- PLAN DU SITE
- Paul Eluard (1895-1952)
- Léda (1949
Léda (1949
- LÉDA DANS SON PREMIER SOMMEIL
- UNE IMAGEREVIENT À QUI L’A MISE AU MONDE
- LÉDA PLUS VIVE POSSÉDÉE QUE LA NATURE
- CE QUE N’EN PENSA PAS LÉDA
- NOTICE
(1949)
Je dormais couchée sur le ventre
J’avais conscience de mon ventre
Le ciel pesant coulait en moi
Par mille graines de blé vif
Par mille oiseaux exténués
Et qui se cachent pour mourir.
*
Le bruit l’odeur le feu venaient fermer leurs ailes
Dans ma gorge écrasée dans le puits de mes mains
Le feu le froid l’azur rassemblaient mes épaules
La verdure tremblait dans mon sang prisonnier
J’étouffais de soleil j’étais noyée d’air pur
L’abus du cœur et de la chair m’anéantit.
*
Bientôt je limitai le ciel je me fermai
Profonde je souffris de la boue et des pierres
Tout encombrée de mes racines infinies
Je retrouvai le dur labeur de mon passé
Ma cécité mon ignorance de l’espace
L’inavouable progrès des murs multipliés.
*
Mes beaux yeux séparés du monde
Où sont les morts suis-je vivante
Je voudrais répéter le monde
Et non plus être ombre d’une ombre
Mes beaux yeux rendez-moi visible
Je ne veux pas finir en moi.
UNE IMAGE REVIENT À QUI L’A MISE AU MONDE
Elle rêve et de qui rêve-t-elle de moi
Dans les draps de ses yeux qui rêve sinon moi
Dans ses yeux la durée s’accroche à l’être humain
Mon règne dans ses yeux s’accorde à tous les règnes
Le monde est sur la table des métamorphoses.
*
Elle ne rêve pas d’un homme mais de moi
Qui suis mon être et vertu animal et principe
Tout entier en plein ciel et tout entier sur terre
Mais qu’elle se dénude autour de mon désir
Et ma foudre devient humidité féconde.
*
Les corps terrestres sont des règles de sagesse
Ils ont conquis le droit d’aimer et d’être aimé
Seul l’éclat d’un soleil peut en éteindre un autre
Et je n’ai de visage que pour ceux que j’aime
Je bats des ailes je m’affole je m’épuise
Mon plumage vieillit je blanchis comme un os
Le vide m’obscurcit je retourne à mon œuf
Vainqueur réduit à rien abeille sans son miel
Mais un filet de sang survit à la victoire.
LÉDA PLUS VIVE POSSÉDÉE QUE LA NATURE
Mon corps s’éveille je suis jeune et belle
Et je murmure un air de mon enfance
Sur un lit doux mon corps comme un aimant
Dessine un ciel d’étoiles vues en songe
Tous m’ont perdue je ne suis à personne
Pourtant je suis comme un miroir tournant
J’offre mon rire aux conquêtes faciles
Mes seins ont l’âge d’être caressés
Comme une cloche par l’orage atroce
Comme un pain rare par qui n’a plus faim
Je puis borner la puissance des dieux
Et mettre à bas leur imagination
Être mortelle en me reproduisant
Être éternelle en détruisant le temps
Je rougirai quand le froid me prendra
Et je serai de neige dans les flammes.
*
Lèvre à lèvre la nuit l’aurore
Haut sur ma cuisse un baiser chante
Mes éléments me font vivante
Mon corps n’est pas une prison
Au fond du gouffre je rayonne
Au fond du verger je suis mûre
Au fond de la mer je suis nue
Nue comme nulle et toute en rien
Lèvre à lèvre la nuit l’aurore
Je dis ce que je suis mon sexe
Comme un sourire après les larmes
Soleil humain entre deux ombres
Comme une rose de faiblesse
Dans le flot noir de tout mon sang
Pôle inutile honneur sauvé
Honneur est le fils du plaisir
Passée au feu la fleur fragile
Ne change pas plus que ma bouche
Elle est l’objet des heures creuses
La cruche pleine du désir
Je peins en or le sacrifice
J’orne la honte d’impudeur
Je suis le vitrail où la cendre
Fait bégayer ligne et couleur.
*
Le ciel remue je n’ai pas peur je rêve
Le ciel remue et le lac de mon corps
Reflète un cygne de nuages calmes
Il est massif ses plumes sont mouillées
Je sens son bec son bec est d’un rapace
Il a ma bouche et moi j’ai sa droiture
Pour mieux jouir au paradis terrestre
Partout jour clair nuit étonnante foudre
Ô bonne chair amenuisée entière
Mangée chérie j’ai le sens de la vie
Parlez parlez j’ai le sens du silence
J’étais rouillée mais je reviens à neuf
Le ciel pervers est neuf pour la chair tendre
Une auréole enrobe mes prunelles
Bête sauvage j’ai réduit ton ciel
À mon désir nous sommes confondus
J’enfante un couple double et je suis seule.
Je suis une femme ingrate
Non pas phosphorescente de reconnaissance
Mais oublieuse et versatile
Une femme de bon sens
Je souffle en l’air les bulles de ma vigne
Elles reviennent en moi pour éclater
Diaprées de lune et de soleil
Elles me contentent
Je suis la vie et il n’y a rien d’autre
Mes grands-pères mon père et mes fils me possèdent
Le rire de ma mère aboutit à mes filles
Elles ordonnent mes caresses
Ce cygne je l’enchante et je lui tords le cou
Je suis bien plus forte que lui
Il n’est qu’un de mes animaux
Qu’un épi de ma gerbe
Mes yeux ma langue et l’odeur de ma peau
Lèvent d’autres oiseaux à tous les horizons
Il ne m’a pas baisée sur le front l’innocent
Nul ne me baise sur le front
Mais oui ma rose blanche tu ne fus qu’un moyen
Mes cuisses te cernèrent mon ventre t’absorba
Pauvre petit cygne gelé
Tes ailes n’étaient pas d’un dieu
J’ai moi des ailes tout en feu.
Léda, fille de Thestius, et femme de Tyndare. Jupiter, ayant trouvé cette princesse sur les bords de l’Eurotas, fit changer Vénus en aigle, et, prenant la figure d’un cygne poursuivi par cet aigle, alla se jeter entre les bras de Léda, laquelle, au bout de neuf mois, accoucha de deux œufs. De l’un sortit Pollux et Hélène et de l’autre Castor et Clytemnestre. Les deux premiers furent regardés comme les enfants de Jupiter, et les deux autres comme ceux de Tyndare.
Apollodore a suivi une autre tradition. Jupiter, selon lui, amoureux de Némésis, se métamorphosa en cygne, et changea sa maîtresse en canard. Ce fut elle qui donna à Léda l’œuf qu’elle avait conçu, et qui fut la véritable mère des frères jumeaux.
Quelques auteurs n’assignent d’autre fondement à cette fable que la beauté d’Hélène, et surtout la longueur et la blancheur de son cou semblable à celui des cygnes. D’autres prétendent que cette princesse ayant eu quelque galanterie sur les bords de l’Eurotas, où étaient peut-être beaucoup de cygnes, on publia, pour sauver son honneur, que Jupiter lui-même, amoureux d’elle, s’était changé en cygne, et l’avait trompée sous cette forme. Enfin, il en est qui prétendent que Léda introduisit son amant dans le lieu le plus élevé de son palais. Ces lieux étaient, pour l’ordinaire, de figure ovale, et les Lacédémoniens les appelaient ovum, ce qui donna lieu à la fiction de l’œuf.
(Dictionnaire de la fable.)
FIN
Date de dernière mise à jour : 25/08/2023