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BIBLIOBUS Littérature française

 Le Brigand des Pyrénées - Sophie D' Arbouville (1810-1850)

 

 

Légende.

I- Voici la nuit: fuyez, enfants de la montagne,

Et de vos chants cessez l'harmonieux refrain;

Le soir, près du torrent qui creuse le terrain,

On voit errer Caval d'Espagne!

Que ce nom, qu'en tous lieux la terreur accompagne

Ne soit point répété par l'écho du vallon;

Craignez qu'un bruit léger, porté par l'aquilon,

Ne réveille Caval d'Espagne.

En vain vous chercheriez à fuir dans la campagne....

La mule au pas léger, qui s^élance hennissant,

Ne saurait devancer, sur le rocher glissant,

La course de Caval d'Espagne.

Jeune bergère, assise au bas de la montagne,

Protégeant des agneaux innocents comme vous,

Mieux vaut entendre encor les hurlements des loups.

Que la voix de Caval d'Espagne!

Vous, pauvres laboureurs, qui, seuls dans la campagne,

Habitez sous le chaume un modeste réduit,

Oh! priez, priez Dieu, lorsque viendra la nuit.

Qu'il éloigne Caval d'Espagne.

Le soleil se couchait; sur le sommet des monts,

La neige reflétait ses pâlissants rayons.

La douce et pure odeur des fleurs de la Vallée,

De leur sein entr'ouvert vers le ciel exhalée,

Semblait monter à Dieu comme un tribut d'amour,

Ou comme utie prière à la chute du Jour.

Rentrez dans vos foyers, vieillards et jeunes filles;

Reposez doucement au sein de vos familles;

Laissez venir à vous, à l'heure du sommeil,

Le songe aux ailes d'or qui s'envole au réveil;

Et quand l'astre des nuits, des monts bianchit la cime,

Dormez, coeurs innocents, -laissez veiller le crime!

«Alerte! levons-nous! -Amis, voici la nuit.

Que l'acier, dans nos mains, soit aiguisé sans bruit.

Honte à qui dort encore,

Une nuit d'ouragan!

Pour les yeux du brigand,

La lune, c'est l'aurore. . .»

«Mon bras ne reconnaît que mon poignard pour loi,

Et de mon âme altière, un poignard est la foi.

Rien n'est à mon oreille,

Aussi pur y aussi doux,

Que le cri des hiboux,

Quand, comme eux, je m'éveille!

«Alerte! levons-nous! -Amis, voici la nuit.

Que l'acier, dans nos mains, soit aiguisé sans bruit.

Honte à qui dort encore,

Une nuit d'ouragan!

Pour les yeux du brigand,

La lune, c'est l'aurore. . .»

A cette voix, soudain des ombres ont glissé,

Sur des rocs où, jamais nul homme n'a passé;

Le crime seul, le crime y monte avec audace:

Là, de son pas, en vaini*on chercherait la trace!

«Hâtons-nous! le vent gronde et le ciel est voilé;

Hâtons-nous! -C'est ici, sous ce toit isolé,

Contre les froids d'hiver garantissant à peine,

Qu'est rentré le fermier, dont la bourse était pleine. . .

Pleine, braves amis, de brillants écus d'or,

Qu'on arrache aisément des mains d'un homme mort!

Veillez en sentinelle au pied de la montagne;

Un seul s'avancera....

                       -Qui donc?

                                  -Caval d'Espagne!»

II- « Marie, approche -toi près de ce feu brillant»

Disait le métayer, «veillons en travaillant.

A mon retour des champs, que j'aime, de ma fille,

A baiser près de toi le front pur et tranquille!

Viens dans mes bras, enfant! ce soir, je suis joyeux;

fai travaillé pour toi, Dieu bénit mon ouvrage.

Vois, cet or est brillant, comme les blonds cheveux

Dont les anneaux légers entourent ton visage! »

Puis la mère à l'enfant sourit et murmura:

«Pour loi sera l'argent que le ciel nous envoie;

Quand sous tes habits neufs ton coeur palpitera,

Oh! puisses-tu, ma flUe, en ta naïve joie,

Ignorer par combien de peme et de labeur

Ton père, sans se plaindre, a payé ton bonheur! . . .

Hais il est tard, l'enfant sur mes genoux sommeille;

Qu'il dorme en paix! pour lui, je travaille et je veille:

Mon rouet, sous mes doigts tournant jusqu'au matin,

Pour le vêtir l'hiver, va préparer le lin.»

Elle se tut. bientôt, frappant à la chaunmière,

Un homme murmura cette simple prière:

« Le ciel est orageux, le vent gronde,, il fait froid. . .

Mes membres sont transis, j'ai bien faim, ouvrez-moi.»

-«Pourquqi vouloir si tard traverser la montagne?

Allez! » dit le fermier: « Que Dieu vous accompagne!

Je ne puis rien pour vous.»

                            Mais alors une main,

Sur sa bouche entr'ouverte étouffa la parole:

« Que ton coeur,» dit la femme, ami, soit plus humain,

Si tu veux, de nos maux » qu'un jour on nous console!

Le ciel nous a souri,

Tous nos blés ont mûri,

Notre moisson est belle;

Les chiens font sentinelle

A l'entour du bercail;

Par ton actif travail

Nos grains couvrent la terre.

Ouvrons notre chaumière,

Au malheureux sans pain

Qui, vers nous, tend la main!

Par un tendre baiser sa prière s'achève;

Sous les doigts du fermier le vieux loquet se lève.

» Repose-toi, » dit-il; «voici notre pain noir;

Et que mon humble toit t'abrite aussi ce soir.

Femme, dans le foyer que la flamme pétille;

Prépare le souper, et laisse notre fille

Dormir sur les genoux de ce pauvre étranger:

Il ne se plaindra pas d'un fardeau si léger!

Peut-être il sourira-car l'aspect de l'enfance,

Souvent, d'un front chagrin, écarte la souffrance,

Et de tristes pensers le sien semble agité.

Allons, déride-toi, je bois à ta santé!. . .»

A le servir, alors, se prépara Marie,

En lui disant tout bas d'une voix attendrie:

«Ami, que cherches-tu? serait-ce, par hasard.

Ta bourse pour payer? Laisse! . . . la Providence,

Pour aider le malheur, nous donna l'abondance.

-Femme! je veux payer.... mais avec mon poignard!»

S'est écrié Caval; et son fer étincelle,

Sur le sein du fermier qui recule et chancelle.

Mais la femme s'élance et pousse un cri perçant,

Son faible bras s'attache au poignard menaçant. . .

C'est en vain, le sang coule..,. A terre renversée,

De terreur, d'épouvante, elle tombe glacée,

Frappé» mais non vaincu, le fermier se défend;

Sa force triomphait. . . quand, soudain, son enfant

L'enlace, et sur son sein cache sa jeune tête

Sans pitié » l'assassin à la frapper s'apprête;

Mais formant, de son corps, à sa fille un rempart,

Le père » dans ses flancs, laisse entrer le poigpard!...

Caval a pris la bourse. Il pousse un cri de joie »

Et s'enfuit dans les champs en emportant sa proie.

A cet instant fatal, Marie » ouvrant les yeux,

Voit le père et l'enfant, baignés de sang tous deux.

« Je meurs. ...» dit le fermier, « mais du moins, O Marie!

De ma fille et de toi ma mort sauve la vie! . . .

-Au secours! » dit la veuve, et ses cris frappent l'air. . .

«Au secours!...» répond seul un écho du désert.

III- Sous le gazon fleuri de l'étroit cimetière,

Que protège un rocher au sommet escarpé.

Repose l'innocent, par l'assassin frappé.

Au fond d'un noir cachot, dans le sein de la terre,

Gouffre affreux d'où jamais le crime n'échappa,

Respire, dans les fers, l'assassin qui frappa.

Pour l'un, le ciel finit le temps de la souffrance,

Et pour l'autre, ici-bas la justice commence!

En vain dans l'antre obscur d'un humide rocher,

Le meurtrier sanglant tenta de se cacher;

En vain » de la montagne il a franchi la cime:

Ces rocs, si près des cieux, ont repoussé le crime.

Pour lui, la nuit sans ombre étincelle d'éclairs;

Du haut d'un pic altier, il tombe dans les fers!...

La foule l'accompagne, et, de sa voix immense,

Fait retentir les airs de ses cris de vengeance;

L'arrêt est prononcé: les portes du caveau

Ne s'ouvriront qu'au seuil des portes du tombeau.

«Adieu donc, mon poignard fidèle!

Ton acier n'est plus aiguisé;

A mon secours quand je t'appelle,

Tu n'offres plus qu'un fer brisé.

O mort! mort que j'ai tant donnée »

Sur moi tu vas tomber enfin,

Et peut-être de la journée

Me refuseras-tu la fin! . . .

 

Qu'importe que mon existence,

Voie ici s'arrêter son cours?

Que d'autres, brillants d'espérance,

Dont mon fer a tranché les jours!

Parfois lorsque la nuit s^achève,

Je les vois m'apparaitre en rêve:

C'est un vieillard aux cheveux blancs. . .

Une jeune fille tremblante,

Un enfant, montrant dans leurs flancs,

D'un poignard la trace sanglante!...

Ils disent: Dieu nous vengera!»

Soit! Bientôt caval le saura.»

Mais soudain il entend de sinistres murmures,

Et les clefs du cachot tournent dans les serrures;

On s'avance à pas lents:

                         «Amis, est-ce aujourd'hui?»

Et d'une voix lugubre, en homme répond: «Oui.»

Près du foyer désert d'une pauvre chaumière,

Une femme priait, à genoux sur la terre.

Elle est vielle, et pourtant, à l'hiver de ses jours,

Près d'elle, nul enfant h'apporte aide et secours;

Nul enfant n'a pour elle une douce caresse.

Le ciel refusa-t-il un fils à sa tendresse?

Non! cette femme est mère.... et sous ses cheveux blancs,

Son front rougit du fils que portèrent ses flancs.

Mais qu'importe la honte? elle vit, elle est mère;

Son coeur, pour oublier, a fait un vain effort:

Elle aime-et quand maudit le reste de la terre,

Au pied d'un échafaud, elle bénit encor!

Elle disait: « Hélas! d'un seul instant de joie,

Mon âme matemelle ignora la douceur;

Mais cet enfant, objet de deuil et de douleur,

Toi qui me la donné, mon Dieu, je te l'envoie!

S'il t'offensait, Seigneur, il m'offensait aussi;

Moins parfaite que toi, je pardonne l'offense. . .

Et toi qu'on a nommé le Dieu de la clémence,

Reçois le dans le ciel, -on le punit ici!

Je t'implore à genoux! ce n'est pas pour sa vie,

Qui lui sera bientôt, par les hommes, ravie;

Mais au fils qu'ici-bas je ne dois plus revoir,

Mon Dieu, donne un remords, gage d'un saint espoir!»

Elle dit. Mais soudain, entrant dans la chaumière,

Un ministre de Dieu suspendit sa prière;

Devant le saint pasteur, elle reste sans voix.

«Ton fils est mort,» dit-il: «mort en baisant la croix!

-Seigneur! je te bénis en ma douleur immense!»

A murmuré la mère. «Appui des malheureux!

Qu'importe que le monde insulte à ma souffrance...

Vers toi, qu'il a prié, je lèverai les yeux!»

FIN