BIBLIOBUS Littérature française

La Jeune Fille - Emile de Labédollierre (1812-1883)

 

 

(Les Français peints par eux-mêmes : Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. VOLUME 1- Sous la direction de : Louis Curmer éditeur, 49, rue de Richelieu, 1840-1842.- 9 volumes.)

 

 

L'élégie a raison; oui, la vie est amère,
La tristesse est durable et la joie éphémère.
Vainement on aspire à des destins meilleurs.
Dans les plus purs ruisseaux un limon se dépose;
Le serpent vit dans l'herbe, et le ver dans la rose,
Et le chagrin dans tous les cœurs.

Oui, dans ce siècle étroit, tout sublime courage
Étouffe et manque d'air, comme un lion en cage.
Nos yeux sont fatigués du spectacle du mal:
Personne ne comprend l'homme à haute pensée;
Il est traité de fou par la foule insensée,
Comme le Tasse à l'hôpital.

Plus d'amour éternel, plus de rêves mystiques;
Le souffle de la foi, dans les temples antiques,
Ne vient plus soulever le pieux labarum,
Et la fille du Christ, l'Égalité sacrée,
A des pharisiens sans pudeur est livrée
L'ange est au pandémonium.

Mais pour nous consoler des misères humaines,
Pour faire que, plié sous le fardeau des peines
L'homme ne doute point de la Divinité;
Comme en un ciel obscur deux étoiles dorées
Dieu nous donna deux sœurs en ce monde adorées,
La jeunesse avec la beauté.

De nos afflictions vous êtes le remède,
O trésors fugitifs! celle qui vous possède
A de quoi réjouir notre oreille et nos yeux.
Qui ne s'épanouit à voir la jeune fille,
Et son visage d'ange, et son œil qui pétille
A l'ombre d'un réseau soyeux?

Que de charme en son air, en sa démarche! il semble
Que Dieu, pour la former, ait voulu joindre ensemble
Ce qu'ont de plus suave et la terre et les eaux,
Riches teintes des fleurs, doux regard des gazelles,
Corsage gracieux comme les demoiselles
Qui voltigent sur les roseaux.

Avant quelle ait parlé, de sa bouche de rose
Est prête à s'échapper quelque charmante chose,
Comme sort d'un beau vase un nectar précieux.
Sa parole a du miel, et sa voix est plus douce
Que le gazouillement du bouvreuil dans la mousse,
De l'alouette dans les cieux.

Sur son pudique front se reflète son âme;
D'une charité sainte elle ressent la flamme,
Elle sait de bienfaits peupler son souvenir;
Ses mains sont pour donner ouvertes à toute heure;
Les pauvres mendiants au seuil de sa demeure
Ne passent point sans la bénir.

N'êtes-vous point touchés des soins qu'elle dispense
A l'animal qui vit comme à l'homme qui pense,
Soit qu'elle mène en laisse un agneau favori,
Soit que le passereau la suive à tire-d'ailes,
Ou que de son giron les blanches tourterelles
Recherchent le moelleux abri?

Elle est bonne et pieuse; ardente à la prière,
On la voit à l'église, à côté de sa mère,
Tourner dévotement les feuillets d'un missel.
Elle chante, elle prie, et la bonté divine
Sans doute a distingué cette voix argentine
Dans le concert universel.

Parfois s'agenouillant au fond d'une chapelle,
Les péchés innocents que sa candeur révèle
Font monter un sourire au front du confesseur.
Elle offre à Dieu l'encens d'une âme sans reproche,
Et le recueillement l'élève et la rapproche
Des anges dont elle est la sœur.

Vienne un beau jour d'été, pur et riant comme elle.
Que de mille splendeurs le soleil étincelle,
Qu'il fasse en vagues d'or ruisseler les moissons.
Dans les champs d'alentour vous la voyez errante,
Ravir à l'églantier sa parure odorante,
Et picorer dans les buissons.

L'hiver, ce sont les bals, les fêtes, les soirées,
De lustres, de festons les salles décorées,
Et la danse, et l'orchestre aux accords enchanteurs.
Là toute radieuse, et de fleurs couronnée,
Reine par le plaisir, elle est environnée
De son cortège de flatteurs.

Oh! que d'illusions nombreuses et pressées,
Dansent à son chevet, les mains entrelacées!
Rien de son horizon n'assombrit la couleur.
Il est de pourpre et d'or, et le sort infidèle
Dans sa coupe jamais ne versera pour elle
Le suc amer de la douleur.

Lorsque pour lui voiler les peines préparées,
L'espoir a déployé ses ailes azurées,
Voit-elle les chagrins dans l'ombre s'attrouper?
Au détour du sentier que suit la voyageuse,
Peut-elle voir la mort, implacable faucheuse,
Embusquée et prête à frapper?

Non; exempt de soucis s'écoule son jeune âge;
La vieillesse à ses yeux est un lointain rivage,
Dont sa barque toujours saura fuir les brisants.
A son appel jamais le plaisir n'est rebelle,
Elle rit, elle joue, elle chante, elle est belle,
Elle est riche de ses quinze ans.

Même au bal, l'autre soir, un jeune homme au front pâle
Auprès d'elle est venu s'asseoir par intervalle;
Il la magnétisait de son regard brûlant,
La crainte contraignait ses lèvres à se taire;
L'amour habite un temple entouré de mystère
Que l'on n'aborde qu'en tremblant.

Mais d'où vient cette sombre et vague rêverie?
D'où vient que de son front la beauté s'est flétrie,
Que ses yeux demi-clos s'ouvrent languissamment?
Un pressentiment vague a visité ses veilles,
Et dans la solitude un sylphe à ses oreilles
A murmuré le nom d'amant.

Tu le connais à peine, et déjà, jeune fille,
Tu vois à tes côtés grandir une famille,
Aux sources du bonheur tu penses t'enivrer.
Vos premières amours ne seront point troublées;
Vous êtes deux moitiés par le ciel assemblées
Qu'on brise sans les séparer!

Et ton cœur bat plus vite, et tu songes sans cesse
A ce jeune homme, objet d'une ardente tendresse;
C'est l'aube de tes jours, l'étoile de tes soirs;
Et, quand autour de toi vient peser la nuit sombre,
Ainsi qu'un feu follet, tu vois luire dans l'ombre
L'étincelle de ses yeux noirs.

Qu'il est trompeur l'espoir dont son âme se flatte!
Avec son habit noir et sa blanche cravate,
Un homme, procureur ou notaire, apparaît;
Et de fleurs d'oranger parant ta chevelure,
Tu vas te consumer, victime douce et pure,
Sur les autels de l'intérêt.

Malheur à toi, malheur, âme dépossédée,
Qui d'un bel avenir avais conçu l'idée,
Qui marchais le front haut, fière de ton printemps!
C'est ainsi que tout char dans sa course dévie;
Parmi nous, qui ne peut appliquer à la vie
L'histoire des bâtons flottants?

Tu vas à chaque instant de ton pèlerinage
Contre quelque douleur te heurter au passage;
Pleure sur le tombeau de tes plaisirs défunts!...
L'âge te vient saisir dans l'ivresse et la joie,
Comme la nuit surprend une abeille qui ploie
Sous sa récolte de parfums.

Qu'est-ce donc que l'amour? Un songe de poète,
Un esclave déchu qu'on vend et qu'on achète,
Un orphelin banni du foyer paternel,
Un beau feu que le monde éteint avec colère,
Un rêve que l'on peut commencer sur la terre,
Qui n'est réalisé qu'au ciel.

Qu'est-ce que la jeunesse? Un brillant météore,
Un jour dont le déclin est proche de l'aurore,
Dont le souffle du temps vient dissiper l'azur,
Un éclair qui s'éteint au milieu de la pluie,
Et présage au mortel embarqué sur la vie
Les tempêtes de l'âge mûr. - FIN

 

 

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021