
L'enchantement lunaire endormant la vallée
Et le jour s'éloignant sur la mer nivelée
Comme une barque d'or nombreuse d'avirons,
J'ai rassemblé, d'un mot hâtif, mes agneaux ronds,
Mes brebis et mes boucs devenus taciturnes
Et j'ai pris le chemin des chaumières nocturnes.
Que l'instant était doux dans le tranquille soir!
Sur l'eau des rayons bleus étant venus s'asseoir
Paraissaient des sentiers tracés pour une fée
Et parfois se plissaient d'une ablette apeurée.
Le troupeau me suivait, clocheteur et bêlant.
Je tenais dans mes bras un petit agneau blanc
Qui, n'ayant que trois jours, tremblait sur ses pieds roses
Et restait en arrière à s'étonner des choses.
Le silence était plein d'incertaines rumeurs,
Des guêpes agrafaient encor le sein des fleurs,
Le ciel était lilas comme un velours de pêche.
Des paysans rentraient portant au dos leur bêche
D'argent qui miroitait sous un dernier rayon,
Et des paniers d'osier sentant l'herbe et l'oignon.
Les champs vibraient encor du jeu des sauterelles.
Je marchais. L'agneau gras pesait à mes bras frêles.
Je ne sais quel regret me mit les yeux en pleurs
Ni quel émoi me vint de ce coeur sur mon coeur,
Mais soudain j'ai senti que mon âme était seule.
La lune sur les blés roulait sa belle meule;
Par un même destin leurs jours étant liés,
Mes brebis cheminaient auprès de leurs béliers;
Les roses défaillant répandaient leur ceinture
Et l'ombre peu à peu devenait plus obscure.
Le coeur tremblant. . .
Le coeur tremblant, la joue en feu,
J'emporte dans mes cheveux
Tes lèvres encore tièdes.
Tes baisers restent suspendus
Sur mon front et mes bras nus
Comme des papillons humides.
Je garde aussi ton bras d'amant,
Autoritaire enlacement,
Comme une ceinture à ma taille.
Ma maison est assise au vent. . .
Ma maison est assise au vent
Dans une plaine sombre et nue
Comme un tombeau pour un vivant
Où s'agite ma chair menue.
Les longs brouillards viennent frôler
Au soir ma porte solitaire,
Et je ne sais rien de la terre
Que ma tristesse d'exilé.
Ma tête, penche-toi. . .
Ma tête, penche-toi sur l'eau blanche et dénoue
Dedans tes longs cheveux et que l'eau passe et joue
Au travers, les emporte au mouvement des vagues
Dans le sommeil flottant et végétal de l'algue.
Que le glissement calme et murmurant de l'eau
Entraîne hors de ton front cet impalpable flot
De pensée et de rêve avec tes longues tresses
Qui mêlent au courant leur fuyante souplesse.
Mais je suis belle. . .
Mais je suis belle d'être aimée,
Vous m'avez donné la beauté,
Jamais ma robe parfumée
Sur la feuille ainsi n'a chanté,
Jamais mon pas n'eut cette grâce
Et mes yeux ces tendres moiteurs
Qui laissent les hommes rêveurs
Et les fleurs même, quand je passe.
Nature, laisse-moi...
Nature, laisse-moi me mêler à ta fange,
M'enfoncer dans la terre où la racine mange,
Où la sève montante est pareille à mon sang.
Je suis comme ton monde où fauche le croissant
Et sous le baiser dru du soleil qui ruisselle,
J'ai le frisson luisant de ton herbe nouvelle.
Tes oiseaux sont éclos dans le nid de mon coeur,
J'ai dans la chair le goût précis de ta saveur,
Je marche à ton pas rond qui tourne dans la sphère,
Je suis lourde de glèbe, et la branche légère
Me prête sur l'azur son geste aérien.
Mon flanc s'appesantit de germes sur le tien.
Oh! laisse que tes fleurs s'élevant des ravines
Attachent à mon sein leurs lèvres enfantines
Pour prendre part au lait de mes fils nourrissons;
Laisse qu'en regardant la prune des buissons
Je sente qu'elle est bleue entre les feuilles blondes
D'avoir sucé la vie à ma veine profonde.
Personne ne saura comme un fils né de moi
M'aura donné le sens de la terre et des bois,
Comment ce fruit de chair qui s'enfle de ma sève
Met en moi la lueur d'une aube qui se lève
Avec tous ses émois de rosée et d'oiseaux,
Avec l'étonnement des bourgeons, les réseaux
Qui percent sur la feuille ainsi qu'un doux squelette,
La corolle qui lisse au jour sa collerette,
Et la gousse laineuse où le grain ramassé
Ressemble à l'embryon dans la nuit caressé.
Enfant, abeille humaine au creux de l'alvéole,
Papillon au maillot de chrysalide molle,
Astre neuf incrusté sur un mortel azur!
Je suis comme le Dieu au geste bref et dur
Qui pour le premier jour façonna les étoiles
Et leur donna l'éclair et l'ardeur de ses moelles.
Je porte dans mon sein un monde en mouvement
Dont ma force a couvé les jeunes pépiements,
Qui sentira la mer battre dans ses artères,
Qui lèvera son front dans les ombres sévères
Et qui, fait du limon du jour et de la nuit,
Valsera dans l'éther comme un astre réduit.
Ô Beauté nue. . .
Ô Beauté nue,
Les oiseaux volent dans le calme
Où la digitale remue,
Où la fougère aux fines palmes
Est encor d'un vert tendre au pied de l'aulne obscur.
Une molle buée enveloppe l'azur,
Allège les lointains, les arbres, les maisons,
Noie à demi la ferme et le dormant gazon
Et fait de la montagne une ombre aux lignes pures.
Pas un souffle, pas un soupir, pas un murmure,
Tu rêves. Le vallon s'apaise solitaire
Dans l'ombre et le repos qui caressent la terre;
Tu rêves et la terre est faite de ton rêve
Et ta forme à jamais se répand et s'élève
Et semble s'allonger sur les espaces bleus,
Ton corps limpide et clair flottant au-dessus d'eux,
Avec tes nobles bras entr'ouverts et ta tête
S'appuyant sur les monts indolente et muette.
Les rochers et les bois dorment sous ta grande ombre
D'un sommeil plus divin,
Car pâle elle s'étend, épure et rend moins sombre
Le rêve des lointains.
L'univers à demi dans la brume tranquille
Élève les sommets et les fumeuses villes
Où passent les humains,
Et c'est dans une vaste et pensive harmonie
Que répond longuement à ta mélancolie
La courbe des confins.
Peut-être serai-je. . .
Peut-être serai-je plus gaie
Quand, dédaigneuse du bonheur,
Je m'en irai vieille et fanée,
La neige au front et sur le coeur:
Quand la joie ou les cris des autres
Seront mon seul étonnement
Et que des pleurs qui furent nôtres
Je n'aurai que le bavement.
Alors, on me verra sourire
Sur un brin d'herbe comme au temps
Où sans souci d'apprendre à lire
Je courais avec le printemps.
Pourquoi crains-tu. . .
Pourquoi crains-tu, fille farouche
De me voir nue entre les fleurs?
Mets une rose sur ta bouche
Et ris avec moins de rougeur.
Ne sais-tu pas comme ta robe
Est transparente autour de toi
Et que d'un clair regard je vois
Ta sveltesse qui se dérobe?
Triste fantôme de pudeur,
Que n'es-tu nue avec la fleur
D'un lis blanc dans ta chevelure,
Un doigt sur ta mamelle pure.
Que je repose en toi...
Que je repose en toi, mon beau logis d'amour,
Dans la nuit de ton coeur sur mon être scellée.
Tu seras mon tombeau. Oubliant les détours,
Ombre, je vais descendre, en ton ombre effacée.
Tu seras mon tombeau. Enfin je vais dormir,
Prise dans le linceul que me fera ton âme,
Goûtant, morte sacrée, au sein du souvenir,
L'amour intérieur que ma vie réclame.
Grave, mon coeur descend en ton coeur qui m'enserre,
Me voile, me chérit, me recueille à jamais,
Et, bleu soleil dont le baiser perce la terre,
Ton oeil étincelant luit sur mes yeux fermés.
Que ton fruit de sang. . .
Que ton fruit de sang qui loge en mon sein
Soit pareil, amour, à ton être humain,
Que le petit nid ombreux qui se ferme
Pour envelopper et mûrir le germe
Sente remuer ta plus jeune enfance
Comme elle le fit dans l'avant-naissance
Au flanc maternel en un temps lointain.
Et que ce soit toi, dans mon doux jardin,
Ô mon bien-aimé, qui bouges, piétines;
Que pour toi le lait pèse à ma poitrine,
Que je sente en moi la genèse humaine
De ton être mâle et que tu me tiennes
Au sein, lourd de chair, mon intime noeud.
Que dans mon secret s'éveillent tes yeux
Nébuleux d'abord et d'une eau troublée,
Puis fraîcheur d'un astre à l'aube étonnée.
Que ce soit ta bouche en fleur d'églantine
Qui bâille un parfum d'haleine enfantine,
Que ce soit, amour, tes petites mains
Qui pressent mon coeur d'un toucher câlin,
Comme les chatons de leurs frêles pattes
Pétrissent sans voir les tétins de chatte.
Que je sache ainsi comment ta pensée
Fut rêveusement dans l'oeuf caressée,
Comment se forma ton goût des baisers,
Ton génie humain encore effacé
Dressant faiblement sa jeune envolée;
Que ta forme en moi réduite et bercée
Me révèle enfin quel rêve en ton coeur
S'attriste aujourd'hui et quel frais bonheur
De vivre agitait tes jambes légères
Lorsque tu bougeais au sein de ta mère.
Oh! tenir en moi, fruit d'âme et de chair,
Notre enfant, ton sang, ton coeur et tes nerfs,
De ton abandon forme rajeunie,
Te sentir, amour, éclos de ma vie,
Te bercer, t'aimer, te garder vivant,
Couché tout à moi au creux de mon flanc!
Souvent le coeur. . .
Souvent le coeur qu'on croyait mort
N'est qu'un animal endormi;
Un air qui souffle un peu plus fort
Va le réveiller à demi;
Un rameau tombant de sa branche
Le fait bondir sur ses jarrets
Et, brillante, il voit sur les prés
Lui sourire la lune blanche.
Tu tettes le lait pur...
Tu tettes le lait pur de mon âme sereine,
Mon petit nourrisson qui n'as pas vu le jour,
Et sur ses genoux blancs elle, berce la tienne
En lui parlant tout bas de la vie au front lourd.
Voici le lait d'esprit et le lait de tendresse,
Voici le regard d'or qu'on jette sur les cieux;
Goûte près de mon coeur l'aube de la sagesse;
Car sur terre jamais tu ne comprendras mieux.
Vois, mon âme sur toi s'inclinant plus encore,
Dans le temps que tu dors au berceau de mon flanc,
Brode des oiseaux blonds avec des fils d'aurore
Pour draper sur ton être un voile étincelant;
Elle forme en rêvant ton âme nébuleuse
Dont le jeune noyau est encore amolli
Et t'annonce le jour, prudente et soucieuse,
En le laissant filtrer entre ses doigts polis.
Ouvre d'abord tes yeux à mon doux crépuscule,
Prépare-les longtemps à l'éclat du soleil;
Vole dans mes jardins, léger comme une bulle,
Afin de ne pas trop t'étonner au réveil.
Cours après les frelons, joue avec les abeilles
Que pour toi ma pensée amène du dehors,
Soupèse entre tes mains la mamelle des treilles,
Souffle sur cette eau mauve où la campagne dort.
Entre dans ma maison intérieure et nette
Où de beaux lévriers s'allongent près du mur,
Vois des huiles brûler dans une cassolette
Et le cristal limpide ainsi qu'un désir pur.
Ce carré de clarté là-bas, c'est la fenêtre
Où le soleil assied son globe de rayons.
Voici tout l'Orient qui chante dans mon être
Avec ses oiseaux bleus, avec ses papillons;
Sur la vitre d'azur une rose s'appuie.
En dégageant son front du feuillage élancé;
Ma colombe privée y somnole, meurtrie
De parfum, oubliant le grain que j'ai versé.
Entr'ouvre l'huis muet, petit mage candide.
Toi seul peux pénétrer avec tes légers pas
Dans la salle secrète où, lasse et le coeur vide,
Sur des maux indécis j'ai sangloté tout bas.
Ou bien, si tu le veux, descends par la croisée
Sur le chemin poudreux du rayon de midi,
Ainsi qu'un dieu poucet à la chair irisée
Qui serait de la rose et du soleil sorti.
Je suis là, je souris, donne-moi ta main frêle,
Plus douce à caresser que le duvet des fleurs;
Je veux te raconter la légende éternelle
Du monde qui comprend le rire et les douleurs.
Écoute et souviens-toi d'avoir touché mon âme;
Quelque jour je pourrai peut-être dans tes yeux
La retrouver avec son silence et sa flamme
Et peut-être qu'alors je la comprendrai mieux.
Ô toi que je cajole avec crainte dans l'ouate,
Petite âme en bourgeon attachée à ma fleur,
D'un morceau de mon coeur je façonne ton coeur,
Ô mon fruit cotonneux, petite bouche moite.
Voilà que je me sens...
Voilà que je me sens plus proche encor des choses.
Je sais quel long travail tient l'ovaire des roses,
Comment la sauterelle au creux des rochers bleus
Appelle le soleil pour caresser ses neufs
Et pourquoi l'araignée, en exprimant sa moelle,
Protège ses petits d'un boursicot de toile.
Je sais quels yeux la biche arrête sur son faon,
Tellement notre esprit s'éclaire avec l'enfant;
Je sais quels orgueils fous se cramponnent aux ventres,
Dans les nids, les sillons, les océans, les antres,
Quels sourds enfantements déchirent les terrains,
Quelles clameurs de sang s'élèvent des ravins.
Nous avons le regard des chattes en gésine
Quand le flux maternel nous gonfle la poitrine,
Quand l'embryon mutin bouge dans son étui
Comme un nouveau soleil sur qui pèse la nuit.
Nos seins lourds et féconds comme la grappe mûre
Offrent leur doux breuvage à toute la nature
Et notre obscur penchant voudrait verser son lait
À l'abeille, à la fleur, au ver, à l'agnelet.
Plaine grosse de sève et d'ardeurs printanières,
Écume salivant le désir des rivières,
Prunier croulant de miel, pesantes fenaisons,
Geste courbe et puissant des vertes frondaisons,
J'épouse la santé de votre âme charnelle
À présent que je vais forte comme Cybèle,
Que je suis le figuier qui pousse ses figons,
Qu'ayant connu l'essor hésitant du bourgeon
Et déployé la fleur où la guêpe vient boire,
Je m'achemine au fruit dans l'ampleur de sa gloire.
Le monde n'a plus rien de trop profond pour moi,
J'ai démêlé le sens des heures et des mois,
Et ma main qui s'arrête aux fentes des murailles
Sent dans le flanc du roc palpiter des entrailles.
Je n'aurais pas voulu, desséchant sur mon pied,
Être l'arbre stérile au tronc atrophié
Où l'abeille maçonne aurait creusé sa chambre,
Où quelque cep noueux gonflant sa grappe d'ambre
Aurait mis sur ma branche un air pâlot d'été
Sans que je participe à sa divinité.
Comme la riche nuit entre ses légers voiles
Voit dans son tablier affluer les étoiles,
Comme le long ruisseau abondant de poissons,
Je brasse en épis drus les humaines moissons.
Hommes, vous êtes tous mes fils, hommes, vous êtes
La chair que j'ai pétrie autour de vos squelettes.
Je sais les plis secrets de vos coeurs, votre front
Cherche pour y dormir mon auguste giron,
Et ma main pour flatter vos douleurs éternelles
Contient tous les nectars des sources maternelles.
Le bonheur est mélancolique. . .
Le bonheur est mélancolique.
Le cri des plus joyeux oiseaux
Paraît lointain comme de l'eau
Où se noierait une musique.
À l'oeil qui s'en repaît longtemps
La couleur des fleurs est moins fraîche;
L'herbe a parfois l'air d'être sèche
Sur le sein même du printemps.
L'allégresse comme un mensonge
Hausse sa note d'un degré
Et l'angoisse au coeur se prolonge
Sous un jour trop longtemps doré.
Laisse couler mes pleurs. . .
Laisse couler mes pleurs tendres sur ton visage.
Bois-les, je suis ta soeur humaine dans la vie,
Le sang coule en ma chair pour être ta pâture
Et l'amour de la créature
M'a pour jamais vers toi, ô mon frère, inclinée.
Quel intime frisson de chair nous réunit,
Quelle nudité d'âme et de chair nous assemble,
Ô toi seul devant qui je demeure plus nue
Qu'au jour de ma naissance ignorante et naïve.
Destin. (Fragment)
Quand j'aurai bien souffert de mon âme muette
Qui contenait le rythme et les rayons humains,
Sans l'avoir jamais vue, en des planches secrètes,
Des hommes la cloueront, ironique destin!
Car ce que j'ai chanté n'est encor que silence,
Et mon coeur et mes yeux, mon élan contenu,
À travers la torpeur de la matière immense,
Sombreront sans un mot, à jamais inconnus.
Quand le fier mouvement sera le froid rigide,
Quand les beaux yeux pleins d'univers seront creusés,
Quand la danse des pieds, quand le baiser humide
Seront le sec, l'immobile, le décharné,
C'est cela, c'est cela, ô ma pure lumière,
Lumière interne, ô ma musique des confins,
Quand il faudra que, citadin au cimetière,
Ton pauvre coeur pourrisse avec tes jeunes mains!
Quand le plaisir a fui de la bouche muette,
Le sourire ignoré ne vit que sur le front,
Lumière de l'esprit et de l'âme secrète,
Appel mystérieux de l'aurore aux rayons...