BIBLIOBUS Littérature française

Le Phénix (1951

 

 

  • LE PHÉNIX
  • DOMINIQUE AUJOURD’HUI PRÉSENTE
  • ÉCRIRE DESSINER INSCRIRE
  • LA PETITE ENFANCE DE DOMINIQUE
  • AIR VIF
  • PRINTEMPS
  • JE T’AIME
  • CERTITUDE
  • NOUS DEUX
  • LA MORT L’AMOUR LA VIE
  • CHANSON
  • IL FAUT BIEN Y CROIRE
  • D’UNE BÊTE
  • ET UN SOURIRE
  • SÉRÉNITÉ
  • MATINES
  • MARINE

 

Le Phénix, c’est le couple – Adam et Ève – qui est et n’est pas le premier.

LE PHÉNIX

 

Je suis le dernier sur ta route

Le dernier printemps la dernière neige

Le dernier combat pour ne pas mourir

 

Et nous voici plus bas et plus haut que jamais.

 

*

 

Il y a de tout dans notre bûcher

Des pommes de pin des sarments

Mais aussi des fleurs plus fortes que l’eau

 

De la boue et de la rosée.

 

*

 

La flamme est sous nos pieds la flamme nous couronne

À nos pieds des insectes des oiseaux des hommes

Vont s’envoler

 

Ceux qui volent vont se poser

 

*

 

Le ciel est clair la terre est sombre

Mais la fumée s’en va au ciel

Le ciel a perdu tous ses feux.

 

La flamme est restée sur la terre

 

*

 

La flamme est la nuée du cœur

Et toutes les branches du sang

Elle chante notre air

 

Elle dissipe la buée de notre hiver.

 

*

 

Nocturne et en horreur a flambé le chagrin

Les cendres ont fleuri en joie et en beauté

Nous tournons toujours le dos au couchant

 

Tout a la couleur de l’aurore.

DOMINIQUE AUJOURD’HUI PRÉSENTE

 

Toutes les choses au hasard

Tous les mots dits sans y penser

Et qui sont pris comme ils sont dits

Et nul n’y perd et nul n’y gagne

 

Les sentiments à la dérive

Et l’effort le plus quotidien

Le vague souvenir des songes

L’avenir en butte à demain

 

Les mots coincés dans un enfer

De roues usées de lignes mortes

Les choses grises et semblables

Les hommes tournant dans le vent

 

Muscles voyants squelette intime

Et la vapeur des sentiments

Le cœur réglé comme un cercueil

Les espoirs réduits à néant

 

*

 

Tu es venue l’après-midi crevait la terre

Et la terre et les hommes ont changé de sens

Et je me suis trouvé réglé comme un aimant

Réglé comme une vigne

 

À l’infini notre chemin le but des autres

Des abeilles volaient futures de leur miel

Et j’ai multiplié mes désirs de lumière

Pour en comprendre la raison

 

Tu es venue j’étais très triste j’ai dit oui

C’est à partir de toi que j’ai dit oui au monde

Petite fille je t’aimais comme un garçon

Ne peut aimer que son enfance

 

Avec la force d’un passé très loin très pur

Avec le feu d’une chanson sans fausse note

La pierre intacte et le courant furtif du sang

Dans la gorge et les lèvres

 

Tu es venue le vœu de vivre avait un corps

Il creusait la nuit lourde il caressait les ombres

Pour dissoudre leur boue et fondre leurs glaçons

Comme un œil qui voit clair

 

L’herbe fine figeait le vol des hirondelles

Et l’automne pesait dans le sac des ténèbres

Tu es venue les rives libéraient le fleuve

Pour le mener jusqu’à la mer

 

Tu es venue plus haute au fond de ma douleur

Que l’arbre séparé de la forêt sans air

Et le cri du chagrin du doute s’est brisé

Devant le jour de notre amour

 

Gloire l’ombre et la honte ont cédé au soleil

Le poids s’est allégé le fardeau s’est fait rire

Gloire le souterrain est devenu sommet

La misère s’est effacée

 

La place d’habitude où je m’abêtissais

Le couloir sans réveil l’impasse et la fatigue

Se sont mis à briller d’un feu battant des mains

L’éternité s’est dépliée

 

Ô toi mon agitée et ma calme pensée

Mon silence sonore et mon écho secret

Mon aveugle voyante et ma vue dépassée

Je n’ai plus eu que ta présence

 

Tu m’as ouvert de ta confiance.

ÉCRIRE DESSINER INSCRIRE

 

Sept fois la réalité

Sept fois sept fois la vérité.

I
 

Nous étions deux et nous venions de vivre

Une journée d’amour ensoleillé

Notre soleil nous l’embrassions ensemble

La vie entière nous était visible

 

Quand la nuit vint nous restâmes sans ombre

À polir l’or de notre sang commun

Nous étions deux au cœur du seul trésor

Dont la lumière ne s’endort jamais.

 

*

 

Le brouillard mêle sa lumière

À la verdure des ténèbres

Toi tu mêles ta chair tiède

À mes désirs acharnés

 

*

 

Tu te couvres tu t’éclaires

Tu t’endors et tu t’éveilles

Au long des saisons fidèles

 

Tu bâtis une maison

Et ton cœur la mûrit

Comme un lit comme un fruit

 

Et ton corps s’y réfugie

Et tes rêves s’y prolongent

C’est la maison des jours tendres

 

Et des baisers de la nuit.

 

*

 

Les flots de la rivière

La croissance du ciel

Le vent la feuille et l’aile

Le regard la parole

Et le fait que je t’aime

Tout est en mouvement.

 

*

 

Une bonne nouvelle

Arrive ce matin

Tu as rêvé de moi.

 

*

 

Je voudrais associer notre amour solitaire

Aux lieux les plus peuplés du monde

Qu’il puisse laisser de la place

À ceux qui s’aiment comme nous

Ils sont nombreux ils sont trop peu.

 

*

 

Je m’en prends à mon cœur je m’en prends à mon corps

Mais je ne fais pas mal à celle que j’adore.

 

II
 

Rien n’est plus clair que l’amour

Gisant dans son illusion

Debout dans sa vérité.

 

*

 

Naître voyant chaque soir

Contre le mal dormir sourd

Rêver sans douter de soi.

 

*

 

Les pas de plomb des larmes

Sur les rochers et notre joie

Des feuilles vertes dans les bois.

 

*

 

Je suis un étrange animal

Mes oreilles te parlent

Ma voix t’écoute et te comprend.

 

*

 

Couloir clair-obscur

Être ou rêver d’être

Se survivre ou naître.

 

*

 

Le premier jour je t’embrasse

Le lendemain tu me tutoies

Et pour toujours je crois en toi.

 

*

 

Je n’ai rien à gagner

Je t’aime trop pour perdre

Je ne joue plus je t’aime.

 

III
 

J’ai rêvé du printemps le printemps a noirci

L’été le fer aussi dans le fruit a noirci

 

J’aurais pu perdre les couleurs

Qui m’imposaient d’être moi-même et ce que j’aime

 

J’aurais pu perdre le pouvoir

De savoir le poids du blanc et du noir

 

Une fleur étincelle au milieu du printemps

Rouille la pluie la ronge et je passe à l’été

 

Les moissons sont brûlées à nous le renouveau

Fleur et fruit de mémoire ont force d’avenir

 

J’ai su passer trois ans et des milliers d’années

À vivre comme vivent les soleils couchés.

 

Maintenant je me lève car tu t’es levée

Rose du feu sur les cendres du feu

Et mon amour est bien plus grand que mon passé.

 

IV
 

Être comme un enfant tu es comme un enfant

Grande comme un enfant quand tu es raisonnable

Quand tu fais la grande personne

Quand tu fais tomber le ciel sur la table

D’un geste mieux réglé que celui des saisons

Quand prête à tout créer tu choisis d’imiter

 

Quand tu me fais rire d’un rire

D’amoureuse pitié.

 

*

 

Tu es venue à moi par les voies de l’enfance

Sérieuse comme une herbe et comme une hirondelle

 

La mi-nuit des matins était tachée d’aurore

Le crépuscule ouvrait avec prudence l’ombre

 

Pour en chasser les bêtes noires.

 

*

 

Je suis entré dans la ronde

De ta vie malgré le temps

 

Je t’accorde le temps de vivre

Et le temps d’avoir vécu

 

Tu m’accordes le temps d’être

Avec toi comme un enfant.

 

*

 

Que l’hiver aiguise les branches

Pour agripper la mort rêvée

Que des moissons épouvantables

Encombrent la sève des fleuves

Que le gel raisonne la chair

Tu ne me promets que jeunesse.

 

*

 

Et je sais que je dois t’aimer

L’hiver se croise avec l’été

La feuille morte tombe dans un bain d’azur.

 

*

 

Et je respire et je me double

Du vent qui va vers le printemps

Déserts et ruines mauvais temps

Purifient l’aube des récoltes.

 

*

 

Je t’aime j’ai dans les vertèbres

L’émancipation des ténèbres.

 

V
 

De la douleur du fond des larmes

Surgissait un oiseau sans ailes

Puis sortait une barque vide.

 

*

 

D’une main tenant une main confiante

Tombaient des semences

Rayonnait une seule fleur.

 

*

 

Le sang dessinait un cœur

Le cœur dessinait ton corps

Ton corps épousait mon cœur.

 

*

 

Il y a des mendiants des plaintes des aumônes

Il y a des secrets des mensonges des traîtres

Et plus près et plus loin il y a nos aveux.

 

*

 

Un tout petit visage au sommet d’un grand corps

Un corps réduit à rien par un ardent visage

L’amour est plus léger que le désir d’aimer.

 

*

 

Donner à boire et donner à manger

À ces enfants que nous imaginons

Qui n’ont que nous comme fortune.

 

*

 

Quand le soleil l’amour équilibre nos armes

Nous pouvons nous voir vivre

Notre sève s’enflamme dans notre miroir.

 

VI

Il faudra se lever demain matin très tôt

Dans le noir sous le coup d’un dégoût enfantin

 

À l’heure noire se lever pour y voir clair.

 

*

 

Tu fuis contre le vent la jupe ramassée

Les cheveux en déroute sous la pluie furieuse

 

Le ciel est inondé la terre est détrempée.

 

*

 

Découverte d’un désert

Où la lumière est timide.

 

*

 

Et l’horizon fuit avec toi contre le vent

Fuit avec moi nous enfermant.

 

*

 

Aller sans fin c’est aller loin

Il pleut sans fin il fera beau bientôt

 

*

 

Nous sommes bien venus de plus loin l’un vers l’autre

Sans grand espoir de grand soleil et de pain chaud

 

Mais pourtant le flot des moissons brûlait le mauvais temps.

 

*

 

Une seule goutte d’eau

Multipliait ses halos

 

Dans l’anneau d’une alliance.

 

VII
 

La ruche de ta chair sous l’unique soleil

Dora d’unique miel mon ciel qui s’éveillait.

 

*

 

Une femme c’est toi

Un amoureux c’est moi

 

*

 

Par la caresse nous sortons de notre enfance

Mais un seul mot d’amour et c’est notre naissance.

 

*

 

Un baiser calme dans la nuit

Les plus lourdes ombres s’enfuient.

 

*

 

Même sommeil même réveil

Nous partageons nos rêves et notre soleil.

 

*

 

Diverses douceurs diverses couleurs

Tu ne m’es jamais étranger mon cœur

 

*

 

Parle je suis l’écho de tout ce que tu dis

Tout en haut de mon mur tu retrouves ton nid.

LA PETITE ENFANCE DE DOMINIQUE

 

En ce temps divisé par l’orage et l’espoir

Mauvais temps et printemps

J’écrivis ce poème pour me concilier

Les formes de l’amour les formes de la vie.

 

I
 

La nuit et la peur de la nuit toutes les flammes de la nuit

Les interdits les crocs montrés et les griffes sorties

Les couleurs vagues la glace qui transpire le satin éraillé

Elle n’était pas née

 

Le paysage se fermait comme un caillou

Les hommes s’éveillaient fatigués sans mémoire

La fumée de leurs rêves empestait l’aurore

Elle n’était pas née

Nul ne la connaissait

 

Pudeur était soûle souillée

Richesse adorait la bêtise

La beauté la pitié abreuvaient des charniers somptueux

Elle n’était pas née

Nul ne la connaissait

Ses yeux étaient fermés

 

La chair rauque tremblait dans le froid silencieux

Et pour se prolonger le chagrin raisonnait

Des veines de la nuit surgissait une honte insoluble

Elle n’était pas née

Nul ne la connaissait

Ses yeux étaient fermés

Mais elle était déjà debout contre la mort contre la nuit.

 

II
 

Celle qui s’est donnée

Douce comme dans l’herbe

L’œil humble d’une source

 

Celle qui s’est donnée

Plus ferme que pensée

Luttant pour exister

 

Plus dure que la vie

Entremêlée d’espoir

Graine des fleurs fanées

 

Celle qui s’est donnée

À partir d’elle tout se donne

Dans la nature et dans l’homme

 

Tout se donne en silence

En gestes en paroles

Je dessine une femme

 

Une mère accordée

Au grand jour au passé

Et jusqu’à son déclin

 

Jusqu’à son renouveau

Je la vois avec ses défauts

Limpide comme un champ de blé

 

Elle efface le froid

Jeunesse monte dans la terre

Nulle fleur n’est sans racines

 

L’enfant tient au sein de sa mère.

 

III
 

Et la mère devint tout entière et sans honte

Pareille à un anneau

Comblé de chair

Pareille à la clairière idéale à l’oasis de la forêt

L’horizon de verdure entourant un seul fruit

 

Un anneau elle était pareille à un anneau

Anneau du cœur du corps de l’œil et de la main

Du ventre et de la lune pâle de midi

Le sang humain en elle colorait le monde

Elle devint le prisme et sa voix retentit

 

Des ailes étendues irisèrent ses rires

Son chant sonna très haut l’évidence et l’exemple

Elle nomma d’emblée toute forme avouée

La courbe de ses bras développa l’étreinte

Et sa bouche enfantine abolit l’ignorance

 

Le dos droit et les hanches figurant le socle

Assise elle était sage et parlait de construire

Debout elle semblait anéantir le vide

Ses prunelles lavées par la lumière unie

Repeuplaient le désert d’insectes et d’oiseaux

 

D’insectes et d’oiseaux d’écureuils et de singes

De tous les animaux aériens distrayants

Et d’enfants turbulents échappés à leur geôle

Debout elle avait l’air de composer les jeux

Qui prennent pour pain blanc la merveille des sens

 

Figurant sur deux bouches des baisers égaux

Elle accordait son cœur au temps qui se dépasse

Elle ne voulait pas joindre vivre et mourir

Elle répétait vivre et brisait les barrières

Elle était trop rapide pour ne pas durer

 

Dans son orbe brillaient le soc de la charrue

La semence levée et le bloc des moissons

Ses nuages de nuit éclataient de pluie tiède

Un enfant s’allumait dans le flot de son sang

Sa transparence établissait la ressemblance.

 

IV
 

Il y avait déjà lisses d’aurore

Des fleurs pour l’éclairer

Il y avait déjà des bourgeons sur les branches

Les rires de la noce avaient passé l’hiver

 

Il y avait les yeux d’une enfant de vingt ans

Robuste de ses rêves

Et pour demain un autre enfant aussi confiant.

 

Alliance était raison féconde

Et raison des moins forts et raison de lutter

Pour régner contre le malheur

 

Il suffit d’avancer pour vivre

D’aller droit devant soi

Vers tout ce que l’on aime

 

Devant soi la route est légère

Et s’ouvre sur tous les rivages

Derrière il n’y a que des chaînes

 

La caresse est comme une rose

Qui renforce la nacre d’un midi très chaud

Présence à tout jamais

Rien ne se fait amour qui ne soit d’avenir

 

La plante lente et sombre qui conquiert le jour

N’a pas d’autre sommet que celui de l’été

Nourri de l’infini des graines sans répit

Qui subliment le joug du trésor de la vie.

 

V
 

Terre il fait clair au son d’un jour parfait

Et la passion prend un nouveau visage

Le ventre obscur s’entrouvre à la lumière

La plaine se dévêt un sentier de forêt

Dévide son fuseau sous les pas du soleil

 

Un enfant vient de naître l’ombre d’un oiseau

Pèse plus lourd que lui sur la terre géante

Il va d’une heure à l’autre avec tranquillité

Le beau temps le pénètre de ses cloches d’or

La cruche de la lune rafraîchit ses moelles

 

Au golfe du berceau il se noue et s’endort

Et dans les lourds sillons des rêves il confond

 Ce qu’il ne peut pas être avec ce qu’il sera

Seul le fouet de la faim l’éveille et le tourmente

Il n’aime pas sa faim mais il aime sa mère

 

Il aime il est nourri de sa nécessité

Vivre s’entend partout de la même manière

Il faut aimer pour vivre il faut être nourri

De son désir et du plaisir d’être nourri

L’enfant-reflet anime un amour réciproque.

 

VI
 

Une perle un amas de sèves conjuguées

Dans un coin sombre où gît l’enfant d’amours banale

Palme de l’avenir couronne non coupable

Un enfant la sortie du dédale de l’âge

Tendre passage du ciel vert dans le feuillage des étoiles

 

L’herbe fuit sous le vent le printemps s’abandonne

Et dans les mains d’été la mort met ses frissons

Mais l’enfant nouveau-né nie le cours des saisons

Il rayonne il demeure aux portes de la vie

Feu liquide déluge du désir de vivre

 

Toujours le même enfant immortel éternel

À l’horizon de l’homme même éclat solaire

Et la mousse et la rouille et le cœur sec d’hiver

S’attendrissent fleurissent comme une promesse

Jeunesse ne vient pas au monde elle est constamment de ce monde

 

VII
 

Un tout petit enfant un matin d’exception

Fructifiant au ras du sol

Une cendre rougeoyant

Un dimanche visible

Une vague réduite à une goutte d’eau

 

Une lampe en plein jour.

 

VIII
 

Mes souvenirs vont au cœur loin

De chaque enfant inexpressif

Presque gratuit presque innocent

 

Un enfant à ses premiers jours

Brin d’herbe à peine séparé

Des grandes marées du printemps

 

Un enfant grand comme un baiser

Futur pour un enfant futur

 

Première extase du soleil

Brûlant les glaces de rosée

Première soif illuminée

 

Un enfant immobile et pourtant si agile

Que la nature prend son essor avec lui

 

La terre est à ses pieds.

AIR VIF

 

J’ai regardé devant moi

Dans la foule je t’ai vue

Parmi les blés je t’ai vue

Sous un arbre je t’ai vue

 

Au bout de tous mes voyages

Au fond de tous mes tourments

Au tournant de tous les rires

Sortant de l’eau et du feu

 

L’été l’hiver je t’ai vue

Dans ma maison je t’ai vue

Entre mes bras je t’ai vue

Dans mes rêves je t’ai vue

 

Je ne te quitterai plus.

PRINTEMPS

 

Il y a sur la plage quelques flaques d’eau

Il y a dans les bois des arbres fous d’oiseaux

La neige fond dans la montagne

Les branches des pommiers brillent de tant de fleurs

Que le pâle soleil recule

 

C’est par un soir d’hiver dans un monde très dur

Que je vis ce printemps près de toi l’innocente

Il n’y a pas de nuit pour nous

Rien de ce qui périt n’a de prise sur toi

Et tu ne veux pas avoir froid

 

Notre printemps est un printemps qui a raison.

JE T’AIME

 

Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues

Je t’aime pour tous les temps où je n’ai pas vécu

Pour l’odeur du grand large et l’odeur du pain chaud

Pour la neige qui fond pour les premières fleurs

Pour les animaux purs que l’homme n’effraie pas

Je t’aime pour aimer

Je t’aime pour toutes les femmes que je n’aime pas

 

Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu

Sans toi je ne vois rien qu’une étendue déserte

Entre autrefois et aujourd’hui

Il y a eu toutes ces morts que j’ai franchies sur de la paille

Je n’ai pas pu percer le mur de mon miroir

Il m’a fallu apprendre mot par mot la vie

Comme on oublie

 

Je t’aime pour ta sagesse qui n’est pas la mienne

Pour la santé

Je t’aime contre tout ce qui n’est qu’illusion

Pour ce cœur immortel que je ne détiens pas

Tu crois être le doute et tu n’es que raison

Tu es le grand soleil qui me monte à la tête

Quand je suis sûr de moi.

CERTITUDE

 

Si je te parle c’est pour mieux t’entendre

Si je t’entends je suis sûr de comprendre

 

Si tu souris c’est pour mieux m’envahir

Si tu souris je vois le monde entier

 

Si je t’étreins c’est pour me continuer

 

Si je te quitte nous nous souviendrons

Et nous quittant nous nous retrouverons.

NOUS DEUX

 

Nous deux nous tenant par la main

Nous nous croyons partout chez nous

Sous l’arbre doux sous le ciel noir

Sous tous les toits au coin du feu

Dans la rue vide en plein soleil

Dans les yeux vagues de la foule

Auprès des sages et des fous

Parmi les enfants et les grands

L’amour n’a rien de mystérieux

Nous sommes l’évidence même

Les amoureux se croient chez nous.

LA MORT L’AMOUR LA VIE

 

J’ai cru pouvoir briser la profondeur l’immensité

Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho

Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges

Comme un mort raisonnable qui a su mourir

Un mort non couronné sinon de son néant

Je me suis étendu sur les vagues absurdes

Du poison absorbé par amour de la cendre

La solitude m’a semblé plus vive que le sang

 

Je voulais désunir la vie

Je voulais partager la mort avec la mort

Rendre mon cœur au vide et le vide à la vie

Tout effacer qu’il n’y ait rien ni vitre ni buée

Ni rien devant ni rien derrière rien entier

J’avais éliminé le glaçon des mains jointes

J’avais éliminé l’hivernale ossature

Du vœu de vivre qui s’annule.

 

*

 

Tu es venue le feu s’est alors ranimé

L’ombre a cédé le froid d’en bas s’est étoilé

Et la terre s’est recouverte

De ta chair claire et je me suis senti léger

Tu es venue la solitude était vaincue

J’avais un guide sur la terre je savais

Me diriger je me savais démesuré

J’avançais je gagnais de l’espace et du temps

 

’allais vers toi j’allais sans fin vers la lumière

La vie avait un corps l’espoir tendait sa voile

Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit

Promettait à l’aurore des regards confiants

Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard

Ta bouche était mouillée des premières rosées

Le repos ébloui remplaçait la fatigue.

Et j’adorais l’amour comme à mes premiers jours.

 

*

 

Les champs sont labourés les usines rayonnent

Et le blé fait son nid dans une houle énorme

La moisson la vendange ont des témoins sans nombre

Rien n’est simple ni singulier

La mer est dans les yeux du ciel ou de la nuit

La forêt donne aux arbres la sécurité

Et les murs des maisons ont une peau commune

Et les routes toujours se croisent.

 

Les hommes sont faits pour s’entendre

Pour se comprendre pour s’aimer

Ont des enfants qui deviendront pères des hommes

Ont des enfants sans feu ni lieu

Qui réinventeront les hommes

Et la nature et leur patrie

Celle de tous les hommes

Celle de tous les temps.

CHANSON

 

Dans l’amour la vie a encore

L’eau pure de ses yeux d’enfant

Qui s’ouvre sans savoir comment

Sa bouche est encore une fleur

 

Dans l’amour la vie a encore

Ses mains agrippantes d’enfant

Ses pieds partent de la lumière

Et ils s’en vont vers la lumière

 

Dans l’amour la vie a toujours

Un cœur léger et renaissant

Rien n’y pourra jamais finir

Demain s’y allège d’hier.

IL FAUT BIEN Y CROIRE

 

Les jeux de ces curieux enfants qui sont les nôtres

Jeux simples qui leur font les yeux émerveillés

Pleins d’une fièvre qui les rapproche et les éloigne

Du monde où nous rêvons de faire place aux autres

 

Les jeux d’azur et de nuages

De gentillesses et de courses à la mesure d’un cœur futur

Qui ne sera jamais coupable

Les yeux de ces enfants qui sont nos yeux anciens

 

Nous eûmes plus de charmes que jamais les fées.

D’UNE BÊTE

 

J’aime les bêtes c’est Maïakowski

Qui dit j’aime les bêtes et il a aussitôt envie

De le prouver il leur sourit et il les voit répondre

 

Nous avions une chienne elle était un peu folle

La tête un peu trop noire pour un corps trop gris

Il a fallu la tuer j’entends car c’est la chasse

À tout moment le coup de feu qui la consume

 

La source de la vie se courbe sur sa fin

Nous nous courbons chaque jour un peu plus

Sur notre chienne absente notre chienne exigeante.

ET UN SOURIRE

 

La nuit n’est jamais complète

Il y a toujours puisque je le dis

Puisque je l’affirme

Au bout du chagrin une fenêtre ouverte

Une fenêtre éclairée

Il y a toujours un rêve qui veille

Désir à combler faim à satisfaire

Un cœur généreux

Une main tendue une main ouverte

Des yeux attentifs

Une vie la vie à se partager.

SÉRÉNITÉ

 

Mes sommets étaient à ma taille

J’ai roulé dans tous mes ravins

Et je suis bien certain que ma vie est banale

Mes amours ont poussé dans un jardin commun

Mes vérités et mes erreurs

J’ai pu les peser comme on pèse

Le blé qui double le soleil

Ou bien celui qui manque aux granges

J’ai donné à ma soif l’ombre d’un gouffre lourd

J’ai donné à ma joie de comprendre la forme

D’une jarre parfaite.

MATINES

 

J’ai rêvé d’une grande route

Où tu étais seule à passer

L’oiseau blanchi par la rosée

S’éveillait à tes premiers pas

 

Dans la forêt verte et mouillée

S’ouvraient la bouche et l’œil de l’aube

Toutes les feuilles s’allumaient

Tu commençais une journée

 

Rien ne devait faire long feu

Ce jour brillait comme tant d’autres

Je dormais j’étais né d’hier

Toi tu t’étais levée très tôt

 

Pour matinale m’accorder

Une perpétuelle enfance.

MARINE

 

Je te regarde et le soleil grandit

Il va bientôt couvrir notre journée

Éveille-toi cœur et couleur en tête

Pour dissiper les malheurs de la nuit

 

Je te regarde tout est nu

Dehors les barques ont peu d’eau

Il faut tout dire en peu de mots

La mer est froide sans amour

 

C’est le commencement du monde

Les vagues vont bercer le ciel

Toi tu te berces dans tes draps

Tu tires le sommeil à toi

 

Éveille-toi que je suive tes traces

J’ai un corps pour t’attendre pour te suivre

Des portes de l’aube aux portes de l’ombre

Un corps pour passer ma vie à t’aimer

 

Un cœur pour rêver hors de ton sommeil.

FIN

 

Date de dernière mise à jour : 25/08/2023