BIBLIOBUS Littérature française

Léda (1949

 

  • LÉDA DANS SON PREMIER SOMMEIL
  • UNE IMAGEREVIENT À QUI L’A MISE AU MONDE
  • LÉDA PLUS VIVE POSSÉDÉE QUE LA NATURE
  • CE QUE N’EN PENSA PAS LÉDA
  • NOTICE


(1949)

LÉDA DANS SON PREMIER SOMMEIL

Je dormais couchée sur le ventre

J’avais conscience de mon ventre

 

Le ciel pesant coulait en moi

Par mille graines de blé vif

 

Par mille oiseaux exténués

Et qui se cachent pour mourir.

 

*

 

Le bruit l’odeur le feu venaient fermer leurs ailes

Dans ma gorge écrasée dans le puits de mes mains

 

Le feu le froid l’azur rassemblaient mes épaules

La verdure tremblait dans mon sang prisonnier

 

J’étouffais de soleil j’étais noyée d’air pur

L’abus du cœur et de la chair m’anéantit.

 

*

 

Bientôt je limitai le ciel je me fermai

Profonde je souffris de la boue et des pierres

 

Tout encombrée de mes racines infinies

Je retrouvai le dur labeur de mon passé

 

Ma cécité mon ignorance de l’espace

L’inavouable progrès des murs multipliés.

 

*

 

Mes beaux yeux séparés du monde

Où sont les morts suis-je vivante

 

Je voudrais répéter le monde

Et non plus être ombre d’une ombre

 

Mes beaux yeux rendez-moi visible

Je ne veux pas finir en moi.

UNE IMAGE REVIENT À QUI L’A MISE AU MONDE

Elle rêve et de qui rêve-t-elle de moi

Dans les draps de ses yeux qui rêve sinon moi

 

Dans ses yeux la durée s’accroche à l’être humain

Mon règne dans ses yeux s’accorde à tous les règnes

 

Le monde est sur la table des métamorphoses.

 

*

 

Elle ne rêve pas d’un homme mais de moi

Qui suis mon être et vertu animal et principe

 

Tout entier en plein ciel et tout entier sur terre

Mais qu’elle se dénude autour de mon désir

 

Et ma foudre devient humidité féconde.

 

*

 

Les corps terrestres sont des règles de sagesse

Ils ont conquis le droit d’aimer et d’être aimé

 

Seul l’éclat d’un soleil peut en éteindre un autre

Et je n’ai de visage que pour ceux que j’aime

 

Je bats des ailes je m’affole je m’épuise

Mon plumage vieillit je blanchis comme un os

 

Le vide m’obscurcit je retourne à mon œuf

Vainqueur réduit à rien abeille sans son miel

 

Mais un filet de sang survit à la victoire.

LÉDA PLUS VIVE POSSÉDÉE QUE LA NATURE

Mon corps s’éveille je suis jeune et belle

Et je murmure un air de mon enfance

 

Sur un lit doux mon corps comme un aimant

Dessine un ciel d’étoiles vues en songe

 

Tous m’ont perdue je ne suis à personne

Pourtant je suis comme un miroir tournant

J’offre mon rire aux conquêtes faciles

 

Mes seins ont l’âge d’être caressés

Comme une cloche par l’orage atroce

Comme un pain rare par qui n’a plus faim

 

Je puis borner la puissance des dieux

Et mettre à bas leur imagination

 

Être mortelle en me reproduisant

Être éternelle en détruisant le temps

 

Je rougirai quand le froid me prendra

Et je serai de neige dans les flammes.

 

*

 

Lèvre à lèvre la nuit l’aurore

Haut sur ma cuisse un baiser chante

Mes éléments me font vivante

Mon corps n’est pas une prison

 

Au fond du gouffre je rayonne

Au fond du verger je suis mûre

Au fond de la mer je suis nue

Nue comme nulle et toute en rien

 

Lèvre à lèvre la nuit l’aurore

Je dis ce que je suis mon sexe

Comme un sourire après les larmes

Soleil humain entre deux ombres

 

Comme une rose de faiblesse

Dans le flot noir de tout mon sang

Pôle inutile honneur sauvé

Honneur est le fils du plaisir

 

Passée au feu la fleur fragile

Ne change pas plus que ma bouche

Elle est l’objet des heures creuses

La cruche pleine du désir

 

Je peins en or le sacrifice

J’orne la honte d’impudeur

Je suis le vitrail où la cendre

Fait bégayer ligne et couleur.

 

*

 

Le ciel remue je n’ai pas peur je rêve

Le ciel remue et le lac de mon corps

Reflète un cygne de nuages calmes

Il est massif ses plumes sont mouillées

 

Je sens son bec son bec est d’un rapace

Il a ma bouche et moi j’ai sa droiture

Pour mieux jouir au paradis terrestre

Partout jour clair nuit étonnante foudre

 

Ô bonne chair amenuisée entière

Mangée chérie j’ai le sens de la vie

Parlez parlez j’ai le sens du silence

J’étais rouillée mais je reviens à neuf

 

Le ciel pervers est neuf pour la chair tendre

Une auréole enrobe mes prunelles

Bête sauvage j’ai réduit ton ciel

À mon désir nous sommes confondus

 

J’enfante un couple double et je suis seule.

CE QUE N’EN PENSA PAS LÉDA

Je suis une femme ingrate

Non pas phosphorescente de reconnaissance

Mais oublieuse et versatile

Une femme de bon sens

 

Je souffle en l’air les bulles de ma vigne

Elles reviennent en moi pour éclater

Diaprées de lune et de soleil

Elles me contentent

 

Je suis la vie et il n’y a rien d’autre

Mes grands-pères mon père et mes fils me possèdent

Le rire de ma mère aboutit à mes filles

Elles ordonnent mes caresses

 

Ce cygne je l’enchante et je lui tords le cou

Je suis bien plus forte que lui

Il n’est qu’un de mes animaux

Qu’un épi de ma gerbe

 

Mes yeux ma langue et l’odeur de ma peau

Lèvent d’autres oiseaux à tous les horizons

Il ne m’a pas baisée sur le front l’innocent

Nul ne me baise sur le front

 

Mais oui ma rose blanche tu ne fus qu’un moyen

Mes cuisses te cernèrent mon ventre t’absorba

Pauvre petit cygne gelé

Tes ailes n’étaient pas d’un dieu

 

J’ai moi des ailes tout en feu.

NOTICE

Léda, fille de Thestius, et femme de Tyndare. Jupiter, ayant trouvé cette princesse sur les bords de l’Eurotas, fit changer Vénus en aigle, et, prenant la figure d’un cygne poursuivi par cet aigle, alla se jeter entre les bras de Léda, laquelle, au bout de neuf mois, accoucha de deux œufs. De l’un sortit Pollux et Hélène et de l’autre Castor et Clytemnestre. Les deux premiers furent regardés comme les enfants de Jupiter, et les deux autres comme ceux de Tyndare.

Apollodore a suivi une autre tradition. Jupiter, selon lui, amoureux de Némésis, se métamorphosa en cygne, et changea sa maîtresse en canard. Ce fut elle qui donna à Léda l’œuf qu’elle avait conçu, et qui fut la véritable mère des frères jumeaux.

Quelques auteurs n’assignent d’autre fondement à cette fable que la beauté d’Hélène, et surtout la longueur et la blancheur de son cou semblable à celui des cygnes. D’autres prétendent que cette princesse ayant eu quelque galanterie sur les bords de l’Eurotas, où étaient peut-être beaucoup de cygnes, on publia, pour sauver son honneur, que Jupiter lui-même, amoureux d’elle, s’était changé en cygne, et l’avait trompée sous cette forme. Enfin, il en est qui prétendent que Léda introduisit son amant dans le lieu le plus élevé de son palais. Ces lieux étaient, pour l’ordinaire, de figure ovale, et les Lacédémoniens les appelaient ovum, ce qui donna lieu à la fiction de l’œuf.

(Dictionnaire de la fable.)

FIN

Date de dernière mise à jour : 25/08/2023