BIBLIOBUS Littérature française

1900

Janvier

1er. -- A Georges Rémond :

Vous me dites que Georges D. vous a assuré m'avoir écrit quatre fois. Votre lettre précédente ne me parlait que de deux. La déveine de ce garçon est galopante. Il est désormais indiscutable que la poste lui en veut et que quarante autres lettres auraient le même sort. Priez-le donc de ne pas pousser plus loin l'expérience. Dites-lui que je ne peux supporter la pensée qu'il se crève inutilement pour moi. Ne me suffit-il pas de savoir que j'ai en lui le plus attentif, le plus exact, le plus dévoué, le plus admirable ami ?

2. -- A un bienfaiteur ingrat :

Je ne vous ai jamais dit qu'il ne fallait pas vous plaindre. Moi-même je me plains souvent. Je vous ai reproché surtout et même exclusivement, je crois, le mystère dont votre amitié s'enveloppait. Relisez-moi.

En général, je trouve cela peu digne d'un homme et, dans la circonstance, j'y ai vu un enfantillage mauvais, désolant. Votre lettre veut être profondément humble, mais elle est saturée d'amertume, et je devine que vous avez lutté beaucoup pour obtenir la grâce de m'écrire, sans violence, -- violence, je le dis en passant, qui ne m'aurait pas déplu. Ce qui peut me déplaire, c'est de vouloir à toute force que je sois un saint et un prophète et de me parler en conséquence. Alors, comme je tiens de mon origine un sentiment très-vif du ridicule, je ne connais plus d'autre besoin que celui de me défendre avec les armes que Dieu m'a données, et on est sûr d'écoper ferme. Le mot « j'y renonce » qui vous a fait souffrir était conditionnel, puisque précédé de la conjonction SI que vous n'avez pourtant pas dû prendre pour la septième note de la gamme. Donc vous n'avez pas lieu de gémir sur une « promptitude » hypothétique exigée par d'imaginaires circonstances. Tout cela est fort absurde et déraisonnable. Ah ! certes, oui, par exemple, que j'y renoncerais, et que je vous lâcherais, et que je vous planterais, et que je vous plaquerais, si nos relations devaient être sans virilité. Mais tel n'est pas le cas, n'est-ce-pas ? Alors ! ?

Je crois savoir ce que c'est que de donner. J'ai passé une partie de ma vie à ça, et c'était quelquefois bien drôle. J'ai donc le droit de vous parler comme je fais. Deux mots pour me résumer. Il fallait ou ne pas faire ce que vous avez fait ou, l'ayant fait, ne pas le dire. Si je dois, vous connaissant mieux, vous aimer beaucoup, un peu plus tard, ce ne sera pas parce que vous m'aurez « donné de l'argent », fût-ce au prix d'énormes sacrifices, mais parce que vous me l'aurez donné par amour. Si le texte que vous citez du Mendiant, page 63, ne vous semble pas conforme strictement à ces derniers mots, tant pis pour vous. La pensée que toutes mes lignes peuvent être étudiées, commentées, discutées comme les lignes du Texte sacré, m'indigne profondément et me porterait à détester mes propres oeuvres, parce que c'est trop bête.

Rien n'est plus facile que d'« être avec moi » La recette infaillible, c'est d'avoir, je ne dis pas de la bonté, mais de la bonhomie, et de ne pas m'infliger une situation de bonze, que je trouve ridicule, rapetissante, humiliante en vain et qui me fait horreur. Or vous êtes figé dans 1e respect. Il faut changer cela. Alors seulement nous pourrons marcher ensemble. J'ai soif d'être regardé comme un pauvre homme, très-isolé et plein d'amour. Rien de plus. Vous ne connaissez pas ma faiblesse, ni mon ignorance, ni mon abjection véritable, ni ma tristesse de démon, et vous ne savez rien de la Joie qui est au fond de mon âme.

Lettre du prince Ourousof m'apprenant qu'il est devenu complètement sourd. Il s'en console avec son « âme de bouquiniste » La musique, le bruit des feuilles, les accents de la douce voix humaine, l'échange rapide des idées, tout cela a disparu. Mes amis sont fatigués de crier après moi. » Il ajoute à ces lignes tristes « qu'il n'a pas de croyances religieuses et qu'il vit (en attendant on ne sait quelle horrible mort) comme une bête ». Pauvre malheureux !

On m'écrit que Léon Deschamps, mon ancien impresario de la Plume, a été enterré, samedi matin,
30 décembre. Même sort que Rodolphe Salis. On crève au moment où on pense avoir fait fortune. A quoi bon tant de saletés ?

7. -- Nolite conformari huic sæculo. C'est ce que dit aujourd'hui l'Eglise, au dimanche dans l'octave de l'Epiphanie. Quel curieux travail de grouper les blasphèmes en usage parmi les chrétiens, c'est-à-dire les démentis formels donnés à l'Esprit-Saint par les gens du monde ! Le texte ci-dessus en est une occasion très-fréquente et l'un des plus saisissants exemples.

Mes pensées sont noires. Exagitat me spiritus nequam.

9. -- A quelqu'un [qui est obscur et qui restera éternellement inconnu] :

Le siècle des charognes.

Danemark, Kolding, 6 janvier 1900

Mon cher ami,

Ne pensez-vous pas que le XIXe siècle, nommé par vous « le Siècle des Morts », serait mieux et plus historiquement désigné Siècle des Charognes ?

Le mot MORT a une force et une beauté qui ne conviennent pas ici. Beati mortui, fut-il dit à Patmos par une Voix qui criait du ciel. Le même Esprit-Saint qui déclare la Béatitude des morts veut aussi qu'on prie pour eux, et cela est recommandé dans la Liturgie très-redoutable.

Y a-t-il, pour un être humain, quelque chose d'aussi important que d'être mort ? Existe-t-il un état plus aimable, plus enviable, plus désirable, plus exquis, plus spirituel, plus divin, plus épouvantable, que l'état d'un mort, d'un vrai mort qu'on met en terre et qui a déjà paru devant Dieu pour être jugé ? C'est, alors, fini des contingences banales, des devoirs du monde et de la sagesse des imbéciles.

Il s'agit seulement de savoir si on est mort dans le Seigneur. On est avalé par l'Absolu. On est absolument heureux ou absolument malheureux, et on le sait absolument.

Quoi de commun entre une telle manière d'être, où tout est grand, et l'infirmité misérable des trucs modernes pour s'apparenter à Ce qui n'est pas !

Ah ! que le nom de charognes convient mieux aux passagers du XIXe siècle ! et que ce siècle puant est bien leur vaisseau ! Vous rappelez-vous l'image affreuse inventée par Edgar Poë, ces naufragés rencontrant, au milieu de l'Océan, un navire qui serait pour eux la délivrance, mais dont l'équipage est pourri et qui laisse derrière lui la peste ? On ne dit pas s'ils
sont morts dans le Seigneur, ceux-là. On n'en sait rien, on renonce même à toute conjecture.

Les putréfiés du XIXe siècle qui vont asphyxier derrière eux, le XXe -- si le Feu n'intervient pas -- sont moins anonymes que ceux du démoniaque poète. Chacun de nous a trop connu ces horribles voyageurs, et nous ne finirions pas de raconter leurs histoires.

Mais à quoi bon ? Voici déjà bien longtemps que le coeur me manque, et je me demande quelle aide pourra vous offrir un balayeur si découragé. J'ai cru, il y a environ vingt ans, qu'on pouvait, je n'ose dire purifier, mais au moins décrotter quelque chose. Je cherche aujourd'hui, avec amertume, une pauvre image de Dieu qui se soit aussi complètement trompée. Franchement, il y a trop d'ordure, même pour deux, même pour deux cent mille.

Cependant, mon ami, si vous tenez absolument à marcher, je marcherai avec vous. Ce sera bien le diable si je ne réussis pas à étriper quelqu'un. Il est clair que Le Scandale serait un titre dérisoire si nous nous bornions, pour tout office, à passer une main caressante sur la croupe des contemporains.

Je reviens à ce mot de charognes dont l'élégance est incertaine et la suavité discutable, et qui ne s'emploie que très-rarement dans les salons catholiques ; mais qui est l'unique pour exprimer ma pensée. Voudrait-on me dire de quel autre mot je peux faire usage pour qualifier et apanager suffisamment l'abomination que voici ?

Le petit nombre d'âmes vivantes pour qui le Sang de Jésus est valable encore, se trouve en présence d'une multitude inconcevable, inimaginée jusqu'ici. C'est « la troupe infinie des gens qui se tiennent devant le trône, en présence de l'Agneau, vêtus de robes blanches et des palmes dans les mains ». Ces gens sont les catholiques modernes.

Interminablement ils défilent sur la prairie qui est juste au devant du ciel. Puis, soudain, on s'aperçoit que les oiseaux tombent des nues, que les fleurs périssent, que tout meurt sur leur passage, enfin qu'ils laissent derrière eux une coulée de putréfaction, et si on les touche, il semble qu'on soit inoculé à jamais, comme Philoctète. C'est la procession des charognes. Encore une fois, quel autre mot ?

Cette horreur appartient au XIXe siècle. A d'autres époques, on apostasiait bravement. On était ingénument et résolument un renégat. On recevait le Corps du Christ, puis, sans barguigner, on allait le vendre, comme on aurait été secourir un pauvre. Cela se faisait, en somme, gentiment et on était des Judas à la bonne franquette. Aujourd'hui, c'est autre chose, mais, avant d'aller plus loin, je demande à vous et à ceux qui pourraient me lire de vouloir bien m'assister de leurs prières.

Je n'ai cessé de l'écrire depuis vingt ans. Jamais il n'y eut rien d'aussi odieux, d'aussi complètement exécrable que le monde catholique contemporain -- au moins en France et en Belgique -- et je renonce à me demander ce qui pourrait plus sûrement appeler le Feu du Ciel.

S'il y a une chose connue et inexplicable, c'est que Dieu souffre tout. Voilà qui est entendu. Sans parler de la Sueur de Sang ni de n'importe quel autre Mystère de cette Passion que je crus voir dans mon enfance, lorsqu'une vieille parente qui m'endormait sur ses genoux me disait : « Si tu n'es pas sage, les Juifs te cracheront à la figure » ; sans rappeler aucun autre objet de la Peur qu'il y eut à Gethsémani, n'oublions pas la Dérision prodigieuse, le Blasphème irrémissible et inégalable que le sale Apôtre mit au début des Tourments divins : Osculetur me osculo oris sui.

A ce propos, et pour le dire en passant, quand donc viendra l'herméneute, l'explicateur comme il ne s'en est jamais vu, par qui nous saurons enfin que le Cantique des cantiques est simplement un récit préalable de la Passion, antérieur d'une trentaine de générations aux quatre Evangiles ?

Donc, encore une fois, Dieu souffre tout excepté une seule chose. Non patietur vos tentari supra id quod potestis. Tout le reste, mais pas cela. « Dieu ne souffrira pas que vous soyez tenté au-dessus de votre pouvoir. » Eh bien, on croirait que nous en sommes à ce point, et depuis longtemps déjà. C'est détraquant.

Je déclare, au nom d'un très-petit groupe d'individus aimant Dieu et décidés à mourir pour lui, quand il le faudra, que le spectacle des catholiques modernes est une tentation au-dessus de nos forces.

Pour ce qui est des miennes, j'avoue qu'elles ont fort diminué. Voici que je marche sur mes cinquante-quatre ans, et il y en a au moins trente que je vois les catholiques faire des saletés. Je veux bien que ces cochons soient mes frères ou, du moins, mes cousins germains, puisque je suis, comme eux, catholique et forcé d'obéir au même pasteur, lequel est, sans doute, un fils prodigue; mais le moyen de ne pas bondir, de ne pas pousser d'effroyables cris ?

Je vis, ou, pour mieux dire, je subsiste douloureusement et miraculeusement ici, en Danemark, sans moyen de fuir, parmi des protestants incurables qu'aucune lumière n'a visités, depuis environ trois cents ans que leur nation s'est levée en masse et sans hésiter une seconde à la voix d'un sale moine, pour renier Jésus-Christ. L'affaiblissement de la raison, chez ces pauvres êtres, est un des prodiges les plus effrayants de la Justice. Pour ce qui est de leur ignorance, elle passe tout ce qu'on peut imaginer. Ils en sont à ne pouvoir former une idée générale et à vivre exclusivement sur des lieux communs séculaires qu'ils lèguent à leurs enfants comme des nouveautés. Des ténèbres sur des sépulcres.

Mais les catholiques ! Des créatures grandies, élevées dans la Lumière ! informées à chaque instant de leur effrayant état de privilégiées ; incapables, quoi qu'elles fassent, de rencontrer seulement l'erreur, tant la société où elles vivent -- toute ruinée qu'elle est -- a pu conserver encore d'unité divine ! Des intelligences pareilles à des coupes d'invités de Dieu où n'est versé que le vin fort de la Doctrine sans mélange ! Ces êtres, dis-je, descendus volontairement dans les Lieux sombres, au-dessous des hérétiques et des infidèles, avec les parures du festin des Noces, pour y baiser amoureusement d'épouvantables Idoles !

Lâcheté, Avarice, Imbécillité, Cruauté. Ne pas aimer, ne pas donner, ne pas voir, ne pas comprendre, et, tant qu'on peut, faire souffrir ! Juste le contraire du Nolite conformari huic sæculo. Le mépris de ce Précepte est indubitablement ce que la Volonté humaine a réalisé de plus désastreux et de plus complet depuis la prédication du Christianisme.

Il serait d'ailleurs, intéressant de grouper les topiques, proverbes, dictons, adages, maximes ou sentences morales accumulées au cours des siècles, par les chrétiens, contre l'Evangile. On verrait qu'il n'y a pas UNE parole du Sauveur ou de ses Amis qui ne reçoive chaque jour, de la Prudence humaine, le démenti le plus insultant ; et nos dévotes, on aime à le croire, seraient heureuses d'apprendre qu'elles parlent, tout le temps, comme les démons.

Cette besogne utile me requiert, comme dirait Huysmans qui n'est pas un apôtre moins estimé que François Coppée ou que saint Paul.

Je ne sais rien d'aussi dégoûtant que de parler de ces misérables qui font paraître petites les SOUFFRANCES du Rédempteur, tellement ils ont l'air capable de faire mieux que les bourreaux de Jérusalem.

Beaucoup de mes pages, et non des moins bonnes, j'ose le dire, furent écrites pour exhaler mon horreur de leur vilenie et de leur sottise. J'ai toujours insisté particulièrement sur cette dernière qui est une espèce de monstre dans l'histoire de l'esprit humain, et que je ne puis mieux comparer qu'à une végétation syphilitique sur une admirable face. Au surplus, toutes les figures ou combinaisons de similitudes supposées capables de produire le dégoût sont d'une insuffisance plus que dérisoire quand on songe, par exemple, à la littérature catholique ! Une société où on en est à croire que le Beau est une chose obscène et que le P. Bailly est un écrivain, est évidemment une société formée par Satan, avec une attention angélique et une expérience effroyable

Voulez-vous que nous parlions de leurs pauvres, rien que de leurs pauvres dont j'ai l'honneur d'être ?

J'ai rencontré, un jour, à Paris, une très-belle meute appartenant à je ne sais quel mauvais apôtre qui avait su vendre son Maître beaucoup plus de 30 deniers. J'en ai parlé, je ne sais où. J'ai dû dire la révolte immense et profonde, le mouvement de haine infinie que me fit éprouver la vue de ces soixante ou quatre-vingts chiens qui mangeaient, chaque jour, le pain de soixante ou quatre-vingts pauvres.

A cette époque lointaine, j'étais fort jeune, mais déjà fort crevant de faim, et je me rappelle très-bien que je fis de vains efforts pour concevoir la patience des indigents à qui on inflige de tels défis et que je rentrai en grinçant des dents.

Ah ! je sais bien que la richesse est le plus effrayant anathème, que les maudits qui la détiennent au préjudice des membres douloureux de Jésus-Christ sont promis à des tourments incompréhensibles et qu'On a pour eux en réserve la Demeure des Hurlements et des Epouvantes.

Oui, sans doute, cette certitude évangélique est rafraîchissante pour ceux qui souffrent en ce monde. Mais lorsque, songeant à la réversibilité des douleurs ; on se rappelle, par exemple, qu'il est nécessaire qu'un petit enfant soit torturé par la faim, dans une chambre glacée, pour qu'une chrétienne ravissante ne soit pas privée du délice d'un repas exquis devant un bon feu : oh ! alors, que c'est long d'attendre ! et que je comprends la justice des désespérés !

J'ai pensé, quelquefois, que cette meute dont le souvenir me poursuit, était une de ces images douloureuses, qui passent dans le fond des songes de la vie et je me suis dit que ce troupeau féroce était, en une manière, -- et bien plus exactement qu'on ne pourrait croire -- pour chasser le Pauvre.

Obsession terrible ! Entendez-vous ce concert, dans ce palais en fête, cette musique, ces instruments de joie et d'amour qui font croire aux hommes que leur paradis n'est pas perdu ! Eh bien, pour moi, c'est toujours la fanfare du lancer, le signal de la chasse à courre. Est-ce pour moi, aujourd'hui ? Est-ce pour mon frère ? Et quel moyen de nous défendre ?

Mais ces atroces, dont le pauvre suant d'angoisse entend l'allégresse, sont des catholiques, pourtant, des chrétiens comme lui ! n'est-ce pas ? Alors tout ce qui porte la marque de Dieu sur terre, les croix des chemins, les images pieuses des vieux temps, la flèche d'une humble église à l'horizon, les morts couchés dans le cimetière et qui joignent les mains dans leurs sépulcres, les bêtes même, étonnées de la méchanceté des hommes et qui ont l'air de vouloir noyer Caïn dans les lacs tranquilles de leurs yeux ; tout intercède pour le pauvre et tout intercède en vain. Les Saints, les Anges ne peuvent rien ; la Vierge même est rebutée, et le chasseur poursuit sa victime sans avoir aperçu le Sauveur en Sang qui accourait, lui offrant son Corps !

Le riche est une brute inexorable qu'on est forcé d'arrêter avec une faux ou un paquet de mitraille dans le ventre.

Je suis mécontent de cette espèce de parabole qui suggère mal ce que je pense et surtout ce que je sens. Mais quoi ? De l'absolu où je suis placé, il m'est impossible de voir le riche, et surtout le riche catholique, autrement que persécuteur et dévorateur du pauvre. C'est ainsi que l'Esprit-Saint parle de lui et c'est exactement à la même vision qu'aboutit la science très-basse qu'on a voulu nommer l'économie politique.

Il est intolérable à la raison qu'un homme naisse gorgé de biens et qu'un autre naisse au fond d'un trou à fumier. Le Verbe de Dieu est venu dans une étable, en haine du Monde, les enfants le savent, et tous les sophismes des démons ne changeront rien à ce mystère que la joie du riche a pour SUBSTANCE la Douleur du pauvre. Quand on ne comprend pas cela, on est un sot pour le temps et pour l'éternité --Un sot pour l'éternité !

Ah ! si les riches modernes étaient des païens authentiques, des idolâtres déclarés ! il n'y aurait rien à dire. Leur premier devoir serait évidemment d'écraser les faibles et celui des faibles serait de les crever à leur tour, quand l'occasion s'en présenterait. Mais ils veulent être catholiques tout de même et catholiques comme ça ! Ils prétendent cacher leurs idole. jusque dans les Plaies adorables !

Et vous voudriez que je ne les appelasse pas des charognes !

Vous savez que j'ai toujours été admirablement situé pour voir ces maudits, puisque je suis le « Mendiant ingrat », mais, en ce moment, avouez que mon poste d'observation est incomparable.

Abandonné de tous, excepté de deux ou trois pauvres, captif de la misère dans un pays hostile où rien n'est à entreprendre, menacé continuellement de tout ce qui peut faire la vie impossible et ne sachant pas quand finira ce tourment ; il vous est facile de deviner ce qu'ont pu être mes sentiments et mes pensées.

Certains jours, il m'arrive de songer aux centaines de lettres passionnées par lesquelles des étrangers, demeurés tels pour la plupart, me remerciaient de l'immense bonheur que mes livres leur avaient donné. Il serait même un peu ridicule de dire jusqu'où s'emportait parfois cet enthousiasme.

La consolation me fut accordée de guérir un assez grand nombre de ces malades.

-- Apprenez, leur écrivais-je, que tout cela est fort sérieux et que je suis véritablement un pauvre.

Instantanément la tumeur disparaissait.

C'était même devenu, à Montrouge, une rigolade extrême pour moi et pour les très-rares lépreux qui m'étaient demeurés fidèles.

En Danemark j'écris beaucoup moins à cette racaille et, d'ailleurs, la farce horrible de démasquer une carcasse en putréfaction ne m'amuse plus.

Considérant, toutefois, que mon excessive détresse me conviait aux humiliations, j'ai écrit quelques lettres. Certaines réponses que je conserve avec soin pour les publier avec d'autres, dans mon futur livre sur l'Argent, me semblent, au point de vue de l'Infamie bourgeoise, peu inférieures aux plus beaux chants de l'Iliade. Mais le silence de quelques chrétiens que je ne veux pas nommer encore vaut, assurément, d'être médité.

L'un d'eux, que vous connaissez peut-être, est une sorte de poète qui se fit, il y a douze ou quinze ans, une sorte de réputation, et devint prophète dans son pays, en publiant, sous son nom, l'oeuvre d'un autre, la croyant très-ignorée. Il jouissait, en outre, d'une haute renommée de sodomite.

A l'apparition du Désespéré, en 87, il fut un des premiers à me décocher son admiration. Aussitôt informé de ma misère, il ne me lâcha pas tout de suite, comme on pouvait croire, mais, au contraire, m'offrit une petite installation à Bruxelles ou aux environs, pour y travailler dans son voisinage, et, sur mon refus d'être mis dans mes meubles, me fit tenir quelques centaines de francs, diligemment espacées, bien entendu, de manière à me profiter le moins possible. Je crois inutile d'ajouter qu'il ne manqua pas de se faire honneur de ces aumônes qu'un autre lui avait confiées pour moi.

Je ne découvris que plus tard, en même temps que cette dernière circonstance, les deux belles choses mentionnées plus haut. Cependant une lettre extrêmement curieuse, où ce renaissant m'envoyait des baisers m'avait étonné et ce fut même, si je ne me trompe, sur cet étonnement exprimé que nos relations cessèrent.

J'eus la fantaisie de lui écrire de Danemark, le mois dernier, après dix ans de silence, en lui exposant ma situation quasi mortelle. Je le savais marié à une femme et riche. -- Après tout, me suis-je dit, il n'est peut-être plus le même homme. Pourquoi le priver de cette occasion de faire enfin quelque chose de propre ?

Ma lettre, je crois, ne manquait pas d'énergie ni de beauté. Mais pour y répondre, il aurait fallu ce qui manque aux femmes pour écrire de très-beaux vers, comme disait le grand Corneille.

Vous voyez, mon ami, que je suis en belle posture pour combattre. Songez à la force d'un homme qui n'attend absolument rien des hommes, sinon un dégoût horrible et la plus excessive amertume, ayant eu le coeur saccagé pendant vingt ans. Vive Dieu ! alors, et que les charognes se multiplient. Comptez sur moi.

Votre

Léon Bloy.

10. -- Dans le Mercure de France, article prodigieux de Victor Charbonnel. Ce hideux calotin ose insinuer et même dire assez clairement que, lorsqu'il portait encore la soutane, toutes les femmes couraient après lui, et qu'il n'avait qu'à se baisser pour en prendre. Ta gueule ! Victor, ta gueule.

11. -- Recherche d'un autre logement. Mes petits-enfants, si j'en ai, ne comprendront pas que leur infortuné grand-père, ayant déjà tant écopé dans un trou, se soit obstiné à y séjourner. Mais le moyen de fuir ?

Enterrement luthérien. Cortège vu de nos fenêtres. Il paraît que c'est un cordonnier important qui fut ou qui aurait pu être héroïque pendant la guerre. On l'accompagne avec une musique grave, mettons la Marche funèbre de Beethoven, et on revient en jouant des valses ou des polkas. J'ai déjà vu cela, et il paraît que c'est toujours ainsi, que le défunt ait été cordonnier ou chambellan, -- deux manières d'être, d'ailleurs, à peu près aussi augustes l'une que l'autre -- mais cela valait d'être écrit.

12. -- A G. R.

Cher ami, je suis embarrassé pour vous répondre. Je ne voudrais pas vous désobliger et cependant vous m'offrez ceci : Les têtes de quelques amis à vous et à de Groux, entreprenant de se cotiser avec MES AMIS, à moi !!! à l'effet de récupérer le Salut par les Juifs en train de pourrir, dites-vous, chez l'éditeur devenu restaurateur de latrines, comme il convenait. En suite de ce premier effort on vendrait à mon profit le dit bouquin. Résultat : 5 ou 6 francs de rente par mois à l'auteur, dans deux ou trois ans. Il serait humain, R., de ne pas servir d'aussi amères plaisanteries à un écrivain chargé de famille qui ne se souvient pas de vous avoir fait du mal et qui ne demande plus rien à personne, heureux de savoir que ses amis sont rassurés sur son sort.

Toutefois, je ne crains pas que le Salut pourrisse chez notre entrepreneur de plomberie. Cet homme trop le désir et l'espoir de vendre, un jour, avantageusement son bouillon.

Pour ce qui est des admirateurs dont vous me parlez, je déclare avec énergie que le Salut par les Juifs a été écrit, exclusivement, pour les esprits angéliques et pour un très-petit nombre de chrétiens, trois ou quatre au plus, impatients de rissoler dans l'huile bouillante. Les autres, les dilettanti, les amateurs de la musique de mes pensées ou de la musique de mes phrases, qui me laisseraient parfaitement crever de misère, ils me font horreur et je ne peux exercer à leur égard d'autre miséricorde que le mépris.

Ergo, je trouve déshonorant de les avoir pour lecteurs et je préfère que mes livres restent parmi les robinets et les appareils hygiéniques. Quand je serai devenu riche, ce qui ne peut tarder avec de tels suffrages, j'achèterai moi- même le bouillon du Salut et je donnerai ce livre à quelques-uns. Le reste pourrira chez moi.

Tout ce qui peut être supposé, avec une bienveillance extrême, c'est que vos amis ont entrepris de sauver quelque chose. Dans ce cas il serait apostolique de leur dire que l'auteur devrait être secouru de préférence à son papier -- tout de même -- si on n'est pas des pharisiens et des maudits.

Mais ne m'avez-vous pas parlé de Millerand ? Je n'étais pas préparé à l'opprobre d'être « demandé » par ce républicain. O douce mort ! ô aimable cimetière !

Après cette lettre, visite merveilleuse de notre curé m'apportant 100 couronnes de la part d'un étranger qui ne veut pas se faire connaître.

16. -- Je m'unis comme je peux à saint Marcel, l'admirable pape condamné deux fois par Maxence à vivre dans une étable avec les bêtes et qui finit par y mourir. Destinée symbolique et tout à fait étonnante. Nous avons connu un malheureux qui se nommait Marcel et qui est mort comme ça, mais non pas pour Jésus-Christ.

21. -- Nous sentons la Liturgie comme certains êtres impressionnables sentent les changements de l'atmosphère.

22. -- A un pauvre de l'enfer :

Monsieur, je n'aime pas les fumisteries. Ce matin, en mon absence, ma femme voit venir votre lettre recommandée et ficelée !!! La trouvant tout à fait sans défense le facteur lui demande deux signatures qu'elle donne avec joie, croyant à une somme dont le besoin est extrême et qu'on attend chaque jour de la Providence. Le désappointement a été plus que pénible et je me demande s'il y a beaucoup de crimes qu'on puisse comparer à la diabolique atrocité de se moquer ainsi des pauvres

Vous êtes, paraît-il, coutumier de ces farces lugubres. Je me rappelle qu'en février dernier, vous nous jouâtes un tour semblable. Veuillez trouver ici l'assurance de ma rage.

P. S. Voici le facteur qui revient avec des papiers.

Est-ce enfin le message tant désiré ? C'est le même que ce matin, le MEME, une continuation de la même rigolade féroce. Ma femme avait signé à droite au lieu de signer à gauche. Zut !

En cherchant je ne sais quoi, je mets la main sur le livre de Paul Féval, les Etapes d'une conversion. Ravissement de relire ce délicieux roman autobiographique, si français, si catholique et si mal fichu. Je me dis avec amertume que j'ai fait trop peu pour ce pauvre homme qui m'a aimé et dont l'image presque effacée me remue le coeur. En même temps que me revient le souvenir trouble de ses derniers jours, je pense à ces romanciers aux tomes innombrables, autour de qui flotte, pendant leur vie et surtout à l'heure de la mort, une si terrible armée de fantômes, parmi lesquels il s'en trouve qui ont tué des âmes. Quelle effrayante pensée !

Retrouvé ceci :

Revue Moderne. N° 51, 10 février 1888. Lettre de Léon Bloy à Charles Buet. Il faut pourtant que je te parle de ton livre. Ce n'est pas facile. J'ai beaucoup aimé Féval dont les qualités de coeur étaient une espèce de prodige dans le milieu de chenapans littéraires où il vécut. J'ai aimé et j'aime encore son talent si éloigné de notre art contemporain et de nos névroses. Ce romancier fort supérieur, selon moi, aux Alexandre Dumas ou aux Soulié de son temps, était saturé d'une bonne humeur désormais défunte à jamais et son esprit ressemblait à ces authentiques bijoux en vieil or ou en vieil argent conservés dans les familles, qui font rougir tous les tocs_ actuels.

Ce qui ne me plaît pas, par exemple, c'est le débordement diluvial de son écritoire, la production à outrance du feuilleton, le flux alvin d'une incessante prose lâchée sur le papier des journaux dans les latrines de la curiosité populaire.

Ce que j'aime bien moins encore, c'est l'antilittéraire fureur de retaper, de ressemeler catholiquement des oeuvres bien innocentes qu'il aurait fallu laisser telles qu'elles étaient, sans se mettre en peine d'abreuver de lectures aussi lamentablement châtiées, les cercles catholiques ou les bibliothèques paroissiales.

Il est vrai que l'argent gagné par des travaux si préjudiciables à sa gloire, Féval le faisait aussitôt passer dans la main des pauvres. J'en sais quelque chose, moi ! Je n'ai jamais connu une aumônière aussi royalement ouverte que la sienne, et sa piété peu clairvoyante mais d'une tendresse infinie, avait pour support une humilité si vraie, si touchante, que c'est un réconfort de m'en souvenir.

Il faut songer que cet homme, dont la célébrité fut grande, avait dû sacrifier à Dieu non seulement cette célébrité, non seulement le salaire immense de ses travaux de feuilletoniste, mais encore et surtout le seul public en état de comprendre et d'applaudir l'artiste véritable qui était en lui.

Il se vit forcé de descendre jusqu'aux faibles et timorés cerveaux catholiques pour lesquels toute oeuvre d'art est un scandale. Il dut subir quotidiennement les conseils ou les remontrances de prêtres et boutiquiers prodigieusement inférieurs à lui et il accepta cette immense culbute avec simplicité, pour se punir de n'avoir pas toujours aimé Jésus-Christ de tout son coeur.

Nous savons pourtant qu'il en souffrait. -- Ah ! mon pauvre enfant ! me disait-il un jour, en sortant de la boutique de Palmé, que d'humiliations ! Priez notre Sauveur pour qu'il me donne la force

Les lettres que tu publies donnent le caractère de Paul Féval avec son mélange de ferveur mystique et d'inaltérable gaîté. Je suis fier d'occuper dans ton livre une si vaste place.

28. -- A Henry de Groux :

Mon cher Henry. Je pense que vous ne pouvez pas douter de mes sentiments pour vous. Je vous embrasse donc fraternellement et tendrement, en vous priant avec douceur, sans le moindre mélange d'amertume, de supporter comme un homme que je vous dise ceci :

Dans votre dernière lettre si violente où vous ne vous accusez de rien, je remarque particulièrement le reproche de « sottise », reproche absolument confondant, ahurissant et abrutissant de la part d'un artiste incontestable qui, depuis environ dix-huit mois, s'est laissé mettre dedans, par le plus bas, le plus puant, le plus imbécile des mufles contemporains.

C'est tout. Maintenant je vous prie de ne pas vous livrer à la colère, mais de réfléchir sérieusement et profondément.

29. -- Reprise du Fils de Louis XVI abandonné depuis tant de mois. Jamais travail ne me fut aussi pénible.

Extrait d'une lettre de Jeanne à une personne privée d'équilibre : «Un homme ne doit compte de ses péchés qu'à Dieu. La femme n'a rien à y voir, rien. Cela condamne d'avance toute jalousie qui n'est que le besoin d'usurper ce qui appartient à Dieu seul ».

 

 

Février

1er. -- Misère et tristesse. Pourquoi notre vie, si exceptionnellement douloureuse, n'aboutirait-elle pas à cette assertion divine : « Je ne vous ai demandé qu'une chose, mes pauvres enfants, c'est de ne pas tomber dans le désespoir » ?

3. -- Au pauvre malheureux dont il a été parlé :

Si vous étiez un chrétien -- ce que je ne vois pas dans vos lettres -- vous n'auriez jamais eu l'idée de la démarche qui m'a tant déplu J'ai vu cela, toute ma vie d'écrivain : Des admirateurs qui n'étaient pas chrétiens et qui croyaient m'avoir lu ou, ce qui est pis, des admirateurs qui m'entendaient mieux que je ne m'entends moi- même et qui avaient pitié de trouver si peu de raison chez un auteur de tant de génie, etc.

Ah ! que je vous eusse aimé, cher monsieur, si vous m'aviez écrit : -- Oui, j'ai eu tort, ma démarche était sotte et indiscrète, et je vous prie de me la pardonner en considération du désir que j'avais de vous être utile. C'est cela qui eût été « de l'or pur, du diamant, quelque chose enfin de peu banal ». Et j'aurais vu en vous un chrétien. Mais qui donc, aujourd'hui, est capable de s'humilier ?

Devant votre précédente lettre, si malencontreusement recommandée, vous me parliez d'héritage. Je n'en ai jamais eu qu'un seul, celui de ma mère, trois mille francs environ, que j'ai donnés tout de suite, avant même d'avoir vu les espèces, à un moins pauvre qui a cru et qui croit encore, depuis vingt ans, que je lui faisais largesse du superflu de mes noces. Or il me fallut prendre sur mon pain tout sec pour affranchir le cadeau. Eh bien, je n'ai pas cru un instant et je ne croirai jamais avoir donné du diamant. J'accomplissais tout uniment le premier et le plus facile de tous les actes que Dieu exige d'un chrétien.

5. -- Guerre sud-africaine. Je songe que ceci pourrait être dit : -- Contre toute raison et dépassant les espoirs les plus fous de leurs ennemis, les Anglais ont attaqué les Boërs par le Natal, c'est-à-dire du côté qui pouvait leur être le plus défavorable. Donc tout porte à croire que l'homicide Angleterre laissera dans ces montagnes, ses régiments, ses chers millions et toute sa gloire. Pourquoi ? C'est que le Zululand est à deux pas et que leur victime, Napoléon IV, les appelle.

8. -- Qui me donnera de fuir Luther ? Les catholiques modernes et surtout contemporains sont bien horribles, je l'ai assez dit, mais, du moins, chez eux, il y a la Messe, il y a l'Eucharistie Ici, c'est l'enfer tout seul, l'enfer tiède et bien élevé, en attendant l'autre. Quelque chose comme de la merde qu'on ferait mijoter.

9. -- Mal de gorge. Lecture de Pascal dont le scepticisme noir et l'occulte médiocrité ne me consolent guère.

10. -- Envahissement de la ville par une multitude de paysans venus pour se partager 175.000 couronnes (environ 250.000 francs). L'argent est distribué au célèbre établissement où on tue les porcs en nombre infini. Cet établissement fait une retenue insignifiante pour chaque livre de chair et, au bout de l'an, opère la restitution et la répartition au prorata. 175.000 couronnes à ces éleveurs de cochons ! Grande fête, ce soir, chez les filles du port.

Le néant me pénètre. Je suis successivement dégoûté par Tacite et par Pascal.

13. -- Un docteur consulté pour moi déclare l'angine, sans indiquer le moindre remède, et ne revient pas. Il paraît que les médecins sont ainsi en Danemark où il est de règle que personne ne se tue. Au fait, pourquoi les médecins du corps seraient-ils plus diligents que les prétendus médecins de l'âme, lesquels sont certainement les individus qui se crèvent le moins dans tous les pays où l'on suce encore la tétasse de Luther.

14. -- Fin de tout argent et recommencement d'un froid atroce.

16. -- Tempête de neige, menace d'engloutissement. Service de la poste interrompu, le chemin de fer ayant cessé de fonctionner.

17. -- Lourdes. Un pèlerin m'envoie une vue de la Grotte sur carte postale. A cette occasion, je sens, une fois de plus, cette espèce de répulsion triste, monstrueuse en apparence et déjà ancienne, pour ce lieu plein de mystère devenu le gouffre central de la sentimentalité contemporaine.

Je demande deux choses : 1° un chrétien allant à Lourdes pour y obtenir des souffrances ; 2° un autre chrétien riche guéri à Lourdes par le plus indubitable miracle et revenant pour distribuer tout son bien aux pauvres. Tant que je n'aurai pas vu ces deux choses, je croirai que l'Ennemi a voulu profaner par le cabotinage ou la médiocrité le Lieu unique où fut AFFIRME celui de tous les Mystères qu'il doit le plus abhorrer : l'Immaculée Conception. Ce serait là sa plus grande bataille et, jusqu'à ce jour, sa plus grande victoire : Henri Lasserre et les Pères de l'Assomption.

Je me rappelle la réponse admirable d'une vieille drôlesse dont la fille malade avait été à Lourdes : -- Votre fille a-t-elle été guérie ? -- Oh ! ça lui a fait beaucoup de bien !_

19. -- Je voudrais fixer ceci : Chaque jour, un peu après le déjeuner, Jeanne endort Madeleine, et cela se passe de la sorte. Jeanne, sur le seuil de sa chambre, se met à chanter doucement, presque à demi-voix. Aussitôt Madeleine, inquiète, quitte ses jouets, regarde et, malgré elle, comme un oiseau fasciné, vient à petits pas vers sa mère, en protestant de sa volonté de ne pas dormir, mais sans pouvoir s'échapper, jusqu'au moment où Véronique embusquée, la voyant entrée, ferme subitement la porte. Alors il y a souvent une petite scène de larmes bientôt suivie du sommeil. Plus tard, lorsque j'aurai le recul de quelques années, j'espère dire mieux cette scène exquise.

21. -- Pénible continuation du Fils de Louis XVI.

22. -- Le curé Storp. Impossible de lui faire comprendre quoi que ce soit. Il me dit, entre autres choses, que l'Art est incompatible avec la forme littéraire du Mendiant ingrat c'est-à-dire que les phrases de peu d'étendue ne peuvent avoir aucune beauté. Cette idée prussienne me renverse. Au fond il juge que je suis coupable de ne pas écrire des saletés pour nourrir ma femme et mes enfants.

Le Fils de Louis XVI. Sorti des généralités du début, la nécessité d'entrer dans l'histoire de Louis XVII me paralyse.

23. -- Visite du propriétaire et d'un mufleman qui voudrait louer notre appartement. Occasion nouvelle de vérifier le goujatisme scandinave. Jamais un individu n'ôtera du bec sa pipe ou son cigare, en entrant quelque part, fût-ce chez des malades.

24. -- Saint Matthias, l'Apôtre du Saint-Esprit, l'Apôtre isolé des autres, au canon de la messe, celui de tous, je pense, qu'on invoque le moins, qu'on honore le moins dans l'Eglise. C'est une de mes dévotions anciennes. Je le prie, comme je peux, avec une grande douceur triste et beaucoup d'espoir. Depuis vingt-deux ans, j'ai tant appelé le Consolateur !

On nous envoie de Belgique une brochure idiote sur le pèlerinage (?) de Notre-Dame de Pellevoisoin, dévotion nouvelle, dévotion neuve dirait Huysmans. Cela se passe chez des riches, naturellement, lesquels sont, bien entendu, des chrétiens parfaits, -- en attendant les malédictions et la damnation. Væ divitibus !

26. -- Lundi gras. Une fille que nous employons nous montre un objet en argent, une truelle à poisson gagnée par elle.

Ici on donne une récompense, un prix de vertu au plus beau masque, au travestissement le plus réussi. Cette récompense est mise aux voix dans le bastringue même, où les vierges de la ville viennent s'exhiber, Dieu sait dans quels oripeaux ! Misère morale indicible par-dessus l'autre misère. S'il y a lieu d'être dégoûté de la misère et de la vomir, c'est lorsqu'elle se montre à l'occasion d'une mascarade publique. Nous voyons le pauvre chie-en-lit de cette malheureuse. Que doivent être les autres ? Il est à remarquer, en passant, que les protestants n'ont aucun droit au Carnaval, qui est une saleté exclusivement catholique.

28. -- Maladie de Madeleine. Rougeole sans danger, dit-on, mais nous sommes si tristes de voir souffrir cette enfant ! Si tristes de tout, depuis si longtemps !

 

 

 

Mars

1er.-- Nuit cruelle. Notre pauvre petite se plaint de ne pas voir. Nous sentons bien que c'est une conséquence, un effet très-passager de son mal. Cependant cette impression est affreuse.

5. -- Madeleine, qu'on croyait guérie, nous alarme jusqu'à l'épouvante. C'est dans cette angoisse que j'écris La Duchesse Caïn, IXe chapitre du Fils de
Louis XVI
. Les lecteurs ne savent pas ce que leur plaisir coûte quelquefois aux pauvres écrivains.

7 -- Journée terrible. Le médecin, ennuyé de la persistance d'une petite fièvre à laquelle il ne comprend rien, prescrit une potion. Alors, nous voilà chez Dieu de plain-pied, dans son vestibule terrible. Dès la première gorgée, la pauvre petite se tord dans les bras de sa mère, puis elle tombe dans un abattement extraordinaire, elle est mourante, elle meurt Ses mains, ses petits pieds deviennent glacés, elle râle, nous assistons à son agonie. Un instant l'innocente regarde le grand crucifix et, laissant retomber sa tête vers nous, referme les yeux sans nous avoir vus. Moment effroyable !

Notre chère petite nous est rendue. A quel prix ? C'est Dieu qui le sait.

[J'affirme avec force, pour qu'un jour mes enfants trouvent ici ce témoignage, que le fait qui vient d'être raconté est indubitablement d'ordre surnaturel, que la guérison de Madeleine fut un vrai miracle et que sur le commandement formel de Marie sans tache, quelqu'un quitta notre enfant, alors que, penchés sur elle, nous attendions son dernier souffle.]

8. -- Continué le Fils de Louis XVI, malgré tout. « Seigneur Jésus ayez pitié des pauvres lampes qui se consument devant votre Face douloureuse ! »

13. -- Le curé Storp juge que je manque de justice et de charité quand je parle des Luthériens. Pour lui tous ces protestants, presque sans exception, sont de bonne foi. D'ailleurs, j'aurais beau dire ou écrire n'importe quoi, l'effet serait le même. Son parti est pris. Un Français se trompe toujours. Profonde misère de ce prêtre que tous les protestants malins méprisent ici, à ce qu'on m'a dit.

14. -- J'étonne fort en me soulageant d'un mal de tête par le moyen d'une compresse d'eau sédative, remède banal s'il en fut, mais ignoré en Danemark aussi complètement que si c'était une vérité religieuse.

15. -- Fragment d'une lettre à Johannes Joergensen, l'excellent poète catholique.

[Cette lettre, traduite en danois, a été publiée dans le Tilskueren, importante revue littéraire de Copenhague.]

Vous ai-je dit que la soeur Anne-Catherine Emmerich, la Voyante stigmatisée de Dulmen est, à mes yeux, le plus grand de tous les poètes, sans exception ? Tellement grand et tellement poète que lorsque je pense à elle, tout s'efface.

Quel souvenir que celui de ma première lecture de sa Douloureuse Passion! C'était un ou deux ans avant l'atroce guerre franco-allemande. J'étais très-jeune et déjà si pauvre que même les murailles du sous-sol fétide que j'habitais avaient l'air de se reculer de moi ! Le précédent locataire avait pris la fuite, vaincu par les araignées, les scolopendres et la vermine. L'humidité était telle que des champignons, malheureusement incomestibles, poussaient sur mes dictionnaires.

Meublé d'un lit de fer qui eût épouvanté un vagabond, d'une table de cuisine qui pouvait avoir eu quelque équilibre sous la Terreur et d'un vieux pupitre privé de pieds que je conserve pieusement encore, mon gîte paraissait immense tant il y avait de coins hostiles où ne pénétrait jamais la lumière.

Ce fut là qu'étant malade, un jour de carême, je lus, pour la première fois, ce livre extraordinaire. Je n'avais pas beaucoup plus de vingt ans et je ne me rappelle plus rien, sinon qu'il y eut un torrent de délices, une pluie de larmes. Je me vis extrêmement à ma place dans la poussière et dans l'ordure, et je sentis passer sur moi la Beauté divine !

19. -- Saint Joseph. Fête singulièrement dure pour moi ! Que de souvenirs douloureux ! Vingt plaies profondes se rouvrent comme des fontaines. Et ma prière me semble si vaine, si frappée d'impuissance ! J'ai demandé, naturellement, d'être tiré de cette Egypte. Mais je l'ai demandé sans foi, sans espérance, sans amour, ayant été si cruellement déçu, depuis vingt ans ! Je ne sens rien en moi que la présence, à une profondeur où je n'ose descendre, d'un sombre lac de douleurs dont les vagues furieuses me submergeront peut-être à l'heure de mon agonie.

20. -- Le curé Storp me montre une nouvelle acquisition. : La bonne Souffrance, de Coppée. Cette ordure doit lui plaire, ayant été faite pour lui. C'est une chose vraiment curieuse que l'exactitude avec laquelle cet homme pense non aussitôt que j'ai dit oui, à propos de n'importe quoi. Si je lui disais que Jésus-Christ est ressuscité, son premier mouvement serait de me regarder comme un hérétique.

Je touche heureusement à la fin de mon livre, mais quels efforts et que de tourments ! Il faut être le Dieu des artistes et le Rédempteur des écrivains pour savoir ce que leurs oeuvres ont coûté.

22. -- Je reçois l'aumône spirituelle d'une pauvre servante polonaise morte à l'hôpital et que le curé a assistée. Cette lamentable créature, qui ne connaissait même pas le danois, semble avoir été un exemplaire du dénûment et de l'abandon parfaits. J'assiste à ses funérailles et je sens une consolation véritable, douce et profonde, comme si cette misérable d'entre les pauvresses était une âme proche de la mienne, désignée pour me secourir.

23. -- Une des causes de mon extrême désir de fuite, c'est que notre curé refuse positivement de s'occuper de Véronique, ne voulant pas la confesser ni l'instruire. Abîme de l'âme teutonne. Il craint peut-être de manquer de fidélité à son empereur.

25. -- Annonciation et dimanche de Lætare. Lettre d'un jeune homme qui a senti le besoin de raconter à un captif qu'il voyage pour son plaisir. Cette lettre, où il n'est pas supposé, une minute, que je puisse souffrir usque ad mortem, est suggestive d'une idée de conte. Des naufragés sur un radeau en sont à se dévorer, lorsqu'un message leur arrive par une bouteille. Secours miraculeux, réconfort inespéré venu d'un joyeux bourgeois tout plein d'or qui a eu l'inspiration de confier aux flots inconstants le récit d'une délicieuse excursion agrémentée de quelques ripailles, etc.

27. -- Sottise insondable du curé Storp, qui trouve que mon désir de foutre le camp est peu charitable. J'ai tort de ne pas chérir les protestants et j'ai tort de m'occuper de Louis XVII. Vive monsieur Ubu ! Vive Cambronne ! Vive tout, excepté la Prusse, et puis zut !

31. -- Je ne peux plus demander qu'une seule chose, le moyen de fuir. Le Danemark me tue.

 

 

 

Avril

4. -- Toutes les démarches sont vaines, on est sans le sou et je ne parviens pas à me guérir d'un très-mauvais rhume. Je suis si triste qu'il me semble que je pourrais en mourir.

5. -- Le Fils de Louis XVI, achevé enfin, est envoyé à Friedrichs.

Cher ami, Voici l'objet. Je ne crois pas avoir rien fait de plus important, depuis que j'écris, et ma promesse est enfin accomplie. Je compte sur vous pour les démarches Quant à Mme B, rappelez-vous que je ne veux absolument pas qu'elle lise mon livre avant qu'il soit publié. Cette dame est faite pour donner de l'argent, puisqu'elle en a trop ; mais ses millions, venus je ne sais d'où, ne lui confèrent aucune compétence en art ni aucune juridiction sur un artiste à qui elle a eu l'indicible honneur d'offrir une parcelle infinitésimale de son gigantesque superflu.

Je ne puis oublier la promesse que me fit autrefois F. de presser la dite personne dans le sens des frais d'impression. Ce serait un commencement de salaire de mon travail, lequel est énorme, sinon en volume, du moins en intensité comme l'enfer théologique de saint Thomas, aux dernières heures du monde. Les connaisseurs verront cela

8. -- Dimanche des Rameaux. Temps horrible. C'est l'anniversaire de l'imbécile roi Christian et tout le Danemark est en fête. Son ignoble gendre, le prince de Galles, est à Copenhague, ayant échappé à une tentative d'assassinat à la gare du Nord, à Paris. Un jeune Belge a tiré sur ce cochon et l'a raté. On les saigne, ordinairement. C'est plus sûr et meilleur pour le boudin.

13. -- Vendredi Saint. Le dernier vendredi saint du siècle est un treize.

Je lis que Huysmans vient de prendre l'habit des novices de Saint Benoît, à Ligugé, le 18 mars, après les premières vêpres de saint Joseph. Comment ne sentirais-je pas l'amertume en me souvenant de l'excessive injustice de ce chrétien, me trahissant de la façon la plus criminelle, préalablement au lâchage le plus infect, après avoir tant obtenu par moi ! Car enfin, s'il est devenu chrétien, c'est parce que Dieu m'a envoyé à lui, c'est parce que j'ai prié pour lui, plus d'une fois avec violence, c'est parce que j'ai accepté de souffrir pour lui, et tout cela il ne peut pas l'ignorer complètement, quelque aveugle qu'il puisse être. Je crois fermement que cet homme a reçu, par le dévouement de quelques âmes, des grâces peu ordinaires, et que le malheureux a fait son CHOIX. Que Dieu ait pitié de nous tous ! Ce pauvre Huysmans est-il condamné à augmenter le nombre des religieux médiocres et à écrire des livres estimables sur l'archéologie, l'iconographie, l'esthétique ou le bibelot du catholicisme ?

Cérémonies du jour, adoration de la Croix dans notre église. J'y ai conduit Véronique. J'en reviens avec une tristesse énorme, à travers une ville morte. Pourquoi les luthériens respectent-ils le Vendredi Saint, qui devrait être si exécré par eux, puisque c'est le jour de la Rédemption ? Du fond de leur ignorance et de leur misère, ils obéissent encore à l'Eglise, en cette manière, mais moi je pleure et je crie des lieux profonds.

19. -- Jeudi de Pâques. Déménagement. C'est l'époque, le jour marqué sur les almanachs danois ; Flyttedag. Dans toutes les villes, on ne voit que des voitures chargées de meubles et des gens aux mains sales, mais peut-être moins ennuyés que moi. Depuis notre mariage, c'est le neuvième déménagement. Quelle dérision d'y être forcé dans ce cul de bouteille, au lieu de nous évader vers la France dont je crois entendre la voix douce dans le silence des nuits, voix si triste et si lointaine qui me reproche de ne pas revenir !

Lettre agréable de Redonnel, directeur de la « Maison d'Art », déclarant son intention d'éditer Je m'accuse

21 -- Songe extraordinaire. J'étais avec Paul Bourget, redevenu mon ami (!) et nous regardions ensemble une grande forêt, d'un point élevé. Rien n'était plus beau que cette forêt. Seulement les têtes des arbres mouraient, la forêt tout entière étant empoisonnée par les racines. C'était l'EGLISE. Je disais alors à mon compagnon : « Souvenez-vous que je vous prends à témoin, rappelez-vous que j'ai annoncé cela il y a dix ans. » J'ai été surpris, à mon réveil, de ne plus retrouver l'émotion de ce songe qui a été puissante et suave -- inexprimablement.

22. -- Première communion dans notre église. Les pauvres petits communiants sont à peine dix, dont un bon tiers de renouvelants. J'aurais cru à une foule de parents et de curieux. Il est venu très-peu de gens. C'est une grande pitié de voir se geler le Sang de Jésus-Christ à mesure qu'on s'avance vers le nord.

29. -- Un personnage qui se croit catholique et à qui Friedrichs a été forcé de communiquer le manuscrit du Fils de Louis XVI, me reproche de parler sans respect du protestantisme, après avoir reçu de « l'argent protestant ». Suis-je donc à vendre comme un porc ? L'argent protestant ! Je suis admirablement placé ici pour répondre que les protestants ne possèdent que ce qu'ils ont volé aux catholiques. S'il y a un axiome en histoire, c'est celui-là. Je me sens très-houleux, très-sombre, quand j'y pense.

 

 

 

Mai

1er. -- Le curé Storp me dit ingénument que, lorsqu'un savant allemand a traité un point d'histoire, c'est fini à tout jamais. Il n'y a plus à y revenir.

Persécution. La petite salope employée par nous l'an dernier et qu'il nous fallut jeter à la porte, entreprend de se venger en déchaînant contre nous les goujats de sa connaissance. Ce soir, en guise d'ouverture du mois de Marie, nous avons dû subir les injures les plus atroces. Un vieil ouvrier, logé sous le toit, s'y est employé généreusement. La nuit venue, ce misérable, complètement ivre, est descendu nous insulter, ou plutôt insulter Jeanne, qui lui répondait avec calme à travers la porte verrouillée, car le bandit avait essayé d'entrer, Dieu sait pourquoi. Sa fureur s'exprimait par des hurlements effroyables. Sans moyen d'échanger aucune parole avec ce chenapan forcené qui ne paraissait pas en état de comprendre une langue humaine, que pouvais-je faire ? Frémissant derrière la porte, je me tenais prêt à frapper dans le cas où il aurait réussi à la forcer, mais je ne pouvais faire une sortie et démolir cet ivrogne âgé sans m'exposer à la plus extrême rigueur des lois danoises, qui seraient implacables contre un Français. Le bel amour du Danemark pour la France fait partie intégrante de l'hypocrisie de ce peuple. Je ne pouvais, sur ce point, garder la moindre illusion.

3. -- Invention de la Croix et lancement d'ordures sur nos têtes. Nouvelle idée de la petite salope qui a fait ce joli complot avec l'ivrogne sympathique de la mansarde. Persécution intolérable et folie d'espérer une protection quelconque de la police quand on n'est pas propriétaire, et surtout quand on est Français.

5. -- Fête foraine. Baraques et saltimbanques. C'est exactement la même crapule que partout. Je fais le tour de cette foire et je peux me croire dans une banlieue de Paris, Montrouge ou Saint-Denis, avec cette différence que le goujatisme est encore plus horrible, me semble-t-il, en langue danoise. Peut-être aussi le putanat banlieusard est-il surpassé. Les femmes sont épouvantables et le nombre en est infini.

6. -- Joergensen, revenu enfin d'Italie, m'apprend qu'on a parlé de moi, à Copenhague, dans une réunion d'étudiants catholiques, l'autre semaine, et que j'ai un ennemi acharné dans un jeune calotin auparavant vicaire à Frédéricia et maintenant secrétaire du Vicaire apostolique. Ce mauvais prêtre, un nommé Gamel, a dit de moi tout le mal possible, mais j'ai été défendu très-vigoureusement par M. Mogens Ballin, Juif converti qui m'admire et me propage -- bien que protestant, lui aussi, de sa haine, une page d'un de mes livres l'ayant personnellement offense, paraît-il. Situation bizarre. Me voici entre deux ennemis dont l'un m'attaque et l'autre me défend.

J'ai vu le premier, deux fois, à Kolding, chez le curé Storp. Il me fut peu sympathique, ce que je me gardai bien de laisser voir. Mais comme il parlait le français très-purement, -- j'avais du moins cette illusion en l'entendant à côté de son confrère, -- je fis la gaffe de lui demander s'il n'était pas Français d'origine. Ainsi s'expliquerait l'aversion de ce soutanier Joergensen me conseille de me tenir sur mes gardes. Il est douteux que le chameau soit en état de me nuire. Mais ma détresse d'âme est affreuse. Je sens que le Danemark nous devient décidément très-mauvais et que le comble de la niaiserie serait d'espérer quelque chose des gens de ce pays.

7. -- A Mogens Ballin, à Copenhague :

Monsieur, j'ai appris par une carte de notre ami Johannes Joergensen qu'on m'a fait l'honneur de parler de moi dans une réunion d'étudiants catholiques et qu'un avorton de prêtre, ayant dit beaucoup de mal de ma personne et de mes oeuvres, vous m'avez défendu généreusement. J'estimerais que je suis exactement au niveau de cet ecclésiastique, si je ne vous disais pas ma gratitude. La générosité devient rare dans cet univers lamentable où la France paraît mourir, et c'est un réconfort pour moi d'être sûr, au moins, de deux amis, en Danemark, Joergensen et vous.

Les injures ou calomnies d'un abbé Gamel, bien que je ne les connaisse pas, ont le pouvoir, je l'avoue, de me faire souffrir. Je devrais être pourtant bien habitué à ce genre de tribulation. Mais je suis en exil, effroyablement loin de ma patrie, absolument seul dans un trou, livré à la plus menaçante misère. En ce moment même, à bout de ressources et dans l'impossibilité de prendre la fuite à cause des dettes qu'il m'a fallu faire, pour ne pas mourir de faim, je suis forcé d'endurer, jusque dans ma maison, de goujates injures, sans la consolation qui me restait en France d'un coup de force vengeur. Je suis averti amplement que je n'ai aucune justice à espérer en Danemark, fussé-je en cas de légitime défense, et que ma qualité de Français surtout me désigne aux outrages de la crapule.

Mais, alors, que penser de cet ignoble prêtre qui sait tout cela, qui me respecterait si j'étais riche, qui me lécherait les pieds si j'étais puissant, mais qui, me voyant pauvre, isolé dans un monde hostile et me croyant tout à fait vaincu, m'accable ? La hideur morale de cet Iscariote, dont vous apprendrez un jour l'apostasie m'épouvante.

Seulement qu'il prenne garde. Je suis de ces vaincus foulés aux pieds qu'on croit morts, qu'on croit du fumier, mais qui se relèvent soudain et qui rongent le coeur des vainqueurs.

Je compte sur vous, monsieur Ballin, pour me renseigner exactement. J'ai besoin de savoir ce dont le drôle m'accuse en mon absence, et vous devez vous en souvenir, puisque vous y avez répondu. J'espère que vous ne me refuserez pas cette information.

Je ne connais ce Gamel que pour l'avoir rencontré deux fois. Il me fut présenté par le curé de Kolding et me parut médiocre d'esprit autant que de figure. Une fois il me demanda, n'ayant rien lu de moi, ce que j'entendais par « le Salut par les Juifs », ex quibus est Christus, a dit saint Paul. Découragé d'avance par la mauvaise grâce de l'individu, je me vis bientôt forcé de renoncer à l'explication. Cependant je ne montrai pas de mépris. La dernière fois que je le vis, il eut le tact gothique d'exhaler un grand dédain pour la France. Il m'eût été facile d'humilier cet idiot sacré. Je ne l'ai pas fait. Pourquoi donc me hait-il, sinon parce que je suis Français, artiste, fier et pauvre ? Les âmes de domestiques sont implacables.

Vous devinez bien que je ne quitterai pas le Danemark sans quelques notes. J'ai déjà un volume entièrement consacré à ce noble peuple qui m'a traité avec tant d'honneur et qui m'a rendu si heureux. Le Danois Gamel et les missions catholiques n'y seront pas oubliés.

A Johannes Joergensen

Mon ami, je vous prie de fermer vous-même la lettre ci-jointe à Ballin et de la lui faire parvenir en l'appuyant, si c'est nécessaire. Je tiens beaucoup aux renseignements que je demande. L'acharnement haineux du Gamel m'a été dur. Quelque habitué que je sois aux vilenies, je n'ai pu me défendre d'une tristesse horrible. Cela tient sans doute à ce que je suis très-malheureux, mais surtout à cette circonstance que le personnage est un jeune prêtre qui outrage, en plein pays protestant, un écrivain catholique français en exil et dans l'indigence, dont l'âge et les travaux devraient lui inspirer au moins un peu de respect. Quel autre mot que celui de trahison pour caractériser un tel acte ? J'ai eu un peu d'étonnement, d'ailleurs. Le Gamel m'avait paru un domestique et un sot très-empanaché, mais je ne le savais pas méchant. Il ira loin. Il appartient à cette légion de prêtres épouvantables dont les Pères Augustins de l'Assomption, en France, réalisent admirablement le type et qui ont avili l'Eglise depuis vingt ans

9. -- Grande tempête, ce matin. Le vent refoule, avec une violence extrême, les eaux du fiord dans la plaine submergée et pleine d'épaves. Tristesse infinie.

11. -- (In Dania in foro : Annunt. B. M. V.) Jour bizarre. On le nomme en danois Store Bededag
(Voir l'année dernière, 28 avril.). Ce qui est singulier, c'est le choix de ce jour pour célébrer l'Annonciation. L'Eglise ou plutôt le Vicaire apostolique mettant Marie à la remorque des protestants, c'est si monstrueux que j'en suis comme pétrifié d'horreur. Il paraît que c'est très important de faire coïncider la fête de l'Incarnation avec la grande soûlographie scandinave.

12. -- Bonne nouvelle enfin ! Nous allons pouvoir partir. Un admirable ami m'a trouvé la plus grande partie de la somme. Le reste, j'espère le trouver ici.

Lettre folle d'Henry de Groux. Par une sorte de prodige, il m'écrit trois pages pour ne Rien me dire, sinon que sa vie est mystérieuse. Vers le soir, autre lettre encore plus démente d'une personne agitée naguère et qui donne maintenant des leçons d'équilibre chrétien Quel songe que cette vie !

13. -- La misère a ceci de bon qu'elle nous fixe, comme des clous, dans la Main de Jésus-Christ.

Réponse de Ballin. Il me raconte la scène. Il faisait une conférence inspirée de mes vues sur l'Art et le mépris des catholiques modernes pour le Beau. D'abord, protestation d'un père jésuite (?), puis attaque véhémente de Gamel qui déclare ne connaître ni Verlaine, ni Hello, et que je suis coupable de quarante hérésies ! Etc., etc. Sommé de faire connaître ces hérésies, il avoue les ignorer, disant qu'un ami les a collectionnées et qu'il va lui envoyer la liste.

Mon premier mouvement est d'écrire à cet âne malfaisant ou à son évêque. Mais aussitôt nous pensons que nous ne savons rien du pouvoir que tels ou tels misérables ont de nous nuire et qu'il vaut mieux agir de Paris. Parler de cela au curé Storp ne vaudrait rien. D'abord et avant tout il serait contre moi, eussé-je mille fois raison. Ensuite il est l'ami aux quarante hérésies, très-probablement.

Pour en revenir au Gamel, unité représentative d'un groupe compact, voilà donc comment je suis lu par des gens qui savent mal le français ou qui, le sachant à peu près, ne possèdent absolument pas le génie propre de la langue française. Ces critiques, préoccupés avant tout du désir de trouver des tares à un écrivain qui passe pour n'être pas un domestique et situés à plusieurs millions de lieues de la pensée de cet écrivain, réussissent naturellement à découvrir des textes plus ou moins contestables dont ils abusent aussitôt par malice ou par sottise. Tels sont les missionnaires qui doivent restituer à l'Eglise les peuples scandinaves.

14. -- A de Groux :

Je vous annonce tout d'abord que nous allons pouvoir rentrer en France. Ce ne sera pas très-somptueux, mais enfin on cessera d'être en exil Maintenant quel accueil puis-je attendre de vous ? Vous avez tellement changé que je ne sais plus. Votre dernière lettre est effrayante. Trois pages pour me dire que votre vie est un mystère impénétrable et que vous serez plus explicite dans une lettre ultérieure ! voilà trois fois de suite que vous me servez ça. Seulement les deux premières, c'était un post-scriptum de quelques lignes ; cette fois, c'est trois pages. Si je vous écrivais, moi, de telles choses, vous sachant malheureux, que penseriez-vous, sinon que je suis un méchant aliéné ?

La réponse à ma demande n'était pourtant pas bien difficile : « Voici l'information que vous désirez. » Ces onze syllabes suivies d'un très-petit nombre d'autres, m'eussent complètement satisfait.

Pour obtenir cette information si nécessaire, j'ai fait appel à notre amitié de dix ans, à tant de choses profondes qui sont entre nous. Après une attente de près de quinze jours, j'obtiens enfin de savoir que votre vie est énigmatique, insondable et que votre dévouement pour moi est toujours le même. Mais vous ne me dites pas un mot de la démarche que je vous avais supplié de faire. Pas un MOT ! C'est prodigieux Le service que je vous demandais du fond de ma détresse était si simple, si facile, et je l'ai attendu avec tant d'angoisse ! Pourquoi me le refusez-vous ? Qu'avez-vous à me reprocher ? Mes livres sont pleins de vous, depuis huit ans, et le jour où vous m'avez demandé de sacrifier mon pain et celui des miens pour un salaud, je l'ai fait. En retour, le 23 mars dernier, lorsque, sans rien demander, je vous ai laissé voir le désir profond de mon coeur, silence, refus invincible. Aujourd'hui, je vous demande une chose très-simple, très-importante pour moi, qui ne vous coûterait rien, et vous ne voulez pas me la donner ! Que voulez-vous que je pense et que voulez-vous que je fasse ? Ce nouveau refus est si monstrueux que je me demande si vous êtes encore mon ami.

A Ballin. Je lui annonce, en quelques lignes, que j'irai bientôt à Copenhague, avant de quitter le Danemark où je ne peux plus vivre :

Quant au Gamel, je suis peu surpris d'apprendre combien il a été sot et ridicule. Le nombre des imbéciles étant « infini », a dit l'Esprit-Saint, il y aurait lieu, peut-être, d'user de miséricorde, mais je crois le drôle malicieux. C'est plus grave. Mon désir est brûlant de connaître l'ami aux quarante hérésies. Je m'en doute un peu, mais je le saurai à Copenhague. Quels missionnaires, quels apôtres !

15. -- A Friedrichs, pour clore une correspondance :

Deux mots encore pour vous dire que le silence de F. ne cache pas grand'chose. Valette que le regarde comme un homme absolument véridique et qui est, en outre, un ami, ne m'a rien dit sinon, que « M. B. demande seulement 50 exemplaires du Fils de Louis XVI pour Mme B. ». C'est tout. Quant aux mots « violents et malpropres » qui affligent notre ami F., ils seront atténués ou effacés, autant que possible. En général, vous me verrez très-maniable, mais je suis forcé de me défendre et de gueuler ferme, quelquefois, vous l'avez compris.

J'avoue que je ne vois pas très-bien Mme B. distribuant à ses parpaillots 50 exemplaires d'un livre où il y a ce que vous savez. Cette aventure ne vous semble-t-elle pas donner raison aux sceptiques, dont je ne suis pas, pour qui la vie de ce monde est un ensemble de rigolades. Mais le comble serait que Mme B. adorât mon livre, ce qui est possible, après tout. Les mâles sont faits pour plaire aux femelles. Quant à tripatouiller le dit livre, comme la lettre de F. semble exprimer qu'on en aurait le désir, croyez que c'est un rêve. Aucun émissaire ne verra les épreuves, je vous en réponds.

17. -- Voyage à Copenhague. Frédéricia, Petit Belt, Fionie, Grand Belt, Séeland, enfin la bonne face de Joergensen qui nous attendait. « Copenhague, c'est vous », lui ai-je dit. Le reste a pu m'intéresser, autrefois. C'est fini. D'autres voyageurs ont assez parlé de cette capitale du monde scandinave. Je demande à me taire, après tous ces braves gens.

19. -- Employé une après-midi à regarder tomber la neige. La mélancolie rôde autour de moi, mais il ne lui est pas permis de me mordre. Cependant je sens sa présence redoutable.

Réponse de Ballin, extraordinaire. Voilà un homme qui m'a laissé croire à son amitié et qui, tout à coup, se déclare mon ennemi, m'accusant de lui avoir fait beaucoup de mal. J'ai beau chercher, je ne trouve pas. [Il a fallu une révélation plus tard. Certaine page contre les Juifs avait perforé ce coeur.]

Ce matin, achat du Figaro et du Gaulois à la gare de Vesterbrogade. Chacune de ces feuilles à 15 centimes, marquée 0 fr. 20 pour l'étranger, se paye à Copenhague 0 kr. 35 ores, c'est-à-dire 0 fr. 50. Piraterie à signaler.

20. 5e dimanche après Pâques. Messe dans la somptueuse église des Jésuites. Comme toujours et comme partout, c'est le Monde que cet Ordre paraît avoir en vue, huic sæculo conformamini, démenti formel au Texte Sacré, blasphème et reniement effroyables. L'idée même de la pauvreté s'abolit. On chante fort bien à la grand'messe, mais c'est de la musique pour plaire aux femmes du monde, aux femmes qui se décollètent chaque soir et qui font leur salut à moitié nues. Le Kyrie eleison et le Credo _ disparaissent, meurent dans une sorte de contre-point d'opéra, et je me surprends à regretter notre pauvre église de Kolding.

21. -- Promenade avec Joergensen dans l'aimable endroit qui a remplacé les anciennes fortifications de Copenhague. Nous parlons coeur à coeur de la condition misérable des écrivains vraiment catholiques en cette heure inexprimable de l'histoire du pauvre monde.

Au retour, grosse alarme. Madeleine a failli se tuer. L'Homicide cherche nos enfants. La chère fillette a roulé dans un escalier noir situé au fond d'une boutique et n'a -- merveilleusement gardée par son ange -- qu'une meurtrissure. Un bonhomme de médecin nous rassure. Mais quel serrement de coeur ! Joergensen, dont j'entends encore les exclamations de pitié, reste longtemps avec nous et ne s'en va que lorsque toute crainte a disparu.

23. -- Kolding. Rencontré dans notre église un prêtre danois ou allemand, je ne sais plus, ancien curé de Rejkjavik en Islande, l'une des missions les plus redoutables qu'il y ait. Il a été forcé d'y renoncer et s'en va mourir dans une ville d'Allemagne. J'ai pu échanger quelques paroles avec ce « bon serviteur » qui a vraiment donné sa vie et dont la physionomie douloureuse m'a paru très-noble. Il faut, d'ailleurs, si peu d'âme, dans cette nation avilie depuis quatre siècles, pour donner de la beauté à une face humaine.

A Ballin :

Joergensen ne m'avait rien dit de vos sentiments à mon égard, sinon que vous aviez pour moi un vif entraînement littéraire, et, jusqu'au moment où j'ai reçu votre lettre à Copenhague, samedi dernier, j'ai pu croire que vous étiez ce que vous paraissiez être, c'est-à-dire un ami Soudain vous m'apprenez que c'est exactement le contraire, que je vous ai fait un mal atroce et que je « devrais vous mépriser si vous étiez capable d'oublier l'homme pour l'écrivain ». Telles sont vos paroles qui ne peuvent être comprises que d'une manière :
l'homme est une canaille, opinion de tous les journalistes à Paris, depuis environ quinze ans. J'ai commencé par ne pas comprendre, me demandant ce que je pouvais bien vous avoir fait. On me dit que c'est une certaine page du Mendiant ingrat qui vous est restée sur le coeur. Alors j'ai compris de moins en moins. Pourquoi vous prétendez vous « admirateur de mes oeuvres » si vous ne les lisez pas ? Je suis l'auteur d'un livre, le Salut par les Juifs, qui est, certainement et indiscutablement, ce qu'on a écrit de plus généreux et de plus fort POUR les juifs, dans le monde chrétien, depuis le XIe chapitre de l'Epître aux Romains, effort inouï dont aucun juif ne s'est aperçu. La page du Mendiant n'est qu'un rappel de ce livre. En somme, j'affirme qu'il est aussi téméraire de toucher à la Race juive qu'au Saint Sacrement Ce passage vous a offensé à un tel point que « vous en appelez au jugement de Dieu » (!), ce qui ressemble à du délire. Je mourrai sans avoir compris

28. -- A Henry de Groux :

Notre retour est assuré. Nous serons à Paris le mois prochain, sans aucune splendeur visible. Nous partirions tout de suite sans la nécessité de parfaire une somme. J'ai fait dernièrement le voyage de Copenhague dans cet espoir. Les métaux précieux ne manquent pas dans cette ville immense et superbe, mais ils sont, comme à Paris ou ailleurs, dans des mains très-difficiles à ouvrir Le Danemark n'est plus tenable. J'y suis détesté par quelques catholiques, dont un prêtre, et je suis en même temps défendu par d'autres. Sans les latrines scandinaves qui sont la plus parfaite horreur de ce globe, cela marcherait peut-être encore, mais il y a cette abomination indicible, puis la misère noire et enfin le besoin furieux de Paris, unique lieu habitable pour un écrivain français. Donc, en route. J'arriverai sans le sou.

Ne croyez pas, Henry, que mon voyage en Danemark ait été complètement déraisonnable. Ce voyage était voulu, pour des raisons profondes. J'ai failli en mourir, ce n'était donc pas vulgaire.

Je commence à me désintéresser du Transvaal. Le chambardement de Victoria m'eût consolé de bien des maux. Mais c'était un rêve. Les calvinistes de là-bas sont aussi haïssables que leurs conquérants et, le comble de la niaiserie serait d'espérer ce magnifique désespoir qui aurait pu tuer l'Angleterre. Zut ! alors.

Les propriétaires vous embêtent. C'est bien fait. Vous les avez si honteusement flagornés dans la personne du Crétin ! Vous avez maintenant votre récompense.

J'ai reçu de vous un numéro du Journal, où Mirbeau parlait très-médiocrement d'une vieille femme assassinée. Eh bien, écoutez. Un Suédois prend le bateau pour aller d'une île à une autre dans cette partie du monde pleine d'îles et de bateaux. Au beau milieu de la traversée, ce voyageur tire de sa poche des armes diverses, et, d'une main aussi rapide que sûre, assassine le capitaine, expédie les deux ou trois matelots, extermine je ne sais combien de femmes et d'enfants, tout un lot de passagers, et, cette prouesse accomplie, -- enfin seul ! -- gagne dans un canot la terre la plus proche. On a pu le pincer et les journaux de Copenhague ont publié ses adieux a la vie, sous forme de lettre à sa mère. Cet excellent luthérien se réjouit de penser que son exécution prochaine fera crever cette vieille et qu'ainsi ils seront bientôt réunis dans « un monde meilleur ». Vous savez peut-être que, selon le doux protestantisme, le Dieu de Moïse est un paternel et ineffable gaga qui ouvre les bras à tous ses enfants indistinctement.

On se sent petit quand on entend ça.

 

 

 

Juin

1er. -- Mogens Ballin m'envoie 600 couronnes. (840 francs) avec une lettre pouvant se résumer ainsi : « Je vous hais au point de ne pouvoir penser à vous sans être agité par la colère. Cependant vous avez besoin de 600 couronnes. Les voici. Je peux donner cette somme et je n'ai pas le droit de la refuser à un aussi grand artiste. »

[Ce Ballin, à qui j'ai fait une réponse que je ne crois pas devoir publier, n'augmente-t-il pas la liste déjà copieuse de ceux qui m'ont secouru sans le vouloir, contraints par une force mystérieuse ?]

3. -- Dimanche de Pentecôte. Entendu, pour la dernière fois, l'horrible carillon du temple. Les luthériens affectent de tenir beaucoup à cette grande fête qui, d'ailleurs, n'est pour eux qu'une occasion de débauche. Ces hérétiques honorent ainsi le Saint-Esprit beaucoup mieux que nous, cela va sans dire. Oh ! ne plus les voir, dans quelques jours !

11. -- Bienheureuse fin de notre exil. Sublime dernière heure dans le train qui nous porte à la frontière allemande, par une de ces belles nuits claires de l'été scandinave -- le ciel même s'illuminant pour nous voir partir. Désormais nous souffrirons en France.

 

 

 

Épilogue
Si je suis content de mes lecteurs, c'est-à-dire si Mon Journal obtient la dixième partie du succès d'un mauvais livre, je tiens en réserve une troisième série à publier bientôt sous ce titre :

QUATRE ANS DE CAPTIVITE A COCHONS-SUR-MARNE

Le chef-lieu de canton, ainsi désigné fort exactement, étant l'un des grouillements bourgeois les plus bêtes, les plus répugnants et les plus hostiles que j'aie connus en France ou à l'étranger, on peut compter sur moi pour une amoureuse préparation de ce nouveau tome.

Lagny, 8 avril 1904.

FIN


 


Liste alphabétique des noms cités dans cet ouvrage :

 

  • La Vénérable Marie de Jésus d'Agréda.
  • Les PP. Augustins de l'Assomption.
  • Père Bailly de l'Assomption.
  • Mogens Ballin, juif danois converti.
  • Honoré de Balzac.
  • Jules Barbey d'Aurevilly.
  • Mme B., bienfaitrice ingrate.
  • Yves Berthou.
  • Bigand-Kaire, capitaine au long cours et dédicataire de la Femme pauvre.
  • Bismarck.
  • Boniface VIII
  • Paul Bonnetain.
  • Paul Bourget, eunuque des dames.
  • Alexandre Boutique.
  • Georges Brandes, cuistre danois.
  • Edmond Bruijn, spectateur.
  • Charles Buet. Jean Calvin, sodomite fameux.
  • Cambronne.
  • Champion, éditeur.
  • Chamuel, éditeur de Léon Bloy devant les cochons.
  • Charles XI, fils de Naundorff.
  • Victor Charbonnel, prêtre.
  • Victor Cherbuliez.
  • Christian IX, de Danemark, roi reproducteur.
  • Clémenceau.
  • Christophe Colomb.
  • François Coppée. Docteur Coumétou.
  • Père Damien, apôtre des lépreux de Molokaï.
  • Dante. Edmond Deman, éditeur du Mendiant ingrat.
  • Adrien Demay, éditeur du Salut par lés Juifs.
  • Lucien Descaves.
  • Léon Deschamps.
  • Dreyfus, celui de l'Affaire.
  • Edouard Drumont.
  • Dufayel.
  • Georges D., peintre abjurateur du calvinisme et devenu l'un de mes plus généreux lâcheurs.
  • Anne-Catherine Emmerich.
  • Fasquelle, éditeur du Crétin des Pyrénées.
  • Félix Faure.
  • Paul Féval.
  • Gustave Flaubert.
  • Abbé Fouéré-Macé, dit l'Ermite de Lehon.
  • Anatole France
  • Otto Friedrichs, historien de Louis XVII. Naundorff.
  • Prince de Galles.
  • Gamel, mauvais prêtre et imbécile.
  • Agénor de Gasparin.
  • Gustave Geffroy.
  • Gérome, peintre-sculpteur.
  • Sainte Gertrude.
  • Urbain Gohier.
  • Edmond de Goncourt.
  • Henry de Groux.
  • Grundtvig, poète-hérésiarque danois.
  • Guillaume 1er
  • Gabriel Hanotaux, homme d'Etat.
  • Ernest Hello.
  • Jean Hus et les Hernhutes.
  • K. - J. Huysmans.
  • Johannes Joergensen.
  • Zadoch Kahn, grand rabbin.
  • Kanaris Klein, imbécile danois.
  • Henri Lasserre.
  • Léon XIII.
  • Edmond Lepelletier, bienfaiteur.
  • Louis XVII - Naundorff.
  • Jean Lorrain.
  • Pierre Louys.
  • Lugné-Poe.
  • Martin Luther.
  • Lyon-Claesen, éditeur belge.
  • Maurice Maeterlinck.
  • Marbot, historien de Napoléon.
  • Auguste Marguillier
  • Mariani.
  • Marlier.
  • Millerand.
  • Octave Mirbeau.
  • Christian Molbech.
  • Laurent Moltesen, professeur grundtvigien, devant la Face de Dieu.
  • De Moltke.
  • Napoléon 1er
  • Napoléon IV.
  • Naundorff - Louis XVII.
  • Tsar Nicolas II.
  • Olmer, juif de naissance et curé de Saint-Laurent-sur-son-Gril.
  • Blaise Pascal.
  • Joséphin Péladan.
  • Père Picard, de l'Assomption.
  • Alb. Plasschaert, admirateur hollandais, derrière une digue.
  • Henri Provins, autre historien de Louis XVII - Naundorff.
  • Alfred P., ami d'un ami de trente ans.
  • Rachilde.
  • Gabriel Randon (Jehan Rictus).
  • Paul Redonnel.
  • Georges Rémond.
  • Ernest Renan.
  • Auguste Rodin.
  • Roselly de Lorgues, historien de Christophe Colomb.
  • Rosny.
  • André R.
  • Monsieur de Saint-J., avocat marseillais.
  • Rodolphe Salis.
  • Francisque Sarcey.
  • Gustave Schlumberger, historien de Byzance.
  • Père Schmoeger.
  • Marcel Schwob.
  • Séverine.
  • Alphonse Soirat, unique éditeur du Désespéré.
  • Paul Souchon.
  • Clément Storp, curé de Kolding.
  • Tacite.
  • Thorvaldsen.
  • Mlle de la T.
  • Jules Vallès.
  • Alfred Vallette.
  • Paul Verlaine.
  • Horace Vernet.
  • Victoria, reine d'Angleterre
  • Villiers de l'Isle-Adam.
  • Richard Wagner.
  • Emile Zola.

>>>>>Retour à la page d'accueil du site>>>>>

Date de dernière mise à jour : 07/04/2016