A monsieur et à madame Hérault.
Une nymphe jeune et charmante
Autour d'elle voyant s'empresser tous les dieux,
Usa d'une ruse innocente ,
Pour dérober ses traits aux habitans des cieux.
En vertu du pouvoir suprême
D'un brevet d'immortalité,
En Chèvre-feuille elle change elle-même ,
Tous ses appas et sa beauté.
Sons cette figure étrangère,
La nymphe transformée était en sûreté,
Comptant sur sa forme ordinaire,
Quand ce serait sa volonté.
Mais le surintendant des jardins de l'Olympe,
Voyant cet aimable arbrisseau,
Qui plus haut que les, autres grimpe,
Vent qu'il serve lui seul à construire un berceau
Alors de Jupiter exécutait; les ordres
Un redoutable demi dieu ;
Tantôt, bien malgré lui, punissant les désordres,
Qui par malheur se trouvent en tout lieu,
Et plus souvent aussi, niais avec complaisance ,
Ouvrant sa libérale main.
Pour dispenser aux, bons la juste récompense
Prescrite par le souverain.
Accablé par la multitude,
Et chargé, de soins importans,
Il cherchait, pour quelques momens,
Une petite solitude,
Qui pût le soustraire aux cliens.
En œillet à son tour il se métamorphose
Et le voilà qui subito,
De crainte du soleil, bonnement se transpose
Sous la tonnelle incognito ,
S'imaginant que c'est-là qu'on repose.
Or, comme c'est son art de savoir toute chose,
Du Chèvre-feuille il découvrit presto
La plaisante métempsichose.
La nymphe de l'Œillet sut de même la cause,
Et d'amour tous deux in-petto
Aussi-tôt prirent bonne dose.
De part et d'autre on attaque, on défend.
Après les longs sermens de tendresse éternelle,
La belle
Se rend.
Rendue, elle est charmée et ne veut de sa vie
Rien aimer que son cher vainqueur ;
Mais à chaque moment à Jupin prend envie
De parler, d'ordonner à ce digne censeur.
Des supplians de toute espèce,
Venant d'ailleurs lui présenter sans cesse,
Et leurs requêtes et leurs voeux,
Même au sein du bonheur, le rendent malheureux.
N'est-ce donc pas un déplaisir extrême,
De pouvoir à peine en un jour
Au vif objet de son amour,
Dire, comme un éclair, une fois : je vous aime ?
L'Œillet amèrement touché ,
D'être, par son devoir, si souvent détaché
D'auprès de celle qu'il adore ,
En soupirait tendrement;
Lorsque le Chèvre-feuille, aussi brillant que
Flore, En ces termes touchans le calme et le restaure.
Console-toi, mon cher amant,
Je sais tes sentimens, j'aurais tort de me plaindre;
Tu ne me dis qu'un mot, mais j'en sens la douceur.
Ce mot, dit en courant, vient du fond de ton cœur;
Car tu n'as pas le tems de feindre.