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Scènes XI à XXII
Scène IX
SILVIA, UNE DE SES COUSINES
La scène change et représente une prairie où de loin paissent des moutons.
SILVIA
Arrête-toi un moment, ma cousine ; je t’aurai bientôt conté mon histoire, et tu me donneras quelque avis. Tiens, j’étais ici quand il est venu ; dès qu’il s’est approché, le cœur m’a dit que je l’aimais ; cela est admirable ! Il s’est approché aussi, il m’a parlé ; sais-tu ce qu’il m’a dit ? Qu’il m’aimait aussi. J’étais plus contente que si on m’avait donné tous les moutons du hameau : vraiment je ne m’étonne pas si toutes nos bergères sont si aises d’aimer ; je voudrais n’avoir fait que cela depuis que je suis au monde, tant je le trouve charmant ; mais ce n’est pas tout, il doit revenir ici bientôt ; il m’a déjà baisé la main, et je vois bien qu’il voudra me la baiser encore. Donne-moi conseil, toi qui as eu tant d’amants ; dois-je le laisser faire ?
LA COUSINE
Garde-t’en bien, ma cousine, sois bien sévère, cela entretient l’amour d’un amant.
SILVIA
Quoi, il n’y a point de moyen plus aisé que cela pour l’entretenir ?
LA COUSINE
Non ; il ne faut point aussi lui dire tant que tu l’aimes.
SILVIA
Eh ! comment s’en empêcher ? Je suis encore trop jeune pour pouvoir me gêner.
LA COUSINE
Fais comme tu pourras, mais on m’attend, je ne puis rester plus longtemps, adieu, ma cousine.
Scène X
SILVIA, un moment après.
Que je suis inquiète ! J’aimerais autant ne point aimer que d’être obligée d’être sévère ; cependant elle dit que cela entretient l’amour, voilà qui est étrange ; on devrait bien changer une manière si incommode ; ceux qui l’on inventée n’aimaient pas tant que moi.
Scène XI
SILVIA, ARLEQUIN
Arlequin arrive.
SILVIA, en le voyant.
Voici mon amant ; que j’aurai de peine à me retenir !
Dès qu’Arlequin l’aperçoit, il vient à elle en sautant de joie ; il lui fait des caresses avec son chapeau, auquel il a attaché le mouchoir, il tourne autour de Silvia, tantôt il baise le mouchoir, tantôt il caresse Silvia.
ARLEQUIN
Vous voilà donc, mon petit cœur ?
SILVIA, en riant.
Oui, mon amant.
ARLEQUIN
Êtes-vous bien aise de me voir?
SILVIA
Assez.
ARLEQUIN, en répétant ce mot.
Assez, ce n’est pas assez.
SILVIA
Oh si fait, il n’en faut pas davantage.
Arlequin ici lui prend la main, Silvia paraît embarrassé.
ARLEQUIN, en la tenant, dit.
Et moi, je ne veux pas que vous disiez comme cela.
Il veut alors lui baiser la main, en disant ces derniers mots.
SILVIA, retirant sa main.
Ne me baisez pas la main au moins.
ARLEQUIN, fâché.
Ne voilà-t-il pas encore ? Allez, vous êtes une trompeuse.
Il pleure.
SILVIA, tendrement, en lui prenant le menton.
Hélas ! mon petit amant, ne pleurez pas.
ARLEQUIN, continuant de gémir.
Vous m’aviez promis votre amitié.
SILVIA
Eh ! je vous l’ai donnée.
ARLEQUIN
Non : quand on aime les gens, on ne les empêche pas de baiser sa main. (En lui offrant la sienne.) Tenez, voilà la mienne ; voyez si je ferai comme vous.
SILVIA, en se ressouvenant des conseils de sa cousine
Oh ! Ma cousine dira ce qu’elle voudra, mais je ne puis y tenir. Là, là, consolez-vous, mon amant, et baisez ma main puisque vous en avez envie ; baisez, mais écoutez, n’allez pas me demander combien je vous aime, car je vous en dirais toujours la moitié moins qu’il n’y en a. Cela n’empêchera pas que, dans le fond, je ne vous aime de tout mon cœur ; mais vous ne devez pas le savoir, parce que cela vous ôterait votre amitié, on me l’a dit.
ARLEQUIN, d’une voix plaintive.
Tous ceux qui vous ont dit cela ont fait un mensonge : ce sont des causeurs qui n’entendent rien à notre affaire. Le cœur me bat quand je baise votre main et que vous dites que vous m’aimez, et c’est marque que ces choses-là sont bonnes à mon amitié.
SILVIA
Cela se peut bien, car la mienne en va de mieux en mieux aussi ; mais n’importe, puisqu’on dit que cela ne vaut rien, faisons un marché de peur d’accident : toutes les fois que vous me demanderez si j’ai beaucoup d’amitié pour vous, je vous répondrai que je n’en ai guère, et cela ne sera pourtant pas vrai ; et quand vous voudrez me baiser la main, je ne le voudrai pas, et pourtant j’en aurai envie.
ARLEQUIN, en riant.
Eh ! eh ! Cela sera drôle ! Je le veux bien ; mais avant ce marché-là, laissez-moi baiser votre main à mon aise, cela ne sera pas du jeu.
SILVIA
Baisez, cela est juste.
ARLEQUIN lui baise et rebaise la main, et après, faisant réflexion au plaisir qu’il vient d’avoir, il dit.
Oh ! mais, mon amie, peut-être que le marché nous fâchera tous deux.
SILVIA
Eh ! quand cela nous fâchera tout de bon, ne sommes-nous pas les maîtres ?
ARLEQUIN
Il est vrai, mon amie ; cela est donc arrêté ?
SILVIA
Oui.
ARLEQUIN
Cela sera tout divertissant : voyons pour voir. (Arlequin ici badine, et l’interroge pour rire.) M’aimez-vous beaucoup ?
SILVIA
Pas beaucoup.
ARLEQUIN, sérieusement.
Ce n’est que pour rire au moins, autrement…
SILVIA, riant.
Eh ! sans doute.
ARLEQUIN, poursuivant toujours la badinerie, et riant.
Ah ! ah ! ah ! (Et puis pour badiner encore.) Donnez-moi votre main, ma mignonne.
SILVIA
Je ne le veux pas.
ARLEQUIN, souriant.
Je sais pourtant que vous le voudriez bien.
SILVIA
Plus que vous ; mais je ne veux pas le dire.
ARLEQUIN, souriant encore ici, et puis changeant de façon, et tristement.
Je veux la baiser, ou je serai fâché.
SILVIA
Vous badinez, mon amant ?
ARLEQUIN, comme tristement toujours.
Non.
SILVIA
Quoi ! C’est tout de bon ?
ARLEQUIN
Tout de bon.
SILVIA, en lui tendant la main.
Tenez donc.
Scène XII
LA FÉE, ARLEQUIN, SILVIA
Ici LA FÉE qui les cherchait arrive, et dit à part en retournant son anneau.
Ah ! Je vois mon malheur !
ARLEQUIN, après avoir baisé la main de Silvia.
Dame ! Je badinais.
SILVIA
Je vois bien que vous m’avez attrapée, mais j’en profite aussi.
ARLEQUIN, qui lui tient toujours la main.
Voilà un petit mot qui me plaît comme tout.
LA FÉE , à part.
Ah ! juste ciel, quel langage ! Paraissons. (Elle retourne son anneau.)
SILVIA, effrayée de la voir, fait un cri.
Ah !
ARLEQUIN, de son côté.
Ouf !
LA FÉE , à Arlequin avec altération.
Vous en savez déjà beaucoup !
ARLEQUIN, embarrassé.
Eh ! eh ! Je ne savais pourtant pas que vous étiez là.
LA FÉE , en le regardant fixement.
Ingrat ! (Et puis le touchant de sa baguette.) Suivez-moi.
Après ce dernier mot, elle touche aussi Silvia sans lui rien dire.
SILVIA, touchée, dit.
Miséricorde !
La Fée alors part avec Arlequin, qui marche devant en silence et comme par compas.
Scène XIII
SILVIA, seule, tremblante, et sans bouger.
Ah ! La méchante femme, je tremble encore de peur. Hélas ! peut-être qu’elle va tuer mon amant, elle ne lui pardonnera jamais de m’aimer, mais je sais bien comment je ferai ; je m’en vais assembler tous les bergers du hameau, et les mener chez elle : allons. (Silvia là-dessus veut marcher, mais elle ne peut avancer un pas, elle dit :) Qu’est-ce que j’ai donc ? Je ne puis me remuer. ‘Elle fait des efforts et ajoute : ) Ah ! cette magicienne m’a jeté un sortilège aux jambes.
À ces mots, deux ou trois Lutins viennent pour l’enlever.
SILVIA, tremblante.
Ahi ! Ahi ! Messieurs, ayez pitié de moi, au secours, au secours !
UN DES LUTINS
Suivez-nous, suivez-nous.
SILVIA
Je ne veux pas, je veux retourner au logis.
UN AUTRE LUTIN
Marchons.
Ils l’enlèvent en criant.
Scène XIV
La scène change et représente le jardin de la Fée.
LA FÉE paraît avec Arlequin, qui marche devant elle dans la même posture qu’il a fait ci-devant, et la tête baissée.
Fourbe que tu es ! Je n’ai pu paraître aimable à tes yeux, je n’ai pu t’inspirer le moindre sentiment, malgré tous les soins et toute la tendresse que tu m’as vue ; et ton changement est l’ouvrage d’une misérable bergère ! Réponds, ingrat, que lui trouves-tu de si charmant ? Parle.
ARLEQUIN, feignant d’être retombé dans sa bêtise.
Qu’est-ce que vous voulez ?
LA FÉE
Je ne te conseille pas d’affecter une stupidité que tu n’as plus, et si tu ne te montres tel que tu es, tu vas me voir poignarder l’indigne objet de ton choix.
ARLEQUIN, vite et avec crainte.
Eh ! Non, non ; je vous promets que j’aurai de l’esprit autant que vous le voudrez.
LA FÉE
Tu trembles pour elle.
ARLEQUIN
C’est que je n’aime à voir mourir personne.
LA FÉE
Tu me verras mourir, moi, si tu ne m’aimes.
ARLEQUIN, en la flattant.
Ne soyez donc point en colère contre nous.
LA FÉE, en s’attendrissant.
Ah ! Mon cher Arlequin, regarde-moi, repens-toi de m’avoir désespérée, j’oublierai de quelle part t’est venu ton esprit ; mais puisque tu en as, qu’il te serve à connaître les avantages que je t’offre.
ARLEQUIN
Tenez, dans le fond, je vois bien que j’ai tort ; vous êtes belle et brave cent fois plus que l’autre, mais j’enrage.
LA FÉE
Eh ! de quoi ?
ARLEQUIN
C’est que j’ai laissé prendre mon cœur par cette petite friponne qui est plus laide que vous.
LA FÉE soupire en secret et dit.
Arlequin, voudrais-tu aimer une personne qui te trompe, qui a voulu badiner avec toi, et qui ne t’aime pas ?
ARLEQUIN
Oh ! pour cela si fait, elle m’aime à la folie.
LA FÉE
Elle t’abusait, je le sais bien, puisqu’elle doit épouser un berger du village qui est son amant : si tu veux, je m’en vais l’envoyer chercher, et elle te le dira elle-même.
ARLEQUIN, en se mettant la main sur la poitrine ou sur son cœur.
Tic, tac, tic, tac, ouf voilà des paroles qui me rendent malade. (Et puis vite.) Allons, allons, je veux savoir cela ; car si elle me trompe, jarni, je vous caresserai, je vous épouserai devant ses deux yeux pour la punir.
LA FÉE
Eh bien ! je vais donc l’envoyer chercher.
ARLEQUIN, encore ému.
Oui ; mais vous êtes bien fine, si vous êtes là quand elle me parlera, vous lui ferez la grimace, elle vous craindra, et elle n’osera me dire rondement sa pensée.
LA FÉE
Je me retirerai.
ARLEQUIN
La peste ! vous êtes une sorcière, vous nous jouerez un tour comme tantôt, et elle s’en doutera : vous êtes au milieu du monde, et on ne voit rien. Oh ! je ne veux point que vous trichiez ; faites un serment que vous n’y serez pas en cachette.
LA FÉE
Je te le jure, foi de fée.
ARLEQUIN
Je ne sais point si ce juron-là est bon ; mais je me souviens à cette heure, quand on me lisait des histoires, d’avoir vu qu’on jurait par le six, le tix, oui, le Styx.
LA FÉE
C’est la même chose.
ARLEQUIN
N’importe, jurez toujours ; dame, puisque vous craignez, c’est que c’est le meilleur.
LA FÉE, après avoir rêvé.
Eh bien ! Je n’y serai point, je t’en jure par le Styx, et je vais donner ordre qu’on l’amène ici.
ARLEQUIN
Et moi en attendant je m’en vais gémir en me promenant. (Il sort.)
Scène XV
LA FÉE, seule.
Mon serment me lie, mais je n’en sais pas moins le moyen d’épouvanter la bergère sans être présente, et il me reste une ressource ; je donnerai mon anneau à Trivelin qui les écoutera invisible, et qui me rapportera ce qu’ils auront dit. Appelons-le : Trivelin ! Trivelin !
Scène XVI
LA FÉE, TRIVELIN
TRIVELIN vient.
Que voulez-vous, Madame ?
LA FÉE
Faites venir ici cette bergère, je veux lui parler ; et vous, prenez cette bague. Quand j’aurai quitté cette fille, vous avertirez Arlequin de lui venir parler, et vous le suivrez sans qu’il le sache pour venir écouter leur entretien, avec la précaution de retourner la bague, pour n’être point vu d’eux ; après quoi, vous me redirez leur discours : entendez-vous ? Soyez exact, je vous prie.
TRIVELIN
Oui, Madame. (Il sort pour aller chercher Silvia.)
Scène XVII
LA FÉE, SILVIA
LA FÉE, un moment seule.
Est-il d’aventure plus triste que la mienne ? Je n’ai lieu d’aimer plus que je n’aimais, que pour en souffrir davantage ; cependant il me reste encore quelque espérance ; mais voici ma rivale. (Silvia entre. La Fée en colère : ) Approchez, approchez.
SILVIA
Madame, est-ce que vous voulez toujours me retenir de force ici ? Si ce beau garçon m’aime, est-ce ma faute ? Il dit que je suis belle, dame, je ne puis pas m’empêcher de l’être.
LA FÉE , avec un sentiment de fureur.
Oh ! si je ne craignais de tout perdre, je la déchirerais. (Haut.) Écoutez-moi, petite fille, mille tourments vous sont préparés, si vous ne m’obéissez.
SILVIA, en tremblant.
Hélas ! vous n’avez qu’à dire.
LA FÉE
Arlequin va paraître ici : je vous ordonne de lui dire que vous n’avez voulu que vous divertir avec lui, que vous ne l’aimez point, et qu’on va vous marier avec un berger du village ; je ne paraîtrai point dans votre conversation, mais je serai à vos côtés sans que vous me voyiez, et si vous n’observez mes ordres avec la dernière rigueur, s’il vous échappe le moindre mot qui lui fasse deviner que je vous aie forcée à lui parler comme je le veux, tout est prêt pour votre supplice.
SILVIA
Moi, lui dire que j’ai voulu me moquer de lui ? Cela est-il raisonnable ? Il se mettra à pleurer, et je me mettrai à pleurer aussi : vous savez bien que cela est immanquable.
LA FÉE , en colère.
Vous osez me résister ! Paraissez, esprits infernaux, enchaînez-la, et n’oubliez rien pour la tourmenter.
Des esprit entrent.
SILVIA, pleurant, dit.
N’avez-vous pas de conscience de me demander une chose impossible ?
LA FÉE , aux esprits.
Ce n’est pas tout; allez prendre l’ingrat qu’elle aime, et donnez-lui la mort à ses yeux.
SILVIA, avec exclamation.
La mort ! Ah! Madame la Fée, vous n’avez qu’à le faire venir ; je m’en vais lui dire que je le hais, et je vous promets de ne point pleurer du tout ; je l’aime trop pour cela.
LA FÉE
Si vous versez une larme, si vous ne paraissez tranquille, il est perdu, et vous aussi. (Aux esprits.) Ôtez-lui ses fers. (À Silvia.) Quand vous lui aurez parlé, je vous ferai reconduire chez vous, si j’ai lieu d’être contente : il va venir, attendez ici. (La Fée sort et les diables aussi.)
Scène XVIII
SILVIA, ARLEQUIN, TRIVELIN
SILVIA, un moment seule.
Achevons vite de pleurer, afin que mon amant ne croie pas que je l’aime, le pauvre enfant, ce serait le tuer moi-même. Ah ! maudite fée ! Mais essuyons mes yeux, le voilà qui vient.
Arlequin entre alors triste et la tête penchée, il ne dit mot jusqu’auprès de Silvia, il se présente à elle, la regarde un moment sans parler ; et après, Trivelin invisible entre.
ARLEQUIN
Mon amie !
SILVIA, d’un air libre.
Eh bien ?
ARLEQUIN
Regardez-moi.
SILVIA, embarrassée.
À quoi sert tout cela ? On m’a fait venir ici pour vous parler ; j’ai hâte, qu’est-ce que vous voulez ?
ARLEQUIN, tendrement.
Est-ce vrai que vous m’avez fourbé ?
SILVIA
Oui, tout ce que j’ai fait, ce n’était que pour me donner du plaisir.
ARLEQUIN s’approche d’elle tendrement et lui dit.
Mon amie, dites franchement, cette coquine de fée n’est point ici, car elle en a juré. (Et puis en flattant Silvia.) Là, là, remettez-vous, mon petit cœur : dites, êtes-vous une perfide ? Allez-vous être la femme d’un vilain berger ?
SILVIA
Oui, encore une fois, tout cela est vrai.
ARLEQUIN, là-dessus, pleure de toute sa force.
Hi, hi, hi.
SILVIA, à part.
Le courage me manque.
Arlequin, en pleurant sans rien dire, cherche dans ses poches ; il en tire un petit couteau qu’il aiguise sur sa manche.
SILVIA, le voyant faire..
Qu’allez-vous donc faire ?
Alors Arlequin sans répondre allonge le bras comme pour prendre sa secousse, et ouvre un peu son estomac.
SILVIA, effrayée.
Ah ! Il va se tuer; arrêtez-vous, mon amant ! J’ai été obligée de vous dire des menteries. (Et puis en parlant à la Fée qu’elle croit à côté d’elle.) Madame la Fée, pardonnez-moi en quelque endroit que vous soyez ici, vous voyez bien ce qui en est.
ARLEQUIN, à ces mots cessant son désespoir, lui prend vite la main et dit.
Ah ! Quel plaisir ! Soutenez-moi, m’amour, je m’évanouis d’aise.
Silvia le soutient. Trivelin, alors, paraît tout d’un coup à leurs yeux.
SILVIA, dans la surprise, dit.
Ah ! voilà la Fée.
TRIVELIN
Non, mes enfants, ce n’est pas la Fée ; mais elle m’a donné son anneau, afin que je vous écoutasse sans être vu. Ce serait bien dommage d’abandonner de si tendres amants à sa fureur : aussi bien ne mérite-t-elle pas qu’on la serve, puisqu’elle est infidèle au plus généreux magicien du monde, à qui je suis dévoué : soyez en repos, je vais vous donner un moyen d’assurer votre bonheur. Il faut qu’Arlequin paraisse mécontent de vous, Silvia ; et que de votre côté vous feigniez de le quitter en le raillant. Je vais chercher la Fée qui m’attend, à qui je dirai que vous vous êtes parfaitement acquittée de ce qu’elle vous avait ordonné : elle sera témoin de votre retraite. Pour vous, Arlequin, quand Silvia sera sortie, vous resterez avec la Fée, et alors en l’assurant que vous ne songez plus à Silvia infidèle, vous jurerez de vous attacher à elle, et tâcherez par quelque tour d’adresse, et comme en badinant, de lui prendre sa baguette ; je vous avertis que dès qu’elle sera dans vos mains, la Fée n’aura plus aucun pouvoir sur vous deux ; et qu’en la touchant elle-même d’un coup de la baguette, vous en serez absolument le maître. Pour lors, vous pourrez sortir d’ici et vous faire telle destinée qu’il vous plaira.
SILVIA
Je prie le ciel qu’il vous récompense.
ARLEQUIN
Oh ! quel honnête homme ! Quand j’aurai la baguette, je vous donnerai votre plein chapeau de liards.
TRIVELIN
Préparez-vous, je vais amener ici la Fée.
Scène XIX
ARLEQUIN, SILVIA
ARLEQUIN
Ma chère amie, la joie me court dans le corps ; il faut que je vous baise, nous avons bien le temps de cela.
SILVIA, en l’arrêtant.
Taisez-vous donc, mon ami, ne nous caressons pas à cette heure, afin de pouvoir nous caresser toujours : on vient, dites-moi bien des injures, pour avoir la baguette. (La Fée entre.)
ARLEQUIN, comme en colère.
Allons, petite coquine.
Scène XX
LA FÉE, TRIVELIN, SILVIA, ARLEQUIN
TRIVELIN, à la Fée en entrant.
Je crois, Madame, que vous aurez lieu d’être contente.
ARLEQUIN, continuant à gronder Silvia..
Sortez d’ici, friponne; voyez cette petite effrontée ! Sortez d’ici, mort de ma vie !
SILVIA, se retirant en riant.
Ah ! Ah ! Qu’il est drôle ! Adieu, adieu, je m’en vais épouser mon amant : une autre fois ne croyez pas tout ce qu’on vous dit, petit garçon. (Et puis Silvia dit à la Fée : ) Madame, voulez-vous que je m’en aille ?
LA FÉE, à Trivelin.
Faites-la sortir, Trivelin.
Elle sort avec Trivelin.
Scène XXI
LA FÉE, ARLEQUIN
LA FÉE
Je vous avais dit la vérité, comme vous voyez
ARLEQUIN, comme indifférent.
Oh ! Je me soucie bien de cela : c’est une petite laide qui ne vous vaut pas. Allez, allez, à présent je vois bien que vous êtes une bonne personne. Fi ! que j’étais sot ; laissez faire, nous l’attraperons bien, quand nous serons mari et femme.
LA FÉE
Quoi ! Mon cher Arlequin, vous m’aimerez donc ?
ARLEQUIN
Eh, qui donc ? J’avais assurément la vue trouble. Tenez, cela m’avait fâché d’abord, mais à présent je donnerais toutes les bergères des champs pour une mauvaise épingle. (Et puis doucement.) Mais vous n’avez peut-être plus envie de moi, à cause que j’ai été si bête ?
LA FÉE , charmée.
Mon cher Arlequin, je te fais mon maître, mon mari ; oui, je t’épouse ; je te donne mon cœur, mes richesses, ma puissance. Es-tu content ?
ARLEQUIN, en la regardant sur cela tendrement.
Ah ! ma mie, que vous me plaisez ! (Et lui prenant la main.) Moi, je vous donne ma personne, et puis cela encore. (C’est son chapeau.) Et puis encore cela. (C’est son épée.)
Là-dessus, en badinant, il lui met son épée au côté, et dit en lui prenant sa baguette :
Et je m’en vais mettre ce bâton à mon côté.
Quand il tient la baguette, LA FÉE, inquiète, lui dit :
Donnez, donnez-moi cette baguette, mon fils; vous la casserez.
ARLEQUIN, se reculant aux approches de la Fée, tournant autour du théâtre, et d’une façon reposée.
Tout doucement, tout doucement!
LA FÉE, encore plus alarmée.
Donnez donc vite, j’en ai besoin.
ARLEQUIN, alors, la touche de la baguette adroitement et lui dit.
Tout beau, asseyez-vous là ; et soyez sage.
LA FÉE tombe sur le siège de gazon mis auprès de la grille du théâtre et dit.
Ah! je suis perdue, je suis trahie.
ARLEQUIN, en riant.
Et moi, je suis on ne peut pas mieux. Oh ! oh ! Vous me grondiez tantôt parce que je n’avais pas d’esprit ; j’en ai pourtant plus que vous. (Arlequin alors fait des sauts de joie ; il rit, il danse, il siffle, et de temps en temps va autour de la Fée, et lui montrant la baguette.) Soyez bien sage, madame la sorcière, car voyez bien cela ! (Alors il appelle tout le monde.) Allons, qu’on m’apporte ici mon petit cœur. Trivelin où sont mes valets et tous les diables aussi ? Vite, j’ordonne, je commande, ou par la sambleu… (Tout accourt à sa voix.)
Scène XXII
SILVIA conduite par TRIVELIN, LES DANSEURS, LES CHANTEURS et LES ESPRITS
ARLEQUIN, courant au-devant de Silvia, et lui montrant la baguette.
Ma chère amie, voilà la machine ; je suis sorcier à cette heure ; tenez, prenez, prenez ; il faut que vous soyez sorcière aussi.
Il lui donne la baguette.
SILVIA prend la baguette en sautant d’aise et dit.
Oh ! mon amant, nous n’aurons plus d’envieux.
À peine Silvia a-t-elle dit ces mots, que quelques esprits s’avancent, et l’un d’eux dit :
Vous êtes notre maîtresse, que voulez-vous de nous ?
SILVIA, surprise de leur approche, se retire et a peur, et dit.
Voilà encore ces vilains hommes qui me font peur.
ARLEQUIN, fâché.
Jarni, je vous apprendrai à vivre. (À Silvia.) Donnez-moi ce bâton, afin que je les rosse.
Il prend la baguette, et ensuite bat les esprits avec son épée ; il bat après les danseurs, les chanteurs, et jusqu’à Trivelin même.
SILVIA, lui dit, en l’arrêtant.
En voilà assez, mon ami.
Arlequin menace toujours tout le monde, et va à la Fée qui est sur le banc, et la menace aussi.
SILVIA, alors, s’approche à son tour de la Fée et lui dit en la saluant.
Bonjour, Madame, comment vous portez-vous ? Vous n’êtes donc plus si méchante ?
La Fée retourne la tête en jetant des regards de fureur sur eux.
SILVIA
Oh ! Qu’elle est en colère.
ARLEQUIN, alors à la Fée.
Tout doux, je suis le maître ; allons, qu’on nous regarde tout à l’heure agréablement.
SILVIA
Laissons-la, mon ami, soyons généreux : la compassion est une belle chose.
ARLEQUIN
Je lui pardonne, mais je veux qu’on chante, qu’on danse, et puis après nous irons nous faire roi quelque part.
RIDEAU