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Ode à la fortune - Jean-Baptiste Rousseau ( 1670 - 1741.)


  Jean-Baptiste Rousseau.Jean-Baptiste Rousseau est un poète et dramaturge français né à Paris le 6 avril 1670 et mort à Bruxelles le 17 mars 1741.

 

 

Fortune dont la main couronne

Les forfaits les plus inouïs,

Du faux éclat qui t'environne

Serons-nous toujours éblouis?

Jusques à quand, trompeuse idole,

D'un culte honteux et frivole

Honorerons-nous tes autels?

Verra-t-on toujours tes caprices

Consacrés par les sacrifices

Et par l'hommage des mortels?

Apprends que la seule sagesse

Peut faire les héros parfaits;

Qu'elle voit toute la bassesse

De ceux que ta faveur a faits;

Qu'elle n'adopte point la gloire

Qui naît d'une injuste victoire

Que le sort remporte pour eux ;

Et que, devant ses yeux stoïques,

Leurs vertus les plus héroïques

Ne sont que des crimes heureux.

Quoi! Rome et l'Italie en cendre

Me feront honorer Sylla?

J'admirerai dans Alexandre

Ce que j'abhorre en Attila?

J'appellerai vertu guerrière

Une vaillance meurtrière

Qui dans mon sang trempe ses mains;

Et je pourrai forcer ma bouche

A louer un héros farouche,

Né pour le malheur des humains?

Quels traits me présentent vos fastes,

Impitoyables conquérants!

Des voeux outrés, des projets vastes,

Des rois vaincus par des tyrans;

Des murs que la flamme ravage,

Des vainqueurs fumants de carnage,

Un peuple au fer abandonné;

Des mères pâles et sanglantes,

Arrachant leurs filles tremblantes

Des bras d'un soldat effréné.

Juges insensés que nous sommes,

Nous admirons de tels exploits!

Est-ce donc le malheur des hommes

Qui fait la vertu des grands rois?

Leur gloire, féconde en ruines,

Sans le meurtre et sans les rapines

Ne saurait-elle subsister?

Images des Dieux sur la terre,

Est-ce par des coups de tonnerre

Que leur grandeur doit éclater?

Montrez-nous, guerriers magnanimes,

Votre vertu dans tout son jour,

Voyons comment vos coeurs sublimes

Du sort soutiendront le retour.

Tant que sa faveur vous seconde,

Vous êtes les maîtres du monde,

Votre gloire nous éblouit;

Mais au moindre revers funeste,

Le masque tombe, l'homme reste,

Et le héros s'évanouit.

 

 

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