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BIBLIOBUS Littérature française

La femme adultère - Hippolyte Lucas (1807-1878)

(Les Français peints par eux-mêmes : Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. VOLUME 3- Sous la direction de : Louis Curmer éditeur, 49, rue de Richelieu, 1840-1842.- 9 volumes.)

 

 

Allez en paix et ne péchez plus.


On disait un jour devant une femme spirituelle que tromper son mari commençait à devenir bien vieux au théâtre, et que les auteurs devraient renoncer à ce moyen.
« Que voulez-vous ? répondit-elle malicieusement, c’est une chose aussi ancienne que le monde, et qui durera autant que lui. Le théâtre est l’expression de la société. »
Beaucoup de femmes se persuadent, en effet, que l’adultère est un corollaire du mariage ; elles se figurent n’avoir pas eu une existence complète si elles ne se sont, pour ainsi dire, élevées à leurs yeux du rang d’épouses à celui de maîtresses, comme à un degré supérieur dans l’échelle des passions.
L’adultère ! nous venons d’écrire là un mot qui se prononce rarement, même en ce temps, où la chose est si commune, et que l’on tient même pour un mot de mauvaise compagnie ; mais qu’il nous soit permis de l’employer. Ce mot, le désespoir des gens du monde, doit faire le bonheur des étymologistes. Aucune expression ne porte mieux son idée. Adultère vient d’un verbe latin qui signifie altérer, et rien n’altère, en effet, davantage les choses et les sentiments.
L’adultère ! quelle école d’hypocrisie et de dol ! il fait des femmes autant de Machiavels au petit pied. Non contentes d’introduire dans leur famille une bande de jeunes Lacédémoniens, si nous pouvons nous exprimer de cette façon, lesquels, comme habitués au vol dès leur naissance, s’en viennent enlever une part d’héritage aux légitimes enfants, elles vivent dans un état de dissimulation qui corrompt les bons instincts du coeur, et dégrade les meilleures natures. La pudeur s’y perd en même temps que la probité ; le mensonge s’incarne dans leur chair et dans leurs os, et plus elles ont d’égards, plus elles ont de torts ordinairement envers leurs maris ; elles passent avec leurs consciences de misérables transactions. A quel degré de mauvaise foi la femme qui manque à ses serments d’épouse arrive presque à son insu ! Chez elle le sens moral s’abolit peu à peu.
Voyez-la d’abord redouter en public la vue de son amant : ses joues se couvrent de pourpre aussitôt qu’un nom trop cher est prononcé, surtout en présence de son maître légitime ; elle croit qu’on aperçoit sur ses lèvres la trace de coupables baisers ; elle tressaille à toute heure comme si elle était devant un juge ; elle marche en baissant les yeux. Mais bientôt son front désapprend à rougir, ses nerfs se calment, son pas s’affermit, ses yeux s’enhardissent : elle a plus d’assurance que la vertu la plus éprouvée. Elle attire alors son complice sous le toit conjugal, il prend place à sa table, à son foyer. Elle cimente effrontément, entre cet homme et celui qu’elle déshonore, une amitié perfide. Il n’est sorte de bassesses auxquelles l’un et l’autre ne soient prêts pour cela, car l’adultère avilit jusqu’à l’amant, qui devient l’humble serviteur d’un homme détesté par lui. Écoutez leurs projets. Ils s’étudient à renouer le bandeau sur les yeux de la victime dont ils se raillent en secret. Un jour on substituera des lettres respectueuses, lettres officielles, aux billets mystérieux et passionnés de l’amour ; une autre fois un dédain affecté étouffera les germes d’un soupçon, et la réconciliation sera obtenue par le mari lui-même, à quel prix, grand Dieu !
Allons plus loin.
Cette femme, si réservée jusqu’alors, qui paraissait la plus chaste des mères, que déconcertait la moindre expression équivoque, qui se faisait une loi d’une économie austère, cette divinité du toit domestique se métamorphosera en bacchante échevelée, pendant que son mari consumera en longs travaux ses jours et ses nuits pour qu’elle puisse mener une existence décente et s’entourer de toutes les délicatesses de la vie intérieure ; elle se livrera aux joies prodigues de la courtisane, elle dépensera en folles aventures quelquefois le pain de sa famille, sans avoir le sentiment de sa dépravation. Comparez-la à ces autres femmes plus honnêtes qu’elle au fond, à ces femmes sans nom qu’un spirituel écrivain vous a dépeintes, et qui se donnent à tous sans faire tort à personne, elle criera à l’infamie, elle qui en est venue à mépriser son mari en raison même des affronts qu’elle lui fait.
Entrons plus avant dans ce sujet.
L’adultère n’est pas moins fâcheux pour les enfants que pour le mari : voilà souvent la cause des préférences ou des antipathies cachées. Tantôt les enfants du mari sont sacrifiés à ceux de l’amant ; tantôt les êtres malheureux nés d’un attachement passager, rompu avant leur naissance, se trouvent considérés comme un funeste résultat ; heureux si, conçus dans des circonstances périlleuses, ils ne font pas naître la pensée d’un autre crime, et si le sein qui les porte ne devient pas leur tombeau ! On voit quelles sont les honteuses et coupables suites de l’adultère, et combien une femme a lieu de s’en garder, si peu qu’elle ait de réflexion ; mais beaucoup de femmes manquent de réflexion.
Donnons un trait de plus à ce sombre tableau.
L’adultère engendre l’adultère. La femme une fois lancée dans cette route tortueuse ne peut plus s’arrêter. On croit n’être qu’une femme sensible en cédant à une première affection : cette affection brisée, et toujours elle se brise, on a besoin de la remplacer. Le vide du coeur ne se supporterait plus. D’ailleurs on cherche à s’étourdir sur une déception. L’amour-propre engage à oublier un amant infidèle, et surtout à lui prouver qu’on ne le regrette pas, et qu’un consolateur n’a pas manqué : on devient femme galante. Quand le remords n’entrave plus les pas, et le remords, comme une herbe gênante, est bien vite arraché du chemin de l’adultère, la pente est facile à descendre, les intrigues se multiplient, se découvrent ; il faut quitter sa famille, son pays, aller cacher sa honte dans quelque grande ville où l’on finit, faute d’appui naturel, par s’abaisser au rang de femme entretenue, à moins que le suicide ne l’emporte sur la prostitution. Nous posons en principe qu’il est, pour une femme, plus difficile de n’avoir eu qu’un amant que de n’en pas avoir eu du tout. Lorsqu’il s’échappe un grain du collier de sa vertu, les autres ne sont pas longs à défiler. Dans quels bras tombe-t-elle encore ! Le goût se perd en même temps que la pudeur. Où donc est la femme adultère qui n’a pas ses moments de vertige, et qui, comme la Titania de Shakespeare, n’entoure de ses bras caressants une tête d’âne aux oreilles velues.
Cependant le moraliste le plus sévère ne pourrait se dispenser de faire valoir les circonstances atténuantes servant parfois d’excuse à la femme soumise, il faut le dire, à de trop rudes épreuves pour sa faiblesse, et laissée au dépourvu. Ce serait injuste de ne pas présenter la défense de la partie adverse ; ce serait d’autant plus mal à celui qui écrit ces lignes, que sa plume ne s’est pas toujours montrée si rigoureuse en un pareil sujet. Dans un état social comme le nôtre, où les mariages consultent rarement les inclinations, où la fortune plus que l’amour procède à l’acte le plus important de la vie, il arrive inévitablement que le défaut de sympathie se remarque en un jour. On essaye de se résigner chrétiennement à son sort ; mais les reproches, les querelles, les ennuis, naissent de toutes parts. Alors paraît intolérable un intérieur où gronde un orage perpétuel. De la nécessité de supporter quelqu’un qui déplaît à l’espérance de trouver le repos sous l’abri d’une liaison étrangère toujours à proximité, il n’y a pas un grand écart pour la pensée ; et la vertu attaquée, minée en secret plus encore par la rudesse de l’époux que par les prévenances de l’amant, succombe après de longs combats. La faute en est souvent à l’inconséquence des parents, qui vendent en quelque sorte leur fille au premier venu, lorsque ce premier venu s’appelle un parti. La faute en est encore à l’imbécillité des maris.
Le mariage étant une des choses les plus importantes de la vie, il serait bon d’y regarder de près, et, par une bizarrerie incroyable, la plupart des hommes donnent plus de soins aux bagatelles les plus fugitives qu’à cette indissoluble convention, dans laquelle pourtant ils mettent leur honneur. Quelques personnes timorées ont pensé que les railleries jetées par la comédie à la tête des maris trompés attaquaient la société par sa base, en dégradant l’institution du mariage. Ces âmes honnêtes sont tombées dans une grande erreur. Il n’y a pas d’autre contrepoids à la cupidité qui préside si souvent au choix d’une femme. Ces sarcasmes mis dans le plateau de la balance l’emportent quelquefois sur le caprice et l’amour-propre, et empêchent un homme de compromettre dans une union mal assortie le bonheur d’une existence entière. La comédie est donc dans son droit, ainsi que le monde, en se moquant des disgrâces des époux, et les plaisanteries dont certains esprits délicats s’offensent n’en possèdent pas moins une très-haute valeur morale ; elles ne cesseront pas même d’amuser tant qu’il y aura des maris trompés en France, pays classique en ce genre, c’est-à-dire jamais.
On compte au répertoire du Théâtre-Français cinq cents pièces où les maris se trouvent plus avancés que le Sganarelle de Molière, ce Sganarelle qui ne se plaint que d’un mal imaginaire. Molière surtout a su allier une profonde philosophie à la liberté du théâtre. Lorsqu’on le lit avec attention, on comprend quelle haute idée il s’était faite du mariage, et jusqu’à quel point il le voulait basé sur la sympathie des caractères et sur les convenances sociales ; en deux mots, sur l’amour et sur la raison. Toutes ses plaisanteries ne tendent qu’à se moquer de ceux qui, comme Arnolphe ou Georges Dandin, s’exposent à de fâcheuses conséquences en bravant les plus simples lois du bon sens. Vouloir lier sa destinée entière à un être dont on contraint le penchant, n’est-ce pas mériter d’être puni ? sacrifier à des intérêts d’argent ou de vanité son repos domestique, n’est-ce pas appeler sur soi les sarcasmes des hommes ? Voilà ce qui ressort de toutes les comédies de Molière.
Le drame sentimental est cent fois plus pernicieux aux bonnes moeurs que ces franches saillies de Molière, qui ne tirent pas à conséquence : lorsqu’on colore le mal avec des semblants de passion, on le rend plus capable de séduire qu’en l’exposant dans sa nudité. Les transports romanesques, les rencontres fatales, les faiblesses involontaires ou repentantes, toutes les ressources du jargon passionné, ne font que donner au vice un prétexte de prendre des airs de vertu. Croit-on, pour ne citer qu’un exemple, que dans Misanthropie et Repentir, Madame de Meinau, sur les malheurs de laquelle l’on verse tant de larmes, offre un bien digne et bien sage modèle ? Ne pourrait-on pas inférer de cette pièce de Kotzebuë que, pour recouvrer une honorable position dans le monde, après avoir trahi son époux et abandonné ses enfants, une femme n’a besoin que de se repentir.
On peut diviser la classe des femmes parjures en trois catégories, selon que le coeur, l’esprit ou les sens, ont jeté ces dames hors du mariage. La première classe est celle que les romanciers ont adoptée, et qu’ils se sont plu à revêtir de toutes les séductions de leur talent. Ils ont décrit avec une extrême complaisance les luttes de la passion et du devoir ; ils ont enchâssé comme des diamants les larmes tombées des yeux de ces tendres coupables, sans trop s’inquiéter du danger de leurs peintures sentimentales. Il y a, en effet, un charme dans ces douleurs, et plus d’une faible épouse, en possession d’un honnête homme fort empressé de lui plaire, s’est mise à se créer de chimériques infortunes afin d’arriver au romanesque état de ces héroïnes ; elle s’est abandonnée à des caprices d’imagination, qui sont dégénérés à la longue et véritable catastrophe pour son époux. Un des effets les plus lugubres et les plus déplorables de la littérature moderne, et nous avons tous contribué à ce désordre, il faut en convenir, c’est qu’elle a peuplé la France d’une foule de femmes incomprises, que leurs maris arrivent à ne comprendre que trop. La femme dont nous venons de tracer le portrait, soit qu’un intérieur pénible, ou qu’un désenchantement imaginaire l’ait rendue infidèle, conserve une apparence de réserve et de candeur.
La seconde catégorie renferme la femme dont le manque de foi est inexcusable, la femme adultère par excellence. La trahison est pour elle une occupation d’esprit, un besoin de ruse, d’activité, de mouvement, un véritable plaisir. La créature décevante dont parle Figaro, et de qui l’instinct est de tromper, se montre ici dans tout son éclat. Recevoir des billets galants, en écrire, se ménager des rendez-vous, courir mille risques, compromettre jusqu’à sa vie, voilà un jeu pour son génie inventif. La vanité la guide la plupart du temps. Elle aime à ravir, par exemple, à une de ses amies (car ce sont ses amies qu’elle choisit de préférence pour victimes) les attentions d’un homme à la mode ; elle est tranquille sur le résultat de ses amours. Sa progéniture, quelle qu’elle soit, est traitée également : la même indifférence, la même négligence règne pour tous. Une nourrice élève ses enfants jusqu’au moment où le collége les reçoit. La sécheresse de l’esprit a remplacé les entraînements du coeur et les erreurs de l’imagination. Elle admet avec une facilité extraordinaire les paradoxes au moyen desquels on a essayé de justifier les atteintes portées au mariage ; elle s’en amuse avec ses amants. On lui accorderait plusieurs maris, comme à certaines femmes de l’Asie, que cela ne la satisferait pas. L’intrigue n’y serait plus, c’est l’intrigue qui lui plaît avant tout.
Comment déterminer d’une manière précise la variété qui comprend la troisième catégorie de notre division ? Il est encore de nos jours plus d’une Abisag, vierge charmante condamnée à la couche de quelque David énervé ; il est des Héloïses renfermées dans le sanctuaire conjugal, ainsi que dans un cloître austère, et forcées de revêtir leur corps jeune et ardent du cilice de la mortification. Combien enfin de belles fleurs, l’amour et le désir des jeunes gens, qu’on voit flotter sur la surface du mariage, ainsi que des nénuphars sur des eaux solitaires et tièdes ! Ces belles mariées, sans maris, vivront-elles toujours dans un veuvage auquel la loi actuelle les enchaîne impitoyablement ? Non, assurément. Elles trancheront le noeud gordien avec l’épée d’Alexandre ! A-t-on trop le droit de les blâmer ?
L’adultère est un canevas qui est le même partout, mais que chaque pays brode à sa façon. Nulle part il ne s’étale avec plus de liberté qu’à Paris : voilà sa patrie. Si l’adultère n’avait pas existé depuis la création, Paris l’aurait inventé. C’est là qu’il est à l’aise, qu’il se pavane, et qu’il relève sa tête, humblement baissée en province. Vous le voyez marcher bras dessus bras dessous avec le mariage, qui lui sert quelquefois de patron ; vous le coudoyez à chaque pas que vous faites sur les boulevards ; il vous couvre de flots de poussière au bois ; il s’accoude sur le velours de la meilleure loge de nos théâtres ; il affectionne surtout le drame moderne, créé en son honneur ; il sépare la femme du mari, auquel il envoie des lettres de faire part lors de la naissance de son enfant ; il ose demander à l’époux s’il veut en être le parrain : mais l’adultère ainsi audacieux et consenti, l’adultère officiel perd le prestige du mystère. Détournons les yeux de ces ignobles tolérances, de ces marchés scandaleux. L’adultère, le véritable adultère, digne de son nom, se maintient toujours dans des conditions de silence et de dissimulation. Il sait ce qu’il est : il a honte de lui.
De quelle façon, me dites-vous, se pratique l’adultère ? Contez-nous-le, si vous le savez. Peignez-nous l’adultère de bon ton, l’adultère bourgeois, l’adultère chez le peuple.
Vous le voulez ? Eh bien ! voyons :
Remarquez ce fiacre (un fiacre, notez cela) traversant quelque rue silencieuse et écartée ; il se dirige, avec des stores hermétiquement fermés, vers une maison discrète qui semble se cacher au milieu des autres. Le véhicule numéroté s’arrête devant une petite porte qui s’ouvre d’elle-même : au premier étage, derrière des persiennes entr’ouvertes, un blond jeune homme, aux cheveux bouclés, aux petites moustaches frisées, avance le cou imprudemment, et vous qui passez là par hasard, revenant de visiter une vieille parente, vous avez surpris un regard de femme parti du fiacre et adressé au joli garçon, dont la tête s’est retirée de la fenêtre avec précipitation. Un peu de curiosité fait que vous vous retournez : soudain, légère comme une sylphide, une gracieuse femme, coquettement habillée, s’élance de la voiture, en effleurant à peine le marchepied. Un voile d’un tissu serré enveloppe son chapeau. Elle a passé comme l’éclair, et la porte s’est refermée promptement sur elle. Bien qu’à deux pas, à peine avez-vous pu distinguer sa taille souple et son pied mignon que vous croyez avoir vu descendre d’un brillant équipage aux Bouffes et à l’Opéra. Vous êtes sûr que cette femme est des plus élégantes, et des mieux titrées. Elle a jeté dans l’air en passant des parfums comme la divinité de Virgile. Recueillant alors vos souvenirs, vous vous rappelez qu’un soir au théâtre vous avez observé des signes d’intelligence entre ce blond jeune homme qui vous est bien connu et l’une de nos femmes à la mode les plus adorées. Soyez discret, je vous en prie, c’est la grande dame adultère !...
Pour quoi donc, visiteur malencontreux, êtes-vous allé chez la femme de cet agent de change, de ce négociant, de ce banquier votre escompteur, à l’heure de la Bourse et des affaires ? Vous avez trouvé madame assise dans son boudoir, car les femmes d’agent de change, de négociant, de banquier, ont toujours des boudoirs : elle sort du bain ; elle a pour toilette un simple peignoir de mousseline claire retenu par une ceinture qui dessine sa taille, et laisse apercevoir, à travers la transparence du corsage, des chairs blanches et rosées. Son pied, un peu large, est enfermé dans une babouche turque. Ses cheveux, négligemment tournés, retombent en boucles sur son cou. Mollement inclinée sur un divan, elle tient un livre pris soudain à votre arrivée, et qui paraît l’occuper beaucoup. Ce livre est donc bien agréable ; est-ce un nouveau roman de George Sand ? D’où vient que la belle lectrice semble si contrariée de votre présence ? Vous jetez un coup d’oeil à la dérobée sur cette oeuvre attachante, c’est un Télémaque ou un Robinson Crusoé, laissé sur le divan par un fils, jeune collégien de beaucoup d’espérances. Voilà qui est étrange ! Si vous avez la maladresse de vous asseoir et d’engager une longue conversation sans vous apercevoir de la mauvaise humeur avec laquelle on vous répond, vous ne savez pas vivre, permettez-moi de vous le dire. A un coup de sonnette qui ne tardera pas, vous verrez la lèvre supérieure de votre interlocutrice s’avancer sur la lèvre inférieure, et son sourcil se froncer ; puis on introduira un grand beau brun, dont vous aviez déjà soupçonné les assiduités dans quelques soirées : c’est lui qui tourne la musique au piano. On recevra ce jeune homme comme un étranger, avec une froideur de glace. Si vous m’en croyez, partez au plus vite ; vous êtes de trop chez la bourgeoise adultère.
Voulez-vous connaître à présent les grandes causes qui ont provoqué l’infidélité de ces deux femmes ? C’est un noeud de ruban tombé dans un bal du sein de la baronne, et furtivement relevé par le jeune homme aux blonds cheveux, ce même noeud qu’on faisait entrevoir discrètement placé sur le coeur pendant que Rubini roucoulait mélodieusement Il mio tesoro.... C’est un succès colossal obtenu par le beau brun, premier clerc de notaire, aux soirées de la femme du banquier, avec les chansonnettes de mademoiselle Loïsa Puget ou de M. Amédée de Beauplan.
Reste la femme du peuple. Celle-là aime à cueillir avec un jeune ouvrier des bluets dans les blés, ou à s’égarer dans les bois de Romainville et de Meudon, le dimanche, tandis que son mari garde les enfants lassés. Mais l’adultère est avant tout un fils de l’oisiveté et de l’ennui ; il a moins de prise sur cette classe laborieuse, où le travail entretient l’honneur. Chez la femme du peuple, l’adultère a été souvent le fruit de la violence. La femme du peuple s’est vue longtemps en proie à la débauche des grands. Qu’on se rappelle les mystères du Parc-aux-Cerfs. Des historiens un peu aventureux ont cherché à démontrer, à ce propos, l’heureuse influence de l’adultère sur la civilisation moderne. Ces singuliers philosophes ont prétendu que l’adultère, comme un rat, a rongé les mailles de l’énorme filet  aristocratique par lequel le peuple était emprisonné, c’est-à-dire que les faiblesses des grandes dames, et les convoitises roturières des grands seigneurs, en mêlant un sang vulgaire au pur sang des ducs et des princes, ont porté un coup mortel à l’hérédité des priviléges, et détruit aux yeux des nations les illusions de la noblesse et de la royauté.
Il ne nous siérait pas d’agir ici la grave question du divorce, palliatif insuffisant lui-même à ce fléau qui dévore les familles comme une lèpre secrète, et contre lequel les lois n’ont pas de remède ! La loi ne répare le mal que quand il est fait. Il n’y a que l’exemple des bonnes moeurs et la résignation qui puissent avoir quelque efficacité. Cependant il est bon de rappeler que, dans tous les temps, la femme adultère a été rigoureusement punie, parce que le repos des sociétés est fondé sur le mariage. Les Hébreux la lapidaient avant que le Christ eût dit qu’il fallait être sans péché pour lui jeter la première pierre ; les Grecs et les Romains la condamnaient à la flétrissure publique, à la déportation. En France, on la privait autrefois de sa dot et de ses conventions matrimoniales, puis on la reléguait dans un monastère ; de plus, on la fouettait dans les rues : mais on renonça bientôt à cet infâme traitement, de peur, dit avec naïveté un écrivain, que cet affront n’empêchât les maris de reprendre leur femme, comme Ménélas reprit la sienne après qu’elle eut passé dix années en pérégrination. Maintenant le mari, dans certaines circonstances, a droit de vie et de mort sur sa femme ; il ne tient qu’à lui d’user de l’article 137 du code pénal, article ainsi conçu : « La femme convaincue d’adultère subira la peine de l’emprisonnement pendant trois mois au moins, et deux ans au plus. » Le mari peut toujours arrêter cette condamnation, car le crime d’adultère chez nous est considéré comme privé, quoiqu’il soit souvent excessivement public.
La loi française contre l’adultère a été faite évidemment par des maris trompés, s’il faut dire la vérité : tout y est contre les femmes et rien en leur faveur. L’épouse convaincue d’infidélité est punie d’un emprisonnement qui peut s’élever jusqu’à deux années. Le mari qui entretient une concubine, et encore faut-il qu’il l’ait fait entrer chez lui, n’est passible que d’une simple amende. Le Code accorde en quelque sorte au mari outragé le droit de venger de ses propres mains l’affront qu’on lui fait lorsqu’il en est témoin ; le code se tait à l’égard de la femme qui surprendrait dans le lit conjugal une maîtresse de son mari. En présence d’une pareille législation est-il donc étonnant que les femmes, qui, si elles ne règnent pas sur les codes, règnent sur l’opinion, compensent par un peu de ridicule l’inégalité des peines ? aussi rit-on généralement des maris malheureux.
L’adultère, du temps de Faber, était considéré comme une espièglerie de société. Notre société n’est pas moins espiègle que celle d’alors, et l’on pourrait se plaindre, comme les anciens auteurs, de ce que cet amusement est trop fréquent dans le royaume.
Aristote raconte avec naïveté que dans les eaux du Phase il croissait de son temps un petit arbuste dont un rameau, cueilli par l’époux et caché dans le lit conjugal, rendait la femme chaste. Excellent Aristote ! où donc est-il ton rameau ? Il s’en est allé avec ta Poétique ; car l’on ne conserve pas plus le coeur de sa femme avec ce procédé, qu’on ne fait de bonnes tragédies au moyen des tes maximes dramatiques. L’heureux choix, la sympathie, les soins constants, voilà les meilleures sauvegardes de l’honneur d’un mari.
Montaigne, ce profond esprit, qui a si bien résumé la sagesse antique, a écrit dans ses Essais quelques lignes belles, nobles et engageantes, dans lesquelles le mariage est bien dignement apprécié. Nous voulons terminer par ces lignes cette physiologie de la femme adultère, afin de faire excuser, en faveur du but où nous arrivons, les sinuosités du chemin que nous avons été obligé de parcourir avec quelque liberté. « C’est une douce société de vie, dit-il, que le mariage, plein de fiance et d’un nombre infini de bons et loyaux services et obligations mutuelles : à le bien façonner, il n’en est point de plus belle dans la société ; aucune femme qui en savoure le goût ne voudrait tenir lieu de simple maîtresse à son mari. »
Heureux ceux dont la vie peut prendre pour épigraphe la phrase de Montaigne, et pour lesquels le mariage est cette fidèle union qui consola nos premiers parents de la perte de l’immortalité. – FIN

 

 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021