Dies irœ, Dies illa Solvet scelum in favilla. Jamais ne viendra donc la fin ? Dorment-ils tous, les meurt-de-faim ? Jamais, jamais le dernier jour Ne les jettera-t-il à leur tour Dans les angoisses de la mort, Ces bandits que la rage mord ?
Toujours, esclaves et bourreaux, Pâtiront-ils leurs échafauds ? Amis, dans l'ombre entendez-vous Gronder la mer aux noirs remous ? Elle monte et les couvrira. Dies irae, Dies illa... Elle couvre, pourpre de sang, L'Elysée et le Vatican. Compagnons, arrachons nos cœurs, Ne soyons plus que des vengeurs.
Passons, effrayants et maudits, Afin que les maux soient finis. Comblons l'abîme avec nos corps. Amis, n'oubliez pas les morts... La légende des temps nouveaux Fleurira parmi les tombeaux. C'est le destin ; le maître est dur. C'est pourquoi le fer sera pur.
Dies irae, Dies illa, Solvet scelum, in favina.
Les Œillets rouges
Si j'allais au noir cimetière, Frère, jetez sur votre soeur, Comme une espérance dernière, De rouges œillets tout en fleurs.
Dans les derniers temps de l'Empire, Lorsque le peuple s'éveillait, Rouge œillet, ce fut ton sourire Qui nous dit que tout renaissait.
Aujourd'hui, va fleurir dans l'ombre Des noires et tristes prisons. Va fleurir près du captif sombre, Et dis-lui bien que nous l'aimons.
Dis-lui que par le temps rapide Tout appartient à l'avenir Que le vainqueur au front livide Plus que le vaincu peut mourir.
La misère
Au coin du foyer triste et dont la flamme est morte Le paysan grelotte et songe tristement ; Il sent sur son épaule, ainsi qu'un châtiment, Peser la Pauvreté qu'il héberge et supporte.
Ses reins se sont courbés sous la charge trop forte. Il voudrait la chasser de son toit, mais comment ? Qui le délivrera de l'éternel tourment ? - C'est moi, dit la Richesse en frappant à la porte ;
Mets de l'eau dans ton lait, vends ton beurre à faux poids, Triche sur le mouton et triche sur la laine, Vends ta brebis galeuse en jurant qu'elle est saine.
Le lâche rit de voir, au son de cette voix, La Pauvreté s'enfuir avec sa croix amère, L'homme de cœur se lève et dit : Restez, ma mère.
(1863).
Mémoires (Extrait)
Passez, passez, heures, journées !
Que l'herbe pousse sur les morts !
Tombez, choses à peine nées ;
Vaisseaux, éloignez-vous des ports ;
Passez, passez, ô nuits profondes.
Emiettez-vous, ô vieux monts ;
Des cachots, des tombes, des ondes.
Proscrits ou monts nous reviendrons.
Nous reviendrons, foule sans nombre ;
Nous reviendrons par tous les chemins,
Spectres vengeurs sortant de l'ombre.
Nous viendrons, nous serrant les mains,
Les uns dans les pâles suaires,
Les autres encore sanglants,
Pâles, sous les rouges bannières,
Les trous des balles dans leur flanc.
Tout est fini ! Les forts, les braves,
Tous sont tombés, ô mes amis,
Et déjà rampent les esclaves,
Les traîtres et les avilis.
Hier, je vous voyais, mes frères,
Fils du peuple victorieux,
Fiers et vaillants comme nos pères,
Aller, la Marseillaise aux yeux.
Frères, dans la lutte géante,
J'aimais votre courage ardent,
La mitraille rouge et tonnante,
Les bannières flottant au vent.
Sur les flots, par la grande houle,
Il est beau de tenter le sort ;
Le but, c'est de sauver la foule,
La récompense, c'est la mort.
Vieillards sinistres et débiles,
Puisqu'il vous faut tout notre sang,
Versez-en les ondes fertiles,
Buvez tous au rouge océan ;
Et nous, dans nos rouges bannières,
Enveloppons-nous pour mourir ;
Ensemble, dans ces beaux suaires,
On serait bien là pour dormir.
La Source
Sous la fenêtre au noir grillage, Sans cesse on entend couler l'eau. On se croirait en un village Où doucement chante un ruisseau, Ou bien dans les bois, sur la mousse, Ouïr la source claire et douce Qu'aiment le pâtre et le troupeau. Ô source, coule, coule, Coule, coule toujours. Ainsi roule la houle, Ainsi tombent les jours.
La nature, féconde mère, Abreuve le tigre et l'agneau. Ils apaisent leur soif entière Sans jamais tarir le ruisseau. Le soleil est à tous les êtres ; Les hommes seuls donnent des maîtres Aux bois, à l'herbe des côteaux.
Quand la neige couvre la terre, Les loups hurlant au fond du bois. Devant leur commune misère, Ont les hasards pour seules lois. L'homme, sur la grande nature, Pour quelques tyrans la capture, Burlesque et naïf à la fois.
De toutes les sources du monde, La seule que rien ne trahit, Qui, par bouillons, s'élance et gronde, C'est le sang coulant jour et nuit, Par les monts et par la vallée. À ses quatre veines, saignée, La race humaine, sans répit,
Elle saigne, elle saigne encore. Et la goule société, Sans cesse, du soir à l'aurore, De l'aurore au soir, la dévore, Horrible de férocité. Et nul encore, sur la. mégère, Afin de délivrer la terre, D'un bras assez sûr n'a frappé.
Pourtant, la fourmilière humaine Manque d'abri, manque de pain. On sait que toute plainte est vaine Des petits qui meurent de faim. Toute révolte est enchaînée. La terre semble abandonnée Au privilège souverain.
Ah que vienne enfin l'anarchie ! Ah que vienne l'égalité ! L'ordre par la seule harmonie, Le bonheur dans la liberté ! [...] sur le monde, [...] grande et féconde, Les jours d'un séculaire été. Cesse, ô source sanglante, Coulant depuis toujours Monte, houle géante. Tombez, heures et jours !
Louise Michel (Prison de Vienne, mai 1890)
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