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- Apologie des femmes - Charles Perrault (1628 – 1703)
Apologie des femmes - Charles Perrault (1628 – 1703)
1694
- Timandre avait un fils, triste, fâcheux, colère,
- Des misanthropes noirs le plus atrabilaire,
- Qui, mortel ennemi de tout le genre humain,
- D’une maligne dent déchirait le prochain,
- Et sur le sexe même, emporté par sa bile,
- Exerçait sans pitié l’âcreté de son style.
- Le père, qui voulait qu’une suite d’enfants
- Pût transmettre son nom dans les siècles suivants,
- Cent fois l’avait pressé, pour en avoir lignée,
- De vouloir se soumettre aux lois de l’hyménée
- Et cent fois par ce fils, de chagrins hérissé,
- Se vit, avec douleur, vivement repoussé.
- Un jour, qu’il le trouva d’une humeur moins sauvage,
- Le tirant à l’écart, il lui tint ce langage.
- Ce qui plaît, ce qui charme et qu’on aime en tous lieux,
- Te sera-t-il toujours un objet odieux :
- Ne saurai-je espérer que ton dédain se passe,
- Et qu’enfin le beau sexe avec loi rentre en grâce :
- Si tu t’en éloignais par un saint mouvement,
- El pour ne regarder que le ciel seulement,
- Te blâmer, sur ce point, serait une injustice,
- Et je t’applaudirais d’un si grand sacrifice ;
- Mais ce qui t’a jeté hors du chemin battu,
- Ce n’est que le caprice, et non pas la vertu.
- C’est un ordre éternel, qu’encore toute pure,
- Au fond de tous les cœurs imprime la nature,
- De rendre à ses enfants le dépôt précieux
- De la clarté du jour qu’on tient de ses aïeux.
- Heureux ! qui, révérant cette sainte conduite,
- N’arrête pas en soi, de soi-même la suite,
- Mais se rend immortel au gré de son désir.
- Serais-tu bien, mon fils, insensible au plaisir
- De voir un jour de toi naitre un autre toi-même,
- Oui serve l’Éternel, qui l’adore, qui l’aime ;
- Oui, lorsque le trépas aura fermé tes yeux,
- Après toi, rende hommage à son nom glorieux,
- Et d’où puisse sortir une féconde race
- Qui, jusqu’au dernier jour, le bénisse en ta place ?
- Tu sais, je te l’ai dit, à quoi tendent mes vœux,
- Et ce qui peut nous rendre et l’un et l’autre heureux !
- Il est, j’en suis d’accord, des femmes infidèles,
- Et dignes du mépris que ton cœur a pour elles ;
- Mais, si de deux ou trois le crime est avéré,
- Faut-il que tout le sexe en soit déshonoré ?
- Dans une grande ville, où tout est innombrable,
- Comme il est naturel de chercher son semblable,
- D’aimer à le connaitre, et d’en être connu,
- Selon les divers gouts dont on est prévenu,
- Chacun, en quelqu’endroit que le hasard le porte,
- Ne rencontre et ne voit que des gens de sa sorte.
- Ceux qui, par le savoir se sont rendus fameux,
- Ne trouvent, sur leurs pas, que des savants comme eux.
- Ceux qui, cherchant toujours la pierre bienaimée,
- Ont l’art de convertir leur argent en fumée,
- Ne trouvent que des gens, qui fondant le métal,
- Par le même chemin courent à l’hôpital.
- L’homme de symphonie et de fine musique,
- Abordera toujours un homme qui s’en pique ;
- Et ceux, qui de rubis se bourgeonnent le nez,
- En rencontrent partout d’encor plus bourgeonnés.
- Ceux qu’à le bien servir le Tout-Puissant appelle,
- Ne trouvent que des saints brulants du même zèle,
- Que des cœurs où le ciel ses dons a répandus ;
- Faut-il donc s’étonner si des hommes perdus,
- Jugeant du sexe entier par celles qu’ils ont vues,
- Assurent qu’il n’est plus que des femmes perdues !
- Pour six qui, sans cervelle avec un peu d’appas,
- Feront de tous côtés du bruit et du fracas,
- Par leur danse, leur jeu, leurs folles mascarades,
- Leurs cadeaux indiscrets, leurs sombres promenades,
- Sans peine on trouvera mille femmes de bien,
- Qui vivent en repos, et dont on ne dit rien.
- À toute heure, en tous lieux, la coquette se montre ;
- Il n’est point de plaisirs où l’on ne la rencontre :
- Allez au cours, au bal, allez à l’Opéra,
- À la foire, il est sûr qu’elle s’y trouvera.
- Il semble, à regarder l’essor de sa folie,
- Que pour être partout clic se multiplie.
- Pour des femmes d’honneur, dans ces lieux hasardeux,
- De cent que l’on connait, on n’en verra pas deux.
- Rejette donc, mon fils, cette fausse maxime :
- Qu’on trouve rarement une femme sans crime ;
- C’est seulement ainsi que parle un suborneur,
- Qui, de femmes sans foi, sans honte et sans honneur,
- Fait près de son Iris, une liste bien ample,
- Pour la faire tomber par le mauvais exemple.
- Au lieu d’être toujours dans des lieux de plaisir,
- À repaitre tes yeux, à charmer ton loisir,
- À regarder sans cesse aux cours, aux Tuileries,
- Du fard et du brocard chargé de pierreries,
- Va dans les hôpitaux, où l’on voit de longs rangs
- De malades plaintifs, de morts et de mourants.
- Là, tu rencontreras en tout temps, à toute heure,
- Malgré l’air infecté de leur triste demeure,
- Mille femmes d’honneur, dont souvent la beauté,
- Que cache et qu’amortit leur humble piété,
- A de plus doux appas, pour des âmes bien faites,
- Que tout le vain éclat des plus vives coquettes.
- Descends dans des caveaux, monte dans des greniers,
- Où des pauvres obscurs fourmillent à milliers,
- Tu n’y verras pas moins de dames vertueuses
- Fréquenter, sans dégout, ces retraites affreuses,
- Et par leur zèle ardent, leurs aumônes, leurs soins,
- Soulager tous leurs maux, remplir tous leurs besoins.
- Entre dans les réduits des honnêtes familles,
- Et vois y travailler les mères et les filles,
- Ne songeant qu’à leur tâche et qu’à bien recevoir
- Leur père ou leur époux quand il revient le soir.
- Charmé de leur conduite, et si simple et si sage,
- Tu te verras contraint de changer de langage.
- Peux-tu ne savoir pas que la civilité,
- Chez les femmes naquit avec l’honnêteté,
- Que chez elles se prend la fine politesse,
- Le bon air, le bon gout et la délicatesse.’
- Regarde un peu de près celui qui, loup-garou,
- Loin du sexe a vécu renfermé dans son trou,
- Tu le verras, crasseux, maladroit et sauvage,
- Farouche dans ses mœurs et rude en son langage.
- Quand le sexe s’oublie, et de tant de façons
- Sert de folle matière à de folles chansons,
- N’as-tu pas remarqué que de tout ce scandale,
- Les maris sont souvent la cause principale,
- Soit par le dur excès de leur sévérité,
- Soit par leur indolence et leur trop de bonté ?
- S’il arrive qu’un jour aux nœuds du mariage,
- En suivant mes désirs, ton heureux sort t’engage,
- Ne t’avise jamais d’affecter la rigueur.
- De vivre en pédagogue, avec trop de hauteur ;
- Témoigne de l’amour, du respect, de l’estime,
- En mari, toutefois, qui conduit et qui prime.
- On a beau publier et prôner en tous lieux
- Que le sexe est hautain, qu’il est impérieux,
- La femme, en son époux, aime à trouver son maitre,
- Lorsque, par ses vertus, il mérite de l’être ;
- Si l’on la voit souvent résoudre et décider,
- C’est que le faible époux ne sait pas commander.
- Il en est, il est vrai, qui, dans leurs mariages,
- N’ont pas toujours trouvé des épouses bien sages ;
- Mais auraient-ils le front d’en oser murmurer ?
- Ont-ils, en épousant, tâché d’en rencontrer ?
- Eux, et leurs vieux parents, n’ont avec leurs bésicles,
- Pendant des mois entiers, lu, relu des articles,
- Qu’afin de parvenir, par leur soin diligent,
- À bien appareiller deux tas d’or et d’argent,
- Sans regarder plus loin, sans voir si les parties,
- D’esprit, d’âge et d’humeur seraient bien assorties.
- Ils ne comprennent point que pour vivre content,
- Le choix de la personne est le plus important ;
- C’est une vérité qui leur semble bizarre,
- Et qui n’entra jamais dans le cœur d’un avare.
- Quand le premier mortel fut mis dans l’univers,
- Pour commander lui seul à tant d’êtres divers,
- Son œil, n’en doutons point, vit avec complaisance,
- Ses richesses sans nombre, et sa vaste puissance ;
- Mais, lorsque dégagé de son premier sommeil,
- Le Seigneur lui montra la femme à son réveil,
- La femme, sa moitié, sa compagne fidèle,
- Quittant tout, il tourna tous ses regards sur elle,
- Et, charmé de la voir, trouva moins de douceur
- À régir l’univers, qu’à régner dans son cœur.
- La gloire nous ravit par sa beauté suprême,
- L’or nous rend tout-puissants et nous charme de même,
- Mais, malgré tout l’éclat dont il frappe nos yeux,
- Des biens, le plus solide et le plus précieux,
- Est de voir pour jamais unir sa destinée
- Avec une moitié sage, douce et bien née,
- Qui couronne sa dot d’une chaste pudeur,
- D’une vertu sincère et d’une tendre ardeur.
- À ces dons précieux, si le ciel favorable,
- Se plaisant à former un chef-d’œuvre admirable,
- D’une beauté parfaite a joint tous les attraits,
- Le vif éclat du teint, la finesse des traits ;
- Si ses beaux yeux, ornés d’une brune paupière,
- Jettent, sans y penser, de longs traits de lumière ;
- Si sa bouche enfantine, et d’un corail sans prix,
- À tous les agréments que forme un doux souris ;
- Si sa main le dispute à celles de l’Aurore,
- Et si le bout des doigts est plus vermeil encore,
- Faudra-t-il déplorer le sort de son époux ?
- Et pourrais-tu le voir sans en être jaloux ?
- Il n’est rien ici-bas de plus digne d’envie,
- Ni qui mêle tant d’or au tissu d’une vie.
- Les malheurs les plus grands n’ont rien d’âpre, d’affreux,
- Quand deux cœurs bien unis les partagent entr’eux,
- Et le moindre bonheur que le ciel leur envoie,
- Les inonde à l’envi d’un océan de joie.
- Si, dans la bonne chère un époux emporté,
- En dissipant son bien altère sa santé,
- Par de sages repas, et sans dépense vaine,
- Chez elle adroitement l’épouse le ramène,
- Et, retranchant toujours la superfluité,
- Le remet pas à pas dans la frugalité.
- Si son œil aperçoit quelqu’intrigue galante,
- Alors elle se rend encor plus complaisante,
- Souffre tout, ne dit mot, tant qu’enfin sa douceur
- L’attendrit, le désarme et regagne son cœur.
- Par elle, tous les jours, la jeunesse volage,
- Se retire du vice et du libertinage ;
- Par sa bonne conduite, une famille en paix,
- A des enfants bien nés et de sages valets ;
- Par elle, une maison tombée en décadence,
- Voit revivre en son sein l’éclat et l’abondance.
- Ce n’est point seulement dans les premiers beaux jours,
- Ni dans la jeune ardeur des naissantes amours,
- Que d’un heureux hymen se goutent les délices.
- Son cours n’est pas moins doux que ses tendres prémices,
- C’est un bonheur égal, un bien de tous les temps.
- Ah ! combien d’un époux les yeux sont-ils contents,
- Quand il voit près de lui, pendant sa maladie,
- Une épouse attentive, et qui ne s’étudie
- Qu’à prévoir ses besoins et qu’à le soulager.
- Et qui pleure en secret dès le moindre danger !
- Tout plaît d’elle ; il n’est plus de médecine amère,
- Dès qu’elle passe à lui par une main si chère ;
- Et si le ciel enfin ordonne son trépas,
- Sans peine et sans murmure il meurt entre ses bras.
- Ainsi s’achève en paix l’heureuse destinée
- De celui qu’en ses nœuds engage l’hyménée,
- Pendant que le prôneur du libre célibat
- Luttant contre la mort, sur son triste grabat,
- Confus, embarrassé d’un si pénible rôle,
- Voit, l’œil à demi clos, son valet qui le vole,
- Et sent, quoiqu’abattu de douleur et d’ennui,
- Qu’on tire impudemment son drap de dessous lui.
- Si son destin permet qu’un serviteur fidèle
- Lui donne en ce moment des marques de son zèle,
- Ses amis sont ailleurs, et pour comble de maux
- Son lit est entouré d’âpres collatéraux,
- Qui, craignant que des legs ne gâtent leur affaire,
- Veillent à détourner confesseur et notaire ;
- Appréhendant toujours qu’un bol de quinquina,
- En faisant son effet, ne le tire de là.
- N’est-il pas vrai, mon fils, que cette seule image
- Des aimables douceurs d’un heureux mariage,
- Et surtout de l’horreur qui suit le célibat,
- Te trouble, te saisit, te confond et t’abat ?
- Que ton esprit, ému de ce qu’il vient d’entendre,
- Des deux routes qu’il voit ne sait laquelle prendre :
- Je sais qu’à mon avis tu viendras te ranger.
- Mais je te donne encor du temps pour y songer. - FIN
Date de dernière mise à jour : 05/07/2021