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L’eau dans les prés de la montagne
Continue à nos pieds de chanter mollement
Il fait frais le soir tombe et nous réunissons
Nos yeux sur le chemin que nous savons par cœur
Nos jeunes amis nous attendent
Il fait bon vivre à la campagne
Nos feuilles vont regagner l’arbre
Notre herbe retrouver la nuit de sa croissance
Ce soir il y aura des rires quelques larmes
S’y mêleront l’amour baptisera la nuit
De noms nouveaux à la couleur de nos corps nus
Rose mettra son bonnet rouge
Blanche perdra son bonnet noir.
De ce côté c’est l’été
La musique à la volière
La langue au palais d’oiseaux
La rivière à la sorcière
Dont le flot brûle entre mes mains
Est-elle brune
À la chair dure
Marquée de bleu
Très dure dorée de force
Une tulipe le soir
Des caresses de raisin
Est-elle blanche
Tendre rousse et orangée
Que la chaleur affaiblit
Herbe claire perle inerte
Toute une plage timide
Tombée d’un ciel de coton
Nul jeu ne nous divertit
Nos armes ont peu d’espace
C’est un bel été sans voiles
Le lourd devoir de l’été.
Le soleil qui court sur le monde
J’en suis certain comme de toi
Le soleil met la terre au monde
Un sourire au-dessus des nuits
Sur le visage dépouillé
D’une dormeuse rêvant d’aube
Le grand mystère du plaisir
Cet étrange tournoi de brumes
Qui nous enlève ciel et terre
Mais qui nous laisse l’un à l’autre
Faits l’un pour l’autre à tout jamais
Ô toi que j’arrache à l’oubli
Ô toi que j’ai voulue heureuse.
La chaleur a dénoué
La forêt nue
Il n’y a plus de forêt
Plus de voyages sur l’eau
Plus d’ombre légère aux reins
Le ciel nous est un fardeau
Notre corps est une proie
Vêtue de larmes mûries
Les doigts sont des clous sanglants
Les seins tournent sur eux-mêmes
La bouche n’a que des sœurs
Il n’y a plus de fenêtre à ouvrir
Il n’y a plus de paysage
D’air pur ni d’air impur
Nos yeux reviennent à leur source
Sous la chair nue de leur beauté natale.
Toute tiède encore du linge annulé
Tu fermes les yeux et tu bouges
Comme bouge un chant qui naît
Vaguement mais de partout
Odorante et savoureuse
Tu dépasses sans te perdre
Les frontières de ton corps
Tu as enjambé le temps
Te voici femme nouvelle
Révélée à l’infini.
N’est-ce pas depuis toujours
Que les jours sont sans amour
Chaque aurore impardonnable
Chaque caresse vilaine
Et chaque rire une injure
Je m’entends et tu m’entends
Hurler comme un chien perdu
Contre notre solitude
Notre amour a plus besoin
D’amour que l’herbe de pluie
Il faut qu’il soit un miroir.
J’ai passé les portes du froid
Les portes de mon amertume
Pour venir embrasser tes lèvres
Ville réduite à notre chambre
Où l’absurde marée du mal
Laisse une écume rassurante
Anneau de paix je n’ai que toi
Tu me réapprends ce que c’est
Qu’un être humain quand je renonce
À savoir si j’ai des semblables.
Le paysage nu
Où je vivrai longtemps
A de tendres prairies
Où ta chaleur repose
Des sources où tes seins
Font miroiter le jour
Des chemins où ta bouche
Rit à une autre bouche
Des bois où les oiseaux
Entr’ouvrent tes paupières
Sous un ciel réfléchi
Par ton front sans nuages
Mon unique univers
Ma légère accordée
Au rythme de nature
Ta chair nue durera.
Tu n’as jamais la même allure
Le plaisir est toujours nouveau
Le bien ne se pose jamais
N’a pas de nid n’a que des ailes
Claire ou sombre au ciel de mes songes
Tu ne sais rien de l’avenir
Tu l’incarnes il est présent
En toi qui ne finira pas.
à Luc Decaunes.
Dans la brume des statues se dessinent
Molles et dorées molles et charnelles
Elles prennent l’air
Étoiles fondues d’humaines étoiles
Dans le linge simple et blanc du matin
Des statues douces comme des fruits blets
Ayant conservé leur forme sacrée
Leur écœurement leur fièvre cachée
Leur souffle torride
Au mépris d’un arbre éteint par l’hiver
Boire est en l’honneur
D’un jour envahi dès la première heure
Velours des statues mouillé de vin doux
Les faveurs nouées des bras et des cous
Sont à la santé d’une aile immobile
Corps délibéré rêves satisfaits
Immense repos vaste nudité
D’une chair hostile à la chair des bêtes
Sans frissons sans rien que l’angle majeur
Du règne établi
Ce qu’il faut voir à travers ce dédale
Du temps non vécu
C’est l’œil de l’herbe et quelques doigts de terre
Pour justifier le plomb de l’azur vert
Le pur fardeau d’un geste vers les astres.
FIN
Date de dernière mise à jour : 25/08/2023