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BIBLIOBUS Littérature française

Numéro 49 du 11 décembre 1852

 

 

ÉCOLE DE RABELAIS.

I

Ami lecteur, nous voulons aujourd’hui te donner quelque gayetés, joyeusetés et baliverneries, pour dérider tristesse, moquer mauvais temps, et te maintenir en bon état de rire. Il y a dans le petit livre où nous allons prendre « contes de tous bois, de toutes tailles, de tous estocs, à tous prix, et à toutes mesures, fors que pour pleurer, » comme dit le récréatif Bonaventure :

LA NOUVELLE FABRIQUE des EXCELLENTS TRAITS DE VÉRITÉ,

Livre pour inciter les resveurs tristes et mélancoliques

à vivre de plaisir,

Par Philippe d’Alecripe, sieur de Nevi, en Verbos1.

nous te parlerons, en langage de savants et par manière de postface, du livre, du temps, et de l’auteur.

DE TROIS FRÈRES EXCELLENTS OUVRIERS DE LEURS MESTIERS.

Du temps du roy Pernot et de la royne Gillette, il fut un homme en nostre village nommé Simonnet, lequel avait trois beaux garçons, que lui fit sa cinquiesme femme tout d’une ventrée, lesquels (parvenus en aage qu’enfants font le picotage aux vergers) furent par leur père mis en mestier.

Assavoir : l’un chez un barbier, l’autre chez un mareschal, et le tiers chez un escrimeur, où en peu de temps profitèrent si bien, qu’ils en retournerent fort bons ouvriers.

Ce que voyant le père, leur dit : « Mes enfants, cognoissant à veue de nez que je suis sur le bord de ma fosse, je veux premier que de mourir disposer de mon peu de bien. Je possède seulement (comme sçavez) une petite maison qui seroit bien peu de chose pour vous trois, et pourtant j’ai avisé un fait. C’est que celui d’entre vous qui sera trouvé le meilleur ouvrier de son métier aura seul la maison. » Ayant bien entendu leur père, d’un commun accord, condescendirent à son vouloir et advis. « Or bien, de par Dieu dit le bonhomme Simonnet, puis qu’ainsi est, monstrez, en présence de gens, chacun un tour de vostre mestier. » Le plus ancien, qui étoit barbier, commença ; lequel, tirant de son estuit un rasoir de Guingant, frais émoulu, vous va courir après un lièvre qui (de bonne fortune) estoit poursuivy de deux grands lévriers, auquel, en courant, abatit la barbe ric à ric du menton sans en rien l’offencer, voire aussi net que s’il eût été dans une chaire assis sur son cul. Le second, qui était mareschal, monstra aussi ce qu’il sçavait faire. Advint à l’instant qu’un gentil-homme, passant chemin, voulut faire ferrer son cheval, auquel il dit : « Monsieur, ne laissez à picquer vivement, puisque vous avez haste. Je vous serviray bien. » Ce disant, ledit seigneur picque et le mareschal court après, lequel déferre son cheval de ses vieux fers, puis promptement le referre des quatre pieds en courant la poste, aussi promptement que s’il eust été lié dans la forge. Le tiers, bon joueur d’espée entre mille, voyant tomber une grosse ondée de pluye, sortit dehors en la rue l’espée en la main, laquelle il vous vient virer et tourner à l’entour de soy, jouant de l’estoc, du travers, de taille, de faux montants du plat, de tors et de revers, faisant le moulinet et se couvroit de tous costez si virillement et par telle dextérité, que jamais goutte de pluye ne tomba sur lui : qui fut chose esmerveillable et de grand eshabissement à voir.

Celui de vous qui mieux fera

De dieu rémunéré sera.

D’UN CHIEN ET D’UN RENARD.

Il y a un homme en nostre forest qui avoit en son logis un gros chien mastuc de poil noir et laid comme un beau diable, lequel faisoit peur aux petits enfants. Il advint un jour aussi qu’il suivoit son maître allant à ses affaires, vint rencontrer dans le bois en un estroit chemin un grand regnard, lequel voyant le chien s’arresta sur le cul, tremblant comme la feuille. Le chien mesme s’arresta tout court. Or, estant tous deux aculez l’un à l’autre, commencèrent à eux entreregarder, sans rire si tres-ententivement et sans aller ne parler, qu’il ne souvenoit au regnard de fuir, n’y au chien de courir après, de sorte qu’ils s’entreregarderent tant et si asprement et avec telle ardeur, que les yeux leur tomberent hors de la teste. Le bon homme apercevant ces deux animaux ainsi larmoyer l’un devant l’autre, s’approcha vistement, et les ayant contemplez, trouva que les yeux leur estoient sortis hors de la teste par trop s’être entreregardez. Dieu veuille qu’il n’en advienne autant à ceux qui s’entrèregardent par desdain, je ne sçai qui les conduiroit par le chemin.

L’œil qui est messager du cœur

Monstre l’amitié ou rancœur.

D’UN HOMME QUI EUT LA TESTE COUPÉE.

Il vous souvient (comme je croy) d’avoir leu et veu comment un homme de Tarmoustier en chrestienté, passant un jour par dedans un bois, fut rencontré des volleurs, lesquels pour avoir son argent luy coupèrent la teste ; au moins il ne s’en falut guères, car elle ne tenoit plus qu’un petit en la peau par un costé, parquoy l’attacha d’une espingle de peur qu’elle ne tombast à terre, et mesme aussi à cause qu’il estoit hyver et qu’il geloit fort, elle se reprint et ne seigna point.

Après que les volleurs eurent pillé et desrobé tout ce qu’il avoit, s’enfuirent au hault et au loing. Le pauvre diable s’en revint à sa maison où il raconta à sa femme (et en plorant) comment il avoit esté vollé et tout ce qui lui avoit esté fait, puis s’assit sus une sellette auprès du feu pour se chauffer. Mais se cuidant moucher et oster une roupie qui lui pendoit au bout du nez, il arracha sa teste et l’espingle et jetta tout au feu. Ainsi, voilà comme le pauvre misérable mourut sans s’en apercevoir, laissant une femme et quatre petits enfants.

He quelle pitié ! Au diable d’enfer soient les volleurs.

Pensons à nous jeunes et forts

Souvent nous tombons roides morts.

Edmond et Jules de Goncourt.

1 Sieur de Rien en paroles.

 

 

 

 

 

Lire l’ECLAIR N0 50

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021