BIBLIOBUS Littérature française

Livre 32

Révolution de juillet

1. Journée du 26. - 2. Journée du 27 juillet. - 3. Journée militaire du 28 juillet. - 4 Journée civile du 28 juillet. - 5. Journée militaire du 29 juillet. - 6. Journée civile du 29 juillet. - M. Baude, M. de Choiseul, M. de Sémonville, M. de Vitrolles, M. Laffitte et M. Thiers. - 7. J'écris au Roi à Saint-Cloud : sa réponse verbale. - Corps aristocratiques. - Pillage de la maison des missionnaires, rue d'Enfer. - 8. Chambre des députés. - M. de Mortemart. - 9. Course dans Paris. - Le général Dubourg. - Cérémonie funèbre sous les colonnades du Louvre - Les jeunes gens me rapportent à la Chambre des pairs. - 10. Réunion des pairs. - 11. Les républicains. - Les orléanistes. - M. Thiers est envoyé à Neuilly. - Autre convocation des pairs chez le grand référendaire : la lettre m'arrive trop tard. - 12. Saint-Cloud. - Scène : Monsieur le Dauphin et le maréchal de Raguse. - 13. Neuilly. - M. le duc d'Orléans. - Le Raincy. - Le prince vient à Paris. - 14. Une députation de la Chambre élective offre à M. le duc d'Orléans la lieutenance générale du royaume. - Il accepte. - Efforts des républicains. - 15. M. le duc d'Orléans va à l'Hôtel-de-Ville. - 16. Les républicains au Palais-Royal.

 

Chapitre 1

Journée du 26.

Les ordonnances, datées du 25 juillet, furent insérées dans le Moniteur du 26. Le secret en avait été si profondément gardé, que ni le maréchal duc de Raguse, major général de la garde, de service, ni M. Mangin, préfet de police, ne furent mis dans la confidence. Le préfet de la Seine ne connut les ordonnances que par le Moniteur , de même que le sous-secrétaire d'Etat de la guerre ; et néanmoins c'étaient ces divers chefs qui disposaient des différentes forces armées. Le prince de Polignac, chargé par intérim du portefeuille de M. de Bourmont, était si loin de s'occuper de cette minime affaire des ordonnances, qu'il passa la journée du 26 à présider une adjudication au ministère de la guerre.

Le Roi partit pour la chasse le 26, avant que le Moniteur fût arrivé à Saint-Cloud, et il ne revint de Rambouillet qu'à minuit.

Enfin le duc de Raguse reçut le billet de M. de Polignac : " Votre Excellence a connaissance des mesures extraordinaires que le Roi, dans sa sagesse et dans son sentiment d'amour pour son peuple, a jugé nécessaire de prendre pour le maintien des droits de sa couronne et de l'ordre public. Dans ces importantes circonstances, Sa Majesté compte sur votre zèle pour assurer l'ordre et la tranquillité dans toute l'étendue de votre commandement. "

Cette audace des hommes les plus faibles qui furent jamais, contre cette force qui allait broyer un empire, ne s'explique que par une sorte d'hallucination, résultat des conseils d'une misérable coterie que l'on ne trouva plus au moment du danger. Les rédacteurs des journaux, après avoir consulté MM. Dupin, Odilon Barrot, Barthe et Mérilhou, se résolurent de publier leurs feuilles sans autorisation, afin de se faire saisir et de plaider l'illégalité des ordonnances. Ils se réunirent au bureau du National : M. Thiers rédigea une protestation qui fut signée de quarante-quatre rédacteurs, et qui parut, le 27 au matin, dans le National et le Temps .

A la chute du jour quelques députés se réunirent chez M. de Laborde. On convint de se retrouver le lendemain chez M. Casimir Périer. Là parut, pour la première fois, un des trois pouvoirs qui allaient occuper la scène : la monarchie était à la Chambre des députés, l'usurpation au Palais-Royal, la République, à l'Hôtel-de-Ville. Dans la soirée, il se forma des rassemblements au Palais-Royal ; on jeta des pierres à la voiture de M. de Polignac. Le duc de Raguse ayant vu le Roi à Saint-Cloud, à son retour de Rambouillet, le Roi lui demanda des nouvelles de Paris :

" La rente est tombée. - De combien ? " dit le Dauphin. " De trois francs ", répondit le maréchal. " Elle remontera ", repartit le Dauphin ; et chacun s'en alla.

 

Chapitre 2

Journée du 27 juillet.

La journée du 27 commença mal. Le Roi investit du commandement de Paris le duc de Raguse : c'était s'appuyer sur la mauvaise fortune. Le maréchal se vint installer à une heure à l'état-major de la garde, place du Carrousel. M. Mangin envoya saisir les presses du National ; M. Carrel résista ; MM. Mignet et Thiers, croyant la partie perdue, disparurent pendant deux jours : M. Thiers alla se cacher dans la vallée de Montmorency chez une madame de Courchamp, parente des deux MM. Becquet, dont l'un a travaillé au National , et l'autre au Journal des Débats .

Au Temps , la chose prit un caractère plus sérieux : le véritable héros des journalistes est incontestablement M. Coste.

En 1823, M. Coste dirigeait les Tablettes historiques : accusé par ses collaborateurs d'avoir vendu ce journal il se battit et reçut un coup d'épée. M. Coste me fut présenté au ministère des affaires étrangères ; en causant avec lui de la liberté de la presse, je lui dis : " Monsieur, vous savez combien j'aime et respecte cette liberté ; mais comment voulez-vous que je la défende auprès de Louis XVIII, quand vous attaquez tous les jours la royauté et la religion ! Je vous supplie, dans votre intérêt et pour me laisser ma force entière, de ne plus saper des remparts aux trois quarts démolis, et qu'en vérité un homme de courage devrait rougir d'attaquer. Faisons un marché : ne vous en prenez plus à quelques vieillards faibles que le trône et le sanctuaire protègent à peine ; je vous livre en échange ma personne. Attaquez-moi soir et matin ; dites de moi tout ce que vous voudrez, jamais je ne me plaindrai ; je vous saurai gré de votre attaque légitime et constitutionnelle contre le ministre, en mettant à l'écart le Roi. "

M. Coste m'a conservé de cette entrevue un souvenir d'estime.

Une parade constitutionnelle eut lieu au bureau du Temps entre M. Baude et un commissaire de police.

Le procureur du Roi de Paris décerna quarante-quatre mandats d'amener contre les signataires de la protestation des journalistes.

Vers deux heures la fraction monarchique de la révolution se réunit chez M. Périer, comme on en était convenu la veille : on ne conclut rien. Les députés s'ajournèrent au lendemain, 28, chez M. Audry de Puyraveau. M. Casimir Périer, homme d'ordre et de richesse, ne voulait pas tomber dans les mains populaires ; il ne cessait de nourrir encore l'espoir d'un arrangement avec la royauté légitime ; il dit vivement à M. de Schonen : " Vous nous perdez en sortant de la légalité ; vous nous faites quitter une position superbe. " Cet esprit de légalité était partout ; il se montra dans deux réunions opposées, l'une chez M. Cadet-Gassicourt, l'autre chez le générai Gourgaud. M. Périer appartenait à cette classe bourgeoise qui s'était faite héritière du peuple et du soldat. Il avait du courage, de la fixité dans les idées ; il se jeta bravement en travers du torrent révolutionnaire pour le barrer, mais sa santé préoccupait trop sa vie, et il soignait trop sa fortune. " Que voulez-vous faire d'un homme, me disait M. Decazes, qui regarde toujours sa langue dans une glace ? "

La foule augmentant et commençant à paraître en armes, l'officier de la gendarmerie vint avertir le maréchal de Raguse qu'il n'avait pas assez de monde et qu'il craignait d'être forcé : alors le maréchal fit ses dispositions militaires.

Le 27, il était déjà quatre heures et demie du soir, lorsqu'on reçut dans les casernes l'ordre de prendre les armes. La gendarmerie de Paris, appuyée de quelques détachements de la Garde, essaya de rétablir la circulation dans les rues Richelieu et Saint-Honoré. Un de ces détachements fut assailli dans la rue du Duc-de-Bordeaux d'une grêle de pierres. Le chef de ce détachement évitait de tirer, lorsqu'un coup parti de l' Hôtel Royal , rue des Pyramides, décida la question : il se trouva qu'un M. Fox, habitant de cet hôtel, s'était armé de son fusil de chasse, et avait fait feu sur la Garde à travers sa fenêtre. Les soldats répondirent par une décharge sur la maison, et M. Fox tomba mort avec deux domestiques. Ainsi ces Anglais qui vivent à l'abri dans leur île, vont porter les révolutions chez les autres ; vous les trouvez mêlés dans les quatre parties du monde à des querelles qui ne les regardent pas : pour vendre une pièce de calicot, peu leur importe de plonger une nation dans toutes les calamités. Quel droit ce M. Fox avait-il de tirer sur des soldats français ? Etait-ce la Constitution de la Grande-Bretagne, que Charles X avait violée ? Si quelque chose pouvait flétrir les combats de Juillet, ce serait d'avoir été engagés par la balle d'un Anglais.

Ces premiers combats, qui dans la journée du 27 n'avaient guère commencé que vers les cinq heures du soir, cessèrent avec le jour. Les armuriers cédèrent leurs armes à la foule, les réverbères furent brisés ou restèrent sans être allumés ; le drapeau tricolore se hissa dans les ténèbres au haut des tours de Notre-Dame : l'envahissement des corps de garde, la prise de l'arsenal et des poudrières, le désarmement des fusiliers sédentaires, tout cela s'opéra sans opposition au lever du jour le 28, et tout était fini à huit heures.

Le parti démocratique et prolétaire de la révolution en blouse ou demi-nu, était sous les armes, il ne ménageait pas sa misère et ses lambeaux. Le peuple, représenté par des électeurs qu'il s'était choisis dans divers attroupements, était parvenu à faire convoquer une assemblée chez M. Cadet-Gassicourt.

Le parti de l'usurpation ne se montrait pas encore : son chef, caché hors de Paris, ne savait s'il irait à Saint-Cloud ou au Palais-Royal. Le parti bourgeois ou de la monarchie, les députés, délibérait et répugnait à se laisser entraîner au mouvement.

M. de Polignac se rendit à Saint-Cloud et fit signer au Roi, le 28, à cinq heures du matin, l'ordonnance qui mettait Paris en état de siège.

 

Chapitre 3

Journée militaire du 28 juillet.

Les groupes s'étaient reformés le 28 plus nombreux ; au cri de : Vive la Charte ! qui se faisait encore entendre, se mêlait déjà le cri de Vive la liberté ! à bas les Bourbons ! On criait aussi : Vive l ' Empereur ! Vive le Prince noir ! mystérieux prince des ténèbres qui apparaît à l'imagination populaire dans toutes les révolutions. Les souvenirs et les passions étaient descendus ; on abattait et l'on brûlait les armes de France ; on les attachait à la corde des lanternes cassées ; on arrachait les plaques fleurdelisées des conducteurs de diligences et des facteurs de la poste ; les notaires retiraient leurs panonceaux, les huissiers leurs rouelles, les voituriers leurs estampilles, les fournisseurs de la cour leurs écussons. Ceux qui jadis avaient recouvert les aigles napoléoniennes peintes à l'huile de lis bourboniens détrempés à la colle n'eurent besoin que d'une éponge pour nettoyer leur loyauté : avec un peu d'eau on efface aujourd'hui la reconnaissance et les empires.

Le maréchal de Raguse écrivit au Roi qu'il était urgent de prendre des moyens de pacification, et que demain, 29, il serait trop tard. Un envoyé du préfet de police était venu demander au maréchal s'il était vrai que Paris fût déclaré en état de siège : le maréchal, qui n'en savait rien, parut étonné ; il courut chez le président du conseil ; il y trouva les ministres assemblés, et M. de Polignac lui remit l'ordonnance. Parce que l'homme qui avait foulé le monde aux pieds avait mis des villes et des provinces en état de siège, Charles X avait cru pouvoir l'imiter. Les ministres déclarèrent au maréchal qu'ils allaient venir s'établir à l'état-major de la garde.

Aucun ordre n'étant arrivé de Saint-Cloud, à neuf heures du matin, le 28, lorsqu'il n'était plus temps de tout garder, mais de tout reprendre, le maréchal fit sortir des casernes les troupes qui s'étaient déjà en partie montrées la veille. On n'avait pris aucune précaution pour faire arriver des vivres au Carrousel, quartier général. La manutention, qu'on avait oublié de faire suffisamment garder, fut enlevée. M. le duc de Raguse, homme d'esprit et de mérite, brave soldat, savant, mais malheureux général, prouva pour la millième fois qu'un génie militaire est insuffisant aux troubles civils : le premier officier de police eût mieux su ce qu'il y avait à faire que le maréchal. Peut-être aussi son intelligence fut-elle paralysée par ses souvenirs ; il resta comme étouffé sous le poids de la fatalité de son nom.

Le maréchal, qui n'avait qu'une poignée d'hommes, conçut un plan pour l'exécution duquel il lui aurait fallu trente mille soldats. Des colonnes étaient désignées pour de grandes distances, tandis qu'une autre s'emparerait de l'Hôtel-de-Ville. Les troupes, après avoir achevé leur mouvement pour faire régner l'ordre de toutes parts devaient converger à la maison commune. Le Carrousel demeurait le quartier général : les ordres en sortaient, et les renseignements y aboutissaient. Un bataillon de Suisses, pivotant sur le marché des Innocents, était chargé d'entretenir la communication entre les forces du centre et celles qui circulaient à la circonférence. Les soldats de la caserne Popincourt s'apprêtaient par différents rameaux à descendre sur les points où ils pouvaient être appelés. Le général Latour-Maubourg était logé aux Invalides. Quand il vit l'affairé mal engagée, il proposa de recevoir les régiments dans l'édifice de Louis XIV, il assurait qu'il les pouvait nourrir, et défiait les Parisiens de le forcer. Il n'avait pas impunément laissé ses membres sur les champs de bataille de l'Empire, et les redoutes de Borodino savaient qu'il tenait parole. Mais qu'importaient l'expérience et le courage d'un vétéran mutilé ; On n'écouta point ses conseils.

Sous le commandement du comte de Saint-Chamans, la première colonne de la garde partit de la Madeleine pour suivre les boulevards jusqu'à la Bastille. Dès les premiers pas, un peloton que commandait M. Sala fut attaqué ; l'officier royaliste repoussa vivement l'attaque. A mesure qu'on avançait, les postes de communication laissés sur la route, trop faibles et trop éloignés les uns des autres, étaient coupés par le peuple et séparés les uns des autres par des abattis d'arbres et des barricades. Il y eut une affaire sanglante aux portes Saint-Denis et Saint-Martin. M. de Saint-Chamans, passant sur le théâtre des exploits futurs de Fieschi, rencontra à la place de la Bastille des groupes nombreux de femmes et d'hommes. Il les invita à se disperser, en leur distribuant quelque argent ; mais on ne cessait de tirer des maisons environnantes. Il fut obligé de renoncer à rejoindre l'Hotel-de-Ville par la rue Saint-Antoine, et, après avoir traversé le pont d'Austerlitz, il regagna le Carrousel le long des boulevards du sud. Turenne devant la Bastille non encore démolie avait été plus heureux pour la mère de Louis XIV enfant.

La colonne chargée d'occuper l'Hôtel-de-Ville suivit les quais des Tuileries, du Louvre et de l'Ecole, passa la moitié du Pont-Neuf, prit le quai de l'Horloge, le Marché-aux-Fleurs, et se porta à la place de Grève par le pont Notre-Dame. Deux pelotons de la garde firent une diversion en filant jusqu'au nouveau pont suspendu. Un bataillon du 15e léger appuyait la garde, et devait laisser deux pelotons sur le Marché-aux-Fleurs.

On se battit au passage de la Seine sur le pont Notre-Dame. Le peuple, tambour en tête, aborda bravement la garde. L'officier qui commandait l'artillerie royale fit observer à la masse populaire qu'elle s'exposait inutilement, et que n'ayant pas de canons elle serait foudroyée sans aucune chance de succès. La plèbe s'obstina ; l'artillerie fit feu. Les soldats inondèrent les quais et la place de Grève, où débouchèrent par le pont d'Arcole deux autres pelotons de la garde. Ils avaient été obligés de forcer des rassemblements d'étudiants du faubourg Saint-Jacques. L'Hôtel-de-Ville fut occupé.

Une barricade s'élevait à l'entrée de la rue du Mouton : une brigade de Suisses emporta cette barricade ; le peuple, se ruant des rues adjacentes, reprit son retranchement avec de grands cris. La barricade resta finalement à la garde.

Dans tous ces quartiers pauvres et populaires on combattit instantanément, sans arrière-pensée : l'étourderie française, moqueuse, insouciante, intrépide, était montée au cerveau de tous ; la gloire a, pour notre nation, la légèreté du vin de Champagne. Les femmes, aux croisées, encourageaient les hommes dans la rue ; des billets promettaient le bâton de maréchal au premier colonel qui passerait au peuple ; des groupes marchaient au son d'un violon. C'étaient des scènes tragiques et bouffonnes, des spectacles de tréteaux et de triomphe : on entendait des éclats de rire et des jurements au milieu des coups de fusil, du sourd mugissement de la foule, à travers des masses de fumée. Pieds nus, bonnet de police en tête, des charretiers improvisés conduisaient avec un laisser-passer de chefs inconnus des convois de blessés parmi les combattants qui se séparaient.

Dans les quartiers riches régnait un autre esprit. Les gardes nationaux, ayant repris les uniformes dont on les avait dépouillés, se rassemblaient en grand nombre à la mairie du 1er arrondissement pour maintenir l'ordre. Dans ces combats, la garde souffrait plus que le peuple, parce qu'elle était exposée au feu des ennemis invisibles enfermés dans les maisons. D'autres nommeront les vaillants des salons qui, reconnaissant des officiers de la garde, s'amusaient à les abattre, en sûreté qu'ils étaient derrière un volet ou une cheminée. Dans la rue, l'animosité de l'homme de peine ou du soldat n'allait pas au delà du coup porté : blessé, on se secourait mutuellement. Le peuple sauva plusieurs victimes. Deux officiers, M. de Goyon et M. Rivaux, après une défense héroïque, durent la vie à la générosité des vainqueurs. Un capitaine de la garde, Kaumann, reçoit un coup de barre de fer sur la tête : étourdi et les yeux sanglants, il relève avec son épée les baïonnettes de ses soldats qui mettaient en joue l'ouvrier.

La garde était remplie des grenadiers de Bonaparte. Plusieurs officiers perdirent la vie, entre autres le lieutenant Noirot, d'une bravoure extraordinaire, qui avait reçu du prince Eugène la croix de la Légion d'honneur en 1813 pour un fait d'armes accompli dans une des redoutes de Caldiera. Le colonel de Pleinselve, blessé mortellement à la porte Saint-Martin, avait été aux guerres de l'empire, en Hollande, en Espagne, à la grande armée et dans la garde impériale. A la bataille de Leipsick, il fit prisonnier de sa propre main le général autrichien Merfeld. Porté par ses soldats à l'hôpital du Gros-Caillou, il ne voulut être pansé que le dernier des blessés de juillet. Le docteur Larrey, qui l'avait rencontré sur d'autres champs de bataille, lui amputa la cuisse, il était trop tard pour le sauver. Heureux ces nobles adversaires qui avaient vu tant de boulets passer sur leur tête s'ils ne succombèrent pas sous la balle de quelques-uns de ces forçats libérés que la justice a retrouvés depuis la victoire dans les rangs des vainqueurs ! Ces galériens n'ont pu polluer le triomphe national républicain ; ils n'ont été nuisibles qu'à la royauté de Louis-Philippe. Ainsi s'abîmèrent obscurément dans les rues de Paris les restes de ces soldats fameux, échappés au canon de la Moskowa, de Lützen et de Leipsick : nous massacrions, sous Charles X, ces braves que nous avions tant admirés sous Napoléon. Il ne leur manquait qu'un homme : cet homme avait disparu à Sainte-Hélène.

Au tomber de la nuit, un sous-officier déguisé vint apporter l'ordre aux troupes de l'Hôtel-de-Ville de se replier sur les Tuileries. La retraite était rendue hasardeuse à cause des blessés que l'on ne voulait pas abandonner, et de l'artillerie difficile à passer à travers les barricades. Elle s'opéra cependant sans accident. Lorsque les troupes revinrent des différents quartiers de Paris, elles croyaient le Roi et le Dauphin arrivés de leur côté comme elles : cherchant en vain des yeux le drapeau blanc sur le pavillon de l'Horloge, elles firent entendre le langage énergique des camps.

Il n'est pas vrai, comme on le voit, que l'Hôtel-deVille ait été pris par la garde sur le peuple, et repris sur la garde par le peuple. Quand la garde y entra, elle n'éprouva aucune résistance, car il n'y avait personne, le préfet même était parti. Ces vantances affaiblissent et font mettre en doute les vrais périls. La garde fut mal engagée dans des rues tortueuses ; la ligne, par son espèce de neutralité d'abord, et ensuite par sa défection, acheva le mal que des dispositions belles en théorie, mais peu exécutables en pratique, avaient commencé. Le 50e de ligne était arrivé pendant le combat à l'Hôtel-de-Ville ; harassé de fatigue, on se hâta de le retirer dans l'enceinte de l'hôtel, et il prêta à des camarades épuisés ses entières et inutiles cartouches.

Le bataillon suisse resté au marché des Innocents fut dégagé par un autre bataillon suisse : ils vinrent l'un et l'autre aboutir au quai de l'Ecole, et stationnèrent dans le Louvre.

Au reste, les barricades sont des retranchements qui appartiennent au génie parisien : on les retrouve dans tous nos troubles, depuis Charles V jusqu'à nos jours.

" Le peuple voyant ces forces disposées par les rues, dit l'Estoile, commença à s'esmouvoir, et se firent les barricades en la manière que tous sçavent : plusieurs Suisses furent tués, qui furent enterrés en une fosse faicte au parvis de Notre-Dame ; le duc de Guyse passant par les rues, c'estoit à qui crieroit le plus haut : Vive Guyse ! et lui, baissant son grand chapeau, leur dict : Mes amis, c ' est assez ; messieurs, c ' est trop ; criez vive le Roi ! "

Pourquoi nos dernières barricades, dont le résultat a été puissant, gagnent-elles si peu à être racontées, tandis que les barricades de 1588, qui ne produisirent presque rien, sont si intéressantes à lire ? Cela tient à la différence des siècles et des personnages : le seizième siècle menait tout devant lui ; le dix-neuvième a laissé tout derrière : M. de Puyraveau n'est pas encore le Balafré.

 

Chapitre 4

Journée civile du 28 juillet.

Durant qu'on livrait ces combats, la révolution civile et politique suivait parallèlement la révolution militaire. Les soldats détenus à l'Abbaye furent mis en liberté ; les prisonniers pour dette, à Sainte-Pélagie, s'échappèrent, et les condamnés pour fautes politiques furent élargis : une révolution est un jubilé ; elle absout de tous les crimes, en en permettant de plus grands.

Les ministres tinrent conseil à l'état-major : ils résolurent de faire arrêter, comme chefs du mouvement MM. Laffitte, La Fayette, Gérard, Marchais, Salverte et Audry de Puyraveau ; le maréchal en donna l'ordre ; mais quand plus tard ils furent députés vers lui, il ne crut pas de son honneur de mettre son ordre à exécution.

Une réunion du parti monarchique, composée de pairs et de députés, avait eu lieu chez M. Guizot : le duc de Broglie s'y trouva ; MM. Thiers et Mignet, qui avaient reparu, et M. Carrel, quoique ayant d'autres idées, s'y rendirent. Ce fut là que le parti de l'usurpation prononça le nom du duc d'Orléans pour la première fois. M. Thiers et M. Mignet allèrent chez le général Sébastiani lui parler du prince. Le général répondit d'une manière évasive ; le duc d'Orléans, assura-t-il, ne l'avait jamais entretenu de pareils desseins et ne l'avait autorisé à rien.

Vers midi, toujours dans la journée du 28, la réunion générale des députés eut lieu chez M. Audry de Puyraveau. M. de La Fayette, chef du parti républicain, avait rejoint Paris le 27, M. Laffitte, chef du parti orléaniste n'arriva que dans la nuit du 27 au 28, il se rendit au Palais-Royal, où il ne trouva personne ; il envoya à Neuilly : le Roi en herbe n'y était pas.

Chez M. de Puyraveau, on discuta le projet d'une protestation contre les ordonnances. Cette protestation, plus que modérée, laissait entières les grandes questions.

M. Casimir Périer fut d'avis de dépêcher vers le duc de Raguse ; tandis que les cinq députés choisis se préparaient à partir, M. Arago était chez le maréchal : il s'était décidé, sur un billet de madame de Boigne, à devancer les commissaires. Il représenta au maréchal la nécessité de mettre un terme aux malheurs de la capitale. M. de Raguse alla prendre langue chez M. de Polignac ; celui-ci, instruit de l'hésitation des troupes, déclara que si elles passaient au peuple, on tirerait sur elles comme sur les insurgés. Le général Tromelin, témoin de ces conversations, s'emporta contre le général d'Ambrugeac. Alors arriva la députation. M. Laffitte porta la parole : " Nous venons, dit-il, vous demander d'arrêter l'effusion du sang. Si le combat se prolongeait, il entraînerait non seulement les plus cruelles calamités, mais une véritable révolution. " Le maréchal se renferma dans une question d'honneur militaire, prétendant que le peuple devait, le premier cesser le combat ; il ajouta néanmoins ce post-scriptum à une lettre qu'il écrivit au Roi : " Je pense qu'il est urgent que Votre Majesté profite sans retard des ouvertures qui lui sont faites. "

L'aide de camp du duc de Raguse, le colonel Konierowski, introduit dans le cabinet du Roi à Saint-Cloud, lui remit la lettre ; le Roi dit : " Je lirai cette lettre. " Le colonel se retira et attendit les ordres ; voyant qu'ils n'arrivaient pas, il pria M. le duc de Duras d'aller chez le Roi les demander. Le duc répondit que, d'après l'étiquette, il lui était impossible d'entrer dans le cabinet. Enfin, rappelé par le Roi, M. Konierowski fut chargé d'enjoindre au maréchal de tenir bon.

Le général Vincent accourut de son côté à Saint-Cloud ; ayant forcé la porte qu'on lui refusait, il dit au Roi que tout était perdu : " Mon cher, répondit Charles X, : vous êtes un bon général, mais vous n'entendez rien à cela. "

 

Chapitre 5

Journée militaire du 29 juillet.

Le 29 vit paraître de nouveaux combattants : les élèves de l'Ecole polytechnique, en correspondance avec un de leurs anciens camarades, M. Charras, forcèrent la consigne et envoyèrent quatre d'entre eux, MM. Lothon, Berthelin, Pinsonnière et Tourneux, offrir leurs services à MM. Laffitte, Périer et La Fayette. Ces jeunes gens, distingués par leurs études, s'étaient déjà fait connaître aux alliés, lorsque ceux-ci se présentèrent devant Paris en 1814 ; dans les trois jours ils devinrent les chefs du peuple, qui les mit à sa tête avec une parfaite simplicité. Les uns se rendirent sur la place de l'Odéon, les autres au Palais-Royal et aux Tuileries.

L'ordre du jour publié le 29 au matin offensa la garde : il annonçait que le Roi, voulant témoigner sa satisfaction à ses braves serviteurs, leur accordait un mois et demi de paye ; inconvenance que le soldat français ressentit : c'était le mesurer à la taille de ces Anglais qui ne marchent pas ou s'insurgent s'ils n'ont pas touché leur solde.

Dans la nuit du 28 au 29, le peuple dépava les rues de vingt pas en vingt pas, et le lendemain, au lever du jour, il y avait quatre mille barricades élevées dans Paris.

Le Palais Bourbon était gardé par la ligne, le Louvre par deux bataillons suisses, la rue de la Paix, la place Vendôme et la rue Castiglione par le 5e et le 53e de ligne. Il était arrivé de Saint-Denis, de Versailles et de Ruel, à peu près douze cents hommes d'infanterie.

La position militaire était meilleure : les troupes se trouvaient plus concentrées, et il fallait traverser de grands espaces vides pour arriver jusqu'à elles. Le général Exelmans, qui jugea bien ces dispositions, vint à onze heures mettre sa valeur et son expérience à la disposition du maréchal de Raguse, tandis que de son côté le général Pajol se présentait aux députés pour prendre le commandement de la garde nationale.

Les ministres eurent l'idée de convoquer la cour royale aux Tuileries, tant ils vivaient hors du moment où ils se trouvaient ! Le maréchal pressait le président du conseil de rappeler les ordonnances. Pendant leur entretien, on demande M. de Polignac ; il sort et rentre avec M. Berthier, fils de la première victime sacrifiée en 1789. Celui-ci, ayant parcouru Paris, affirmait que tout allait au mieux pour la cause royale : c'est une chose fatale que ces races qui ont droit à la vengeance, jetées à la tombe dans nos premiers troubles, et évoquées par nos derniers malheurs. Ces malheurs n'étaient plus des nouveautés ; depuis 1793, Paris était accoutumé à voir passer les événements et les rois.

Tandis que, au rapport des royalistes, tout allait si bien, on annonce la défection du 5e et du 53e de ligne qui fraternisaient avec le peuple.

Le duc de Raguse fit proposer une suspension d'armes : elle eut lieu sur quelques points et ne fut pas exécutée sur d'autres. Le maréchal avait envoyé chercher un des deux bataillons suisses stationnés dans le Louvre. On lui dépêcha celui des deux bataillons qui garnissait la colonnade. Les Parisiens, voyant cette colonnade déserte, se rapprochèrent des murs et entrèrent par les fausses portes qui conduisent du jardin de l'Infante dans l'intérieur ; ils gagnèrent les croisées et firent feu sur le bataillon arrêté dans la cour. Sous la terreur du souvenir du 10 août, les Suisses se ruèrent du palais et se jetèrent dans leur troisième bataillon placé en présence des postes parisiens, mais avec lesquels la suspension d'armes était observée. Le peuple, qui du Louvre avait atteint la galerie du Musée, commença de tirer du milieu des chefs-d'oeuvre sur les lanciers alignés au Carrousel. Les postes parisiens, entraînés par cet exemple, rompirent la suspension d'armes. Précipités sous l'Arc-de-Triomphe, les Suisses poussent les lanciers au portique du pavillon de l'Horloge et débouchent pêle-mêle dans le jardin des Tuileries. Le jeune Farcy fut frappé à mort dans cette échauffourée : son nom est inscrit au coin du café où il est tombé, une manufacture de betteraves existe aujourd'hui aux Thermopyles. Les Suisses eurent trois ou quatre soldats tués ou blessés : ce peu de morts s'est changé en une effroyable boucherie.

Le peuple entra dans les Tuileries avec MM. Thomas Bastide, Guinard, par le guichet du Pont-Royal. Un drapeau tricolore fut planté sur le pavillon de l'Horloge, comme au temps de Bonaparte, apparemment en mémoire de la liberté. Des meubles furent déchirés, des tableaux hachés de coups de sabre ; on trouva dans des armoires le journal des chasses du Roi et les beaux coups exécutés contre les perdrix : vieil usage des gardes-chasse de la monarchie. On plaça un cadavre sur le trône vide, dans la salle du Trône : cela serait formidable si les Français aujourd'hui, ne jouaient continuellement au drame. Le musée d'artillerie, à Saint-Thomas-d'Aquin, était pillé, et les siècles passaient le long du fleuve sous le casque de Godefroy de Bouillon, et avec la lance de François Ier.

Alors le duc de Raguse quitta le quartier général abandonnant cent vingt mille francs en sacs. Il sortit par la rue de Rivoli et rentra dans le jardin des Tuileries. Il donna l'ordre aux troupes de se retirer, d'abord aux Champs-Elysées, et ensuite jusqu'à l'Etoile. On crut que la paix était faite, que le Dauphin arrivait ; on vit quelques voitures des écuries et un fourgon traverser la place Louis XV : c'étaient les ministres s'en allant après leurs oeuvres.

Arrivé à l'Etoile, Marmont reçut une lettre : elle lui annonçait que le Roi avait donné à M. le Dauphin le commandement en chef des troupes, et que lui, maréchal servirait sous ses ordres.

Une compagnie du 3e de la garde avait été oubliée dans la maison d'un chapelier, rue de Rohan ; après une longue résistance, la maison fut emportée. Le capitaine Meunier, atteint de trois coups de feu, sauta de la fenêtre d'un troisième étage, tomba sur un toit au-dessous, et fut transporté à l'hôpital du Gros-Caillou : il a survécu. La caserne Babylone, assaillie entre midi et une heure par trois élèves de l'Ecole polytechnique, Vanneau, Lacroix et d'Ouvrier, n'était gardée que par un dépôt de recrues suisses d'environ une centaine d'hommes, le major Dufay, Français d'origine, les commandait : depuis trente ans il servait parmi nous ; il avait été acteur dans les hauts faits de la République et de l'Empire. Sommé de se rendre, il refusa toute condition et s'enferma dans la caserne. Le jeune Vanneau périt. Des sapeurs-pompiers mirent le feu à la porte de la caserne ; la porte s'écroula ; aussitôt, par cette bouche enflammée, sort le major Dufay, suivi de ses montagnards, baïonnette en avant ; il tombe atteint de la mousquetade d'un cabaretier voisin : sa mort protégea ses recrues suisses ; ils rejoignirent les différents corps auxquels ils appartenaient.

 

Chapitre 6

Journée civile du 29 juillet. - M. Baude, M. de Choiseul, M. de Sémonville, M. de Vitrolles, M. Laffitte et M. Thiers.

M. le duc de Mortemart était arrivé à Saint-Cloud le mercredi 28, à dix heures du soir, pour prendre son service comme capitaine des cent-suisses : il ne put parler au Roi que le lendemain. A onze heures, le 29, il fit quelques tentatives auprès de Charles X, afin de l'engager à rappeler les ordonnances ; le Roi lui dit : " Je ne veux pas monter en charrette comme mon frère, je ne reculerai pas d'un pied. " Quelques minutes après, il allait reculer d'un royaume.

Les ministres étaient arrivés : MM. de Sémonville, d'Argout, Vitrolles, se trouvaient là. M. de Sémonville raconte qu'il eut une longue conversation avec le Roi ; qu'il ne parvint à l' ébranler dans sa résolution qu ' après avoir passé par son coeur en lui parlant des dangers de madame la Dauphine . Il lui dit : " Demain, à midi, il n'y aura plus ni roi ni dauphin, ni duc de Bordeaux. " Et le Roi lui répondit : " Vous me donnerez bien jusqu'à une heure. " Je ne crois pas un mot de tout cela. La hâblerie est notre défaut : interrogez un Français et fiez-vous à ses récits, il aura toujours tout fait. Les ministres entrèrent chez le Roi après M. de Sémonville, les ordonnances furent rapportées, le ministère dissous, M. de Mortemart nommé président du nouveau conseil.

Dans la capitale, le parti républicain venait enfin de déterrer un gîte. M. Baude (l'homme de la parade des bureaux du Temps ), en courant les rues, n'avait trouvé l'Hôtel-de-Ville occupé que par deux hommes, M. Dubourg et M. Zimmer. Il se dit aussitôt l'envoyé d'un gouvernement provisoire qui s'allait venir installer. Il fit appeler les employés de la Préfecture ; il leur ordonna de se mettre au travail, comme si M. de Chabrol était présent.

Dans les gouvernements devenus machines, les poids sont bientôt remontés ; chacun accourt pour se nantir des places délaissées : qui se fit secrétaire général, qui chef de division, qui se donna la comptabilité, qui se nomma au personnel et distribua ce personnel entre ses amis ; il y en eut qui firent apporter leur lit afin de ne pas désemparer, et d'être à même de sauter sur la place qui viendrait à vaquer. M. Dubourg, surnommé le général, et M. Zimmer, étaient censés les chefs de la partie militaire du gouvernement provisoire . M. Baude, représentant le civil de ce gouvernement inconnu, prit des arrêtés et fit des proclamations. Cependant on avait vu des affiches provenant du parti républicain, et portant création d'un autre gouvernement, composé de MM. de La Fayette, Gérard et Choiseul. On ne s'explique guère l'association du dernier nom avec les deux autres ; aussi M. de Choiseul a-t-il protesté. Ce vieillard libéral qui, pour faire le vivant, se tenait raide comme un mort, émigré et naufragé à Calais, ne retrouva pour foyer paternel, en rentrant en France, qu'une loge à l'Opéra.

A trois heures du soir, nouvelle confusion. Un ordre du jour convoqua les députés réunis à Paris, à l'Hôtel-de-Ville, pour y conférer sur les mesures à prendre. Les maires devaient être rendus à leurs mairies, ils devaient aussi envoyer un de leurs adjoints à l'Hôtel-de-Ville, afin d'y composer une commission consultative . Cet ordre du jour était signé : J. Baude , pour le gouvernement provisoire , et colonel Zimmer, par ordre du général Dubourg . Cette audace de trois personnes, qui parlent au nom d'un gouvernement qui n'existait qu'affiché par lui-même au coin des rues, prouve la rare intelligence des Français en révolution : de pareils hommes sont évidemment les chefs destinés à mener les autres peuples. Quel malheur qu'en nous délivrant d'une pareille anarchie, Bonaparte nous eût ravi la liberté !

Les députés s'étaient rassemblés chez M. Laffitte. M. de La Fayette, reprenant 1789, déclara qu'il reprenait aussi le commandement de la garde nationale. On applaudit, et il se rendit à l'Hôtel-de-Ville. Les députés nommèrent une commission municipale composée de cinq membres, MM. Casimir Périer, Laffitte, de Lobau, de Schonen et Audry de Puyraveau. M. Odilon Barrot fut élu secrétaire de cette commission, qui s'installa à l'Hôtel-de-Ville comme avait fait M. de La Fayette. Tout cela siégea pêle-mêle auprès du gouvernement provisoire de M. Dubourg. M. Mauguin, envoyé en mission vers la commission, resta avec elle. L'ami de Washington fit enlever le drapeau noir arboré sur l'Hôtel-de-Ville par l'invention de M. Dubourg.

A huit heures et demie du soir débarquèrent de Saint-Cloud M. de Sémonville, M. d'Argout et M. de Vitrolles. Aussitôt qu'ils avaient appris à Saint-Cloud le rappel des ordonnances, le renvoi des anciens ministres, et la nomination de M. de Mortemart à la présidence du conseil, ils étaient accourus à Paris. Ils se présentèrent en qualité de mandataires du Roi devant la commission municipale. M. Mauguin demanda au grand référendaire s'il avait des pouvoirs écrits ; le grand référendaire répondit qu ' il n ' y avait pas pensé . La négociation des officieux commissaires finit là.

Instruit à la réunion Laffitte de ce qui s'était fait à Saint-Cloud, M. Laffitte signa un laisser-passer pour M. de Mortemart, ajoutant que les députés assemblés chez lui l'attendraient jusqu'à une heure du matin. Le noble duc n'étant pas arrivé, les députés se retirèrent.

M. Laffitte, resté seul avec M. Thiers, s'occupa du duc d'Orléans et des proclamations à faire. Cinquante ans de révolution en France avaient donné aux hommes de pratique la facilité de réorganiser des gouvernements, et aux hommes de théorie l'habitude de ressemeler des chartes, de préparer les machines et les bers avec lesquels s'enlèvent et sur lesquels glissent ces gouvernements.

 

Chapitre 7

J'écris au Roi à Saint-Cloud : sa réponse verbale. - Corps aristocratiques. - Pillage de la maison des missionnaires, rue d'Enfer.

Cette journée du 29, lendemain de mon retour à Paris, ne fut pas pour moi sans occupation. Mon plan était arrêté : je voulais agir, mais je ne le voulais que sur un ordre écrit de la main du Roi, et qui me donnât les pouvoirs nécessaires pour parler aux autorités du moment ; me mêler de tout et ne rien faire ne me convenait pas. J'avais raisonné juste, témoin l'affront essuyé par MM. d'Argout, Sémonville et Vitrolles.

J'écrivis donc à Charles X à Saint-Cloud. M. de Givré se chargea de porter ma lettre. Je priais le Roi de m'instruire de sa volonté. M. de Givré revint les mains vides. Il avait remis ma lettre à M. le duc de Duras, qui l'avait remise au Roi, lequel me faisait répondre qu'il avait nommé M. de Mortemart son premier ministre, et qu'il m'invitait à m'entendre avec lui. Le noble duc, où le trouver ? Je le cherchai vainement le 29 au soir.

Repoussé de Charles X, ma pensée se porta vers la Chambre des pairs ; elle pouvait, en qualité de cour souveraine, évoquer le procès et juger le différend. S'il n'y avait pas sûreté pour elle dans Paris, elle était libre de se transporter à quelque distance, même auprès du Roi, et de prononcer de là son grand arbitrage. Elle avait des chances de succès ; il y en a toujours dans le courage. Après tout, en succombant, elle aurait subi une défaite utile aux principes. Mais aurais-je trouvé dans cette Chambre vingt hommes prêts à se dévouer ? Sur ces vingt hommes, y en avait-il quatre qui fussent d'accord avec moi sur les libertés publiques ?

Les assemblées aristocratiques règnent glorieusement lorsqu'elles sont souveraines et seules investies de droit et de fait de la puissance : elles offrent les plus fortes garanties ; mais, dans les gouvernements mixtes elles perdent leur valeur et sont misérables quand arrivent les grandes crises... Faibles contre le roi, elles n'empêchent pas le despotisme ; faibles contre le peuple, elles ne préviennent pas l'anarchie. Dans les commotions publiques elles ne rachètent leur existence qu'au prix de leurs parjures ou de leur esclavage. La Chambre des lords sauva-t-elle Charles Ier ? Sauva-t-elle Richard Cromwell auquel elle avait prêté serment ? Sauva-t-elle Jacques II ? Sauvera-t-elle aujourd'hui les princes de Hanovre ? Se sauvera-t-elle elle-même ? Ces prétendus contrepoids aristocratiques ne font qu'embarrasser la balance, et seront jetés tôt ou tard hors du bassin. Une aristocratie ancienne et opulente, ayant l'habitude des affaires, n'a qu'un moyen de garder le pouvoir quand il lui échappe : c'est de passer du Capitole au Forum, et de se placer à la tête du nouveau mouvement, à moins qu'elle ne se croie encore assez forte pour risquer la guerre civile.

Pendant que j'attendais le retour de M. de Givré, je fus assez occupé à défendre mon quartier. La banlieue et les carriers de Montrouge affluaient par la barrière d'Enfer. Les derniers ressemblaient à ces carriers de Montmartre qui causèrent de si grandes alarmes à mademoiselle de Mornay lorsqu'elle fuyait les massacres de la Saint-Barthélemy. En passant devant la communauté des missionnaires, située dans ma rue, ils y entrèrent : une vingtaine de prêtres furent obligés de se sauver ; le repaire de ces fanatiques fut philosophiquement pillé leurs lits et leurs livres brûlés dans la rue. On n'a point parlé de cette misère. Avait-on à s'embarrasser de ce que la prêtraille pouvait avoir perdu ? Je donnai l'hospitalité à sept ou huit fugitifs ; ils restèrent plusieurs jours cachés sous mon toit. Je leur obtins des passeports par l'intermédiaire de mon voisin, M. Arago, et ils allèrent ailleurs prêcher la parole de Dieu. " La fuite des saints a souvent été utile aux peuples, utilis populis fuga sanctorum . "

 

Chapitre 8

Chambre des députés. - M. de Mortemart.

La commission municipale, établie à l'Hôtel-de-Ville, nomma le baron Louis commissaire provisoire aux finances, M. Baude à l'intérieur, M. Mérilhou à la justice, M. Chardel aux postes, M. Marchal au télégraphe, M. Bavoux à la police, M. de Laborde, à la préfecture de la Seine. Ainsi le gouvernement provisoire volontaire se trouva détruit en réalité par la promotion de M. Baude, qui s'était créé membre de ce gouvernement. Les boutiques se rouvrirent ; les services publics reprirent leur cours.

Dans la réunion chez M. Laffitte il avait été décidé que les députés s'assembleraient à midi, au palais de la Chambre : ils s'y trouvèrent réunis au nombre de trente ou trente-cinq, présidés par M. Laffitte. M. Bérard annonça qu'il avait rencontré MM. d'Argout, de Forbin-Janson et de Mortemart, qui se rendaient chez M. Laffitte croyant y trouver les députés ; qu'il avait invité ces messieurs à le suivre à la Chambre, mais que M. le duc de Mortemart, accablé de fatigue, s'était retiré pour aller voir M. de Sémonville. M. de Mortemart, selon M. Bérard, avait dit qu'il avait un blanc seing et que le Roi consentait à tout.

En effet, M. de Mortemart apportait cinq ordonnances : au lieu de les communiquer d'abord aux députés, sa lassitude l'obligea de rétrograder jusqu'au Luxembourg. A midi, il envoya les ordonnances à M. Sauvo, celui-ci répondit qu'il ne les pouvait publier dans le Moniteur sans l'autorisation de la Chambre des députés ou de la commission municipale.

M. Bérard s'étant expliqué, comme je viens de le dire à la Chambre, une discussion s'éleva pour savoir si l'on recevrait ou si l'on ne recevrait pas M. de Mortemart. Le général Sébastiani insista pour l'affirmative ; M. Mauguin déclara que, si M. de Mortemart était présent, il demanderait qu'il fût entendu, mais que les événements pressaient et que l'on ne pouvait pas dépendre du bon plaisir de M. de Mortemart.

On nomma cinq commissaires chargés d'aller conférer avec les pairs : ces cinq commissaires furent MM. Augustin Périer, Sébastiani, Guizot, Benjamin Delessert et Hyde de Neuville.

Mais bientôt le comte de Sussy fut introduit dans la Chambre élective. M. de Mortemart l'avait chargé de présenter les ordonnances aux députés. S'adressant à l'assemblée, il lui dit : " En l'absence de M. le chancelier, quelques pairs, en petit nombre, étaient réunis chez moi ; M. le duc de Mortemart nous a remis la lettre ci-jointe, adressée à M. le général Gérard ou à M. Casimir Périer. Je vous demande la permission de vous la communiquer. " Voici la lettre : " Monsieur parti de Saint-Cloud dans la nuit, je cherche vainement à vous rencontrer. Veuillez me dire où je pourrai vous voir. Je vous prie de donner connaissance des ordonnances dont je suis porteur depuis hier. "

M. le duc de Mortemart était parti dans la nuit de Saint-Cloud ; il avait les ordonnances dans sa poche depuis douze ou quinze heures, depuis hier , selon son expression ; il n'avait pu rencontrer ni le général Gérard, ni M. Casimir Périer : M. de Mortemart était bien malheureux ! M. Bérard fit l'observation suivante sur la lettre communiquée :

" Je ne puis, dit-il, m'empêcher de signaler ici un manque de franchise : M. de Mortemart, qui se rendait ce matin chez M. Laffitte lorsque je l'ai rencontré m'a formellement dit qu'il viendrait ici. "

Les cinq ordonnances furent lues. La première rappelait les ordonnances du 25 juillet, la seconde convoquait les Chambres pour le 3 août, la troisième nommait M. de Mortemart ministre des affaires étrangères et président du conseil, la quatrième appelait le général Gérard au ministère de la guerre, la cinquième M. Casimir Périer au ministère des finances. Lorsque je trouvai enfin M. de Mortemart chez le grand référendaire, il m'assura qu'il avait été obligé de rester chez M. de Sémonville parce qu'étant revenu à pied de Saint-Cloud, il s'était vu forcé de faire un détour et de pénétrer dans le bois de Boulogne par une brèche : sa botte ou son soulier lui avait écorché le talon. Il est à regretter qu'avant de produire les actes du trône, M. de Mortemart n'ait pas essayé de voir les hommes influents et de les incliner à la cause royale. Ces actes tombant tout à coup au milieu de députés non prévenus, personne n'osa se déclarer. On s'attira cette terrible réponse de Benjamin Constant :

" Nous savons d'avance ce que la Chambre des pairs nous dira : elle acceptera purement et simplement la révocation des ordonnances. Quant à moi, je ne me prononce pas positivement sur la question de dynastie ; je dirai seulement qu'il serait trop commode pour un roi de faire mitrailler son peuple et d'en être quitte pour dire ensuite : Il n'y a rien de fait. "

Benjamin Constant, qui ne se prononçait pas positivement sur la question de dynastie , aurait-il terminé sa phrase de la même manière si on lui eût fait entendre auparavant des paroles convenables à ses talents et à sa juste ambition ? Je plains sincèrement un homme de courage et d'honneur, comme M. de Mortemart, quand je viens à penser que la monarchie légitime a peut-être été renversée parce que le ministre chargé des pouvoirs du Roi n'a pu rencontrer dans Paris deux députés, et que, fatigué d'avoir fait trois lieues à pied, il s'est écorché le talon. L'ordonnance de nomination à l'ambassade de Saint-Pétersbourg a remplacé pour M. de Mortemart les ordonnances de son vieux maître. Ah ! comment ai-je refusé à Louis-Philippe d'être son ministre des affaires étrangères ou de reprendre ma bien-aimée ambassade de Rome ? Mais, hélas ! de ma bien-aimée , qu'en eussé-je fait au bord du Tibre ? J'aurais toujours cru qu'elle me regardait en rougissant.

 

Chapitre 9

ourse dans Paris. - Le général Dubourg. - Cérémonie funèbre sous les colonnades du Louvre. - Les jeunes gens me rapportent à la Chambre des pairs.

Le 30 au matin, ayant reçu le billet du grand référendaire qui m'invitait à la réunion des pairs au Luxembourg, je voulus apprendre auparavant quelques nouvelles. Je descendis par la rue d'Enfer, la place Saint-Michel et la rue Dauphine. Il y avait encore un peu d'émotion autour des barricades ébréchées. Je comparais ce que je voyais au grand mouvement révolutionnaire de 1789, et cela me semblait de l'ordre et du silence : le changement des moeurs était visible.

Au Pont-Neuf, la statue d'Henri IV tenait à la main comme un guidon de la Ligue, un drapeau tricolore. Des hommes du peuple disaient en regardant le roi de bronze : " Tu n'aurais pas fait cette bêtise-là, mon vieux. " Des groupes étaient rassemblés sur le quai de l'Ecole ; j'aperçois de loin un général accompagné de deux aides de camp également à cheval. Je m'avançai de ce côté. Comme je fendais la foule, mes yeux se portèrent sur le général : ceinture tricolore par-dessus son habit, chapeau de travers renversé en arrière, corne en avant. Il m'avise à son tour et s'écrie : " Tiens, le vicomte ! " Et moi, surpris je reconnais le colonel ou capitaine Dubourg, mon compagnon de Gand, lequel allait pendant notre retour à Paris prendre les villes ouvertes au nom de Louis XVIII, et nous apportait ainsi que je vous l'ai raconté, la moitié d'un mouton pour dîner dans un bouge, à Arnouville.

C'est cet officier que les journaux avaient représenté comme un austère soldat républicain à moustaches grises, lequel n'avait pas voulu servir sous la tyrannie impériale, et qui était si pauvre qu'on avait été obligé de lui acheter à la friperie un uniforme râpé du temps de La Réveillère-Lepaux. Et moi de m'écrier : " Eh ! c'est vous ! comment... " Il me tend le bras, me serre la main sur le cou de Flanquine, on fit cercle : " Mon cher ", me dit à haute voix le chef militaire du gouvernement provisoire, en me montrant le Louvre, " ils étaient là-dedans douze cents : nous leur en avons flanqué des pruneaux dans le derrière ! et de courir, et de courir !... " Les aides de camp de M. Dubourg éclatent en gros rires ; et la tourbe de rire à l'unisson, et le général de piquer sa mazette qui caracolait comme une bête éreintée, suivie de deux autres Rossinantes glissant sur le pavé et prêtes à tomber sur le nez entre les jambes de leurs cavaliers.

Ainsi, superbement emporté, m'abandonna le Diomède de l'Hôtel-de-Ville, brave d'ailleurs et spirituel. J'ai vu des hommes qui, prenant au sérieux toutes les scènes de 1830, rougissaient à ce récit, parce qu'il déjouait un peu leur héroïque crédulité. J'étais moi-même honteux en voyant le côté comique des révolutions les plus graves et de quelle manière on peut se moquer de la bonne foi du peuple.

M. Louis Blanc, dans le premier volume de son excellente Histoire de dix ans , publiée après ce que je viens d'écrire ici, confirme mon récit : " Un homme, dit-il, d'une taille moyenne, d'une figure énergique, traversait, en uniforme de général et suivi par un grand nombre d'hommes armés, le marché des Innocents. C'était de M. Evariste Dumoulin, rédacteur du Constitutionnel , que cet homme avait reçu son uniforme, pris chez un fripier, et les épaulettes qu'il portait lui avaient été données par l'acteur Perlet : elles venaient du magasin de l'Opéra-Comique. Quel est ce général ? demandait-on de toutes parts. Et quand ceux qui l'entouraient avaient répondu : " C'est le général Dubourg, " Vive le général Dubourg ! criait le peuple, devant qui ce nom n'avait jamais retenti [J'ai reçu le 9 janvier de cette année 1841, une lettre de M. Dubourg ; on y lit ces phrases : " Combien j'ai désiré vous voir depuis notre rencontre sur le quai du Louvre ! Combien de fois j'ai désiré verser dans votre sein les chagrins qui déchiraient mon âme ! Qu'on est malheureux d'aimer avec passion son pays, son honneur, son bonheur, sa gloire, quand l'on vit à une telle époque ! (...)

" Avais-je tort, en 1830, de ne pas vouloir me soumettre à ce que l'on faisait ? Je voyais clairement l'avenir odieux que l'on préparait à la France ; j'expliquais comment le mal seul pouvait surgir d'arrangements politiques aussi frauduleux : mais personne ne me comprenait. "

Le 5 juillet de cette même année 1841, M. Dubourg m'écrivait encore pour m'envoyer le brouillon d'une note qu'il adressait en 1828 à MM. de Martignac et de Caux pour les engager à me faire entrer au conseil. Je n'ai donc rien avancé sur M. Dubourg qui ne soit de la plus exacte vérité. (Paris, note de 1841. N.d.A.)] . "

Un autre spectacle m'attendait à quelques pas de là : une fosse était creusée devant la colonnade du Louvre ; un prêtre, en surplis et en étole, disait des prières au bord de cette fosse : on y déposait les morts. Je me découvris et fis le signe de la croix. La foule silencieuse regardait avec respect cette cérémonie, qui n'eût rien été si la religion n'y avait comparu. Tant de souvenirs et de réflexions s'offraient à moi, que je restais dans une complète immobilité. Tout à coup je me sens pressé ; un cri part : " Vive le défenseur de la liberté de la presse ! " Mes cheveux m'avaient fait reconnaître. Aussitôt des jeunes gens me saisissent et me disent : " Où allez-vous ? nous allons vous porter. " Je ne savais que répondre ; je remerciais ; je me débattais ; je suppliais de me laisser aller. L'heure de la réunion à la Chambre des pairs n'était pas encore arrivée. Les jeunes gens ne cessaient de crier : " Où allez-vous ? où allez-vous ? " Je répondis au hasard : " Eh bien, au Palais-Royal ! " Aussitôt j'y suis conduit aux cris de : Vive la Charte ! vive la liberté de la presse ! vive Chateaubriand ! Dans la cour des Fontaines, M. Barba, le libraire, sortit de sa maison et vint m'embrasser.

Nous arrivons au Palais-Royal ; on me bouscule dans un café sous la galerie de bois. Je mourais de chaud. Je réitère à mains jointes ma demande en rémission de ma gloire : point ; toute cette jeunesse refuse de me lâcher. Il y avait dans la foule un homme en veste à manches retroussées, à mains noires, à figure sinistre, aux yeux ardents, tel que j'en avais tant vu au commencement de la révolution : il essayait continuellement de s'approcher de moi, et les jeunes gens le repoussaient toujours. Je n'ai su ni son nom ni ce qu'il me voulait.

Il fallut me résoudre à dire enfin que j'allais à la Chambre des pairs. Nous quittâmes le café ; les acclamations recommencèrent. Dans la cour du Louvre diverses espèces de cris se firent entendre : on disait : " Aux Tuileries ! aux Tuileries ! " les autres : " Vive le premier consul ! " et semblaient vouloir me faire l'héritier de Bonaparte républicain. Hyacinthe, qui m'accompagnait, recevait sa part des poignées de main et des embrassades. Nous traversâmes le pont des Arts et nous prîmes la rue de Seine. On accourait sur notre passage ; on se mettait aux fenêtres. Je souffrais de tant d'honneurs, car on m'arrachait les bras. Un des jeunes gens qui me poussaient par derrière passa tout à coup sa tête entre mes jambes et m'enleva sur ses épaules. Nouvelles acclamations ; on criait aux spectateurs dans la rue et aux fenêtres : " A bas les chapeaux ! vive la Charte ! " et moi je répliquais : " Oui, messieurs, vive la Charte ! mais vive le Roi ! " On ne répétait pas ce cri, mais il ne provoquait aucune colère. Et voilà comme la partie était perdue ! Tout pouvait encore s'arranger, mais il ne fallait présenter au peuple que des hommes populaires : dans les révolutions, un nom fait plus qu'une armée.

Je suppliai tant mes jeunes amis qu'ils me mirent enfin à terre. Dans la rue de Seine, en face de mon libraire, M. Le Normant, un tapissier offrit un fauteuil pour me porter ; je le refusai et j'arrivai au milieu de mon triomphe dans la cour d'honneur du Luxembourg. Ma généreuse escorte me quitta alors après avoir poussé de nouveaux cris de Vive la Charte ! de vive Chateaubriand !

J'étais touché des sentiments de cette noble jeunesse : j'avais crié vive le Roi au milieu d'elle, tout aussi en sûreté que si j'eusse été seul enfermé dans ma maison ; elle connaissait mes opinions ; elle m'amenait elle-même à la Chambre des pairs où elle savait que j'allais parler et rester fidèle à mon Roi ; et pourtant c'était le 30 juillet, et nous venions de passer près de la fosse dans laquelle on ensevelissait les citoyens tués par les balles des soldats de Charles X !

 

Chapitre 10

Réunion des pairs.

Le bruit que je laissais en dehors contrastait avec le silence qui régnait dans le vestibule du palais du Luxembourg. Ce silence augmenta dans la galerie sombre qui précède les salons de M. de Sémonville. Ma présence gêna les vingt-cinq ou trente pairs qui s'y trouvaient rassemblés : j'empêchais les douces effusions de la peur, la tendre consternation à laquelle on se livrait Ce fut là que je vis enfin M. de Mortemart. Je lui dis que, d'après le désir du Roi, j'étais prêt à m'entendre avec lui. Il me répondit, comme je l'ai déjà rapporté, qu'en revenant, il s'était écorché le talon : il rentra dans le flot de l'Assemblée. Il nous donna connaissance des ordonnances comme il les avait fait communiquer aux députés par M. de Sussy. M. de Broglie déclara qu'il venait de parcourir Paris ; que nous étions sur un volcan ; que les bourgeois ne pouvaient plus contenir leurs ouvriers ; que si le nom de Charles X était seulement prononcé on nous couperait la gorge à tous, et qu'on démolirait le Luxembourg comme on avait démoli la Bastille : " C'est vrai ! c'est vrai ! " murmuraient d'une voix sourde les prudents, en secouant la tête. M. de Caraman, qu'on avait fait duc, apparemment parce qu'il avait été valet de M. de Metternich, soutenait avec chaleur qu'on ne pouvait reconnaître les ordonnances : " Pourquoi donc, lui dis-je, monsieur ? " Cette froide question glaça sa verve.

Arrivent les cinq députés commissaires. M. le général Sébastiani débute par sa phrase accoutumée : " Messieurs, c'est une grosse affaire. " Ensuite il fait l'éloge de la haute modération de M. le duc de Mortemart ; il parle des dangers de Paris, prononce quelques mots à la louange de Son Altesse Royale monseigneur le duc d'Orléans, et conclut à l'impossibilité de s'occuper des ordonnances. Moi et M. Hyde de Neuville nous fûmes les seuls d'un avis contraire. J'obtins la parole : " M. le duc de Broglie nous a dit, messieurs, qu'il s'est promené dans les rues, et qu'il a vu partout des dispositions hostiles : je viens aussi de parcourir Paris, trois mille jeunes gens m'ont rapporté dans la cour de ce palais ; vous avez pu entendre leurs cris : ont-ils soif de votre sang ceux qui ont ainsi salué l'un de vos collègues ? Ils ont crié Vive la Charte ! j'ai répondu Vive le Roi ! ils n'ont témoigné aucune colère et sont venus me déposer sain et sauf au milieu de vous. Sont-ce là des symptômes si menaçants de l'opinion publique ? Je soutiens, moi, que rien n'est perdu, que nous pouvons accepter les ordonnances. La question n'est pas de considérer s'il y a péril ou non, mais de garder les serments que nous avons prêtés à ce Roi dont nous tenons nos dignités, et plusieurs d'entre nous leur fortune. Sa Majesté, en retirant les ordonnances et en changeant son ministère, a fait tout ce qu'elle a dû ; faisons à notre tour ce que nous devons. Comment ? dans tout le cours de notre vie, il se présente un seul jour où nous sommes obligés de descendre sur le champ de bataille, et nous n'accepterions pas le combat ? Donnons à la France l'exemple de l'honneur et de la loyauté ; empêchons-la de tomber dans des combinaisons anarchiques où sa paix, ses intérêts réels et ses libertés iraient se perdre : le péril s'évanouit quand on ose le regarder. "

On ne me répondit point ; on se hâta de lever la séance. Il y avait une impatience de parjure dans cette assemblée que poussait une peur intrépide ; chacun voulait sauver sa guenille de vie, comme si le temps n'allait pas, dès demain, nous arracher nos vieilles peaux, dont un juif bien avisé n'aurait pas donné une obole.

 

Chapitre 11

Les républicains. - Les orléanistes. - M. Thiers est envoyé à Neuilly. - Autre convocation des pairs chez le grand référendaire : la lettre m'arrive trop tard.

Les trois partis commençaient à se dessiner et à agir les uns contre les autres : les députés qui voulaient la monarchie par la branche aînée étaient les plus forts légalement, ils ralliaient à eux tout ce qui tendait à l'ordre ; mais, moralement, ils étaient les plus faibles : ils hésitaient, ils ne se prononçaient pas : il devenait manifeste, par la tergiversation de la cour, qu'ils tomberaient dans l'usurpation plutôt que de se voir engloutis dans la république.

Celle-ci fit afficher un placard qui disait : " La France est libre. Elle n'accorde au gouvernement provisoire que le droit de la consulter, en attendant qu'elle ait exprimé sa volonté par de nouvelles élections. Plus de royauté. Le pouvoir exécutif confié à un président temporaire. Concours médiat ou immédiat de tous les citoyens à l'élection des députés. Liberté des cultes. "

Ce placard résumait les seules choses justes de l'opinion républicaine ; une nouvelle assemblée de députés aurait décidé s'il était bon ou mauvais de céder à ce voeu, plus de royauté ; chacun aurait plaidé sa cause, et l'élection d'un gouvernement quelconque par un congrès national eut eu le caractère de la légalité.

Sur une autre affiche républicaine du même jour, 30 juillet, on lisait en grosses lettres : " Plus de Bourbons... Tout est là, grandeur, repos, prospérité publique, liberté. "

Enfin parut une adresse à MM. les membres de la commission municipale composant un gouvernement provisoire ; elle demandait : " Qu'aucune proclamation ne fût faite pour désigner un chef, lorsque la forme même du gouvernement ne pouvait être encore déterminée ; que le gouvernement provisoire restât en permanence jusqu'à ce que le voeu de la majorité des Français pût être connu ; toute autre mesure étant intempestive et coupable. "

Cette adresse émanant des membres d'une commission nommée par un grand nombre de citoyens de divers arrondissements de Paris, était signée par MM. Chevalier, président, Trélat, Teste, Lepelletier, Guinard, Hingray, Cauchois-Lemaire, etc.

Dans cette réunion populaire, on proposait de remettre par acclamation la présidence de la république à M. de La Fayette ; on s'appuyait sur les principes que la Chambre des représentants de 1815 avait proclamés en se séparant. Divers imprimeurs refusèrent de publier ces proclamations, disant que défense leur en était faite par M. le duc de Broglie. La république jetait par terre le trône de Charles X ; elle craignait les inhibitions de M. de Broglie, lequel n'avait aucun caractère.

Je vous ai dit que, dans la nuit du 29 au 30, M. Laffitte, avec MM. Thiers et Mignet, avaient tout préparé pour attirer les yeux du public sur M. le duc d'Orléans. Le 30 parurent des proclamations et des adresses, fruit de ce conciliabule : " Evitons la république, " disaient-elles. Venaient ensuite les faits d'armes de Jemmapes et de Valmy, et l'on assurait que M. le duc d'Orléans n'était pas Capet , mais Valois .

Et cependant M. Thiers, envoyé par M. Laffitte, chevauchait vers Neuilly avec M. Scheffer : S. A. R. n'y était pas. Grands combats de paroles entre mademoiselle d'Orléans et M. Thiers : il fut convenu qu'on écrirait à M. le duc d'Orléans pour le décider à se rallier à la révolution. M. Thiers écrivit lui-même un mot au prince, et madame Adélaïde promit de devancer sa famille à Paris. L'orléanisme avait fait des progrès, et dès le soir même de cette journée, il fut question parmi les députés de conférer les pouvoirs de lieutenant général à M. le duc d'Orléans.

M. de Sussy, avec les ordonnances de Saint-Cloud, avait été encore moins bien reçu à l'Hôtel-de-Ville qu'à la Chambre des députés. Muni d'un récépissé de M. de La Fayette, il vint retrouver M. de Mortemart qui s'écria :

" Vous m'avez sauvé plus que la vie ; vous m'avez sauvé l'honneur. "

La commission municipale fit une proclamation dans laquelle elle déclarait que les crimes de son pouvoir (de Charles X) étaient finis , et que le peuple aurait un gouvernement qui lui devrait (au peuple) son origine : phrase ambiguë qu'on pouvait interpréter comme on voulait. MM. Laffitte et Périer ne signèrent point cet acte. M. de La Fayette, alarmé un peu tard de l'idée de la royauté orléaniste, envoya M. Odilon Barrot à la Chambre des députés annoncer que le peuple, auteur de la révolution de juillet, n'entendait pas la terminer par un simple changement de personnes, et que le sang versé valait bien quelques libertés. Il fut question d'une proclamation des députés afin d'inviter S. A. R. le duc d'Orléans à se rendre dans la capitale : après quelques communications avec l'Hôtel-de-Ville, ce projet de proclamation fut anéanti. On n'en tira pas moins au sort une députation de douze membres pour aller offrir au châtelain de Neuilly cette lieutenance générale qui n'avait pu trouver passage dans une proclamation.

Dans la soirée, M. le grand référendaire rassemble chez lui les pairs : sa lettre, soit négligence ou politique m'arriva trop tard. Je me hâtai de courir au rendez-vous ; on m'ouvrit la grille de l'allée de l'Observatoire ; je traversai le jardin du Luxembourg : quand j'arrivai au palais, je n'y trouvai plus personne. Je refis le chemin des parterres les yeux attachés sur la lune. Je regrettais les mers et les montagnes où elle m'était apparue, les forêts dans la cime desquelles, se dérobant elle-même en silence, elle avait l'air de me répéter la maxime d'Epicure : " Cache ta vie. "

 

Chapitre 12

Saint-Cloud. - Scène : monsieur le Dauphin et le maréchal de Raguse.

J'ai laissé les troupes, le 29 au soir, se retirant sur Saint-Cloud. Les bourgeois de Chaillot et de Passy les attaquèrent, tuèrent un capitaine de carabiniers, deux officiers, et blessèrent une dizaine de soldats. Le Motha, capitaine de la garde, fut frappé d'une balle par un enfant qu'il s'était plu à ménager. Ce capitaine avait donné sa démission au moment de la publication des ordonnances ; mais, voyant qu'on se battait le 27, il rentra dans son corps pour partager les dangers de ses camarades. Jamais, à la gloire de la France, il n'y eut un plus beau combat dans les partis opposés entre la liberté et l'honneur.

Les enfants, intrépides parce qu'ils ignorent le danger, ont joué un triste rôle dans les trois journées : à l'abri de leur faiblesse, ils tiraient à bout portant sur les officiers qui se seraient crus déshonorés en les repoussant. Les armes modernes mettent la mort à la disposition de la main la plus débile. Singes laids et étiolés, libertins avant d'avoir le pouvoir de l'être, cruels et pervers, ces petits héros des trois journées se livraient à des assassinats avec tout l'abandon de l'innocence. Donnons-nous garde, par des louanges imprudentes, de faire naître l'émulation du mal. Les enfants de Sparte allaient à la chasse aux ilotes.

Monsieur le Dauphin reçut les soldats à la porte du village de Boulogne, dans le bois, puis il rentra à Saint-Cloud.

Saint-Cloud était gardé par les quatre compagnies des gardes du corps. Le bataillon des élèves de Saint-Cyr était arrivé : en rivalité et en contraste avec l'Ecole polytechnique, il avait embrassé la cause royale. Les troupes exténuées, qui revenaient d'un combat de trois jours, ne causaient, par leurs blessures et leur délabrement, que de l'ébahissement aux domestiques titrés, dorés et repus qui mangeaient à la table du Roi. On ne songea point à couper les lignes télégraphiques ; passaient librement sur la route courriers, voyageurs, malles-postes, diligences, avec le drapeau tricolore qui insurgeait les villages en les traversant. Les embauchages par le moyen de l'argent et des femmes commencèrent. Les proclamations de la commune de Paris étaient colportées çà et là. Le Roi et la cour ne se voulaient pas encore persuader qu'ils fussent en péril. Afin de prouver qu'ils méprisaient les gestes de quelques bourgeois mutinés, et qu'il n'y avait point de révolution, ils laissaient tout aller : le doigt de Dieu se voit dans tout cela.

A la tombée de la nuit du 30 juillet, à peu près à la même heure où la commission des députés partait pour Neuilly, un aide-major fit annoncer aux troupes que les ordonnances étaient rapportées. Les soldats crièrent : Vive le Roi ! et reprirent leur gaieté au bivouac, mais cette annonce de l'aide-major, envoyé par le duc de Raguse, n'avait pas été communiquée au Dauphin, qui grand amateur de discipline, entra en fureur. Le Roi dit au maréchal : " Le Dauphin est mécontent, allez vous expliquer avec lui. "

Le maréchal ne trouva point le Dauphin chez lui et l'attendit dans la salle de billard avec le duc de Guiche et le duc de Ventadour, aides de camp du prince. Le Dauphin rentra : à l'aspect du maréchal, il rougit jusqu'aux yeux, traverse son antichambre avec ses grands pas si singuliers, arrive à son salon, et dit au maréchal : " Entrez ! " La porte se referme : un grand bruit se fait entendre ; l'élévation des voix s'accroît ; le duc de Ventadour, inquiet, ouvre la porte ; le maréchal sort, poursuivi par le Dauphin, qui l'appelle double traître. " Rendez votre épée ! rendez votre épée ! " et, se jetant sur lui, il lui arrache son épée. L'aide de camp du maréchal, M. Delarue, se veut précipiter entre lui et le Dauphin, il est retenu par M. de Montgascon ; le prince s'efforce de briser l'épée du maréchal et se coupe les mains. Il crie : " A moi, gardes du corps ! qu'on le saisisse ! " Les gardes du corps accoururent ; sans un mouvement de tête du maréchal, leurs baïonnettes l'auraient atteint au visage. Le duc de Raguse est conduit aux arrêts dans son appartement.

Le Roi arrangea tant bien que mal cette affaire, d'autant plus déplorable, que les acteurs n'inspiraient pas un grand intérêt. Lorsque le fils du Balafré occit Saint-Pol, maréchal de la Ligue, on reconnut dans ce coup d'épée la fierté et le sang des Guises ; mais quand monsieur le Dauphin, plus puissant seigneur qu'un prince de Lorraine, aurait pourfendu le maréchal Marmont, qu'est-ce que cela eût fait ? Si le maréchal eût tué monsieur le Dauphin, c'eût été seulement un peu plus singulier. On verrait passer dans la rue César, descendant de Vénus et Brutus, arrière-neveu de Junius, qu'on ne les regarderait pas. Rien n'est grand aujourd'hui, parce que rien n'est haut.

Voilà comme se dépensait à Saint-Cloud la dernière heure de la monarchie : cette pâle monarchie, défigurée et sanglante, ressemblait au portrait que nous fait d'Urfé d'un grand personnage expirant : " Il avait les yeux hâves et enfoncés ; la mâchoire inférieure, couverte seulement d'un peu de peau, paraissait s'être retirée ; la barbe hérissée, le teint jaune, les regards lents, les souffles abattus. De sa bouche il ne sortait déjà plus de paroles humaines, mais des oracles. "

 

Chapitre 13

Neuilly. - M. le duc d'Orléans. - Le Raincy. - Le prince vient à Paris.

M. le duc d'Orléans avait eu, sa vie durant, pour le trône ce penchant que toute âme bien née sent pour le pouvoir. Ce penchant se modifie selon les caractères : impétueux et aspirant, mou et rampant ; imprudent, ouvert, déclaré dans ceux-ci, circonspect, caché, honteux et bas dans ceux-là : l'un, pour s'élever, peut atteindre à tous les crimes ; l'autre, pour monter, peut descendre à toutes les bassesses. M. le duc d'Orléans appartenait à cette dernière classe d'ambitieux. Suivez ce prince dans sa vie, il ne dit et ne fait jamais rien de complet, et laisse toujours une porte ouverte à l'évasion.

Pendant la Restauration, il flatte la cour et encourage l'opinion libérale ; Neuilly est le rendez-vous des mécontentements et des mécontents. On soupire, on se serre la main en levant les yeux au ciel, mais on ne prononce pas une parole assez significative pour être reportée en haut lieu. Un membre de l'opposition meurt-il, on envoie un carrosse au convoi, mais ce carrosse est vide ; la livrée est admise à toutes les portes et à toutes les fosses. Si, au temps de mes disgrâces de cour, je me trouve aux Tuileries sur le chemin de M. le duc d'Orléans, il passe en ayant soin de saluer à droite, de manière que, moi étant à gauche, il me tourne l'épaule. Cela sera remarqué, et fera bien.

M. le duc d'Orléans connut-il d'avance les ordonnances de juillet ? En fut-il instruit par une personne qui tenait le secret de M. Ouvrard ? Qu'en pensa-t-il ? Quelles furent ses craintes et ses espérances ? Conçut-il un plan ? Poussa-t-il M. Laffitte à faire ce qu'il fit, ou laissa-t-il faire M. Laffitte ? D'après le caractère de Louis-Philippe on doit présumer qu'il ne prit aucune résolution et que sa timidité politique, se renfermant dans sa fausseté attendit l'événement comme l'araignée attend le moucheron qui se prendra dans sa toile. Il a laissé le moment conspirer ; il n'a conspiré lui-même que par ses désirs dont il est probable qu'il avait peur.

Il y avait deux partis à prendre pour M. le duc d'Orléans : le premier, et le plus honorable, était de courir à Saint-Cloud, de s'interposer entre Charles X et le peuple, afin de sauver la couronne de l'un et la liberté de l'autre ; le second consistait à se jeter dans les barricades, le drapeau tricolore au poing, et à se mettre à la tête du mouvement du monde. Philippe avait à choisir entre l'honnête homme et le grand homme : il a préféré escamoter la couronne du Roi et la liberté du peuple. Un filou, pendant le trouble et les malheurs d'un incendie, dérobe subtilement les objets les plus précieux du palais brûlant sans écouter les cris d'un enfant que la flamme a surpris dans son berceau.

La riche proie une fois saisie, il s'est trouvé force chiens à la curée : alors sont arrivées toutes ces vieilles corruptions des régimes précédents, ces receleurs d'effets volés, crapauds immondes à demi écrasés sur lesquels on a cent fois marché, et qui vivent, tout aplatis qu'ils sont. Ce sont là pourtant les hommes que l'on vante et dont on exalte l'habileté ! Milton pensait autrement lorsqu'il écrivait ce passage d'une lettre sublime : " Si Dieu versa jamais un amour ferme de la beauté morale dans le sein d'un homme, il l'a versé dans le mien. Quelque part que je rencontre un homme méprisant la fausse estime du vulgaire, osant aspirer, par ses sentiments, son langage et sa conduite, à ce que la haute sagesse des âges nous a enseigné de plus excellent, je m'unis à cet homme par une sorte de nécessaire attachement. Il n'y a point de puissance dans le ciel ou sur la terre qui puisse m'empêcher de contempler avec respect et tendresse ceux qui ont atteint le sommet de la dignité et de la vertu. "

La cour aveugle de Charles X ne sut jamais où elle en était et à qui elle avait affaire : on pouvait mander M. le duc d'Orléans à Saint-Cloud, et il est probable que dans le premier moment il eût obéi ; on pouvait le faire enlever à Neuilly, le jour même des ordonnances : on ne prit ni l'un ni l'autre parti.

Sur des renseignements que lui porta madame de Bondy à Neuilly dans la nuit du mardi 27, Louis-Philippe se leva à trois heures du matin, et se retira en un lieu connu de sa seule famille. Il avait la double crainte d'être atteint par l'insurrection de Paris ou arrêté par un capitaine des gardes. Il alla donc écouter dans la solitude du Raincy les coups de canon lointains de la bataille du Louvre, comme j'écoutais sous un arbre ceux de la bataille de Waterloo. Les sentiments qui sans doute agitaient le prince ne devaient guère ressembler à ceux qui m'oppressaient dans les campagnes de Gand.

Je vous ai dit que, dans la matinée du 30 juillet, M. Thiers ne trouva point le duc d'Orléans à Neuilly ; mais madame la duchesse d'Orléans envoya chercher S. A. R. : M. le comte Anatole de Montesquiou fut chargé du message. Arrivé au Raincy, M. de Montesquiou eut toutes les peines du monde à déterminer Louis-Philippe à revenir à Neuilly pour y attendre la députation de la Chambre des députés.

Enfin, persuadé par le chevalier d'honneur de la duchesse d'Orléans, Louis-Philippe monta en voiture. M. de Montesquiou partit en avant ; il alla d'abord assez vite ; mais quand il regarda en arrière, il vit la calèche de S. A. R. s'arrêter et rebrousser chemin vers le Raincy.

M. de Montesquiou revient en hâte, implore la future majesté qui courait se cacher au désert, comme ces illustres chrétiens fuyant jadis la pesante dignité de l'épiscopat : le serviteur fidèle obtint une dernière et malheureuse victoire.

Le soir du 30, la députation des douze membres de la Chambre des députés, qui devait offrir la lieutenance générale du royaume au prince, lui envoya un message à Neuilly. Louis-Philippe reçut ce message à la grille du parc, le lut au flambeau et se mit à l'instant en route pour Paris, accompagné de MM. de Berthois, Haymès et Oudart. Il portait à sa boutonnière une cocarde tricolore : il allait enlever une vieille couronne au garde-meuble.

 

Chapitre 14

Une députation de la Chambre élective offre à M. le duc d'Orléans la lieutenance générale du royaume. - Il accepte. - Efforts des républicains.

A son arrivée au Palais-Royal, M. le duc d'Orléans envoya complimenter M. de La Fayette.

La députation des douze députés se présenta au Palais-Royal. Elle demanda au prince s'il acceptait la lieutenance générale du royaume ; réponse embarrassée :

" Je suis venu au milieu de vous partager vos dangers... J'ai besoin de réfléchir. Il faut que je consulte diverses personnes. Les dispositions de Saint-Cloud ne sont point hostiles ; la présence du Roi m'impose des devoirs. " Ainsi répondit Louis-Philippe. On lui fit rentrer ses paroles dans le corps, comme il s'y attendait : après s'être retiré une demi-heure, il reparut portant une proclamation en vertu de laquelle il acceptait les fonctions de lieutenant général du royaume, proclamation finissant par cette déclaration : " La Charte sera désormais une vérité. "

Portée à la Chambre élective, la proclamation fut reçue avec cet enthousiasme révolutionnaire âgé de cinquante ans : on y répondit par une autre proclamation de la rédaction de M. Guizot. Les députés retournèrent au Palais-Royal ; le prince s'attendrit, accepta de nouveau et ne put s'empêcher de gémir sur les déplorables circonstances qui le forçaient d'être lieutenant général du royaume.

La république, étourdie des coups qui lui étaient portés, cherchait à se défendre ; mais son véritable chef le général La Fayette, l'avait presque abandonnée. Il se plaisait dans ce concert d'adorations qui lui arrivaient de tous côtés ; il humait le parfum des révolutions ; il s'enchantait de l'idée qu'il était l'arbitre de la France qu'il pouvait à son gré, en frappant du pied, faire sortir de terre une république ou une monarchie ; il aimait à se bercer dans cette incertitude où se plaisent les esprits qui craignent les conclusions, parce qu'un instinct les avertit qu'ils ne sont plus rien quand les faits sont accomplis.

Les autres chefs républicains s'étaient perdus d'avance par divers ouvrages : l'éloge de la terreur, en rappelant aux Français 1793, les avait fait reculer. Le rétablissement de la garde nationale tuait en même temps, dans les combattants de juillet, le principe ou la puissance de l'insurrection. M. de La Fayette ne s'aperçut pas qu'en rêvassant la république, il avait armé contre elle trois millions de gendarmes.

Quoi qu'il en soit, honteux d'être sitôt pris pour dupes, les jeunes gens essayèrent quelque résistance. Ils répliquèrent par des proclamations et des affiches aux proclamations et aux affiches du duc d'Orléans. On lui disait que si les députés s'étaient abaissés à le supplier d'accepter la lieutenance générale du royaume, la Chambre des députés, nommée sous une loi aristocratique n'avait pas le droit de manifester la volonté populaire. On prouvait à Louis-Philippe qu'il était fils de Louis-Philippe-Joseph ; que Louis-Philippe-Joseph était fils de Louis-Philippe, que Louis-Philippe était fils de Louis, lequel était fils de Philippe II, régent ; que Philippe II était fils de Philippe Ier, lequel était frère de Louis XIV : donc Louis-Philippe d'Orléans était Bourbon et Capet , non Valois . M. Laffitte n'en continuait pas moins à le regarder comme étant de la race de Charles IX et de Henri III, et disait : " Thiers sait cela. "

Plus tard, la réunion Lointier s'écria que la nation était en armes pour soutenir ses droits par la force. Le comité central du douzième arrondissement déclara que le peuple n'avait point été consulté sur le mode de sa Constitution ; que la Chambre des députés et la Chambre des pairs, tenant leurs pouvoirs de Charles X, étaient tombées avec lui ; qu'elles ne pouvaient, en conséquence, représenter la nation ; que le douzième arrondissement ne reconnaissait point la lieutenance générale ; que le gouvernement provisoire devait rester en permanence, sous la présidence de La Fayette jusqu'à ce qu'une Constitution eût été délibérée et arrêtée comme base fondamentale du gouvernement.

Le 30 au matin, il était question de proclamer la république. Quelques hommes déterminés menaçaient de poignarder la commission municipale si elle ne conservait pas le pouvoir. Ne s'en prenait-on pas aussi à la Chambre des pairs ? On était furieux de son audace. L'audace de la Chambre des pairs ! Certes, c'était là le dernier outrage et la dernière injustice qu'elle eût dû s'attendre à éprouver de l'opinion.

Il y eut un projet : vingt jeunes gens des plus ardents devaient s'embusquer dans une petite rue donnant sur le quai de la Ferraille, et faire feu sur Louis-Philippe, lorsqu'il se rendrait du Palais-Royal à la maison de ville. On les arrêta en leur disant : " Vous tuerez en même temps Laffitte, Pajol et Benjamin Constant. " Enfin on voulait enlever le duc d'Orléans et l'embarquer à Cherbourg : étrange rencontre si Charles X et Philippe se fussent retrouvés dans le même port, sur le même vaisseau, l'un expédié à la rive étrangère par les bourgeois l'autre par les républicains !

 

Chapitre 15

M. le duc d'Orléans va à l'Hôtel-de-Ville.

Le duc d'Orléans, ayant pris le parti d'aller faire confirmer son titre par les tribuns de l'Hôtel-de-Ville, descendit dans la cour du Palais-Royal, entouré de quatre-vingt-neuf députés en casquettes, en chapeaux ronds, en habits, en redingotes. Le candidat royal monté sur un cheval blanc, il est suivi de Benjamin Constant dans une chaise à porteur ballottée par deux Savoyards. MM. Méchin et Viennet couverts de sueur et de poussière, marchent entre le cheval blanc du monarque futur et la brouette du député goutteux, se querellant avec les deux crocheteurs pour garder les distances voulues. Un tambour à moitié ivre battait la caisse à la tête du cortège. Quatre huissiers servaient de licteurs. Les députés les plus zélés meuglaient : Vive le duc d'Orléans ! Autour du Palais-Royal ces cris eurent quelques succès ; mais, à mesure qu'on avançait vers l'Hôtel-de-Ville, les spectateurs devenaient moqueurs ou silencieux. Philippe se démenait sur son cheval de triomphe, et ne cessait de se mettre sous le bouclier de M. Laffitte, en recevant de lui, chemin faisant, quelques paroles protectrices. Il souriait au général Gérard, faisait des signes d'intelligence à M. Viennet et à M. Méchin, mendiait la couronne en quêtant le peuple avec son chapeau orné d'une aune de ruban tricolore, tendant la main à quiconque voulait en passant aumôner cette main. La monarchie ambulante arrive sur la place de Grève, où elle est saluée des cris : Vive la république !

Quand la matière électorale royale pénétra dans l'intérieur de l'Hôtel-de-Ville, des murmures plus menaçants accueillirent le postulant : quelques serviteurs zélés qui criaient son nom reçurent des gourmades. Il entre dans la salle du Trône ; là se pressaient les blessés et les combattants des trois journées : une exclamation générale : Plus de Bourbons ! vive La Fayette ! ébranla les voûtes de la salle. Le prince en parut troublé. M. Viennet lut à haute voix pour M. Laffitte la déclaration des députés ; elle fut écoutée dans un profond silence. Le duc d'Orléans prononça quelques mots d'adhésion. Alors M. Dubourg dit rudement à Philippe : " Vous venez de prendre de grands engagements. S'il vous arrivait jamais d'y manquer, nous sommes gens à vous les rappeler. " Et le Roi futur de répondre tout ému : " Monsieur, je suis honnête homme. " M. de La Fayette, voyant l'incertitude croissante de l'assemblée, se mit tout à coup en tête d'abdiquer la présidence : il donne au duc d'Orléans un drapeau tricolore, s'avance sur le balcon de l'Hôtel-de-Ville, et embrasse le prince aux yeux de la foule ébahie tandis que celui-ci agitait le drapeau national. Le baiser républicain de La Fayette fit un roi. Singulier résultat de toute la vie du héros des Deux-Mondes !

Et puis, plan ! plan ! la litière de Benjamin Constant et le cheval blanc de Louis-Philippe rentrèrent moitié hués, moitié bénis, de la fabrique politique de la Grève au Palais-Marchand. " Ce jour-là même, dit encore M. Louis Blanc (31 juillet), et non loin de l'Hôtel-de-Ville, un bateau placé au bas de la Morgue, et surmonté d'un pavillon noir recevait des cadavres qu'on descendait sur des civières. On rangeait ces cadavres par piles en les couvrant de paille ; et, rassemblée le long des parapets de la Seine, la foule regardait en silence. "

A propos des Etats de la Ligue et de la confection d'un roi, Palma-Cayet s'écrie : " Je vous prie de vous représenter quelle réponse eût pu faire ce petit bonhomme Maître Matthieu Delaunay et M. Boucher, curé de Saint-Benoît, et quelque autre de cette étoffe, à qui leur eût dit qu'ils dussent être employés pour installer un roi en France à leur fantaisie ?... Les vrais Français ont toujours eu en mépris cette forme d'élire les rois qui les rend maîtres et valets tout ensemble.

 

Chapitre 16

Les républicains au Palais-Royal.

Philippe n'était pas au bout de ses épreuves ; il avait encore bien des mains à serrer, bien des accolades à recevoir ; il lui fallait encore envoyer bien des baisers, saluer bien bas les passants, venir bien des fois, au caprice de la foule, chanter la Marseillaise sur le balcon des Tuileries.

Un certain nombre de républicains s'étaient réunis le matin du 31 au bureau du National : lorsqu'ils surent qu'on avait nommé le duc d'Orléans lieutenant général du royaume, ils voulurent connaître les opinions de l'homme destiné à devenir leur roi malgré eux. Ils furent conduits au Palais-Royal par M. Thiers : c'étaient MM. Bastide, Thomas, Joubert, Cavaignac, Marchais, Degousée, Guinard. Le prince dit d'abord de fort belles choses sur la liberté : " Vous n'êtes pas encore roi, répliqua Bastide, écoutez la vérité ; bientôt vous ne manquerez pas de flatteurs. " " Votre père, ajouta Cavaignac, est régicide comme le mien ; cela vous sépare un peu des autres. " Congratulations mutuelles sur le régicide, néanmoins avec cette remarque judicieuse de Philippe, qu'il y a des choses dont il faut garder le souvenir pour ne pas les imiter.

Des républicains qui n'étaient pas de la réunion du National entrèrent. M. Trélat dit à Philippe : " Le peuple est le maître ; vos fonctions sont provisoires ; il faut que le peuple exprime sa volonté : le consulterez-vous, oui ou non ? "

M. Thiers, frappant sur l'épaule de M. Thomas et interrompant ces discours dangereux : " Monseigneur, n'est-ce pas que voilà un beau colonel ? - C'est vrai ", répond Louis-Philippe. " Qu'est-ce qu'il dit donc ? " s'écrie-t-on. " Nous prend-il pour un troupeau qui vient se vendre ? " et l'on entend de toutes parts ces mots contradictoires et confus : " C'est la tour de Babel ! Et l'on appelle cela un roi citoyen ! la république ? Gouvernez donc avec des républicains ! " Et M. Thiers de s'écrier : " J'ai fait là une belle ambassade. "

Puis M. de La Fayette descendit au Palais-Royal : le citoyen faillit d'être étouffé sous les embrassements de son roi. Toute la maison était pâmée.

Les vestes étaient aux postes d'honneur, les casquettes dans les salons, les blouses à table avec les princes et les princesses ; dans le conseil, des chaises, point de fauteuils ; la parole à qui la voulait ; Louis-Philippe, assis entre M. de La Fayette et M. Laffitte, les bras passés sur l'épaule de l'un et de l'autre, s'épanouissait d'égalité et de bonheur.

J'aurais voulu mettre plus de gravité dans la description de ces scènes qui ont produit une grande révolution, ou, pour parler plus correctement, de ces scènes par lesquelles sera hâtée la transformation du monde ; mais je les ai vues ; des députés qui en étaient les acteurs ne pouvaient s'empêcher d'une certaine confusion, en me racontant de quelle manière, le 31 juillet, ils étaient allés forger - un roi.

On faisait à Henri IV, non catholique, des objections qui ne le ravalaient pas et qui se mesuraient à la hauteur même du trône : on lui remontrait " que saint Louis n'avait pas été canonisé à Genève, mais à Rome ; que si le Roi n'était catholique, il ne tiendrait pas le premier rang des Rois en la chrétienté ; qu'il n'était pas beau que le Roi priât d'une sorte et son peuple d'une autre ; que le Roi ne pourrait être sacré à Reims et qu'il ne pourrait être enterré à Saint-Denis s'il n'était catholique. "

Qu'objectait-on à Philippe avant de le faire passer au dernier tour de scrutin ? On lui objectait qu'il n'était pas assez patriote .

Aujourd'hui que la révolution est consommée, on se regarde comme offensé lorsqu'on ose rappeler ce qui se passa au point de départ ; on craint de diminuer la solidité de la position qu'on a prise, et quiconque ne trouve pas dans l'origine du fait commençant la gravité du fait accompli, est un détracteur.

Lorsqu'une colombe descendait pour apporter à Clovis l'huile sainte, lorsque les rois chevelus étaient élevés sur un bouclier, lorsque saint Louis tremblait, par sa vertu prématurée, en prononçant à son sacre le serment de n'employer son autorité que pour la gloire de Dieu et le bien de son peuple, lorsque Henri IV après son entrée à Paris, alla se prosterner à Notre-Dame, que l'on vit ou que l'on crut voir, à sa droite, un bel enfant qui le défendait et que l'on prit pour son ange gardien je conçois que le diadème était sacré ; l'oriflamme reposait dans les tabernacles du ciel. Mais depuis que sur une place publique un souverain, les cheveux coupés, les mains liées derrière le dos, a abaissé sa tête sous le glaive au son du tambour ; depuis qu'un autre souverain, environné de la plèbe, est allé mendier des votes pour son élection , au bruit du même tambour, sur une autre place publique, qui conserve la moindre illusion sur la couronne ? Qui croit que cette royauté meurtrie et souillée puisse encore imposer au monde ? Quel homme, sentant un peu son coeur battre, voudrait avaler le pouvoir dans ce calice de honte et de dégoût que Philippe a vidé d'un seul trait sans vomir ? La monarchie européenne aurait pu continuer sa vie si l'on eût conservé en France la monarchie mère, fille d'un saint et d'un grand homme mais on en a dispersé les semences fécondes : rien ne renaîtra.

 

 

Livre 33

 

Date de dernière mise à jour : 03/04/2016