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- Maisons (1926) - Blanche Lamontagne (1889-1958)
Maisons (1926) - Blanche Lamontagne (1889-1958)
« La maison ! Il n’y en a qu’une au monde.
La maison, cela suffit. La maison, cela dit tout. »
HENRI BORDEAUX.
La maison solitaire.
« Aujourd’hui, j’ai rêvé d’une
petite maison, gaie et chaude,
où je serais seul avec mes livres,
une maison dans un paysage
agréablement accidenté,
à l’ombre d’un bois,
près d’un cours d’eau
chantant »
HENRI D’ARLES.
I
Je sais un coin perdu, loin de la grande ville,
Encerclé de coteaux et de buissons épais,
Un lieu calme et secret qui semble un vaste asile
Pour les coeurs affamés de silence et de paix.
De blancs chemins fermés par de vertes barrières,
Des vallons regorgeant de blés drus et mûris.
Des forêts, des ravins, de profondes clairières,
D’où sort l’odeur des pins et des pommiers fleuris.
Il n’est pas de montagne. Une côte un peu rase,
Où l’on voit, çà et là, fumer une maison,
- Car de sa masse la montagne nous écrase
Et cache à notre rêve un magique horizon
Aucun lac ne sommeille au sein du voisinage,
- Un lac est traître et cache en lui des coups de vent.
Aucun lac, mais tout près, dans un lit de feuillage
Un ruisseau gazouilleur, tortueux et vivant
Un ruisseau babillard dont l’eau toute moirée
Au midi, lutte de splendeur avec le ciel,
Et dont l’onde a parfois, dans sa robe dorée,
Un reflet qu’on pourrait croire immatériel
Un ruisseau gracieux, semé de coquillages,
Dont on peut d’un regard embrasser la largeur,
Qui ne donne jamais le goût des grands voyages,
Mais retient près de lui le poète songeur
Je sais un coin rustique, un paradis du rêve,
Où sont de vieux lilas aux rameaux parfumés,
Où jamais les aulniers n’ont vu tarir leur sève,
Où de jeunes époux jadis se sont aimés.
À l’abri de tout vent, au pied d’un monticule,
Entre des peupliers au dôme retombant,
Pour nous asseoir à l’aube ou bien au crépuscule,
Nous aurons sous l’épaisse feuillée, un vieux banc.
Et, quand tout tombera dans l’humaine paresse,
Que le soir étendra partout son ombre soeur,
Nous sentirons alors ainsi qu’une caresse,
Descendre sur nos fronts sa tranquille douceur
II
Dans ce recoin paisible où la broussaille pousse
Et tend ses clairs rameaux habillés de gazon
Nous irons habiter, tous les deux, une douce
Maison.
Ce sera cette vieille maison décrépite,
Dont le toit chaque jour par l’aube est rajeuni,
Et dont les murs poudreux ont des trous où palpite
Un nid.
Cette ancienne maison jadis hospitalière,
Dont le seuil s’offre encore à nos pas et sourit,
Dont la mousse s’étend sans cesse, dont le lierre
Fleurit.
Ce sera la maison dont la cour, coin agreste,
Au sein des ronces cache un robuste rosier,
Qui dans l’or des couchants semble quelque céleste
Brasier!
Du cri perçant des trains il ne nous viendra guère
Que de faibles échos perdus au bout d’un champ.
Nous serons loin du pâle envieux, du vulgaire
Méchant.
Dans cette paix, parmi ces choses qui suffirent
À ceux qui ne voulaient que se faire ignorer,
Disparaîtront tous ces êtres faux qui nous firent
Pleurer.
Loin de tous les regards, loin du monde et des hommes,
Un candide horizon venant remplir nos yeux,
Peut-être pourrons-nous oublier que nous sommes
Très vieux.
Et soustraits au mensonge, aux louanges, au blâme,
Sauvés de tout, par le grand calme triomphant,
Nous pourrons, peu à peu, reconquérir notre âme
D’enfant.
Et laissant, tel le gai ruisseau sous l’herbe tendre,
Couler nos jours sans peur, sans soucis, sans remords,
C’est là que nous pourrons joyeusement attendre
La mort!
La maison paternelle
« L’air ne sera plus baigné par la
respiration suave de leur enfance. »
PIERRE AGUÉTANT.
I
Tu vas partir, quittant la maison et la ferme,
Et la douce rivière à la voix de cristal,
Tu vas partir hélas ! car ton âme se ferme
Au tendre et vif appel du village natal.
Ainsi qu’un triste oiseau que le calme importune,
Tu quittes la rivière au murmure argentin ;
Sous des cieux étrangers tu vas chercher fortune,
Et guetter, sombre esprit, un plus riche destin.
Mais un jour en passant près d’une humble demeure
Dont la porte sourit sous les aulnes tremblants,
Tu songeras au toit où ton vieux père pleure
Et vieillit seul et triste avec ses cheveux blancs
Les souvenirs viendront frapper ton coeur de pierre,
Tu frémiras de voir au loin fumer les toits ;
Des larmes surgiront au fond de ta paupière,
Et tu te souviendras des beaux jours d’autrefois
Tu verras la maison, la colline fleurie,
La mer où les bateaux flottent dars l’air du soir,
La grange, le verger, le champ, la bergerie,
Et le banc du jardin où tu venais t’asseoir
Las enfin de chercher une joie incertaine,
Tu pleureras le toit si charmant et si gai ;
L’image de la bonne terre canadienne,
Surgira pure et belle en ton coeur fatigué !
Tu sentiras le poids du leurre et des mensonges,
L’ennui de vivre loin du sol où l’on est né ;
Tu verras tournoyer chaque nuit, dans tes songes,
Les rivages du nord, les monts du Saguenay
Alors tu pleureras notre fleuve et ses grèves,
La rive d’or au flot si doux et murmurant,
Tu seras lourd d’ennuis, de remords et de rêves,
Et tu regretteras les bords du Saint-Laurent !
II
Lorsque, seul dans le chemin sombre,
Traînant tes rêves désolés,
Triste, tu pleureras, dans l’ombre,
Sur tous les beaux jours envolés.
Portant tes renards en arrière,
Sur ces instants si tôt flétris,
Songe à la petite rivière
Qui chante dans les aulnes gris !
Ah ! souviens-toi de la fontaine
Restée encor fraîche depuis,
Du saule penché sur la plaine,
De la margelle et du vieux puits !
Souviens-toi des champs, des vallées,
Des nids, chantant tous à la fois ;
Des belles routes ondulées,
Et des chemins au fond des bois
Du bosquet débordant de roses,
De l’aube dorant les volets ;
Et du recoin où sont encloses
Les cerises que tu volais !
Dans la détresse du voyage,
Sans espérance et sans amours,
Ah ! souviens-toi de ton village
Où tu vécus de si beaux jours !
Dans ta tristesse et ta chimère
Si tu vas sans gîte et sans toit,
Du doux visage de ta mère
Ami, souviens-toi, souviens-toi !
La pauvre maison grise.
C’est une pauvre maison grise
Au seuil difforme, au sombre toit,
Si petite hélas ! sous la brise
Qu’avec peine en route on la voit.
Près d’une colline lointaine
Où le blé croît avec orgueil,
L’herbe recouvre sa fontaine,
La mousse dévore son seuil.
Et sa rustique cheminée,
Comme ses auvents mal bâtis,
Sert à cacher la destinée
De l’hirondelle et ses petits
Mais par la plaine, en la rosée,
Chantant leur amour, leur espoir,
Le pied très sûr, la peau bronzée,
Les siens reviennent chaque soir
Qu’elle soit basse et décrépite,
Qu’elle soit laide et sans couleur,
Pour tous les êtres qui l’habitent
Cette humble maison, c’est la leur
Cette demeure désuète
Au toit noir, aux tristes volets,
Cette rigide maisonnette
Pour eux vaut autant qu’un palais.
Car en cette retraite obscure
Au temps des lilas embaumés,
Avec leur âme ardente et pure
Des amoureux s’y sont aimés
Avec la tendresse suprême
Qui fait tous les coeurs oppressés,
Ils se sont murmuré : je t’aime,
Et leurs doigts se sont enlacés
Ah ! quelle que soit l’existence
L’homme s’attache pour toujours
À la maison de son enfance,
À la maison de ses amours.
Et plusieurs ont cette hantise
Et le souvenir bien touchant
De cette pauvre maison grise
Qui leur sourit au bout du champ !
La maison des collines.
Là-bas, là-bas, au bout des terres
Au pied des monts si reculés,
Dans les lieux les plus solitaires
J’ai vu ta maison dans les blés.
J’ai vu ta maison radieuse,
Si pauvre et si riche à la fois,
Dans la plaine silencieuse
Et seule au milieu des grands bois
J’ai vu la profonde clairière
Que tu creusas dans la forêt,
Où dans un grand jet de lumière
L’horizon immense apparaît
Ô colon, âme de poète,
Ô grand amoureux des sommets !
Que je te loue en ta retraite !
Que ma voix te chante à jamais !
Cette simple et tranquille vie,
À l’ombre des feuillages frais,
Cette existence qu’on envie,
Nous la rêvons, toi tu la fais !
J’ai vu ta maison solitaire
Dont le toit rustique fumait,
Et le petit lambeau de terre
Où la moisson neuve germait
Une brise tiède et légère
Passait sur les arbres tremblants ;
Entre les tiges de fougère
S’envolaient des papillons blancs
Nul bruit. L’immense solitude
Faite de verdure et d’épis.
Et, la nuit, cette quiétude
De tous les êtres assoupis
Oh ! ce bonheur incomparable
D’ignorer les pavés de fer ;
Les foules au coeur misérable,
Et les villes au bruit d’enfer !
N’avoir pour tout bien que les gerbes
Qu’un modeste grenier contient,
Mais croire, au sein des champs superbes,
Que l’univers nous appartient !
Vivre dans la plaine féconde,
Ami du buisson et du nid,
N’avoir aucun bien en ce monde,
Mais posséder tout l’infini !
N’entendre toujours, ô merveille !
Dans une immuable clarté,
Que les murmures de l’abeille,
Et les chants de l’immensité !
Maison de pêcheur.
Garni de pics abrupts et de forêts tremblantes,
Le front tout hérissé de rocs et de granits,
Le mont gaspésien, rougi d’ocres sanglantes,
Étale ses longs flancs où pullulent les nids
Déjà le soir descend sur la haute falaise,
Au ras des lourds rochers volent les noirs courlis.
La vague s’assombrit et la brise est mauvaise.
La maison du pêcheur fume dans le ciel gris
Cependant un filet de soleil brille encore
En arrière des caps aux abîmes secrets,
Et s’étend jusqu’au bord des grèves que décore
La sombre intybellie et les fenouils épais
Une voile frissonne entre les vagues vertes ;
Un bateau de pêcheur aborde le rocher.
L’homme se bat les mains, d’écailles recouvertes,
Et sous un lourd fardeau tout son corps est penché
Mais avant de plier ses agrès et ses voiles,
Il a jeté les yeux sur la côte, là-bas ;
Il perçoit dans la nuit, à travers les étoiles,
Le foyer où les siens le rappellent tout bas
Pauvres hommes voués à la vague traîtresse,
Vous la connaissez bien la douceur des foyers !
Et vous en avez soif, pauvres coeurs en détresse,
Quand vous quittez les flots où dorment les noyés !
Il l’a bien aperçu le feu de sa demeure
Qui scintille au-dessus du grand fleuve mouvant !
Il avance, rempli de joie intérieure ;
La porte s’ouvre, il entre ainsi qu’un coup de vent !
Ceux qu’il aime il les a tous reconnus bien vite ;
- C’est pour eux qu’il peinait tantôt dans le brouillard !
Puis il voit sur la table, où sa place l’invite,
Fumer dans un grand plat la morue et le lard
Dans sa chaise il s’assied, à la table il s’affaisse,
Il approche les plats et mange avidement,
Cependant que, dehors, la nuit est plus épaisse,
Et que la mer reprend son lourd rugissement !
La maison divine.
Ô bonheur du foyer ! Ô mystère !
Ô toit fumant à l’horizon !
Tout homme qui peine sur terre
Aime et recherche sa maison.
Le paysan part, dès l’aurore,
Traînant sa faucille avec lui,
Dans les mers de gerbes que dore
Le bienfaisant soleil qui luit.
Il tourne la glèbe féconde,
Et les sillons durs et flétris ;
La sueur l’aveugle et l’inonde,
Et ses pauvres pieds sont meurtris ;
Mais le soir quand le champ s’embrume,
L’homme se redresse, content :
Il songe à l’humble toit qui fume,
Il songe au foyer qui l’attend !
- De même au soir de notre vie,
Quand notre ciel va s’assombrir,
Quand la côte est toute gravie,
Et que vient l’heure de mourir,
De même nos pauvres prunelles,
Lasses de l’humaine prison,
Parmi les clartés éternelles
Cherchent la céleste maison
Derrière la brune colline
Nos yeux mourants, nos faibles yeux
Cherchent votre maison divine,
Ô vous, notre Père des cieux !
Votre blanche maison de lumière
Que cherchent nos yeux éplorés,
Votre sainte maison, ô Père,
S’ouvrira-t-elle à nos pieds ulcérés ?
Nous tendrez-vous vos deux bras secourables,
Ô Père éternel, notre Dieu,
Et serons-nous parmi les misérables
Que vous ferez asseoir à votre feu ?
FIN
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021