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- John Strobbins, le détective-cambrioleur - José Moselli (1882 – 1941)
- Le mystère de l’Arafura - José Moselli (1882 – 1941)
Le mystère de l’Arafura - José Moselli (1882 – 1941)
Après avoir soustrait sa fiancée Charlotte Gladden aux embûches de ceux qui voulaient lui ravir son immense fortune, John Strobbins était revenu – comme toujours – à San-Francisco, son centre d’opérations. Le détective cambrioleur par un scrupule bizarre et inattendu avait déclaré à sa fiancée qu’il ne l’épouserait que lorsque leurs fortunes respectives s’équivaudraient. Or, si John Strobbins était possesseur d’un nombre considérable de dollars, il était loin d’atteindre au total fantastique de 180.000.000, montant de la fortune de Charlotte Gladden.
Cependant, John Strobbins ne désespérait pas d’y parvenir… Spéculer ? Cela comporte des aléas ! Travailler ? John Strobbins n’en avait pas le temps… Alors ?
Il fallait trouver quelque opération fructueuse et rapide ! John Strobbins, ayant gagné sa villa des environs de San-Francisco, se plongea dans ses réflexions. Et, pendant quelque temps, nul n’entendit plus parler de lui…
Il est avéré qu’un bon Américain ne doit s’étonner de rien et les citoyens de San-Francisco – le diamant de l’Ouest – moins que tous autres.
Pourtant, l’émoi fut grand dans la capitale de la Californie lorsque, quelques jours après le retour de John Strobbins, les journaux apprirent au public que, par décision de la cour suprême de Washington, M. Patrocle Portsnaoun venait d’être chargé de vérifier les comptes du gouvernement des îles Philippines ! Certes, « Business are business » et ce n’est pas en jouant de la flûte qu’on parvient à la richesse ! Il est certain que, depuis quelque temps les gouverneurs des Philippines se succédaient fort rapidement et tous s’en allaient l’escarcelle abondamment garnie. Ils exagéraient. Nul doute à ce sujet ! Mais envoyer Patrocle Portsnaoun vérifier leurs agissements, cela, c’était plutôt drôle. Infortunés Philippins ! Si jusque-là ils avaient été écorchés, de l’avis général, Patrocle Portsnaoun ne leur laisserait même pas les os !
Patrocle Portsnaoun ! c’était un ingénieur de Chicago. Toutes les affaires auxquelles il s’était intéressé avaient fini lamentablement – pour les actionnaires s’entend.
Maintenant, âgé de soixante ans, riche à millions, Portsnaoun, devenu conseiller technique de la cour suprême, se reposait de ses anciennes rapines – pas si anciennes que personne ne s’en souvînt. Et c’était cet homme que le gouvernement envoyait pour faire refleurir l’honnêteté.
Nombreuses furent les réclamations. Quelques journaux crièrent au scandale. Mais quoi, Patrocle avait des amis et sa fortune était considérable. Aussi, moins de quinze jours après l’apparition du décret l’investissant de sa mission, le vieux forban s’embarquait à San-Francisco sur le paquebot Arafura qui devait le conduire à Manille.
Ce que c’est que la puissance et l’argent ! Les notabilités de San-Francisco tinrent à honneur de venir accompagner jusqu’à la porte de sa cabine le cynique Patrocle.
Gouailleur et légèrement méprisant, Patrocle Portsnaoun, ayant surveillé l’installation de ses bagages, grimpa sur la dunette et, s’étant juché sur une banquette, il réclama le silence et harangua la foule !
Il obtint d’ailleurs un grand succès.
À cinq heures de l’après-midi, l’Arafura ayant largué ses amarres s’éloigna lentement du quai, franchit la passe de Golden Gate et fila à toute vitesse vers l’ouest.
Une heure plus tard, la cloche du dîner appela les passagers à table. Ainsi que son rang lui en donnait le droit, Patrocle Portsnaoun, sa haute taille moulée dans un impeccable smoking, prit place aux côtés du capitaine.
Pendant tout le repas – détail à noter – le haut fonctionnaire témoigna d’un entrain endiablé. Il mangea abondamment et but encore plus. Aussi, lorsque, le dîner fini, Patrocle, un énorme cigare bagué entre les lèvres, remonta sur le pont, était-il légèrement congestionné.
— Vous permettez, dit-il au commandant de l’Arafura qui l’accompagnait, je vais chercher quelques cigares dans ma cabine.
— Comment donc, je vous en prie !
Tranquillement, Patrocle descendit dans l’intérieur du navire. Des passagers le croisèrent dans l’escalier, un garçon l’aperçut marchant à pas lents dans le couloir menant à sa cabine – une cabine de luxe. Puis ce fut tout.
Debout près de l’entrée du salon, le capitaine, après avoir attendu un quart d’heure Patrocle Portsnaoun, pensa en ne le voyant pas venir, que l’ingénieur avait changé d’idée et s’était sans doute couché.
— Il aurait pu me prévenir ! grommela-t-il puis, sans s’inquiéter davantage, il gagna la passerelle.
Le lendemain matin, personne ne vit Patrocle Portsnaoun. Le garçon chargé de faire la cabine trouva le lit défait et pensa que le vieil ingénieur était sur le pont.
À onze heures, lorsque les passagers furent réunis pour déjeuner, la place de Patrocle Portsnaoun resta vide. Ce que voyant le capitaine envoya un garçon à la recherche du haut fonctionnaire. Le Stewart revint quelques minutes plus tard : il avait fouillé cabines et couloirs, coursives et promenades sans rencontrer le disparu !
Où était Patrocle Portsnaoun ?
Les passagers, interrogés par le capitaine, affirmèrent tous que, depuis la veille au dîner, l’ingénieur ne s’était plus fait voir !
Le capitaine de l’Arafura sentit une sueur froide lui couler dans le dos, qu’allait-il devenir si l’on ne retrouvait pas Portsnaoun ? C’était la destitution à coup sûr !
Le malheureux officier pensa à ses enfants sans pain. Il frémit. D’un bond, il fut debout :
— Continuez le service ! commanda-t-il au maître d’hôtel : je vais voir moi-même ce qu’est devenu M. Portsnaoun !
Le capitaine s’était dressé avec tant de brusquerie que la table trembla. Et, de la serviette placée sur l’assiette, du disparu, une feuille de papier glissa et tomba en tournoyant sur le tapis rouge garnissant le plancher du salon.
Le capitaine l’aperçut. D’un seul geste, il s’en saisit et l’examina : c’était, à n’on pas douter, une page provenant d’un carnet de notes. Le capitaine Scott lut :
Commandant, ne vous inquiétez pas de moi : j’ai débarqué cette nuit avec mes bagages. Merci de vos bons soins et à vous revoir.
Et c’était signé : PATROCLE PORTSNAOUN !
— Que le diable m’écorche ! grommela Scott, absolument médusé, l’animal se f… de moi !
Des rires fusèrent parmi les belles passagères. Tout confus, Scott lissa ses grosses moustaches et s’écria :
— Vous m’excusez, ladies et gentlemen ! dit-il… Je suis obligé de vous quitter un instant !
Et, sans attendre de réponse, le digne Scott sortit.
À son coup de sifflet, le maître d’équipage arriva devant lui :
— Vous allez me faire aussitôt fouiller le paquebot de la quille à la pomme des mâts ! Ouvrez les cales ! Explorez les soutes ! Un passager de marque, M. Patrocle Portsnaoun, a disparu cette nuit. J’ai la certitude qu’il est à bord ! Il faut qu’il se retrouve ! Mettez tout l’équipage à sa recherche !
— Bien, commandant !
Resté seul, le capitaine Scott gagna sa cabine où il se fit servir à déjeuner : il était trop préoccupé pour consentir à subir les interrogations des passagers ! Tout en mangeant, il réfléchit où pouvait bien être passé l’ingénieur ? Et que signifiait cette plaisanterie d’un goût… médiocre !
Scott n’en revenait pas ! Inquiet et furieux, il expédia rapidement son repas et grimpa sur la passerelle. Comme il y arrivait, il s’aperçut que, dans sa précipitation, il avait oublié sa casquette ! En plein midi, par 25° de latitude ! Ce n’était pas le moment ! Scott dégringola les échelons de bois et bondit dans sa cabine. Mais, comme il avançait la main pour saisir son couvre-chef, il faillit s’écrouler de saisissement, un morceau de papier de même dimension et vraisemblablement de même provenance que celui trouvé sous la serviette du disparu était épinglé à sa casquette !
Fébrilement, Scott s’en empara :
Inutile de me chercher, capitaine : je n’y suis pour personne ! y était-il écrit.
Du coup, Scott se demanda s’il ne devenait pas fou ! Pendant quelques instants, il flaira le morceau de papier et regarda autour de lui d’un air à la fois effaré et furieux, comme prêt à sauter à la gorge de quelqu’un.
Enfin, ayant repris son sang-froid, l’officier enfonça d’une tape rageuse sa casquette sur son crâne, et, tenant toujours à la main le mystérieux papier, sortit de sa cabine. Sur le pont, il se heurta au maître d’équipage qui lui dit :
— Commandant, M. Portsnaoun demeure introuvable ! J’ai fait fouiller les soutes et les cales : rien…
— Et ses bagages ? s’écria Scott, pris d’une idée subite.
— Mais… ils sont dans la cale ? répondit le maître d’équipage.
— Allons voir !
En quelques instants, les deux hommes gagnèrent la soute où se trouvaient remisés les bagages des passagers. Ils aperçurent, intactes les luxueuses malles de Patrocle Portsnaoun. Le capitaine Scott, en s’approchant pour mieux les examiner trébucha et, voulant se retenir, s’accrocha à la poignée de l’une d’elles. Mais l’énorme malle, entraînée elle-même, tomba sur le plancher... Scott lâcha un juron formidable. Il se releva tout poussiéreux.
— Que le diable me rôtisse ! grommela-t-il. Cette malle est vide !
C’était vrai ! Et toutes les autres aussi. Il fut facile de s’en assurer à leur légèreté. Dominant son ahurissement, le capitaine Scott examina les serrures de cuivre : intactes !
Le vieux marin hocha la tête : il n’y comprenait rien :
— Continuez les recherches ! dit-il au Maître d’équipage : vous m’aviserez dès que vous aurez quelque chose de nouveau ! Notre homme est à bord, c’est certain !
C’était bien l’avis du maître d’équipage. À la suite de Scott, il remonta sur le pont et s’activa à retrouver le mystérieux disparu, mais sans succès !
Après dix-huit jours de traversée, l’Arafura mouilla dans la baie de Manille sans que Patrocle Portsnaoun ait été retrouvé.
Le capitaine Scott, persuadé que le disparu n’avait pas quitté le navire, fit surveiller étroitement le débarquement des passagers et tint lui-même à les dévisager l’un après l’autre à mesure qu’ils quittaient le navire.
Debout au pied de l’échelle, un cigare en bouche, il se livrait à cette occupation lorsqu’un télégraphiste arriva devant lui :
— Le capitaine Scott ?
— C’est moi !
— Une dépêche de San-Francisco !
— Merci.
Scott décacheta le télégramme et, l’ayant parcouru dut se retenir à la rambarde pour ne pas choir !
Excusez-moi, capitaine, d’avoir manqué le départ à San-Francisco, j’ai été retenu par une affaire urgente. Je le regrette, car j’aurais aimé faire le voyage avec vous ; ce sera pour une autre fois. Cordialités.
PATROCLE PORTSNAOUN.
Pourtant, M. Patrocle Portsnaoun s’était bien embarqué sur l’Arafura ! Nul doute à ce sujet ! Les passagers pouvaient en témoigner !…
Telles furent les pensées du capitaine Scott une fois revenu de son saisissement. D’ailleurs, la meilleure preuve était les deux feuilles de son carnet trouvées sur la table et sur la casquette de Scott. Le capitaine de l’Arafura les avait encore examinés le matin même et les avait soigneusement serrées dans son portefeuille : il voulut les revoir : elles n’y étaient plus !
Scott resta sans forces. Du coup, il renonçait à savoir ! Il se désintéressait de l’affaire… Puisque Patrocle Portsnaoun était à San-Francisco, qu’il y restât ! Tout était pour le mieux.
Quant à lui, Scott, il allait penser à autre chose ! En raisonnant ainsi il prouvait sa sagesse.
Car il lui eût été bien difficile de se douter de ce qui s’était passé !
Le soir du départ de San-Francisco, Patrocle Portsnaoun, après avoir prié Scott de l’attendre un instant, s’était dirigé vers sa cabine afin d’y prendre quelques cigares…
Délibérément, l’ingénieur en ouvrit la porte et, fidèle à de vieilles habitudes de prudence, il la referma sitôt entré. Sa main quittait à peine la poignée de cuivre ciselé qu’il se sentit pris à la gorge. Il râla, voulut se débattre, mais ses bras, aussitôt immobilisés, furent instantanément ligotés, ses jambes de même. Au moment où Portsnaoun allait succomber à l’asphyxie, l’étau humain lâcha sa gorge : le vieil ingénieur aspira goulûment une gorgée d’air, puis voulut crier, mais un bâillon de caoutchouc instantanément appliqué l’en empêcha. Les yeux agrandis par la terreur, il aperçut deux hommes à ses côtés.
En l’un d’eux, il reconnut un des stewards du paquebot. L’autre était revêtu d’un étrange costume de caoutchouc rouge, visiblement trop ample pour lui. À sa ceinture pendaient plusieurs objets assez semblables à des oranges. De grosses lunettes, pareilles à celles dont se servent les chauffeurs d’automobiles, cachaient ses yeux. Cet homme, si bizarrement vêtu, était tout simplement John Strobbins. Il dit à voix basse :
— Là ! voilà qui est fait ! fouille-moi consciencieusement cette vieille fripouille, Reno !
Ce dernier s’empressa d’effectuer l’opération indiquée, tandis que John Strobbins donnait un tour de clé à la serrure. Malgré sa résistance, Portsnaoun fut, en un clin d’œil, délesté de tout ce que ses poches contenaient. John Strobbins s’en saisit :
— Veille derrière la porte ! dit-il à Reno.
Puis, il s’occupa sans délai à inventorier, à la lueur de l’ampoule électrique brillant au plafond, le contenu du portefeuille de Patrocle Portsnaoun. Et, au fur et à mesure que ses recherches avançaient, il poussait des petits claquements de langue satisfaits. En quelques minutes, il eut terminé.
— Cher monsieur Portsnaoun, dit-il au prisonnier en se tournant vers lui, je me félicite vraiment de l’heureuse circonstance qui nous réunit. Depuis longtemps, je vous soupçonnais de vagues tripotages avec votre ami le maire de San-Francisco. Voici que j’en ai la preuve ! Quelle imprudence fut la vôtre de garder sur vous des papiers aussi compromettants ! Je vous avouerai que je m’attendais à les trouver : ils sont aussi accablants pour vous que pour votre ami Brock ; alors, comme on ne sait jamais ce qui peut arriver, vous avez gardé par devers vous une bonne arme. Il faut être prudent, mais pas trop.
« Je résume, nous n’avons pas le temps de rester ici. Les papiers que vous venez de me… fournir prouvent vos concussions, vols, collusions et faux. Oh ! je ne vous fais pas la morale ! Loin de moi pareille pensée ! Je veux seulement vous prévenir d’avoir à m’obéir, étant donné qu’au moindre mouvement, au moindre cri de votre part, je livre le tout à la justice. Entendu, hein ? Bon !…
Et, ce disant, John Strobbins, d’un poignard tiré de sa ceinture, trancha les liens retenant les bras de Patrocle Portsnaoun. Puis il saisit un carnet appartenant à l’ingénieur et, le tendant à ce dernier, lui dit :
— Prenez le crayon attaché au calepin et écrivez sur une feuille : Commandant, ne vous inquiétez pas de moi : j’ai débarqué cette nuit avec mes bagages. Merci de vos bons soins et à vous revoir… Là... maintenant signez… et ne me regardez pas avec ces yeux de merlan bouilli !… Tournez la page et écrivez : Inutile de me chercher, je n’y suis pour personne. Et, signez… Merci ! Attache-lui les mains, Reno !
Tandis que Reno se livrait à cette opération, John Strobbins arracha les deux pages du carnet de Patrocle et les posa sur une table en disant :
— Tiens, Reno ! Tu distribueras ces deux lettres en temps opportun !
John Strobbins réunit soigneusement dans le portefeuille les documents qu’il avait examinés et inséra le portefeuille dans une poche imperméable de son vêtement de caoutchouc :
— Tu y es, Reno ? le temps presse. Je vais filer !
— Allons-y !
Les deux hommes se baissèrent et, ayant soulevé le divan qui occupait un des côtés de la cabine, en tirèrent un énorme sac de caoutchouc. Portsnaoun y fut enfermé jusqu’au cou. Cette opération terminée, John Strobbins attira à sa bouche un des pans de son étrange vêtement : une valve s’y trouvait. John Strobbins l’introduisit entre ses lèvres et souffla de toutes ses forces : peu à peu le vêtement se gonfla autour du corps du détective cambrioleur qui ressembla bientôt à un de ces énormes ballons de baudruche représentant de grotesques sujets et qu’on lance gonflés de gaz lors des réjouissances populaires.
— Quelle heure, Reno ? demanda-t-il.
— Neuf heures 20 !
— C’est le moment !
Reno avait autour de ses reins une longue ceinture de soie. Il la déroula et en fixa une des extrémités autour du corps de Portsnaoun terrifié. Puis, par le large hublot placé le long de la couchette où le prisonnier était étendu, il fit glisser doucement l’ingénieur le long de la muraille du navire.
— Lâche-tout ! dit Strobbins… À San-Francisco !… et n’oublie pas mes recommandations !
— Entendu ! fit Reno en lâchant la ceinture.
Un léger bruit s’entendit. Au même instant, Strobbins aidé de Reno, grimpait sur la couchette et, à la suite de Patrocle, franchissait le hublot et se précipitait à la mer.
En quelques brasses, il eut rejoint l’ingénieur qui, grâce au flotteur de caoutchouc surnageait comme une bouée.
Aidé d’un poignard, il lui enleva son bâillon.
— Mais nous allons périr ! s’écria Portsnaoun, dès qu’il put parler.
— Chut ! ne vous inquiétez pas de cela !
La nuit était noire ; au ciel, pas une étoile. Vers l’ouest, les lueurs produites par le paquebot s’éloignaient rapidement.
John Strobbins se tourna vers l’orient comme s’il espérait voir surgir quelque chose. Son attente fut courte. Après dix minutes d’observation, il aperçut les feux d’un navire s’approchant à petite vitesse. Il tira alors de sa ceinture un des étranges globes qui y étaient fixés : c’étaient des grenades d’acétylithe. John Strobbins en perça une de la pointe de son poignard et la lança à quelques mètres de lui. Une lueur blanche en jaillit aussitôt, indiquant au navire la position des naufragés.
À quelques minutes d’intervalle, John Strobbins lança une deuxième grenade, puis une troisième…
Mais on l’avait vu du navire et, un quart d’heure plus tard, une élégante baleinière arrivait auprès des deux hommes. Ils furent aussitôt hissés à bord. En quelques mouvements rapides, John Strobbins eut tôt fait de se débarrasser de son vêtement de caoutchouc. Il apparut vêtu d’un costume de cheviotte bleue.
— Ouf ! dit-il à l’officier commandant la baleinière, tandis que les marins ramaient vers le navire dont on apercevait, à environ un mille, la silhouette noire, vous êtes arrivés vite ! Félicitations ! surveillez-moi l’oiseau, hein !
La baleinière accosta bientôt le bâtiment. Souple et léger, John Strobbins empoigna la rambarde de l’échelle et, en quelques bonds, arriva sur le pont.
Il était sur son yacht, Coucou ; à la coupée le commandant l’attendait :
— Complète réussite, mon cher ! lui dit John Strobbins : faites mener l’oiseau dans ma cabine et en route pour Frisco !
L’officier s’inclina.
John Strobbins ayant gagné sa cabine – la plus belle du bord – avala coup sur coup plusieurs verres d’eau fraîche, et, s’étant laissé tomber sur un divan, alluma une fine cigarette et attendit.
Pas longtemps. Presque aussitôt la porte s’ouvrit et laissa passer deux matelots portant l’honorable Patrocle Portsnaoun :
— Déposez ça là ! fit John Strobbins et filez !
Les marins obéirent. Le détective cambrioleur resta seul avec le vieil ingénieur.
— Eh bien, ça s’est bien passé ? Nous voilà rendus… sachez, cher monsieur, que vous êtes l’hôte de John Strobbins, ne craignez donc rien : un hôte est sacré pour moi ! Il y a longtemps que je voulais avoir une petite conversation avec vous… que voulez-vous, chacun a son ambition ! Ah ! ça été difficile ! je l’avoue ! Vainement, j’ai essayé de pénétrer dans votre maison de Montgomery-Avenue ; vainement j’ai tenté de vous faire enlever par mes hommes : j’ai dû y renoncer… vous étiez entouré d’une telle armée de détectives que j’aurais dû livrer bataille, et, je vous le dis, cela me répugne de verser le sang : je suis un homme pacifique…
Patrocle Portsnaoun, gisant, ligoté comme un saucisson sur l’épais tapis, n’avait pas perdu son assurance. Il répondit :
— Dites-donc, je commence à être courbaturé : il me semble que je serais mieux sur ce divan pour vous écouter ?
— J’y pensais ! Vos désirs pour moi sont des ordres, cher monsieur.
Et John Strobbins souriant, trancha les liens du prisonnier et l’aida à s’asseoir sur le canapé :
— Toutefois, je vous préviens qu’il est inutile d’essayer de vous évader…
— Oh ! n’ayez crainte !
— Bon… Vous êtes en mon pouvoir… De plus je détiens certains papiers, pris sur vous, me permettant de vous envoyer au bagne… Somme toute, je possède votre liberté et… tout, quoi ! Les documents, je les garde. Votre liberté ? je vous la donne… pour rien !… Demain, au jour, nous serons à San-Francisco, vous serez libre. Vous irez à l’United Bank où sont déposés vos fonds et vos valeurs, et vous vous ferez donner deux millions de dollars en banknotes. Ça, c’est ma part !
« Vous me les remettrez à moi-même : je vous attendrai. Et n’essayez pas de me faire arrêter : vos précieux papiers seraient aussitôt remis à qui de droit. De plus, vous verserez cent mille dollars aux pauvres de San-Francisco, deux cent mille à l’institut des aveugles… il vous restera environ – je connais vos affaires – cent mille dollars – c’est suffisant… D’autant plus que vous allez partir aux Philippines !…
« Est-ce entendu ?
Patrocle Portsnaoun regarda son interlocuteur. Il comprit que John Strobbins serait inflexible :
— Conclu ! dit-il.
C’est pourquoi, le jour suivant, John Strobbins fut plus riche de deux millions de dollars tout en ayant fait bénéficier les malheureux du succès de son entreprise. Un mois après Patrocle Portsnaoun partait pour les Philippines où il sut récupérer largement l’argent perdu – et vite. Et nul ne s’est jamais expliqué ce qui se passa à bord de l’Arafura.
Le capitaine Scott moins que tout autre. - FIN
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