(Knock : Scène IV – Acte II)
PERSONNAGES:Knock, la Dame en noir
Knock
Voici les consultants. C'est vous qui êtes la première, madame ? Vous êtes bien du canton ?
La Dame en noir
Je suis de la commune.
Knock
De Saint-Maurice même ?
La Dame
J'habite la grande ferme qui est sur la route de Luchère.
Knock
Elle vous appartient ?
La Dame
Oui, à mon mari et à moi.
Knock
Vous devez avoir beaucoup de travail ?
La Dame
Pensez, monsieur ! dix-huit vaches, deux bœufs, deux taureaux, la jument et le poulain, six chèvres, une bonne douzaine de cochons, sans compter la basse-cour.
Knock
Diable ! Vous n'avez pas de domestiques ?
La Dame
Dame si. Trois valets, une servante, et les journaliers dans la belle saison.
Knock
Je vous plains. Il ne doit guère vous rester de temps pour vous soigner ?
La Dame
Oh ! non.
Knock
Et pourtant vous souffrez.
La Dame
J'ai plutôt de la fatigue.
Knock
Oui, vous appelez ça de la fatigue. Tirez la langue. Vous ne devez pas avoir beaucoup d'appétit.
La Dame
Non.
Knock
Vous êtes constipée.
La Dame
Oui.
Knock
Baissez la tête. Respirez. Toussez. Vous n'êtes jamais tombée d'une échelle étant petite ?
La Dame
Je ne m'en souviens pas.
Knock
Vous n'avez jamais mal ici le soir en vous couchant ? Une espèce de courbature ?
La Dame
Oui, des fois.
Knock
Essayez de vous rappeler. Ça devait être une grande échelle.
La Dame
Oui
Knock
C'était une échelle d'environ trois mètres cinquante, posée contre le mur. Vous êtes tombée à la renverse. C'est la fesse gauche, heureusement, qui a porté.
La Dame
Ah oui !
Knock
Vous aviez déjà consulté le docteur Parpalaid ?
La Dame
Non, jamais.
Knock
Pourquoi ?
La Dame
Il ne donnait pas de consultations gratuites.
Knock
Vous vous rendez compte de votre état ?
La Dame
Non.
Knock
Tant mieux. Vous avez envie de guérir, ou vous n'avez pas envie ?
La Dame
J'ai envie.
Knock
J'aime mieux vous prévenir tout de suite que ce sera très long et très coûteux.
La Dame
Ah ! mon Dieu ! Et pourquoi ça ?
Knock
Parce qu'on ne guérit pas en cinq minutes un mal qu'on traîne depuis quarante ans.
La Dame
Depuis quarante ans ?
Knock
Oui, depuis que vous êtes tombée de votre échelle.
La Dame
Et combien que ça me coûterait ?
Knock
Qu'est-ce que valent les veaux, actuellement ?
La Dame
Ça dépend des marchés et de la grosseur. Mais il faut bien compter deux ou trois mille francs.
Knock
Et les cochons gras ?
La Dame
Il y en a qui font plus de mille.
Knock
Eh bien ! ça vous coûtera à peu près deux cochons et deux veaux.
La Dame
Ah ! là ! là! Près de huit mille francs ? C'est une désolation, Jésus Marie !
Knock
Si vous aimez mieux faire un pèlerinage, je ne vous empêche pas.
La Dame
Oh ! un pèlerinage, ça revient cher aussi et ça ne réussit pas souvent. Mais qu'est-ce que je peux donc avoir de si terrible que ça ?
Knock
Je vais vous l'expliquer en une minute .Voici votre moelle épinière, en coupe, très schématiquement, n'est-ce pas ? Vous reconnaissez ici votre faisceau de Türck et ici votre colonne de Clarke. Vous me suivez ? Eh bien ! quand vous êtes tombée de l'échelle, votre Türck et votre Clarke ont glissé en sens inverse de quelques dixièmes de millimètre. Vous me direz que c'est très peu. Évidemment. Mais c'est très mal placé. Et puis vous avez ici un tiraillement continu qui s'exerce sur les multipolaires.
La Dame
Mon Dieu ! Mon Dieu !
Knock
Remarquez que vous ne mourrez pas du jour au lendemain. Vous pouvez attendre.
La Dame
Oh ! là ! là ! J'ai bien eu du malheur de tomber de cette échelle !
Knock
Je me demande même s'il ne vaut pas mieux laisser les choses comme elles sont. L'argent est si dur à gagner. Tandis que les années de vieillesse, on en a toujours bien assez. Pour le plaisir qu'elles donnent !
La Dame
Et en faisant ça plus... grossièrement, vous ne pourriez pas me guérir à moins cher ?... à condition que ce soit bien fait tout de même.
Knock
Ce que je puis vous proposer, c'est de vous mettre en observation. Ça ne vous coûtera presque rien. Au bout de quelques jours vous vous rendrez compte par vous-même de la tournure que prendra le mal, et vous vous déciderez.
La Dame
Oui, c'est ça.
Knock
Bien. Vous allez rentrer chez vous. Vous êtes venue en voiture ?
La Dame
Non, à pied.
Knock
Il faudra tâcher de trouver une voiture. Vous vous coucherez en arrivant. Une chambre où vous serez seule, autant que possible. Faites fermer les volets et les rideaux pour que la lumière ne vous gêne pas. Défendez qu'on vous parle. Aucune alimentation solide pendant une semaine. Un verre d'eau de Vichy toutes les deux heures, et, à la rigueur, une moitié de biscuit, matin et soir, trempée dans un doigt de lait. Mais j'aimerais autant que vous vous passiez de biscuit. Vous ne diriez pas que je vous ordonne des remèdes coûteux ! A la fin de la semaine, nous verrons comment vous vous sentez. Si vous êtes gaillarde, si vos forces et votre gaieté sont revenues, c'est que le mal est moins sérieux qu'on ne pouvait croire, et je serai le premier à vous rassurer. Si, au contraire, vous éprouvez une faiblesse générale, des lourdeurs de tête, et une certaine paresse à vous lever, l'hésitation ne sera plus permise, et nous commencerons le traitement. C'est convenu ?
La Dame
Oui
Knock
J'irai vous voir bientôt.
fin