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BIBLIOBUS Littérature française

Numéro 46 du 20 novembre 1852

 

LÈPRES MODERNES. - LA BONNE.

La bonne de la Lorette doit savoir mettre le pot-au-feu, vernir une paire de bottes, faire du café, apporter une lettre comme à l’Odéon, assaisonner une salade.

La bonne de la Lorette a, sur le bout des cheveux, un bonnet en tulle avec des rubans qui s’envolent, au cou un col amazone, au dos une robe de mérinos marron, au ventre un tablier à cordons lâches, aux pieds de vieilles pantoufles de la Lorette, bordées d’une petite ruche rose-passé.

La bonne est comme le peuple d’Israël : elle a des yeux pour ne point voir, et des oreilles pour ne point entendre.

La bonne aime le petit-salé, la musique militaire, les fonds de bouteille, les mouchoirs oubliés, les lilas de Romainville, le bal masqué du Mont-Blanc, les pièces féeriques, le sommeil du matin, la gibelotte hors barrière.

La bonne tue le ver, au lever, en prenant le cassis avec l’écaillère du coin.

La bonne est sensible aux compliments du domestique du vieux monsieur, à la belle tenue de la garde républicaine ; à la veste en velours de M. Francis, — le garçon coiffeur.

La bonne aime au dehors, Madame lui a dit, en entrant : « Avant tout, mademoiselle, il faut des mœurs chez moi.

La bonne divise les amants de madame en deux classes : les bottes vernies, les bottes cirées ; et a toutes sortes d’insolences au service des gens crottés.

La bonne sait les visites qui ferment la porte à tout le monde.

La bonne reconnaît au coup de sonnette : un créancier, M. Guerluchon, la Fortune. Elle n’ouvre pas au créancier, salue d’un petit air de tête M. Guerluchon, fait une grande révérence aux chemises boutonnées d’un diamant.

Quand madame a dit comme l’abbé Dubois : « Je n’y suis pas, quand même viendrait Dieu le père, » la bonne ne laisserait pas entrer, quand même ce serait le diable. Elle dirait : « Madame n’y est pas, » à l’homme qui sortirait du lit de madame, s’il remontait chercher ses gants.

La bonne entend merveilleusement le passe-passe des amours. Elle a le génie du corridor et de la double issue. Elle est l’huissier des galanteries. Elle est le régisseur des allées et venues. Elle indique d’un geste, d’un coup d’œil, les entrées, les sorties et les fausses sorties. Elle semble avoir été élevée dans une comédie de Beaumarchais. Elle fait se côtoyer les visites, sans se cogner. Elle improvise des oubliettes : elle jette l’un dans un placard, elle enlève en moins de rien la canne de l’autre. Elle a trois mille et une façons de faire attendre le vieux monsieur cinq minutes : « Comment va monsieur ? Madame était inquiète ce matin ; elle voulait m’envoyer chez monsieur… » Une porte intérieure se ferme ; elle tousse et elle crie, du ton le plus joyeux, de l’antichambre : « Madame, c’est monsieur ! » — Elle sauverait dix honnêtes femmes.

Quand madame compte, la bonne dit comme la caricature : « Un petit pain d’un sou, deux sous. » La bonne vole, mais madame ne paie pas, et la bonne serait volée si elle ne volait pas madame.

Quand madame écrit une lettre et que la bonne sait écrire, madame sonne la bonne pour s’éclairer sur les noms propres.

Quand madame a le dos tourné, la bonne prend des bougies à madame, pour lire la nuit, dans sa chambre à tabatière, soit l’Amour conjugal, soit Pauline ou l’art de rendre une femme heureuse.

La bonne n’a jamais vu de rosières.

La bonne va chercher des livres au cabinet de lecture, et dit : « Le père de madame est mort hier au soir ; il lui faudrait quelque chose de gai, vous comprenez ?... Du Paul de Kock, ça lui irait. »

La bonne va le vendredi avec madame acheter des fleurs au marché de la Madeleine.

Quand madame n’a pas de monde le soir, la bonne s’assied sur le pied du lit, et dit : « Madame, faites-moi donc les cartes ; » ou : « Ça n’a pas l’air de quelque chose de bien fameux, le monsieur de quatre heures ! »

Quand même madame s’est couchée seule, la bonne frappe avant d’entrer le matin. —

Quand madame va passer la journée à la mare d’Auteuil avec M. Guerluchon, elle emmène la bonne pour porter son panier à ouvrage.

Quand madame va au spectacle, elle emmène la bonne, et M. Guerluchon pour expliquer le spectacle à la bonne.

Quand madame l’envoie aux recouvrements, la bonne sait d’avance ce qu’il y a dans les lettres qu’elle porte ; ceci : « J’espérais hier recevoir quelque argent que j’attendais. Malheureusement… » ou ceci : « Ma modiste doit venir aujourd’hui toucher le montant… »

Quand madame est à Mabille, la bonne va à la Boule noire et noue son bonnet blanc autour de sa bouteille de bière, pour la reconnaître après la contredanse.

La bonne fait le lit de madame sans rougir, et, en se baissant, sa petite croix à la Jeannette sautille sur les draps fripés.

La bonne a l’ambition d’être madame. Depuis huit jours, elle essaie à la glace les chapeaux de madame, quand madame est sortie. Elle ne dit plus generanium ; elle fait la cuisine avec de vieux gants blancs.

La bonne dit : « Madame, » gros comme le bras, jusqu’au jour où elle crie : « Tu vas me ficher mon compte ! »

La bonne de la Lorette est deux choses : confidente quand madame est chez elle ; bouchon de paille quand madame sort.

Edmond et Jules de Goncourt.   

DE SAINTE-ADRESSE À BAGNÈRES-DE-LUCHON,

PAR A. BASCHET. - Juillet 1852.

Humour ! saint humour ! liberté de l’imagination moderne ! Humour ! cher voyageur qui marche sans souci d’arriver, t’arrêtant à tout ce que tu vois comme l’enfant s’arrête à toutes les mares du chemin ! Humour ! toi à qui jettent la pierre les modérés, les entendus et les disciplinables ! Humour ! roi de l’imprévu ! Humour ! seigneur du caprice et de l’originale fantaisie ! Humour ! badauderie charmante de l’esprit qui profite de l’aventure et de la rencontre ! Humour ! toi qui viens de Rabelais ! Humour ! toi qui viens de Sterne ! Humour ! château de la folie, Crasy-Castle, où rit l’humaine raison ! Humour ! — « dussions-nous reconnaître qu’en te donnant la main la vie de la renommée est semée de tribulations comme celle du ciel ; dussions-nous, — petits que nous sommes, avoir l’honneur d’être aussi maltraités que Swift et Rabelais, » nous te confesserons comme notre conscience, — dût une Revue bien élevée nous injurier encore !

Et vraiment nous ferons le reproche à M. Baschet de n’avoir point assez laissé la bride sur col à son compagnon de route. Il s’en est défié. Il l’a mené, et l’humour d’habitude va toujours devant.

C’était aussi le premier voyage qu’ils faisaient ensemble. Attendons le second, et vous verrez que M. Baschet, cette fois-là, laissera son seigneur et maître payer les relais, marquer les auberges, choisir les points de vue, brûler les descriptions et se complaire en les chemins de traverse. C’est un joli chemin de traverse, — le jeune touriste le connaît comme nous sans doute, — que celui qui commence ainsi :

« De Harbourg, la voiture me conduisit en une heure à Hambourg. Il faisait déjà nuit. Les étoiles me saluaient du haut des cieux ; l’air était doux et frais.

« Et lorsque j’arrivai près de madame ma mère, sa joie fut telle que je la pris pour de l’épouvante ; elle s’écria : — « Mon cher enfant ! » et frappa dans ses mains.

« Mon cher enfant ! voilà bien treize ans que je ne t’ai vu ! tu dois sans doute avoir grand faim, — réponds, que veux-tu manger ? »

Ceci dit, entamons le Reiselbider de M. Baschet. Voici Paris si vous voulez :

« Si maître François Rabelais, mort, selon la légende en 1553, pouvait descendre de nouveau l’échelle de vie et faire sa bienvenue chez les Parisiens, le changement qu’il marquerait serait bien faible pou un si long temps. Voici, en effet, la petite note qu’il crayonne, en vieux langage, au livre Ier de Gargantua, chapitre xvii : « Le peuple de Paris est tant sot, tant badault, qu’ung basteleur, un porteur de rogatons, un mulet avecque ses cymbales, ung vieilleux au myllieu d’un carrefour, assemblera plus de gens que ne feroit un pasteur évangélique. » La vérité est éternelle, me dis-je en passant place du Hâvre, où trois chiens sauteurs faisaient ouvrir les yeux et la bouche à cent vingt-deux personnes assemblées, — presque un dixième de ce que contenait le Forum aux beaux temps romains, alors que Marcus-Tullius Cicero montait les degrés de la tribune aux harangues, le jour d’une question consulaire !

« Quand il s’agit de Paris et qu’on en veut parler, ou il faut cent pages, ou il en faut dix. Je n’ai rien à en dire, sinon que parfois il est l’endroit le plus ennuyeux de la terre, comme il en est aussi le plus charmant, — remarque observée part tout le monde et que, pour observer comme tout le monde, je suis forcé d’observer.

« De la place où sautaient des chiens jusqu’au chemin de fer, près le Jardin-des-Plantes, trajet d’une lieue, j’ai pu faire les autres observations topographiques suivantes :

« Sur le boulevard, une poussière mouvante et des voitures-arrosoirs ;

« Devant Tortoni, des jeunes gens à moustache prenant l’absinthe ;

« Chez Dusautoy, des habits noirs à boutons blancs et des culottes grotesques ;

« Chez les libraires, l’annonce de nombreux guides dans la ville et d’innombrables almanachs ;

« Dans la rue Richelieu, une jolie femme, et dans une autre, cinq plus laides que toutes celles qui étaient laides ;

« Ailleurs, une vieille traînant un chien ;

« Sur les ponts, beaucoup d’aveugles, des joueurs de flûte et des grisettes peu vêtues.

« Un moment, le soleil inonda de lumière les fenêtres du Louvre, et au loin on voyait la silhouette de la Cité levant la tête au-dessus du fleuve, avec les grandes tours de son église… Je trouvai alors que Paris devenait beau ! »

Voici Mont-de-Marsan. Nous y sommes ou nous y serons :

« Des gendarmes vinrent au relais et nous demandèrent nos passeports, je leur répondis avec grâce et fus bien venu d’eux. J’indiquai au révérend comme quoi, sous Louis XIV, on appelait les gendarmes « messieurs les gardes de la maréchaussée. » Le révérend, qui se contentait de peu, fut satisfait de cette observation qu’il crut importante, — après quoi son voisin de diligence et lui se préparèrent à me nourrir pour une première fois.

« Le relais ne fut que d’une heure au plus à Mont-de-Marsan ; cinq bons chevaux blancs entraînèrent notre coche et prirent la route de Tarbes par Villeneuve et Aire, où s’opéra la seconde prise de nourriture et où vécut en 502, le roi Alaric II, si j’en veux croire les traditions. Le village d’Aire est fort joli, bien assis sur la hauteur, aimant et appelant le soleil. Une servante menuette et fluette servait à table et cassait les plats avec assez de sans-façon. L’hôtesse grommelait, avait de la barbe au menton et se posait en maîtresse-femme. »

Et voici le dernier relais :

« — Et maintenant, où irai-je ?

« — À Heildelberg, pour y prendre mes titres ?

« — C’est trop tôt.

« — À Salamanque, pour y chercher Gil Blas ?

« — C’est trop tard.

« — Alors à Guérande en Bretagne… ou au Sambuc en Camargue. »

Ces extraits peuvent donner une idée de la manière de M. Baschet. C’est une joliette façon d’écrire, vive, délurée, cavalièrement campée et le chapeau sur l’oreille. — Mais M. Baschet, nous promettant un itinéraire humoristique, n’est-il pas passé trop fièrement à côté de certains chapitres indiqués, le chapitre par exemple : De l’influence du parmesan sur la bonté du potage.

Et relisons Sterne, l’immortel Sterne, — le grand homme sans statue ! « Ô Sterne ! — disait le docteur Ferriar, — cette larme qui vient interrompre notre sourire dans une digression soudaine ou une histoire inattendue, cette larme atteste ton talent créateur ! »

« Chapitre XCV. Abbeville.

« Dès que j’eus fait cette réflexion et puis cette autre : que la mort était peut-être déjà sur mes talons. — Ô ciel ! m’écriai-je, que ne suis-je déjà à Abbeville, ne fût-ce que pour voir les cardeurs et les fileuses de ce pays-là ! — Nous partîmes pour Abbeville.

« De Montreuil à Nampont, — poste et demie.

« De Nampont à Bernay, — poste.

« De Bernay à Nouvion, — poste.

« De Nouvion à Abbeville, — poste et demie. — Mais les cardeurs et les fileuses d’Abbeville étaient tous couchés. »

 

CHRONIQUE DES THÉÂTRES. - THÉÂTRE-FRANÇAIS.

Sullivan,

Comédie en trois actes et en prose, par M. Mélesville.

Provost est Provost ; Brindeau est excellent comédien ; Got est inimitable. La pièce est amusante, et nous sommes tout à fait de l’avis de cet ami de l’auteur qui disait : « C’est une comédie à laquelle il ne manque que d’être écrite par Musset. »

Edmond et Jules de Goncourt

 

 

 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021