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BIBLIOBUS Littérature française

Philippe Desportes - Gédéon Tallemant des Réaux (1619 - 1692)

 

 

Philippe Desportes, né à Chartres en 1546 et mort à l'abbaye Notre-Dame de Bonport le  1606, est un poète baroque français. 

 

Philippe Desportes était de Chartres et d'assez basse naissance, mais il avait bien étudié. Il fut clerc chez un procureur à Paris. Ce procureur avait une femme assez jolie, à qui ce jeune clerc plaisait un peu trop. Il s'en aperçut, et un jour que Desportes était allé en ville, il prit ses hardes, en fit un paquet, et les pendit au maillet de la porte de l'allée avec cet écrit: «Quand Philippe reviendra, il n'aura qu'à prendre ses hardes et s'en aller.» Desportes prit son paquet et s'en va à Avignon (peut-être que la cour était vers ce pays-là), sur le pont, où les valets à louer se tiennent, comme à Paris sur les degrés du Palais. Il entendit quelques jeunes garçons qui disaient: «M. l'évêque du Puy a besoin d'un secrétaire.» Desportes va trouver l'évêque qui était alors à Avignon. La physionomie de Desportes plut au prélat. Etant au service de M. du Puy, qui était de la maison de Senecterre, il devint amoureux de sa nièce, sœur de mademoiselle de Senecterre, dont nous parlerons ensuite. Cette maîtresse est appelée Cléonice dans ses ouvrages.

Ce fut du temps qu'il était à ce prélat, qu'il commença à se mettre en réputation, par une pièce de vers qui commence ainsi:

O nuit! jalouse nuit, etc.!

Il se garda bien de dire que ce n'étoit qu'une traduction, ou du moins une imitation, de l'Arioste. On y mit un air, et tout le monde la chanta.

Un peu avant sa mort, il eut le déplaisir de voir un livre avec ce titre: la Conformité des Muses italiennes et des Muses françaises, où les sonnets qu'il avoit imités ou traduits étaient placés vis-à-vis des siens.

Il fit sa grande fortune durant la faveur de M. de Joyeuse, dont il était tout le conseil. Il eut quatre abbayes qui lui valaient plus de quarante mille livres de rente. M. de Joyeuse le mit si bien avec Henri III, qu'il avait grande part aux affaires. Ce fut alors qu'il fit beaucoup de bien aux gens de lettres, et leur fit donner bon nombre de bénéfices.

Je ne sais si ce fut lui qui mit chez le Roi un nommé Autron, dont Sa Majesté se servait pour les harangues qu'il avait à faire; mais il ne l'avait pas bien averti de ne pas se railler de son maître, car le Roi suant la v..... à Saint-Cloud, demanda un jour à Autron ce qu'on disait à Paris. «Sire, dit-il étourdiment, on dit qu'il fait bien chaud à Saint-Cloud.» Le Roi se fâcha et lui dit qu'il se retirât.

Desportes cependant quitta le parti du Roi pour suivre messieurs de Guise, parce qu'il crut qu'infailliblement il succomberait. Il se retira à Rouen avec l'amiral de Villars, auprès duquel il avait tenu même place qu'auprès de M. de Joyeuse. Depuis pourtant l'amiral et lui se brouillèrent; en voici l'occasion:

La Reine, Catherine de Médicis, avait une fille d'honneur nommée mademoiselle de Vitry, qui était galante, agréable et spirituelle. Desportes lui fit une fille. Comme elle était chez la Reine, on dit qu'elle alla accoucher un matin au faubourg Saint-Victor, et que le soir elle se trouva au bal du Louvre, où même elle dansa, et on ne s'en aperçut que par une perte de sang qui lui prit. Elle disoit plaisamment que les femmes se moquaient de prendre la ceinture de sainte Marguerite, elles qui pouvaient crier tout leur soûl; mais que c'étoit aux filles à la mettre, puisqu'elles n'osaient faire un pauvre hélas! Depuis, comme il arrive entre amants, elle n'aima plus M. Desportes et le mit mal avec l'amiral de Villars, qui, quoiqu'elle fût déjà sur le retour, était devenu amoureux d'elle à toute outrance. Malicieusement elle dit à l'amiral que s'il avait toujours Desportes avec lui, on croirait qu'il ne faisait rien que par son conseil, et que cet homme le régentait toujours; car c'étoit par le crédit de Desportes que l'amiral avait été fait ce qu'il étoit. L'amiral en était si fou, qu'en Picardie, allant au combat où il fut tué, après avoir fait sa paix avec Henri IV, il se mit à baiser un bracelet de cheveux de madame de Simier (c'est ainsi qu'elle s'appela après), et dit à M. de Bouillon qui lui en faisoit honte: «En bonne foi, j'y crois comme en Dieu.» Il ne laissa pas d'y être tué.

M. Desportes eut la fantaisie d'avoir tout le patrimoine de sa famille: c'était une fantaisie un peu poétique. Il avait un frère et six sœurs, dont trois ne lui voulurent pas vendre leur part. Il ne leur fit point de bien. Il en fit aux autres, et principalement à son frère.

Régnier, poète satirique, son neveu, ne fut à son aise qu'après la mort de Desportes; alors le maréchal d'Estrées lui fit donner une abbaye de cinq mille livres de rente. Il avait déjà une prébende de Chartres.

Desportes était en si grande réputation, que tout le monde lui apportait des ouvrages pour en avoir son sentiment. Un avocat lui apporta un jour un gros poème qu'il donna à lire à Régnier, afin de se délivrer de cette fatigue; en un endroit cet avocat disait:

 

Je bride ici mon Apollon.

Régnier écrivit à la marge:

Faut avoir le cerveau bien vide
Pour brider des Muses le roi;
Les dieux ne portent point de bride,
Mais bien les ânes comme toi.

 

Cet avocat vint à quelque temps de là, et Desportes lui rendit son livre, après lui avoir dit qu'il y avait bien de belles choses. L'avocat revint le lendemain tout bouffi de colère, et, lui montrant ce quatrain, lui dit qu'on ne se moquait pas ainsi des gens. Desportes reconnaît l'écriture de Régnier, et il fut contraint d'avouer à l'avocat comme la chose s'était passée, et le pria de ne lui point imputer l'extravagance de son neveu. Pour n'en faire pas à deux fois, je dirai que Régnier mourut à trente-neuf ans à Rouen, où il étoit allé pour se faire traiter de la v..... par un nommé Le Sonneur. Quand il fut guéri, il voulut donner à manger  à ses médecins. Il y avoit du vin d'Espagne nouveau; ils lui en laissèrent boire par complaisance; il en eut une pleurésie qui l'emporta en trois jours.

Desportes, sous le règne de Henri IV, ne laissa pas d'être en estime; et un jour le Roi lui dit en riant, en présence de madame la princesse de Conti: «M. de Tiron (c'était sa principale abbaye), il faut que vous aimiez ma nièce, cela vous réchauffera et vous fera faire encore de belles choses, quoique vous ne soyez plus jeune.» La princesse lui répondit assez hardiment: «Je n'en serais pas fâchée; il en a aimé de meilleure maison que moi.» Elle entendait la reine Marguerite, que Desportes avoit aimée lorsqu'elle n'était encore que reine de Navarre.

Ce fut lui qui fit la fortune du cardinal du Perron, qui était sa créature. Quand il le vit cardinal, il fut bien empêché comment lui écrire, car il ne se pouvait résoudre à traiter de monseigneur un homme qu'il avait nourri si longtemps. Il trouva un milieu, et lui écrivit domine.

Mais il faut reprendre madame de Simier; aussi bien nous ne saurions trouver un endroit qui lui soit plus propre que celui-ci.

Elle avoit eu, étant fille de la Reine, une promesse de mariage du jeune Randan (de La Rochefoucauld), et lui, pour s'en dégager, fut contraint de lui donner six mille écus. Après cela, elle s'en alla au Louvre avec une robe de plumes, et dit: «L'oiseau m'est échappé, mais il y a laissé des plumes.» Madame de Randan, mère du cavalier, qui étoit présenté, répondit: «Ce ne sont que de celles de la queue; cela ne l'empêchera pas de voler.» Elle disait plaisamment qu'elle envoyait assez souvent ses pensées, au rimeur; c'est-à-dire qu'elle les envoyait à Desportes pour les rimer. Elle fit pourtant des vers elle-même, mais ce ne fut qu'à quarante ans. On a remarqué, soit qu'effectivement elle fût encore belle, ou que s'étant mise à étudier, elle en fût devenue encore plus spirituelle et plus divertissante, qu'elle a fait beaucoup plus de bruit à cet âge-là qu'en sa jeunesse.

On fit cette épigramme à laquelle elle répondit:

 

Contre toute loi naturelle,
Vous renversez le droit humain:
La plus jeune est la m.........
Et la plus vieille est la p.....

Elle la retourna ainsi:

Selon toute loi naturelle,
C'est conserver le droit humain:
La plus laide est la m.........
Et la plus belle est la p......

 

Elle fit la Magdelaine en trois parties; c'étaient pour la plupart des traductions du Tansille. Elle les envoya toutes trois au cardinal Du Perron. Il dit à celui qui lui en demanda son avis de la part de la dame: «Dites-lui qu'elle a fait admirablement bien la première partie de la vie de la Magdelaine.» Un jour qu'elle lui demanda si faire l'amour était véritablement un péché mortel: «Non, dit-il, car si cela était, il y a longtemps que vous en seriez morte.» (Extrait de : Les historiettes de Tallemant des Réaux :   Mémoires pour servir à l'histoire du XVIIe siècle ; Tome Premier)

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021