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Poésie - Pernette du Guillet (1520-1545)

 
TABLE DES MATIERES

RYMES
Le haut pouvoir. . .
La nuit était pour moi. . .
Par ce dizain. . .
Jà n'est besoin. . .
Comme le corps ne permet. . .
Le Corps ravi. . .
Le grand désir. . .
Je suis tant bien. . .
Je te promis. . .
Sais-tu pourquoi. . .
A qui plus est. . .
Or qui en a. . .
Prenez le cas. . .
Soit que par égale puissance. . .
Si je n'ai pu. . .
Je ne crois point. . .
L'une vous aime. . .
Si j'aime cil. . .
C'est une ardeur. . .
Point ne se faut. . .
Un seul je hais. . .
Aucuns ont dit. . .
C'est un grand mal. . .
Celle clarté mouvante. . .
Mômerie Des Cinq Postes D'Amour.
Pour Une Anatomie.

ELEGIES
Parfaite Amitié.
Combien de fois. . .
Désespoir.

CHANSONS.
J'ai été. . .
Quand vous voyez. . .
Ô vraie amour. . .
La fortune envieuse. . .
Dames, s'il est permis. . .
Sans connaissance aucune. . .
Qui dira. . .
Heureuse est la peine. . .
Je suis la Journée. . .

EPITRES.

Coq à l'âne.

A un sot rimeur, qui trop l'importunait d'aimer.












RYMES

Le haut pouvoir. . .

Le haut pouvoir des Astres a permis-
Quand je naquis- d'être heureuse et servie:
Dont, connaissant celui qui m'est promis,
Restée suis sans sentiment de vie,
Fors le sentir du mal, qui me convie
A regraver ma dure impression
D'amour cruelle, et douce passion,
Où s'apparut celle divinité,
Qui me cause l'imagination
A contempler si haute qualité.











La nuit était pour moi. . .

La nuit était pour moi si très-obscure
Que Terre et Ciel elle m'obscurcissait,
Tant qu'à Midi de discerner figure
N'avais pouvoir- qui fort me marrissait:

Mais quand je vis que l'aube apparaissait
En couleurs mille et diverse, et sereine
Je me trouvai de liesse si pleine-
Voyant déjà la clarté à la ronde-
Que commençai louer à voix hautaine
Celui qui fit pour moi ce Jour au Monde.














Par ce dizain. . .

Par ce dizain clairement je m'accuse
De ne savoir tes vertus honorer,
Fors du vouloir, qui est bien maigre excuse:
Mais qui pourrait par écrit décorer
Ce qui de soi se peut faire adorer?

Je ne dis pas, si j'avais ton pouvoir,
Qu'à m'acquitter ne fisse mon devoir,
À tout le moins du bien que tu m'avoues.

Prête-moi donc ton éloquent savoir
Pour te louer ainsi que tu me loues!













Jà n'est besoin. . .

Jà n'est besoin que plus je me soucie
Si le jour faut, ou que vienne la nuit,
Nuit hivernale, et sans Lune obscurcie:
Car tout cela certes rien ne me nuit,
Puisque mon Jour par clarté adoucie
M'éclaire toute, et tant, qu'à la minuit
En mon esprit me fait apercevoir
Ce que mes yeux ne surent oncques voir.













Comme le corps ne permet. . .

Comme le corps ne permet point de voir
À son esprit, ni savoir sa puissance:
Ainsi l'erreur, qui tant me fait avoir
Devant les yeux le bandeau d'ignorance,
Ne m'a permis d'avoir la connaissance
De celui-là que, pour près le chercher,
Les Dieux avaient voulu le m'approcher:
Mais si haut bien ne m'a su apparaître.

Parquoi à droit l'on me peut reprocher
Que plus l'ai vu, et moins l'ai su connaître.















Le Corps ravi. . .

Le Corps ravi, l'Âme s'en émerveille
Du grand plaisir qui me vient entamer,
Me ravissant d'Amour, qui tout éveille
Par ce seul bien, qui le fait Dieu nommer.

Mais si tu veux son pouvoir consommer,
Faut que partout tu perdes celle envie:
Tu le verras de ses traits s'assommer,
Et aux Amants accroissement de vie.














Le grand désir. . .

Le grand désir du plaisir admirable
Se doit nourrir par un contentement
De souhaiter chose tant agréable.
Que tout esprit peut ravir doucement.

Ô que le fait doit être grandement
Rempli de bien, quand pour la grand'envie
On veut mourir, s'on ne l'a promptement:
Mais ce mourir engendre une autre vie.













Je suis tant bien. . .

Je suis tant bien que je ne le puis dire,
Ayant sondé son amitié profonde
Par sa vertu, qui à l'aimer m'attire
Plus que beauté: car sa grâce et faconde
Me font croire la première du monde.













Je te promis. . .

Je te promis au soir que, pour ce jour,
Je m'en irais à ton instance grande
Faire chez toi quelque peu de séjour:
Mais je ne puis... parquoi me recommande,
Te promettant m'acquitter pour l'amende,
Non d'un seul jour, mais de toute ma vie,
Ayant toujours de te complaire envie.
Donc te supplie accepter le vouloir
De qui tu as la pensée ravie
Par tes vertus, ta grâce, et ton savoir.

















Sais-tu pourquoi. . .

Sais-tu pourquoi de te voir j'eus envie?
C'est pour aider à l'ouvrier, qui cessa,
Lors qu'assembla en me donnant la vie,
Les différents, où après me laissa.

Car m'ébauchant Nature s'efforça
D'entendre et voir pour nouvelle ordonnance
Ton haut savoir, qui m'accroît l'espérance
Des Cieux promise, ainsi que je me fonde,
Que me feras avoir la connaissance
De ton esprit, qui ébahit le Monde.














A qui plus est. . .

À qui plus est un Amant obligé:
Ou à Amour, ou vraiment à sa Dame?
Car son service est par eux rédigé
Au rang de ceux qui aiment lauds, et fame.

À lui il doit le coeur, à elle l'Âme,
Qui est autant comme à tous deux la vie;
L'un à l'honneur, l'autre à bien le convie;
Et toutefois voici un très-grand point,
Lequel me rend ma pensée assouvie:
C'est que sans Dame Amour ne serait point.













Or qui en a. . .

Or qui en a, ou en veut avoir deux,
Comment peut-il faire deux Amours naître?
Je ne dis pas, que ne puisse bien être
Un coeur plus grand, que croire je ne veux:
Mais que tout seul il satisfit à eux,
Cela n'a point de résolution
Qui sût absoudre, ou clore ma demande:

Et toutefois ainsi qu'affection
Croît le désir, telle obligation
Peut Dame avoir à la Vertu si grande,
Que de l'Amant la qualité demande
Double mérite, ou double passion.













Prenez le cas. . .

Prenez le cas que, comme je suis vôtre-
Et être veux- vous soyez tout à moi:
Certainement par ce commun bien nôtre
Vous me devriez tel droit que je vous dois.

Et si Amour voulait rompre sa Loi,
Il ne pourrait l'un de nous dispenser,
S'il ne voulait contrevenir à soi,
Et vous, et moi, et les Dieux offenser.













Soit que par égale puissance. . .

Soit que par égale puissance
L'affection, et le désir
Débattent de la jouissance
Du bien, dont se veulent saisir:

Si vous voulez leur droit choisir,
Vous trouverez sans fiction,
Que le désir en tout plaisir
Suivra toujours l'affection.














Si je n'ai pu. . .

Si je n'ai pu comme voulois
Vous réciter au long, et dire
Ce de quoi tant je me doulois,
Imputez-le à mon coeur plein d'ire,
Pour n'avoir pu ouïr médire.
Du bien, que je dois estimer,
Et pour qui on devrait maudire
Tous ceux qui m'en veulent blâmer.














Je ne crois point. . .

Je ne crois point ce que vous dites:
Que tant de bien me désiriez,
Comme à celle, pour qui vous fites
Ce que pour vous faire devriez.

Mais quelle plus estimeriez:
Ou celle qui, d'un coeur tremblant,
N'ose dire ce que voudriez,
Ou qui le dit d'un faux semblant?












L'une vous aime. . .

L'une vous aime, et si ne peut savoir
Qu'Amour lui soit ou propice, ou contraire:
L'autre envers vous fait si bien son devoir,
Que plus ne sait, où vous doive complaire.
Or je demande en si douteux affaire

A quelle plus devez être tenu?
Car celle-là d'un coeur simplement nu
Pour vous s'oublie, et pour soi pensive est:
Et cette-ci, tâchant par le menu
A vous gagner, de son bien se dévêt.













Si j'aime cil. . .

Si j'aime cil, que je devrais haïr,
Et hais celui, que je devrais aimer,
L'on ne s'en doit autrement ebahir,
Et ne m'en dût aucun en rien blâmer.

Car de celui le bien dois estimer,
Et si me fuit, comme sa non semblable:
Mais de celui-ci le plaisir trop damnable
M'ôte le droit par la Loi maintenu.

Voilà pourquoi je me sens redevable,
A celui-là, qui m'est le moins tenu.














C'est une ardeur. . .

C'est une ardeur d'autant plus violente,
Qu'elle ne peut par Mort ni temps périr:
Car la vertu est d'une action lente,
Qui tant plus va, plus vient à se nourrir.

Mais bien d'Amour la flamme on voit mourir
Aussi soudain qu'on la voit allumée,
Pour ce qu'elle est toujours accoutumée,
Comme le feu, à force et véhémence:
Et celle-là n'est jamais consumée:
Car sa vigueur s'augmente en sa clémence.













Point ne se faut. . .

Point ne se faut sur Amour excuser,
Comme croyant qu'il ait forme, et substance
Pour nous pouvoir contraindre et amuser,
Voire forcer à son obéissance:
Mais accuser notre folle plaisance
Pouvons-nous bien, et à la vérité,
Par qui un coeur plein de légèreté
Se laisse vaincre, ou à gain, ou à perte,
Espérant plus, que n'aura mérité
Son amitié de raison moins experte.












Un seul je hais. . .

Un seul je hais, qui deux me fait aimer
Plus par pitié d'aveuglée jeunesse,
Qui trouve doux ce que je trouve amer,
Que par instinct d'amoureuse détresse,
Laquelle toute au quatrième m'adresse,
Le voyant tout en moi s'iniquiter.

Par quoi, voulant envers tous m'acquitter,
Contrainte suis- afin que ne m'écarte-
Fuyant les trois, le quatrième quitter,
Pour non trembler si grosse fièvre quarte.













Aucuns ont dit. . .

Aucuns ont dit la Théorique
Étre devant que la Pratique:
Ce que bien nier on pouvait.

Car qui fit l'art, jà la savait,
Qui est un point qu'un Sophistique
Concéderait tout en dormant:

Quant à moi je dis, pour réplique,
Qu'Amour fut premier, que l'Amant.












C'est un grand mal. . .

C'est un grand mal se sentir offensé,
Et ne s'oser, ou savoir à qui plaindre:
C'est un grand mal, voire trop insensé,
Que d'aspirer, où l'on ne peut atteindre:
C'est un grand mal que de son coeur contraindre,
Outre son gré, et à sujétion:
C'est un grand mal qu'ardente affection,
Sans espérer de son mal allégeance:
Mais c'est grand bien, quand à sa passion
Un doux languir sert d'honnête vengeance.













Celle clarté mouvante. . .

Celle clarté mouvante sans ombrage,
Qui m'éclaircit en mes ténébreux jours,
De sa lueur éblouit l'oeil volage
À l'inconstant, pour ne voir mes séjours:
Car, me voyant, m'eût consommé toujours
Par les erreurs de son errante flèche.

Par quoi l'esprit, qui désir chaste cherche,
En lieu de mort a eu nouvelle vie,
Faillant aux yeux- dont le corps souffrant sèche-
De mes plaisirs la mémoire ravie.












Mômerie Des Cinq Postes D'Amour.

LE PREMIER POSTE

Amour, craignant qu'ayez abandonné
Lui et son train, en éloignant sa cour,
Soudainement m'a ce paquet donné,
Me commandant par le chemin plus court
Vous faire entendre, ainsi que le bruit court,
Qu'il n'y aura de vous belle ni laide
- Si ainsi est- qu'il ne laisse tout court
Pleurer en vain son secours et son aide.


LE SECOND

J'ai dépêché hâtivement
Ce Courrier, pour tant seulement
Vous aller deux petits mots dire
Que je n'ai eu loisir d'écrire.
Si lui donnez créance et foi,
Comme vous voudriez faire à moi
Par celui qui, dessous ses ailes,
Range le coeur des Damoiselles.


LE TIERS

Amour, qui au vif m'a tâté
Du haut renom de vos louanges,
M'a de si loin, et tant, hâté
Que, sans craindre chemin gâté
De tant de pluies et de fanges,
Et sans dormir que tout bâté,
Suis venu voir vos faces d'Anges,
Que je trouverais bien étranges,
Si, après avoir tant couru,
Je n'étais de vous secouru.


LE QUART

Si vous voulez qu'Amour, ce puissant Dieu,
Ait chez vous tant soit petite place:
Certes il veut loger tout au milieu,
Et plus haut lieu de votre bonne grâce.
Si le voulez, je vous puis dire en face
Que, nonobstant que je sois son Courrier,
Si veut-il bien que tant vers vous je fasse,
Que je lui serve à présent de fourrier.


LE CINQUIÈME

Ce petit Dieu, qui s'est fait maître
Des tendres coeurs des Damoiselles,
M'a fait, je ne sais comment, naître
Un doux espoir plein d'étincelles,
Que, qui court pour Dames si belles,
Ne souffre travail ni émoi.
S'il est vrai, je ne veux pour elles
Épargner mon cheval, ni moi.












Pour Une Anatomie.

Qui voudra bien contempler l'Univers,
Où du grand Dieu le grand pouvoir abonde
En éléments, et animaux divers,
En Ciel, et Terre, et Mer large et profonde,
Vienne voir l'homme, où la machine ronde
Est toute enclose, et plus, qui bien le prend.
Car pour soi seul en ce sien petit monde
À tout compris, celui qui tout comprend.













ELEGIES

Parfaite Amitié.

Quant est d'Amour, je crois que c'est un songe,
Ou fiction, qui se paît de mensonge,
Tant que celui, qui peut plus faire encroire
Sa grand'feintise, en acquiert plus de gloire.

Car l'un feindra de désirer la grâce,
De qui soudain voudra changer la place
L'autre fera mainte plainte à sa guise,
Portant toujours l'amour en sa devise,
Estimant moins toute perfection
Que le plaisir de folle affection:
Aussi jamais ne s'en trouve un content,
Fuyant le bien, où tout bon coeur prétend.
Et tout cela vient de la nourriture
Du bas savoir, que tient la créature.

Mais l'amitié, que les Dieux m'ont donnée,
Est à l'honneur toute tant adonnée
Que le moins sûr de mon affection
Est assuré de toute infection
De Faux-Semblant, Danger, et Changement,
Étant fondé sur si sain jugement
Que, qui verra mon ami apparaître,
Jamais fâché ne le pourra connaître:
Pource qu'il est toujours à son plaisir
Autant content que contient mon désir.
Et si voulez savoir, ô Amoureux,
Comment il est en ses amours heureux:
C'est que de moi tant bien il se contente,
Qu'il n'en voudrait espérer autre attente,
Que celle-là qui ne finit jamais,
Et que j'espère assurer désormais
Par la vertu en moi tant éprouvée,
Qu'il la dira ès plus hauts Cieux trouvée.

Par quoi, lui sûr de ma ferme assurance,
M'assurerai de crainte, et ignorance.














Combien de fois. . .

Combien de fois ai-je en moi souhaité
Me rencontrer sur la chaleur d'été
Tout au plus près de la claire fontaine,
Où mon désir avec cil se promène
Qui exerce en sa philosophie
Son gent esprit, duquel tant je me fie
Que ne craindrais, sans aucune maignie,
De me trouver seule en sa compagnie:
Que dis-je: seule? plutôt bien accompagnée
D'honnêteté, que Vertu a gagnée
A Apollo, Muses, et Nymphes maintes,
Ne s'adonnant qu'à toutes oeuvres saintes.

Là, quand j'aurais bien au long vu son cours,
Je le laisserais faire à part ses discours:
Puis, peu à peu de lui m'écarterais
Et toute nue en l'eau me jetterais:
Mais je voudrais, lors, quant et quant avoir
Mon petit Luth accordé au devoir,
Duquel ayant connu, et pris le son,
Il entonnerais sur lui une chanson
Pour un peu voir quels gestes il tiendrait:
Mais si vers moi il s'en venait tout droit,
Je le laisserais hardiment approcher:
Et s'il voulait, tarit soit peu, me toucher,
Lui jetterais- pour le moins- ma main pleine
De la pure eau de la claire fontaine,
Lui jetant droit aux yeux, ou à la face.

Ô qu'alors eût l'onde telle efficace
De le pouvoir en Actéon muer,
Non toutefois pour le faire tuer,
Et dévorer à ses chiens, comme Cerf:
Mais que de moi se sentît être serf,
Et serviteur transformé tellement
Qu'ainsi crût en son entendement,
Tant que Diane en eût sur moi envie,
De lui avoir sa puissance ravie.

Combien heureuse, et grande me dirais!
Certes Déesse être me croirais.
Mais, pour me voir contente à mon désir,
Voudrais-je bien faire un tel déplaisir
À Apollo, et aussi à ses Muses,
De les laisser privées, et confuses
D'un, qui les peut toutes servir à gré,
Et faire honneur à leur haut choeur sacré?

Otez, ôtez, mes souhaits, si haut point
D'avecques vous: il ne m'appartient point.
Laissez l'aller les neuf Muses servir,
Sans se vouloir dessous moi asservir,
Sous moi, qui suis sans grâce, et sans mérite.

Laissez l'aller, qu'Apollo je n'irrite,
Le remplissant de Déité profonde,
Pour contre moi susciter tout le Monde,
Lequel un jour par ses écrits s'attend
D'être avec moi et heureux, et content.














Désespoir.

Si c'est Amour, pourquoi m'occit-il donc,
Qui tant aimai, et haïr ne sus onc?
Et s'il m'occit, pourquoi plus outre vis?
Et si ne vis, pourquoi sont mes devis
De désespoir et de plaints tous confus?
Meilleur m'était, soudain que né je fus,
De mourir tôt que de tant vivre, même
Que mortel suis ennemi de moi-même:
Et ne puis, las, et ne puis vouloir bien,
Ne voulant celle, en qui gît l'espoir mien:
Et ne puis rien, fors ce que veut la dame,
De qui suis serf de coeur, de corps, et d'âme.

Être ne peut mon mal tant lamenté,
Que de plus grand ne soye tourmenté:
Et ne pourrais montrer si grand'douleur,
Qu'encor plus grand ne celât mon malheur.

Las! je ne suis prisonnier, ni délivre:
Et ne me tient en espoir, ni délivre
Mon bien servir, qui de mort prend envie.

je ne suis mort, ni je ne suis en vie,
Me contraignant à plaindre mon mal-aise:
Et raison veut toutefois que me taise
Pour n'offenser ce que servir désire,
Qui mon vouloir en mille parts dessire.

L'âme connaît que de si très-bas lieux,
Dont mes grands pleurs montent jusques aux yeux,
Jamais les voix ne peuvent être ouïes,
Ni en hauteur si grande réjouies:

Car ce mien feu, qui peu à peu me fond,
Est dans mon coeur allumé si profond,
Qu'il ne peut pas, bien qu'il soit grand, reluire
Devant les yeux qui, pour mal me conduire,
Font le Soleil de grand'honte retraire:
Ainsi je meurs, étant contraint me taire.

Pour moi ne vois remède suffisant,
Ni pour ma peine aucun moyen duisant:
Car mon désir a peur de désirer,
Qui tant plus croît, tant plus fait empirer
Ce mien espoir, qui peu à peu me faut,
Et toutefois en moi point ne défaut,
Ni s'amoindrit ma grande passion:
Mais toujours croît par obstination.

La Mort me suit, non pour paix me donner,
Mais seulement pour ne m'abandonner:
Aussi celle est, qui pallie, et adombre
De mes travaux un non guère grand nombre:
Parquoi je dis- sans ailleurs recourir-
Qu'on peut trouver plus grand mal que mourir;
Mais bien meilleur est mourir à qui aime
En grand'douleur, et peine tant extrême.

Car, vivant, faut- misérable- qu'il sente
Les grands douleurs de la peine présente,
Ayant toujours du passé souvenir;
La crainte aussi de celles à venir
Incessamment lui redouble sa peine
Parquoi sa foi est en espoir bien vaine.

Chétifs Amants! aucun ne dût s'offrir
À telle ardeur, peine à douleur souffrir
En un espoir- plus vain que l'on ne pense-
D'une, peut-être, ingrate récompense:
Car de l'amour la force tant aiguë
Pour bien servir ne peut être vaincue.
Et plusieurs fois- et à la vérité-
On voit celui, qui a moins mérité,
Être, pour vrai, le mieux récompensé,
Qui ne dût être à tel bien dispensé.

En telle guerre, où vertu sert de vice,
Ne vaut avoir ferme foi, ni service.
Puis donc qu'on m'ôte, et denie victoire,
Qui m'était due, il est par trop notoire
Que là où meurt, et où gloire dévie,
C'est gloire aussi que tôt meure la vie.

Aussi, ô Dieux, avec cette mort mienne,
Mourront mes maux, et ma plaie ancienne,
Mon espérance, et désir obstiné,
Et mon arbitre en mal prédestiné,
Mon mal, ma peine avec mes fâcheries,
Amour aussi avec ses tromperies.














CHANSON.

J'ai été. . .

J'ai été par un long temps
Déçue de l'espérance:
Et si encor point n'attends
D'elle plus grand'assurance,
Que celle-là, que ma foi
Me peut promettre de soi.

je vois les uns fort contents,
Les autres pleins de souffrances:
De ceux-là les ris j'entends,
De ceux-ci la douléance
Ces passions j'aperçois
Régner toutes deux en moi.

je ris du bien, où je tends
En très-grand' réjouissance:
Et pleure, que je prétends
Qu'un autre en ait jouissance:
Ce que de mes yeux je vois,
Et à grand'peine le crois.

Toutefois tel passetemps
Me donne encor confiance,
Qu'un jour je verrai le temps,
Que cil fera la vengeance
Du mal qu'il m'a fait de soi
Au bien où je me déçois.













Quand vous voyez. . .

Quand vous voyez, que l'étincelle
Du chaste Amour sous mon aisselle
Vient tous les jours à s'allumer,
Ne me devez-vous bien aimer?

Quand vous me voyez toujours celle,
Qui pour vous souffre, et son mal cèle,
Me laissant par lui consumer,
Ne me devez-vous bien aimer?

Quand vous voyez, que pour moins belle
Je ne prends contre vous querelle,
Mais pour mien vous veux réclamer,
Ne me devez-vous bien aimer?

Quand pour quelque autre amour nouvelle
Jamais ne vous serai cruelle,
Sans aucune plainte former,
Ne me devrez-vous bien aimer?

Quand vous verrez que sans cautelle
Toujours vous serai été telle
Que le temps pourra affermer,
Ne me devrez-vous bien aimer?













Ô vraie amour. . .

Ô vraie amour, dont je suis prise,
Comment m'as-tu si bien apprise,
Que de mon jour tant me contente,
Que je n'en espère autre attente,
Que celle de ce doux amer,
Pour me guérir du mal d'aimer?

Du bien j'ai eu la jouissance,
Dont il m'a donné connaissance
Pour m'assurer de l'amitié,
De laquelle il tient la moitié:
Doncques est-il plus doux qu'amer,
Pour me guérir du mal d'aimer.

Hélas, ami, en ton absence
Je ne puis avoir assurance
Que celle dont- pour son plaisir-
Amour caut me vient dessaisir
Pour me surprendre, et désarmer:
Guéris-moi donc du mal d'aimer!











La fortune envieuse. . .

La fortune envieuse,
Voyant mon jour passer,
De la nuit est joyeuse
Pour me faire penser
Vrai ce que le Ciel dit
Pour se mettre en crédit.

Mais savoir n'ai envie
Des Planètes le cours
Pour connaître ma vie,
Ayant autre discours:
Car tant que je verrai
Mon jour, je ne mourrai.

Ne trouve point étrange,
Si, quand ne le puis voir,
Je me trouble, et me change,
Tant qu'il me faut douloir
Du mal, que mon coeur sent,
Quand de moi est absent.

Ce que j'y suis tenue
Ne me fait tant l'aimer,
Que sa vertu connue
Me contraint l'estimer,
Par son los tant requis,
Qui m'est honneur acquis.

Sa grâce accompagnée
Plus qu'à nul j'ai pu voir:
Par quoi pour lui suis née,
D'autre je n'ai vouloir:
Les Dieux pour moi l'ont mis
Au bout des vrais amis.

Ô amitié bien prise,
Que j'ai voulu choisir
Par vraie foi promise,
Qui mon coeur vint saisir,
Quand honneur s'allia
Au bien, qui nous lia!

Ma fortune accomplie
En mon heureux séjour
De plaisir fut remplie,
Quand j'aperçus mon jour:
Qui bien connu l'aura,
Mon ami aimera.

Heureuse destinée
En mon heur apparaît,
Ne sachant femme née
Qui peut, ne qui saurait
Éviter la moitié
De sa noble amitié.

D'être d'autres requise
N'y veuillez point venir:
Car je suis tant apprise
Que j'ai pour souvenir
La grandeur de son coeur
Être du mien vainqueur.

Et si je n'ai la grâce
Pour mériter d'avoir
Ce bien, et qu'on pourchasse
De le me décevoir,
Ma fermeté fera
Qu'il se contentera.













Dames, s'il est permis. . .

Dames, s'il est permis
Que l'amour appetisse
Entre deux coeurs promis,
Faisons pareil office:
Lors la légèreté
Prendra sa fermeté.

S'ils nous disent volages
Pour nous en divertir:
Assurons nos courages
De ne nous repentir,
Puis que leur amitié
Est moins, que de moitié.

Se voulant excuser,
Que leur moitié perdue
Peut ainsi abuser
Tant qu'elle soit rendue:
La loi pour nous fut faite
Empruntant leur défaite.

Si j'eusse été apprise
Comme il fallait aimer,
je n'eusse été reprise
Du feu trop allumer
Qu'éteindre j'ai bien su,
Quand je l'ai aperçu.

Ne nous ébahissons
Si le vouloir nous change:
Car d'eux nous connaissons
La vie tant étrange,
Qu'elle nous a permis
Infinité d'amis.

Mais puis qu'occasion
Nous a été donnée,
Que notre passion
Soit à eux adonnée:
Amour nous vengera,
Quand foi les rangera.












Sans connaissance aucune. . .

Sans connaissance aucune en mon Printemps j'étais:
Alors aucun soupir encor point ne jetais,
Libre sans liberté: car rien ne regrettais
En ma vague pensée
De mols et vains désirs follement dispensée.
Mais Amour, tout jaloux du commun bien des Dieux,
Se voulant rendre à moi, comme à maints, odieux,
Me vint escarmoucher par faux alarmes d'yeux,
Mais je vis sa fallace:
Parquoi me retirai, et lui quittai la place.
je vous laisse penser, s'il fut alors fâché:
Car depuis en maints lieux il s'est toujours caché,
Et, quand à découvert m'a vue, m'a lâché
Maints traits à la volée:
Mais onc ne m'en sentis autrement affolée.
À la fin, connaissant qu'il n'avait la puissance
De me contraindre en rien lui faire obéissance,
Tâcha le plus qu'il peut d'avoir la connaissance
Des Archers de Vertu,
Par qui mon coeur forcé fut soudain abattu.
Mais elle ne permit qu'on me fît autre outrage,
Fors seulement blesser chastement mon courage,
Dont Amour écumait et d'envie, et de rage:
Ô bien heureuse envie,
Qui pour un si haut bien m'a hors de moi ravie!
Ne pleure plus, Amour: car à toi suis tenue,
Vu que par ton moyen Vertu chassa la nue,
Qui me garda longtemps de me connaître nue,
Et frustrée du bien,
Lequel, en le goûtant, j'aime, Dieu sait combien!
Ainsi toute aveuglée en tes liens je vins,
Et tu me mis ès mains, où heureuse devins,
D'un qui est hautement en ses écrits divins,
Comme de nom, sévère,
Et chaste tellement que chacun l'en révère.
Si mainte Dame veut son amitié avoir,
Voulant participer de son heureux savoir,
Et que par tout il tâche acquitter son devoir,
Ses vertus j'en accuse
Plus puissantes que lui, et tant que je l'excuse.














Qui dira. . .

Qui dira ma robe fourrée
De la belle pluie dorée
Qui Daphnés enclose ébranla:
Je ne sais rien moins, que cela.

Qui dira qu'à plusieurs je tends
Pour en avoir mon passetemps,
Prenant mon plaisir çà, et là:
Je ne sais rien moins, que cela.

Qui dira que t'ai révélé
Le feu long temps en moi celé
Pour en toi voir si force il a:
Je ne sais rien moins, que cela.

Qui dira que, d'ardeur commune
Qui les jeunes gens importune,
De toi je veux... et puis holà!
Je ne sais rien moins, que cela.

Mais qui dira que la Vertu,
Dont tu es richement vêtu,
En ton amour m'étincela:
Je ne sais rien mieux, que cela.

Mais qui dira que d'amour sainte
Chastement au coeur suis atteinte,
Qui mon honneur onc ne foula:
Je ne sais rien mieux, que cela.













Heureuse est la peine. . .

Heureuse est la peine
De qui le plaisir
À sur foi certaine
Assis son désir.
L'on peut assez en servant requérir,
Sans toutefois par souffrir acquérir
Ce que l'on pourchasse
Par trop désirer,
Dont en male grâce
Se faut retirer.

Car un tel service
Ne prétend qu'au point,
Qui par commun vice
L'honneur pique, et point.
Et ce travail en fumée devient
Toutes les fois, que la raison survient,
Qui toujours domine
Tout coeur noble, et haut,
Et peu à peu mine
Le plaisir, qui faut.

Mais l'attente mienne
Est le désir sien
D'être toute sienne,
Comme il sera mien.
Car quand Amour à Vertu est uni,
Le coeur conçoit un désir infini,
Qui toujours désire
Tout bien haut et saint,
Qui de doux martyre
L'environne, et ceint.

Car il lui engendre
Une ardeur de voir,
Et toujours apprendre
Quelque haut savoir:
Le savoir est ministre de Vertu,
Par qui Amour vicieux est battu,
Et qui le corrige,
Quand dessus le coeur
Par trop il s'érige
Pour être vainqueur.

C'est pourquoi travaille
En moi cet espoir,
Qui désir me baille
Et voir, et savoir.
Étant ainsi mon espoir assuré,
je ne crains point qu'il soit démesuré:
Mais veux bien qu'il croisse
De plus en plus fort,
À fin qu'apparoisse
Mon coeur ferme, et fort.

Et que toujours voie,
Travaillant ainsi,
Tenir droit la voie
D'immortel souci.
Si donc il veut en si haut lieu monter
Qu'il puisse Amour en la Mort surmonter,
Sa caduque vie
Devra soulager
D'une chaste envie
Pour l'accourager.

Ainsi m'accompagne
Un si haut désir
Que pour lui n'épargne
Moi, ni mon plaisir.













Je suis la Journée. . .

Je suis la Journée,
Vous, Amy, le jour,
Qui m'a détournée
Du fâcheux séjour.
D'aimer la Nuit certes je ne veux point,
Pource qu'à vice elle vient toute à point:
Mais à vous toute être
Certes je veux bien,
Pource qu'en votre être
Ne gît que tout bien.

Là où en ténèbres
On ne peut rien voir
Que choses funèbres,
Qui font peur avoir,
On peut de nuit encor se réjouir
De leurs amours faisant amants jouir:
Mais la jouissance
De folle pitié
N'a point de puissance
Sur notre amitié,

Vu qu'elle est fondée
En prospérité
Sur Vertu sondée
De toute équité.
La nuit ne peut un meurtre déclarer,
Comme le jour, qui vient à éclairer
Ce que la nuit cache,
Faisant mille maux,
Et ne veut qu'on sache
Ses tours fins, et cauts.

La nuit la paresse
Nourrit, qui tant nuit:
Et le jour nous dresse
Au travail, qui duit.
Ô heureux jour, bien te doit estimer
Celle qu'ainsi as voulu allumer,
Prenant toujours cure
Réduire à clarté
Ceux que nuit obscure
Avait écartés!

Ainsi éclairée
De si heureux jour,
Serai assurée
De plaisant séjour.














EPITRES.

Coq à l'âne.

Ami, je n'ai Laquais, ni Page,
Qui bien sût faire mon message,
Ne telle chose raconter
Que me sens au cerveau monter
En cette plaine, et bel espace.

Mon Dieu, comme le monde passe
En oisiveté par simplesse!
Ne voit-on point tant de sagesse
Que le plus fol demeure maître?
Il n'y a rien si beau, que d'être
Auprès de quelque beau donneur.

Serait-ce pas grand déshonneur
De la laisser ainsi pucelle?
Je ne dis pas que ce fût elle
Qui m'a donné l'occasion.

Cherchons autre occupation
Pour parvenir à la légère:
Car volontiers une étrangère
Sera toujours la mieux venue,
Pour autant que, quand elle est nue,
Elle change d'accoutrement:
Comme celui qui point ne ment,
Quand il s'excuse sur un compte.

Nul n'est tenu de rendre compte-
Après la paye- du reçu.
Ô qu'il est bien pris, et déçu,
Le doux Pigeon aux Tourterelles!

Laissons cela: ce sont querelles
Que les Grecs eurent aux Troyens.
On ne vit onc tant de moyens
Depuis que le tabourin sonne.

Qui saurait comme l'eau de Saône
Fait le beau teint aux Damoiselles,
Tant de peine ne prendraient celles
À distiller pour se noircir-
Je voulais dire: à s'éclaircir-
Leur blanche et délicate peau.

À mal juger ne faut appeau:
Puis qu'on n'en paye que l'amende:
Celui qui me doit, me demande!

Mais c'est chose par trop notoire,
Que l'on nous peut bien faire croire,
Qu'une robe faite à l'antique
Ne montre le corps si étique,
Bien qu'il soit un petit trop juste
Pour courtisaner à la buste.

Mais j'en croirais plus tôt la preuve
De son ami, quand il la treuve
Sur le fait de la piperie.

C'est ce qui perd la confrérie
De saint Amour, qui nous surprend,
Puis qu'en lieu de donner on prend.

Or à Dieu donc, lâche journée,
Puis qu'elle est jà tant séjournée,
Que l'on n'en corne plus la prise:
Tant y va le pot qu'il se brise,
Qui nous fait après bon métier.

S'elle savait bien le métier,
On ne craindrait point le danger
De ce plaidoyeur étranger:
Mais qu'on le plume sans mentir
Avant qu'il le puisse sentir.














A un sot rimeur, qui trop l'importunait d'aimer.

Tu te plains que plus ne rimasse,
Bien qu'un temps fut que plus aimasse
À étendre vers rimassés,
Que d'avoir biens sans rime assez:
Mais je vois que qui trop rimoye
Sus ses vieux jours enfin larmoye.

Car qui s'amuse à rimacher
À la fin n'a rien à mâcher.

Et pource, donc, rime, rimache,
Rimone tant et rime hache,
Qu'avecques toute ta rimaille
N'aies, dont tu sois marri, maille:
Et tu verras qu'à ta rimasse
Comme moi feras la grimace,
Maudissant et blâmant la rime,
Et le rimasseur qui la rime,
Et le premier qui rimona
Pour le grand bien qu'en rime on a.
Et tu veux qu'à rimaillerie
Celui qui n'aura maille rie?

Je te quitte, maître rimeur,
Et qui plus a en sa rime heur,
En rime lauds, en rime honneurs,
Ensemble tous tels rimoneurs.



 


Date de dernière mise à jour : 02/12/2024

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