BIBLIOBUS Littérature française

Numéro 32 du 14 août 1852.

 

 

LÉGENDES DU XIXe SIÈCLE. - L’HOMME DU DOCTEUR.

Il pouvait bien être neuf heures du soir. La campagne s’endormait ; les grenouilles des mares lointaines ne coassaient plus que de loin en loin ; le dernier des chanteurs bocagers venait de poser sa tête sous son aile ; la murmurante harmonie de la brise se taisait. Tous les bavardages du fourré, — course du lièvre, rampement du lézard, vol du rouge-gorge, sautillement de la perdrix, — se mouraient. Habitations rustiques, cimes feuillues, clochers pointus, rideaux de peupliers, sombraient dans les ténèbres accourues, et ne faisaient plus que des masses d’ombres aux lignes indécises et flottantes. Assis, les jambes pendantes, dans le fossé, à la lisière du bois, nous écoutions, recueillis, la nuit venir. Le bois s’enfonçait, à quelques pas derrière nous, dense et noir, avec quelques fourreaux argentés de bouleaux au premier plan. Devant nous, c’était le village de C…, éparpillé dans les arbres, aux maisonnettes assises à l’ombre, aux maisonnettes nichant dans la feuillée, la verdure courant les rues et courant d’enclos en enclos. À notre gauche, le chemin descendait au village, le long d’un mur en pierres sèches, embroussaillé de ronciers et de mûres purpurines, le mur entourant la première maison du village, la maison du notaire, au toit d’ardoises. Les petits points de feu qui annonçaient les veillées derrière les vitres du village s’éteignaient un à un. L’oreille d’un chasseur eût seule perçu dans le fond du bois des remuements et d’épais frôlements de feuilles. Les sangliers allaient bientôt descendre dans les champs. Tout dormait.

Tout à coup, dans le chemin, un homme déboucha, venant du village, s’approcha du mur, s’arrêta, épia de tout côté longuement, détacha de ses épaules comme un sac d’artiste, le déposa au pied du mur, l’ouvrit, puis encore une fois regarda tout autour, se leva sur la pointe des pieds, et atteignit la crête. Il faisait l’inspection de l’intérieur, appuyé sur les poignets. Une pierre roula ; un aboiement répondit. Une fenêtre s’ouvrit : l’homme avait ramassé son sac ; il était déjà loin.

C’était pendant une course vagabonde, course pédestre, en blouse blanche, à travers tout ce que l’art gothique a semé sur les routes inconnues d’admirables petites œuvres inédites. Nous avions déjà découvert dans ce coin de Bourgogne inexploré la belle maison des Poupons de Paray-le-Monial ; nous avions dessiné les rabelaisiennes caricatures monacales de Vitteaux1, les magnifiques polychromies de Cluny, et nous étions venus à C… pour une ferronnerie byzantine, merveilleux ouvrage que la tradition du pays attribue à un artiste more, chassé d’Espagne par la persécution d’Isabelle-la-Catholique.

Nous rentrâmes à notre auberge, — l’unique auberge de l’endroit. Nous trouvâmes près du feu, sous le manteau de la cheminée, assis sur une sellette, un homme, un sac d’artiste, un chapeau de paille à ses pieds. Ses poignets appuyaient contre ses genoux, et ses mains, pénétrées de lueurs rouges, étaient droites devant la flambée claire des fagots. L’homme avait un habit-veste en drap noir, un col noir sans linge, de gros souliers ferrés, de larges guêtres. Il était petit ; il avait de longs pieds et de grandes mains noueuses tachées de noir. Sa tête était conique. Sa figure, toute chauffée dans le bas de tons sanguins, s’éclaircissait à partir du front et prenait des tons blancs sur le crâne dénudé. Ses yeux bleu de faïence avaient leurs paupières inférieures dégarnies de cils et toutes bleuies de veines, en sorte qu’ils semblaient descendre et couler jusqu’à l’arcade zygomatique. Deux bouquets de cheveux et un maigre collier de barbe noire, courant d’une tempe à l’autre, achevaient de vous rappeler ces têtes d’Indiens boucanées qui faisaient la curiosité la plus regardée des bric-à-brac de l’ancienne place du Carrousel. L’homme fumait un de ces tronçons de pipe, furieusement ébénés, dont le fourneau touche aux lèvres.

L’homme ne se dérangea pas ; il resta les mains devant le feu, la pipe à la bouche.

Nous causions journaux. « Sais-tu, dit l’un de nous à l’autre, que L… L… a dépensé quinze mille francs d’annonces avant de faire paraître son premier journal ? » — « Et il a eu trente mille abonnés ; c’est bien joué ! » fit l’homme comme éveillé en sursaut, et il se mit à parler très-vite en arpentant la cuisine. « L’annonce ! monsieur, vous ne savez pas ce que c’est que l’annonce ! Avec de l’annonce, on vend six francs une pièce de cent sous. C’est le commerce, monsieur ! Deux mille francs d’annonces, deux mille francs à l’eau ; quarante mille francs d’annonces, quarante mille francs doublés ! Nous sommes des gamins. Holloway dépense cinq cent mille francs d’annonces par an. La quatrième page d’un grand journal coûte quinze cents francs pour un jour, et ce n’est que payé ; il y aura un journal des annonces du gouvernement. Holloway ? vous ne connaissez pas, monsieur ? Un Anglais. Un marchand d’onguents, c’est comme qui dirait un Napoléon. Il tient les Indes, monsieur. Il a des prospectus en indou, en ourdoe, en géocratoe. Hon-Kong et Canton sont à lui. Il est traduit en chinois. Il a Singapour. Journaux de Sidney, d’Hobarteville, de Launceston, journaux d’Adélaïde, de Port-Philip, il a des annonces dans tout ça. Il est à Bahia, à Fernambouc. Il a le Canada, monsieur. D’Odessa, il va en Russie, où c’est défendu. Il est à Athènes, il est à Tunis. Monsieur, les journaux de Constantinople sont pourris de ses réclames. Holloway a un courtier sur la rivière Gambie, un courtier à Sierra-Leone, monsieur, où l’on crève comme des mouches. Et voilà un homme ! Voyez-vous, l’annonce, depuis la femme la plus honnête jusqu’à l’enfant au biberon, il faut que tout le monde l’absorbe ! »

Il disait cela avec l’accent saccadé de Berthold dans l’Église des Jésuites d’Hoffmann. Il se rassit, secoua sa pipe contre la semelle de son soulier, prit une chandelle, alla se coucher.

Le lendemain, nous ne vîmes pas notre homme de la journée ; il ne rentra pas dîner. Le soir, nous étions encore dans le fossé, sur la lisière du bois. Notre homme déboucha par le chemin, comme la première fois ; il fit comme il avait fait la veille. Mais, cette fois, nulle pierre ne roula, nul chien n’aboya. L’homme ouvrit son sac, se pencha sur le mur, travailla longtemps. Son travail fait, il se recula pour mieux juger son œuvre, alluma une allumette, et éclaira le mur. Nous vîmes alors une affiche d’un pied carré :

CH. ALBERT.

…………………………………………………………………………………………………

L’allumette s’éteignit ; l’homme s’éloigna en sifflotant la Mère Grégoire.

Par les trente mille communes de France, il va cet homme, ce dévoué anonyme, ce misérable épris de sa tâche honnie. Battu ici, chassé là, suspect partout, il persévère en son œuvre, travaillant en dépit des pierres, obscur et maudit, à la popularité de son maître. C’est le Juif errant de l’affiche. Il a la carte de France dans son sac, et le soir, quand il a piqué deux ou trois villages acquis au docteur, il s’endort heureux et glorieux comme un choléra qui a fait dix lieues en sa journée.  

 

CHRONIQUE DES THÉÂTRES. - THÉÂTRE-FRANÇAIS.- Le Sage et le fou, Comédie en trois actes, par MM. Méry et Bernard Lopez.

Le Sage et le Fou ! le fou — le vrai sage ; le sage — le vrai fou : celui-ci l’homme du travail à la lampe attardée, de la vie en cravate blanche, des mœurs discrètes ; un jeune homme rangé qui a toutes les vertus d’expérience ; un jeune homme sans fortune et sans créanciers ; un jeune homme du bois dont on fait les notaires, les maris et les héros de drame ; celui-là l’homme du sentiment à fleur de cœur, vivant bon train, mangeant ses revenus, aimant à tous les étages, traitant demain comme un faux de l’almanach ; détaillant

Son cœur à cinq maîtresses sans maigrir,

Belge contrefaçon des mœurs orientales ;

 

prêtant son mouchoir à l’une, à l’autre, à la grisette de la rue Vivienne, à la follette du quartier Bréda, à la maîtresse d’hôtel garni, à la onzième muse, etc., menant le plaisir à toute bride, tapageur d’amour, l’homme du scandale, l’épouvantail des pères et des maris. Et le fou se marie et le sage reste garçon. Comment cela ? direz-vous. C’est que le fou aime toutes les femmes, c’est que le sage aime une femme ; c’est que le fou quitte un amour comme une paire de gants sales, c’est que le sage s’attache comme le lièvre ; c’est que le fou donne cinq congés en un acte, c’est que le sage ne peut rompre une chaîne en trois ; c’est que le fou s’enamoure un quart d’heure, c’est que le sage aime des cinq ans de suite et que ces cinq ans, cinq ans de promenades dans le clair-obscur du sentiment et les mains dans les mains avec une femme qui peint au pastel, — surgissent comme l’ombre de Banco au moment où il veut signer le contrat. Adieu l’étude déjà achetée en songe, les rentes et le ménage, l’avenir et l’ambition permise ! Le fou ramasse la plume, le contrat, les beaux yeux de la cassette ! il promet de ne plus être garçon, de s’occuper de la greffe des pêchers, et d’aller à la messe tous les dimanches.

Les vers sont de charmants vers de Saint-Charlemagne. Ah ! monsieur Méry, nous n’oublions ni Héva, ni la Floride, ni la Guerre du Nizam. Quand reviendrez-vous aux jongles ?

Leroux, — ce marquis palsembleu, ce talon rouge de l’École des bourgeois, habitué à traiter l’amour en grand seigneur, de haut en bas, — s’est fait amoureux bourgeois, prosaïque, convaincu, attendri. M. Maillard a eu de la verve, Mlle Favart a mis en sa diction une âme et une distinction bien faites pour expliquer la folie du sage.  

 

VARIÉTÉS. - Le Roi des drôles, Vaudeville en trois actes, par MM. Duvert et Lauzanne.

Vivat Mascarillus, fourbûm imerator ! Le roi des drôles ! Ô vous qui avez lu le Neveu de Rameau, qui gardez dans votre souvenir cette figure surprenante, le Gambara parasite du siècle des soupers ; ô vous qui par moments vous êtes comme attendri à le voir presqu’un homme, ce valet-né, vivant dans le bourbier, qui de ses vices fait comme ses tailleurs et ses cuisiniers ; ô vous qui vous rappelez ce monstrueux risible, ce misérable qui marche dans ses hontes comme dans une comédie, entre les rhéteurs et les faiseurs de sauces, partageant le matelas du cocher de M. de Soubise et le souper de M. Bertin ; ô vous qui avez lu et relu ces pages d’abîme de Denis Diderot, — n’allez pas aux Variétés !

MM. Duvert et Lauzanne, vous venez d’apprendre ce qu’il en coûte pour braconner sur le drame psychologique, — le plus haut, le plus beau des drames ! — Vous étiez les rois du vaudeville. Arnal vous devait presque autant que vous lui devez. Vous aviez le coq-à-l’âne, vous aviez le vis comica, vous aviez l’esprit, vous aviez la mémoire, vous aviez lu Henri Heine. La Marseillaise, c’est le Ranz des vaches de la liberté, — disait le Rieselbider ; — vous disiez, vous, le Ranz des vaches, c’est la Marseillaise des bestiaux ; et vous étiez applaudis, et les muses inférieures vous souriaient. C’est une mauvaise œuvre que votre Roi des drôles, et ce n’a pas même été un succès.

Où est-il, où est-il dans votre vaudeville, ce Panurge doctrinaire, réduisant tout à la mastication ? « Tout, depuis le maréchal de France jusqu’au savetier, tout se fait pour avoir de quoi se mettre sous la dent. » Ce cynique gourmand, ce frère de Siméon Valette, l’original du Pauvre diable, ce Diogène à genoux, où est-il dans vos trois actes, cet homme qui n’a jamais sentinellé l’avenir, roulant de fange en fange, d’entreteneur en entreteneur, mangeant le présent, attablé à la vie ? Où est-il l’homme-appétit, vivant du droit des filles, des laquais et des chiens, un épagneul à deux jambes, qui fait le beau, et à qui on jette par la gueule un souper de Messelier ? Ah ! comme il dit, il est un pauvre misérable ! Pour vivre, il prend le mot d’un Bouret, un Trimalcion de finance ! Un Bouret a la clef de sa gaieté, de ses chansons, de ses rires et de ses sourires ! C’est un Triboulet sans fille. Quel rien et quelle platitude que cette vie ! Lever les mains au ciel dès que le balourd parle, dire : Ah ! qu’il est savant, et jurer qu’Hipparcus et Aratus n’approchaient point de sa capacité ! — « Mais, monsieur, la voix de l’honneur est bien faible, quand les boyaux crient. »

… En grand pauvreté

Ne gît pas trop grand loyauté.

 

Dîner, souper et le reste. Ah ! les plaisirs de toutes les couleurs, la volupté sans jupe, comme dit Voltaire, il est fait pour tout cela, le neveu de Rameau. — Mais chanter, sauter, jouer à l’ordre, aux heures de monsieur ; voix, esprit, le geste, la parole, la pensée, dépenser tout cela toute la journée ; être gai, faire pouffer, médire, savoir des nouvelles, conter, être les mille langues d’une orgie, être brillant, être drolatique sur un mot comme un automate, tout cela pour la mastication ! — Mais les rissolettes à la Pompadour, la fricassée à la Sidobre ! — Rappelez-lui son oncle, et Castor et Pollux, il s’écriera comme le Cappa de la Courtisane, dans Arétin : Ô suave ! ô douce ! ô divine musique qui s’échappe des broches chargées de cailles, de perdrix, de chapons. Et il appelle, et les yeux ardents, bouche tendue, lèvres rebondies, il semble flairer des épices, des délices, son ventre se gaudit, il goûte au plat mirifique, et du vin il fait un petit lac dans sa bouche qu’il remue à menus coups de langue ! — Il ne rougit qu’après souper, mais à jeun il fait tous les métiers, même les métiers sans nom. Des diamants, des dentelles, ma mignonne ; des chevaux, des laquais ! — J’aurai des dentelles, dit la petite ; elle est prise, et le serpent touche quelques louis. —Mais, monsieur, « avoir la table, le lit, l’habit, veste et culotte, les souliers et la pistole par mois ! » Et il montera des cabales avec Palissot chuté avec sa Zarès, avec Bret chuté avec son Faux généreux, avec Robbé le poëte, avec Corbie, avec Moeth, avec toutes les impuissances et toutes les jalousies ! Il criera : Brava ! à la petite Hus, cette parvenue coquine sans talent comme sans cœur, — (les jolis tours que M. de Cury jouait à M. Michon, de Lyon, chez Mlle Hus !) ; et la petite Hus lui donnera un reliquat de sa défroque, un relief de sa livrée, elle qui vient de recevoir de l’auteur de l’Isle des Fous un mobilier de 500,000 livres ! Et il se pavanera, et il se vêtira d’infamie sans que sa digestion se trouble.

Dans cette symphonie du scepticisme qui a pour dernier mot : l’important est d’aller librement à la garde-robe, vous le voyez tour à tour être fou, être raisonnable, être trivial, être sublime ! Vous le voyez passer des Indes galantes à l’air des Profonds abîmes ; il chante des gavottes, il chante les Lamentations de Jomelli ; tantôt le front ouvert, l’œil ardent, la bouche humide de luxure ; tantôt le visage défait, les yeux éteints, un cou débraillé, des cheveux ébouriffés, vous le voyez se rengorger, approuver, sourire, dédaigner, mépriser, chasser, rappeler, pleurer, rire, se désoler, roucouler, grimacer, rêver, ricaner, crier, tousser, se prosterner, s’égosiller, minauder, hausser, baisser les épaules, s’éplafourdir, sangloter, siffler, lever les yeux au ciel, rire de la tête, du nez, du front, admirer du dos, imiter la basse, contrefaire le fausset ; vous le voyez faire l’abbé tenant son bréviaire, retroussant sa soutane ; vous le voyez faire la femme jouant de l’éventail et se démenant de la croupe ; vous le voyez faire Bouret avec son chapeau sur les yeux, les bras ballants ; vous le voyez entrer dans la peau de tout le monde. Soudain voilà le comédien de Diderot qui se frappe le front avec son poing, se mord les lèvres dessus, dessous, saisit l’archet imaginaire, s’arrête, remonte ou baisse la corde, la pince de l’ongle, bat la mesure du pied, de tout le corps. Et il se jette à un clavecin idéal ; il prélude ; ses doigts volent sur les touches ; il place un triton, une quinte superflue ; il joue, il chante, il déclame, il accompagne enivré, inspiré ; il tâtonne, il se reprend ; la musique galope ; la voix tonne ou prie ; le français, l’italien se succèdent ; les airs de bravoure, les ariettes, les gigues, les triomphes, pêle-mêle tout cela sort du clavecin imaginaire. Il devient la femme qui se pâme de douleur ; il devient « les eaux qui murmurent dans les endroits solitaires. » Puis, la tête perdue et les tempes noyées de sueur, il contrefait les cors, les bassons, les flûtes ; il est à lui tout seul un opéra, les chanteurs, les danseurs, les spectateurs ; et il se démène, et il a la fièvre, et il crie : Monseigneur ! monseigneur ! laissez-moi partir… Ô terre ! reçois mon or, conserve mon trésor, mon âme, mon âme, ma vie !... Ô terre !... Le voilà, le petit ami ! le voilà le petit ami ! Aspitar si non venire… À Zerbina pensereta… Sempre in contrasti con te si sta… En ce gueux, il y a symptôme d’âme !

L’étourdissante comédie de Diderot avec ses deux acteurs, Lui et Moi ! Et quel rôle que Lui ! Il n’y a peut-être pas dans toutes les littératures un étalage plus disparate de sentiments, un heurt plus effrayant de passions, des transfigurations plus soudaines, une plus extravagante mimique, l’illuminisme, le syllogisme brutal, l’ordurier, le pathétique !

Frédérick Lemaître a joué dogmatiquement. Il a scandé ses phrases comme des sentences ; il a pris le plus long pour faire rire… et puis, hélas ! le temps s’en va.

Las ! le temps non, mais nous nous en allons.

La voix perd les ressorts de la jeunesse. Les notes pleureuses, les accentuations basses et brisées abondent. Son jeu, traversé de quelques éclairs, a été tristement et laborieusement mené. Il eût fallu mordre et attendrir. Frédérick a joué de tout son cœur, de tout son zèle et de toute sa voix ; mais je ne pense pas que Bouret eût donné à souper à un pareil drôle.

Nous allions oublier de dire que MM. Duvert et Lauzanne ont ajusté une intrigue au dialogue de Diderot. Rameau s’est marié une première fois sérieusement avec une femme qu’il a abandonnée. — Clarisse-Miroy a joué ce rôle de veuve involontaire avec gaieté et colère. Elle est vive, elle est alerte ; son jeu a la tête près du bonnet ; elle détache le soufflet ; elle joue de la prunelle ; elle est bien jalouse et bien femme. — On fait marier une seconde fois le sacripant à moitié ivre avec une petite demoiselle, mais par un semblant de conjungo où un laquais a fait office du curé. Après la cérémonie, la demoiselle s’est trouvée dans un carrosse qui n’était pas celui de Rameau, et tout est dit, du moins pour Rameau, qui ne songe pas plus à sa première femme qu’à sa seconde. Pour se venger d’avoir été plantée là, Dorothée, — la femme légitime, — fait croire à Rameau que le second mariage a été sérieux, et que le curé était un curé pour de bon. Les trois actes se passent en terreurs de Rameau, qui se croit bigame et qui se voit pendu. La pièce finit au mieux, comme vous imaginez, et le neveu de Rameau promet, avant que la toile tombe, de prendre l’état d’honnête homme.

L’étourdissante comédie, toute stridente de rires qui font mal, — celle de Diderot !

 

 

 

1 Planches publiées dans le Moyen Âge et la Renaissance.

 

 

 

 

 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021