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  Un grand mariage - José Moselli (1882-1941)


Pseudonyme de : Joseph Moselli


   
John Strobbins, le detective-cambrioleur; 1911

 

 

 


 

                                        

 

UN GRAND MARIAGE

Depuis deux mois que John Strobbins s’était évadé de la prison de Sacramento, M. James Mollescott, le chef de la sûreté de San Francisco, ne vivait plus, tremblant continuellement d’être la victime de l’astucieux personnage. Le détective Peter Craingsby qu’il avait envoyé à sa recherche n’avait pas reparu, et toutes les investigations avaient été vaines, tant pour savoir ce qu’était devenu Craingsby que pour découvrir la mystérieuse retraite de John Strobbins.

Vraiment la vie devenait difficile pour cet infortuné James Mollescott, accusé, par certains journaux, d’incapacité et, par d’autres, de complicité.

Ce jour-là, James Mollescott, assis dans son bureau, réfléchissait une fois de plus au moyen de mettre la main sur John Strobbins, lorsqu’un huissier vint lui apporter un pli du gouverneur de l’État de Californie, le priant de venir aussitôt.

Telle était la puissance de l’idée fixe sur le chef de la Sûreté de San Francisco, qu’il s’écria :

— Je suis sûr que c’est encore pour ce misérable John Strobbins que Dieu damne !

James Mollescott ne se trompait pas. Ayant été introduit quelques minutes plus tard dans le somptueux cabinet de M. Chas-Murdock, gouverneur de l’État de Californie, il s’entendit interpeller de la façon suivante par le haut fonctionnaire :

— Monsieur James Mollescott, je vous salue. Écoutez-moi bien. Il s’agit de vous distinguer, ou, du moins de faire preuve d’un peu plus de flair que vous n’en avez montré jusqu’ici… John Strobbins court toujours… n’est-ce pas ? Qui a-t-il encore dévalisé… Passons. Voilà l’affaire. Vous savez que d’ici quelques jours va être célébré le mariage de miss Suzy Callaghan, fille du directeur de la Central American Line, avec un gentilhomme français, le duc Henry-Jacques de Billancourt

« Or, c’est demain qu’a lieu la cérémonie du contrat de mariage dans l’hôtel Callaghan… Le vieux Upton Callaghan est orgueilleux et a tenu à faire bien les choses : les cadeaux offerts à miss Suzy à l’occasion de ses noces seront exposés dans un salon.

« Ils sont nombreux et de grande valeur : tout San Francisco a tenu à faire sa cour au père en se montrant généreux avec la fille.

« Eh bien ! Il s’agit d’empêcher que des vols soient commis.

« John Strobbins court toujours (vous êtes, si j’ose dire, payé pour le savoir). Je vous ai donc fait venir pour vous avertir que je ne veux pas – entendez-vous – je ne veux pas qu’aucun bijou de miss Suzy disparaisse. Je vous en rends responsable ; prenez vos mesures en conséquence.

« Upton Callaghan est puissant et je ne tiens pas à m’attirer sa colère. Ainsi donc, vous voilà prévenu.

— Monsieur le gouverneur, vous pouvez être tranquille : je dirigerai moi-même le service de surveillance.

— À votre guise. Entendez-vous avec le majordome d’Upton Callaghan. Vous pouvez disposer !

Un peu pâle, Mollescott s’inclina, et, après avoir assuré le gouverneur de son inaltérable dévouement et de son zèle insurpassable, il prit congé.

Si Upton Callaghan avait tenu à faire bien les choses, on ne peut dire que James Mollescott les fît moins bien.

Mêlés à la foule des invités, plus de vingt détectives surveillèrent la corbeille de mariage de miss Suzy pendant la cérémonie.

Elle en valait la peine. Au centre de l’immense hall de l’hôtel Callaghan, une série de tables recouvertes de velours violet supportaient les cadeaux destinés à la mariée : il y avait là des dentelles inestimables, fines comme des toiles d’araignée, des bibelots sans prix et, surtout, les plus beaux bijoux de l’Amérique ; ils brillaient sur un lit de satin blanc ; les feux des diamants et la lueur douce des perles luisaient sous l’éclat des lampes électriques.

Un splendide diadème, fait d’une centaine d’énormes diamants, attirait l’attention. Parmi la foule des invités, des estimations couraient : de l’avis unanime, le diadème valait plus de cent mille dollars à lui seul !

Impeccable dans son habit noir, Mollescott court recevoir, le sourire aux lèvres, félicitations et souhaits.

Le temps passait et, au grand soulagement de Mollescott et de ses détectives, déjà quelques invités prenaient congé. Le chef de la Sûreté regarda les bijoux : ils étaient bien à leur place ! Pas un ne manquait.

Comme il s’applaudissait de sa surveillance, il vit Upton Callaghan lui faire signe d’approcher.

Ennuyé d’être obligé de s’éloigner des bijoux, Mollescott appela discrètement un détective qu’il aperçut près de lui et, à voix basse, il lui ordonna de courir jusqu’à la loge du portier pour l’avertir de ne laisser sortir personne, jusqu’à ce que lui, Mollescott, ait repris sa faction… Il fallait être prudent !

— Mais, comment dire cela aux invités ? questionna le détective.

— Eh ! J’en ai pour deux minutes… arrangez-vous avec le portier ; qu’il prétende que la serrure est détraquée… je ne serai tranquille que lorsque j’aurai moi-même repris ma faction… Et faites vite, M. Callaghan me fait signe… Revenez de suite près des bijoux.

Le détective répondit affirmativement et courut avertir le concierge.

James Mollescott était arrivé devant Upton Callaghan :

— Alors, monsieur Mollescott, rien à signaler… Ce fameux John Strobbins a bien voulu ne pas faire des siennes ? Je vous avoue que je n’étais pas tranquille… Depuis l’affaire de la bague, on ne saurait prendre trop de précautions… D’ailleurs, j’ai choisi soigneusement mes invités… j’aurais été si peiné de voir disparaître quelque pièce de la corbeille de cette chère Suzy !

— Oh ! Papa… tu exagères…

— Mademoiselle, affirma Mollescott, j’ai voulu moi-même veiller sur votre corbeille : elle ne risque rien.

— Monsieur le chef de la Sûreté, l’heure s’avance. Il m’est agréable de vous remercier de votre zèle. C’est pour cela que je vous ai fait venir. Soyez certain que j’en parlerai au gouverneur !

— Vous êtes trop bon, monsieur Callaghan !… Mademoiselle, permettez-moi de vous offrir tous mes vœux de bonheur, ainsi qu’à votre fiancé.

Le duc Henry-Jacques de Billancourt s’avança : c’était un beau garçon : longue moustache blonde, nez droit, front haut, surmontant deux yeux de jais, au regard légèrement dédaigneux ; il cambrait son torse svelte dans un habit noir qu’égayait un brin de lilas. Avec la meilleure grâce du monde, il s’avança et dit :

— Monsieur… Mollescott, vous m’excuserez de ne point parler aussi bien votre langue que je le désirerais… Toutefois, je suis heureux de vous faire savoir combien j’apprécie votre dévouement et vos bons souhaits…

Mollescott, confus de n’avoir pas vu le duc, s’inclina, un peu rouge, et, se frayant un chemin parmi le flot d’amis qui venaient, avant de prendre congé, renouveler leurs souhaits aux fiancés, il se dirigea vers la corbeille. Il n’en était plus qu’à quelques mètres, lorsqu’il vit venir à lui le détective qu’il avait envoyé chez le portier peu d’instants auparavant. L’homme était pâle et ses gestes fébriles. D’un mouvement nerveux, il saisit Mollescott par le revers de son habit, et, d’une voix basse et tremblante, s’écria :

— Chef, on a volé le diadème !

— Hein ?

— Le diadème a disparu !

Devenu aussi blanc qu’un linge, Mollescott, repoussant son interlocuteur, se précipita vers la table où étaient exposés les bijoux. Sur le coussin de satin, un large vide blanc s’étalait au milieu des ors et des pierreries. Il marquait la place du joyau disparu !

D’un seul coup d’œil, Mollescott eut jugé la catastrophe. Il regarda autour de lui. Personne ne semblait encore s’être aperçu du vol.

Tout n’était pas perdu :

— Vous avez bien fait ma commission au portier ? dit le chef de la Sûreté au détective après quelques instants de silence.

— Oui, chef. Personne n’a pu encore sortir… Même que mon camarade Cleoss vient de m’avertir que plusieurs invités commencent à s’impatienter devant l’inexplicable fermeture de la porte…

— C’est bon. Restez auprès des bijoux, et faites bonne garde !

— Bien, chef !

Mollescott fit signe aussitôt à un autre détective et l’envoya prévenir le portier de ne laisser, sous aucun prétexte, sortir personne. Puis il courut vers Upton Callaghan. Le vieillard, entouré de sa fille et de son futur gendre, conversait avec quelques intimes dans un coin du vaste hall. En voyant Mollescott, blême, marcher vers lui, il s’excusa auprès de ses interlocuteurs et vint à la rencontre du chef de la Sûreté.

— Qu’y a-t-il, monsieur Mollescott ?

— Le… le diadème de Miss Suzy a disparu !

Le visage du vieillard devint semblable, comme couleur, à une brique.

— Enfer et damnation ! blasphéma-t-il. À quoi servez-vous donc, alors ?

Mollescott, la gorge sèche, resta un instant sans voix.

S’étant ressaisi, le chef de la Sûreté parla :

— On l’a enlevé pendant que je conversais avec vous…

— Eh ! Ne pouviez-vous pas laisser quelqu’un en faction !

« Vous n’êtes pas seul ici, je pense. Le hall en est comblé de vos détectives…

Mollescott, peu à peu, se remettait :

— Il est inutile de vous désespérer, monsieur Callaghan, dit-il… j’avais pris mes précautions…

Un concert de hurlements, partant du coin du hall où se trouvait la porte de sortie, coupa la parole au policier.

— C’est ! Qu’est-ce qu’il y a ? Va-t-on nous tenir enfermés ici !!! Moi, je casse tout !… Il faut appeler M. Callaghan !

Telles étaient les phrases vociférées par les invités du directeur de la Central American Line. Ils avaient, pour la plupart, revêtu leurs pardessus et coiffé leurs hauts-de-forme… En groupes compacts, ils marchèrent vers le vieillard ahuri…

— Monsieur Callaghan, dites à votre portier de nous laisser sortir ! crièrent vingt voix.

— Qu’y a-t-il donc, papa ? demanda Suzy, s’accrochant au bras de son père, tandis que le duc Henry-Jacques de Billancourt, saisissant Mollescott par le bras, lui disait :

— Qu’ont donc ces gens-là ?

Mais Mollescott n’écoutait pas le gentilhomme français. Sans douceur, il l’écarta, et dit rapidement à Callaghan qui tentait en vain de repousser la charmante Suzy.

— Monsieur Callaghan, apaisez ces gens… C’est moi qui ai ordonné au portier de ne laisser sortir personne avant que je sois revenu prendre ma faction près des joyaux… Je me doutais de quelque chose, j’ai bien fait !

Callaghan avait compris :

— Sotte affaire ! grommela-t-il… Monsieur Mollescott, allez surveiller les bijoux ; il est inutile qu’on profite de cette histoire pour les piller !

Le chef de la Sûreté obéit. Sa présence auprès des joyaux était inutile.

Instinctivement, les détectives épars dans la salle à manger s’étaient groupés autour des tables sur lesquelles étaient déposés les précieux objets…

Cependant, la foule des invités, toujours plus dense, s’avançait vers Callaghan.

Le vieillard en avait vu d’autres ! Avec une agilité qu’on n’aurait pas attendue de ses cheveux blancs, il grimpa sur une chaise et hurla :

— Silence, tous ! Vous êtes chez moi !

— Et nous voudrions en sortir ! coupa une grosse voix.

— Patience, tu en sortiras, Muller ! reprit Callaghan sans se démonter. Mes amis, écoutez-moi sans m’interrompre…

— Parlez ! hurlèrent vingt voix.

— Je parle : vous êtes tous ici des amis, de véritables gentlemen et d’honorables ladies. Pourtant, sachez qu’on vient de dérober le diadème en diamants de miss Suzy ! Vous trouverez donc naturel que je ne laisse partir personne avant de l’avoir fouillé… Business is business… Le diadème vaut deux cent mille dollars !

Callaghan s’arrêta. Un silence de mort régna pendant quelques secondes ; les hommes se regardaient stupéfiés et furieux, tandis que les femmes échangeaient des sourires incrédules ou fielleux…

— Donc, mes chers amis, vous voudrez bien m’excuser, il y a ici quelques détectives, ils fouilleront les hommes ; l’un d’eux va aller chercher une détective woman qui fera de même pour les dames !

Des murmures éclatèrent :

— Ah ! Non ! Pas de ça !

— Laissez-moi sortir, by god, ou je casse la tête au portier !

Quelques revolvers jaillirent des poches et brillèrent sous la clarté des lustres. Des femmes riaient nerveusement, tandis que d’autres prenaient le parti de s’évanouir. Certaines manifestaient, d’une voix sifflante, leur indignation pour un pareil procédé et leur mépris pour la famille Callaghan.

Upton Callaghan, toujours calme, déclara :

— La paix ! Personne ne sortira d’ici avant d’avoir été fouillé. Si vous êtes de véritables gentlemen, montrez-le. Il est de votre intérêt de vous laver de toute suspicion. De plus, je vous avertis qu’il y a vingt détectives dans la salle, et que d’ici cinq minutes, il y en aura cent !

Personne ne répondit. L’assemblée ne manifesta son indignation et sa colère que par quelques sourds murmures.

Le duc Henry-Jacques de Billancourt semblait s’amuser prodigieusement. Un mince sourire soulevait sa moustache gauloise. Debout auprès de la chaise sur laquelle était juché son futur beau-père, il regardait le spectacle de ses yeux ironiques et se tournait de temps à autre vers Suzy Callaghan, dont il tenait une main entre les siennes, pour lui faire quelque remarque spirituelle ou mordante sur la fureur des invités. La jeune fille, légèrement nerveuse, ne répondait que par monosyllabes.

Ayant assuré la garde des objets précieux rangés au milieu du hall, James Mollescott bondissait au téléphone et réclamait du renfort au prochain poste de police. Il ne se fit pas attendre. Upton Callaghan venait à peine d’inviter l’assistance au calme, lorsque trente détectives, dont cinq fouilleuses assermentées, parurent.

Mollescott bondit au-devant d’eux, et, sans prendre la peine de baisser la voix, leur expliqua la mystérieuse disparition du précieux diadème et termina ainsi :

— Grâce à mes précautions, personne n’a pu sortir depuis le vol. Il faut donc que le bijou se retrouve…

— Il y a mille dollars de récompense pour celui qui le trouvera ! ajouta le vieux Callaghan qui avait suivi le discours de Mollescott et il ajouta :

— Il y a deux salons qui donnent sur le hall : ils serviront à la foule, l’un pour les ladies, l’autre pour les gentlemen ! De la bonne volonté, mes amis. Il faut que le voleur soit confondu.

Deux « fouilleuses assermentées » prirent place dans un des salons, tandis que deux détectives s’en allaient dans l’autre. La fouille commença. Chaque invité, homme ou femme, dut laisser examiner ses vêtements, depuis le pardessus jusqu’à la chemise, en y comprenant le chapeau et les bottines. Ce fut long : plus de cent cinquante personnes à visiter !

À sept heures du soir, il en restait encore une soixantaine. Upton Callaghan leur fit servir à dîner dans le hall dont les portes avaient été consignées et garnies de détectives qui ne laissaient passer que les personnes déjà fouillées…

Enfin, vers onze heures du soir, tout fut fini. Le diadème n’était pas retrouvé.

Mais, s’il avait perdu un bijou, le vieux Callaghan avait gagné deux cents ennemis mortels.

Son désappointement fut grand en constatant l’insuccès de la fouille. Un dernier espoir lui fit exiger que tous les détectives se soumissent – y compris Mollescott – devant lui à la même formalité. En vain. Le diadème restait introuvable.

Suzy Callaghan s’était retirée avec son fiancé dans un des salons de l’hôtel. À minuit, son père vint lui annoncer l’insuccès des recherches. La jeune fille, malgré les consolations du duc de Billancourt, fondit en larmes.

Exaspéré par cette malencontreuse histoire, Upton Callaghan ne perdit pas son temps à consoler sa fille. Il lui tourna le dos, claqua la porte et alla retrouver Mollescott qui l’attendait dans le hall :

— Alors, monsieur le chef de la Sûreté, que pensez-vous faire ? Votre précaution de faire fermer les portes a été vaine – comme votre surveillance. – Le voleur est parti avec le diadème !

— Impossible, monsieur Callaghan ! Le voleur est sans doute parti, mais sans le joyau. Je vous répète que le diadème était encore à sa place lorsque j’ai fait prévenir le portier de ne laisser sortir personne !

— Pourtant le fait est là, aucun des invités n’a été trouvé détenteur de l’objet volé.

— Oui… Mais votre hôtel n’aurait-il pas d’autres issues que la grand’porte ? Tout est là ! dit le policier.

— Aucune ! San Francisco n’est pas sûr ; vous le savez mieux que moi. Aussi, je n’ai pas voulu que mon hôtel ait plusieurs sorties.

— Mais les fenêtres ?

— Elles sont toutes pourvues de grilles en fer forgé – sans aucune exception !

— Ah ! Et… êtes-vous bien sûr de l’honnêteté du portier ? Il a pu s’entendre avec quelque invité.

— La fidélité de mon portier ? Inutile d’en parler. Cet homme est à mon service depuis toujours, c’est mon frère de lait. Il se ferait tuer pour moi.

« J’ai des preuves de sa fidélité qui me dispensent de vous en dire plus…

— Les domestiques ?

— Vous savez, comme moi, qu’aujourd’hui aucun domestique n’a été admis dans le hall, cherchez autre chose, monsieur Mollescott !

— Je cherche… Avant tout, il faut faire fouiller l’hôtel entier : le bijou est peut-être caché sous quelque tapis ?

— Je ne vois que cette explication. Je vais faire procéder à la fouille demain matin. En attendant, personne, sauf vous, ne sortira de l’immeuble.

« Et tâchez de me retrouver le diadème, Suzy y tient beaucoup ! C’est un cadeau de son amie Jane Sniders, la fille du roi des Elevated… Si vous réussissez, je vous en saurai gré, sinon…

— Je réussirai, monsieur Callaghan !… À demain donc !

— À demain. Et bonne chance !

Accompagné jusqu’à la porte par le vieillard, Mollescott prit congé, rageant contre l’incroyable malchance qui le poursuivait.

Le lendemain matin, ses meilleurs détectives partirent en chasse pour essayer de retrouver le coupable et le bijou.

À onze heures, James Mollescott, jaune de rage, reçut un mot, fort sec, d’Upton Callaghan, l’avisant que l’hôtel avait été fouillé minutieusement depuis les combles jusqu’aux fosses d’aisances, que murs, planchers et meubles avaient été sondés et que le diadème restait introuvable !

— Je suis perdu ! murmura Mollescott en s’effondrant dans son fauteuil…

Plusieurs jours s’écoulèrent sans que Mollescott ni ses policiers aient pu trouver trace du bijou disparu. L’infortuné chef de la Sûreté ne vivait plus… C’est en vain qu’il avait fait opérer des perquisitions chez tous les bijoutiers de San Francisco. Rien !

Déjà, Upton Callaghan lui avait fait téléphoner trois fois par son secrétaire pour lui demander où en étaient les recherches, et il avait dû confesser son impuissance.

— Si le diadème n’est pas retrouvé avant le mariage de miss Suzy, conseilla charitablement le secrétaire du directeur de la Central American Line, M. Callaghan vous fera révoquer.

Hélas ! James Mollescott le savait bien ! Mais que faire ?

Le chef de la Sûreté de San Francisco habitait dans l’hôtel de la police un confortable appartement. Cinq jours après le vol du diadème, à trois heures du matin, James Mollescott, brisé de fatigue et d’angoisse, dormait d’un sommeil agité, lorsque la porte de sa chambre à coucher s’ouvrit brusquement et une voix cria :

— Chef !

Réveillé en sursaut, Mollescott se dressa sur son séant, tourna le commutateur situé à la tête de son lit et s’écria :

— Quoi ! Qu’y a-t-il ?

À la lueur de l’ampoule électrique, le chef de la Sûreté reconnut son secrétaire, Jack Dill.

— Ah ! Chef ! dit celui-ci, grosse affaire : le duc Henry-Jacques de Billancourt le fiancé de miss Suzy Callaghan…

— Eh bien ! Parlez, tonnerre !

— Il s’est suicidé !

— Comment ?

— Oui, il s’est suicidé, il y a une heure. Il était rentré vers minuit à l’hôtel Columbia ; une demi-heure plus tard, les garçons entendirent une détonation venant de l’appartement du duc de Billancourt. Ils appelèrent. Pas de réponse. L’un d’eux alla prévenir le majordome qui pénétra dans l’appartement et aperçut le duc Henry-Jacques de Billancourt, étendu, mort, sur le parquet avec la cervelle trouée… Il tenait encore en sa main un élégant browning…

Tandis que son secrétaire parlait, Mollescott, en proie à la plus vive agitation, s’était levé et habillé :

— Partons ! dit-il à Jack Dill, je veux voir ça moi-même ! Mais, ne savez-vous rien de plus ?

— Rien, chef. Le majordome est venu me prévenir, et je suis monté aussitôt vous réveiller !

— Et où est le majordome ? demanda Mollescott en poussant son subordonné vers la porte.

— Il doit être en bas !

Les deux hommes descendirent au galop. Le majordome de l’hôtel Columbia n’était plus dans le salon d’attente. Il venait de repartir, disant que sa présence était nécessaire à l’hôtel.

Sans s’attarder à demander d’autres explications, Mollescott se fit accompagner de Jack Dill et de deux détectives de garde, et, comme aucune voiture ne passait, étant donné l’heure, les quatre hommes se mirent en route à pied. En dix minutes, ils arrivèrent devant l’hôtel Columbia, énorme bâtisse de pierres rouges d’un style épais et solide qui tenait à lui seul tout l’espace compris entre la Colorado avenue et la place Franklin, à peu de distance de l’hôtel Callaghan.

L’hôtel Columbia – le plus grand, le plus luxueux de San Francisco, il contient 3’500 chambres – semblait endormi. Mollescott et ses compagnons, s’étant fait ouvrir la porte, pénétrèrent dans l’antichambre et firent appeler le majordome. Celui-ci accourut aussitôt. Il reconnut le chef de la Sûreté et s’écria :

— J’ai défendu de toucher à rien dans l’appartement de M. le duc de Billancourt… Si monsieur Mollescott veut me suivre…

— Allons ! dit brièvement le chef de la Sûreté.

En deux secondes, un ascenseur conduisit les cinq hommes au premier étage où se trouvait le luxueux appartement – vingt-cinq dollars par jour – du gentilhomme français. Le majordome ouvrit la porte. Les quatre policiers entrèrent aussitôt, traversèrent une spacieuse antichambre, et pénétrèrent dans une sorte de salon-bureau, du style Louis XVI tout blanc, meubles en laque, murs de stuc où pendaient en d’étroits cadres d’or, quelques reproductions de tableaux de l’époque.

Étendu sur le tapis blanc, le corps du duc Henry-Jacques de Billancourt s’étalait, les jambes écartées, les bras en croix. Le beau visage était affreusement crispé, la bouche, tordue d’un rictus horrible, laissait couler un mince filet de sang. Un œil, déjà vitreux, resté ouvert, semblait regarder le lustre de cristal pendu au plafond… Par le crâne fracassé, quelques fragments de cervelle avaient jailli et étoilaient le tapis de points rouges…

Le duc était revêtu d’un élégant costume de voyage, maculé de poussière. Mollescott remarqua que le faux-col du gentilhomme était sale…

— L’homme s’est suicidé ! Il n’y a pas de doute ! dit enfin Mollescott. Mais pourquoi… ? En voilà une histoire !

— Sûr ! appuya le majordome, d’autant plus que le duc doit plus de cinq mille dollars à l’hôtel…

— Ah !… Bon !… Dites donc, mon ami, nous allons avant tout essayer de déterminer le mobile du suicide… Peut-être, le duc a-t-il laissé, comme le font souvent les désespérés, une lettre donnant les motifs de sa détermination… Voyons un peu.

Ce disant, Mollescott alla vers le petit bureau de laque situé dans une encoignure. Une enveloppe ouverte et ne portant aucune adresse y était posée. Rapidement, le chef de la Sûreté la saisit et en tira une large feuille de papier portant ces mots en anglais :

 

« Je me tue parce qu’il m’est impossible de faire autrement. Que ma fiancée me pardonne. Je l’aimais.

« Henri-Jacques DE BILLANCOURT. »

 

James Mollescott resta sans voix. Quoi ? C’était tout ? Le désespéré n’était pas prolixe.

— Il n’y a rien dans cette lettre ! dit-il… Nous allons perquisitionner ! Sans doute, serons-nous plus heureux !

Les quatre policiers, ayant pris le majordome à témoin, pratiquèrent une minutieuse fouille. Ils ne trouvèrent rien. Seulement Mollescott aperçut dans une des cheminées, un tas de papiers brûlés ; le duc avait pris ses précautions avant de mourir ! Malles, meubles, effets, tout fut fouillé en pure perte !

Force fut à Mollescott de se retirer avec ses hommes après avoir apposé les scellés partout.

Dans la journée qui suivit, le juge d’instruction vint pratiquer une nouvelle perquisition encore plus minutieuse, dans l’appartement du défunt. Lui non plus ne trouva rien.

Une enquête, menée activement, révéla que le duc n’avait aucun ennemi, mais était couvert de dettes ; cela, tout le monde le savait…

Upton Callaghan tint à honneur de les payer et d’assister au convoi funèbre de celui qui aurait dû être son gendre. L’enterrement du duc Henry-Jacques de Billancourt fut magnifique.

Toutes les notabilités de San Francisco y assistèrent. Derrière le cercueil, Upton Callaghan, dans une automobile toute noire, suivit le convoi… Quant à la malheureuse fiancée, elle ne put accompagner le duc à sa dernière demeure, une congestion cérébrale la clouant au lit…

Pendant deux mois, l’infortunée jeune fille se débattit entre la folie et la mort. Elle vécut. Le West’Sun, journal des élégances de San Francisco, annonça enfin sa complète guérison.

Le même jour, un gentleman descendit d’une somptueuse automobile arrêtée devant l’hôtel Callaghan et fit passer sa carte au directeur de la Central American Line. Celui-ci reçut l’inconnu aussitôt. La carte portait ces simples mots : John Strobbins.

Oui. John Strobbins ! Le détective-cambrioleur s’était composé, ce jour-là, une tête sympathique (qui a jamais connu sa véritable physionomie ?).

Il entra délibérément dans le salon où l’attendait le vieux Upton.

— Que me voulez-vous, monsieur ? questionna le vieillard d’une voix rude.

John Strobbins ne se laissa pas décontenancer.

— Monsieur Callaghan, dit-il, je vous prie de m’écouter, vous êtes mon obligé. Je vais vous le prouver.

— Parlez vite, monsieur… Votre audace est grande et je ne sais…

— Ce qui vous retient de me faire arrêter ? C’est cela… Écoutez-moi d’abord, ensuite vous ferez à votre guise.

— J’écoute !

— Merci… Vous me permettez de m’asseoir, mon discours va être long !

Et John Strobbins, ayant posé son chapeau sur un guéridon, s’assit dans un profond fauteuil en laissant échapper un soupir de satisfaction…

— Ouf ! dit-il, vos fauteuils sont excellents… je vous demanderai quelque jour l’adresse de votre tapissier !

— Trêve de plaisanteries ! Dites-moi ce que vous avez à me dire ou j’appelle !

— J’y arrive, monsieur Callaghan ! Vous vous doutez peut-être de l’objet de ma visite ! N’est-ce pas ?

— Non.

— Non ? Voyons ! Vous ne pensez plus au merveilleux diadème de miss Suzy ?

— By God ! C’est vous qui l’avez dérobé ?

— Pas du tout, ou du moins si peu, monsieur Callaghan ! Et je vais de suite vous démontrer ma parfaite innocence. Mais commençons par le commencement…

— Eh ! Hell and dammit ! Parlez ! dit ou plutôt cria le vieillard rouge de colère et d’impatience.

John Strobbins sourit, se cala dans son fauteuil et, tirant une fine cigarette d’un étui d’or enfoui dans sa poche, il murmura :

— Vous permettez, monsieur Callaghan… je ne puis parler sans fumer ! Si le cœur vous en dit ?… Ce sont des cigarettes que je fais préparer spécialement pour moi à Manille… Non ?… Tant pis !

John Strobbins sortit de son gousset un élégant allumoir électrique en or, et enflamma sa cigarette sans se soucier du vieillard qui trépignait d’impatience.

— Donc, dit posément John Strobbins, rappelons-nous trois événements : les fiançailles de miss Suzy, la disparition de son diadème en diamants et la mort malheureuse du duc Henry-Jacques de Billancourt… Ils sont étroitement rattachés l’un à l’autre. Et je vous avoue franchement que vous me devez une grande reconnaissance. (Que voulez-vous, la modestie n’est pas mon fort, vous savez !)

« Bref, voilà l’affaire. Qu’est-ce que le duc Henry-Jacques de Billancourt ? Un gentilhomme français de grande race, mais ruiné, n’est-ce pas ? Ô naïfs Américains que nous sommes ! Pardon, que vous êtes ! Sachez que le duc Henry-Jacques était ruiné, mais ruiné par le jeu et la débauche. Depuis trois ans, il parcourait le monde à la recherche d’une héritière, vivant d’expédients et d’escroqueries…

— Monsieur ! Je ne permettrai pas…, coupa Callaghan.

— Vous permettrez, monsieur, moi, je vous le dis ! répondit imperturbable John Strobbins.

Et il tira de la poche intérieure de son manteau une liasse de papier racorni :

— Tenez, lisez ceci. Ce sont des plaintes formulées contre le duc… et cela, des jugements le condamnant pour faux et abus de confiance… Dame, vous ne pouviez vous douter de ces choses, on ne peut vraiment pas demander son casier judiciaire à un duc de Billancourt !

Upton Callaghan s’était levé. Il chaussa ses lunettes et, ayant saisi les papiers que Strobbins lui tendait, il alla vers le lustre les examiner méticuleusement. Quelques minutes se passèrent dans le plus profond silence. Affalé dans son fauteuil, Strobbins fumait béatement sa cigarette à bout d’or.

Enfin Upton Callaghan eut terminé son examen. Force lui fut de s’avouer que Strobbins était dans la vérité.

— Tenez, dit le vieillard en tendant au bizarre personnage les papiers, vous avez raison ; le duc était une canaille… Pourtant Suzy l’aimait… Enfin… Mais, dites-moi, quel rapport y a-t-il entre tout ceci et votre visite… je ne vois pas…

— Patience, monsieur Callaghan. Tout vient à point à qui sait attendre. Procédons par ordre et parlons du diadème, de ce beau diadème de miss Suzy. Vous ne l’avez toujours pas retrouvé ?

— Non !

— Et pour cause !… Voyons, réfléchissez un peu. Vous ne vous doutez pas comment il fut volé… Ah ! Pauvres, pauvres invités injustement soupçonnés ! Ah ! Ah ! (et John Strobbins eut un rire discret) celui qui vous a volé le diadème n’est autre que le duc Henry-Jacques !

— Ah non ! C’est inadmissible ! Quel intérêt pouvait avoir ce malheureux à dérober un objet aussi compromettant, alors que quelques jours seulement le séparaient de son mariage avec ma fille ?

— Si vous me laissiez parler, monsieur Callaghan, vous le sauriez déjà ! Tenez, lisez encore ceci !

Callaghan jeta les yeux sur le papier que Strobbins lui tendait. Il contenait ces simples mots :

 

« Je reconnais devoir à M. Thomas Lee la somme de vingt mille dollars que j’ai perdue en jouant avec lui au Devil’s Corner.

« Henri-Jacques DE BILLANCOURT. »

 

Callaghan regarda Strobbins avec des yeux arrondis par la stupeur.

— Vous êtes étonné ? Hein ! Qui aurait dit que le duc de Billancourt fréquentait le Devil’s Corner, repaire d’escrocs et d’assassins ! Il y venait souvent, cher monsieur Callaghan. Ce fut là que je le connus. Car moi, j’y vais ! Je veux dire que John Strobbins n’y va pas, mais que Thomas Lee y est souvent. Ces jours-là, je suis Thomas Lee. Mais continuons. Je fis donc connaissance au Devil’s Corner avec cet honnête gentilhomme.

« Quoique très fort au poker, je dus reconnaître qu’il était mon maître. Je vous avoue, monsieur Callaghan, que je connais les cartes ; je n’ai pas mon pareil pour filer la carte ou faire sauter la coupe. Cependant, je fus obligé de m’avouer vaincu : le duc trichait mieux que moi ! J’en fus humilié dans mon amour-propre de joueur et d’Américain !

« Mais que faire ? Je posai mon revolver sur la table et avertis mon partenaire de ne pas compter sur moi pour payer ses notes d’hôtel… De plus, je le prévins qu’à la moindre tricherie, je lui brûlerais la cervelle incontinent. Il redevint donc honnête. Moi aussi. Je n’avais pas besoin d’argent, venant de conclure une excellente affaire avec le sénateur Cornélius Van der Snack…

— Ah ! C’est vous qui l’avez dévalisé dans son train spécial ?

— Je n’ai pas dit cela, monsieur Callaghan !… Et c’est du duc Henry-Jacques qu’il s’agit maintenant ! Nous jouâmes honnêtement. Et le sort, sans doute étonné de pareille chose, voulut m’en récompenser. Je gagnai, je gagnai beaucoup ; vingt-deux mille dollars, car le duc s’était entêté. Comme de juste, sitôt le jour levé, j’estimai que la partie avait assez duré et j’exigeai mon gain. Hélas ! Ce pauvre duc avait huit dollars en poche. C’était peu. Il m’affirma qu’en France, on a vingt-quatre heures pour payer les dettes de jeu. Je voulus bien me conformer à cet usage et laissai partir le noble joueur… Deux jours se passèrent sans que je le revisse. Je pensais avec raison, que les jours en France comme en Amérique sont composés de vingt-quatre heures et que le duc voulait me rouler. Cela me fut très désagréable. J’allais donc prendre de ses nouvelles à l’hôtel Columbia. Il me reçut d’une façon charmante, mais affirma ne pas se souvenir d’avoir jamais joué avec moi et, surtout, me devoir quoi que ce fût !

« Je n’en croyais pas mes oreilles. D’ailleurs, de son air le plus gracieux, le jeune gentilhomme me déclara qu’il croyait comprendre que j’avais besoin d’argent et mit sa bourse – huit dollars, hein ! – à ma disposition !!!…

« Voici un duc facétieux ! pensai-je. Je ne répondis rien, me reculai un peu et, de ma voix la plus douce, lui demandai s’il était sérieux. Il me jura que oui ! Cet homme était bien oublieux, en vérité !

« — Monsieur le duc, dis-je, trêve de plaisanterie ! Vous me devez vingt-deux mille dollars. Vingt mille me suffiront. Je vous ai accordé un délai de vingt-quatre heures, quarante-huit se sont passées. Payez-moi ! »

« Je devais avoir l’air menaçant. Mon duc ne souriait plus :

« — Je ne vous dois rien ! dit-il… et f… moi le camp ou je vous fais arrêter pour escroquerie et chantage ! »

« Décidément, ce duc était bien malpoli. J’en fus indigné. Instantanément, je tirai mon revolver, le braquai sur la face de cet homme injurieux et avertis :

« — Haut les mains où je tire ! Vite ! »

« Mon gentilhomme comprit que c’était sérieux. Il obéit. Il fit bien…

« — Ne bougez pas ! lui recommandai-je… Et répondez-moi ! Avez-vous de l’argent, oui ou non ? C’est tout de suite que je le veux !…

« — J’ai quelques dollars…

« — Oui, je sais ; huit, n’est-ce pas… Cela fait 795 cents de plus que le juif errant, mais ce n’est pas assez… Vous voyez, il y a une table dans ce coin, vous allez vous y asseoir et ne faites pas un geste de plus ou la mort ! J’y vois de quoi écrire. Je vous dicterai. »

« Aussi blanc que sa chemise, le duc obéit et écrivit le billet que je vous ai montré. Je lui promis de n’en exiger le paiement qu’après son mariage et le quittai tranquillement.

« Voyez-vous cet imbécile ? Le lendemain, il se cacha à quelques mètres du Devil’s Corner et tenta de m’envoyer dans l’autre monde d’un coup de canne à épée ! Je lui échappai et fis sans tarder fouiller son appartement le jour suivant, j’avais des pressentiments. Mes amis recueillirent des papiers qui m’édifièrent sur le noble duc. J’allai aussitôt le voir à l’hôtel Columbia.

« Il me reçut de nouveau, toujours le sourire aux lèvres. Moi, je fermai la porte et lui tins ce discours :

« — Monsieur de Billancourt, tout d’abord, il est inutile de taquiner ce revolver (il tenait un browning à la main). Aujourd’hui, je ne vous menacerai pas… je ne fais jamais deux fois la même chose ! Je viens vous avertir seulement que des amis à moi vous ont rendu visite à votre insu et se sont emparés de certaines… reliques, certains papiers qui étaient au fond de votre malle… Vous savez ? Des papiers officiels ? »

« Le duc avait compris. Il pâlit affreusement et voulut se précipiter sur moi, je me reculai et lui dis :

« — Inutile, cher duc ! Je ne les ai pas, rassurez-vous ! »

« Mais le gentilhomme ne se rassurait pas. Non. Il n’avait vraiment plus aucune assurance, je vous le jure !

« — Que me voulez-vous ? dit-il d’une voix basse et tremblante.

« — Ce que je veux ? Vous avez essayé de m’assassiner, eh bien ! Je vous le pardonne ! Mais il faut me payer !

« — Vous savez bien que je suis sans argent ! gémit-il.

« — Je le sais… Mais cela ne me regarde pas. Écoutez-moi ! Si demain, vous entendez ? Demain à six heures du soir, vous ne venez pas au Devil’s Corner m’apporter mes vingt mille dollars, j’envoie à votre futur beau-père les papiers que mes amis ont trouvés chez vous. Voilà, monsieur le duc, à demain. N’oubliez pas : au Devil’s Corner, à six heures du soir !… Bonjour !… »

« Sans attendre de réponse, je quittai ce gentilhomme.

« Le lendemain, j’allai l’attendre au Devil’s Corner. Il fut un peu en retard : onze minutes exactement. Il m’apportait le diadème de miss Suzy ! C’est vraiment un très beau diadème !

Upton Callaghan ne répondit pas, tant il était émotionné.

Strobbins continua :

— Oui, c’est un merveilleux joyau !… Je connais miss Suzy ; je l’ai rencontrée maintes fois dans le monde. C’est pourquoi je regrettai qu’elle fût privée de ce bijou fait pour elle. Je pris donc le diadème et déclarai au duc que je voulais de l’argent. Je lui donnai quatre jours pour venir me payer, étant entendu qu’aussitôt je renverrai le diadème à miss Suzy. Quatre jours se passèrent sans que j’entendisse parler du duc… Le cinquième je me décidais déjà à l’aller trouver, lorsque j’appris son suicide… Il a vraiment eu tort ; de l’argent, on en trouve toujours, n’est-il pas vrai, monsieur Callaghan ?

Upton Callaghan avait écouté en silence ; à l’interpellation de Strobbins, il sembla sortir d’un rêve :

— Pauvre Suzy ! dit-il.

— Oui, je vous comprends… C’est pour cela que j’ai attendu son rétablissement pour venir vous importuner… Enfin, il faut vivre sa vie.

« Monsieur Callaghan, permettez-moi de vous rendre le diadème de miss Suzy… Si cette restitution peut la faire sourire un instant, je me trouverai complètement payé !

John Strobbins s’était levé. Il tira d’une de ses poches le magnifique joyau dont les diamants étincelaient à la clarté du lustre, le posa sur un guéridon, et, s’étant incliné devant le vieillard, il saisit son chapeau et sortit.

Il était loin lorsque Upton Callaghan voulut lui exprimer les sentiments qui l’agitaient… - FIN