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- Le Siècle de Louis le Grand - Charles Perrault (1628 – 1703)
Le Siècle de Louis le Grand - Charles Perrault (1628 – 1703)
1687
- La belle antiquité fut toujours vénérable ;
- Mais je ne crus jamais qu’elle fût adorable.
- Je vois les anciens, sans plier les genoux ;
- Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous ;
- Et l’on peut comparer, sans craindre d’Être injuste,
- Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste.
- En quel temps sut-on mieux le dur métier de Mars ?
- Quand d’un plus vif assaut força-t-on des remparts ?
- Et quand vit-on monter au sommet de la gloire,
- D’un plus rapide cours le char de la victoire ?
- Si nous voulions ôter le voile spécieux,
- Que la prévention nous met devant les yeux,
- Et, lassés d’applaudir à mille erreurs grossières,
- Nous servir quelquefois de nos propres lumières,
- Nous verrions clairement que, sans témérité,
- On peut n’adorer pas toute l’antiquité ;
- Et qu’enfin, dans nos jours, sans trop de confiance,
- On lui peut disputer le prix de la science.
- Platon, qui fut divin du temps de nos aïeux,
- Commence à devenir quelquefois ennuyeux :
- En vain son traducteur, partisan de l’antique,
- En conserve la grâce et tout le sel attique ;
- Du lecteur le plus âpre et le plus résolu,
- Un dialogue entier ne saurait être lu.
- Chacun sait le décri du fameux Aristote,
- En physique moins sûr qu’en histoire Hérodote ;
- Ses écrits, qui charmaient les plus intelligents,
- Sont à peine reçus de nos moindres régents.
- Pourquoi s’en étonner ? Dans cette nuit obscure,
- Où se cache à nos yeux la secrète nature,
- Quoique le plus savant d’entre tous les humains,
- Il ne voyait alors que des fantômes vains.
- Chez lui, sans nul égard des véritables causes,
- De simples qualités opéraient toutes choses,
- Et son système obscur roulait tout sur ce point,
- Qu’une chose se fait de ce qu’elle n’est point.
- D’une épaisse vapeur se formait la comète,
- Sur un solide ciel roulait chaque planète ;
- Et tous les autres feux dans leurs vases dorés,
- Pendaient du riche fond des lambris azurés.
- O ciel ! depuis le jour qu’un art incomparable,
- Trouva l’heureux secret de ce verre admirable,
- Par qui rien sur la terre et dans le haut des cieux,
- Quelqu’éloigné qu’il soit, n’est trop loin de nos yeux,
- De quel nombre d’objets, d’une grandeur immense,
- S’est accrue eu nos jours l’humaine connaissance !
- Dans l’enclos incertain de ce vaste univers,
- Mille mondes nouveaux ont été découverts,
- Et de nouveaux soleils, quand la nuit tend ses voiles,
- Égalent désormais le nombre des étoiles.
- Par des verres encor non moins ingénieux,
- L’œil voit croitre sous lui mille objets curieux
- II voit, lorsqu’en un point sa force est réunie,
- De l’atome au néant la distance infinie ;
- Il entre dans le sein des moindres petits corps,
- De la sage nature il y voit les ressorts,
- Et portant ses regards jusqu’en son sanctuaire,
- Admire avec quel art en secret elle opère.
- L’homme, de mille erreurs autrefois prévenu,
- Et malgré son savoir, à soi-même inconnu,
- Ignorait en repos jusqu’aux routes certaines,
- Du Méandre vivant qui coule dans ses veines.
- Des utiles vaisseaux, où de ses aliments
- Se font, pour le nourrir, les heureux changements
- Il ignorait encor la structure et l’usage,
- Et de son propre corps le divin assemblage.
- Non, non, sur la grandeur des miracles divers,
- Dont le Souverain Maitre a rempli l’univers,
- La docte antiquité, dans toute sa durée,
- À l’égal de nos jours ne fut point éclairée.
- Mais, si pour la nature elle eut de vains auteurs,
- Je la vois s’applaudir de ses grands orateurs,
- Je vois les Cicérons, je vois les Démosthènes,
- Ornements éternels et de Rome et d’Athènes,
- Dont le foudre éloquent me fait déjà trembler,
- Et qui, de leurs grands noms, viennent nous accabler.
- Qu’ils viennent, je le veux ; mais que sans avantage
- Entre les combattants le terrain se partage ;
- Que, dans notre barreau, l’on les voie occupés
- À défendre d’un champ trois sillons usurpés ;
- Qu’instruits dans la coutume, ils mettent leur étude
- À prouver d’un égout la juste servitude,
- Ou qu’en riche appareil, la force de leur art
- Éclate à soutenir les droits de Jean Maillart.
- Si leur haute éloquence, en ses démarches fières,
- Refuse de descendre à ces viles matières,
- Que nos grands orateurs soient assez fortunés
- Pour défendre, comme eux, des clients couronnés,
- Ou qu’un grand peuple en foule accoure les entendre,
- Pour déclarer la guerre au père d’Alexandre,
- Plus qu’eux peut-être alors diserts et véhéments,
- Ils donneraient l’essor aux plus grands mouvements ;
- Et si, pendant le cours d’une longue audience,
- Malgré les traits hardis de leur vive éloquence,
- On voit nos vieux Catons sur leurs riches tapis,
- Tranquilles auditeurs et souvent assoupis,
- On pourrait voir alors, au milieu d’une place,
- S’émouvoir, s’écrier l’ardente populace.
- Ainsi, quand sous l’effort des autans irrités,
- Les paisibles étangs sont à peine agités,
- Les moindres aquilons, sur les plaines salées,
- Élèvent jusqu’aux cieux les vagues ébranlées.
- Père de tous les arts, à qui du dieu des vers
- Les mystères profonds ont été découverts,
- Vaste et puissant génie, inimitable Homère,
- D’un respect infini ma muse te révère.
- Non, ce n’est pas à tort que tes inventions
- En tout temps ont charmé toutes les nations ;
- Que de tes deux héros, les hautes aventures
- Sont le nombreux sujet des plus doctes peintures,
- Et que des grands palais les murs et les lambris
- Prennent leurs ornements de tes divins écrits.
- Cependant, si le ciel, favorable à la France,
- Au siècle où nous vivons eût remis ta naissance,
- Cent défauts qu’on impute au siècle où tu naquis,
- Ne profaneraient pas tes ouvrages exquis.
- Tes superbes guerriers, prodiges de vaillance,
- Prêts de s’entrepercer du long fer de leur lance,
- N’auraient pas si longtemps tenu le bras levé ;
- Et, lorsque le combat devrait être achevé,
- Ennuyé les lecteurs, d’une longue préface,
- Sur les faits éclatants des héros de leur race.
- Ta verve aurait formé ces vaillants demi-dieux,
- Moins brutaux, moins cruels et moins capricieux.
- D’une plus fine entente et d’un art plus habile
- Aurait été forgé le bouclier d’Achille,
- Chef-d’œuvre de Vulcain, où son savant burin.
- Sur le front lumineux d’un résonnant airain,
- Avait gravé le ciel, les airs, l’onde et la terre,
- Et tout ce qu’Amphytrite en ses deux bras enserre,
- Où l’on voit éclater le bel astre du jour,
- Et la lune, au milieu de sa brillante cour.
- Où l’on voit deux cités parlant diverses langues,
- Où de deux orateurs on entend les harangues,
- Où de jeunes bergers, sur la rive d’un bois,
- Dansent l’un après l’autre, et puis tous à la fois ;
- Où mugit un taureau qu’un fier lion dévore,
- Où sont de doux concerts ; et cent choses encore
- Que jamais d’un burin, quoiqu’en la main des dieux,
- Le langage muet ne saurait dire aux yeux :
- Ce fameux bouclier, dans un siècle plus sage,
- Eût été plus correct et moins chargé d’ouvrage.
- Ton génie, abondant en ses descriptions,
- Ne t’aurait pas permis tant de digressions,
- Et, modérant l’excès de tes allégories,
- Eût encor retranché cent doctes rêveries,
- Où ton esprit s’égare et prend de tels essors,
- Qu’Horace te fait grâce en disant que lu dors.
- Ménandre, j’en conviens, eut un rare génie,
- Et pour plaire au théâtre une adresse infinie.
- Virgile, j’y consens, mérite des autels.
- Ovide est digne encor des honneurs immortels.
- Mais ces rares auteurs, qu’aujourd’hui l’on adore,
- Étaient-ils adorés quand ils vivaient encore ?
- Écoutons Martial : Ménandre, esprit charmant,
- Fut du théâtre grec applaudi rarement ;
- Virgile vit les vers d’Ennius le bonhomme,
- Lus, chéris, estimés des connaisseurs de Rome,
- Pendant qu’avec langueur on écoutait les siens,
- Tant on est amoureux des auteurs anciens ;
- Et malgré la douceur de sa veine divine,
- Ovide était connu de sa seule Corine,
- Ce n’est qu’avec le temps que leur nom s’accroissant,
- Et toujours, plus fameux, d’âge en âge passant,
- À la fin s’est acquis cette gloire éclatante,
- Qui de tant de degrés a passé leur attente.
- Tel, à fois épandus, un fleuve impétueux,
- En abordant la mer coule majestueux,
- Qui, sortant de son roc sur l’herbe de ses rives,
- Y roulait, inconnu, ses ondes fugitives.
- Donc, quel haut rang l’honneur ne devront point tenir
- Dans les fastes sacrés des siècles à venir,
- Les Regniers, les Mainards, les Gombauds, les Malherbes,
- Les Godeaux, les Racans, dont les écrits superbes,
- En sortant de leur veine, et dès qu’ils furent nés,
- D’un laurier immortel se virent couronnés.
- Combien seront chéris par les races futures,
- Les galants Sarrasins, et les tendres Voitures,
- Les Molières naïfs, les Rotrou, les Tristans,
- Et cent autres encor délices de leur temps.
- Mais quel sera le sort du célèbre Corneille,
- Du théâtre français l’honneur et la merveille,
- Qui sut si bien mêler aux grands évènements.
- L’héroïque beauté des nobles sentiments ?
- Qui des peuples pressés vit cent fois l’affluence,
- Par de longs cris de joie honorer sa présence,
- Et les plus sages rois, de sa veine charmés,
- Écouter les héros qu’il avait animés.
- De ces rares auteurs, au temple de mémoire,
- On ne peut concevoir quelle sera la gloire,
- Lorsqu’insensiblement, consacrant leurs écrits,
- Le temps aura, pour eux, gagné tous les esprits ;
- Et par ce haut relief qu’il donne à toute chose,
- Amené le moment de leur apothéose.
- Maintenant, à loisir, sur les autres beaux arts,
- Pour en voir le succès, promenons nos regards.
- Amante des appas de la belle nature,
- Venez, et dites-nous, agréable Peinture :
- Ces peintres si fameux des siècles plus âgés,
- De talents inouïs furent-ils partagés ;
- Et le doit-on juger par les rares merveilles
- Dont leurs adorateurs remplissent nos oreilles
- Faut-il un si grand art pour tromper un oiseau !
- Un peintre est-il parfait pour bien peindre un rideau ?
- Et fut-ce un coup de l’art si digne qu’on l’honore,
- De fendre un mince trait, d’un trait plus mince encore.
- À peine maintenant ces exploits singuliers
- Seraient le coup d’essai des moindres écoliers.
- Ces peintres commençants, dans le peu qu’ils apprirent,
- N’en surent guère plus que ceux qui les admirent.
- Dans le siècle passé, des hommes excellents
- Possédaient, il est vrai, vos plus riches talents ;
- L’illustre Raphaël, cet immense génie,
- Pour peindre, eut une force, une grâce infinie ;
- Et tout ce que forma l’adresse de sa main,
- Porte un air noble et grand, qui semble plus qu’humain.
- Après lui s’éleva son école savante,
- Et celle des Lombards à l’envi triomphante.
- De ces maitres de l’art, les tableaux précieux
- Seront, dans tous les temps, le doux charme des yeux.
- De votre art cependant le secret le plus rare,
- Ne leur fut départi que d’une main avare :
- Le plus docte d’entr’eux ne sut que faiblement,
- Du clair et de l’obscur l’heureux ménagement.
- On ne rencontre point, dans leur simple manière,
- Le merveilleux effet de ce point de lumière,
- Qui, sur un seul endroit, vif et resplendissant,
- Va, de tous les côtés, toujours s’affaiblissant,
- Qui, de divers objets que le sujet assemble,
- Par le nœud des couleurs ne fait qu’un tout ensemble,
- Et présente à nos yeux l’exacte vérité
- Dans toute la douceur de sa naïveté.
- Souvent, sans nul égard du changement sensible
- Que fait de l’air épais la masse imperceptible,
- Les plus faibles lointains et les plus effacés
- Sont comme les devants distinctement tracés ;
- Ne sachant pas encor qu’un peintre, en ses ouvrages,
- Des objets éloignés doit former les images,
- Lorsque confusément son œil les aperçoit,
- Non telles qu’elles sont, mais telles qu’il les voit.
- C’est par là que Le Brun, toujours inimitable,
- Donne à tout ce qu’il fait un air si véritable,
- Et que, dans l’avenir, ses ouvrages fameux
- Seront l’étonnement de nos derniers neveux.
- Non loin du beau séjour de l’aimable peinture,
- Habite pour jamais la tardive sculpture ;
- Près d’elle est la Vénus, l’Hercule, l’Apollon,
- Le Bacchus, le Lantin et le Laocoon,
- Chefs-d’œuvre de son art, choisis entre dix mille ;
- Leurs divines beautés me rendent immobile,
- Et souvent interdit, il me semble les voir
- Respirer comme nous, parler et se mouvoir.
- C’est ici, je l’avoue, où l’audace est extrême,
- De soutenir encor mon surprenant problème ;
- Mais si l’art, qui jamais ne se peut contenter,
- Découvre des défauts qu’on leur peut imputer,
- Si du Laocoon la taille vénérable,
- De celle de ses fils est par trop dissemblable,
- Et si les moites corps des serpents inhumains,
- Au lieu de deux enfants enveloppent deux nains ;
- Si le fameux Hercule a diverses parties,
- Par des muscles trop forts un peu trop ressenties ;
- Quoique tous les savants, de l’antique entêtés,
- Érigent ces défauts en de grandes beautés,
- Doivent-ils nous forcer à ne voir rien de rare,
- Aux chefs-d’œuvre nouveaux dont Versailles se pare,
- Que tout homme éclairé qui n’en croit que ses yeux,
- Ne trouve pas moins beaux pour n’être pas si vieux ?
- Qui se font admirer, et semblent pleins de vie,
- Tout exposés qu’ils sont aux regards de l’envie.
- Mais que n’en diront point les siècles éloignés,
- Lorsqu’il leur manquera quelque bras, quelque nez ?
- Ces ouvrages divins où tout est admirable,
- Sont du temps de Louis, ce prince incomparable,
- Diront les curieux. Cet auguste Apollon
- Sort de la sage main du fameux Girardon ;
- Ces chevaux du soleil, qui marchent, qui bondissent,
- Et, qu’au rapport des yeux, on croirait qu’ils hennissent,
- Sont l’ouvrage immortel des deux frères Gaspards ;
- Et cet aimable Acis, qui charme vos regards,
- Où tout est naturel autant qu’il est artiste,
- Naquit sous le ciseau du gracieux Baptiste.
- Cette jeune Diane, où l’œil, à tout moment,
- De son geste léger croit voir le mouvement,
- Qui, placée à son gré le long de ces bocages,
- Semble vouloir sans cesse entrer sous leurs feuillages,
- Se doit à l’ouvrier, dont la savante main,
- Sous les traits animés d’un colosse d’airain,
- Secondant d’Aubusson, dans l’ardeur de son zèle,
- Du héros immortel fit l’image immortelle.
- Allons sans différer dans ces aimables lieux,
- De tant de grands objets rassasier nos yeux.
- Ce n’est, pas un palais, c’est une ville entière,
- Superbe en sa grandeur, superbe en sa matière ;
- Non, c’est plutôt un monde, où du grand univers
- Se trouvent rassemblés les miracles divers.
- Je vois de toutes parts les fleuves qui jaillissent,
- Et qui forment des mers des ondes qu’ils vomissent,
- Par un art incroyable, ils ont été forcés
- De monter au sommet de ces lieux exhaussés ;
- Et leur eau, qui descend aux jardins qu’elle arrose,
- Dans cent riches palais en passant se repose.
- Que leur peut opposer toute l’antiquité,
- Pour égaler leur pompe et leur variété ?
- Naguère dans sa chaire, un maitre en rhétorique,
- Plein de ce fol amour qu’ils ont tous pour l’antique,
- Louant ces beaux jardins, qu’il disait avoir vus :
- On les prendrait, dit-il, pour ceux d’Alcinoos.
- Le jardin de ce roi, si l’on en croit Homère,
- Qui se plut à former une belle chimère,
- Utilement rempli de bons arbres fruitiers,
- Renfermait dans ses murs quatre arpents tout entiers.
- Là se cueillait la poire, et la figue et l’orange,
- Ici, dans un recoin, se foulait la vendange,
- Et là, de beaux raisins sur la terre épanchés,
- S’étalaient au soleil pour en être séchés.
- Dans le royal enclos, on voyait deux fontaines,
- Non s’élever en l’air superbes et hautaines,
- Mais former à l’envi deux paisibles ruisseaux,
- Dont l’un mouillait le pied de tous les arbrisseaux,
- Et l’autre, s’échappant du jardin magnifique,
- Abreuvait les passants dans la place publique.
- Tels sont, dans les hameaux des prochains environs,
- Les rustiques jardins de nos bons vignerons.
- Que j’aime la fraicheur de ces bocages sombres,
- Où se sont retirés le repos et les ombres,
- Où sans cesse on entend le murmure des eaux
- Qui sert de symphonie au concert des oiseaux !
- Mais ce concert si doux, où leur amour s’explique,
- M’accuse d’oublier la charmante musique.
- La Grèce, toujours vaine, est encore sur ce point
- Fabuleuse à l’excès, et ne se dément point,
- Si l’on ose l’en croire, un chantre de la Thrace,
- Forçait les animaux de le suivre à la trace,
- Et même les forêts, jusqu’aux moindres buissons,
- Tant le charme était fort de ses douces chansons.
- Un autre plus expert, non content que sa lyre
- Fît marcher sur ses pas les rochers qu’elle attire,
- Vit ces mêmes rochers de sa lyre enchantés,
- Se poser l’un sur l’autre, et former des cités.
- Ces fables, il est vrai, sagement inventées,
- Par la Grèce avec art ont été racontées ;
- Mais, comment l’écouter, quand d’un ton sérieux,
- Et mettant à l’écart tout sens mystérieux,
- Elle dit qu’à tel point, dans le cœur le plus sage,
- Ses joueurs d’instruments faisaient entrer la rage,
- En sonnant les accords du mode phrygien,
- Que les meilleurs amis et les plus gens de bien,
- Criaient, se querellaient, faisaient mille vacarmes,
- Et pour s’entretuer couraient prendre des armes :
- Que quand ces enragés, écumant de courroux,
- Se tenaient aux cheveux et s’assommaient de coups,
- Les joueurs d’instruments, pour adoucir leur bile,
- Touchaient le dorien, mode sage et tranquille,
- Et qu’alors ces mutins, à de si doux accents,
- S’apaisant tout à coup, rentraient dans leur bon sens ?
- Elle se vante encor qu’elle eut une musique
- Utile au dernier point dans une république,
- Qui de tout fol amour amortissait l’ardeur,
- Et du sexe charmant conservait la pudeur ;
- Qu’une reine ‘ autrefois pour l’avoir écoutée,
- Fut près d’un lustre entier en vain sollicitée ;
- Mais qu’elle succomba dès que son séducteur,
- Eut chassé d’auprès d’elle un excellent fluteur,
- Dont, pendant tout ce temps, la haute suffisance
- Avait de cent périls gardé son innocence.
- Avec toute sa pompe et son riche appareil,
- La musique en nos jours ne fait rien de pareil.
- Ce bel art, tout divin par ses douces merveilles,
- Ne se contente pas de charmer les oreilles,
- Ni d’aller jusqu’au cœur par ses expressions
- Émouvoir à son gré toutes les passions :
- Il va, passant plus loin, par sa beauté suprême,
- Au plus haut de l’esprit charmer la raison même.
- Là cet ordre, ce choix et ces justes rapports
- Des divers mouvements et des divers accords,
- Le choc harmonieux des contraires parties,
- Dans leurs tons opposés sagement assorties,
- Dont l’une suit les pas de l’autre qui s’enfuit :
- Le mélange discret du silence et du bruit,
- Et de mille ressorts la conduite admirable
- Enchantent la raison d’un plaisir ineffable.
- Ainsi, pendant la nuit, quand on lève les yeux
- Vers les astres brillants de la voute des cieux,
- Plein d’une douce joie, on contemple, on admire
- Cet éclat vif et pur dont on les voit reluire ;
- Et d’un respect profond on sent toucher son cœur
- Par leur nombre étonnant et leur vaste grandeur :
- Mais si de ces beaux feux les courses mesurées,
- De celui qui les voit ne sont pas ignorées,
- S’il connait leurs aspects et leurs déclinaisons,
- Leur chute et leur retour, qui forment les saisons,
- Combien adore-t-il la sagesse infinie,
- Qui de cette nombreuse et céleste harmonie,
- Qu’un ordre, compassé jusqu’aux moindres moments,
- Règle les grands accords et les grands mouvements ?
- La Grèce, je le veux, eut des voix sans pareilles,
- Dont l’extrême douceur enchantait les oreilles ;
- Ses maitres, pleins d’esprit, composèrent des chants,
- Tels que ceux de Lulli, naturels et touchants ;
- Mais n’ayant point connu la douceur incroyable
- Que produit des accords la rencontre agréable ;
- Malgré tout le grand bruit que la Grèce en a fait,
- Chez elle ce bel art fut un art imparfait :
- Que si de sa musique on la vit enchantée,
- C’est qu’elle se flatta de l’avoir inventée ;
- Et son ravissement fut l’effet de l’amour
- Dont on est enivré pour ce qu’on met au jour.
- Ainsi, lorsqu’un enfant, dont la langue s’essaye,
- Commence à prononcer, fait du bruit et bégaye,
- La mère qui le tient a ses sens plus charmés
- De trois ou quatre mots qu’à peine il a formés,
- Que de tous les discours pleins d’art et de science,
- Que déclame en public la plus haute éloquence.
- Que ne puis-je évoquer le célèbre Arion,
- L’incomparable Orphée et le sage Amphion,
- Pour les rendre témoins de nos rares merveilles,
- Qui, dans leur siècle heureux, n’eurent point de pareilles !
- Quand la toile se lève, et que les sons charmants
- D’un innombrable amas de divers instruments,
- Forment cette éclatante et grave symphonie,
- Qui ravit tous les sens par sa noble harmonie,
- Et par qui le moins tendre, en ce premier moment,
- Sent tout son corps ému d’un doux frémissement ;
- Ou quand d’aimables voix, que la scène rassemble,
- Mêlent leurs divins chants et leurs plaintes ensemble,
- Et par les longs accords de leur triste langueur,
- Pénètrent jusqu’au fond le moins sensible cœur ;
- Sur des maitres de l’art, sur des âmes si belles,
- Quel pouvoir n’auraient pas tant de grâces nouvelles
- Tout art n’est composé que des secrets divers,
- Qu’aux hommes curieux l’usage a découverts,
- Et cet utile amas des choses qu’on invente,
- Sans cesse, chaque jour, ou s’épure, ou s’augmente ;
- Ainsi, les humbles toits de nos premiers aïeux,
- Couverts négligemment de joncs et de glaïeux,
- N’eurent rien de pareil en leur architecture,
- À nos riches palais d’éternelle structure :
- Ainsi le jeune chêne en son âge naissant,
- Ne peut se comparer au chêne vieillissant,
- Qui, jetant sur la terre un spacieux ombrage,
- Avoisine le ciel de son vaste branchage.
- Mais c’est peu, dira-t-on, que, par un long progrès,
- Le temps de tous les arts découvre les secrets ;
- La nature affaiblie en ce siècle où nous sommes,
- Ne peut plus enfanter de ces merveilleux hommes,
- Dont avec abondance, en mille endroits divers,
- Elle ornait les beaux jours du naissant univers,
- Et que, tout pleins d’ardeur, de force et de lumière,
- Elle donnait au monde en sa vigueur première....
- À former les esprits comme à former les corps,
- La nature en tout temps fait les mêmes efforts ;
- Son être est immuable ; et cette force aisée
- Dont elle produit tout, ne s’est point épuisée :
- Jamais l’astre du jour, qu’aujourd’hui nous voyons,
- N’eut le front couronné de plus brillants rayons ;
- Jamais, dans le printemps, les roses empourprées,
- D’un plus vif incarnat ne furent colorées ;
- Non moins blanc qu’autrefois brille dans nos jardins
- L’éblouissant émail des lis et des jasmins,
- Et dans le siècle d’or la tendre Philomèle,
- Qui charmait nos aïeux de sa chanson nouvelle,
- N’avait rien de plus doux que celle dont la voix
- Réveille les échos qui dorment dans nos bois.
- De cette même main les forces infinies
- Produisent en tout temps de semblables génies.
- Les siècles, il est vrai, sont entr’eux différents,
- Il en fut d’éclairés, il en fut d’ignorants ;
- Mais si le règne heureux d’un excellent monarque
- Fut toujours de leur prix et la cause et la marque,
- Quel siècle pour ses rois, des hommes révéré,
- Au siècle de Louis peut être préféré
- De Louis, qu’environne une gloire immortelle,
- De Louis, des grands rois le plus parfait modèle?
- Le ciel en le formant épuisa ses trésors,
- Et le combla des dons de l’esprit et du corps ;
- Par l’ordre des destins, la victoire, asservie
- À suivre tous les pas de son illustre vie,
- Animant les efforts de ses vaillants guerriers,
- Dès qu’il régna sur nous le couvrit de lauriers ;
- Mais lorsqu’il entreprit de mouvoir par lui-même
- Les pénibles ressorts de la grandeur suprême,
- De quelle majesté, de quel nouvel éclat,
- Ne vit-on pas briller la face de l’état ?
- La pureté des lois partout est rétablie,
- Des funestes duels la rage est abolie ;
- Sa valeur en tous lieux soutient ses alliés,
- Sous elle, les ingrats tombent humiliés,
- Et l’on voit tout à coup les fiers peuples de l’Èbre,
- Du rang qu’il tient sur eux rendre un aveu célèbre.
- Son bras, se signalant par cent divers exploits,
- Des places qu’il attaque en prend quatre à la fois ;
- Aussi loin qu’il le veut il étend ses frontières ;
- En dix jours, il soumet des provinces entières ;
- Son armée, à ses yeux, passe un fleuve profond,
- Que César ne passa qu’avec l’aide d’un pont.
- De trois vastes états les haines déclarées
- Tournent contre lui seul leurs armes conjurées ;
- Il abat leur orgueil, il confond leurs projets,
- Et pour tout châtiment leur impose la paix.
- Instruit d’où vient en lui cet excès de puissance,
- Il s’en sert, plein de zèle et de reconnaissance,
- À rendre à leur bercail les troupeaux égarés,
- Qu’une mortelle erreur en avait séparés,
- Et par ses pieux soins, l’hérésie étouffée,
- Fournit à ses vertus un immortel trophée.
- Peut-être qu’éblouis par tant d’heureux progrès,
- Nous n’en jugeons pas bien, pour en être trop près ;
- Consultons au-dehors, et formons nos suffrages
- Au gré des nations des plus lointaines plages,
- De ces peuples heureux, où plus grand, plus vermeil,
- Sur un char de rubis se lève le soleil,
- Où la terre, en tout temps, d’une main libérale,
- Prodigue ses trésors qu’avec pompe elle étale,
- Dont les superbes rois sont si vains de leur sort,
- Qu’un seul regard sur eux est suivi de la mort.
- L’invincible Louis, sans flotte, sans armée,
- Laisse agir en ces lieux sa seule renommée ;
- Et ces peuples, charmés de ses exploits divers,
- Traversent sans repos le vaste sein des mers,
- Pour venir à ses pieds lui rendre un humble hommage,
- Pour se remplir les yeux de son auguste image,
- Et gouter le plaisir de voir tout à la fois,
- Des hommes le plus sage, et le plus grand des rois.
- Ciel à qui nous devons cette splendeur immense,
- Dont on voit éclater notre siècle et la France,
- Poursuis de tes bontés le favorable cours,
- Et d’un si digne roi conserve les beaux jours,
- D’un roi qui, dégagé des travaux de la guerre,
- Aimé de ses sujets, craint de toute la terre,
- Ne va plus occuper tous ses soins généreux,
- Qu’à nous régir en paix, et qu’à nous rendre heureux. - FIN
Date de dernière mise à jour : 17/05/2021