BIBLIOBUS Littérature française

L’armoire - Jean-François Renkin (1872-1906)

 

Un jour d’été elle se résigna – des papillons s’envolèrent de l’armoire. ( FLAUBERT. Un cœur simple.)

 

 

La petite Jeanne, si elle avait vécu, aurait fait sa première communion cette année ; mais voilà passé trois ans, que le curé est venu la chercher, un samedi de novembre qu’il pleuvait.

Le jour après l’enterrement, on serra les affaires de l’enfant dans un meuble, là-haut, et depuis, on n’a jamais plus touché à ce qui fut à Jeanne.

Ce dimanche là, pourtant, la jeune femme a voulu tout revoir.

L’horloge sonnait dix heures et son homme venait de descendre pour aller à grand’messe.

Elle entre dans la chambre que le soleil remplit de sa lumière.

Elle ouvre l’armoire. Les mites s’envolent.

Tout était resté bien en place.

Sur la planche du dessus, les petites robes repliées l’une près de l’autre ; à côté, des chemises et des mouchoirs. Dans le coin, deux chapeaux, celui du dimanche et celui de tous les jours, recouverts d’une gaze contre la poussière.

Et à ce moment là, il sembla à la pauvre mère que sa fille n’était pas morte. Il lui sembla qu’il était temps d’appeler Jeanne, de lui boutonner ses souliers, de la coiffer, de lui mettre sa belle robe pour aller à l’église.

Pauvre petite, va !

Est-ce possible qu’on ne la revoie jamais plus ?

Un jour, au matin, elle se réveilla avec une toux si mauvaise : elle râlait, et son visage était tout rouge.

Une semaine après, on la portait en terre !

Toute la joie de la maison a été renfermée avec elle, dans le petit cercueil de chêne qui l’emmena.

… Onze heures sonnaient.

Les gens sortaient de la messe, les femmes s’en allaient au plus vite pour écumer leur pot-au-feu et peler leurs pommes de terre ; quant aux hommes, les uns s’arrêtaient sur la place pour deviser du temps, des pigeons, du nouveau mayeur ; les autres entraient dans les cabarets pour jouer un piquet et boire une tournée.

Elle n’a rien vu, n’a rien entendu : pour elle, le monde, c’est l’armoire de Jeanne.

Sur la planche du milieu, des tabliers, des bas, des nœuds, un manteau gris d’hiver qui n’a été mis que deux fois !

Un à un, la mère prend tous les vêtements, les secoue, fait tomber la poussière qui volette dans la lumière du soleil, puis les remet soigneusement à leur place.

Qu’elle donnerait gros pour revoir son enfant assise à la table, s’esseyant, un doigt sur son livre, à faire ses lettres sur l’ardoise ; ou bien, dans la grand’rue, sautant à la corde avec celles de son âge, ou se balançant sur la chaîne d’une charrette basculée !

Et le premier bon point que la petite rapporta, toute fière et toute rouge de bonheur !

Et à la fête, quand Jeanne, vêtue de blanc, marchait dans la procession avec les plus gentilles de l’école et semait des fleurs sur les voies du bon Dieu.

Tout lui repasse ainsi au cœur, avec les bons, les mauvais jours…

Quelles transes, la fois qu’elle jouait près du feu et qu’elle se brûla si fort au bras !...

Son père courut tout de suite, au docteur. Et quel coup quand celui-ci ne put lui certifier qu’elle ne garderait pas la marque toute sa vie !

Toute sa vie, ça n’a pas été long…

 

OOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOO

 

Par la fenêtre au large ouverte, elle n’entend pas le boulet renverser les quilles, les buveurs rire aux éclats au comptoir dans les cabarets.

Sur la dernière planche, c’était encore quantité de choses : des aiguilles à tricoter dans un petit bas commencé, des ciseaux, un panier, une poupée sans bras, une balle, des jeux de la Saint-Nicolas ; et, debout au fond du meuble, un petit miroir que Jeanne avait gagné aux porcelaines à la fête de Choquier.

Dans une boîte en carton rose, des médailles et un chapelet, avec deux images du curé, qui étaient devenues toutes jaunes…

La mère appuie sa tête contre l’armoire.

Comment est-il possible qu’il y ait d’autres enfants qui vivent et des parents qui peuvent rire et s’amuser !

Que peut-elle bien avoir fait au bon Dieu ?

N’a-t-elle pas toujours marché dans le droit chemin, ne s’est-elle pas toujours conduite comme une bonne chrétienne.

Midi sonne.

Pendant que tombent les douze coups, on monte les marches et son homme ouvre la porte tout en demandant : “ Le bouillon est-il prêt ? „

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 26/05/2021