BIBLIOBUS Littérature française

Le devoir et l’inquiétude (1917)

 

suivi de :

Le rire d’un autre
 

  • Fidèle
  • Supplice
  • Le rire d’un autre
  • Paris si gai !
  • Notre mort
  • Pluie
  • Crépuscule
  • Au but


 

Fidèle

Vivant dans un village calme

D’où la route part longue et dure

Pour un lieu de sang et de larmes

Nous sommes purs.

 

Les nuits sont chaudes et tranquilles

Et nous gardons aux amoureuses

Cette fidélité précieuse

Entre toutes : l’espoir de vivre.

Supplice

I

Tous ceux qui se chauffaient

À un bon feu l’hiver

Trouvent la chose amère :

On les a destitués.

 

Ils se gonflaient l’âme et le corps

De chaleurs infinies,

N’étaient dehors

Que pour prouver leur chaude vie.

 

Ils ont les pieds gelés,

Ils ont les yeux gelés

Et rêvent de sanglots

    Pour le feu désolé

Qui couve un tas d’oiseaux

Point encore emplumés.

 

II

Et que le feu me brûle !

Il est toujours si loin

Que le plus court chemin

Me montre ridicule

Aux rêveurs du chemin.

 

Dites la chose affreuse :

Toutes les mains sont froides

Et la nuit nous font mal

Car la terre on la creuse

Avec une hâte affreuse

La nuit, et avec tant de mal !

 

Oh ! toute cette vie,

Tout près de moi, le feu qui brûle…

Dites ? serais-je ridicule ?

Oh ! vous tous, transis, hardis,

Je vous le dis : Notre vie brûle !

 

*

 

J’aime ce poème.

Ce n’est pas tous les jours dimanche

Et longue joie… Il faut partir.

La peur de ne pas revenir

Fait que son sort ne change.

 

Je sais ce qu’il a vu,

Ses enfants à la main,

Gais et si fiers de ce butin,

Dans les maisons et dans les rues.

 

Il a vu l’endroit où est son bonheur,

Des corsages fleuris d’anneaux et de rondeurs,

Sa femme avec des yeux amusants et troublants,

Comme un frisson d’air après les chaleurs,

Et tout son amour de maître du sang.

 

*

 

Le plus tôt en allé

C’est bien notre douceur et notre pauvreté.

 

Contents d’avoir trouvé dans la pluie et le vent

Une tiède maison où boire et reposer

Mes bruyants compagnons ont secoué leur capote

Et pour rêver ici, plus tard, de ce bonheur

Qui va les prendre pour toujours, ils crient très fort.

 

Leurs grands gestes font peur au grand froid du dehors.

 

*

 

Me souciant d’un ciel dévasté,

De la pluie qui va nous mouiller

Je vais pensant au grand bonheur

Qui nous saisirait si nous voulions.

 

Le devoir et l’inquiétude

Partagent ma vie rude.

(C’est une grande peine

De vous l’avouer.)

 

Ça sent la verdure à plein nez.

Sur plein ciel, en plein ciel, le vol des hirondelles

Nous amuse et nous fait rêver…

Je rêve d’un espoir tranquille.

 

*

 

Tout est divers comme ce que la nuit laisse voir :

Visages des gens et promesses de gloire.

 

*

 

Je ne peux rien faire, je ne peux rien voir.

Quand on est vieux, il ne faut plus sortir.

Il faut rester dans la chambre avec le feu,

Avec de chauds vêtements et le jour adouci

Chaque soir par la nuit et la clarté des lampes.

 

Quand on est vieux, il ne faut plus lire.

Les mots sont mauvais et pour d’autres vies.

Il faut rester, les yeux perdus, l’air résigné

Dans un coin, sans bouger.

 

Quand on est vieux, il ne faut plus parler,

Il ne faut plus dormir… Il faut se souvenir

Que les autres pensent sans cesse :

« Quand on a tout vu, on est misérable ;

Et quand on est vieux c’est qu’on a tout vu ! »

 

*

 

Et passe et rage, fière,

Une vieille, tant mère

 

Qu’elle a tout consolé,

    Tout contrôlé, volé

 

    De ses yeux défunts

Comme un mauvais parfum.

 

Et passe et rage, fière,

    Une vieille, une mère

 

    Qui console avec soin

Et qui voit tout de loin.

 

Et passe et rage, fière,

Toute la pauvre mère.

 

*

 

Ces deux-là sont couchés côte à côte,

L’un dans un sens et l’autre dans l’autre.

 

Point de chanson : point de chanteurs.

Ils dorment bien et bien leur fasse !

 

Leur maman les veille, les yeux

Pleins de son malheur qu’elle garde

 

Précieusement, car les enfants

N’ont pas besoin d’être aussi grands

 

    Que leurs parents.

 

*

 

Les filles folles, les filles folles, ohé ! ohé !

Passent par ici chaque lundi.

 

Passent par ici chaque lundi

Pour voir le grand travail se faire.

Ohé ! ohé !

 

Le sable aux nerfs usés

Ne crépite pas sous elles,

 

Car elles ne sont pas celles qui tentent.

Leur démarche est lasse et lente.

 

Elles sont folles ! ohé ! ohé !

Mais elles regardent bien

 

Le grand travail à faire.

Le rire d’un autre

Je suis parti avec eux.

« Moi, j’affirme qu’ils ne savent ce qu’ils disent. »

Vous devez les voir comme ils sont, pas beaux, pas grands. « Pas vrai », ajoute mon voisin.

Mais j’écoute attentivement, soigneusement. S’ils fredonnent un chant, je fais attention de n’en point perdre l’air « comme on perd ses billes, enfant ».

Vous qui lirez cela, défiez-vous de tout jugement.

Songez qu’ailleurs, tant d’hommes n’ont pas plus de sons que les pièces de bronze dont on paie leur misère.

Paris si gai !

C’est la guerre ! Rien n’est plus dur que la guerre l’hiver !

Je suis très sale (chez nous on ne marche pas sur le trottoir, ni dans la rue) mais quelle joie de venir ici se prélasser !

La ville est toujours ardente. Au cinéma, les gosses sifflent la Dame aux Camélias.

Et nous, nous demandons déjà à ceux qui traversent la ville pour aller ailleurs s’ils cherchent des diamants avec une charrue.

Notre mort

I

On nous enseigne trop la patience, la prudence – et que nous pouvons mourir.

Mourir, surpris par la plus furtive des lumières, la mort brusque.

« Moi, dans la Belle au bois dormant ! » railles-tu, nous faisant rire.

II

Je connais tous les chants des oiseaux.

Nous avons crié gaiement : « Nous allons à la guerre ! » aux gens qui le savaient bien.

Et nous la connaissions !

Oh ! le bruit terrible que mène la guerre parmi le monde et autour de nous ! Oh ! le bruit terrible de la guerre !

Cet obus qui fait la roue,

la mitrailleuse, comme une personne qui bégaie,

et ce rat que tu assommes d’un coup de fusil !

Pluie

« Le mal, c’est comme les enfants, sur terre on doit en avoir. » Tu dis cela tranquillement, tes deux yeux surveillant le soir.

Par ce temps qui délabre tout, as-tu donc un si grand souci que je ne vois rien de ta peine, que ton calme est presque méchant –

et que l’eau qui tombe entre nous tombe entre nous comme dans un trou ?

Crépuscule

Ce n’est pas la nuit, c’est la lune. Le ciel, doux comme un bol de lait, te fait sourire, vieil amoureux.

Et tu me parles d’eux. Ils ornent ton esprit, ils ornent ta maison, ils ornent notre vie.

Mon ami, ils sont trop : père, mère, enfants, femme, à n’être pas heureux.

Pourtant, ton rêve est calme,

et je calcule trop.

Au but

La vie entièrement conquise, on pourrait s’en aller chez soi.

« Les blés sont bien mûrs et la plaine immense. »

Sûrs d’être heureux pour toujours, on n’aurait plus de soucis.

« Ma plaine est immense et j’y bois l’oubli. »

Le rêve viendrait, la nuit, en dormant dans un bon lit !…

« Mes yeux sont mouillés et le soleil danse. »

FIN

Date de dernière mise à jour : 25/08/2023