Créer un site internet
BIBLIOBUS Littérature française

Aux Îles du Salut

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ARRIVÉE AUX ÎLES

 

À cinq heures de l’après-midi, l’Oyapok siffla.

De tous les bateaux qui labourent les vastes mers, l’Oyapok est le plus nauséabond.

Huit jours après l’avoir quitté, son souvenir vous poursuit encore.

Cependant, je courus pour ne pas le manquer.

Il allait m’emmener aux îles du Salut.

Quand un forçat joue le tout pour le tout, il s’écrie : « Ou les Bambous ou les îles !… » Les Bambous, c’est le cimetière ; les îles, c’est la réclusion. Ils les appellent aussi : la guillotine sèche.

Les îles sont trois rochers groupés en pleine mer : l’île Saint-Joseph, l’île Royale, l’île du Diable. C’est une terre réprouvée. Nul bateau n’a le droit d’en approcher, nul voyageur d’y poser le pied. On passe au large.

Ce soir, l’Oyapok s’arrêtera un moment entre Royale et Saint-Joseph, pour m’y laisser tomber.

Un canot sera là vers dix heures et me recueillera.

L’Oyapok emportait une clientèle ébouriffante pour Mana et Saint-Laurent-du-Maroni : Chinois, Indiens, coolies, noirs, d’autres moins foncés, des presque blancs. Tous traînaient une batterie de cuisine. On aurait dit un comice de ferblantiers ambulants. Ils vociféraient. Les casseroles sonnaient, cela grouillait si fort que l’on ne savait plus au bout d’un moment, si c’étaient les hommes qui avaient une voix de ferraille ou les casseroles qui parlaient nègre !

Ils enlevèrent le pont d’assaut. Entraîné par la vague extra-humaine, je pus néanmoins m’arcbouter contre un Chinois, ce qui me permit de défendre mes cinquante centimètres carrés de territoire. Dès que le bateau leva l’ancre, les descendants de Cham, de Sem et de Japhet s’étendirent. Les pieds mordorés d’une Indienne s’allongeaient sur mes tibias, la pointe de l’omoplate du Chinois me perçait le dos et deux petites moricaudes crépues dormaient déjà dans mes bras. Toute cette humanité fut horriblement malade ; mais comme dirait Lamennais, tirons le rideau sur cette scène épouvantable.

 

L’ÎLE ROYALE

 

Onze heures du soir. Le ciel est noir, la mer est noire, l’horizon est noir. Je suis arrivé. L’Oyapok stoppe.

L’obscurité est trop opaque. Je ne vois pas de canot, mais une voix rouillée demande : « Où est le passager ? » Je descends. Le canot est déjà collé à notre flanc. Un surveillant et six rameurs m’attendent.

— C’est vous ? interroge un galérien. Alors, faites barre fixe sur mon bras, n’ayez pas peur, c’est du fer.

— Paré ? demande le surveillant.

— Oui, chef !

— Pousse !

Ils rament vers l’île Royale.

Une voix interrompt soudain le silence :

Le Petit Parisien a publié ma figure dans le temps…

Au bagne, c’est comme au désert, tout se sait. Mon voyage est connu.

— Bébert ! rame ferme. On va parler de nous à Paname !

De nouveau, le silence :

— La corvée vous salue bien, au nom de tous, à l’arrivée.

Ils n’ont pas le droit de causer, mais c’est la nuit, et ce sont des canotiers, forçats de choix.

— Barre à droite !

Voici Royale. J’entends une voix qui vient de terre :

— Eh !… le journaleux !… si t’as pas de lunettes roses, t’en verras de noires !

Qui m’interpelle ? Face au débarcadère est le poste. Ce serait une maison pareille à d’autres, mais, au lieu de portes et de fenêtres, on voit des barres de fer. C’est une maison-cage.

Le commandant des îles est là qui m’attend.

— Le commandant, le journaleux, c’est tout de la pourriture.

— Quel est-ce ?

— Un détraqué. J’ai usé de tous les moyens : indulgence, pardon, douceur. Hier, il réclame le médecin, je le lui envoie, il lui crache au visage. Je l’envoie au tribunal de Saint-Laurent par votre bateau.

Salomon, porte-clés, noir de la Nouvelle-Orléans, ressemble, tant il est grand et fort, à ces nègres en fer des fêtes foraines qui offrent leur ventre aux poings des amateurs, histoire de leur permettre de mesurer la puissance de leurs coups. Salomon ouvre la cage et prend le révolté dans ses bras. Le forçat gigote. Salomon le mate et le pose dans la barque.

La barque file vers l’Oyapok.

Dans la nuit, nous entendons une dernière fois, venant de la mer :

— Tous de la pourriture !…

 

UNE RENCONTRE

 

Nous montons par la route du plateau. Ce coin est enchanteur.

— Êtes-vous sûr que c’est le bagne, commandant ? On dirait Monte-Carlo sans les lumières…

— C’est grand comme la main et j’ai six cents hommes pour peigner ce jardin. Il peut être coquet.

Un bagnard descendait. On ne se promène pas la nuit, aux îles. Dès six heures du soir, tous sont souqués. Mais ce bagnard était en service. C’était le guetteur du sémaphore.

— Tenez ! voilà notre première rencontre, vous me direz tout à l’heure si vous en feriez de semblables à Monte-Carlo. Savez-vous ce qu’a fait cet homme ? C’est un blanc de la Martinique, un noble. Voici son nom, mais ne le répétez pas, son fils est officier dans l’armée française.

Patron d’une goélette sur la côte de Guyane, il faisait le va-et-vient entre la Prouague, Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni. Officiellement, il transportait du bois de rose et du tafia. Ce n’était pas un voyou de ports, mais un armateur au petit pied. Les meilleures familles de la colonie le recevaient. Et, si je n’avais pas la mémoire courte, je pourrais ajouter qu’il venait aussi chez moi.

Un soir, on vit arriver au camp de Cayenne un forçat horriblement blessé et qui criait comme un fou : « On nous tue tous ! C’est le massacre ! »

L’homme était porté comme évadé depuis cinq jours. Et voici ce qu’il dit :

— C’est le patron de la goélette bleue. Il s’entend avec nous pour nous faire évader. Il demande de cinquante à cent francs. Quand on est d’accord, cinq ou six, on prend date avec lui. Il doit nous conduire au Brésil. Et voilà pourquoi tous les camarades qui, depuis deux ans, sont partis avec lui, n’ont plus donné de nouvelles, voilà pourquoi !

— Eh bien ! pourquoi ? demande le chef.

— Il nous prend dans sa goélette, tout près de Cayenne, à la crique de la première brousse. Une heure après, passant devant la seconde crique, il nous dit de descendre sous prétexte de faire de l’eau. Lui reste dans le bateau, épaule son fusil et il nous abat. Ensuite, il vient, il nous ouvre le ventre et vole notre plan. (Tous les évadés ont de l’argent ; le plan est ce tube porte-monnaie qu’ils font remonter dans l’intestin).

— Et toi ? demanda-t-on au blessé.

— J’ai pu échapper, je n’avais que l’épaule traversée. Mais il m’a poursuivi. Il m’a cherché deux heures dans la brousse. J’étais caché sur un arbre. Je suis revenu pour tout vous dire. On nous tue tous !

— C’était vrai, fit le commandant. La cour d’assises de Cayenne ne l’a pas condamné à mort, elle a sans doute pensé qu’une fois au bagne, les forçats s’en chargeraient. Mais qui connaîtra jamais les réactions du bagne ?

Nous arrivions devant un logement.

— Voici votre maison, au revoir ; à demain !

 

« MON » FORÇAT

 

Je poussai la porte de la grille. La porte grinça.

Petit, crâne énorme, un forçat, pieds nus se précipita sur moi et, avec un accent qui n’était pas de chez nous : « Bienvenue, monsieur ! fit-il, bienvenue ! »

C’était l’Espagnol Gonzalez, ex-garçon au café de Bordeaux, condamné pour intelligence avec l’ennemi.

— Vous venez, monsieur, continua Gonzalez, moitié en catalan, moitié en bordelais, comme le Jésus qui descendit sur la terre pour sauver les malheureux. Il y a des coupables, je ne parle pas pour eux, mais moi ― et il eut deux larmes dans les yeux ― je suis innocent.

Ce n’est pas la rengaine du bagne. On ne vous dit pas souvent : « Je suis innocent ! » mais plutôt : « Moi, je suis une crapule ! »

— Mais, monsieur, continua Gonzalez, sans transition, venez prendre une douche.

Il m’apporta deux citrons en précisant :

— Pour les poux d’agouti.

C’est une des plaies des îles. L’agouti est une espèce de lièvre et ses poux sont une espèce de poux. L’herbe en pullule. Ils pénètrent sous la peau, aux chevilles. C’est diabolique.

Il était minuit. On n’entendait plus dehors que le bruit d’une mangue trop mûre s’écrasant sur le sol. Silencieux sur ses pieds nus, le forçat Gonzalez entra dans ma chambre un gros bâton à la main.

Maintenant, je connaissais les forçats. Je n’ai pas eu peur. C’était pour battre la moustiquaire !…

 

DANS LES CACHOTS

 

Au centre, l’île Royale qui domine est le fléau. Saint-Joseph d’un côté, le Diable de l’autre sont les plateaux. Dernière balance de la justice, telles apparaissent les îles du Salut.

À vue d’œil, c’est ravissant. Elles forment, en pleine mer, l’un de ces petits groupes imprévus qui charment les dames et leur font dire au commandant d’un paquebot : « Oh ! commandant ! si vous étiez gentil, vous arrêteriez là ! » Des cocotiers les parent. C’est vert, bien tenu. On vous affirmerait qu’un opulent casino orne le plateau de Royale, que cela vous semblerait naturel. Décor pour femmes élégantes et leurs ombrelles !

Les îles sont la terreur des forçats.

On interne aux îles les sujets à surveiller, les coupables de plusieurs évasions, les fortes têtes, les meneurs. C’est le fin fond du bagne, les oubliettes de la transportation.

— Nous tournons la tête à droite : de l’eau ! nous la tournons à gauche : de l’eau ! De l’eau partout. Nous devenons fous, monsieur.

L’évasion, leur seul espoir, est difficile. Il y faut du courage. Aussi les compte-t-on. Dieudonné, de la bande à Bonnot, est parti sur deux troncs de bananiers par une mer terrible, requins à la surface. Le courant mit trois jours pour l’apporter sur la Grande Terre. Il marcha vers le Venezuela, mais ne connaissant pas la route, tomba dans le camp Charvein. Il se jeta lui-même dans le piège, tête baissée.

— Mais Dieudonné est un homme ! fait remarquer le commandant Masse.

La fin qui les attend en épouvante plus d’un. On n’enterre pas, on immerge, aux îles. Autrefois, on sonnait une cloche. On ne sonne plus ; les requins connaissaient ce signal et accouraient, dit-on. Ils accourent toujours. Le cadavre ne flotte pas longtemps et, comme chante à peu près le même Dieudonné :

 

Déjà les vieux requins sont là,

Ils ont senti le corps de l’homme.

L’un croque un bras comme une pomme,

L’autre le tronc… et tra-la-la !

C’est au plus vif, au plus adroit.

Adieu, bagnard ! Vivre le droit.

 

 

Nous partons pour Saint-Joseph. Huit heures du matin. Les canotiers ont revêtu leur plus belle camisole empesée.

— Tenez, fait le commandant Masse, voilà Seigle…

— Présent ! commandant ! dit l’un des canotiers.

— Eh bien ! Seigle, qui a l’air si gentil, et rame avec tant de conviction, est une mauvaise tête.

— Vous pouvez même dire une crapule, commandant !

— Je lui ai tendu la perche. Il était de 1.800 jours de cachot. Je l’ai retiré du cachot. Le voilà maintenant canotier. Il m’a promis — parce qu’on ne jure pas ici — de ne plus pécher. Nous verrons.

— Parole de Seigle ! commandant. Je vole bien, par-ci par-là, une poule à un surveillant, mais je ne vais pas plus loin.

— Nous verrons.

— Avec une pioche, une boule de pain, une bonne parole, on nous ferait traverser la Guyane ; nous sommes des vauriens, mais quand on sait nous prendre…

— Et puis, voilà Pichon. Ce n’est pas un saint non plus, Pichon.

— Commandant, demande Pichon, est-ce que le mur de la prison est un fonctionnaire ?

— Non ! Pichon.

— Eh bien ! jadis, j’ai passé au conseil pour voies de fait sur un surveillant parce que j’avais démoli le mur de ma cellule. Comment voulez-vous que je sois un saint quand je vois qu’au bagne on ne sait même pas donner aux mots leur juste valeur ?

Nous arrivions.

 

MORTS VIVANTS

 

L’île Saint-Joseph n’est pas plus grande qu’une pochette de dame. Les locaux disciplinaires et le silence l’écrasent. Ici, morts vivants, dans des cercueils — je veux dire dans des cellules — des hommes expient, solitairement.

La peine de cachot est infligée pour fautes commises au bagne. À la première évasion, généralement, on acquitte. La seconde coûte de deux à cinq ans. Ils passent vingt jours du mois dans un cachot complètement noir et dix jours — autrement ils deviendraient aveugles — dans un cachot demi-clair. Leur régime est le pain sec pendant deux jours et la ration le troisième. Une planche, deux petits pots, aux fers la nuit et le silence. Mais les peines peuvent s’ajouter aux peines. Il en est qui ont deux mille jours de cachot. L’un, Roussenq, le grand Inco (incorrigible), Roussenq, qui m’a serré si frénétiquement la main — mais nous reparlerons de toi, Roussenq, — a 3.779 jours de cachot. Dans ce lieu, on est plus effaré par le châtiment que par le crime.

Un surveillant principal annonça dans les couloirs :

— Quelqu’un est là, qui vient de Paris ; il entendra librement ceux qui ont quelque chose à dire !

L’écho répéta les derniers mots du surveillant.

De l’intérieur des cachots, on frappa à plusieurs portes.

— Ouvrez ! dit le commandant au porte-clés.

Une porte joua. Se détachant sur le noir, un homme, torse nu, les mains dans le rang, me regarda. Il me tendit un bout de lettre, me disant : « Lisez ! »

« Si tu souffres, mon pauvre enfant, disait ce bout de lettre, crois bien que ta vieille mère aura fait aussi son calvaire sur la terre. Ce qui me console, parfois, c’est que le plus fort est fini. Conduis-toi bien, et quand tu sortiras de là, alors que je serai morte, refais ta vie, tu seras jeune encore. Cet espoir me soutient. Tu pourras te faire une situation et vivre comme tout le monde. Souviens-toi des principes que tu as reçus chez les Frères, et quand tu seras prêt de succomber, dis une petite prière. »

II me dit :

— Je voudrais que vous alliez la voir à Évreux.

— C’est tout ?

— C’est tout.

On repoussa la porte.

— Ouvrez !

Même apparition, mais celui-là était vieux. Il me pria de m’occuper d’une demande qu’il avait faite pour reprendre son vrai nom.

— J’ai perdu la liberté, j’ai perdu la lumière, j’ai perdu mon nom !

— Ouvrez !

C’était un ancien jockey : Lioux.

— Je vous écrirai, dit-il. Mon affaire est trop longue. Je ne crois pas que vous vous occupiez de moi, mais quand on est à l’eau on se raccroche à toutes les herbes.

Dans ce cachot noir, il portait des lorgnons.

On repoussa la porte.

Il me semblait que j’étais dans un cimetière étrange et que j’allais déposer sinon des fleurs, mais un paquet de tabac sur chaque tombe.

— Ouvrez !

L’homme me fixa et ne dit rien.

— Avez-vous quelque chose à me dire ?

— Rien.

— Vous avez frappé, pourtant.

— Ce n’est pas à nous de dire, c’est à vous de voir. Et il s’immobilisa, les yeux baissés comme un mort debout. C’est un spectre sur fond noir qui me poursuit encore.

 

DIEUDONNÉ !

 

À la porte d’une cellule, un nom : Dieudonné.

— Il est ici ?

— Il fait sa peine pour sa seconde évasion.

On n’ouvrit pas la porte, mais le guichet. Une tête apparut comme dans une lunette de guillotine.

— Oui, oui, dit Dieudonné, je suis surpris, je n’avais pas entendu. Je voudrais vous parler. Oui, oui, pas pour moi, mais en général.

Il était forcé de se courber beaucoup. Sa voix était coupée. Et c’est affreux de ne parler rien qu’à une tête. Je priai d’ouvrir. On ouvrit.

J’entrai dans le cachot.

Son cachot n’était pas tout à fait noir. Dieudonné jouissait d’une petite faveur. En se mettant dans le rayon du jour, on y voyait même assez pour lire. Il avait des livres : le Mercure de France, de quoi écrire.

— Ce n’est pas réglementaire, mais on ferme les yeux. On ne s’acharne pas sur moi. Ce qu’il y a de terrible au bagne, ce ne sont pas les chefs, ce sont les règlements. Nous souffrons affreusement. On ne doit pas parler, mais il est rare que l’on nous punisse d’abord. On nous avertit. À la troisième, à la quatrième fois, le règlement joue, évidemment. Mais ce qu’il y a de pire, d’infernal, c’est le milieu. Les mœurs y sont scandaleuses. On se croirait transporté dans un monde où l’immoralité serait la loi. Comment voulez-vous qu’on se relève ? il faut dépenser toute son énergie à se soustraire au mal.

Il parlait comme un coureur à bout de souffle.

— Oui, je suis ici, mais c’est régulier. Pour ma première évasion, je n’ai rien eu. Pour ma seconde, au lieu de cinq ans, on ne m’a donné que deux ans. Je peux dire que l’on me châtie avec bonté. Il me reste encore trois cents jours de cachot sur les bras. Je sais que, peut-être, je ne les ferai pas jusqu’au bout. Il ne faut pas dire qu’on ne rencontre pas de pitié ici. C’est la goutte d’eau dans l’enfer. Mais cette goutte d’eau, j’ai appris à la savourer. Aucun espoir n’est en vue et je ne suis pourtant pas un désespéré. Je travaille. J’ai été écrasé parce que j’étais de la bande à Bonnot, et cela sans justice. J’ai trouvé plus de justice dans l’accomplissement du châtiment que dans l’arrêt.

Je suis seul sur la terre. J’avais un petit garçon. Il ne m’écrit plus. Il m’a perdu sur son chemin, lui aussi !

Il pleura comme un homme.

— Merci, dit-il. Ce fut une grande distraction. Et, comme on repoussait la porte, il dit d’une voix secrète qui venait de l’âme :

— Le bagne est épouvantable…

 

LA CASE COMMUNE

 

Le soir, à huit heures, à l’île Royale, le commandant me dit :

— Cela vous intéresserait de jeter un coup d’œil dans une case, la nuit ?

— Oui.

— Si vous entrez, vous ne verrez rien : ils se donneront en spectacle. Je vais vous conduire devant un judas. Vous y resterez le temps que vous voudrez.

Ils étaient allongés sur deux longs bat-flancs, le pied pris dans la manille (la barre). De petits halos faisaient des taches de lumière. C’étaient les boîtes de sardines qui éclairaient. Ils ne jouaient pas aux cartes. Quelques-uns se promenaient, ceux qui avaient pu se déferrer. Les manilles sont d’un même diamètre et il y a des chevilles plus fines que d’autres. Ils s’insultaient. J’entendis :

— Eh ! l’arbi ! C’est-y vrai que ta mère est une pute ?

Ils parlaient de l’événement du jour, de la visite du journaliste.

— Tu crois qu’il y fera quelque chose ? Rien, j’te dis. D’ailleurs, nous n’avons plus rien de commun avec les hommes, nous sommes un parc à bestiaux.

— Ça ne peut tout de même pas durer toute la vie.

— T’avais qu’à ne pas tuer un homme.

— Et toi, qui qu’t’as tué ?

— Prends le bateau et va le demander au juge d’instruction du Mans, s’il veut te recevoir.

Aucun ne dormait. On voyait des couples. Un sourd brouhaha flottait, déchiré de temps en temps d’un éclat de voix fauve. Par l’odeur et la vue, cela tenait de la ménagerie.

— J’irai le trouver, demain, pour lui prouver que je ne suis pas fou. Ah ! le manchot (un surveillant) dit que je suis fou ! J’irai le trouver, le journaliste.

— Et puis, après ? C’est de la clique comme les autres.

Et l’un, d’un ton de faubourg, me fixa définitivement sur la nature de ma personne :

— Va ! ne crains rien, il fait partie de la viande qu’on soigne !

 

ROUSSENQ L’« INCO » [1]

 

Dans les cellules, à Cayenne, à Royale, à Saint-Joseph, je voyais toujours un nom gravé au couteau sur le bat-flanc, soit inscrit au mur en couleur marron : Roussenq.

Parfois, une phrase : « Roussenq salue son ami Dain. » « Roussenq dit M… au gouverneur. »

Sur le tronc d’un manguier de Royale — ce qui prouvait que ce Roussenq était parfois en liberté — je lus : « Face au soleil, Roussenq crache sur l’humanité. »

Quel était cet auteur de graffiti ?

Je demandai son dossier. Quand je le pris des mains du commis, je pliai sous le poids. Ce volume pesait bien cinq kilos. Il valait celui d’Hespel.

Feuilletons la chose.

 

Motifs de punitions :

A excité ses camarades à l’hilarité par son bavardage continuel pendant la sieste. — 30 jours de cachot.

Lacération complète de ses effets d’habillement. — 30 jours de cachot.

N’a pas cessé, pendant la sieste, d’appeler les autres punis pour les obliger à causer avec lui. — 30 jours de cachot.

S’est catégoriquement refusé à se laisser mettre aux fers. — 30 jours de cachot.

S’est catégoriquement refusé à se laisser déferrer. — 30 jours de cachot.

A accusé un surveillant de lui avoir volé deux francs. — 30 jours de cachot.

A grimpé jusqu’au sommet des barreaux de sa cellule et déclaré qu’il en redescendrait quand il lui plairait. — 30 jours de cachot.

A forcé le guichet de sa cellule, passé sa tête et crié : « Une autre punition, s’il vous plaît ! » — 30 jours de cachot.

Bref, le transporté Roussenq (Paul), matricule 37.664, né le 18 septembre 1885, à Saint-Gilles (Gard), condamné, le 5 mai 1908, par le conseil de guerre de Tunis, à vingt ans de travaux forcés, pour tentative d’incendie volontaire (lisez : a essayé de brûler la guitoune sous laquelle il était enfermé) et pour outrages et voies de fait, a collectionné, pendant quatorze ans de bagne, 3.779 jours de cachot. C’est le record. Roussenq était l’as des révoltés.

 

 

— Roussenq, me dit le commandant Masse, est un cas curieux. C’est un hystérique du cachot. Il éprouve une volupté quand on le punit. Il écrivit une lettre en vers au ministère des Colonies pour lui vanter la douceur du cachot.

 

Ah ! douze ans sans ne rien faire !

Douze ans soustrait de la terre !

Ministre,

Tu crois que c’est sinistre ?

Non ! rouquin !

C’est plus beau que ton maroquin.

 

— Il ne faut pas tomber dans le faible des transportés, c’est faire leur jeu, reprit le commandant. Aussi, ces temps derniers, ai-je décidé, pour le punir, de ne plus punir Roussenq. Il appela les punitions de plus haut.

Il écrivit au gouverneur : « Je me contente de vous dire, à vous, gouverneur, que vous êtes un dégoûtant personnage. » La punition ne vint pas.

Il écrivit au directeur : « Lequel est le plus fainéant de nous deux, dites, descendant d’esclaves ? (Le directeur est un nègre.) Lequel ? Moi, qui vous méprise et le dis, ou vous, qui n’êtes qu’un marchand de pommades avariées ? J’en ai soupé de votre fiole, sale sac à charbon, rejeton d’une race subjuguée.

« Je vous emmène tous à la campagne, tous tant que vous êtes : directeur, procureur, gouverneur et toute la séquelle de sangsues et de ratés ! Ah ! vous faites un beau troupeau de vaches ! Charognards ! Tas d’ordures ! Êtres infects vomis par la nature en un moment de dégoût.

« Je préfère ma place à la vôtre !

« Signé : Roussenq. »

 

UNE LETTRE…

 

Dans le dossier, une note du commandant Masse : « Ne pas s’occuper des écrits de Roussenq ; ne pas le punir serait, d’après moi, le meilleur moyen d’avoir raison de ses manières. »

— Eh bien ! en avez-vous eu raison ?

— Tenez, voici sa dernière lettre :

 

Île Royale, 8 juin 1923.

« Monsieur le Commandant,

« Après quinze ans d’une lutte inégale, me sacrifiant pour une collectivité qui, dans son ensemble, n’en vaut pas la peine, je me rends compte que je ne puis plus continuer, mon organisme étant affecté jusque dans son tréfonds.

« Comme le jouteur loyal qui, après un tournoi, tombe la face contre terre, je me déclare vaincu.

« Je ne veux pas augmenter la durée de mes punitions, mais je redoute les moments de défaillance, la disposition du quartier spécial de Royale offrant trop de tentations.

« Je demande comme faveur d’être transféré dans un cachot de la réclusion de Saint-Joseph, où le bavardage (seule infraction que j’appréhende à l’avenir) est impossible. Cette impossibilité est due à ce fait que les cachots de la réclusion ont de la résonance à cause des voûtes.

« Ainsi s’opérerait mon relèvement, quoique tardif. Combien de fois une minute d’aberration, sitôt déplorée, m’a causé des mois et des années de souffrances !

« Vous-même, chef d’une grande administration, vous élevant au-dessus des offenses d’un malheureux exacerbé par des misères sans nombre, lui avez maintes fois ouvert une éclaircie sur l’horizon.

« C’est pourquoi, dans ma détresse, je me tourne vers vous. Je ne puis plus avaler mon pain, les jours de pain sec. J’ai 1 m. 75 et je pèse 50 kilos. La misère physiologique se lit à travers mon corps. J’espère, malgré tout, arriver à subir les 150 jours de cachot qui me restent.

« Si, pour une raison majeure, vous ne pouviez ordonner mon transfert, j’ai la prescience, malgré mes bonnes résolutions, que mon amendement serait impossible. Une parole est si vite dite !

« Faites-moi mettre en réclusion, commandant, vous serez clément. »

— Clémence sinistre, dis-je.

— Oui. Cela vous frappe davantage parce que vous n’êtes pas habitué. Voyez-vous, le monde est fait de trois choses : le ciel, la terre et le bagne.

 

DANS LE CACHOT AVEC ROUSSENQ

 

L’après-midi, je fis armer le canot et repartis pour Saint-Joseph. Quand, en arrivant, je dis au chef de camp : « Je viens voir Roussenq », l’effarement le cloua au sol. On ne voit pas Roussenq. C’est comme si j’avais frappé aux portes de l’enfer, disant : « Je viens voir le diable. » Le diable existe, mais ne reçoit pas. Roussenq non plus. Mais l’ordre que je portais était formel.

Nous montâmes par un chemin rouge et glissant. Malgré les avertissements, je fis, à plusieurs reprises, plusieurs mètres à quatre pattes… la mer battait la petite île Saint-Joseph.

Le local disciplinaire. Nous y pénétrons. Nos pas réveillent la voûte. Ces portes de cachots ont définitivement l’air de dalles verticales de tombeaux. C’est ici qu’est Roussenq, dans cette rue de cachots inhabités, seul, comme il l’a demandé.

On déferre la porte. Elle s’ouvre.

Roussenq se dresse sur son bat-flanc et regarde. Il regarde quelqu’un qui n’est pas un surveillant, qui n’est pas un commandant, qui n’est pas un porte-clés. La surprise est plus forte que lui ; il dit :

— Un homme !

On me laisse seul. Je pénètre dans le cachot. Roussenq en est à la période des dix jours de cachot demi-clair.

Il est ébloui comme si j’apportais le soleil.

— Ah ! bien ! fait-il ; ah ! oui !

— Quel âge avez-vous ?

— Vingt-trois ans de vie et quinze ans d’enfer, ce qui fait trente-huit.

Et, tout de suite :

— Je vais vous montrer mon corps.

Il se mit complètement nu. Passant la main sur son ventre, il dit : « La cachexie ! »

Il est si maigre qu’on dirait qu’il grelotte.

Sur ses bras, dans son dos, sur ses jambes, sur la poitrine sont des marques comme des cicatrices de coups de lanière.

— Ce sont des coups de couteau.

— De qui ?

— De moi, pour embêter les surveillants. Ils faisaient une tête quand ils ouvraient le cachot et me trouvaient en sang ! Et puis ça leur donnait de l’ouvrage.

— Vous touchez à la fin de vos tourments.

— C’est fini. Plus que cent cinquante jours. Maintenant, je rentre dans l’ordre.

— Vous êtes resté longtemps tout nu, mais on vous a redonné un pantalon.

— Je déchirais tous mes vêtements. J’étais un chien enragé.

Il est évident que lorsqu’un individu comme moi lacère ses effets systématiquement, on ne saurait fournir un aliment à ses dégradations. Mais j’ai ressenti suffisamment la souffrance du froid de cachot. Les nuits, je me frottais l’épiderme avec une brosse. J’en suis guéri à jamais. La douleur est le meilleur conseiller.

— Pourquoi meniez-vous cette lutte inégale contre l’administration ?

— Par goût. Je m’enfonçais dans le cachot comme dans le sommeil. Cela me plaisait diaboliquement. Quand le commandant Masse n’a plus voulu me punir, j’ai cru que je l’étranglerais. Et puis, je protestais au nom de tous les autres. Mais tous les autres — à part trois ou quatre — savez-vous ce que c’est ? C’est de la vermine qui, plus vous l’engraissez, plus vous dévore.

On ne me verra plus chercher des amis dans ce fumier.

Je me demande même comment je ferai quand je sortirai du cachot.

Je ne puis plus supporter la vie en commun.

— Vous vivrez à part.

— Je ne puis plus me souffrir moi-même. Le bagne est entré en moi. Je ne suis plus un homme, je suis un bagne.

Il dit :

— Je ne puis pas croire que j’aie été un petit enfant. Il doit se passer des choses extraordinaires qui vous échappent.

Un bagnard ne peut pas avoir été un petit enfant.

 

JE FINIRAI DANS UN REQUIN

 

On s’assit tous les deux sur le bat-flanc.

— Enfin ! j’espère que je suis très malade. J’ai peut-être bien la tuberculose. J’ai assez avalé de cachets tuberculeux… Oui, voilà. Quand un camarade « en tient » on le fait cracher dans des cachets. On colle et on garde ça. Puis on se présente à la visite. On dit : « Je suis tuberculeux. » Au bon moment on met le cachet dans sa bouche. On le perce d’un coup de dent et on crache pour l’analyse. Les médecins ont du travail avec nous !

Il ne voulait pas prendre le tabac que j’apportais.

— Non ! Non ! je ne veux plus commettre de faute.

— Pour ces paquets-là on ne vous dira rien.

Il les prit, disant :

— C’est que je veux sortir, sortir.

— Mais habillez-vous ! vous grelottez.

— Non ! on ne grelotte que la nuit.

Il me demanda :

— Je suis bien seul dans l’allée, n’est-ce pas ?

— Seul.

— Comme ça, je sortirai. Quand je sens des camarades près de moi, mon cerveau chavire. Il faut que je les provoque. Je me couperai la langue, mais je sortirai.

Il n’avait aucune commission à me confier. Il ne se rappelait plus le monde.

Je lui dis de pauvres mots d’homme libre qui ne parvinrent pas, j’en suis sûr, au fond de sa fosse.

Il me répondit :

— Oui. Je finirai dans un requin, mais je veux revoir le soleil !

 

LES FOUS

 

Le commandant des îles était à son bureau. Comme j’entrais, il écrivait sur une lettre, au crayon bleu : « À classer. Il est fou ! »

— Bonjour ! me dit-il. Lisez ceci :

 

« Le Diable, 15 juin. »

« Monsieur le commandant supérieur,

« Prière de me faire évacuer du Diable au plus tôt, car je prévois une éruption.

« L’île sautera dans quatre jours. On entendra une forte détonation et la secousse se propagera du Diable en Europe.

« Veuillez, en outre, prévenir de suite la Société de géographie.

« Avec mon profond respect.

« Aubry, transporté 38.096. »

 

La veille, quarante-deux bagnards avaient défilé chez moi, un par un.

Le cinquième qui se présenta était manchot et sa vieille figure de singe riait malicieusement.

— « Vous avez bien entendu parler du fort Chabrol des Vosges ? Vous savez : Pan ! pan ! deux gendarmes morts. Pan ! pan ! Eh bien ! le fort Chabrol des Vosges, c’est moi !

Vous connaissez Gérardmer ? J’ai pris le tram. Et toujours pan ! pan ! Ah ! c’était drôle, mon ami, c’était drôle !

Eh bien ! J’étais balayeur à Saint-Laurent-du-Maroni, mais toutes les femmes m’aimaient. Plus je balayais, plus elles m’aimaient. Et voilà pourquoi on m’a mis sur les îles. Je viens vous porter la plainte d’un enfant de l’amour.

— Prends ce paquet de tabac, mon vieux, et laisse la place à tes autres camarades. »

Il redescendit l’escalier, son moignon en goguette et pinçant des ailes de pigeon au cri de : pan ! pan ! pan ! pan !

Le dixième était grand, maigre. Il se planta devant moi, grelotta comme un timbre de gare et commença :

— « Au temps de ma femme, Jeanne d’Arc, le monde n’était pas si méchant. Je parle de l’année 1904 où j’ai pris Jeanne d’Arc pour femme. Quant à moi, je suis changé en cheval et je viens me plaindre ici que l’on ne me donne pas de foin. Pas même une jument, monsieur. Or, la femme appartient au cheval et non à l’homme, qui n’est qu’un singe.

— « Prends ce paquet de tabac, mon vieux. Je ferai la commission, je te le promets.

— Ai-je le droit de dire encore un mot ?

— Dis.

Il se pencha à mon oreille :

— Je suis le possesseur du signe cabalistique 234, trois X. »

— Asseyez-vous.

L’un des derniers se présenta timidement. Il me remit une lettre.

— Asseyez-vous !

Je lus :

« Monsieur le président de l’Académie des Sciences,

« Je viens vous prier de faire une expérience sur ma personne, si toutefois les membres de l’Académie tiennent à posséder un phénomène qui n’existe pas encore dans le monde.

« Que l’on m’enferme avec une belle femme, pendant six mois, dans une chambre verte, et je vous fais naître une personne possédant le corps d’un serpent, la tête d’un vautour et les pieds d’un chien. Si je ne réussis pas, on me traînera, séance tenante, au supplice.

« L’auteur de la découverte de l’obscurité. » Signature illisible.

Sur quarante-deux forçats, trois étaient fous !

 

LA CASE DES FOUS

 

Au bout de l’île s’élève une maison lépreuse. Les blockhaus sont moins tristes qu’elle. Le grand soleil lui-même ne parvient pas à la faire paraître ce qu’elle n’est pas. Loin de chanter sous la lumière, elle se consume. C’est la case des fous.

C’était jour de visite. Le docteur Clément s’y rendait. Je me joignis à lui.

Au bagne, on voit le malheur toute la journée. Il passe, comme dans une ville une auto, un piéton. On entend : « ma misère », « la misère », « notre misère », de même que chez nous : « Bonjour ! » « Ah ! qu’il fait chaud ! » « Quelle heure est-il ? » On se croirait dans un monde de chiens invisibles grattant, de l’intérieur, à la porte de leur niche. Nous n’avons qu’un jour des Morts par an ; pour eux, c’est jour des Morts toute l’année.

La case des fous était plus tragique encore que tout cela.

Les portes s’ouvrirent. Une statue de l’abjection était appuyée contre la cellule n° 1, les yeux fixant le sol, la langue sortie.

C’était un vieux.

— Vieux, dit le docteur, je te donnerai une boîte de lait, ce matin.

La statue ne bougea pas.

À la cellule 2 était Bourras. Il se promenait nu dans sa « concession à perpétuité ». Ainsi se nomment les cases.

— Eh bien ! Bourras, tu veux me demander une boîte de lait, toi aussi, ce matin ?

Bourras sourit :

— Je voudrais prendre quelque chose, ce matin.

— Quoi donc ?

— Je voudrais prendre la liberté.

En face (on avait ouvert toutes les cellules) le numéro 4 nous appela.

— Eh bien ! Jean, mon vieux Jean, qu’est-ce que tu veux ?

Et, pointant son doigt sur le numéro 2 :

— Monsieur le major, il est bien fou, je m’y connais, vous ne faites pas erreur. Hier, il a mangé son mur. Il est de Caen. Tous ceux de Caen mangent les murs. Il mourra aussi, il mourra !

— Vous donnerez une boîte de lait à Jean.

— Non ! je veux une purge.

— Vous lui donnerez une purge.

— Et puis, vous savez bien, monsieur le major, à huit ans, j’ai embaumé mon père. Je désire qu’on me rende la pareille. Et, comme je veux être sûr d’être embaumé après ma mort, que l’on commence maintenant. Embaumez-moi, monsieur le major. Débutez par le ventre.

— Jeudi prochain, Jean, je te le promets.

Voici Boutriche Amar au numéro 16. C’est un Arabe.

— Eh bien ! Boutriche, tu es sorti ce matin, n’est-ce pas ?

Il fit remonter son souffle de très bas et siffla :

— Oui.

— Alors, tu es content ?

— Oui.

— Boutriche Amar veut sortir tous les matins à sept heures pour tuer son ennemi. Son ennemi est le soleil. Il prend des pierres et, comme il est très fort, il les lance dans le soleil. N’est-ce pas, Boutriche ?

— Ou-i.

— Et après, il crache sur le soleil. Il crache pendant cinq minutes.

— Ou-i.

— Vous donnerez une boîte de lait à Boutriche.

Le n° 17 chantait : « Ô Marguerite ; ô toi ! ma Marguerite. »

Il regarda le docteur et dit : « Bonjour, Marguerite ! »

— Tenez, voilà Caillot, au n° 13. Il est libérable dans vingt-cinq jours. Nous ne pouvons pas renvoyer un homme pareil. Alors il aura fait sa peine et restera quand même au bagne. Il doit s’en rendre compte. Depuis deux mois, il n’ouvre plus la bouche.

Caillot, sur son bat-flanc, pensait profondément, les sourcils froncés.

Caillot n’entendit pas, Caillot pensait, pensait…

Au n° 3 était un homme, correctement vêtu de ses habits de bagnard. Il caressait un chat. C’était Compart. Compart était un bon sujet. Voilà quarante jours, au Diable, il tua un camarade qui lui avait volé trente-cinq francs. Sitôt après, Compart devint fou. Il ne parle plus que de sa fille qu’il eut à Paramaribo, en évasion.

— Eh bien ! me dit-il, vous irez là-bas, à Paramaribo. Vous verrez ma petite-fille. C’est dans la troisième rue.

Et me montrant son matricule.

— Prenez mon numéro. Dites-lui bien mon numéro. C’est un très bon numéro.

Aousset, au numéro 14, se promenait comme une bête, tout nu, à quatre pattes dans sa cellule. Un baquet rempli d’eau sale attendait dans un coin.

— Alors, il boit toujours de l’eau sale ?

— Plus elle est sale, plus il se frotte le ventre, dit l’infirmier.

— Aousset, on va te mettre de l’eau propre.

On fit mine de lui enlever son baquet. Mais il rugit et montra les ongles.

Voici le numéro 22. Quand nous approchons, il lève le doigt et, confidentiellement :

— Un petit pigeon est venu ce matin et m’a dit : « il faut manger ». Alors je vais manger.

— Donnez-lui une boîte de lait.

Trabot, Sénégalais, est assis sur sa planche. Il tresse des lianes avec une rapidité prodigieuse et parle haut, très haut. Il parle ainsi depuis un an et demi sans arrêt. Il dit toujours la même phrase. On n’a jamais pu comprendre que deux mots : Droit civil et classe. Dans son discours éternel, ces deux mots passent régulièrement comme les agrafes d’une courroie en action.

Crébillot est un déporté de l’île du Diable. Il a un œil fermé et de l’autre il sourit. Sa paralysie générale est en plein épanouissement.

— Allez donc voir Joffre et Clemenceau et dites-leur bonjour de ma part.

Nous partions. Il nous rappela :

— Et mes galions ? A-t-on relevé mes galions ?

— Bien sûr !

— Cinq milliards et demi dans le port de Cayenne, c’est quelque chose. Il faut me relever ça !

Il y avait un Annamite qui ne mangeait que des crapauds.

Il y avait un Marocain.

Ils étaient venus de Saïgon, de Tombouctou, de Marakech, de Caen, se jeter dans ce trou !

Il y en avait un qui chaque jour, lançait quelques cailloux dans la mer, à la même pointe de l’île Royale. Comme cela, il créerait une digue d’Amérique du Sud en France. Il n’aurait plus ensuite qu’à marcher dessus pour rentrer chez lui.

C’est de cette folie-là que ces tragiques misérables sont tous fous !

 

« AU DIABLE »

 

Les condamnés appellent l’île du Diable : le Rocher noir.

On croirait n’avoir qu’à enjamber pour passer. C’est une tout autre affaire.

Naguère, un câble aérien réunissait les deux îles. Ainsi, chaque matin, dans un petit wagonnet, partait le ravitaillement. Il est difficile d’aller chez les déportés. Un goulet sépare les deux terres. Le courant est impératif. Aucun bateau ne s’y aventure. La mer ici semble un mur hérissé de tessons de bouteilles !

Au pied de l’abattoir, le canot nous attendait.

Les requins connaissent les jours de tuerie. Ils accourent dans l’anse dont l’eau se rougit. On les voit à la surface se réjouir du sang des bœufs.

Le forçat boucher accroche un paquet d’intestins à un harpon. Il va nous sortir un squale. Le monstre mord à la minute. Le forçat ferre trop tôt. La bête retombe à l’eau, gueule déchirée.

Nous embarquons.

Pour franchir à pied la distance de Royale au Diable, trois minutes suffiraient. Nous voici en route depuis un quart d’heure. Six rameurs. Nous n’avons presque pas décollé de Royale.

Ce sont six rudes galériens pourtant ! Ils serrent les dents. On dirait que c’est leur mâchoire qui tire le canot. Mais chaque fois qu’ils gagnent un mètre, les rouleaux nous repoussent de deux.

Avec eux, nous sommes neuf dans le canot. Aucun ne parle. Le hasard de ces minutes nous impose. Un orage s’abat à droite : rideau de fer qui descend sur l’horizon. L’orage fonce sur nous comme une charge de cavalerie.

Nous ne parlons pas. Dans un suprême effort, les forçats enlèvent le canot et sortent du tourbillon.

— C’est fait ! dit Seigle.

Nous sautons sur le « Diable ». Ouvrez les bras et vous tiendrez l’île contre votre cœur. C’est tout son volume.

Dreyfus l’inaugura. Il y resta cinq ans, seul. Voici son carbet. Il est abandonné. Je le regarde et c’est comme une très ancienne histoire que l’on me conterait.

Voici son banc. Chaque jour, le capitaine venait s’y asseoir, les yeux fixés, dit la légende, sur la France, à quatre milles par l’Atlantique.

Vint Ullmo. Là est sa case. Il y reçut le baptême, la communion. Voici sa lampe, son cocotier.

La guerre a peuplé le rocher. Maintenant ils sont vingt-huit, deux par baraque.

— Ne rappelez pas mon nom, supplie celui-là portant barbe noire.

— Qu’avez-vous fait ?

— En 14, j’ai écrit à la Gazette de Cologne pour lui dire que je pourrais lui fournir des renseignements.

Il est l’infirmier de ses camarades.

Ils ont un peu débroussé et cultivent d’étroits jardins.

Voici un Annamite qui ne parle qu’annamite.

Voici un Chilien.

C’est tout.

Île du Diable ! tombeau de vivants, tu dévores des vies entières. Mais ton silence est tel que pour le passant tu n’es qu’une page !

 

MARCHERAS L’AVENTURIER

 

J’allais sortir. Il était six heures du soir. Quarante-deux forçats avaient défilé devant moi, sous cette véranda, l’après-midi. Je me sentais égaré dans une immensité de misères. Un quarante-troisième forçat apparut au sommet de l’escalier.

— Vous avez quelque chose à me dire ?

— Oh ! non, pas moi ! Mais vous voulez me voir, je crois ?

— Marcheras ?

— Marcheras.

Marcheras, présentement infirmier des îles du Salut.

Docteur, commandant, surveillants reconnaissaient en lui un « homme bien », une « personnalité intéressante ». À l’hôpital, son chef lui accordait une « confiance sans limite ».

Du forçat, il n’avait que la livrée. Il tenait son chapeau de paille tressée d’une main habituée aux meilleurs feutres. Sa tenue, ses propos, son sourire, ses silences étaient d’une élégance désabusée.

Nous voilà assis, chacun d’un côté de la table.

— Eh oui, fit-il, telle est la vie !

Il accepta une cigarette.

— Les bons, les mauvais, les brutes, les brebis perdues, nous tournons tous, ici, dans un cercle vicieux. Nous n’avons plus de boulets aux chevilles ; mais, sitôt que nous battons de l’aile pour nous élever, une corde invisible nous ramène au fond du trou. À part le feu, nous sommes bien les damnés que représentent les images catholiques.

Entendez-moi. Je ne dis pas que je sois venu ici sans motif. Mais je n’étais pas foncièrement mauvais quand j’accomplis mon premier voyage en Guyane (il sourit) à dix-huit ans ! J’avais tiré un coup de feu sans résultat et volé mille francs. Cela ne valait pas une pension de l’État, mais n’était qu’un geste. Mon âme, autour de cette tache d’un jour, restait blanche. Mais après quatre ans d’administration pénitentiaire, alors non ! je ne pouvais plus concourir pour un prix Montyon. Ah ! fit-il d’un ton d’administrateur, la Guyane devrait être un Eldorado. Songez que moi (il me désigne son matricule), je suis le 27.307. Un très vieux cheval ! On en est maintenant à 47.000. Cherchez une route, un chemin de fer, cherchez la trace de passage de quarante-sept mille blancs. On ne voit pas même leurs tombes. On aurait pu tout au moins élever une pyramide avec les ossements. C’eût été un souvenir !

Le bagne n’est qu’une machine à faire le vide. Et cette machine coûte quatorze millions par an à la France.

On ne peut pas commander au paludisme. Mais voyez partout, à Panama, à Colon. Allez à la Coutcha, à l’intérieur, où la fièvre jaune était latente, aujourd’hui, plus rien.

Dans les bagnes des États-Unis, regardez…

— Vous avez voyagé ?

— Assez, il faut bien employer son temps d’évasion.

— Dans les bagnes des États-Unis, ce n’est pas la même chose. On couche en cellule, la nuit.

— Vous y êtes allé ?

— Oui, mais un peu comme vous ici. Lors de ma première évasion, j’ai tenu à faire la comparaison. J’avais obtenu toutes permissions. Je ne m’étais pas présenté, évidemment, mon matricule de Cayenne à la main. Mais aux États-Unis, des dollars, un fin rasoir, un bon tailleur vous font un gentilhomme en une matinée…

On couche en cellule, donc pas de promiscuité. Si le fruit qui tombe dans un bagne américain n’a qu’une petite tache, cette tache ne s’étendra pas. Il y a des ministres du culte, des livres. On instruit l’homme. Beaucoup d’entre nous vont au mal parce qu’ils ne soupçonnent pas le bien. Les Américains leur cachent le mal et leur montrent le bien. L’homme se relève. S’il est illettré, on l’instruit. Quand il sort, un trousseau l’attend. On ne le jette pas à la porte, on lui trouve du travail. Il mange à sa faim. Il ne voit pas tuer devant lui un homme, à propos de bottes.

Dans les petites républiques de l’Amérique du Centre, même…

— Vous connaissez aussi ?

— J’ai tenu à tout étudier. Les prisonniers sont considérés comme des hommes. Pourtant, Guatemala, Honduras, San Salvador, Costa-Rica ne sont pas de grands pays comme le nôtre.

Prenez la Guyane anglaise, la brésilienne ou la hollandaise. Des quatre, la Guyane française est celle que la nature favorisa le plus. C’est un pays neuf et opulent. On dirait que Christophe Colomb ne l’a pas encore découvert ! Or, que fait-on ? Nous arrachons de l’herbe qui repousse le lendemain.

Tout cela était pesé. Ce bagnard ne déblatérait pas, il déplorait. La faillite du bagne choquait son intelligence. S’il disait : « J’ai vu à Sainte-Marguerite un chantier où les hommes sitôt débarqués mouraient sur le ventre comme des poissons sortis de l’eau », ce n’était pas pour s’indigner, mais pour s’étonner de procédés si peu rémunérateurs.

— Aussi, dégoûtés de notre inutilité, monsieur, on déserte.

 

LA VIE D’UN FORÇAT AVENTURIER

 

L’évasion, monsieur, n’est pas un jeu, c’est une science. Ceux qui la représentent sous le jour d’une action romanesque n’ont pas été forçats. On vous racontera de superbes histoires qui sont vraies. Il y eut ce collègue, mon ami, qui se fit clouer dans une caisse à destination d’un autre « frère de la côte » à Demerara. On lisait sur la caisse : « Plante rare. Prière d’éloigner des chaudières et d’arroser souvent. »

Nous n’avons pas davantage oublié cet homme qu’on emporta pour mort, un couteau dans l’épaule à l’amphithéâtre de Royale. Le lendemain, on ne le retrouva plus. Ni la table d’opération ; il s’en était servi pour radeau. Des gens d’hôpitaux sont partis, au fil de l’eau, dans des cercueils. Et l’évasion des canotiers de la chaloupe Mélinon ! C’était la plus jolie de l’administration. Elle effectuait son premier voyage. Il était cinq heures du soir, heure de la promenade chic sur le quai de Saint-Laurent-du-Maroni. Le directeur était là. Tout ce beau monde admirait la nouvelle acquisition. Les forçats touchèrent le débarcadère et, soudain, repoussèrent la chaloupe. On crut d’abord qu’ils manœuvraient. Ils prenaient le large ! « Mais que font-ils ? » demandait le directeur. La chaloupe siffla : « Pou ! pou ! pou ! » Le directeur criait : « Arrêtez ! » Nos amis inclinèrent par trois fois le pavillon — salut réglementaire. On ne les revit jamais.

Mais l’évasion ordinaire, la vraie ! C’est un exploit que les connaisseurs qualifieraient d’héroïque si le but était autre. De la « grande terre », on tombe dans la brousse. On est sans vivres, sans vêtement. On a tout calculé, mais rien prévu. On sait par exemple, que, dans la brousse, on tourne toujours à gauche. Pourquoi ? C’est un fait. Mais c’est tout ce qu’on sait. Onze jours, une fois, je suis resté dans les bois. Les singes rouges étaient mes compagnons. Je me battais avec eux pour voler leur nourriture. Toute la nuit, ils criaient lugubrement. Las des marécages, je montais, parfois aussi, dans les arbres. Quand le sommeil me terrassait, je rêvais que les singes m’emportaient. Et puis, il y a le grage, serpent qui donne la mort, et tous ceux que l’on vient troubler dans leur royaume : tamanoirs, pumas, caïmans. Enfin, un jour, on aperçoit un pomakari (toit d’un canot de nègres bosch). Et alors, quand on a la chance et une volonté d’acier, après encore un mois de vie de chien sauvage, alors, alors, on est tour à tour scieur de long à Paramaribo, cireur de bottes à Demerara, barman à Panama, tenancier de tripot à Colon, chercheur d’or un peu partout. Au Mexique, on s’engage dans les bandes de Francisco Madero contre Francisco Diaz. Cela dure un mois. Et l’on s’engage ensuite chez Francisco Diaz contre Francisco Madero. De bagnard, on s’élève au rang de pirate. On est aussi négociant. Je fus marchand de glaces ambulant à Bogota. Dans cette même Colombie, j’ai tâté des mines d’émeraude. Vos compagnons sont des assassins, des étrangleurs, des faussaires. Un homme intelligent ne fait pas le mal pour le plaisir de faire mal. Mais il faut soutenir sa façade d’homme libre. Donc, un coup de pistolet, le soir, est vite tiré. Et on se sauve…

On va chercher du pétrole au Venezuela. J’ai saigné les balata. J’ai fait du caoutchouc. On m’a vu dans les massifs de l’Imataqua, à soixante kilomètres dans l’intérieur. Je gagnais ce que je voulais avec le quartz aurifère. Les belles cascades qu’il y a là ! Les vieux forts du temps des conquistadores hantent ses côtes. Mais on redescend. On a besoin de s’amuser. On a hâte de couper sa barbe à la Jean Hiroux. On a deux ou trois milles dollars en poche, de quoi être un homme : les villes sont là, les bars, les tripots, les femmes. On lave tout en une semaine.

Huit jours de folie font oublier les années de misère. Le bagne semble loin ! Et l’on remonte prospecter ou mourir.

Une fois, lors de ma seconde évasion (on ne croit jamais retourner au bagne, mais on compte tout seul. Un duel à la mexicaine, à Panama, m’avait fait découvrir. On me ramena à Saint-Laurent. Je dus donc m’évader encore), une fois que j’avais gagné, chez les Guatémaltèques et autres Nicaraguais, de très authentiques et très bons dollars, je partis me promener à New York. Passant, un soir d’été, dans un quartier ouvrier, je vis des familles, le père, la mère, les enfants, causant et jouant devant les portes. C’était honnête, c’était beau. Pourquoi ne deviendrais-tu pas cela ? me dis-je. Dès le soir, je quittai le palace qui, depuis un mois, avait l’honneur d’héberger une crapule aussi bien habillée que moi. Je réduisis mes frais. Hélas ! il est une chose que je ne pus réduire : le goût de grand’route aventureuse. Et puis…

La nuit était tombée tout à fait. Il me regarda à la lueur d’une chandelle.

— Et puis je suis une canaille. Nous sommes tous des canailles. Nous sortons de l’école du crime. Ai-je assez souvent entendu : « Comment t’y es-tu pris ? » — « Comme ça. » — « Imbécile ! voilà comment il fallait faire. » Alors on sait. On sait trop !

 

MAINTENANT

 

Maintenant, j’ai passé l’âge des grands voyages. Mes ailes sont rognées.

Je fus marquis, plusieurs fois de. Les joies du monde, je les ai tenues dans cette main, cette main qui tient à cette heure le chapeau de Duez. Oui, Duez m’a donné son chapeau en partant ! Je ne suis plus qu’un résigné irrémédiablement battu dans son dernier combat.

Je finirai d’abord sur ce rocher, ensuite dans un requin. Tout cela d’après la loi.

Mon bonheur est de faire du bien à mes co-détenus. Je fus un voleur. Ici, au bagne, je suis l’homme intègre. Mes chefs me confient l’infirmerie. Je gère vingt mille francs.

Les camarades me disent : « Tiens ! Henri, garde-moi ça. » Je garde. Comment expliquez-vous cela ?

J’ai été un criminel.

Trois fois je me suis évadé.

J’ai traîné la chaîne (j’étais de ce temps), onze mois, je fus aux fers par les deux pieds.

J’ai mérité ces châtiments.

Ai-je du repentir ? Je ne dis pas que je porte droit mes crimes, mais je les porte. Quand à l’âge de raison on s’est chargé d’un fardeau, on ne gémit pas sous le poids.

Bien souvent, quand je me trouve seul, les soirs, chez moi, dans mon hôpital, je regarde les bocaux. J’ai tous les genres de mort à ma disposition. Alors je me dis : Si j’abrégeais ? Toujours une voix répond : Qui sait ?… J’ai franchi les Andes. Sur trois planches, j’ai affronté la mer des Guyanes. J’ai traversé à la nage des rios en crue. Je n’ai pas le courage de déboucher un flacon ! Vous avez voulu me voir ? Tel est le triste individu que je suis. Au revoir, monsieur, et bonne chance !

 

 

 

 

À Saint-Laurent-du-Maroni

 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021