BIBLIOBUS Littérature

Scène VII

 

 

DES RILLETTES, LES BOULINGRIN

 

BOULINGRIN, à Des Rillettes. - Goûtez !

DES RILLETTES, sursautant. - Qu’est-ce que c’est que ça, encore ?

BOULINGRIN. - C’est de la mort-aux-rats. Goûtez ! Goûtez donc, tonnerre de Dieu ! Ça va vous fiche la colique.

DES RILLETTES. - Je m’en rapporte à vous.

MADAME BOULINGRIN, à son mari. - Canaille !… Je n’en aurai pas le démenti !— Buvez!

DES RILLETTES, menacé du verre de vin. - Non !

BOULINGRIN. - Goûtez ça !

DES RILLETTES, menacé d’une cuillerée de soupe. - Jamais !

MADAME BOULINGRIN. - Je vous promets que ça empeste !

BOULINGRIN. - Je vous jure que c’est du poison !

Ils se sont emparés de des Rillettes, et, de force, chacun d’eux avide d’avoir raison, ils lui ingurgitent du potage mélangé avec du vin, cependant que l’infortuné, les dents obstinément serrées, oppose une héroïque défense.

MADAME BOULINGRIN. - Est-il bête!

BOULINGRIN. - C’est curieux, cette obstination ! Puisque je vous dis que vous êtes fichu d’en claquer !

MADAME BOULINGRIN, à son mari. - Dis donc, quand tu auras fini de gaver M. des Rillettes. !… Est-ce que tu le prends pour une volaille ?

BOULINGRIN. - Et toi, le prends-tu pour une éponge ?

MADAME BOULINGRIN. - Saleté !

BOULINGRIN. - Gueuse !

MADAME BOULINGRIN. - Peste !

BOULINGRIN. - Choléra!… Et puis, tiens!

De sa main lancée avec violence, il envoie à MADAME BOULINGRIN le contenu de son assiette.

DES RILLETTES, qui a tout reçu. - Oh!

BOULINGRIN, s’excusant. Pardon ! simple inadvertance.

MADAME BOULINGRIN, folle de rage. - Goujat! Ignoble personnage ! Tiens!

DES RILLETTES, ruisselant d’eau rougie. - Ah!

MADAME BOULINGRIN. - Excusez. C’est bien sans l’avoir fait exprès. Là-dessus, nous allons en finir. (Elle tire de sa poche un revolver.) C’est toi qui l’auras voulu.

BOULINGRIN, terrifié. - A moi! Au secours!

Il se réfugie derrière des Rillettes.

MADAME BOULINGRIN. - Tu vas mourir!

DES RILLETTES, à Boulingrin qui s’est fait de lui un paravent. - Ah non, eh!… Lâchez-moi! Pas de blagues!

BOULINGRIN, au comble de l’effroi. - Ne bougez pas, bon sang de bonsoir!

MADAME BOULINGRIN, ajustant. - Otez-vous, monsieur des Rillettes!

BOULINGRIN. - Non! Non!

MADAME BOULINGRIN. - Otez-vous de là! Je tire.

BOULINGRIN. - Restez! Je suis un homme perdu. Je la connais, elle est capable de tout! Protégez- moi, monsieur des Rillettes ! C’est à ma vie qu’elle en a!… Ah ! la misérable ! la gueuse! Au secours !Au secours!

MADAME BOULINGRIN. - Ah ! c’est comme ça ! Vous ne voulez pas vous retirer? Eh bien ! tant pis pour vous si vous y laissez votre peau! Il faut que ça finisse ! Il faut que ça finisse ! La mesure est comble ! gare l’obus !

DES RILLETTES. - Monsieur Boulingrin, par pitié!…

MADAME BOULINGRIN. - Je vous en prie!… je ne veux pas mourir encore!… Ah! mon Dieu, quelle fâcheuse idée j’ai eue de venir passer la soirée!…

BOULINGRIN, brusquement. - Oh! Quelle idée… (Il souffle la lampe.) Vise-moi donc, maintenant!… Nuit complète sur la scène, de Même que dans la salle, et, du sein de ces ténèbres profondes, surgissent , en hurlements, les phrases suivantes.

LA VOIX DE BOULINGRIN. - Ah lui voulais m’assassiner ?… Pif!

Bruit d’une gifle.

LA VOIX DE DES RILLETTES. - Oh!

LA VOIX DE MADAME BOULINGRIN. - A mon tour… Paf !

LA VOIX DE DES RILLETTES. - Ah!

Tumulte nocturne. On entend : Canaille ! Crapule !Poison ! Escroc ! et le bruit de quatre nouvelles gifles, que l’infortuné des Rillettes reçoit, non sans protestations, les unes après les autres. Après quoi :

LA VOIX DE MADAME BOULINGRIN. - Et puis, feu !

Coup de pistolet.

LA VOIX DE DES RILLETTES, éploré. - Une balle dans le gras!!!

LA VOIX DE BOULINGRIN. - Ah ! tu tires ? Eh bien, je casse la glace !

LA VOIX DE MADAME BOULINGRIN. - Ah! tu casses la glace? Eh bien! je casse la pendule !

LA VOIX DE BOULINGRIN. - Ah! tu casses la pendule? Eh bien je casse tout.

Des meubles culbutés s’écroulent.

LA VOIX DE MADAME BOULINGRIN. - Ah! tu casses tout? Eh bien je mets le feu!

Galopades, hurlements.

LA VOIX DE DES RILLETTES. - Faites donc attention, nom de Dieu ! Vous me marchez sur la figure !

LA VOIX DE BOULINGRIN. - Chamelle !

LA VOIX DE MADAME BOULINGRIN. - Enfant de coquine!

LA VOIX DE BOULINGRIN. - Fille de voleur!

LA VOIX DE MADAME BOULINGRIN. - Gredin!

Des Rillettes soupire douloureusement et geint. Soudain, par les portes ouvertes, du fond et des côtés, c’est la lueur rouge de l’incendie. La scène s’éclaire d’une teinte de sang.

DES RILLETTES, affolé. - L’incendie ! Au feu ! Au feu !

Il se précipite vers le fond ; mais, juste comme il va sortir, survient Félicie, un seau d’eau à la main, accourue pour porter secours.

FÉLICIE. - Le feu ?… Voilà!

Elle lance le contenu de son seau à toute volée.

DES RILLETTES, inondé des pieds à la tête. - Charmante soirée!

La scène s’achève dans le vacarme assourdissant d’une maison livrée à des fous, cependant qu’au dehors la pompe, qui se rapproche au grand galop de son attelage, meugle lugubrement deux notes, toujours les mêmes.

Puis :

 

BOULINGRIN, brusquement apparu sur le seuil de la pièce et qui se détache en noir cru sur la clarté d’un feu de Bengale. - Ne vous en allez pas, monsieur des Rillettes. Vous allez boire un verre de Champagne.

 

RIDEAU

 

 

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