontés de Dieu

Inépuisable source!

Ô de ses jugemenTs

Océan infini!

Quelles grâces jamais,

Telles que nous devons,

Te pouvons-nous rendre Ménandre et moi?

AGLANTE

Ajoutez avec vous,

Lerice, s'il vous plaît,

Aglante le berger

Le plus heureux du monde:

Car de tous les bonheurs

Où peut atteindre un homme,

Nul ne peut s'égaler

À celui que je sens.

Mais, ô sage Ménandre,

Puisque le ciel tant de grâces m'a faites,

Ne perdons point le temps,

Tous les dilayements

Qui se font sans propos,

Ne sont rien d'ordinaire

Que la ruine et perte d'une affaire:

Vous plaÏt-il pas accomplir le bonheur

De notre mariage?

MÉNANDRE

À nouveau fait il faut nouveau conseil:

J'avais promis à d'autres,

Avant qu'à toi, ma fille Sylvanire:

Chacun le sait assez,

Tu le peux demander

À tous ceux du hameau.

AGLANTE

À nouveau fait il faut nouveau conseil?

Par ainsi ta parole

N'aura non plus d'arrêt

Que la plume qui vole?

MÉNANDRE

Ma parole est certaine,

Et c'est bien pour cela

Qu'ayant donné ma parole à Théante

Je la veux observer.

AGLANTE

Ô dieux! ô foi trompée!

Ô parjure Ménandre!

Ô malheureux Aglante!

L'on vous d2çoit ainsi:

Et vous souffrez, ô dieux,

Si grande perfidie?

Ôte-la moi, Ménandre,

Ôte-la moi, la vie, (43)

Avant que me ravir

Celle qu'amour, celle que le destin,

Celle que toi, que Lerice sa mère,

Et qu'elle aussi d'accord m'avez donnée:

Car rien que le trépas

Ne m'en saurait priver:

Elle est mienne, elle est mienne,

Il faut qu'elle le soit,

Ou que je ne sois plus.

MÉNANDRE

Et pour quelle raison

Prétends-tu Sylvanire?

AGLANTE

Par la raison des gens,

T'en saurais-tu dédire?

Par la corne on attache

Les boeufs et les taureaux,

L'homme par sa parole.

MÉNANDRE

Théante en dit autant,

Et par cette raison

Tu n'as pas plus de droit

Qu'il en peut bien prétendre,

Et tant s'en faut il en a davantage;

Car il est le premier

À qui je l'ai promise,

Et si tu ne veux croire

Ce que je dis, berger,

Voila Lerice, et voilà Sylvanire,

Demande leur si je ne dis pas vrai.

LERICE

Il est certain.

MÉNANDRE

Qu'en dis-tu Sylvanire?

SYLVANIRE

Je l'ai bien ouï dire:

Mais.

MÉNANDRE

            Qu'est-ce à dire ce mais?

SYLVANIRE

Mais je n'y fus jamais.

AGLANTE

Écoute bien, Ménandre,

Toute excuse cessante,

Nul autre que le ciel

Ne me saurait ôter

Celle qui m'est acquise:

Je m'en vais aux druides,

Ils me feront justice,

Et s'ils ne me la font,

Et mon bras, et les dieux

Me vengeront d'un parjure odieux.

Quand je perds le respect

Je sais faire observer

La parole promise.

SCÈNE IX

Ménandre, Lerice, Sylvanire.

MÉNANDRE

Je l'ai bien ouï dire,

Mais je n'y fus jamais;

La petite affétée,

Elle n'y fut jamais:

Or je t'assure, et m'en crois, Sylvanire,

Qu'une autrefois, si je ne suis d2çu,

Tu ne le diras plus:

Car en propre personne

Je t'y ferai bien être.

Je l'ai bien ouï dire,

Mais je n'y fus jamais:

Quoi? Tu voudrais plutôt

Celui-ci que Théante;

Il est plus à ton goût:

Ô je t'en ferai faire

Des maris à ton gré,

Laisse m'en le souci.

Tu pouvais bien, Lerice, m'assurer

Que ta fille ferait

Tout ce qu'il me plairait:

Oui, pourvu que je veuille

Tout ce qu'elle voudra:

Autrement sois certaine

Qu'elle te saura dire

Aussi bien comme à moi,

Je l'ai bien ouï dire,

Mais je n'y fus jamais.

Tu l'as bien ouï dire,

Mais tu n'y fus jamais;

C'est, et n'en doute point,

C'est là la prophétie

Du futur mariage,

Et d'Aglante, et de toi;

Car tu l'as ouï dire:

Mais crois moi, Sylvanire,

Tu n'y seras jamais.

Mais viens ça, réponds-moi,

Que peut avoir Aglante

Que Théante n'ait pas?

Tu ne me réponds point.

LERICE

Que voulez-vous qu'elle puisse répondre

À son père en courroux?

MÉNANDRE

Je répondrai pour elle:

Aglante a plus que lui

De jeunesse et d'erreur,

Il a plus d'imprudence,

Plus d'inexpérience,

Plus de présomption,

Un peu plus de beauté,

Mais plus de pauvreté:

Et faut-il pour cela

Le préférer, ainsi comme elle fait,

À ce sage Théante?

À ce riche Théante?

À ce noble Théante?

À ce Théante enfin

Qui n'a rien qui ne soit

Plus qu'Aglante estimable?

Figure-toi, l'homme plus accompli

Qui soit dessus la terre,

Qu'il sache bien chanter,

Qu'il sache bien danser,

Qu'il sache bien parler,

Qu'il soit la beauté même:

Que chacun à le voir

Par la place s'arrête;

S'il n'est bien riche, ô folle,

Ce n'est rien qu'une bête:

Si tu savais, ô peu prudente fille,

Si tu savais quel monstre épouvantable

Est la nécessité,

Tu fremirais au nom de pauvreté:

Mais avec l'or qu'est-ce qu'on ne fait pas?

Non seulement les hommes on surmonte,

Mais l'on fléchit les dieux,

Les dieux par les présents

Nous sont rendus propices,

Et le rameau, ce dit-on, que porta

Le grand troyen, quand il vit les enfers,

Parce qu'il était d'or,

Lui fit passer et repasser encor

Le fleuve de Charon.

Quelques uns vont disant,

Que le ciel, que la terre,

Que l'air, le feu, la mer,

Le soleil, les étoiles,

Sont les dieux d'ici bas:

Mais je ne le crois pas.

Car les vrais dieux visibles

En la terre où nous sommes,

Pour le moins pour les hommes,

Ne sont que deux; mais sais-tu bien lesquels?

L'or et l'argent, aies ces dieux chez toi

Et n'aies peur de rien,

Tout te sera propice,

Et ce que tu voudras

Soudain tu l'obtiendras:

Mais au contraire

Avec la pauvreté

Toute chose déplaît,

Les incommodités,

Les mépris, l'impuissance,

Sont accidents inséparables d'elle:

Et toutefois Aglante te plaît mieux

Que ce riche Théante:

Es-tu toujours en cette même erreur?

Quoi, tu ne parles point?

SYLVANIRE

Pardonnez-moi, mon père,

Vous êtes en colère.

MÉNANDRE

Reviens, où t'en vas-tu?

Elle nous paye encore,

Ainsi que l'autre fois,

Par une révérence.

Ô grands dieux! Qui peut être

Plus malheureux qu'un père,

Sinon qu'un autre père

Ayant encor davantage d'enfants.

Qu'est-ce que d'en avoir

Comme j'en ai, sinon

Peine, crainte et souci,

Et rien outre cela.

Et bien elle s'en va,

Qu'elle s'en ressouvienne,

Nul ne voit pour certain

La grandeur de la faute

Cependant qu'il la fait;

Mais il la voit après,

Lorsque la pénitence

Remet devant ses yeux

Un trop tard repentir:

De même adviendra-t-il

À l'imprudente fille

Qui ne veut m'écouter.

Mais je vois bien qu'ils s'en iront tous deux

Vers les sages druides,

Et diront leurs raisons

Sans leur parler des miennes,

Je m'en vais les trouver,

Et qu'ils s'assurent bien

Qu'ils s'en repentiront.

LERICE

Encor faut-il excuser la jeunesse.

MÉNANDRE

Excuser, c'est ainsi

Que tu me l'as gâtée;

Mais j'y mettrai bien ordre.

LERICE

Vous la voulez perdre encor une fois.

MÉNANDRE

Ô fut-elle perdue

Plutôt que d'être sotte.

LERICE

Ô cruauté d'un père!

Hélas! Ma pauvre fille.

SCÈNE X

AGLANTE

Non, non, il faut, Aglante,

Ou l'avoir, ou mourir;

Que si l'on se résout

De te l'ôter encore,

Il faut que cette histoire

Finisse en tragédie:

Car rien sinon la mort

Ne saurait séparer

Aglante et Sylvanire.

Mais, ô grands dieux!

Quel fut l'astre cruel

Qui dominait au point de ma naissance,

Puisque pour parvenir

Au bonheur qui me fuit,

Et la mort et la vie

Également me nuit?

Sylvanire était mienne

Hélas! Si le tombeau

Ne me l'eut pas ravie:

Mienne dans le tombeau

Encore serait-elle,

Si pour n'être plus mienne

Du profond du tombeau

Elle n'était sortie.

Que faut-il donc désormais que j'espère,

Si tout m'est si contraire?

Sa mort m'ôta le bien que je désire,

Sa vie encore, ô dieux, me le ravit:

Il ne faut donc penser

Que sa vie et sa mort

À mon contentement

Puisse être favorable:

Voyons de moi ce qui le pourrait être.

Mais si ma vie inutile à mon bien

J'ai toujours retrouvée,

Que me reste-t-il plus

Que d'essayer la mort,

Résolus en nous-même,

Qu'il nous faut l'un des deux,

Vivre avec plaisir,

Ou bien mourir pour n'être malheureux?

Il faut donc en la mort,

La fin de tous les maux,

Rechercher le salut.

Que jusqu'ici nous n'avons pu trouver:

Car saurais-je espérer

De rencontrer plus de compassion

Dedans le coeur sévère

Des rigoureux druides,

À qui ma plainte, hélas! Je viens de faire,

Que dans celui d'un père et d'une mère?

Il ne faut plus, il ne faut plus flatter

D'une vaine espérance

Le mal qui nous offense:

À l'arrêt du destin

Rien ne peut résister;

Inutiles et vains,

Contre l'effort du ciel,

Sont les efforts humains.

SCÈNE XI

Sylvanire, Aglante.

SYLVANIRE

Hélas! Ô dieux! Où le rencontrerai-je,

Celui que mon coeur aime

Cent fois plus que soi-même?

Mais ne le voilà pas?

Ô l'heureuse rencontre

Pour sujet malheureux!

AGLANTE

Bienheureuse rencontre,

Quoi que puisse avenir,

Sera toujours la vôtre.

SYLVANIRE

Aglante mon berger,

Écoute je te prie,

Ce que je te viens dire.

J'ai trouvé les druides

Assemblés pour juger

Le malheureux Tirinte,

Et j'y suis arrivée

Qu'à peine en sortais-tu.

Je leur ai fait ma plainte,

Je leur ai remontré

Que j'étais tienne, et qu'Aglante était mien;

Qu'avec permission

Et de mon père et de ma mère aussi,

En leur même présence,

J'avais reçu de toi,

Et toi de moi, le serment réciproque

D'un sacré mariage,

Qui nous liait tous deux

D'indissolubles noeuds,

Non pas par des paroles

Qu'à l'avenir on dût effectuer;

Mais que dès lors nous nous étions donnés,

Et nous étions reçus

Pour femme et pour mari,

Et tels aussi nous voulions vivre ensemble.

À peine ai-je pu dire

Ces dernières paroles,

Que Ménandre est entré,

Et Lerice avec lui,

Mais comment? En colère,

Les yeux ardents, comme de nuit on voit

Un charbon allumé,

Le visage enflammé,

Les jambes et les mains

Tremblantes de courroux:

À grand'peine a-t-il dit,

Recommençant cent fois

Le nom de Sylvanire,

Tant il était de passion extrême

Presque hors de soi même,

Le voyant tel, et ne pouvant souffrir

Sa présence irritée

Je me suis dérobée

Pour te venir chercher,

Et t'assurer, Aglante,

Que mon affection

Jamais ne changera,

Quoi qu'ordonne au contraire,

Ni l'arrêt des druides,

Ni celui de mon père,

Tienne je suis, et tienne je serai

Autant que je vivrai.

AGLANTE

Ô belle Sylvanire,

Que mienne, mon malheur

M'empêche d'oser dire.

SYLVANIRE

Dis-le berger en dépit du malheur,

Tienne je suis, et tienne de bon coeur.

AGLANTE

Ô belle Sylvanire,

Que puisque vous voulez,

En dépit du malheur

Mienne j'oserai dire,

Quelle grâce jamais

Faut-il que je vous rende

D'une faveur si grande?

Puisque non seulement

Il vous a plu d'aimer

Un berger sans mérite,

Mais dédaigner encore

Un si gentil berger

Que peut être Théante,

Mépriser ses richesses,

Et ses commodités,

Pour vivre avec Aglante?

Aglante qui n'a rien

Qui puisse être estimable,

Sinon qu'il aime bien.

Mais en cela je proteste et je jure,

Que si de tous les coeurs

Qui sont en l'univers

Un coeur se pouvait faire

Pour seulement aimer

Autant comme je fais,

Tous ses efforts resteraient imparfaits.

Je veux que cette amour

Par son extrémité

Supplée à toutes choses

Qui défaillent en moi:

Je veux que chacun dise,

Considérant votre perfection,

Et mon affection,

L'une sans l'autre eut été sans égale.

Recevez donc la foi,

La foi que je vous jure

Si parfaite et si pure,

Pour gage qu'à jamais

Aglante sera vôtre;

Mais de telle façon,

Que le ciel peut encor

Se brouiller en la terre,

Et tous les éléments

Dans la confusion

De l'antique chaos:

Mais jamais, mais jamais

Aglante on ne verra,

Sans que de Sylvanire

Les beautés il n'adore,

Plus s'il se peut qu'il ne fait pas encore.

Et quoi que la rigueur

D'un père impitoyable,

Ou bien l'inique arrêt

D'un juge inexorable

Me puisse retarder

L'heur que nous désirons;

Ne croyez, Sylvanire,

Que mon affection

Puisse diminuer.

Ma passion peut bien

Augmenter à l'extrême,

Mais non pas m'empêcher

Qu'à jamais je vous aime.

Je ne mériterais

De respirer cet air,

Ni de voir la clarté

Que le soleil nous donne,

Ni d'être entre les hommes,

Si je manquais à l'obligation

Où m'a mis Sylvanire.

SYLVANIRE

Point, point, Aglante, point d'obligation,

Quoi que je puisse faire,

Ne saurait satisfaire

À celle en qui l'amour

Envers toi m'a liée,

Et tous ces témoignages

De bonne volonté,

Reçois les pour tribut

De mon affection:

Je paye ainsi les devoirs qui sont deux

À l'amour réciproque,

Dont amour me lia,

Alors que Sylvanire

Pour femme il te donna.

SCÈNE XII

Alciron, Sylvanire, Aglante.

ALCIRON

Mais si veux je bien être

Le premier à leur dire

Les nouvelles que j'ai:

Où les rencontrerai-je?

SYLVANIRE

Quelles sont tes nouvelles,

Et qui vas-tu cherchant?

AGLANTE

Berger fais-nous en part.

ALCIRON

C'est vous deux que je cherche.

AGLANTE

Moi, berger?

ALCIRON

Vous et vous.

SYLVANIRE

Et moi j'en suis aussi?

ALCIRON

Vous en êtes tous deux.

Celui soit malheureux

Qui vous séparera.

AGLANTE

Et que me veux-tu dire?

ALCIRON

Que tienne est Sylvanire,

Et que tien est Aglante.

SYLVANIRE

Ô que Dieu te contente.

AGLANTE

Mais te moques-tu point?

ALCIRON

Comment? Si je me moque,

Pourquoi voudrais-je, Aglante,

User de moquerie

Avec des personnes

Que j'honore si fort?

SYLVANIRE

Mais comment le sais-tu?

ALCIRON

Je le dirai, je me suis rencontré

Lorsque Ménandre, outré de la colère

S'est présenté devant le grand druide

Pour rompre cette affaire:

Quelles raisons n'a-t-il point rapportées?

Une fille jamais,

Disait-il, ne se peut

Lier en mariage

Sans le vouloir du père:

Mais (lui répond Hylas,

Parlant pour vous) Sylvanire a reçu

Aglante pour mari

Avec le congé

De Lerice et de toi.

SYLVANIRE

Hylas disait bien vrai.

ALCIRON

Alors Ménandre, il est vrai, je confesse

Que pensant que ma fille

Était prête à mourir,

Je lui permis tout ce qu'elle voulut:

Mais mon intention

Fut seulement de lui donner pour lors

Quelque contentement,

Étant bien résolu,

Que si du mal elle pouvait guérir,

Je la redonnerais

Encore à Théante.

SYLVANIRE

Ô le trompeur qu'il est!

ALCIRON

Soudain Hylas répond:

Si telle ruse était autorisée,

Adieu tout le commerce

Qu'on voit entre les hommes,

Et qui dorénavant

Se pourrait assurer

De chose qu'on promette?

Nul ne saurait entrer

Dans le secret du coeur,

L'on ne contracte pas

Avec la pensée,

C'est avec la parole

Que tout homme s'oblige,

Et ta fille eut congé.

Ce congé ne vaut rien,

Reprend soudain Ménandre,

Parce qu'auparavant

Nous avions Sylvanire

À Théante promise.

AGLANTE

Cette promesse est nulle,

Elle n'y consentant.

ALCIRON

Hylas en dit autant.

Mais qui la rendrait nulle,

Dit Ménandre en colère,

Le père n'est-il pas seigneur de son enfant?

N'en peut-il pas disposer comme il veut?

Tu te trompes, pasteur,

Dit froidement Hylas,

Les enfants parmi nous

Naissent enfants, et non pas des esclaves,

Ce serait autrement

Honte que d'être père,

Et la terre où nous sommes

Serait bien diffamée,

Si la seule en la Gaule

Elle ne produisait

Des hommes francs et libres,

Mais seulement des serfs et des esclaves.

Hylas voulait continuer encore,

Lorsque Ménandre enflammé de colère

Voulut répondre aux raisons du berger:

Mais les sages druides

Leur imposant silence:

C'est assez, ont-ils dit,

Car vos raisons nous sont assez connues:

Si bien que le respect

A fait taire Ménandre,

Attendant quel arrêt

Les sages donneraient:

Même qu'alors Tirinte

Conduit par devant eux

Attendant la sentence

Ou de vie ou de mort,

Impatient au pied du tribunal:

Qui m'accuse, dit-il?

Et pourquoi suis-je ici?

SYLVANIRE

Mais qu'est-ce qu'ont jugé

Les druides de nous?

ALCIRON

Donne-moi le loisir

De te le pouvoir dire:

Fossinde alors se faisant faire place:

Misérable berger,

Dit-elle en soupirant,

Demandes-tu qui te peut accuser?

Les rives de Lignon,

Les prés, et les bocages,

Les antres, les forêts,

Les sources, les ruisseaux,

Les hommes, et les dieux,

Tous t'accusent, berger,

Tous demandent vengeance;

Même ta conscience

De ton méfait et de ta trahison

Te juge et te condamne.

SYLVANIRE

Et Fossinde a parlé

Ainsi contre Tirinte.

ALCIRON

Chacun l'ayant ouïe

Comme toi s'étonna,

Parce que presque tous

Savaient bien son amour.

Mais lui sans s'émouvoir,

Parle aux juges, dit-il,

Accuse ce Tirinte

En ce qu'il a forfait,

C'est d'eux, et non de moi

De qui tu dois attendre

Le juste châtiment

De ses fautes commises:

Penses-tu que je manque

De coeur pour supporter

Les supplices qui peuvent

Ton âme contenter,

Ou ma faute effacer?

AGLANTE

Son courage était grand,

Et chacun le doit plaindre.

ALCIRON

Elle alors rougissant,

Et se tournant vers les sages druides:

Ce berger inhumain

Que vous voyez à votre tribunal,

C'est le berger, dit-elle,

Le plus digne de mort

Qui fut jamais accusé devant vous.

Il aima Sylvanire,

À ce qu'il va disant:

Mais qui le pourrait croire?

Jamais il ne connut

Les forces de l'amour,

Quoi qu'à l'amour ses fautes il rejette:

Fait-on mourir la personne qu'on aime?

Et toutefois il n'a pas seulement

Présenté le poison

À cette belle fille,

Mais le cruel l'a-t-il pas vu mourir

Avec tant de douleurs,

Qu'il faut bien n'avoir point

Ni d'amour ni de coeur,

Pour avoir le courage

De faire à ces beautés

Un si cruel outrage:

Mais de sa mort s'est-il encor saoulé?

Non, non, sages druides,

Il la va déterrer,

Il veut paître ses yeux

D'un forfait qu'une tigre

N'aurait pas perpétré;

N'est-ce pas là le comble plus extrême

De l'inhumanité?

Mais oyez des grands dieux

La clémence infinie:

Ce perfide retrouve,

Contre son espérance,

La morte-vive, un miracle si grand

Devait-il pas lui ramollir le coeur,

Et touché dedans l'âme

D'un puissant repentir

Lui faire détester

L'erreur qu'il avait faite?

Au contraire il s'obstine,

Ajoute crime à crime,

Et montre bien être vrai ce qu'on dit,

Qu'enfin l'abîme appelle un autre abîme.

L'ayant donc trouvée

Vive dans le cercueil,

Peut-être qu'à ses pieds

Pardon il lui demande;

Tout au contraire il la veut dérober,

Et par force emmener

Dans des antres sauvages,

À quel dessein? Vous le pouvez penser,

Et croit que ce forfait,

Aux hommes bien caché,

Aux dieux aussi de même le sera.

Mais seulement il en eut le vouloir,

Sans toutefois mettre la main à l'oeuvre:

Non, non, sages druides,

Il a mis en effet

La résolution

D'une telle pensée,

Ou pour le moins il s'en mit en devoir,

Et n'eût été qu'aux cris de Sylvanire

Ces bergers accoururent,

Qui la force à la force

Vaillamment opposèrent,

Dieu sait que ce félon (44)

N'eût entrepris contre une faible fille.

SYLVANIRE

Fossinde a bien dit vrai.

ALCIRON

Je vous ai dit le crime,

Continua Fossinde,

Vous savez mieux que nous

Ce que les lois ordonnent,

On demande justice,

C'est à vous de la faire,

Et l'attendre des dieux

Comme vous la rendrez.

AGLANTE

Que répondit Tirinte?

ALCIRON

Elle a raison, ô très sages druides,

Répond Tirinte alors,

Disant que j'ai failli,

Mais elle a tort aussi

De m'accuser d'un crime auquel mon âme

N'a jamais consenti.

Je ne refuse pas

Les tourments ni la mort,

Je suis assez coupable,

Je le confesse, et n'ai point de raison,

Ni n'en veux point avoir

Pour m'excuser du moindre des supplices

Qui me sont préparés:

Mais que sert-il d'ajouter sans raison

Des crimes faux aux crimes véritables?

Je l'aime trop, et l'ai toujours aimée

De trop d'affection,

La belle Sylvanire,

Pour avoir le courage

De lui faire du mal;

Je ne dis pas seulement par l'effet,

Mais avec la pensée.

Il est vrai, mais déçu,

J'ai donné le poison:

Que je sois seulement

Déchargé de ce crime,

Tous les autres j'avoue,

Ne me souciant guère

Des plus cruels supplices

Dont je suis menacé,

Pourvu que nette et pure

J'emporte mon amour

Dedans ma sépulture.

À ce mot il se tut.

AGLANTE

Courage résolu

D'un généreux berger.

ALCIRON

Et parce qu'au grand bruit

J'étais comme plusieurs

Accouru sur le lieu,

Ne pouvant supporter

De voir sa cause ainsi mal défendue,

Je me mis en avant

Pour répondre à Fossinde.

Mais lui soudain mon dessein connaissant:

Cesse ami, me dit-il,

Je veux mourir enfin,

Heureux qui meurt ne pouvant vivre heureux.

Mon amour toutefois

Encore un coup me fit ouvrir la bouche:

Mais lui pour m'interrompre,

Ô très sages druides,

S'écria-t-il, c'est la compassion,

Et non la vérité

Qui fait que ce berger

Veut défendre ma faute,

Vous ne le croyez pas,

Car je le désavoue.

SYLVANIRE

Que faisait lors Fossinde?

ALCIRON

Elle se souriait:

Mais vois, berger, lorsque le ciel ordonne

Que quelque chose en la terre se fasse

Comme il va disposant,

Tout ce qui peut telle chose parfaire,

Lorsque peut-être en plus d'incertitude

Tes affaires, Aglante,

S'en allaient balançant.

AGLANTE

Ô qu'il est dangereux

D'être soumis au jugement des hommes!

ALCIRON

Voilà pas que Théante

Suivi de plusieurs autres

Accourt au tribunal:

Chacun à foule auprès de lui se presse

Pour ouïr les raisons

Qu'on croyait qu'il peut dire

Pour avoir Sylvanire.

Pères, dit-il, je viens vous déclarer

Que Sylvanire à quelque autre peut être,

Mais non pas à Théante.

Si l'amour est folie,

Il faut dire manie,

Encore plus extrême,

D'aimer qui ne nous aime,

Et comme que ce soit

Grande est la servitude

Du mariage, et mille fois plus grande

Celle dont les liens

Des noeuds d'amour ne sont point attachés.

Il partit à ce mot,

Quoi que lui dit Ménandre.

Alors le grand druide

Prononça ces paroles.

Libre est la volonté,

Et d'un libre vouloir

Sont faits les mariages:

Que Sylvanire épouse donc Aglante,

Et que Ménandre en cela se contente.

AGLANTE

Ô très juste décret!

SYLVANIRE

Ô très justes druides!

C'est bien avec raison

Que pères l'on vous nomme.

ALCIRON

Mais écoutez qu'il advint de Tirinte:

Tel fut le jugement.

Amour permet, et nous le permettons,

Dit alors le druide,

Que tout amant essaye

Avec tout artifice

D'obtenir ses désirs

De celle qu'il adore.

Dans le règne d'amour

Le larcin est permis,

Les ruses, les finesses

S'appellent des sagesses.

Mais qu'on se garde bien

De force et violence,

L'amour est volontaire,

Et qui fait au contraire,

Par cette déité

Est criminel de lèse-majesté:

Pour ce Tirinte en vertu de la loi

Absous est déclaré

De toutes ses finesses;

Car amour les avoue:

Mais pour la violence

Dont il est convaincu,

Nous ordonnons pour juste châtiment

D'un si grand démérite,

Du rocher malheureux

Que l'on le précipite.

AGLANTE

Ô dur arrêt! ô cruelle sentence!

SYLVANIRE

Donc Tirinte mourra.

ALCIRON

Donnez-vous patience.

En même temps Tirinte est attaché,

Chacun le pleure, et tous blâment Fossinde

De l'animosité

Qu'elle a montrée envers ce beau berger.

Elle au rebours d'un visage joyeux,

D'un oeil riant, Tirinte je confesse,

Lui dit-elle tout haut,

Que je te vois réduit au même point

Que dès longtemps j'avais tant souhaité:

Et bien, lui répond-il,

Tu dois être contente:

Quant à moi je le suis,

Saoule-toi de mon sang.

Non, non, dit-elle, insensible berger,

Ce n'est pas de la sorte

Que je l'entends: si je t'ai souhaité

En cet état, c'est pour faire paraître

Qu'amour en moi surpasse ta rigueur.

Lors se tournant vers les sévères juges:

Puisque vous condamnez

Selon la loi, dit-elle, ce berger,

Selon la loi de même je demande

Que vous me le donniez

Pour mon mari, puisque la loi le veut.

SYLVANIRE

Vraiment elle fit bien.

AGLANTE

Mais voyez quelle ruse,

L'accuser pour l'avoir.

ALCIRON

Mais écoutez d'une amour insensée

Le conseil insensé:

Tirinte condamné

Au rocher malheureux,

Et rappelé de la mort à la vie

Par l'amour de Fossinde,

Aime mieux du rocher

L'horrible précipice,

Que de cette Fossinde

L'amour ni les faveurs.

Donc, ce disait-il,

Je la rachèterai,

Cette vie odieuse,

D'une vie à jamais

Odieuse pour moi

Mille fois davantage?

Donc pour ne mourir

Une fois seulement,

Tous les jours je mourrai?

Quoi? Tous les jours, mais à tous les moments

Mille fois je mourrai?

Vaut-il pas mieux achever tout d'un coup

Le destin malheureux

Que le ciel nous ordonne,

Et de tant de malheurs

Tromper la tyrannie,

Que vivre encor pour ne vivre jamais,

Puisque ce n'est pas vivre

Que vivre malheureux?

Ainsi disait Tirinte,

Et pressé du regret

De perdre Sylvanire

S'allait mettre à genoux,

Pour déclarer que la mort à l'amour

Il voulait préférer:

De quel aveuglement

Est occupé l'amant!

Et déjà les genoux

Il fléchissait devant le tribunal,

Joignait les mains ensemble:

Pères, voulut-il dire,

Quand j'accourus, de la main lui fermant

Déjà la bouche ouverte,

Sur lui je m'abouchai:

Je veux donc mourir,

Lui dis-je, comme toi,

Si tu ne veux pas vivre;

À mon exemple alors

Les parents, les amis

De ce gentil berger,

Dont le nombre était grand,

M'aidant à cet office,

Pour lors nous arrêtâmes

Le cours précipité

De ce mauvais conseil.

SYLVANIRE

En cet instant, mais que faisait Fossinde?

ALCIRON

Toute étonnée elle pâlit dabord,

D'un oeil chargé d'effroi

Le va considérant,

Reste immobile, et d'un pas se recule:

Puis tout à coup, donc c'est moi, Tirinte,

Qui suis ton homicide:

C'est donc, dit-elle, moi

Qui t'ai conduit au rocher malheureux:

Il ne sera pas vrai,

J'aime mieux que ma mort

Témoigne ma pensée,

Que si jamais Tirinte pouvait croire,

Ou quelque autre après lui,

Que Fossinde, ô grands dieux!

Eut sa mort consentie.

Écoute donc, berger,

Reçois cette Fossinde,

Si tu ne veux pour femme,

Dis-la seulement telle,

Pour fuir la rigueur

Des lois qui te condamnent,

Et puis tiens-la pour ce que tu voudras,

Tiens-la pour ton esclave,

Telle je veux bien être

Et moindre s'il se peut,

Pourvu que de Tirinte

Le destin je déçoive.

AGLANTE

Elle me fait pitié.

ALCIRON

Tout de même en fit-elle

À tous ceux qui l'ouïrent:

Et parce que les pleurs,

Et les sanglots lui refusaient la voix,

Ce silence contraint

Parlait sans doute à ce berger cruel

Avec plus d'éloquence.

Quelque temps sans parler

Il la considéra

En l'état où je dis,

Et cependant l'amour

Qui, comme on dit, ne pardonne jamais

À la personne aimée

Les cruautés qu'elle fait à qui l'aime,

De sorte à ce Tirinte

Représenta l'entière affection

De cette honnête fille,

Qui pouvait être dite

Opiniâtreté

Plutôt qu'affection,

Qu'enfin vaincu, je mets à bas les armes,

Et je me rends, dit-il,

Fossinde ton amour

A surmonté ma résolution,

Et lui tendant la main,

Soit donc pour jamais

Tirinte à sa Fossinde,

Fossinde à son Tirinte.

Un battement de mains

Remplit soudain le lieu

De bruit et d'allégresse,

Et Ménandre et Lerice

Ensemble avec Alcas

Par les mains se prenants,

D'un visage joyeux,

C'est aujourd'hui, dirent-ils d'une voix,

Le jour heureux que le ciel établit

Pour le contentement

Des bergers de Lignon.

Soit Io redoublé,

Soit Hymen appelé,

Soient les dieux invoqués,

Les pans, les égipans, (45)

Les nymphes, les dryades,

Tout se doit réjouir,

Et vous très justes pères

Concédez à Fossinde

Sa trop juste demande.

Nous pardonnons Tirinte

Et Sylvanire aussi,

Veuillez que tous ensemble

Au temple nous allions

Remercier les dieux,

Et finir, puis qu'ainsi

Ils montrent qu'ils le veulent,

D'Aglante et Sylvanire,

De Tirinte et Fossinde,

Les heureux mariages.

SYLVANIRE

Ô c'est bien à ce coup,

Que mon coeur est content,

Puisque mon père et que ma mère aussi

À la fin y consentent.

ALCIRON

Les druides alors

Pleins de contentement,

En vertu de la loi

Et du consentement

D'Alcas le bon pasteur,

Accordèrent Tirinte

À la fine Fossinde,

Et ton père embrassèrent

D'extrême joie, et moi pour te le dire

Je suis venu courant,

Afin d'être premier

À ces bonnes nouvelles,

Pour satisfaire au mal que je t'ai fait;

Car ce fut moi qui donnai le miroir,

Comme ami de Tirinte,

Qui te mit au cercueil:

Et je voudrais bien être

Pour le moins à ce coup

Ministre de ta joie,

Comme j'avais été

Ministre de ton deuil.

SYLVANIRE

Ministre vraiment

Es-tu bien de ma joie,

Puisque ton artifice

Fut cause que j'obtins

Cet Aglante que j'aime:

Alciron à jamais

Soit heureux et content,

Duquel la sage ruse

Non seulement j'excuse,

Mais j'estime et bénis.

Ô que tardons-nous plus

Allons-nous en, Aglante,

Nous prosterner aux pieds

De Ménandre et Lerice,

Et de nos justes juges.

AGLANTE

Allons, nous le devons:

Ô jour trois fois heureux!

ALCIRON

Il vous cherchent partout,

Pour vous conduire au temple:

Mais les voici qui viennent.

SYLVANIRE

Je les vois, les voici,

Allons, mon cher Aglante.

SCÈNE XIII

Sylvanire, Aglante, Ménandre, Lerice, Fossinde, Alciron, Tirinte,

Hylas.

SYLVANIRE

Si je vous ai déplu

Votre grâce j'implore,

Pardonnez ma jeunesse.

AGLANTE

Et mon affection.

MÉNANDRE

Mes enfants; car tous deux

Je vous reçois pour tels,

Oublions le passé,

Et l'effaçons du tout:

Faisons un autre livre

Où je mettrai tous les contentements

Que je dois recevoir

Et de l'un et de l'autre,

Et vous les témoignages

De mon affection,

Et pour bien commencer,

À toi, mon fils Aglante,

Je donne Sylvanire,

Tu mérites bien mieux:

Mais à toi, Sylvanire,

Aglante je te donne,

Et je sais bien que tu ne veux pas mieux.

Les dieux vous soient propices et bénins,

Et prolongent vos jours,

Avec contentement,

Au nombre de l'arène.

AGLANTE

Quand les bienfaits peuvent être égalés

Par les remerciements,

Ou bien par les services,

Il faut user d'effet et de paroles

Pour n'être point ingrat:

Mais lorsque leur grandeur

Surpasse la puissance,

Et des remerciements,

Et de tous les services,

Il faut recoure aux voeux,

Et prier les grands dieux

Par leur bonté, de vouloir satisfaire

À de si grandes dettes.

Et c'est ainsi qu'en cette occasion

Je suis contraint de faire,

Étant si grand le bien que je reçois

Que je ne le puis dire

Ni satisfaire aussi,

Qu'en suppliant les dieux,

Les dieux tous bons qu'ils veuillent reconnaître

Tout ce que je vous dois,

Et cependant donnez-moi votre main,

Et vous aussi ma mère,

Afin que je les baise,

Pour un sûr témoignage

De mon fidèle hommage.

SYLVANIRE

J'en dis autant, ma mère.

LERICE

Mes chers enfants, je vous reçois tous deux

Pour mes propres enfants,

Et comme tels je veux que vous m'aimiez,

Et vivez bienheureux.

FOSSINDE

Et nous n'aurons-nous pas

Quelque reconnaissance

De bonne volonté?

Notre vieille amitié

Ne fera-t-elle pas

Que tous les déplaisirs

Que vous avez reçus

De l'amour de Tirinte?

ALCIRON

Et de mes artifices?

FOSSINDE

Soient oubliés dans vos contentements?

SYLVANIRE

Tout, tout, Fossinde, il n'en faut plus parler.

FOSSINDE

Aglante et toi?

AGLANTE

Je n'ai jamais haï

Personne qui voulût

La belle Sylvanire,

J'eusse été trop injuste

De blâmer en autrui

Ce qu'en moi j'estimais,

Et crois-le ainsi, Tirinte.

TIRINTE

J'ai désiré plus que moi Sylvanire,

Et tout ce que j'ai pu

Pour la gagner je l'ai fait, je l'avoue,

Les dieux te l'ont donnée,

Garde-la bien, Aglante,

Pour moi je me contente,

Puisque les dieux ainsi l'ont ordonné,

De l'amour de Fossinde.

MÉNANDRE

Or allons mes enfants

De l'amour triomphants,

Allons au temple, allons;

Un bienfait reconnu

Doit espérer des dieux

D'avoir encore mieux.

HYLAS

Heureux amants, voilà de votre peine

Le loyer mérité,

Votre constance à ce coup n'est point vaine,

Ni votre loyauté:

Que si toujours semblable récompense

Un coeur fidèle attend,

À votre exemple? Ah! Quant à moi je pense

Que je serai constant.

LE CHOEUR

Amour pour passe-temps

D'une même racine,

Produit en même temps

Et la rose et l'épine.

Si la fleur on en veut,

Qu'en soi-même on propose,

Que l'épine se peut

Rencontrer pour la rose.

Mais qui retirera

La main pour la piqûre,

Jamais il n'en aura

Que la seule blessure.

Qui veut donc cette fleur,

Qu'il n'en craigne la plaie;

Car il doit être sûr

Qu'enfin l'amour nous paye.

 

 

 

NOTES

Notes.

(1) Lignon: Rivière du Forez en France rendu célèbre par Honoré d'Urfé, dans sa pastorale L'Astrée.

(2) Marcilly le Pavé: Commune de la Loire dans le Forez, entre Thiers et Saint-Etienne, à l'ouest de Lyon.

(3) Prométhée: Titan qui offrit le feu aux hommes et qui fut enchaîné au sommet du Caucase par Jupiter: un aigle dévorait son foie qui se régénérait sans cesse.

(4) Rhadamante: Fils de Jupiter et d'Europe et frère de Minos, est un des juges des Enfers. Il avait épousé Alcmène, veuve de d'Amphitryon.

(5) Le vers 418 est absent de l'édition Champion.

(6) Moyeu: Jaune d'oeuf.

(7) Avette: ou apelle. Un des noms vulgaires de l'abeille domestique.

(8) Jeu coquimbert: Jeu à qui perd gagne. Cité par Rabelais.

(9) Abshtinthe: Plante aromatique et très amère. Espèce de liqueur faite avec l'absinthe. Fig. Amertume.

(10) Cérès: Dans le polythéisme gréco-romain, déesse qui présidait aux moissons.

(11) Pomone: Nymphe et fausse divinité des Anciens, qu'ils croyaient présider aux jardins; ils feignent qu'ils fut mariée à Vertumne, qu'ils avaient pour ce sujet en grande vénération.

(12) Briarée: personnage de la mythologie grecque, Géant, frère des Titans et des cyclopes, qui a cinquante têtes et cent bras.

(13) Affeté: Qui a de l'affetterie [c'est à dire une) Recherche

mignarde dans les manières ou dans le langage.

(14) Recrêper: Crêper de nouveau. [c'est à dire) Friser en manière de crêpe.

(15) Isoure: Il doit s'agir d'Issoire, ville au sud de Clermont-Ferrand en Auvergne.

(16) Fuitif: Celui qui prend la fuite. Qui s'échappe, qui fuit.

(17) Relent: Qui a une odeur de renfermé.

(18) Semondre: convier à une cérémonie, à un acte public, à une réunion, à un rendez-vous. Réprimander.

(19) Tétin: Le bout de la mamelle des femmes par où sort le lait, et que les enfants sucent pour se nourrir. Il se dit aussi pour téton, mais dans le style bas et comique.

(20) Satyre: C'était chez les païens une Demi-Dieu fabuleux, qui présidait aux forêts avec les faunes et les sylvains. Il les peignaient moitié homme, et moitié boucs. Hommes par en haut avec des cornes sur la tête; et en bas une queue, des pieds de boucs et tout velus par le corps.

(21) Vulcain: le nom romains du dieu grec Héphaïstos, dieu du feu, de la forge et des volcans.

(22) Cypris: Qui signifie proprement une femme de Cypre, mais qui ne se dit que de Vénus, à qui cette île était consacrée.

(23) Déjanire: Fille d'OEnée, roi de Calydon, en Étolie, fut épousée par Hercule qui en eu Hyllus.

(24) Endymion: Berger de Carie ou d'Elide (Grèce antique) d'une grande beauté, avait été, selon la Fable, placé dans le ciel par Jupiter, qui l'en chassa parce qu'il avait voulu attenter à l'honneur de Junon, et le condamna à un sommeil perpétuel. Diane s'éprit d'une vive passion pendant qu'il dormait pour lui et le transporta dans une caverne.

(25) Folâtre: Qui aime à faire gaiement de petites folies.

(26) Le vers 4494 est absent de l'édition Honoré Champion.

(27) Dilayer: Renvoyer à un temps plus éloigné. User de remise.

(28) Muguetter: Courtiser, comme fait le muguet. Fig. Rechercher, désirer d'obtenir.

(29) Ambrosie: ou ambroisie. Mets des divinités de l'Olympe.

(30) Encorné: Qui porte des cornes.

(31) Colombelle: Petite colombe, au propre et au figuré.

(32) Styx: Fleuve qui, selon la mythologie, coulait aux enfers; les dieux juraient par le Styx, et ce serment ne pouvait être violé.

(33) Esculape: dieu romain de la médecine (Asclepios en grec). Selon le mythe grec, il est le fils d'Apollon et de Coronis.

(34) Rengrégement: Augmentation.

(35) Mânes: terme poétique qui signifie l'ombre ou l'âme des morts.

(36) Rengréger: Augmenter, en parlant du mal des maladies.

(37) Deseignier: Dépouiller d'un signe, d'une marque.

(38) Abuseur: Celui qui abuse, qui trompe.

(39) Mémenphitique: Qui appartient à Memphis. [ville d'Egypte.)

(40) Torpille: Genre de poissons cartilagineux plagiostomes voisins des raies, ayant un appareil électrique sur les côtés de la queue et donnant une commotion à ceux qui les touchent.

(41) L'édition Honoré Champion ne fait qu'un vers: 'Et bref où tout mon mal demeure' au lieu des deux vers précédents.

(42) Heur: rencontre avantageuse. (...)  [antonyme de malheur)

(43) Le vers 8381 n'est pas dans l'édition Honoré Champion.

(44) Les deux vers du dessus sont dans l'édition Champion un seul vers: 'Que la force à la force posèrent.

(45) Égipan: Terme de mythologie. Sorte de divinité champêtre, satyre.

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Date de dernière mise à jour : 01/01/2023