BIBLIOBUS Littérature française

Blanche de Neige - Alexandre Dumas

 

 

1

Un jour d’hiver, la neige tombait par flocons, comme si le ciel semait des fleurs d’argent sur la terre.

Il y avait une reine, qui était assise et qui cousait près d’une fenêtre de son palais.

Cette fenêtre était de bois d’ébène du plus beau noir.

Et, comme la reine était occupée à regarder tomber la neige, elle se piqua le doigt avec son aiguille.

Trois gouttes de son sang coulèrent sur la neige, et firent trois taches rouges.

En voyant combien ce sang de pourpre tranchait avec la blancheur de la neige, la reine dit :

– Je voudrais avoir un enfant dont la peau fût aussi blanche que cette neige, dont les joues et les lèvres fussent aussi rouges que ce sang, et dont les yeux, les cils et les cheveux fussent aussi noirs que cette ébène.

Juste en ce moment, la fée des Neiges passait, dans sa robe de givre ; elle entendit la prière de la reine et l’exauça.

Neuf mois après, la reine mit au monde une fille, blanche de peau comme la neige, rouge de lèvres et de joues comme le sang, noire d’yeux, de cils et de cheveux comme l’ébène.

Mais la reine n’eut que le temps d’embrasser sa fille, et elle mourut, en disant qu’elle désirait que l’enfant s’appelât Blanche de Neige.

Un an après, le roi prit une autre femme.

Celle-ci était fort belle, mais aussi orgueilleuse et aussi vaine que la première était humble et douce.

Elle ne pouvait supporter cette idée qu’aucune femme du monde pût l’égaler en beauté.

Elle avait eu une fée pour marraine ; cette fée lui avait donné un miroir qui avait une étrange faculté.

Quand la reine se regardait dans ce miroir et disait : « Petit miroir pendu au mur, quelle est la plus belle de tout le pays ? » le petit miroir répondait : « Belle reine, c’est toi qui es la plus belle. »

Et l’orgueilleuse reine était satisfaite, car elle savait que le miroir disait toujours la vérité.

Cependant Blanche de Neige grandissait et devenait de jour en jour plus jolie ; si bien qu’à dix ans, elle était belle comme le plus beau jour ; plus belle même que la reine.

Or, un jour que cette dernière disait à son miroir : « Petit miroir pendu au mur, quelle est la plus belle de tout le pays ? » le miroir, au lieu de lui répondre comme d’habitude : « C’est toi », lui répondit : « C’est Blanche de Neige. »

La reine fut toute bouleversée : elle devint verte de jalousie ; ce qui ne l’embellit pas.

À partir de ce moment, chaque fois que la reine rencontrait Blanche de Neige, son cœur se retournait dans sa poitrine, tant elle haïssait la jeune fille.

Or, l’orgueil et la jalousie, ces deux mauvaises plantes de l’âme, allèrent toujours croissant dans son cœur, comme l’ivraie dans un champ ; de sorte que, ne pouvant plus reposer ni jour ni nuit, un matin, elle fit venir un chasseur et lui dit :

– Emporte cette enfant dans la forêt, afin qu’elle ne reparaisse jamais devant mes yeux. Tu la tueras et tu m’apporteras son cœur, comme preuve qu’elle est bien morte, et je ferai manger son cœur à mes chiens ; il y a assez longtemps que ceux de la jalousie mangent le mien.

– Mais le roi ? demanda le chasseur.

– Le roi est à l’armée ; je lui écrirai que Blanche de Neige est morte, et il n’en demandera pas davantage.

Le chasseur obéit, emmena l’enfant dans la forêt ; mais, lorsqu’il eut tiré son couteau de chasse pour tuer Blanche de Neige, celle-ci, voyant qu’elle courait danger de mort, tomba à genoux et se mit à pleurer en disant :

– Ah ! cher chasseur, je t’en prie, laisse-moi la vie ; je courrai dans la forêt si loin, que personne ne saura que j’existe, et je ne reviendrai jamais à la maison.

Et Blanche de Neige était si belle, que le chasseur en eut pitié.

– Allons, va, cours dans la forêt, pauvre enfant ! lui dit-il.

Et, en disant cela, il pensait :

« La forêt est pleine de bêtes fauves ; elles l’auront bientôt dévorée. »

Cependant un poids bien lourd lui était enlevé de dessus le cœur.

Un jeune daim se leva : le chasseur lui envoya une flèche et le tua ; puis il l’ouvrit, lui prit le cœur, et l’apporta à la reine.

La reine, croyant que c’était le cœur de Blanche de Neige, le fit manger à ses chiens, ainsi qu’elle l’avait dit.

Quant à la pauvre enfant, elle était donc restée seule dans la forêt, comme elle l’avait promis : elle se mit à fuir, et courut tant qu’elle eut de forces.

Mais les ronces s’écartaient devant ses pas, et les bêtes féroces la regardaient passer sans lui faire aucun mal.

Vers le soir, elle aperçut une petite maisonnette. Il était temps ; ses jambes ne pouvaient plus la porter.

La maisonnette était charmante : située dans un site pittoresque, avec une source à dix pas d’elle et de beaux arbres fruitiers dans un jardin.

La jeune fille but quelques gouttes d’eau à la source dans le creux de sa main, et entra dans la maisonnette pour se reposer.

La porte en était poussée seulement.

Tout était petit dans cette maison, mais tout y était propre et net au dernier point. Il y avait une petite table couverte d’une nappe, et, sur cette nappe, sept petites assiettes.

Chaque assiette avait sa petite cuiller, son petit couteau, sa petite fourchette et son petit gobelet.

À la muraille étaient adossés sept petits lits, avec des draps blancs comme neige.

La jeune fugitive, qui avait grand-faim, mangea, sur une des petites assiettes, un peu de légumes et du pain, but une goutte de vin dans un gobelet ; car elle ne voulait pas tout manger et tout boire, ce qu’elle n’eût point eu de peine à faire, si elle eût mangé et bu à son appétit.

Puis, comme elle était fatiguée, elle s’avisa à se coucher dans un des lits.

Mais aucun des six premiers lits ne lui convenait : l’un était trop court, l’autre était trop étroit.

Il n’y eut que le septième qui lui allât bien.

Elle s’y coucha, et, après s’être recommandée à Dieu, elle s’endormit.

Quand la nuit fut tout à fait venue, les sept maîtres rentrèrent.

C’étaient sept nains, qui exerçaient la profession de chercheurs de minerai dans la montagne.

Ils allumèrent sept lumières, et alors ils virent que quelqu’un était venu, car rien n’était plus dans le même ordre où ils l’avaient laissé.

Le premier dit :

– Qui s’est donc assis sur ma chaise ?

Le second dit :

– Qui donc a mangé dans mon assiette ?

Le troisième dit :

– Qui donc a grignoté mon pain ?

Le quatrième :

– Qui donc a mangé ma part de légumes ?

Le cinquième :

– Qui s’est servi de ma fourchette ?

Le sixième :

– Qui a coupé avec mon couteau ?

Et le septième :

– Qui a bu dans mon gobelet ?

Alors le premier regarda tout autour de lui, et s’aperçut que quelqu’un était couché dans le lit du septième nain, qui était le plus grand de tous.

– Tiens ! demanda-t-il à son camarade, qui donc est couché dans ton lit ?

Tous les autres nains accoururent et dirent :

– Dans le mien aussi l’on a essayé de se coucher.

Mais le septième, regardant Blanche de Neige qui dormait, appela les autres.

Les sept nains restèrent saisis d’admiration en voyant la jeune fille, qu’éclairaient leurs sept lumières.

– Oh ! mon Dieu ! s’écrièrent-ils en chœur, que cette enfant est donc belle !

Et ils en étaient si réjouis, qu’au lieu de l’éveiller, ils la laissèrent couchée dans le lit.

Celui dont Blanche de Neige avait pris le lit coucha à terre sur une jonchée de fougères sèches.

Le lendemain, quand vint le jour, Blanche de Neige s’éveilla, et fut fort effrayée en voyant les sept nains grouiller dans la maisonnette.

Ceux-ci s’approchèrent d’elle et lui demandèrent :

– Comment t’appelles-tu ?

– Je m’appelle Blanche de Neige, répondit la jeune fille.

– Comment es-tu venue dans notre maison ? lui demandèrent encore les nains.

Alors elle leur raconta que sa belle-mère avait voulu la faire mourir, mais que, le chasseur lui ayant, sur sa prière, laissé la vie, elle avait trouvé la maisonnette, y était entrée, et, ayant faim et étant fatiguée, y avait soupé, s’était couchée et s’était endormie.

Les sept nains lui dirent :

– Si tu veux faire notre ménage, notre cuisine et nos lits, laver, coudre, tricoter, enfin tenir la maison propre et nette, alors tu pourras rester avec nous, et rien ne te manquera.

– Très volontiers, dit Blanche de Neige.

Et, toute fille de roi et de reine qu’elle était, elle resta chez les sept nains, fit leur ménage et tint tout en ordre.

Le matin, les nains partaient pour la montagne, où ils cherchaient leur minerai d’or, d’argent et de cuivre.

Le soir, ils revenaient et trouvaient leur repas servi.

Tout le long du jour, la jeune fille restait donc seule, et il y avait peu de matins où les nains, qui l’aimaient comme leur enfant, ne lui fissent en la quittant :

– Ne laisse entrer personne, Blanche de Neige ; défie-toi de ta belle-mère ; un jour ou l’autre, elle apprendra que tu es vivante et te poursuivra jusqu’ici.

Et, en effet, la reine, croyant être débarrassée de Blanche de Neige, était restée deux ans, à peu près, sans consulter son miroir. Et, pendant ces deux ans, l’enfant, devenant jeune fille et embellissant chaque tour, était restée bien tranquille et, disons plus, bien heureuse chez les nains.

Mais enfin, un jour la reine fut prise d’une vague inquiétude, se plaça devant son miroir et dit :

– Petit miroir pendu au mur, quelle est la plus belle de tout le pays ?

Et le miroir répondit :

– Belle reine, tu es la plus belle dans toutes les villes de ton royaume ; mais Blanche de Neige, dans la montagne, chez les sept nains, est mille fois plus belle que toi.

La reine fut effrayée ; elle savait que le miroir ne pouvait mentir ; elle vit donc bien que le chasseur l’avait trompée, dès que Blanche de Neige était vivante.

Alors elle se mit à songer comment elle parviendrait à faire mourir Blanche de Neige ; car sa jalousie, elle le sentait bien, ne lui laisserait aucun repos tant qu’elle ne serait pas la plus belle du pays.

Elle imagina donc de se grimer la figure et de se déguiser en vieille marchande foraine.

Ainsi grimée et déguisée, elle était méconnaissable.

Elle partit pour la montagne des sept nains, arriva à la maisonnette et frappa à la porte en disant :

– Belle marchandise à vendre… et à bon marché !

Blanche de Neige, qui, ainsi que d’habitude, avait fermé la porte en dedans, regarda par la fenêtre et dit :

– Bonjour, bonne femme ! Qu’avez-vous à vendre ?

– De bonnes marchandises, ma belle enfant, répondit-elle ; de jolis lacets pour les brodequins, de jolies ceintures pour la taille, de jolis velours pour les colliers.

« Ah ! pensa Blanche de Neige, je puis bien faire entrer cette honnête marchande. »

Et elle ôta le verrou de la porte.

La vieille entra, lui montra sa marchandise, et Blanche de Neige lui acheta un beau petit velours noir pour mettre en collier.

– Ah ! mon enfant, dit la vieille, que vous êtes belle ! mais vous serez bien plus belle encore avec ce collier. Laissez-moi donc vous le nouer derrière le cou, que j’aie le plaisir de voir comme il vous va bien.

Blanche de Neige, ne se défiant de rien, se mit devant elle pour qu’elle lui passât au cou le ruban. Mais la vieille le lui serra si fort que Blanche de Neige, sans avoir le temps de pousser un cri, en perdit la respiration et tomba comme morte.

La reine la crut morte tout à fait.

– Ah ! dit-elle, tu as été la plus belle, mais tu ne l’es plus.

Et elle sortit vivement.

Vers le soir, les sept nains revinrent au logis, et furent fort effrayés en trouvant leur chère Blanche de Neige étendue sur le sol et comme morte.

Ils virent bien tout d’abord que c’était le velours noir qui l’étranglait : ils le coupèrent ; et Blanche de Neige, commençant à respirer, revint à elle peu à peu.

Les sept nains lui dirent alors :

– La vieille marchande foraine n’est autre que la reine ta belle-mère. Prends donc bien garde à toi, maintenant que te voilà avertie, et ne laisse entrer personne dans la maison quand nous n’y serons pas.

2

La méchante reine, rentrée chez elle, demeura quelques jours tranquille, car elle se regardait, maintenant qu’elle croyait Blanche de Neige morte, comme la plus belle du pays.

Cependant, un beau matin, elle alla en minaudant à son miroir, et lui dit, plutôt par habitude que par doute :

– Petit miroir pendu au mur, quelle est la plus belle de tout le pays ?

Et le miroir lui répondit :

– Belle reine, tu es la plus belle dans toutes les villes de ton royaume ; mais Blanche de Neige, dans la montagne, chez les sept nains, est dix mille fois plus belle que toi.

En entendant cela, la reine jeta un cri de rage, et tout son sang reflua vers son cœur.

Et, en effet, elle était très effrayée, car elle voyait bien que Blanche de Neige était encore en vie.

– Ah ! maintenant, dit-elle, je veux imaginer quelque chose qui anéantisse à tout jamais ma rivale en beauté.

Et, comme elle connaissait la magie, elle fit un peigne empoisonné. Alors elle se déguisa de nouveau, revêtit l’aspect d’une autre vieille femme, quitta la ville, gagna la montagne, arriva à la maisonnette et frappa à la porte en criant :

– Belle marchandise à vendre, et pas cher !

Blanche de Neige regarda à la fenêtre et dit :

– Passez votre chemin, bonne femme ; je ne dois pas vous laisser entrer.

– Mais tu peux au moins regarder, dit la vieille.

Et elle tira son peigne, qui reluisait comme s’il était d’or, et l’éleva en l’air.

– Oh ! dit l’enfant, comme mes cheveux noirs paraîtraient bien plus noirs encore s’ils étaient relevés par ce beau peigne d’or !

Blanche de Neige et la vieille femme ne tardèrent pas à tomber d’accord sur le prix. Mais alors la vieille lui dit :

– Maintenant, laisse-moi entrer, afin que je te pose ce peigne à la mode de la ville d’où je viens.

La pauvre Blanche de Neige, sans défiance aucune, laissa entrer la vieille. Mais à peine celle-ci eut-elle mis le peigne dans les cheveux de la jeune fille que le peigne fit son effet et que Blanche de Neige tomba sans connaissance.

– Chef-d’œuvre de beauté, dit la méchante reine en sortant, j’espère maintenant que c’est fait de toi !…

Par bonheur, cela se passait vers le soir. La méchante reine n’était donc pas sortie depuis dix minutes, que les nains rentrèrent.

En voyant Blanche de Neige étendue sur le sol, et soupçonnant de nouveau sa belle-mère, ils aperçurent dans ses cheveux un peigne d’or qu’ils ne lui connaissaient pas, et se hâtèrent de l’enlever.

À peine le peigne fut-il hors des cheveux de la jeune fille, que Blanche de Neige revint à elle et raconta à ses bons amis les sept nains ce qui s’était passé.

Alors ils lui recommandèrent plus que jamais de se tenir en garde et de n’ouvrir à personne.

Une quinzaine de jours après l’événement que nous venons de raconter, la reine se plaça de nouveau devant son miroir, et dit :

– Petit miroir pendu au mur, quelle est la plus belle de tout le pays ?

Le miroir répondit :

– Belle reine, tu es la plus belle dans toutes les villes de ton royaume ; mais Blanche de Neige, dans la montagne, chez les sept nains, est cent mille fois plus belle que toi.

En entendant cette réponse, la reine se mit à trembler de colère.

– Oh ! cette fois, s’écria-t-elle, il faut que Blanche de Neige meure, dût-il m’en coûter ma propre vie.

Alors elle s’enferma dans une chambre isolée où ne pénétrait jamais personne, et qui était le laboratoire où elle préparait ses poisons ; et, là, elle fit une pomme de calville qui avait une splendide apparence : blanche d’un côté, rouge de l’autre. Blanche de Neige n’avait pas le teint plus blanc ; Blanche de Neige n’avait pas les joues plus roses.

Mais quiconque mangeait le plus petit morceau de cette pomme devait mourir en l’avalant.

Quand la pomme fut terminée, la reine se déguisa en paysanne, et quittant la ville, gagna la montagne et arriva devant la maisonnette des sept nains.

Elle frappa à la porte.

Blanche de Neige se mit à la fenêtre et dit :

– Oh ! cette fois-ci, je n’ouvre pas ; les sept nains me l’ont trop bien défendu, et, d’ailleurs, j’ai été moi-même trop bien punie d’avoir ouvert.

– Bon ! dit la paysanne, je ne voulais que te donner cette pomme, que j’ai cueillie à ton intention, Blanche de Neige.

– Je n’en veux pas, dit celle-ci, car peut-être est-elle empoisonnée.

– Ah ! quant à cela, tu vas bien voir le contraire, dit la paysanne. Et, prenant son couteau, elle la coupa en deux.

– Tiens, dit-elle, je mange le côté blanc, mange le côté rouge. Mais cette pomme avait été faite avec tant d’art, que le côté rouge seulement était empoisonné.

Blanche de Neige lorgnait la pomme, et, quand elle vit que la paysanne mangeait le côté blanc, elle ne put résister à son désir ; elle tendit la main et prit le côté rouge.

Mais à peine eut-elle mordu dedans, qu’elle tomba morte à terre.

La paysanne monta sur le banc, regarda par la fenêtre, et, la voyant étendue sans souffle, elle la contempla avec des yeux cruels, et dit :

– Blanche de Neige, rouge comme sang, noire comme ébène, cette fois les sept nains ne te réveilleront plus.

Et quand, revenue au palais, elle consulta son miroir en demandant :

– Petit miroir pendu au mur, quelle est la plus belle de tout le pays ?

Le miroir lui répondit :

– Belle reine, tu es la plus belle non seulement du pays, mais de toute la terre.

Et son cœur jaloux eut enfin du repos, autant toutefois qu’un cœur jaloux peut en avoir.

Quand les nains revinrent à la fin de leur journée, qu’ils trouvèrent Blanche de Neige à terre, et qu’ils virent que cette fois elle ne respirait plus, ils la relevèrent, la délacèrent, la peignèrent, la lavèrent avec de l’eau et du vin, et, l’ayant couchée dans sa robe blanche, ils se mirent à la pleurer pendant trois jours.

Alors ils songèrent à l’enterrer ; mais, comme elle avait la mine aussi fraîche qu’une personne vivante, comme elle avait toujours ses belles couleurs roses, ils se dirent :

– Nous ne pouvons pourtant pas mettre en terre un pareil trésor de beauté.

Et ils s’en allèrent chez des verriers de leurs amis, nains comme eux, et ils leur firent faire un cercueil tout de glaces transparentes comme une châsse de saint ; puis ils couchèrent la jeune fille dedans sur un lit de fleurs, écrivirent en lettres d’or son nom sur le couvercle, et y inscrivirent sa qualité de fille de roi.

Après quoi, ils déposèrent le cercueil sur le point le plus élevé de la montagne, et l’un d’eux resta auprès pour le garder.

Et les animaux sauvages s’approchèrent eux-mêmes du cercueil de Blanche de Neige et la pleurèrent.

Le premier animal qui vint fut un hibou ; le second, un corbeau, et le troisième, un pigeon.

Blanche de Neige resta trois ans dans le cercueil sans dépérir en rien.

Les fleurs sur lesquelles elle était couchée se fanèrent ; mais elle resta fraîche comme si elle était une fleur immortelle.

Au bout de trois ans, celui des nains qui gardait le cercueil – ils se relayaient tour à tour pour remplir ce soin pieux –, au bout de trois ans, celui des nains qui gardait le cercueil entendit de grands sons de trompe et de grands abois de chiens.

C’était le fils unique du roi d’un royaume voisin qui chassait, et que l’ardeur de la chasse avait entraîné au-delà de sa frontière et jusque dans le bois des nains.

Il vit le cercueil ; dans le cercueil la belle Blanche de Neige, et, sur le cercueil, ce que les nains y avaient écrit.

Alors il dit au nain qui le gardait :

– Laisse-moi emporter ce cercueil, et je te donnerai ce que tu voudras.

Mais le nain répondit :

– Ni moi ni mes six frères ne le voudrions pour tout l’or du monde.

– Alors, faites-m’en cadeau, dit le fils du roi ; car je sens que, puisque Blanche de Neige est morte, je ne me marierai plus jamais. Je veux donc l’emporter dans mon palais et la respecter et l’honorer comme ma bien-aimée.

– Eh bien, dit le nain, revenez demain ; j’aurai consulté mes frères, et j’aurai vu quelle est leur intention.

Il consulta ses frères, qui eurent pitié de l’amour du prince ; de sorte que, le lendemain, quand le jeune homme revint, le nain lui dit :

– Prenez Blanche de Neige, elle est à vous.

Le prince fit placer le cercueil sur les épaules de ses serviteurs, et les accompagnant à cheval, les yeux toujours fixés sur Blanche de Neige, il reprit le chemin de ses États.

Mais il arriva que les deux premiers porteurs trébuchèrent sur une racine, et que, dans la secousse imprimée à Blanche de Neige, celle-ci rejeta la bouchée de pomme qu’elle avait mordue, mais que, par bonheur, elle n’avait pas eu le temps d’avaler.

À peine le morceau de pomme fut-il sorti de la bouche de Blanche de Neige, que celle-ci rouvrit les yeux, poussa du front le couvercle du cercueil et se dressa tout debout.

Elle était redevenue vivante.

Le prince jeta un cri de joie.

À ce cri, Blanche de Neige regarda autour d’elle.

– Oh ! mon Dieu ! demanda-t-elle, où suis-je ?

– Tu es près de moi ! s’écria le fils du roi tout joyeux.

Et alors il lui raconta ce qui s’était passé, ajoutant :

– Blanche de Neige, je t’aime plus que quoi que ce soit au monde ; viens avec moi au palais de mon père, et tu seras ma femme.

Le prince avait dix-huit ans. Il était le plus beau prince, comme Blanche était la plus belle princesse qu’il y eût au monde. Il n’eut donc pas de peine à se faire aimer de celle qu’il aimait.

Blanche de Neige arriva au palais du prince. Et, comme c’était une jeune personne accomplie, le père du prince l’accueillit pour fille.

Un mois après, le mariage se fit avec grande pompe et grande magnificence.

Le mariage fait, le prince voulait déclarer la guerre à la méchante reine qui avait si fort persécuté Blanche de Neige ; mais celle-ci dit :

– Si ma belle-mère mérite punition, c’est au bon Dieu et non à moi de la punir.

La punition ne se fit pas attendre : la petite vérole se déclara dans les États de la méchante reine, et elle fut atteinte de la contagion.

Elle n’en mourut pas, mais ce fut bien pis, elle en fut défigurée.

Or, comme pas un courtisan n’avait osé lui dire le malheur qui lui était arrivé, il advint que, lorsqu’elle put se lever, la première chose qu’elle fit fut de se traîner vers son miroir.

– Petit miroir pendu au mur, lui demanda-t-elle, quelle est la plus belle de tout le pays ?

– Autrefois, répondit le miroir, c’était toi ; mais, aujourd’hui, tu en es la plus laide.

En entendant ces mots terribles, la reine se regarda, et, en effet, elle se trouva si hideuse, qu’elle poussa un cri et tomba à la renverse.

On accourut, on la ramassa, on essaya de la faire revenir à elle, mais elle était morte.

Restait le vieux roi.

Il ne regretta pas fort sa femme, qui l’avait rendu très malheureux.

Seulement, de temps en temps, on l’entendait soupirer :

– À qui laisserai-je mon beau royaume ? Ah ! si ma pauvre Blanche de Neige n’était pas morte !

On rapporta à Blanche de Neige ce qui se passait, et combien elle était regrettée par son vieux père.

Alors elle se mit en route, accompagnée du jeune prince son époux, et, comme elle attendait à la porte du vieux roi tandis qu’on était allé lui demander s’il voulait recevoir la femme du jeune prince son voisin, qui était la plus belle princesse que l’on pût voir, elle lui entendit dire en soupirant :

– Ah ! si ma pauvre Blanche de Neige vivait encore, nulle autre princesse qu’elle ne pourrait dire : « Je suis la plus belle princesse du monde. »

Blanche de Neige n’eut pas besoin d’en entendre davantage, elle s’élança dans la chambre du vieux roi en s’écriant :

– Ô mon bon père, Blanche de Neige n’est pas morte, elle est dans tes bras ! Mon bon père, embrasse ta fille !

Et, quoique le vieux roi n’eût pas vu Blanche de Neige depuis quatre ans, il la reconnut à l’instant même ; et, avec un accent qui fit pleurer de joie les anges, il s’écria :

– Ma fille bien-aimée ! mon enfant chérie ! ma Blanche de Neige !…

Le lendemain, le vieux roi, las de régner, laissait ses États à son gendre, lequel, à la mort de son père, réunit les deux États en un seul, de sorte qu’il se trouva pouvoir laisser au fils qu’il eut de Blanche de Neige un des plus grands et des plus beaux royaumes de la terre. (Extrait de : Contes dits deux fois. Contes d'après Andersen et Grimm)

 

 

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021