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- Le melon - Marc-Antoine de Saint-Amant (30 septembre 1594 - 29 décembre 1661)
Le melon - Marc-Antoine de Saint-Amant (30 septembre 1594 - 29 décembre 1661)
Quelle odeur sens-je en cette chambre ?
Quel doux parfum de musc et d’ambre
Me vient le cerveau réjouir
Et tout le cœur épanouir ?
Ha ! bon Dieu ! j’en tombe en extase :
Ces belles fleurs qui dans ce vase
Parent le haut de ce buffet
Feraient-elles bien cet effet ?
A-t-on brûler de la pastille ?
N’est-ce point ce vin qui pétille
Dans le cristal, que l’art humain
A fait pour couronner la main,
Et d’où sort, quand on en veut boire,
Un air de framboise à la gloire
Du bon terroir qui l’a porté
Pour notre éternelle santé ?
Non, ce n’est rien d’entre ces choses,
Mon penser, que tu me proposes.
Qu’est-ce donc ? Je l’ai découvert
Dans ce panier rempli de vert :
C’est un MELON, où la nature,
Par une admirable structure,
A voulu graver à l’entour
Mille plaisants chiffres d’amour,
Pour claire marque à tout le monde
Que d’une amitié sans seconde
Elle chérit ce doux manger,
Et que, d’un souci ménager,
Travaillant aux biens de la terre,
Dans ce beau fruit seul elle enserre
Toutes les aimables vertus
Dont les autres sont revêtus.
Baillez-le moi, je vous en prie,
Que j’en commette idolâtrie :
Ô ! quelle odeur ! qu’il est pesant !
Et qu’il me charme en le baisant !
Page, un couteau, que je l’entame ;
Mais qu’auparavant on réclame,
Par des soins au devoir instruits,
Pomone, qui préside aux fruits,
Afin qu’au goût il se rencontre
Aussi bon qu’il a belle montre,
Et qu’on ne trouve point en lui
Le défaut des gens d’aujourd’hui.
Notre prière est exaucée,
Elle a reconnu ma pensée :
C’en est fait, le voilà coupé,
Et mon espoir n’est point trompé.
Ô dieux ! que l’éclat qu’il me lance
M’en confirme bien l’excellence !
Qui vit jamais un si beau teint !
D’un jaune sanguin il se peint ;
Il est massif jusques au centre,
Il a peu de grains dans le ventre,
Et ce peu-là, je pense encor
Que ce soient autant de grains d’or ;
Il est sec, son écorce est mince ;
Bref, c’est un vrai régal de prince ;
Mais, bien que je ne le sois pas,
J’en ferais pourtant un repas.
Ha ! soutenez-moi, je me pâme !
Ce morceau me chatouille l’âme.
Il rend une douce liqueur
Qui me va confire le cœur ;
Mon appétit se rassasie
De pure et nouvelle ambroisie,
Et mes sens, par le goût séduits,
Au nombre d’un sont tous réduits.
Non, le coco, fruit délectable,
Qui lui tout seul fournit la table
De tous les mets que le désir
Puisse imaginer et choisir,
Ni les baisers d’une maîtresse,
Quand elle-même nous caresse,
Ni ce qu’on tire des roseaux
Que Crête nourrit dans ses eaux,
Ni le cher abricot, que j’aime,
Ni la fraise avecque la crème,
Ni la manne qui vient du ciel,
Ni le pur aliment du miel,
Ni la poire de Tours sacrée,
Ni la verte figue sucrée,
Ni la prune au jus délicat,
Ni même le raisin muscat
(Parole pour moi bien étrange),
Ne sont qu’amertume et que fange
Au prix de ce MELON divin,
Honneur du climat angevin.
Que dis-je d’Anjou ? Je m’abuse :
C’est un fruit du cru de ma Muse,
Un fruit en Parnasse élevé,
De l’eau d’Hippocrène abreuvé,
Mont qui, pour les dieux seuls, rapporte
D’excellents fruits de cette sorte,
Pour être proche du soleil
D’où leur vient leur goût non pareil :
Car il ne serait pas croyable
Qu’un lieu commun, quoique agréable,
Eût pu produire ainsi pour nous
Rien de si bon ni de si doux.
Ô vive source de lumière !
Toi dont la route coutumière
Illumine tout l’univers,
Phébus, dieu des fruits et des vers,
Qui tout vois et qui tout embrasses,
Ici je te rends humbles grâces,
D’un cœur d’ingratitude exempt,
De nous avoir fait ce présent.
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021