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- Paul Eluard (1895-1952)
- Le devoir et l’inquiétude (1917)
Le devoir et l’inquiétude (1917)
suivi de :
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Vivant dans un village calme
D’où la route part longue et dure
Pour un lieu de sang et de larmes
Nous sommes purs.
Les nuits sont chaudes et tranquilles
Et nous gardons aux amoureuses
Cette fidélité précieuse
Entre toutes : l’espoir de vivre.
I
Tous ceux qui se chauffaient
À un bon feu l’hiver
Trouvent la chose amère :
On les a destitués.
Ils se gonflaient l’âme et le corps
De chaleurs infinies,
N’étaient dehors
Que pour prouver leur chaude vie.
Ils ont les pieds gelés,
Ils ont les yeux gelés
Et rêvent de sanglots
Pour le feu désolé
Qui couve un tas d’oiseaux
Point encore emplumés.
II
Et que le feu me brûle !
Il est toujours si loin
Que le plus court chemin
Me montre ridicule
Aux rêveurs du chemin.
Dites la chose affreuse :
Toutes les mains sont froides
Et la nuit nous font mal
Car la terre on la creuse
Avec une hâte affreuse
La nuit, et avec tant de mal !
Oh ! toute cette vie,
Tout près de moi, le feu qui brûle…
Dites ? serais-je ridicule ?
Oh ! vous tous, transis, hardis,
Je vous le dis : Notre vie brûle !
*
J’aime ce poème.
Ce n’est pas tous les jours dimanche
Et longue joie… Il faut partir.
La peur de ne pas revenir
Fait que son sort ne change.
Je sais ce qu’il a vu,
Ses enfants à la main,
Gais et si fiers de ce butin,
Dans les maisons et dans les rues.
Il a vu l’endroit où est son bonheur,
Des corsages fleuris d’anneaux et de rondeurs,
Sa femme avec des yeux amusants et troublants,
Comme un frisson d’air après les chaleurs,
Et tout son amour de maître du sang.
*
Le plus tôt en allé
C’est bien notre douceur et notre pauvreté.
Contents d’avoir trouvé dans la pluie et le vent
Une tiède maison où boire et reposer
Mes bruyants compagnons ont secoué leur capote
Et pour rêver ici, plus tard, de ce bonheur
Qui va les prendre pour toujours, ils crient très fort.
Leurs grands gestes font peur au grand froid du dehors.
*
Me souciant d’un ciel dévasté,
De la pluie qui va nous mouiller
Je vais pensant au grand bonheur
Qui nous saisirait si nous voulions.
Le devoir et l’inquiétude
Partagent ma vie rude.
(C’est une grande peine
De vous l’avouer.)
Ça sent la verdure à plein nez.
Sur plein ciel, en plein ciel, le vol des hirondelles
Nous amuse et nous fait rêver…
Je rêve d’un espoir tranquille.
*
Tout est divers comme ce que la nuit laisse voir :
Visages des gens et promesses de gloire.
*
Je ne peux rien faire, je ne peux rien voir.
Quand on est vieux, il ne faut plus sortir.
Il faut rester dans la chambre avec le feu,
Avec de chauds vêtements et le jour adouci
Chaque soir par la nuit et la clarté des lampes.
Quand on est vieux, il ne faut plus lire.
Les mots sont mauvais et pour d’autres vies.
Il faut rester, les yeux perdus, l’air résigné
Dans un coin, sans bouger.
Quand on est vieux, il ne faut plus parler,
Il ne faut plus dormir… Il faut se souvenir
Que les autres pensent sans cesse :
« Quand on a tout vu, on est misérable ;
Et quand on est vieux c’est qu’on a tout vu ! »
*
Et passe et rage, fière,
Une vieille, tant mère
Qu’elle a tout consolé,
Tout contrôlé, volé
De ses yeux défunts
Comme un mauvais parfum.
Et passe et rage, fière,
Une vieille, une mère
Qui console avec soin
Et qui voit tout de loin.
Et passe et rage, fière,
Toute la pauvre mère.
*
Ces deux-là sont couchés côte à côte,
L’un dans un sens et l’autre dans l’autre.
Point de chanson : point de chanteurs.
Ils dorment bien et bien leur fasse !
Leur maman les veille, les yeux
Pleins de son malheur qu’elle garde
Précieusement, car les enfants
N’ont pas besoin d’être aussi grands
Que leurs parents.
*
Les filles folles, les filles folles, ohé ! ohé !
Passent par ici chaque lundi.
Passent par ici chaque lundi
Pour voir le grand travail se faire.
Ohé ! ohé !
Le sable aux nerfs usés
Ne crépite pas sous elles,
Car elles ne sont pas celles qui tentent.
Leur démarche est lasse et lente.
Elles sont folles ! ohé ! ohé !
Mais elles regardent bien
Le grand travail à faire.
Je suis parti avec eux.
« Moi, j’affirme qu’ils ne savent ce qu’ils disent. »
Vous devez les voir comme ils sont, pas beaux, pas grands. « Pas vrai », ajoute mon voisin.
Mais j’écoute attentivement, soigneusement. S’ils fredonnent un chant, je fais attention de n’en point perdre l’air « comme on perd ses billes, enfant ».
Vous qui lirez cela, défiez-vous de tout jugement.
Songez qu’ailleurs, tant d’hommes n’ont pas plus de sons que les pièces de bronze dont on paie leur misère.
C’est la guerre ! Rien n’est plus dur que la guerre l’hiver !
Je suis très sale (chez nous on ne marche pas sur le trottoir, ni dans la rue) mais quelle joie de venir ici se prélasser !
La ville est toujours ardente. Au cinéma, les gosses sifflent la Dame aux Camélias.
Et nous, nous demandons déjà à ceux qui traversent la ville pour aller ailleurs s’ils cherchent des diamants avec une charrue.
I
On nous enseigne trop la patience, la prudence – et que nous pouvons mourir.
Mourir, surpris par la plus furtive des lumières, la mort brusque.
« Moi, dans la Belle au bois dormant ! » railles-tu, nous faisant rire.
II
Je connais tous les chants des oiseaux.
Nous avons crié gaiement : « Nous allons à la guerre ! » aux gens qui le savaient bien.
Et nous la connaissions !
Oh ! le bruit terrible que mène la guerre parmi le monde et autour de nous ! Oh ! le bruit terrible de la guerre !
Cet obus qui fait la roue,
la mitrailleuse, comme une personne qui bégaie,
et ce rat que tu assommes d’un coup de fusil !
« Le mal, c’est comme les enfants, sur terre on doit en avoir. » Tu dis cela tranquillement, tes deux yeux surveillant le soir.
Par ce temps qui délabre tout, as-tu donc un si grand souci que je ne vois rien de ta peine, que ton calme est presque méchant –
et que l’eau qui tombe entre nous tombe entre nous comme dans un trou ?
Ce n’est pas la nuit, c’est la lune. Le ciel, doux comme un bol de lait, te fait sourire, vieil amoureux.
Et tu me parles d’eux. Ils ornent ton esprit, ils ornent ta maison, ils ornent notre vie.
Mon ami, ils sont trop : père, mère, enfants, femme, à n’être pas heureux.
Pourtant, ton rêve est calme,
et je calcule trop.
La vie entièrement conquise, on pourrait s’en aller chez soi.
« Les blés sont bien mûrs et la plaine immense. »
Sûrs d’être heureux pour toujours, on n’aurait plus de soucis.
« Ma plaine est immense et j’y bois l’oubli. »
Le rêve viendrait, la nuit, en dormant dans un bon lit !…
« Mes yeux sont mouillés et le soleil danse. »
FIN
Date de dernière mise à jour : 25/08/2023