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BIBLIOBUS Littérature

Scène IV

 

 

BOULINGRIN, DES RILLETTES

 

BOULINGRIN. - C’est ça! File, que je ne te revoie plus!… que je n’entende plus parler de toi !

DES RILLETTES, à part. - Qu’est-ce que c’est que ces gens là?… Qu’est-ce que c’est que ces gens-là ? Fuyons avec célérité.

BOULINGRIN, s’approchant de lui. - Monsieur des Rillettes ?

DES RILLETTES. - Monsieur?

BOULINGRIN. - J'ai des excuses à vous faire. Je crains de m’être laissé aller à un fâcheux emportement et de ne pas vous avoir traité avec les égards voulus.

DES RILLETTES, jouant la surprise. - Quand cela? Où?

BOULINGRIN. - Tout à l’heure. Ici.

DES RILLETTES. - Je ne sais ce que vous voulez dire. Vous avez été, au contraire, d’une correction irréprochable, et je suis touché au plus haut point de votre excellent accueil. (Boulingrin, souriant et confus, lui serre chaleureusement la main.) Adieu.

BOULINGRIN. - Quoi! Déjà?

DES RILLETTES. - Hélas, oui. Je suis appela au dehors par une affaire des plus pressantes, et je dois prendre congé de vous.

BOULINGRIN. - Vous plaisantez.

DES RILLETTES. - Du tout.

BOULINGRIN. - Allons, vous allez accepter un rafraîchissement.

DES RILLETTES. - N’en croyez rien.

BOULINGRIN. - Si fait, si fait, nous ne nous quitterons pas sans avoir bu un coup et choqué le verre à notre bonne amitié. (Geste de des Rillettes.) N’insistez pas, vous me blesseriez. (Il sonne.) Je croirais que vous avez de la rancune contre moi. (A la bonne qui apparaît.) Allez me chercher une bouteille de Champagne.

FÉLICIE. - Bien, m’sieu.

Elle sort.

 

DES RILLETTES, consentant à capituler. - Enfin !…

BOULINGRIN, ravi. - Ah!

DES RILLETTES. - J’accepte votre invitation pour ne pas vous désobliger, mais j’entends ne plus être mêlé à vos dissensions intestines. Elles sont sans intérêt pour moi et me mettent dans des positions fausses, — sans parler des boutons de mon habit qui y restent, et de mes fesses, qui s’en ressentent.

BOULINGRIN. - Marché conclu.

DES RILLETTES, la main tendue. - Tope ?

BOULINGRIN, tapant. - Tope !

DES RILLETTES. - En ce cas, asseyons-nous.

Ils prennent chacun une chaise, s’installent près l’un de l’autre, et souriants, se contemplent un instant en silence. A la fin.

BOULINGRIN, avec enjouement. - J’ai idée, M. des Rillettes, que nous allons faire à nous deux, une solide paire d’amis.

DES RILLETTES. - C’est aussi mon avis.

BOULINGRIN. - Vous m’êtes fort sympathique. (Geste discret de des Rillettes.) Je vous le dis comme je le pense. Sans doute, j’apprécie vivement l’agrément de votre causerie, pleine d’aperçus ingénieux, fertile en piquantes anecdotes et en mots à l’emporte-pièce, mais une chose surtout me plaît en vous : le parfum de franchise, de droiture, qui émane de votre personne. Gageons que la sincérité est votre vertu dominante?

DES RILLETTES, modeste mais juste. - Forcé d’en convenir.

BOULINGRIN. - A merveille! Nous allons l’établir sur l’heure. Donnez-moi votre parole d’honneur de répondre sans ambages, sans détours et sans faux-fuyants, à la question que je vais vous poser.

DES RILLETTES. - Je vous la donne.

BOULINGRIN. - Bien. Dites-moi. Tout de bon là, le coeur sur la main, croyez-vous que depuis la naissance du monde on vit jamais rien de comparable, comme ignominie, comme horreur, comme infamie, comme abjection, à la figure de ma femme?

DES RILLETTES, se levant.- Ça recommence !

BOULINGRIN, se forçant à se rasseoir. - Ah !vous en convenez !

DES RILLETTES. - Permettez.

BOULINGRIN. - Et encore, si ce n’était que sa figure ! Mais il y a pis que cela, monsieur, il y a sa mauvaise foi sans nom, sa bassesse d’âme sans exemple. Tenez, un détail dans le tas, Nous faisons lit commun, n’est-ce pas !

DES RILLETTES, impatienté. - Eh ! que diable!…

BOULINGRIN. - Sapristi, laissez-moi donc parler. Vous vous expliquerez tout à l’heure. Donc, nous faisons lit commun. Moi, je couche au bord, elle dans le fond. Ça l’embête. Très bien, qu’est-ce qu’elle fait ? Elle m’envoie des coups de pied dans les jambes toute la nuit ! Comme ceci. Il lance un coup de pied dans le tibia de des Rillettes.

DES RILLETTES, hurlant. - Oh !

BOULINGRIN. - Hein? Quelle sale bête!… Ou alors, elle me tire les cheveux ! Comme cela.

DES RILLETTES. - rugissant. Ah !

BOULINGRIN. - N’est-ce pas, monsieur, que ça fait mal?… Bien mieux ! Quelquefois, le matin, est-ce qu’elle ne m’envoie pas des gifles à tour de bras, sous prétexte de s’étirer? Parfaitement! Tenez, voilà comment elle fait. (Il baille bruyamment, et dans le même temps, jouant la comédie d’une personne qui s’étire les membres au réveil, il envoie une gifle énorme à des Rillettes.) Vous croyez que c’est agréable?

DES RILLETTES. - Non! Non ! Et, en voilà assez ! Et je ne suis pas venu dans le monde pour qu’on m’y fasse subir des mauvais traitements ! Et si, au grand jamais, je remets les pieds chez vous… A ce moment:

MADAME BOULINGRIN, qui est rentrée en coup de vent, un verre de vin à la main. - Buvez !

 

 

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