- PLAN DU SITE
- Paul Eluard (1895-1952)
- Le Phénix (1951
Le Phénix (1951
- LE PHÉNIX
- DOMINIQUE AUJOURD’HUI PRÉSENTE
- ÉCRIRE DESSINER INSCRIRE
- LA PETITE ENFANCE DE DOMINIQUE
- AIR VIF
- PRINTEMPS
- JE T’AIME
- CERTITUDE
- NOUS DEUX
- LA MORT L’AMOUR LA VIE
- CHANSON
- IL FAUT BIEN Y CROIRE
- D’UNE BÊTE
- ET UN SOURIRE
- SÉRÉNITÉ
- MATINES
- MARINE
Le Phénix, c’est le couple – Adam et Ève – qui est et n’est pas le premier.
Je suis le dernier sur ta route
Le dernier printemps la dernière neige
Le dernier combat pour ne pas mourir
Et nous voici plus bas et plus haut que jamais.
*
Il y a de tout dans notre bûcher
Des pommes de pin des sarments
Mais aussi des fleurs plus fortes que l’eau
De la boue et de la rosée.
*
La flamme est sous nos pieds la flamme nous couronne
À nos pieds des insectes des oiseaux des hommes
Vont s’envoler
Ceux qui volent vont se poser
*
Le ciel est clair la terre est sombre
Mais la fumée s’en va au ciel
Le ciel a perdu tous ses feux.
La flamme est restée sur la terre
*
La flamme est la nuée du cœur
Et toutes les branches du sang
Elle chante notre air
Elle dissipe la buée de notre hiver.
*
Nocturne et en horreur a flambé le chagrin
Les cendres ont fleuri en joie et en beauté
Nous tournons toujours le dos au couchant
Tout a la couleur de l’aurore.
DOMINIQUE AUJOURD’HUI PRÉSENTE
Toutes les choses au hasard
Tous les mots dits sans y penser
Et qui sont pris comme ils sont dits
Et nul n’y perd et nul n’y gagne
Les sentiments à la dérive
Et l’effort le plus quotidien
Le vague souvenir des songes
L’avenir en butte à demain
Les mots coincés dans un enfer
De roues usées de lignes mortes
Les choses grises et semblables
Les hommes tournant dans le vent
Muscles voyants squelette intime
Et la vapeur des sentiments
Le cœur réglé comme un cercueil
Les espoirs réduits à néant
*
Tu es venue l’après-midi crevait la terre
Et la terre et les hommes ont changé de sens
Et je me suis trouvé réglé comme un aimant
Réglé comme une vigne
À l’infini notre chemin le but des autres
Des abeilles volaient futures de leur miel
Et j’ai multiplié mes désirs de lumière
Pour en comprendre la raison
Tu es venue j’étais très triste j’ai dit oui
C’est à partir de toi que j’ai dit oui au monde
Petite fille je t’aimais comme un garçon
Ne peut aimer que son enfance
Avec la force d’un passé très loin très pur
Avec le feu d’une chanson sans fausse note
La pierre intacte et le courant furtif du sang
Dans la gorge et les lèvres
Tu es venue le vœu de vivre avait un corps
Il creusait la nuit lourde il caressait les ombres
Pour dissoudre leur boue et fondre leurs glaçons
Comme un œil qui voit clair
L’herbe fine figeait le vol des hirondelles
Et l’automne pesait dans le sac des ténèbres
Tu es venue les rives libéraient le fleuve
Pour le mener jusqu’à la mer
Tu es venue plus haute au fond de ma douleur
Que l’arbre séparé de la forêt sans air
Et le cri du chagrin du doute s’est brisé
Devant le jour de notre amour
Gloire l’ombre et la honte ont cédé au soleil
Le poids s’est allégé le fardeau s’est fait rire
Gloire le souterrain est devenu sommet
La misère s’est effacée
La place d’habitude où je m’abêtissais
Le couloir sans réveil l’impasse et la fatigue
Se sont mis à briller d’un feu battant des mains
L’éternité s’est dépliée
Ô toi mon agitée et ma calme pensée
Mon silence sonore et mon écho secret
Mon aveugle voyante et ma vue dépassée
Je n’ai plus eu que ta présence
Tu m’as ouvert de ta confiance.
Sept fois la réalité
Sept fois sept fois la vérité.
Nous étions deux et nous venions de vivre
Une journée d’amour ensoleillé
Notre soleil nous l’embrassions ensemble
La vie entière nous était visible
Quand la nuit vint nous restâmes sans ombre
À polir l’or de notre sang commun
Nous étions deux au cœur du seul trésor
Dont la lumière ne s’endort jamais.
*
Le brouillard mêle sa lumière
À la verdure des ténèbres
Toi tu mêles ta chair tiède
À mes désirs acharnés
*
Tu te couvres tu t’éclaires
Tu t’endors et tu t’éveilles
Au long des saisons fidèles
Tu bâtis une maison
Et ton cœur la mûrit
Comme un lit comme un fruit
Et ton corps s’y réfugie
Et tes rêves s’y prolongent
C’est la maison des jours tendres
Et des baisers de la nuit.
*
Les flots de la rivière
La croissance du ciel
Le vent la feuille et l’aile
Le regard la parole
Et le fait que je t’aime
Tout est en mouvement.
*
Une bonne nouvelle
Arrive ce matin
Tu as rêvé de moi.
*
Je voudrais associer notre amour solitaire
Aux lieux les plus peuplés du monde
Qu’il puisse laisser de la place
À ceux qui s’aiment comme nous
Ils sont nombreux ils sont trop peu.
*
Je m’en prends à mon cœur je m’en prends à mon corps
Mais je ne fais pas mal à celle que j’adore.
Rien n’est plus clair que l’amour
Gisant dans son illusion
Debout dans sa vérité.
*
Naître voyant chaque soir
Contre le mal dormir sourd
Rêver sans douter de soi.
*
Les pas de plomb des larmes
Sur les rochers et notre joie
Des feuilles vertes dans les bois.
*
Je suis un étrange animal
Mes oreilles te parlent
Ma voix t’écoute et te comprend.
*
Couloir clair-obscur
Être ou rêver d’être
Se survivre ou naître.
*
Le premier jour je t’embrasse
Le lendemain tu me tutoies
Et pour toujours je crois en toi.
*
Je n’ai rien à gagner
Je t’aime trop pour perdre
Je ne joue plus je t’aime.
J’ai rêvé du printemps le printemps a noirci
L’été le fer aussi dans le fruit a noirci
J’aurais pu perdre les couleurs
Qui m’imposaient d’être moi-même et ce que j’aime
J’aurais pu perdre le pouvoir
De savoir le poids du blanc et du noir
Une fleur étincelle au milieu du printemps
Rouille la pluie la ronge et je passe à l’été
Les moissons sont brûlées à nous le renouveau
Fleur et fruit de mémoire ont force d’avenir
J’ai su passer trois ans et des milliers d’années
À vivre comme vivent les soleils couchés.
Maintenant je me lève car tu t’es levée
Rose du feu sur les cendres du feu
Et mon amour est bien plus grand que mon passé.
Être comme un enfant tu es comme un enfant
Grande comme un enfant quand tu es raisonnable
Quand tu fais la grande personne
Quand tu fais tomber le ciel sur la table
D’un geste mieux réglé que celui des saisons
Quand prête à tout créer tu choisis d’imiter
Quand tu me fais rire d’un rire
D’amoureuse pitié.
*
Tu es venue à moi par les voies de l’enfance
Sérieuse comme une herbe et comme une hirondelle
La mi-nuit des matins était tachée d’aurore
Le crépuscule ouvrait avec prudence l’ombre
Pour en chasser les bêtes noires.
*
Je suis entré dans la ronde
De ta vie malgré le temps
Je t’accorde le temps de vivre
Et le temps d’avoir vécu
Tu m’accordes le temps d’être
Avec toi comme un enfant.
*
Que l’hiver aiguise les branches
Pour agripper la mort rêvée
Que des moissons épouvantables
Encombrent la sève des fleuves
Que le gel raisonne la chair
Tu ne me promets que jeunesse.
*
Et je sais que je dois t’aimer
L’hiver se croise avec l’été
La feuille morte tombe dans un bain d’azur.
*
Et je respire et je me double
Du vent qui va vers le printemps
Déserts et ruines mauvais temps
Purifient l’aube des récoltes.
*
Je t’aime j’ai dans les vertèbres
L’émancipation des ténèbres.
De la douleur du fond des larmes
Surgissait un oiseau sans ailes
Puis sortait une barque vide.
*
D’une main tenant une main confiante
Tombaient des semences
Rayonnait une seule fleur.
*
Le sang dessinait un cœur
Le cœur dessinait ton corps
Ton corps épousait mon cœur.
*
Il y a des mendiants des plaintes des aumônes
Il y a des secrets des mensonges des traîtres
Et plus près et plus loin il y a nos aveux.
*
Un tout petit visage au sommet d’un grand corps
Un corps réduit à rien par un ardent visage
L’amour est plus léger que le désir d’aimer.
*
Donner à boire et donner à manger
À ces enfants que nous imaginons
Qui n’ont que nous comme fortune.
*
Quand le soleil l’amour équilibre nos armes
Nous pouvons nous voir vivre
Notre sève s’enflamme dans notre miroir.
Il faudra se lever demain matin très tôt
Dans le noir sous le coup d’un dégoût enfantin
À l’heure noire se lever pour y voir clair.
*
Tu fuis contre le vent la jupe ramassée
Les cheveux en déroute sous la pluie furieuse
Le ciel est inondé la terre est détrempée.
*
Découverte d’un désert
Où la lumière est timide.
*
Et l’horizon fuit avec toi contre le vent
Fuit avec moi nous enfermant.
*
Aller sans fin c’est aller loin
Il pleut sans fin il fera beau bientôt
*
Nous sommes bien venus de plus loin l’un vers l’autre
Sans grand espoir de grand soleil et de pain chaud
Mais pourtant le flot des moissons brûlait le mauvais temps.
*
Une seule goutte d’eau
Multipliait ses halos
Dans l’anneau d’une alliance.
La ruche de ta chair sous l’unique soleil
Dora d’unique miel mon ciel qui s’éveillait.
*
Une femme c’est toi
Un amoureux c’est moi
*
Par la caresse nous sortons de notre enfance
Mais un seul mot d’amour et c’est notre naissance.
*
Un baiser calme dans la nuit
Les plus lourdes ombres s’enfuient.
*
Même sommeil même réveil
Nous partageons nos rêves et notre soleil.
*
Diverses douceurs diverses couleurs
Tu ne m’es jamais étranger mon cœur
*
Parle je suis l’écho de tout ce que tu dis
Tout en haut de mon mur tu retrouves ton nid.
LA PETITE ENFANCE DE DOMINIQUE
En ce temps divisé par l’orage et l’espoir
Mauvais temps et printemps
J’écrivis ce poème pour me concilier
Les formes de l’amour les formes de la vie.
La nuit et la peur de la nuit toutes les flammes de la nuit
Les interdits les crocs montrés et les griffes sorties
Les couleurs vagues la glace qui transpire le satin éraillé
Elle n’était pas née
Le paysage se fermait comme un caillou
Les hommes s’éveillaient fatigués sans mémoire
La fumée de leurs rêves empestait l’aurore
Elle n’était pas née
Nul ne la connaissait
Pudeur était soûle souillée
Richesse adorait la bêtise
La beauté la pitié abreuvaient des charniers somptueux
Elle n’était pas née
Nul ne la connaissait
Ses yeux étaient fermés
La chair rauque tremblait dans le froid silencieux
Et pour se prolonger le chagrin raisonnait
Des veines de la nuit surgissait une honte insoluble
Elle n’était pas née
Nul ne la connaissait
Ses yeux étaient fermés
Mais elle était déjà debout contre la mort contre la nuit.
Celle qui s’est donnée
Douce comme dans l’herbe
L’œil humble d’une source
Celle qui s’est donnée
Plus ferme que pensée
Luttant pour exister
Plus dure que la vie
Entremêlée d’espoir
Graine des fleurs fanées
Celle qui s’est donnée
À partir d’elle tout se donne
Dans la nature et dans l’homme
Tout se donne en silence
En gestes en paroles
Je dessine une femme
Une mère accordée
Au grand jour au passé
Et jusqu’à son déclin
Jusqu’à son renouveau
Je la vois avec ses défauts
Limpide comme un champ de blé
Elle efface le froid
Jeunesse monte dans la terre
Nulle fleur n’est sans racines
L’enfant tient au sein de sa mère.
Et la mère devint tout entière et sans honte
Pareille à un anneau
Comblé de chair
Pareille à la clairière idéale à l’oasis de la forêt
L’horizon de verdure entourant un seul fruit
Un anneau elle était pareille à un anneau
Anneau du cœur du corps de l’œil et de la main
Du ventre et de la lune pâle de midi
Le sang humain en elle colorait le monde
Elle devint le prisme et sa voix retentit
Des ailes étendues irisèrent ses rires
Son chant sonna très haut l’évidence et l’exemple
Elle nomma d’emblée toute forme avouée
La courbe de ses bras développa l’étreinte
Et sa bouche enfantine abolit l’ignorance
Le dos droit et les hanches figurant le socle
Assise elle était sage et parlait de construire
Debout elle semblait anéantir le vide
Ses prunelles lavées par la lumière unie
Repeuplaient le désert d’insectes et d’oiseaux
D’insectes et d’oiseaux d’écureuils et de singes
De tous les animaux aériens distrayants
Et d’enfants turbulents échappés à leur geôle
Debout elle avait l’air de composer les jeux
Qui prennent pour pain blanc la merveille des sens
Figurant sur deux bouches des baisers égaux
Elle accordait son cœur au temps qui se dépasse
Elle ne voulait pas joindre vivre et mourir
Elle répétait vivre et brisait les barrières
Elle était trop rapide pour ne pas durer
Dans son orbe brillaient le soc de la charrue
La semence levée et le bloc des moissons
Ses nuages de nuit éclataient de pluie tiède
Un enfant s’allumait dans le flot de son sang
Sa transparence établissait la ressemblance.
Il y avait déjà lisses d’aurore
Des fleurs pour l’éclairer
Il y avait déjà des bourgeons sur les branches
Les rires de la noce avaient passé l’hiver
Il y avait les yeux d’une enfant de vingt ans
Robuste de ses rêves
Et pour demain un autre enfant aussi confiant.
Alliance était raison féconde
Et raison des moins forts et raison de lutter
Pour régner contre le malheur
Il suffit d’avancer pour vivre
D’aller droit devant soi
Vers tout ce que l’on aime
Devant soi la route est légère
Et s’ouvre sur tous les rivages
Derrière il n’y a que des chaînes
La caresse est comme une rose
Qui renforce la nacre d’un midi très chaud
Présence à tout jamais
Rien ne se fait amour qui ne soit d’avenir
La plante lente et sombre qui conquiert le jour
N’a pas d’autre sommet que celui de l’été
Nourri de l’infini des graines sans répit
Qui subliment le joug du trésor de la vie.
Terre il fait clair au son d’un jour parfait
Et la passion prend un nouveau visage
Le ventre obscur s’entrouvre à la lumière
La plaine se dévêt un sentier de forêt
Dévide son fuseau sous les pas du soleil
Un enfant vient de naître l’ombre d’un oiseau
Pèse plus lourd que lui sur la terre géante
Il va d’une heure à l’autre avec tranquillité
Le beau temps le pénètre de ses cloches d’or
La cruche de la lune rafraîchit ses moelles
Au golfe du berceau il se noue et s’endort
Et dans les lourds sillons des rêves il confond
Ce qu’il ne peut pas être avec ce qu’il sera
Seul le fouet de la faim l’éveille et le tourmente
Il n’aime pas sa faim mais il aime sa mère
Il aime il est nourri de sa nécessité
Vivre s’entend partout de la même manière
Il faut aimer pour vivre il faut être nourri
De son désir et du plaisir d’être nourri
L’enfant-reflet anime un amour réciproque.
Une perle un amas de sèves conjuguées
Dans un coin sombre où gît l’enfant d’amours banale
Palme de l’avenir couronne non coupable
Un enfant la sortie du dédale de l’âge
Tendre passage du ciel vert dans le feuillage des étoiles
L’herbe fuit sous le vent le printemps s’abandonne
Et dans les mains d’été la mort met ses frissons
Mais l’enfant nouveau-né nie le cours des saisons
Il rayonne il demeure aux portes de la vie
Feu liquide déluge du désir de vivre
Toujours le même enfant immortel éternel
À l’horizon de l’homme même éclat solaire
Et la mousse et la rouille et le cœur sec d’hiver
S’attendrissent fleurissent comme une promesse
Jeunesse ne vient pas au monde elle est constamment de ce monde
Un tout petit enfant un matin d’exception
Fructifiant au ras du sol
Une cendre rougeoyant
Un dimanche visible
Une vague réduite à une goutte d’eau
Une lampe en plein jour.
Mes souvenirs vont au cœur loin
De chaque enfant inexpressif
Presque gratuit presque innocent
Un enfant à ses premiers jours
Brin d’herbe à peine séparé
Des grandes marées du printemps
Un enfant grand comme un baiser
Futur pour un enfant futur
Première extase du soleil
Brûlant les glaces de rosée
Première soif illuminée
Un enfant immobile et pourtant si agile
Que la nature prend son essor avec lui
La terre est à ses pieds.
J’ai regardé devant moi
Dans la foule je t’ai vue
Parmi les blés je t’ai vue
Sous un arbre je t’ai vue
Au bout de tous mes voyages
Au fond de tous mes tourments
Au tournant de tous les rires
Sortant de l’eau et du feu
L’été l’hiver je t’ai vue
Dans ma maison je t’ai vue
Entre mes bras je t’ai vue
Dans mes rêves je t’ai vue
Je ne te quitterai plus.
Il y a sur la plage quelques flaques d’eau
Il y a dans les bois des arbres fous d’oiseaux
La neige fond dans la montagne
Les branches des pommiers brillent de tant de fleurs
Que le pâle soleil recule
C’est par un soir d’hiver dans un monde très dur
Que je vis ce printemps près de toi l’innocente
Il n’y a pas de nuit pour nous
Rien de ce qui périt n’a de prise sur toi
Et tu ne veux pas avoir froid
Notre printemps est un printemps qui a raison.
Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues
Je t’aime pour tous les temps où je n’ai pas vécu
Pour l’odeur du grand large et l’odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs
Pour les animaux purs que l’homme n’effraie pas
Je t’aime pour aimer
Je t’aime pour toutes les femmes que je n’aime pas
Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien qu’une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd’hui
Il y a eu toutes ces morts que j’ai franchies sur de la paille
Je n’ai pas pu percer le mur de mon miroir
Il m’a fallu apprendre mot par mot la vie
Comme on oublie
Je t’aime pour ta sagesse qui n’est pas la mienne
Pour la santé
Je t’aime contre tout ce qui n’est qu’illusion
Pour ce cœur immortel que je ne détiens pas
Tu crois être le doute et tu n’es que raison
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi.
Si je te parle c’est pour mieux t’entendre
Si je t’entends je suis sûr de comprendre
Si tu souris c’est pour mieux m’envahir
Si tu souris je vois le monde entier
Si je t’étreins c’est pour me continuer
Si je te quitte nous nous souviendrons
Et nous quittant nous nous retrouverons.
Nous deux nous tenant par la main
Nous nous croyons partout chez nous
Sous l’arbre doux sous le ciel noir
Sous tous les toits au coin du feu
Dans la rue vide en plein soleil
Dans les yeux vagues de la foule
Auprès des sages et des fous
Parmi les enfants et les grands
L’amour n’a rien de mystérieux
Nous sommes l’évidence même
Les amoureux se croient chez nous.
J’ai cru pouvoir briser la profondeur l’immensité
Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho
Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges
Comme un mort raisonnable qui a su mourir
Un mort non couronné sinon de son néant
Je me suis étendu sur les vagues absurdes
Du poison absorbé par amour de la cendre
La solitude m’a semblé plus vive que le sang
Je voulais désunir la vie
Je voulais partager la mort avec la mort
Rendre mon cœur au vide et le vide à la vie
Tout effacer qu’il n’y ait rien ni vitre ni buée
Ni rien devant ni rien derrière rien entier
J’avais éliminé le glaçon des mains jointes
J’avais éliminé l’hivernale ossature
Du vœu de vivre qui s’annule.
*
Tu es venue le feu s’est alors ranimé
L’ombre a cédé le froid d’en bas s’est étoilé
Et la terre s’est recouverte
De ta chair claire et je me suis senti léger
Tu es venue la solitude était vaincue
J’avais un guide sur la terre je savais
Me diriger je me savais démesuré
J’avançais je gagnais de l’espace et du temps
’allais vers toi j’allais sans fin vers la lumière
La vie avait un corps l’espoir tendait sa voile
Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit
Promettait à l’aurore des regards confiants
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard
Ta bouche était mouillée des premières rosées
Le repos ébloui remplaçait la fatigue.
Et j’adorais l’amour comme à mes premiers jours.
*
Les champs sont labourés les usines rayonnent
Et le blé fait son nid dans une houle énorme
La moisson la vendange ont des témoins sans nombre
Rien n’est simple ni singulier
La mer est dans les yeux du ciel ou de la nuit
La forêt donne aux arbres la sécurité
Et les murs des maisons ont une peau commune
Et les routes toujours se croisent.
Les hommes sont faits pour s’entendre
Pour se comprendre pour s’aimer
Ont des enfants qui deviendront pères des hommes
Ont des enfants sans feu ni lieu
Qui réinventeront les hommes
Et la nature et leur patrie
Celle de tous les hommes
Celle de tous les temps.
Dans l’amour la vie a encore
L’eau pure de ses yeux d’enfant
Qui s’ouvre sans savoir comment
Sa bouche est encore une fleur
Dans l’amour la vie a encore
Ses mains agrippantes d’enfant
Ses pieds partent de la lumière
Et ils s’en vont vers la lumière
Dans l’amour la vie a toujours
Un cœur léger et renaissant
Rien n’y pourra jamais finir
Demain s’y allège d’hier.
Les jeux de ces curieux enfants qui sont les nôtres
Jeux simples qui leur font les yeux émerveillés
Pleins d’une fièvre qui les rapproche et les éloigne
Du monde où nous rêvons de faire place aux autres
Les jeux d’azur et de nuages
De gentillesses et de courses à la mesure d’un cœur futur
Qui ne sera jamais coupable
Les yeux de ces enfants qui sont nos yeux anciens
Nous eûmes plus de charmes que jamais les fées.
J’aime les bêtes c’est Maïakowski
Qui dit j’aime les bêtes et il a aussitôt envie
De le prouver il leur sourit et il les voit répondre
Nous avions une chienne elle était un peu folle
La tête un peu trop noire pour un corps trop gris
Il a fallu la tuer j’entends car c’est la chasse
À tout moment le coup de feu qui la consume
La source de la vie se courbe sur sa fin
Nous nous courbons chaque jour un peu plus
Sur notre chienne absente notre chienne exigeante.
La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager.
Mes sommets étaient à ma taille
J’ai roulé dans tous mes ravins
Et je suis bien certain que ma vie est banale
Mes amours ont poussé dans un jardin commun
Mes vérités et mes erreurs
J’ai pu les peser comme on pèse
Le blé qui double le soleil
Ou bien celui qui manque aux granges
J’ai donné à ma soif l’ombre d’un gouffre lourd
J’ai donné à ma joie de comprendre la forme
D’une jarre parfaite.
J’ai rêvé d’une grande route
Où tu étais seule à passer
L’oiseau blanchi par la rosée
S’éveillait à tes premiers pas
Dans la forêt verte et mouillée
S’ouvraient la bouche et l’œil de l’aube
Toutes les feuilles s’allumaient
Tu commençais une journée
Rien ne devait faire long feu
Ce jour brillait comme tant d’autres
Je dormais j’étais né d’hier
Toi tu t’étais levée très tôt
Pour matinale m’accorder
Une perpétuelle enfance.
Je te regarde et le soleil grandit
Il va bientôt couvrir notre journée
Éveille-toi cœur et couleur en tête
Pour dissiper les malheurs de la nuit
Je te regarde tout est nu
Dehors les barques ont peu d’eau
Il faut tout dire en peu de mots
La mer est froide sans amour
C’est le commencement du monde
Les vagues vont bercer le ciel
Toi tu te berces dans tes draps
Tu tires le sommeil à toi
Éveille-toi que je suive tes traces
J’ai un corps pour t’attendre pour te suivre
Des portes de l’aube aux portes de l’ombre
Un corps pour passer ma vie à t’aimer
Un cœur pour rêver hors de ton sommeil.
FIN
Date de dernière mise à jour : 25/08/2023