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BIBLIOBUS Littérature française

Livre 31

1. Retour de Rome à Paris. - Mes projets. - Le Roi et ses dispositions. - M. Portalis. - M. de Martignac. - Départ pour Rome. - Les Pyrénées. - Aventure. - 2. Ministère Polignac. - Ma consternation. - Je reviens à Paris. - 3. Entrevue avec M. de Polignac. - Je donne ma démission de mon ambassade de Rome. - 4. Flagorneries des journaux. - 5. Les premiers collègues de M. de Polignac. - 6. Expédition d'Alger. - 7. Ouverture de la session de 1830. - Adresse. - La Chambre est dissoute. - 8. Nouvelle Chambre. - Je pars pour Dieppe. - Ordonnances du 25 juillet. - Je reviens à Paris. - Réflexions pendant ma route. - Lettre à madame Récamier.

 

Chapitre 1

Paris, août et septembre 1830, rue d'Enfer.

Retour de Rome à Paris. - Mes projets. - Le Roi et ses dispositions. - M. Portalis. - M. de Martignac. - Départ pour Rome. - Les Pyrénées. - Aventure.

J'eus un grand plaisir à revoir mes amis : je ne rêvais qu'au bonheur de les emmener avec moi et à finir mes jours à Rome. J'écrivis pour mieux m'assurer encore du petit palais Caffarelli que je projetais de louer sur le Capitole, et de la cellule que je postulais à Saint-Onuphre. J'achetai des chevaux anglais et je les fis partir pour les prairies d'Evandre. Je disais déjà adieu dans ma pensée à ma patrie avec une joie qui méritait d'être punie. Lorsqu'on a voyagé dans sa jeunesse et qu'on a passé beaucoup d'années hors de son pays, on s'est accoutumé à placer partout sa mort : en traversant les mers de la Grèce, il me semblait que tous ces monuments que j'apercevais sur les promontoires étaient des hôtelleries où mon lit était préparé.

J'allai faire ma cour au Roi à Saint-Cloud : il me demanda quand je retournais à Rome. Il était persuadé que j'avais un bon coeur et une mauvaise tête. Le fait est que j'étais précisément l'inverse de ce que Charles X pensait de moi : j'avais une tête très froide et très bonne tête, et le coeur cahin-caha pour les trois quarts et demi du genre humain.

Je trouvai le Roi dans une fort mauvaise disposition à l'égard de son ministère : il le faisait attaquer par certains journaux royalistes, ou plutôt, lorsque les rédacteurs de ces feuilles allaient lui demander s'il ne les trouvait pas trop hostiles, il s'écriait : " Non, non, continuez. " Quand M. de Martignac avait parlé : " Eh bien, disait Charles X, avez-vous entendu la Pasta ? " Les opinions libérales de M. Hyde de Neuville lui étaient antipathiques, il trouvait plus de complaisance dans M. Portalis le fédéré, qui portait sa cupidité sur son visage : c'est à M. Portalis que la France doit ses malheurs. Quand je le vis à Passy, je m'aperçus de ce que j'avais en partie deviné : le garde des sceaux, en faisant semblant de tenir par intérim le ministère des affaires étrangères, mourait d'envie de le conserver, bien qu'il se fût pourvu, à tout événement, de la place de président de la Cour de cassation. Le Roi, quand il s'était agi de disposer des affaires étrangères, avait prononcé : " Je ne dis pas que Chateaubriand ne sera pas mon ministre ; mais pas à présent. " Le prince de Laval avait refusé ; M. de La Ferronnays ne se pouvait plus livrer à un travail suivi. Dans l'espoir que de guerre lasse le portefeuille lui resterait, M. Portalis ne faisait rien pour déterminer le Roi.

Plein de mes délices futures de Rome, je m'y laissai aller sans trop sonder l'avenir ; il me convenait assez que M. Portalis gardât l' intérim à l'abri duquel ma position politique restait la même. Il ne me vint pas un seul instant dans l'idée que M. de Polignac pourrait être investi du pouvoir : son esprit borné, fixe et ardent, son nom fatal et impopulaire, son entêtement, ses opinions religieuses exaltées jusqu'au fanatisme, me paraissaient des causes d'une éternelle exclusion. Il avait, il est vrai, souffert pour le Roi, mais il en était largement récompensé par l'amitié de son maître et par la haute ambassade de Londres que je lui avais donnée sous mon ministère, malgré l'opposition de M. de Villèle.

De tous les ministres en place que je trouvai à Paris, excepté l'excellent M. Hyde de Neuville, pas un ne me plaisait : je sentais en eux une capacité incapable qui me laissait de l'inquiétude sur la durée de leur empire. M. de Martignac, d'un talent de parole agréable, avait une voix douce et épuisée comme celle d'un homme à qui les femmes ont donné quelque chose de leur séduction et de leur faiblesse ! Pythagore se souvenait d'avoir été une courtisane charmante nommée Alcée. L'ancien secrétaire d'ambassade de l'abbé Sieyès avait aussi une suffisance contenue, un esprit calme un peu jaloux. Je l'avais, en 1823, envoyé en Espagne dans une position élevée et indépendante, mais il aurait voulu être ambassadeur. Il était choqué de n'avoir pas reçu un emploi qu'il croyait dû à son mérite.

Mon goût ou mes déplaisances importaient peu. La Chambre commit une faute en renversant un ministère qu'elle aurait dû conserver à tout prix. Ce ministère modéré servait de garde-fou à des abîmes ; il était aisé de le jeter bas, car il ne tenait à rien et le Roi lui était ennemi ; raison de plus pour ne faire aucune chicane à ces hommes, pour leur donner une majorité à l'aide de laquelle ils se fussent maintenus et auraient fait place un jour sans accident, à un ministère fort. En France, on ne sait rien attendre ; on a horreur de tout ce qui a l'apparence du pouvoir, jusqu'à ce qu'on le possède. Au surplus, M. de Martignac a démenti noblement ses faiblesses en dépensant avec courage le reste de sa vie dans la défense de M. de Polignac. Les pieds me brûlaient à Paris, je ne pouvais m'habituer au ciel gris et triste de la France, ma patrie ; qu'aurais-je donc pensé du ciel de la Bretagne, ma matrie , pour parler grec ? Mais là, du moins, il y a des vents de mer ou des calmes : Tumidis albens fluctibus , ou venti posuere . Mes ordres étaient donnés pour exécuter dans mon jardin et dans ma maison, rue d'Enfer, les changements et les accroissements nécessaires, afin qu'à ma mort le legs que je voulais faire de cette maison à l'infirmerie de madame de Chateaubriand fût plus profitable. Je destinais cette propriété à la retraite de quelques artistes et de quelques gens de lettres malades. Je regardais le soleil pâle, et je lui disais : " Je vais bientôt te retrouver avec un meilleur visage, et nous ne nous quitterons plus. "

Ayant pris congé du Roi et espérant le débarrasser pour toujours de moi, je montai en calèche. J'allais d'abord aux Pyrénées prendre les eaux de Cauterets ; de là, traversant le Languedoc et la Provence, je devais me rendre à Nice, où je rejoindrais madame de Chateaubriand. Nous passions ensemble la corniche, nous arrivions à la ville éternelle que nous traversions sans nous arrêter et, après deux mois de séjour à Naples, au berceau du Tasse, nous revenions à sa tombe à Rome. Ce moment est le seul de ma vie où j'aie été complètement heureux, où je ne désirais plus rien, où mon existence était remplie, où je n'apercevais jusqu'à ma dernière heure qu'une suite de jours de repos. Je touchais au port ; j'y entrais à pleines voiles comme Palinure : inopina quies .

Tout mon voyage jusqu'aux Pyrénées fut une suite de rêves : je m'arrêtais quand je voulais ; je suivais sur ma route les chroniques du moyen âge que je retrouvais partout ; dans le Berry, je voyais ces petites routes bocagères que l'auteur de Valentine nomme des traînes, et qui me rappelaient ma Bretagne. Richard Coeur-de-Lion avait été tué à Chalus au pied de cette tour : Enfant musulman, paix là ! voici le roi Richard ! A Limoges, j'ôtai mon chapeau par respect pour Molière ; à Périgueux, les perdrix dans leurs tombeaux de faïence ne chantaient plus de différentes voix comme au temps d'Aristote. Je rencontrai là mon vieil ami Clausel de Coussergues ; il portait avec lui quelques-unes des pages de ma vie. A Bergerac, j'aurais pu regarder le nez de Cyrano sans être obligé de me battre contre ce cadet aux gardes : je le laissai dans sa poussière avec ces dieux que l'homme a faits et aussi n'ont pas fait l'homme .

A Auch j'admirai les stalles sculptées sur des cartons venus de Rome à la belle époque des arts. D'Ossat, mon devancier à la cour du Saint-Père, était né près d'Auch. Le soleil ressemblait déjà à celui de l'Italie. A Tarbes j'aurais voulu héberger à l'hôtel de l'Etoile où Froissart descendit avec Messire Espaing de Lyon, " vaillant homme et sage et beau chevalier, et où il trouva de bon foin, de bonnes avoines et de belle rivière ".

Au lever des Pyrénées sur l'horizon, le coeur me battait : du fond de vingt-trois années sortirent des souvenirs embellis dans les lointains du temps : je revenais de la Palestine et de l'Espagne, lorsque, de l'autre côté de leur chaîne, je découvris le sommet de ces mêmes montagnes. Je suis de l'avis de madame de Motteville ; je pense que c'est dans un de ces châteaux des Pyrénées qu'habitait Urgande la Déconnue. Le passé ressemble à un musée d'antiques ; on y visite les heures écoulées chacun peut y reconnaître les siennes. Un jour, me promenant dans une église déserte, j'entendis des pas se traînant sur les dalles, comme ceux d'un vieillard qui cherchait sa tombe. Je regardai et n'aperçus personne ; c'était moi qui m'étais révélé à moi.

Plus j'étais heureux à Cauterets, plus la mélancolie de ce qui était fini me plaisait. La vallée étroite et resserrée est animée d'un gave ; au delà de la ville et des fontaines minérales, elle se divise en deux défilés dont l'un, célèbre par ses sites, aboutit au pont d'Espagne et aux glaciers. Je me trouvai bien des bains ; j'achevais seul de longues courses, en me croyant dans les escarpements de la Sabine. Je faisais tous mes efforts pour être triste et je ne le pouvais. Je composai quelques strophes sur les Pyrénées ; je disais :

J'avais vu fuir les mers de Solyme et d'Athènes,

D'Ascalon et du Nil les mouvantes arènes,

Carthage abandonnée et son port blanchissant :

Le vent léger du soir arrondissait ma voile,

Et de Vénus l'étoile

Mêlait sa perle humide à l'or pur du couchant.

Assis au pied du mât de mon vaisseau rapide,

Mes yeux cherchaient de loin ces colonnes d'Alcide

Où choquent leurs tridents deux Neptune irrités.

De l'antique Hespérie abordant le rivage,

Du noble Abencérage

Le mystère m'ouvrit les palais enchantés.

Comme une jeune abeille aux roses engagée,

Ma Muse revenait de son butin chargée,

Et cueilli sur la fleur des plus beaux souvenirs :

Dans les monts que Roland brisa par sa vaillance,

Je contais à sa lance

L'orgueil de mes dangers, tentés pour des plaisirs.

De l'âge délaissé quand survient la disgrâce,

Fuyons, fuyons les bords qui, gardant notre trace,

Nous font dire du temps en mesurant le cours :

" Alors j'avais un frère, une mère, une amie ;

" Félicité ravie !

" Combien me reste-t-il de parents et de jours ? "

Il me fut impossible d'achever mon ode : j'avais drapé lugubrement mon tambour pour battre le rappel des rêves de mes nuits passées ; mais toujours parmi ces rappelés se mêlaient quelques songes du moment dont la mine heureuse déjouait l'air consterné de leurs vieux confrères.

Voilà qu'en poétisant je rencontrai une jeune femme assise au bord du gave ; elle se leva et vint droit à moi : elle savait, par la rumeur du hameau, que j'étais à Cauterets. Il se trouva que l'inconnue était une Occitanienne, qui m'écrivait depuis deux ans sans que je l'eusse jamais vue : la mystérieuse anonyme se dévoila : patuit Dea .

J'allais rendre ma visite respectueuse à la naïade du torrent. Un soir qu'elle m'accompagnait lorsque je me retirais, elle me voulut suivre ; je fus obligé de la reporter chez elle dans mes bras. Jamais je n'ai été si honteux : inspirer une sorte d'attachement à mon âge me semblait une véritable dérision ; plus je pouvais être flatté de cette bizarrerie, plus j'en étais humilié, la prenant avec raison pour une moquerie. Je me serais volontiers caché de vergogne parmi les ours, nos voisins. J'étais loin de me dire ce que se disait Montaigne : " L'amour me rendroit la vigilance, la sobriété, la grâce, le soin de ma personne... " Mon pauvre Michel, tu dis des choses charmantes, mais à notre âge, vois-tu, l'amour ne nous rend pas ce que tu supposes ici. Nous n'avons qu'une chose à faire : c'est de nous mettre franchement de côté. Au lieu donc de me remettre aux estudes sains et sages par où je pusse me rendre plus aimé , j'ai laissé s'effacer l'impression fugitive de ma Clémence Isaure ; la brise de la montagne a bientôt emporté ce caprice d'une fleur ; la spirituelle, déterminée et charmante étrangère de seize ans m'a su gré de m'être rendu justice : elle est mariée.

 

Chapitre 2

Ministère Polignac. - Ma consternation. - Je reviens à Paris.

Des bruits de changement de ministres étaient parvenus dans nos sapinières. Les gens bien instruits allaient jusqu'à parler du prince de Polignac mais j'étais d'une incrédulité complète. Enfin, les journaux arrivent : je les ouvre, et mes yeux sont frappés de l'ordonnance officielle qui confirme les bruits répandus. J'avais bien éprouvé des changements de fortune depuis que j'étais au monde, mais je n'étais jamais tombé d'une pareille hauteur. Ma destinée avait encore une fois soufflé sur mes chimères, ce souffle du sort n'effaçait pas seulement mes illusions, il enlevait la monarchie. Ce coup me fit un mal affreux ; j'eus un moment de désespoir car mon parti fut pris à l'instant, je sentis que je me devais retirer. La poste m'apporta une foule de lettres ; toutes m'enjoignaient d'envoyer ma démission. Des personnes même que je connaissais à peine se crurent obligées de me prescrire la retraite.

Je fus choqué de cet officieux intérêt pour ma bonne renommée. Grâce à Dieu, je n'ai jamais eu besoin qu'on me donnât des conseils d'honneur, ma vie a été une suite de sacrifices qui ne m'ont jamais été commandés par personne ; en fait de devoir j'ai l'esprit primesautier. Les chutes me sont des ruines, car je ne possède rien que des dettes, dettes que je contracte dans des places où je ne demeure pas assez de temps pour les payer ; de sorte que toutes les fois que je me retire je suis réduit à travailler aux gages d'un libraire. Quelques-uns de ces fiers obligeants, qui me prêchaient l'honneur et la liberté par la poste, et qui me les prêchèrent encore bien plus haut lorsque j'arrivai à Paris, donnèrent leur démission de conseillers d'Etat ; mais les uns étaient riches, les autres ne se démirent pas des places secondaires qu'ils possédaient et qui leur laissèrent les moyens d'exister. Ils firent comme les protestants, qui rejettent quelques dogmes catholiques et qui en conservent quelques autres tout aussi difficiles à croire. Rien de complet dans ces oblations ; rien d'une pleine sincérité : on quittait douze ou quinze mille livres de rente, il est vrai, mais on rentrait chez soi opulent de son patrimoine, ou du moins pourvu de ce pain quotidien qu'on avait prudemment gardé. Avec ma personne, pas tant de façons ; on était rempli pour moi d'abnégation, on ne pouvait jamais assez se dépouiller pour moi de tout ce que je possédais :

" Allons, Georges Dandin, le coeur au ventre, corbleu ! mon gendre, ne forlignez pas ; habit bas ! Jetez par la fenêtre deux cent mille livres de rente, une place selon vos goûts, une haute et magnifique place, l'empire des arts à Rome, le bonheur d'avoir enfin reçu la récompense de vos luttes longues et laborieuses. Tel est notre bon plaisir. A ce prix, vous aurez notre estime. De même que nous nous sommes dépouillés d'une casaque sous laquelle nous avons un bon gilet de flanelle, de même, vous quitterez votre manteau de velours, pour rester nu. Il y a égalité parfaite, parité d'autel et d'holocauste. "

Et, chose étrange ! dans cette ardeur généreuse à me pousser dehors les hommes qui me signifiaient leur volonté n'étaient ni mes amis réels, ni les copartageants de mes opinions politiques. Je devais m'immoler sur le champ au libéralisme, à la Doctrine qui m'avait continuellement attaqué ; je devais courir le risque d'ébranler le trône légitime, pour mériter l'éloge de quelques poltrons d'ennemis, qui n'avaient pas le courage entier de mourir de faim.

J'allais me trouver noyé dans une longue ambassade ; les fêtes que j'avais données m'avaient ruiné, je n'avais pas payé les frais de mon premier établissement. Mais ce qui me navrait le coeur, c'était la perte de ce que je m'étais promis de bonheur pour le reste de ma vie.

Je n'ai point à me reprocher d'avoir octroyé à personne ces conseils catoniens qui appauvrissent celui qui les reçoit et non celui qui les donne ; bien convaincu que ces conseils sont inutiles à l'homme qui n'en a point le sentiment intérieur. Dès le premier moment, je l'ai dit, ma résolution fut arrêtée, elle ne me coûta pas à prendre, mais elle fut douloureuse à exécuter. Lorsqu'à Lourdes, au lieu de tourner au midi et de rouler vers l'Italie, je pris le chemin de Pau, mes yeux se remplirent de larmes ; j'avoue ma faiblesse. Qu'importe si je n'en ai pas moins accepté et soutenu le cartel que m'envoyait la fortune ? Je ne revins pas vite, afin de laisser les jours s'écouler. Je dépelotonnai lentement le fil de cette route que j'avais remontée avec tant d'allégresse il y avait à peine quelques semaines.

Le prince de Polignac craignait ma démission. Il sentait qu'en me retirant je lui enlèverais aux Chambres des votes royalistes, et que je mettrais son ministère en question. On lui suggéra la pensée de m'envoyer une estafette aux Pyrénées avec ordre du Roi de me rendre immédiatement à Rome, pour recevoir le Roi et la Reine de Naples qui venaient marier leur fille en Espagne. J'aurais été fort embarrassé si j'avais reçu cet ordre. Peut-être me serais-je cru obligé d'y obéir, quitte à donner ma démission après l'avoir rempli. Mais, une fois à Rome, que serait-il arrivé ? Je me serais peut-être attardé ; les fatales journées m'auraient pu surprendre au Capitole. Peut-être aussi l'indécision où j'aurais pu rester aurait-elle donné la majorité parlementaire à M. de Polignac qui ne lui faillit que de quelques voix. L'adresse alors ne passait pas ; les ordonnances, résultat de cette adresse, n'auraient peut-être pas paru nécessaires à leurs funestes auteurs : Dis aliter visum .

 

Chapitre 3

Entrevue avec M. de Polignac. - Je donne ma démission de mon ambassade de Rome.

Je trouvai à Paris madame de Chateaubriand toute résignée. Elle avait la tête tournée d'être ambassadrice à Rome, et certes une femme l'aurait à moins ; mais, dans les grandes circonstances, ma femme n'a jamais hésité d'approuver ce qu'elle pensait propre à mettre de la consistance dans ma vie et à rehausser mon nom dans l'estime publique : en cela elle a plus de mérite qu'une autre. Elle aime la représentation, les titres et la fortune ; elle déteste la pauvreté et le ménage chétif ; elle méprise ces susceptibilités, ces excès de fidélité et d'immolation qu'elle regarde comme de vraies duperies dont personne ne vous sait gré ; elle n'aurait jamais crié vive le Roi quand même ; mais quand il s'agit de moi, tout change ; elle accepte d'un esprit ferme mes disgrâces en les maudissant.

Il me fallait toujours jeûner, veiller, prier pour le salut de ceux qui se gardaient bien de se vêtir du cilice dont ils s'empressaient de m'affubler. J'étais l'âne saint, l'âne chargé des arides reliques de la liberté ; reliques qu'ils adoraient en grande dévotion, pourvu qu'ils n'eussent pas la peine de les porter.

Le lendemain de mon retour à Paris, je me rendis chez M. de Polignac. Je lui avais écrit cette lettre en arrivant :

" Paris, ce 28 août 1829.

" Prince,

" J'ai cru qu'il était plus digne de notre ancienne amitié plus convenable à la haute mission dont j'étais honoré et avant tout plus respectueux envers le Roi, de venir déposer moi-même ma démission à ses pieds, que de vous la transmettre précipitamment par la poste. Je vous demande un dernier service, c'est de supplier Sa Majesté de vouloir bien m'accorder une audience, et d'écouter les raisons qui m'obligent à renoncer à l'ambassade de Rome. Croyez, prince, qu'il m'en coûte, au moment où vous arrivez au pouvoir, d'abandonner cette carrière diplomatique que j'ai eu le bonheur de vous ouvrir.

" Agréez, je vous prie, l'assurance des sentiments que je vous ai voués et de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être, prince,

" Votre très humble et très obéissant serviteur,

" Chateaubriand. "

En réponse à cette lettre, on m'adressa ce billet des bureaux des affaires étrangères :

" Le prince de Polignac a l'honneur d'offrir ses compliments à M. le vicomte de Chateaubriand, et le prie de passer au ministère demain dimanche, à neuf heures précises, si cela lui est possible. "

" Samedi, quatre heures. "

J'y répliquai sur le champ par cet autre billet :

" Paris, ce 29 août 1829 au soir.

" J'ai reçu, prince, une lettre de vos bureaux qui m'invite à passer demain 30, à neuf heures précises, au ministère, si cela m'est possible. Comme cette lettre ne m'annonce pas l'audience du Roi que je vous avais prié de demander, j'attendrai que vous ayez quelque chose d'officiel à me communiquer sur la démission que je désire mettre aux pieds de Sa Majesté.

" Mille compliments empressés,

" Chateaubriand. "

Alors M. de Polignac m'écrivit ces mots de sa propre main :

" J'ai reçu votre petit mot, mon cher vicomte ; je serai charmé de vous voir demain sur les dix heures, si cette heure peut vous convenir.

" Je vous renouvelle l'assurance de mon ancien et sincère attachement,

" Le prince de Polignac. "

Ce billet me parut de mauvais augure ; sa réserve diplomatique me fit craindre un refus du Roi. Je trouvai le prince de Polignac dans le grand cabinet que je connaissais si bien. Il accourut au-devant de moi, me serra la main avec une effusion de coeur que j'aurais voulu croire sincère, et puis, me jetant un bras sur l'épaule, nous commençâmes à nous promener lentement d'un bout à l'autre du cabinet. Il me dit qu'il n'acceptait point ma démission ; que le Roi ne l'acceptait pas, qu'il fallait que je retournasse à Rome. Toutes les fois qu'il répétait cette dernière phrase, il me crevait le coeur :

" Pourquoi, me disait-il, ne voulez-vous pas être dans les affaires avec moi comme avec La Ferronnays et Portalis ? Ne suis-je pas votre ami ? Je vous donnerai à Rome tout ce que vous voudrez ; en France, vous serez plus ministre que moi, j'écouterai vos conseils. Votre retraite peut fait naître de nouvelles divisions. Vous ne voulez pas nuire au gouvernement ? Le Roi sera fort irrité si vous persistez à vouloir vous retirer. Je vous en supplie, cher vicomte, ne faites pas cette sottise. " Je répondis que je ne faisais pas une sottise ; que j'agissais dans la pleine conviction de ma raison ; que son ministère était très impopulaire ; que ces préventions pouvaient être injustes mais qu'enfin elles existaient ; que la France entière était persuadée qu'il attaquerait les libertés publiques, et que moi, défenseur de ces libertés, il m'était impossible de m'embarquer avec ceux qui passaient pour en être les ennemis. J'étais assez embarrassé dans cette réplique, car au fond je n'avais rien à objecter d'immédiat aux nouveaux ministres ; je ne pouvais les attaquer que dans un avenir qu'ils étaient en droit de nier. M. de Polignac me jurait qu'il aimait la Charte autant que moi ; mais il l'aimait à sa manière il l'aimait de trop près. Malheureusement la tendresse que l'on montre à une fille que l'on a déshonorée lui sert peu.

La conversation se prolongea sur le même texte près d'une heure. M. de Polignac finit par me dire que, si je consentais à reprendre ma démission, le Roi me verrait avec plaisir et écouterait ce que je voudrais lui dire contre son ministère ; mais que si je persistais à vouloir donner ma démission, Sa Majesté pensait qu'il lui était inutile de me voir, et qu'une conversation entre elle et moi ne pouvait être qu'une chose désagréable.

Je répliquai : " Regardez donc, prince, ma démission comme donnée. Je ne me suis jamais rétracté de ma vie, et, puisqu'il ne convient pas au Roi de voir son fidèle sujet, je n'insiste plus. " Après ces mots je me retirai. Je priai le prince de rendre à M. le duc de Laval l'ambassade de Rome, s'il la désirait encore, et je lui recommandai ma légation. Je repris ensuite à pied par le boulevard des Invalides le chemin de mon Infirmerie, pauvre blessé que j'étais. M. de Polignac me parut rentrer, lorsque je le quittai, dans cette confiance imperturbable qui faisait de lui un muet éminemment propre à étrangler un empire.

Ma démission d'ambassadeur à Rome étant donnée, j'écrivis au souverain pontife :

" Très-Saint-Père,

" Ministre des affaires étrangères en France en 1823, j'eus le bonheur d'être l'interprète des sentiments du feu Roi Louis XVIII pour l'exaltation désirée de Votre Sainteté à la chaire de Saint-Pierre. Ambassadeur de Sa Majesté Charles X près la cour de Rome, j'ai eu le bonheur plus grand encore de voir Votre Béatitude élevée au souverain pontificat, et de l'entendre m'adresser des paroles qui seront la gloire de ma vie. En terminant la haute mission que j'avais l'honneur de remplir auprès d'elle, je viens lui témoigner les vifs regrets dont je ne cesserai d'être pénétré. Il ne me reste, très Saint-Père, qu'à mettre à vos pieds sacrés ma sincère reconnaissance pour vos bontés, et à vous demander votre bénédiction apostolique.

" Je suis, avec la plus grande vénération et le plus profond respect,

" De Votre Sainteté

" Le très humble et très obéissant serviteur,

" Chateaubriand. "

J'achevai pendant plusieurs jours de me déchirer les entrailles dans mon Utique ; j'écrivis des lettres pour démolir l'édifice que j'avais élevé avec tant d'amour. Comme dans la mort d'un homme ce sont les petits détails, les actions domestiques et familières qui touchent, dans la mort d'un songe les petites réalités qui le détruisent sont plus poignantes. Un exil éternel sur les ruines de Rome avait été ma chimère. Ainsi que Dante je m'étais arrangé pour ne plus rentrer dans ma patrie. Ces élucidations testamentaires n'auront pas, pour les lecteurs de ces Mémoires , l'intérêt qu'elles ont pour moi. Le vieil oiseau tombe de la branche où il se réfugie ; il quitte la vie pour la mort. Entraîné par le courant, il n'a fait que changer de fleuve.

 

Chapitre 4

Flagorneries des journaux.

Quand les hirondelles approchent du moment de leur départ, il y en a une qui s'envole la première pour annoncer le passage prochain des autres : j'étais la première aile qui devançait le dernier vol de la légitimité. Les éloges dont m'accablaient les journaux me charmaient-ils ? pas le moins du monde. Quelques-uns de mes amis croyaient me consoler en m'assurant que j'étais au moment de devenir premier ministre ; que ce coup de partie joué si franchement décidait de mon avenir : ils me supposaient de l'ambition dont je n'avais pas même le germe. Je ne comprends pas qu'un homme qui a vécu seulement huit jours avec moi ne se soit pas aperçu de mon manque total de cette passion, au reste fort légitime, laquelle fait qu'on pousse jusqu'au bout la carrière politique. Je guettais toujours l'occasion de me retirer : si j'étais tant passionné pour l'ambassade de Rome, c'est précisément parce qu'elle ne menait à rien, et qu'elle était une retraite dans une impasse.

Enfin, j'avais au fond de la conscience une certaine crainte d'avoir déjà poussé trop loin l'opposition ; j'en allais forcément devenir le lien, le centre et le point de mire : j'en étais effrayé, et cette frayeur augmentait les regrets du tranquille abri que j'avais perdu.

Quoi qu'il en soit, on brûlait force encens devant l'idole de bois descendue de son autel. M. de Lamartine, nouvelle et brillante illustration de la France, m'écrivait au sujet de sa candidature à l'Académie, et terminait ainsi sa lettre :

" M. de La Noue, qui vient de passer quelques moments chez moi, m'a dit qu'il vous avait laissé occupant vos nobles loisirs à élever un monument à la France. Chacune de vos disgrâces volontaires et courageuses apportera ainsi son tribut d'estime à votre nom, et de gloire à votre pays. "

Cette noble lettre de l'auteur des Méditations poétiques fut suivie de celle de M. de Lacretelle. Il m'écrivait à son tour :

" Quel moment ils choisissent pour vous outrager, vous l'homme des sacrifices, vous à qui les belles actions ne coûtent pas plus que les beaux ouvrages ! Votre démission et la formation du nouveau ministère m'avaient paru d'avance deux événements liés. Vous nous avez familiarisés aux actes de dévouement, comme Bonaparte nous familiarisait avec la victoire ; mais il avait, lui, beaucoup de compagnons, et vous ne comptez pas beaucoup d'imitateurs. "

Deux hommes fort lettrés et écrivains d'un grand mérite, M. Abel Rémusat et M. Saint-Martin avaient seuls alors la faiblesse de s'élever contre moi ; ils étaient attachés à M. le baron de Damas. Je conçois qu'on soit un peu irrité contre ces gens qui méprisent les places : ce sont là de ces insolences qu'on ne doit pas tolérer. M. Guizot lui-même daigna visiter ma demeure ; il crut pouvoir franchir l'immense distance que la nature a mise entre nous ; en m'abordant il me dit ces paroles pleines de tout ce qu'il se devait : " Monsieur, c'est bien différent aujourd'hui ! " Dans cette année 1829, M. Guizot eut besoin de moi pour son élection ; j'écrivis aux électeurs de Lisieux ; il fut nommé ; M. de Broglie m'en remercia par ce billet :

" Permettez-moi de vous remercier, monsieur, de la lettre que vous avez bien voulu m'adresser. J'en ai fait l'usage que j'en devais faire, et je suis convaincu que comme tout ce qui vient de vous, elle portera ses fruits et des fruits salutaires. Pour ma part, j'en suis aussi reconnaissant que s'il s'agissait de moi-même, car il n'est aucun événement auquel je sois plus identifié et qui m'inspire un plus vif intérêt. "

Les journées de juillet ayant trouvé M. Guizot député, il en est résulté que je suis devenu en partie la cause de son élévation politique : la prière de l'humble est quelquefois écoutée du ciel.

 

Chapitre 5

Les premiers collègues de M. de Polignac.

Les premiers collègues de M. de Polignac furent MM. de Bourmont, de La Bourdonnaye, de Chabrol, Courvoisier et Montbel.

Le 17 juin 1815, étant à Gand et descendant de chez le Roi, je rencontrai au bas de l'escalier un homme en redingote et en bottes crottées, qui montait chez Sa Majesté. A sa physionomie spirituelle, à son nez fin, à ses beaux yeux doux de couleuvre, je reconnus le général Bourmont ; il avait déserté l'armée de Bonaparte le 14. Le comte de Bourmont est un officier de mérite, habile à se tirer des pas difficiles ; mais un de ces hommes qui, mis en première ligne, voient les obstacles et ne les peuvent vaincre, faits qu'ils sont pour être conduits, non pour conduire : heureux dans ses fils, Alger lui laissera un nom.

Le comte de La Bourdonnaye, jadis mon ami, est bien le plus mauvais coucheur qui fut oncques : il vous lâche des ruades, sitôt que vous approchez de lui ; il attaque les orateurs à la Chambre, comme ses voisins à la campagne, il chicane sur une parole, comme il fait un procès pour un fossé. Le matin même du jour où je fus nommé ministre des affaires étrangères, il vint me déclarer qu'il rompait avec moi : j'étais ministre. Je ris et je laissai aller ma mégère masculine, qui, riant elle-même, avait l'air d'une chauve-souris contrariée.

M. de Montbel, ministre d'abord de l'instruction publique, remplaça M. de La Bourdonnaye à l'intérieur quand celui-ci se fut retiré, et M. Guernon-Ranville suppléa M. de Montbel à l'instruction publique.

Des deux côtés on se préparait à la guerre : le parti du ministère faisait paraître des brochures ironiques contre le Représentatif ; l'opposition s'organisait et parlait de refuser l'impôt en cas de violation de la Charte. Il se forma une association publique pour résister au pouvoir, appelée l' Association bretonne : mes compatriotes ont souvent pris l'initiative dans nos dernières révolutions ; il y a dans les têtes bretonnes quelque chose des vents qui tourmentent les rivages de notre péninsule.

Un journal, composé dans le but avoué de renverser l'ancienne dynastie, vint échauffer les esprits. Le jeune et beau libraire Sautelet, poursuivi de la manie du suicide, avait eu plusieurs fois l'envie de rendre sa mort utile à son parti par quelque coup d'éclat ; il était chargé du matériel de la feuille républicaine : MM. Thiers, Mignet et Carrel en étaient les rédacteurs. Le patron du National , M. le prince de Talleyrand, n'apportait pas un sou à la caisse ; il souillait seulement l'esprit du journal en versant au fonds commun son contingent de trahison et de pourriture. Je reçus à cette occasion le billet suivant de M. Thiers :

" Monsieur,

" Ne sachant si le service d'un journal qui débute sera exactement fait, je vous adresse le premier numéro du National . Tous mes collaborateurs s'unissent à moi pour vous prier de vouloir bien vous considérer, non comme souscripteur, mais comme notre lecteur bénévole. Si dans ce premier article, objet de grand souci pour moi, j'ai réussi à exprimer des opinions que vous approuviez, je serai rassuré et certain de me trouver dans une bonne voie.

Recevez, monsieur, mes hommages,

" A. Thiers. "

Je reviendrai sur les rédacteurs du National ; je dirai comment je les ai connus ; mais dès à présent je dois mettre à part M. Carrel : supérieur à MM. Thiers et Mignet, il avait la simplicité de se regarder à l'époque où je me liai avec lui, comme venant après les écrivains qu'il devançait : il soutenait avec son épée les opinions que ces gens de plume dégainaient.

 

Chapitre 6

Expédition d'Alger.

Pendant qu'on se disposait au combat, les préparatifs de l'expédition d'Alger s'achevaient. Le général Bourmont, ministre de la guerre, s'était fait nommer chef de cette expédition : voulut-il se soustraire à la responsabilité du coup d'Etat qu'il sentait venir ? Cela serait assez probable d'après ses antécédents et sa finesse ; mais ce fut un malheur pour Charles X. Si le général s'était trouvé à Paris lors de la catastrophe, le portefeuille vacant du ministère de la guerre ne serait pas tombé aux mains de M. de Polignac. Avant de frapper le coup, dans le cas où il y eût consenti, M. de Bourmont eût sans doute rassemblé à Paris toute la garde royale ; il aurait préparé l'argent et les vivres nécessaires pour que le soldat ne manquât de rien.

Notre marine ressuscitée au combat de Navarin sortit de ces ports de France, naguère si abandonnés. La rade était couverte de navires qui saluaient la terre en s'éloignant. Des bateaux à vapeur, nouvelle découverte du génie de l'homme, allaient et venaient portant des ordres d'une division à l'autre, comme des sirènes ou comme les aides de camp de l'amiral. Le Dauphin se tenait sur le rivage où toutes les populations de la ville et des montagnes étaient descendues : lui, qui, après avoir arraché son parent le roi d'Espagne aux mains des révolutions, voyait se lever le jour par qui la chrétienté devait être délivrée, aurait-il pu se croire si près de sa nuit ?

Ils n'étaient plus ces temps où Catherine de Médicis sollicitait du Turc l'investiture de la principauté d'Alger pour Henri III, non encore roi de Pologne ! Alger allait devenir notre fille et notre conquête, sans la permission de personne, sans que l'Angleterre osât nous empêcher de prendre ce château de l'Empereur , qui rappelait Charles-Quint et le changement de sa fortune. C'était une grande joie et un grand bonheur pour les spectateurs français assemblés de saluer, du salut de Bossuet, les généreux vaisseaux prêts à rompre de leur proue la chaîne des esclaves ; victoire agrandie par ce cri de l'aigle de Meaux, lorsqu'il annonçait le succès de l'avenir au grand Roi, comme pour le consoler un jour dans sa tombe de la dispersion de sa race :

" Tu céderas ou tu tomberas sous ce vainqueur, Alger, riche des dépouilles de la chrétienté. Tu disais en ton coeur avare : Je tiens la mer sous mes lois et les nations sont ma proie. La légèreté de tes vaisseaux te donnait de la confiance, mais tu te verras attaqué dans tes murailles comme un oiseau ravissant qu'on irait chercher parmi ses rochers et dans son nid, où il partage son butin à ses petits. Tu rends déjà tes esclaves. Louis a brisé les fers dont tu accablais ses sujets, qui sont nés pour être libres sous son glorieux empire. Les pilotes étonnés s'écrient par avance : Qui est semblable à Tyr ? Et toutefois elle s'est tue dans le milieu de la mer . "

Paroles magnifiques, n'avez-vous pu retarder l'écroulement du trône ? Les nations marchent à leurs destinées ; à l'instar de certaines ombres du Dante, il leur est impossible de s'arrêter, même dans le bonheur.

Ces vaisseaux, qui apportaient la liberté aux mers de la Numidie, emportaient la légitimité ; cette flotte sous pavillon blanc, c'était la monarchie qui appareillait s'éloignant des ports où s'embarqua saint Louis, lorsque la mort l'appelait à Carthage. Esclaves délivrés des bagnes d'Alger, ceux qui vous ont rendus à votre pays ont perdu leur patrie ; ceux qui vous ont arrachés à l'exil éternel sont exilés. Le maître de cette vaste flotte a traversé la mer sur une barque en fugitif, et la France pourra lui dire ce que Cornélie disait à Pompée : " C'est bien une oeuvre de ma fortune, non pas de la tienne, que je te vois maintenant réduit à une seule pauvre petite nave, là où tu voulais cingler avec cinq cents voiles. "

Parmi cette foule qui au rivage de Toulon suivait des yeux la flotte partant pour l'Afrique, n'avais-je pas des amis ? M. du Plessis, frère de mon beau-frère, ne recevait-il pas à son bord une femme charmante, madame Lenormant, qui attendait le retour de l'ami de Champollion ? Qu'est-il résulté de ce vol exécuté en Afrique à tire-d'ailes ? Ecoutons M. de Penhoen, mon compatriote : " Deux mois ne s'étaient pas écoulés depuis que nous avions vu ce même pavillon flotter en face de ces mêmes rivages au-dessus de cinq cents navires. Soixante mille hommes étaient alors impatients de l'aller déployer sur le champ de bataille de l'Afrique. Aujourd'hui quelques malades, quelques blessés se traînant péniblement sur le pont de notre frégate, étaient son unique cortège... Au moment où la garde prit les armes pour saluer comme de coutume le pavillon à son ascension ou à sa chute, toute conversation cessa sur le pont. Je me découvris avec autant de respect que j'eusse pu le faire devant le vieux Roi lui-même. Je m'agenouillai au fond du coeur devant la majesté des grandes infortunes dont je contemplais tristement le symbole [ Mémoires d'un officier d'état-major ; par le baron Barchou de Penhoen ; p. 427. (N.d.A.)] . "

 

Chapitre 7

Ouverture de la session de 1830. - Adresse. - La Chambre est dissoute.

La session de 1830 s'ouvrit le 2 mars. Le discours du trône faisait dire au Roi : " Si de coupables manoeuvres suscitent à mon gouvernement des obstacles que je ne peux pas, que je ne veux pas prévoir, je trouverai la force de les surmonter. " Charles X prononça ces mots du ton d'un homme qui, habituellement timide et doux, se trouve par hasard en colère, s'anime au son de sa voix : plus les paroles étaient fortes, plus la faiblesse des résolutions apparaissait derrière.

L'adresse en réponse fut rédigée par MM. Etienne et Guizot. Elle disait : " Sire, la Charte consacre comme un droit l'intervention du pays dans la délibération des intérêts publics. Cette intervention fait du concours permanent des vues de votre gouvernement avec les voeux du peuple la condition indispensable de la marche régulière des affaires publiques. Sire, notre loyauté, notre dévouement, nous condamnent à vous dire que ce concours n'existe pas . "

L'adresse fut votée à la majorité de deux cent vingt et une voix contre cent quatre-vingt une. Un amendement de M. de Lorgeril faisait disparaître la phrase sur le refus du concours . Cet amendement n'obtint que vingt-huit suffrages. Si les deux cent vingt et un avaient pu prévoir le résultat de leur vote, l'adresse eût été rejetée à une immense majorité. Pourquoi la Providence ne lève-t-elle pas quelquefois un coin du voile qui couvre l'avenir ! Elle donne, il est vrai, à certains hommes, un pressentiment des futuritions ; mais ils n'y voient pas assez clair pour bien s'assurer de la route ; ils craignent de s'abuser, ou, s'ils s'aventurent dans des prédictions qui s'accomplissent, on ne les croit pas. Dieu n'écarte point la nuée du fond de laquelle il agit ; quand il permet de grands maux, c'est qu'il a de grands desseins ; desseins étendus dans un plan général, déroulés dans un profond horizon hors de la portée de notre vue et de l'atteinte de nos générations rapides.

Le Roi, en réponse à l'adresse, déclara que sa résolution était immuable, c'est-à-dire qu'il ne renverrait pas M. de Polignac. La dissolution de la Chambre fut résolue : MM. de Peyronnet et de Chantelauze remplacèrent MM. de Chabrol et Courvoisier, qui se retirèrent.

M. Capelle fut nommé ministre du commerce. On avait autour de soi vingt hommes capables d'être ministres ; on pouvait faire revenir M. de Villèle, on pouvait prendre M. Casimir Périer et le général Sébastiani. J'avais déjà proposé ceux-ci au Roi, lorsqu'après la chute de M. de Villèle l'abbé Frayssinous fut chargé de m'offrir le ministère de l'instruction publique. Mais non ; on avait horreur des gens capables. Dans l'ardeur qu'on ressentait pour la nullité, on chercha, comme pour humilier la France, ce qu'elle avait de plus petit afin de le mettre à sa tête. On avait déterré M. Guernon de Ranville, qui pourtant se trouva le plus courageux de la bande ignorée, et le Dauphin avait supplié M. de Chantelauze de sauver la monarchie.

L'ordonnance de dissolution convoqua les collèges d'arrondissement pour le 23 juin 1830, et les collèges de département pour le 3 de juillet, vingt-sept jours seulement avant l'arrêt de mort de la branche aînée.

Les partis, fort animés, poussaient tout à l'extrême : les ultra-royalistes parlaient de donner la dictature à la couronne ; les républicains songeaient à une République avec un Directoire ou sous une Convention. La Tribune , journal de ce parti, parut, et dépassa le National . La grande majorité du pays voulait encore la royauté légitime, mais avec des concessions et l'affranchissement des influences de cour ; toutes les ambitions étaient éveillées et chacun espérait devenir ministre : les orages font éclore les insectes.

Ceux qui voulaient forcer Charles X à devenir monarque constitutionnel pensaient avoir raison. Ils croyaient des racines profondes à la légitimité, ils avaient oublié la faiblesse de l' homme ; la royauté pouvait être pressée, le Roi ne le pouvait pas : l'individu nous a perdus, non l'institution.

 

Chapitre 8

Nouvelle Chambre. - Je pars pour Dieppe. - Ordonnances du 25 juillet. - Je reviens à Paris. - Réflexions pendant ma route. - Lettre à Madame Récamier.

Les députés de la nouvelle Chambre étaient arrivés à Paris : sur les deux cent vingt et un, deux cent deux avaient été réélus ; l'opposition comptait deux cent soixante-dix voix ; le ministère cent quarante-cinq : la partie de la couronne était donc perdue. Le résultat naturel était la retraite du ministère : Charles X s'obstina à tout braver, et le coup d'Etat fut résolu.

Je partis pour Dieppe le 26 juillet, à quatre heures du matin, le jour même où parurent les ordonnances. J'étais assez gai, tout charmé d'aller revoir la mer, et j'étais suivi, à quelques heures de distance, par un effroyable orage. Je soupai et je couchai à Rouen sans rien apprendre regrettant de ne pouvoir aller visiter Saint-Ouen, et m'agenouiller devant la belle Vierge du musée, en mémoire de Raphaël et de Rome. J'arrivai le lendemain 27, à Dieppe, vers midi. Je descendis dans l'hôtel où M. le comte de Boissy, mon ancien secrétaire de légation, m'avait arrêté un logement. Je m'habillai et j'allai chercher madame Récamier. Elle occupait un appartement dont les fenêtres s'ouvraient sur la grève. J'y passai quelques heures à causer et à regarder les flots. Voici tout à coup venir Hyacinthe ; il m'apporte une lettre que M. de Boissy avait reçue, et qui annonçait les ordonnances avec de grands éloges. Un moment après, entre mon ancien ami Ballanche, il descendait de la diligence et tenait en main les journaux. J'ouvris le Moniteur et je lus, sans en croire mes yeux, les pièces officielles. Encore un gouvernement qui de propos délibéré se jetait du haut des tours de Notre-Dame ! Je dis à Hyacinthe de demander des chevaux, afin de repartir pour Paris. Je remontai en voiture, vers sept heures du soir, laissant mes amis dans l'anxiété. On avait bien depuis un mois murmuré quelque chose d'un coup d'Etat, mais personne n'avait fait attention à ce bruit, qui semblait absurde. Charles X avait vécu des illusions du trône : il se forme autour des princes une espèce de mirage qui les abuse en déplaçant l'objet et en leur faisant voir dans le ciel des paysages chimériques.

J'emportai le Moniteur . Aussitôt qu'il fit jour, le 28 je lus, relus et commentai les ordonnances. Le rapport au Roi servant de prolégomènes me frappait de deux manières : les observations sur les inconvénients de la presse étaient justes ; mais en même temps l'auteur de ces observations montrait une ignorance complète de l'état de la société actuelle. Sans doute les ministres depuis 1814, à quelque opinion qu'ils aient appartenu, ont été harcelés par les journaux ; sans doute la presse tend à subjuguer la souveraineté, à forcer la royauté et les Chambres à lui obéir ; sans doute, dans les derniers jours de la Restauration, la presse, n'écoutant que sa passion, a, sans égard aux intérêts et à l'honneur de la France, attaqué l'expédition d'Alger, développé les causes, les moyens, les préparatifs, les chances d'un non-succès ; elle a divulgué les secrets de l'armement, instruit l'ennemi de l'état de nos forces, compté nos troupes et nos vaisseaux, indiqué jusqu'au point de débarquement. Le cardinal de Richelieu et Bonaparte auraient-ils mis l'Europe aux pieds de la France, si l'on eût révélé ainsi d'avance le mystère de leurs négociations, ou marqué les étapes de leurs armées ?

Tout cela est vrai et odieux ; mais le remède ? La presse est un élément jadis ignoré, une force autrefois inconnue, introduite maintenant dans le monde, c'est la parole à l'état de foudre ; c'est l'électricité sociale. Pouvez-vous faire qu'elle n'existe pas ? Plus vous prétendrez la comprimer, plus l'explosion sera violente. Il faut donc vous résoudre à vivre avec elle, comme vous vivez avec la machine à vapeur. Il faut apprendre à vous en servir en la dépouillant de son danger, soit qu'elle s'affaiblisse peu à peu par un usage commun et domestique, soit que vous assimiliez graduellement vos moeurs et vos lois aux principes qui régiront désormais l'humanité. Une preuve de l'impuissance de la presse dans certains cas se tire du reproche même que vous lui faites à l'égard de l'expédition d'Alger ; vous l'avez pris, Alger, malgré la liberté de la presse, de même que j'ai fait faire la guerre d'Espagne en 1823 sous le feu le plus ardent de cette liberté. Mais ce qui n'est tolérable dans le rapport des ministres, c'est cette prétention effrontée, savoir : que le roi a un pouvoir préexistant aux lois . Que signifient alors les constitutions ? pourquoi tromper les peuples par des simulacres de garantie, si le monarque peut à son gré changer l'ordre du gouvernement établi ? Et toutefois les signataires du rapport sont si persuadés de ce qu'ils disent, qu'à peine citent-ils l'article 14, au profit duquel j'avais depuis longtemps annoncé que l'on confisquerait la Charte ; ils le rappellent, mais seulement pour mémoire, et comme une superfétation de droit dont ils n'avaient pas besoin.

La première ordonnance établit la suppression de la liberté de la presse dans ses diverses parties ; c'est la quintessence de tout ce qui s'était élaboré depuis quinze ans dans le cabinet noir de la police.

La seconde ordonnance refait la loi d'élection. Ainsi, les deux premières libertés, la liberté de la presse et la liberté électorale, étaient radicalement extirpées : elles l'étaient, non par un acte inique et cependant légal, émané d'une puissance législative corrompue, mais par des ordonnances , comme au temps du bon plaisir. Et cinq hommes qui ne manquaient pas de bon sens se précipitaient, avec une légèreté sans exemple, eux, leur maître, la monarchie, la France et l'Europe, dans un gouffre. J'ignorais ce qui se passait à Paris. Je désirais qu'une résistance, sans renverser le trône, eût obligé la couronne à renvoyer les ministres et à retirer les ordonnances. Dans le cas où celles-ci eussent triomphé, j'étais résolu à ne pas m'y soumettre, à écrire, à parler contre ces mesures inconstitutionnelles.

Si les membres du corps diplomatique n'influèrent pas directement sur les ordonnances, ils les favorisèrent de leurs voeux ; l'Europe absolue avait notre Charte en horreur. Lorsque la nouvelle des ordonnances arriva à Berlin et à Vienne, et que pendant vingt-quatre heures on crut au succès, M. Ancillon s'écria que l'Europe était sauvée, et M. de Metternich témoigna une joie indicible. Bientôt, ayant appris la vérité, ce dernier fut aussi consterné qu'il avait été ravi : il déclara qu'il s'était trompé, que l'opinion était décidément libérale, et il s'accoutumait déjà à l'idée d'une constitution autrichienne.

Les nominations de conseillers d'Etat qui suivent les ordonnances de juillet jettent quelque jour sur les personnes qui, dans les antichambres, ont pu, par leurs avis ou par leur rédaction, prêter aide aux ordonnances. On y remarque les noms des hommes les plus opposés au système représentatif. Est-ce dans le cabinet même du Roi, sous les yeux du monarque, qu'ont été libellés ces documents funestes ? est-ce dans le cabinet de M. de Polignac ? est-ce dans une réunion de ministres seuls, ou assistés de quelques bonnes têtes anticonstitutionnelles ? est-ce sous les plombs, dans quelque séance secrète des Dix , qu'ont été minutés ces arrêts de juillet, en vertu desquels la monarchie légitime a été condamnée à être étranglée sur le Pont des Soupirs ? L'idée était-elle de M. de Polignac seul ? C'est ce que l'histoire ne nous révélera peut-être jamais.

Arrivé à Gisors, j'appris le soulèvement de Paris, et j'entendis des propos alarmants ; ils prouvaient à quel point la Charte avait été prise au sérieux par les populations de la France. A Pontoise, on avait des nouvelles plus récentes encore, mais confuses et contradictoires. A Herblay, point de chevaux à la poste. J'attendis près d'une heure. On me conseilla d'éviter Saint-Denis, parce que je trouverais des barricades. A Courbevoie, le postillon avait déjà quitté sa veste à boutons fleurdelisés. On avait tiré le matin sur une calèche qu'il conduisait à Paris par l'avenue des Champs-Elysées. En conséquence, il me dit qu'il ne me mènerait pas par cette avenue, et qu'il irait chercher, à droite de la barrière de l'Etoile, la barrière du Trocadéro. De cette barrière on découvre Paris. J'aperçus le drapeau tricolore flottant ; je jugeai qu'il ne s'agissait pas d'une émeute, mais d'une révolution. J'eus le pressentiment que mon rôle allait changer : qu'étant accouru pour défendre les libertés publiques, je serais obligé de défendre la royauté. Il s'élevait çà et là des nuages de fumée blanche parmi des groupes de maisons. J'entendis quelques coups de canon et des feux de mousqueterie mêlés au bourdonnement du tocsin. Il me sembla que je voyais tomber le vieux Louvre du haut du plateau désert destiné par Napoléon à l'emplacement du palais du roi de Rome. Le lieu de l'observation offrait une de ces consolations philosophiques qu'une ruine apporte à une autre ruine.

Ma voiture descendit la rampe. Je traversai le pont d'Iéna, et je remontai l'avenue pavée qui longe le Champ de Mars. Tout était solitaire. Je trouvai un piquet de cavalerie placé devant la grille de l'Ecole militaire ; les hommes avaient l'air tristes et comme oubliés là. Nous prîmes le boulevard des Invalides et le boulevard du Mont-Parnasse. Je rencontrai quelques passants qui regardaient avec surprise une voiture conduite en poste comme dans un temps ordinaire. Le boulevard d'Enfer était barré par des ormeaux abattus.

Dans ma rue, mes voisins me virent arriver avec plaisir : je leur semblais une protection pour le quartier. Madame de Chateaubriand était à la fois bien aise et alarmée de mon retour.

Le jeudi matin, 29 juillet, j'écrivis à madame Récamier, à Dieppe, cette lettre prolongée par des post-scriptum :

" Jeudi matin, 29 juillet 1830.

" Je vous écris sans savoir si ma lettre vous arrivera, car les courriers ne partent plus.

" Je suis entré dans Paris au milieu de la canonnade, de la fusillade et du tocsin. Ce matin, le tocsin sonne encore, mais je n'entends plus les coups de fusil ; il paraît qu'on s'organise, et que la résistance continuera tant que les ordonnances ne seront pas rappelées. Voilà le résultat immédiat (sans parler du résultat définitif) du parjure dont les ministres ont donné le tort, du moins apparent, à la couronne !

" La garde nationale, l'Ecole polytechnique, tout s'en est mêlé. Je n'ai encore vu personne. Vous jugez dans quel état j'ai trouvé madame de Ch... Les personnes qui, comme elle, ont vu le 10 août et le 2 septembre, sont restées sous l'impression de la terreur. Un régiment, le 5e de ligne, a déjà passé du côté de la Charte. Certainement M. de Polignac est bien coupable, son incapacité est une mauvaise excuse, l'ambition dont on n'a pas les talents est un crime. On dit la cour à Saint-Cloud, et prête à partir.

" Je ne vous parle pas de moi, ma position est pénible, mais claire. Je ne trahirai pas plus le Roi que la Charte, pas plus le pouvoir légitime que la liberté. Je n'ai donc rien à dire et à faire ; attendre et pleurer sur mon pays.

" Dieu sait maintenant ce qui va arriver dans les provinces ; on parle déjà de l'insurrection de Rouen. D'un autre côté, la congrégation armera les chouans et la Vendée. A quoi tiennent les empires ! Une ordonnance et six ministres sans génie ou sans vertu suffisent pour faire du pays le plus tranquille et le plus florissant le pays le plus troublé et le plus malheureux. "

" Midi.

" Le feu recommence. Il paraît qu'on attaque le Louvre où les troupes du Roi se sont retranchées. Le faubourg que j'habite commence à s'insurger. On parle d'un gouvernement provisoire dont les chefs seraient le général Gérard, le duc de Choiseul et M. de La Fayette.

" Il est probable que cette lettre ne partira pas Paris étant déclaré en état de siège. C'est le maréchal Marmont qui commande pour le Roi. On le dit tué, mais je ne le crois pas. Tâchez de ne pas trop vous inquiéter. Dieu vous protège ! Nous nous retrouverons ! "

" Vendredi.

" Cette lettre était écrite d'hier ; elle n'a pu partir. Tout est fini : la victoire populaire est complète ; le Roi cède sur tous les points ; mais j'ai peur qu'on aille maintenant bien au delà des concessions de la couronne. J'ai écrit ce matin à Sa Majesté. Au surplus j'ai pour mon avenir un plan complet de sacrifices qui me plaît. Nous en causerons quand vous serez arrivée. Je vais moi-même mettre cette lettre à la poste et parcourir Paris. "

 

 

Livre 32

 

Date de dernière mise à jour : 03/04/2016