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BIBLIOBUS Littérature

La Vigne et la Maison - Alphonse de Lamartine (1790-1869)

 

 

Psalmodies de l’Âme - Dialogue entre mon âme et moi

 

 

MOI

 

Quel fardeau te pèse, ô mon âme !

Sur ce vieux lit des jours par l’ennui retourné,

Comme un fruit de douleurs qui pèse aux flancs de femme

Impatient de naître et pleurant d’être né ?

La nuit tombe, ô mon âme ! un peu de veille encore !

Ce coucher d’un soleil est d’un autre l’aurore.

Vois comme avec tes sens s’écroule ta prison !

Vois comme aux premiers vents de la précoce automne

Sur les bords de l’étang où le roseau frissonne,

S’envole brin à brin le duvet du chardon !

Vois comme de mon front la couronne est fragile !

Vois comme cet oiseau dont le nid est la tuile

Nous suit pour emporter à son frileux asile

Nos cheveux blancs pareils à la toison que file

La vieille femme assise au seuil de sa maison !

 

Dans un lointain qui fuit ma jeunesse recule,

Ma sève refroidie avec lenteur circule,

L’arbre quitte sa feuille et va nouer son fruit :

Ne presse pas ces jours qu’un autre doigt calcule,

Bénis plutôt ce Dieu qui place un crépuscule

Entre les bruits du soir et la paix de la nuit !

Moi qui par des concerts saluai ta naissance,

Moi qui te réveillai neuve à cette existence

Avec des chants de fête et des chants d’espérance,

Moi qui fis de ton coeur chanter chaque soupir,

Veux-tu que, remontant ma harpe qui sommeille,

Comme un David assis près d’un Saül qui veille,

Je chante encor pour t’assoupir?

 

 

L’ÂME

 

Non ! Depuis qu’en ces lieux le temps m’oublia seule,

La terre m’apparaît vieille comme une aïeule

Qui pleure ses enfants sous ses robes de deuil.

Je n’aime des longs jours que l’heure des ténèbres,

Je n’écoute des chants que ces strophes funèbres

Que sanglote le prêtre en menant un cercueil.

 

 

MOI

 

Pourtant le soir qui tombe a des langueurs sereines

Que la fin donne à tout, aux bonheurs comme aux peines;

Le linceul même est tiède au coeur enseveli :

On a vidé ses yeux de ses dernières larmes,

L’âme à son désespoir trouve de tristes charmes,

Et des bonheurs perdus se sauve dans l’oubli.

 

Cette heure a pour nos sens des impressions douces

Comme des pas muets qui marchent sur des mousses :

C’est l’amère douceur du baiser des adieux.

De l’air plus transparent le cristal est limpide,

Des mots vaporisés l’azur vague et liquide

S’y fond avec l’azur des cieux.

 

Je ne sais quel lointain y baigne toute chose,

Ainsi que le regard l’oreille s’y repose,

On entend dans l’éther glisser le moindre vol;

C’est le pied de l’oiseau sur le rameau qui penche,

Ou la chute d’un fruit détaché de la branche

Qui tombe du poids sur le sol.

 

Aux premières lueurs de l’aurore frileuse,

On voit flotter ces fils dont la vierge fileuse

D’arbre en arbre au verger a tissé le réseau :

Blanche toison de l’air que la brume encor mouille,

Qui traîne sur nos pas, comme de la quenouille

Un fil traîne après le fuseau.

 

Aux précaires tiédeurs de la trompeuse automne,

Dans l’oblique rayon le moucheron foisonne,

Prêt à mourir d’un souffle à son premier frisson;

Et sur le seuil désert de la ruche engourdie,

Quelque abeille en retard, qui sort et qui mendie,

Rentre lourde de miel dans sa chaude prison.

 

Viens, reconnais la place où ta vie était neuve,

N’as-tu point de douceur, dis-moi, pauvre âme veuve,

À remuer ici la cendre des jours morts ?

À revoir ton arbuste et ta demeure vide,

Comme l’insecte ailé revoit sa chrysalide,

Balayure qui fut son corps ?

 

Moi, le triste instinct m’y ramène :

Rien n’a changé là que le temps;

Des lieux où notre oeil se promène,

Rien n’a fui que les habitants.

 

Suis-moi du coeur pour voir encore,

Sur la pente douce au midi,

La vigne qui nous fit éclore

Ramper sur le roc attiédi.

 

Contemple la maison de pierre,

Dont nos pas usèrent le seuil :

Vois-la se vêtir de son lierre

Comme d’un vêtement de deuil.

 

Écoute le cri des vendanges

Qui monte du pressoir voisin,

Vois les sentiers rocheux des granges

Rougis par le sang du raisin.

 

Regarde au pied du toit qui croule :

Voilà, près du figuier séché,

Le cep vivace qui s’enroule

À l’angle du mur ébréché !

 

L’hiver noircit sa rude écorce;

Autour du banc rongé du ver,

Il contourne sa branche torse

Comme un serpent frappé du fer.

 

Autrefois, ses pampres sans nombre

S’entrelaçaient autour du puits,

Père et mère goûtaient son ombre,

Enfants, oiseaux, rongeaient ses fruits.

 

Il grimpait jusqu’à la fenêtre,

Il s’arrondissait en arceau;

Il semble encor nous reconnaître

Comme un chien gardien d’un berceau.

 

Sur cette mousse des allées

Où rougit son pampre vermeil,

Un bouquet de feuilles gelées

Nous abrite encor du soleil.

 

Vives glaneuses de novembre,

Les grives, sur la grappe en deuil,

Ont oublié ces beaux grains d’ambre

Qu’enfant nous convoitions de l’oeil.

 

Le rayon du soir la transperce

Comme un albâtre oriental,

Et le sucre d’or qu’elle verse

Y pend en larmes de cristal.

 

Sous ce cep de vigne qui t’aime,

Ô mon âme ! ne crois-tu pas

Te retrouver enfin toi-même,

Malgré l’absence et le trépas ?

 

N’a-t-il pas pour toi le délice

Du brasier tiède et réchauffant

Qu’allume une vieille nourrice

Au foyer qui nous vit enfant ?

 

Ou l’impression qui console

L’agneau tondu hors de saison,

Quand il sent sur sa laine folle

Repousser sa chaude toison ?

 

 

L’ÂME

 

Que me fait le coteau, le toit, la vigne aride ?

Que me ferait le ciel, si le ciel était vide ?

Je ne vois en ces lieux que ceux qui n’y sont pas !

Pourquoi ramènes-tu mes regrets sur leur trace ?

Des bonheurs disparus se rappeler la place,

C’est rouvrir des cercueils pour revoir des trépas !

 

 

I

 

Le mur est gris, la tuile est rousse,

L’hiver a rongé le ciment;

Des pierres disjointes la mousse

Verdit l’humide fondement;

Les gouttières, que rien n’essuie,

Laissent, en rigoles de suie,

S’égoutter le ciel pluvieux,

Traçant sur la vide demeure

Ces noirs sillons par où l’on pleure,

Que les veuves ont sous les yeux;

 

La porte où file l’araignée,

Qui n’entend plus le doux accueil,

Reste immobile et dédaignée

Et ne tourne plus sur son seuil;

Les volets que le moineau souille,

Détachés de leurs gonds de rouille,

Battent nuit et jour le granit;

Les vitraux brisés par les grêles

Livrent aux vieilles hirondelles

Un libre passage à leur nid !

 

Leur gazouillement sur les dalles

Couvertes de duvets flottants

Est la seule voix de ces salles

Pleines des silences du temps.

De la solitaire demeure

Une ombre lourde d’heure en heure

Se détache sur le gazon :

Et cette ombre, couchée et morte,

Est la seule chose qui sorte

Tout le jour de cette maison !

 

 

II

 

Efface ce séjour, ô Dieu ! de ma paupière,

Ou rends-le-moi semblable à celui d’autrefois,

Quand la maison vibrait comme un grand coeur de pierre

De tous ces coeurs joyeux qui battaient sous ses toits.

 

À l’heure où la rosée au soleil s’évapore

Tous ces volets fermés s’ouvraient à sa chaleur,

Pour y laisser entrer, avec la tiède aurore,

Les nocturnes parfums de nos vignes en fleur.

 

On eût dit que ces murs respiraient comme un être

Des pampres réjouis la jeune exhalaison;

La vie apparaissait rose, à chaque fenêtre,

Sous les beaux traits d’enfants nichés dans la maison.

 

Leurs blonds cheveux, épars au vent de la montagne,

Les filles se passant leurs deux mains sur les yeux,

Jetaient des cris de joie à l’écho des montagnes,

Ou sur leurs seins naissants croisaient leurs doigts pieux.

 

La mère, de sa couche à ces doux bruits levée,

Sur ces fronts inégaux se penchait tour à tour,

Comme la poule heureuse assemble sa couvée,

Leur apprenant les mots qui bénissent le jour.

 

Moins de balbutiements sortent du nid sonore,

Quand, au rayon d’été qui vient la réveiller,

L’hirondelle au plafond qui les abrite encore,

À ses petits sans plume apprend à gazouiller.

 

Et les bruits du foyer que l’aube fait renaître,

Les pas des serviteurs sur les degrés de bois,

Les aboiements du chien qui voit sortir son maître,

Le mendiant plaintif qui fait pleurer sa voix,

 

Montaient avec le jour; et, dans les intervalles,

Sous des doigts de quinze ans répétant leur leçon,

Les claviers résonnaient ainsi que des cigales

Qui font tinter l’oreille au temps de la moisson !

 

 

III

 

Purs ces bruits d’année en année

Baissèrent d’une vie, hélas ! et d’une voix,

Un fenêtre en deuil, à l’ombre condamnée,

Se ferma sous le bord des toits.

 

Printemps après printemps de belles fiancées

Suivirent de chers ravisseurs,

Et, par la mère en pleurs sur le seuil embrassées,

Partirent en baisant leurs soeurs.

 

Puis sortit un matin pour le champ où l’on pleure

Le cercueil tardif de l’aïeul,

Puis un autre, et puis deux, et puis dans la demeure

Un vieillard morne resta seul !

 

Puis la maison glissa sur la pente rapide

Où le temps entasse les jours;

Puis la porte à jamais se ferma sur le vide,

Et l’ortie envahit les cours ! ...

 

 

IV

 

Ô famille ! ô mystère ! ô cour de la nature !

Où l’amour dilaté dans toute créature

Se resserre en foyer pour couver des berceaux,

Goutte de sang puisée à l’artère du monde

Qui court de cour en cour toujours chaude et féconde,

Et qui se ramifie en éternels ruisseaux !

 

Chaleur du sein de mère où Dieu nous fit éclore,

Qui du duvet natal nous enveloppe encore

Quand le vent d’hiver siffle à la place des lits,

Arrière-goût du lait dont la femme nous sèvre,

Qui même en tarissant nous embaume la lèvre;

Étreinte de deux bras par l’amour amollis !

 

Premier rayon du ciel vu dans des yeux de femmes,

Premier foyer d’une âme où s’allument nos âmes,

Premiers bruits de baisers au coeur retentissants !

Adieux, retours, départs pour de lointaines rives,

Mémoire qui revient pendant les nuits pensives

À ce foyer des coeurs, univers des absents !

 

Ah ! que tout fils dise anathème

À l’insensé qui vous blasphème !

Rêveur du groupe universel,

Qu’il embrasse, au lieu de sa mère,

Sa froide et stoïque chimère

Qui n’a ni coeur, ni lait, ni sel !

 

Du foyer proscrit volontaire,

Qu’il cherche en vain sur cette terre

Un père au visage attendri;

Que tout foyer lui soit de glace,

Et qu’il change à jamais de place

Sans qu’aucun lieu lui lette un cri !

 

Envieux du champ de famille,

Que, pareil au frelon qui pille

L’humble ruche adossée au mur,

Il maudisse la loi divine

Qui donne un sol à la racine

Pour multiplier le fruit mûr !

 

Que sur l’herbe des cimetières

Il foule, indifférent, les pierres

Sans savoir laquelle prier !

Qu’il réponde au nom qui le nomme

Sans savoir s’il est né d’un homme

Ou s’il est fils d’un meurtrier ! ...

 

 

V

 

Dieu ! qui révèle aux coeurs mieux qu’à l’intelligence !

Resserre autour de nous, faits de joie et de pleurs,

Ces groupes rétrécis où de ta providence

Dans la chaleur du sang nous sentons les chaleurs;

 

Où, sous la porte bien close,

La jeune nichée éclose

Des saintetés de l’amour

Passe du lait de la mère

Au pain savoureux qu’un père

Pétrit des sueurs du jour;

 

Où ces beaux fronts de famille,

Penchés sur l’âtre et l’aiguille,

Prolongent leurs soirs preux:

Ô soirs ! ô douces veillées

Dont les images mouillées

Flottent dans l’eau de nos yeux !

 

Oui, je vous revois tous, et toutes, âmes mortes !

Ô chers essaims groupés aux fenêtres, aux portes !

Les bras tendus vers vous, je crois vous ressaisir,

Comme on croit dans les eaux embrasser des visages

Dont le miroir trompeur réfléchit les images,

Mais glace le baiser aux lèvres du désir.

 

Toi qui fis la mémoire, est-ce pour qu’on oublie ?...

Non, c’est pour rendre au temps à la fin tous ses jours,

Pour faire confluer, là-bas, en un seul cours,

Le passé, l’avenir, ces deux moitiés de vie

Dont l’une dit jamais et l’autre dit toujours.

Ce passé, doux Éden dont notre âme est sortie,

De notre éternité ne fait-il pas partie ?

Où le temps a cessé tout n’est-il pas présent ?

Dans l’immuable sein qui contiendra nos âmes

Ne rejoindrons-nous pas tout ce que nous aimâmes

Au foyer qui n’a plus d’absent ?

 

Toi qui formas ces nids rembourrés de tendresses

Où la nichée humaine est chaude de caresses,

Est-ce pour en faire un cercueil ?

N’as-tu pas dans un pan de tes globes sans nombre

Une pente au soleil, une vallée à l’ombre

Pour y rebâtir ce doux seuil ?

 

Non plus grand, non plus beau, mais pareil, mais le même,

Où l’instinct serre un coeur contre les durs qu’il aime,

Où le chaume et la tuile abritent tout l’essaim,

Où le père gouverne, où la mère aime et prie,

Où dans ses petits-fils l’aïeule est réjouie

De voir multiplier son sein !

 

Toi qui permets, ô père ! aux pauvres hirondelles

De fuir sous d’autres cieux la saison des frimas,

N’as-tu donc pas aussi pour tes petits sans ailes

D’autres toits préparés dans tes divins climats ?

Ô douce Providence ! ô mère de famille

Dont l’immense foyer de tant d’enfants fourmille,

Et qui les vois pleurer souriante au milieu,

Souviens-toi, coeur du ciel, que la terre est ta fille

Et que l’homme est parent de Dieu !

 

 

MOI

 

Pendant que l’âme oubliait l’heure

Si courte dans cette saison,

L’ombre de la chère demeure

S’allongeait sur le froid gazon;

Mais de cette ombre sur la mousse

L’impression funèbre et douce

Me consolait d’y pleurer seul :

Il me semblait qu’une main d’ange

De mon berceau prenait un lange

Pour m’en faire un sacré linceul !

 

 

 

 

 

 

 

 

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