BIBLIOBUS Littérature française

L’Orang-Outang - Maurice Dehers

Jadis dans l’ordre des Primates, mot qui veut dire premiers ou primats des animaux, Linné, inventeur de cette dénomination, plaçait, avec l’homme, non seulement les Singes et les Makis, dont l’organisation se rapproche plus ou moins de celle qui distingue notre espèce ; mais aussi les Chauves-souris et les Paresseux, qui ont dû en être séparés, lorsqu’il a été permis d’apprécier plus exactement les particularités organiques qui les distinguent.
 Wagler, répétant l’expression dont se servent tous les peuples qui ont vécu ou qui vivent dans le voisinage des Singes, les appelle des hommes transformés. Brehm commence ainsi son ouvrage : Le premier ordre des Mammifères nous fait connaître l’homme ; le second..., ses caricatures. En effet, le corps des Singes ne ressemble que très superficiellement à celui de l’homme, leur intelligence a tous les défauts de la nôtre, sans en avoir les bonnes qualités. Dans les différentes parties du corps de l’homme règne la plus belle harmonie ; chez le Singe, presque tout nous paraît grotesque.
On pourrait croire que les quatre mains du Singe lui constituent sur nous une supériorité, il n’en est rien, ainsi que le démontre Owen. Ce n’est pas la répétition des mêmes organes, mais le nombre d’organes différents qu’il faut considérer ; c’est la diversité et non le nombre qui constitue la perfection. Le Singe avec ses quatre mains ne peut faire qu’une seule et même chose : se maintenir et grimper ; il ne peut même pas se servir de ses membres antérieurs comme de véritables bras, parce que ses membres postérieurs ne peuvent pas, comme chez l’homme, supporter tout le poids du corps. Les singes ressemblent à l’homme par tous ses défauts. Ils sont méchants, perfides, voleurs et indécents ; ils apprennent une foule de tours plaisants, mais ils n’obéissent pas et gâtent souvent le jeu par quelque balourdise comme un arlequin grossier. On ne saurait attribuer une vertu quelconque aux Singes et moins encore les croire capables de rendre service à l’homme. Ils peuvent rester en faction, servir à table, chercher divers objets, mais ils ne le font que par intermittence et tant que leur folle humeur ne reprend pas le dessus. Au point de vue physique, comme au point de vue moral, ils ne représentent que le mauvais côté de l’homme. A propos des quatre mains du Singe, empruntons la note suivante à Giebel, elle sera reproduite ici avec opportunité : « La simple comparaison des mains prouve qu’il est complètement impossible de faire dériver l’homme du Singe, et nous montre que celui-ci ne peut être civilisé, quoiqu’on ait pu le dresser à exécuter toute sorte de travaux domestiques à l’aide des mains. »
Dans la famille des Singes, l’espèce qui ressemble le plus à l’homme, c’est celle de l’Orang-outang. Tout récemment et par deux fois, à une année de date, grâce à M. Geoffroy Saint-Hilaire, tous les Parisiens ont pu voir des Orangs au Jardin d’acclimatation, et étudier leurs moeurs en captivité.
C’est par erreur qu’on a signalé l’existence des Orangs sur le continent Indien et même à Java. Il n’en existe ni dans cette île, ni en Cochinchine, où Cuvier en indique. On ne trouve ces Singes qu’à Sumatra et à Bornéo exclusivement. Les Malais des côtes leur ont donné le nom d’Orang-Outang, ou Houtan, qui signifie homme des bois ; à Bornéo, les Daiaks Béjadjou les nomment Kahico et ceux de la rivière Doussou, Kéou. Sur la côte occidentale de Sumatra, les Malais donnent à l’Orang-Outang le nom de Marré, et ceux d’Indrapourra et de Bencoulen le nomment Orang-Panda ou Pandekh, qui veut dire homme noir.
Pendant longtemps, on ne fut pas éloigné d’admettre deux, trois et même jusqu’à quatre espèces d’Orangs-Outangs dont chacun aurait habité une île particulière. Aujourd’hui, grâce aux recherches patientes des voyageurs et des savants, on a pu constater que les divers Orangs de l’Asie qu’on avait pris pour des espèces distinctes, n’étaient que des individus d’une seule et même espèce, mais d’un âge différent. L’Orang-Outang mâle, dit Brehm, atteint quatre pieds de hauteur ; la femelle est plus petite d’environ un demi-pied. Le corps est très large dans la région des reins et se distingue par un ventre saillant ; le cou est court et forme des plis sur le devant, parce que cet animal possède un gros larynx, à parois flasques, qu’il peut gonfler ; ses membres sont terminés par de larges mains et de longs doigts. Les ongles sont toujours aplatis, ils manquent presque constamment aux pouces des mains de derrière. La face est tout à fait caractéristique : les canines font saillie au milieu de ses puissantes dents ; la mâchoire inférieure est plus longue que la mâchoire supérieure. Les lèvres sont ridées et fortement gonflées ; le nez est tout à fait aplati, et la cloison nasale se prolonge au-delà des ailes du nez ; les yeux et les oreilles sont petits, mais de la même forme que ceux de l’homme ; ses poils, rares sur le dos et sur la poitrine, sont longs et plus fourrés sur les parties latérales du corps ; ceux de la figure forme barbe. Sur les lèvres et sur le menton, sur le crâne et sur les avant-bras, les poils sont dirigés de bas en haut, partout ailleurs de haut en bas. La face et la paume de la main sont nues ; les joues et la partie supérieure des doigts le sont presque. La couleur du pelage est ordinairement d’un rouge de rouille, passant quelquefois au rouge brun, les poils de la barbe sont d’une nuance plus claire que ceux du dos et de la poitrine. Les parties nues paraissent bleuâtre ou gris d’ardoise. Les vieux mâles se distinguent des femelles non seulement par leur taille, mais encore par leur poil plus long et plus touffu, par leur barbe et par des callosités particulières qui couvrent les joues, les yeux jusqu’aux oreilles et jusqu’à la mâchoire supérieure ; les callosités ont la forme des croissants et enlaidissent singulièrement leur visage. Les jeunes Orangs n’ont pas de barbe ; mais les diverses parties de leurs corps sont couvertes d’un poil plus épais et plus foncé.
Nulle part ces singuliers animaux ne sont communs, et on ne les trouve que dans les lieux où s’étendent d’immenses terres basses, humides et couvertes de vastes et sombres forêts souvent submergées et peu accessibles à l’homme. Leur apparition dans les lieux montagneux n’est qu’accidentelle. A Sumatra, où les vastes forêts marécageuses n’existent que sur les côtes orientale et septentrionale, l’Orang se trouve relégué dans les royaumes de Siak et d’Atgen. Des individus isolés semblent pénétrer par les grandes vallées de l’intérieur vers la côte occidentale ; mais ces cas sont extraordinairement rares. Les Orangs sont bien plus répandus à Bornéo, où on les observe dans toutes les parties basses et boisées qui sont peu habitées par les indigènes. Ils habitent les grandes forêts solitaires et marécageuses du sud et de l’ouest, ils recherchent les vallées du Kahayan, du Sampit, du Mandawej, du Kotaringin, et les bords des autres fleuves de l’île ; mais partout où ils habitent il n’a guère été possible de les observer malgré toutes les tentatives qui ont été faites, de sorte que l’on ne sait encore que peu de chose sur leur façon de vivre chez eux à l’état libre.
Cependant quelques voyageurs, d’après leurs observations personnelles, ont rapporté des détails assez intéressants qu’ils ont pu donner d’une façon plus complète grâce aux dires des indigènes ; jamais on ne trouve les Orangs en bande nombreuse. Les vieux mâles vivent seuls, et même ceux qu’un âge très avancé a rendus faibles traînent sur le sol une vie misérable. Les troupes que l’on rencontre ne sont composées que de femelles et de singes fort jeunes.
L’Orang-outang vit sur les arbres, où il trouve tout ce qu’il lui faut pour manger : des fruits, des bourgeons, des fleurs, des feuilles, des graines, des écorces, des insectes, des oeufs et des oiseaux. La nuit, il choisit comme lieu de repos les cimes les plus touffues afin d’être protégé par le feuillage le plus épais contre la pluie et le froid qu’il redoute. Il se construit à sept ou huit mètres du sol une sorte de nid qui ressemble à l’aire des grands oiseaux de proie et se compose de branches épaisses cassées en morceaux ou simplement courbées, de petits rameaux garnis de feuilles desséchées et d’herbes. Rarement il descend de ce repaire pour attaquer l’homme qui le poursuit. On cite pourtant des exemples de naturels terrassés, tués même par ces animaux qui sont d’une force prodigieuse.
Les Orangs, vers le déclin du jour, se retirent dans leur nid et dorment, dit-on, couchés sur le dos ou sur le côté. L’un de leur bras est étendu sous leur tête qui repose dans leur main. L’Orang-outang est un animal très doux et très paisible. Il n’est pas timide et ne fuit pas devant l’homme, qu’il regarde au contraire avec beaucoup de calme.
Comme la nourriture des Orangs consiste essentiellement en fruits, il s’ensuit que les lieux que ces animaux choisissent pour demeure sont ceux où ils trouvent une subsistance plus abondante et plus facile. Il en résulte aussi pour eux des habitudes plus ou moins nomades suivant les saisons. C’est ainsi qu’ils se montrent dans les parties méridionales de l’intérieur de Bornéo, et qu’ils font leur apparition sur la rive droite du Doussou pendant les mois d’avril et de mai, époque de la maturité du Ficus infectoria dont eux et quelques autres Singes sont très friands. Passé cette époque, on ne les voit plus dans ces localités.
D’après le récit d’un voyageur qui séjourna longtemps dans le pays où l’on rencontre le plus d’Orangs-outangs, un naturaliste raconte que les Malais les chassent habituellement avec des flèches empoisonnées. Ils les poursuivent ainsi jusqu’à ce que ces animaux saisis de convulsions par la force du poison se laissent tomber à terre, alors on les achève avec de longues piques. Plusieurs peuplades de Bornéo sont très friandes de leur chair et leur font pour s’en procurer une chasse assidue. Lorsqu’un Orang a été abattu au moyen de flèches empoisonnées, les gens de Bornéo enlèvent immédiatement une partie des chairs placées autour des blessures : puis, ils découpent l’animal, le partagent en morceaux et mettent soigneusement de côté la graisse qu’ils emploient pour préparer leurs aliments. Ils font rôtir la chair sur des brasiers, ou la coupent par tranches qu’ils font sécher au soleil et qu’ils désignent alors sous le nom de ding-ding. La peau leur sert à faire des jaquettes ou des bonnets de forme grotesque dont ils s’affublent les jours de fêtes ou pour se donner à l’occasion un air redoutable. Lorsque l’Orang craint quelque danger, lorsqu’il est vivement poursuivi, il monte incontinent sur la cime de l’arbre sur lequel il se trouvait, ou lorsque cet arbre n’est pas assez élevé, il passe sur un autre qui puisse mieux le mettre à l’abri des armes. Il ne se livre pas à cette ascension nécessaire avec la rapidité impétueuse déployée en pareille occasion par d’autres espèces de Singes ; mais avec réflexion et avec une prudence calculée, car il grimpe lourdement, malgré le secours de ses longs bras, à peu près comme l’ours, saisissant une branche à l’aide des mains de devant et faisant suivre difficilement son corps. Lorsqu’il est atteint par les chasseurs, par une flèche empoisonnée ou par une balle, il casse les branches et les rameaux qu’il peut saisir et les lance sur ses adversaires, pour les effrayer et faire cesser la poursuite. C’est probablement de ce fait que vient le récit profondément erroné, rapporté par des voyageurs qui le tenaient des indigènes, que lorsqu’on l’attaque l’Orang casse une grosse branche dont il se sert comme d’une massue pour assommer les assaillants. Quand cet animal est blessé il fait entendre sa voix mugissante qui ressemble à celle de la panthère. Lorsque les chasseurs le serrent de trop près, il sait très bien se défendre, et les assaillants doivent prendre mille précautions pour se garder de ses attaques, car ses bras sont extraordinairement vigoureux et ses dents redoutables. Il casse facilement le bras d’un homme et fait d’affreuses morsures. Cependant même dans ses plus violentes colères, ses mouvements sont tellement lents qu’il est facile de l’atteindre. Toutefois il est tout à fait impossible de s’emparer d’un vieil Orang-outang vivant. Jeune, on le capture plus facilement. On raconte, dit Brehm, que pour s’en emparer, les chasseurs abattent les arbres qui entourent celui sur lequel il a cherché un refuge, et lui enlèvent ainsi tout moyen de retraite. Inutile de dire que c’est là une nouvelle fable ajoutée à tant d’autres. Schouter nous apprend qu’on capture les jeunes Singes avec des lacets.
Le nombre des études faites sur des Orangs en captivité est très considérable, toutes dépeignent ces animaux comme de bonnes créatures, un peu lentes et lourdes. C’est à un Hollandais nommé Bosmaern qu’on doit les premières observations sur l’Orang en captivité. Depuis, John Jeffries, le docteur Abel, naturaliste de l’ambassade de lord Amherst, le capitaine Schmith, Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire père et fils, ont pu étudier ces animaux et nous ont communiqué le résultat de leurs études.
L’Orang-outang, que Cuvier étudia à Paris, était âgé de dix à onze mois à son arrivée en France, où il vécut encore près d’un mois. Nous citerons du récit de l’illustre naturaliste le passage le plus propre à compléter notre notice : « Lorsqu’il voulait (1) se transporter sur terre d’un lieu à un autre, il appuyait ses deux mains fermées sur le sol, se soulevait sur ses longs bras et portait son train de derrière en avant, en faisant passer ses pieds entre ses bras et en le portant au-delà des mains... Ce n’était qu’en étant soutenu par la main qu’il marchait sur ses pieds, encore, dans ce cas, s’aidait-il de son autre bras... Quand il se couchait, il aimait à être couvert, et pour cet effet, il prenait toutes les étoffes, tous les linges qui se trouvaient près de lui. Cet animal employait ses mains comme nous employons généralement les nôtres, et l’on voyait qu’il ne lui manquait que de l’expérience pour en faire l’usage que nous en faisons dans un très grand nombre de cas particuliers. Il portait le plus souvent ses aliments à sa bouche avec ses doigts ; mais quelquefois aussi il les saisissait avec ses longues lèvres, et c’était en humant qu’il buvait, comme le font tous les animaux dont les lèvres peuvent s’allonger. Il se servait de son odorat pour juger de la nature des aliments qu’on lui présentait et qu’il ne connaissait pas, et il paraissait consulter ce sens avec beaucoup de soin. Il mangeait presque indistinctement des fruits, des légumes, des oeufs, du lait, de la viande ; il aimait beaucoup le pain, le café et les oranges ; et une fois il vida, sans en être incommodé, un encrier qui tomba sous sa main. Il ne mettait aucun ordre dans ses repas et pouvait manger à toute heure, comme les enfants. On a eu la curiosité de voir quelle impression ferait sur lui notre musique et, comme on aurait dû s’y attendre, elle n’en a fait aucune. Pour se défendre notre Orang mordait et frappait de la main ; mais ce n’était qu’envers les enfants qu’il montrait quelque méchanceté, et c’était toujours par impatience plutôt que par colère. En général, il était doux et affectueux et il éprouvait un besoin naturel de vivre en société. Il aimait à être caressé et donnait de véritables baisers. Son cri était guttural et aigu ; il ne le faisait entendre que lorsqu’il désirait vivement quelque chose. Alors tous ses signes étaient expressifs ; il secouait sa tête en avant pour montrer la désapprobation, boudait lorsqu’on ne lui obéissait pas, et, quand il était en colère, il criait très fort et en se roulant par terre. Alors son cou se gonfle singulièrement... Souvent il se trouva fatigué des nombreuses visites qu’il recevait ; alors il se cachait entièrement dans sa couverture et n’en sortait que lorsque les curieux s’étaient retirés ; jamais il n’agissait ainsi quand il n’était entouré que des personnes qu’il connaissait... Presque tous les animaux ont besoin de se garantir du froid, et il est bien vraisemblable que les Orangs-outangs sont dans ce cas, surtout dans la saison des pluies. J’ignore quels sont les moyens que ces animaux emploient dans leur état de nature pour se préserver de l’intempérie des saisons. Notre animal avait été habitué à s’envelopper dans ses couvertures, et il en avait presque un besoin continuel. Dans le vaisseau qui l’avait porté, il prenait, pour se coucher, tout ce qui lui paraissait convenable ; aussi, lorsqu’un matelot avait perdu quelques hardes, il était presque toujours sûr de le retrouver dans le lit de l’Orang-outang. »
Tels sont les détails curieux relatés par Cuvier et que le savant et habile directeur du Jardin d’acclimatation, M. Geoffroy Saint-Hilaire, a pu constater récemment de nouveau.
Les légendes, récits erronés, fables, inventions merveilleuses, relatifs à l’Orang-outang sont aussi curieux et intéressants que nombreux, car cet animal est connu depuis la plus haute antiquité. Nous en citerons quelques-uns : Pline raconte déjà qu’on trouve sur les montagnes de l’Inde, des satyres, « animaux très méchants, à face humaine, marchant tantôt debout, tantôt sur les quatre pattes, et que la grande rapidité de leur course empêche d’être pris autrement que quand ils sont malades ou très vieux ».
Naturellement ce récit a été amplifié et embelli par tous les écrivains qui se sont succédé, de telle sorte que un peu plus on aurait vu des hommes sauvages dans ces Singes, tant les exagérations accumulées avaient faussé la vérité du récit de Pline.
Tulpius, dans son livre, Observationes medicæ, dit que l’animal Satyrus indicus qu’il a vu, et que les Indiens nomment Orang-outang ou homme sauvage, et les Africains Quoias morrou, était aussi grand qu’un enfant de trois ans, aussi fort qu’un enfant de six ans et que son dos était couvert de poils noirs.
Bontius, dans son livre De medicina Indorum dit qu’il a vu plusieurs fois des Orangs mâles et femelles marchant debout et se démenant comme des hommes. Une femelle, dit-il, se distinguait d’une manière particulière : Elle était honteuse devant les hommes qu’elle ne connaissait pas et se cachait alors la face ; elle soupirait, pleurait et imitait toutes les actions de l’homme, au point que la parole seule lui manquait pour être une créature humaine. Les Javanais prétendaient que ces Singes pourraient bien parler ; mais qu’ils ne le veulent pas pour ne pas être forcés de travailler. Ils admettent comme chose certaine que les Orangs sont un produit du mélange de Singes ordinaires et de femmes indiennes.
Il est dit dans le Pauca Tantra que les Singes possèdent la faculté de guérir les blessures des chevaux qui ont été échaudés ou brûlés, comme le soleil du matin a le pouvoir de dissiper les ténèbres. D’après une autre version de ce conte, contenue dans le Justi-Namé, la morsure d’un Singe ne peut être guérie que par le sang même du Singe qui l’a faite.
Les proverbes helléniques et latins regardent généralement le Singe comme un animal très rusé, de sorte qu’Hercule et le Singe représentent l’alliance de la force et de la ruse. D’après Cordan, un Singe vu en rêve est un présage de tromperie. Selon Lucien, quand on rencontre un Singe dès le matin, c’est un signe que la journée sera funeste. Les Spartiates considérèrent comme un augure des plus funestes que le Singe du roi des Molosses eut renversé leur urne tandis qu’ils étaient allés consulter l’oracle. Au témoignage de Suétone, quand Néron crut voir son cheval s’enfuir en ayant les parties postérieures de la forme de celles d’un Singe, il considéra ce fait comme un pronostic de mort. Le Singe était donc regardé en Grèce et à Rome comme un animal rusé et démoniaque.
Le Singe est dépeint parfois dans les anciennes fables de l’Europe méridionale comme un animal d’une intelligence très bornée. En Italie, il existe un proverbe qui dit que chaque Singe trouve beaux ses petits. Cette idée se rapporte à l’apologue du Singe qui pense que ses petits sont les plus jolis animaux du monde, parce que Jupiter ne put s’empêcher de rire en les voyant gambader.
Les Romains entretenaient des Singes et étudiaient d’après eux la structure interne de l’homme. Les Singes les amusaient par leur penchant à tout imiter, quelquefois même ils les forçaient à se battre contre des bêtes féroces ; mais ils ne virent jamais en eux que des animaux. Les Arabes, au contraire, regardent les Singes comme des réprouvés, punis par Allah, transformés d’hommes abominables en bêtes, offrant dans un singulier mélange, l’image du diable et l’image du fils d’Adam.
On pourrait multiplier ces curieuses citations à l’infini, nous avons recueilli les plus intéressantes et nous les avons présentées en regard de la vérité pour les faire mieux apprécier et ressortir davantage. La science qui chaque jour fait un pas en avant éclairera bientôt peut-être l’histoire naturelle de l’Orang, nous avons résumé dans cette notice tous les faits observés jusqu’à ce jour en nous préoccupant de les débarrasser de toutes les fables et de tous les mensonges qui ont cours encore aujourd’hui. En effet d’innombrables erreurs subsistent toujours malgré les dires des savants naturalistes qui, surtout lorsqu’il s’agit de l’Orang dont on s’est efforcé de démontrer la grande ressemblance avec l’homme, n’ont voulu rien affirmer que ce qu’ils avaient vu... (« Les Animaux chez eux » illustré par Auguste Lançon (1836-1887) paru chez L. Baschet à Paris en 1882.)

 

NOTE :
(1) E. Geoffroy Saint-Hilaire et Frédéric Cuvier, Histoire naturelle des Mammifères.

 

L'Ours

Date de dernière mise à jour : 07/04/2016