BIBLIOBUS Littérature française

Numéro 27 du 10 juillet 1852.

LES ILLUMINÉS ou LES PRÉCURSEURS DU SOCIALISME DE GÉRARD DE NERVAL - 1 vol. in-18. — Paris, Victor Lecou.

Existences oubliées, portraits effacés, intelligences inédites, mystiques précurseurs : Raoul Spifame, l’abbé de Buquoi, Restif de la Bretonne, Cazotte, Cagliostro, Quintus Aucler ; — un fou, un évasioniste, un romancier, deux illuminés, un néo-païen ; six hommes ayant tous mis quelque chose à la masse de l’idée révolutionnaire ; six hommes dont M. Gérard de Nerval a fait un intéressant volume des pages retrouvées de biographies perdues. Pauvre fou que ce Spifame Des Granges avec son petit coin de royauté à Bicêtre ; pauvre fou, qui a vu un jour à la rentrée du parlement le roi Henri II, et s’est trouvé si ressemblant au roi que, dans sa cervelle dûment écornée, est née l’idée qu’il était le véritable roi. Le roi l’a fait enfermer, et a ordonné qu’il fût traité avec douceur ; et Spifame élabore dans sa prison, de concert avec un autre fou, Claude Vignet, qui se croyait, lui aussi, un poëte royal, une série d’ordonnances imprimées avec une imprimerie de leur façon, ordonnances de fou qui ont eu la singulière bonne fortune de se voir exécutées des années après, pour la plupart. — Après Spifame, c’est l’abbé de Buquoi, dont nous racontions la semaine dernière les évasions. — Puis viennent Cazotte, l’écrivain humoristique, le prophète sinistre, aux hallucinations d’un mangeur d’opium, aux rêveries toutes peuplées de têtes coupées, marchant en plein jour dans le fantastique au Pot d’or ; Cagliostro, l’initiateur ; enfin, Quintus Aucler, tentant de faire revivre au xviiie siècle le paganisme, et, nouvel hiérophante, reprenant à l’antiquité son symbolisme, sa liturgie.

Au milieu de ces biographies, il en est une que M. Gérard de Nerval a caressée avec amour, cherchant et recherchant dans les Contemporains, dans le Cœur humain dévoilé, enfin dans les 230 volumes du fécond romancier, tout ce qui se rapportait à l’homme, tout ce qui était du domaine de ses aventures, tout ce qui racontait sa vie, composant, examinant, analysant, et faisant ressortir de toutes ces recherches, de toutes ces études, de ce long travail, l’autobiographie complète de Restif de la Bretonne. Cette étude, qui prend Restif presque à sa naissance et le conduit à sa mort, est un des plus charmants daguerréotypes littéraires que nous ayons. Au reste, l’écrivain a été merveilleusement servi. Il y a dans cette longue vie, il y a dans ces aventures de cœur, des épisodes d’une grâce, d’une jeunesse, d’un sentiment, d’une vérité, d’un poignant que nous n’avons trouvé nulle part. Dans ce long pèlerinage à travers l’amour, qui commence à Jeannette Rousseau, qui finit à Jeannette Rousseau, qui commence à l’enfance, qui finit après soixante ans d’amourettes de droite et de gauche, d’amourettes gaies, d’amourettes tristes, qui va de Jeannette à Marguerite, de Marguerite à Mme Parangon, de Mme Parangon à Mlle Guéant, de Mlle Guéant à Zéphire, de Zéphire à Sara, de Sara à bien d’autres, et de bien d’autres à Jeannette Rousseau, sa première, sa dernière chanson, — il est un chapitre d’amour tout frais parfumé de jeunesse, où, comme dans le Chandelier, s’éveillent les désirs amoureux d’un jeune Fortunio, doux chapitre qui manque aux Confessions de Rousseau. Restif a été envoyé à l’imprimerie de M. Parangon, à Auxerre. Le voilà à balayer les caractères tombés, à les ramasser, à les recaser ; le voilà à lire la nuit les romans de Mme de Villedieu ; le voilà, le pauvre apprenti, dans la fièvre de son imagination, dans l’humilité de sa petite position, le voilà qui entrevoit la femme de son patron, « le pied le plus délicat qui ait jamais porté une jolie femme. » Mme Parangon a bien vite démêlé le nouvel élève, et Restif devient le lecteur ordinaire de cette autre Jacqueline ; mais ici la Jacqueline est vertueuse, elle aime Restif, mais ne veut pas tromper son mari ; elle nourrit je ne sais quels projets de mariage de Restif avec une sœur à elle. Et quand Restif abuse de sa confiance, — la pauvre femme avait averti Restif, — elle en meurt.

Six jolis contes que ces études de M. Gérard de Nerval, six jolis contes vrais. 

 

CHRONIQUE DES THÉÂTRES. - VAUDEVILLE.- Les Gaietés champêtres, Comédie-vaudeville en deux actes, par MM. Guyard et Durantin.

« Je voudrais bien chanter les Atrides, je voudrais bien chanter Cadmus ; mais mon luth ne veut chanter que l’amour. Je changeai l’autre jour toutes mes cordes, et je me mis à chanter les travaux d’Hercule ; mais, de son côté, il ne chanta que l’amour. Adieu donc pour jamais, héros ! mon luth ne chante que l’amour ! »

C’est la première chanson d’Anacréon.

Ah ! quand le poëte a touché à ton barbitos, ô vieillard de Téos ; quand il a fait sonner d’un doigt agile l’instrument de Terpandre, couché sur les herbes de lotos et les feuilles de myrte ; quand il a voulu réveiller tes odes endormies, le refrain, l’éternel refrain, s’est envolé, joyeux et battant de l’aile : « Adieu, héros ! mon luth ne chante que l’amour ! »

Ainsi, il a dit à l’heure où l’Ourse tourne déjà sous la main du Bootes, à l’heure où les déesses déroulent leurs cheveux parfumés d’ambroisie ; et toc, toc ! Louison et Eugène, comme à un appel de fée, ont monté les quatre étages de la rue de Vaugirard ; et bras dessus, bras dessous, cœur battant neuf, gais comme des pinsons, trente ans à eux deux, frais, pomponnés, attifés, bec à bec, cœur à cœur, trémoussant et de ci et de là ; — Louison, une joue rouge d’un baiser maraudé sur la porte, — Eugène tout fier de sa vieille épée, — bras dessus, bras dessous, ils sont entrés, hardis comme un coup de soleil ! « Voilà les Grâces qui s’en vont ; le charmant Cupidon, le beau Bacchus et la riante Vénus se sauvent aux feux de joie de la place de la Bastille ; les clubs chassent les belles façons de dire ; en ton coin chéri, où chante l’ara vert et jaune, en ton coin chéri, les pieds sur ta peau de lion, les yeux sur tes livres si bien vêtus, les glorieux ! tu entends des bandes d’hommes aller au Luxembourg ! Les jours calmes, la sérénité des anciens jours, la certitude des lendemains, les amitiés protégées, les haines muettes, les ambitions réglées, les dévouements honorés, les muses révérées, — ami, quand reverras-tu cela ? Nous sommes la Jeunesse et l’Amour. Nous venons de la Balance d’Or. Nous allons bien loin… aussi loin que va la jeunesse quand l’amour est du voyage. Et il sera du voyage ! » dit Louison en regardant Eugène. — Elle avait, en son doux parlage, un air à croquer. Elle montrait ses perles, — l’écrin de ses dix-huit ans ! « Viens avec nous, par les bois, le long des eaux claires qui te murmureront mille jolis ressouvenirs d’Ovide. Nous irons à Tibur par Vincennes. Les plaines et les monts, les bois pleins d’ombre, oracles des amants, le chêne de saint Louis et le parc de Fontenay, nous te mènerons par tout ce que tu aimes. Tu nous diras des vers, nous te conterons notre cœur, et tu nous raconteras ! Les Gaietés champêtres, les moissons qui jaunissent aux ardeurs de Phébus, les moutons qui sautent et bêlent, la matinée qui s’éveille, le soir qui soupire comme un cygne du Caïstre, la passerelle sur le ruisselet qui plie sous la lavandière à toucher l’eau et à mouiller ses sabots, gai, gai ! compère, vous aurez tout cela ; et vous me verrez relever ma robe de linon, et vous rencontrerez peut-être Mlle de Lespinasse en route, et, que sais-je ? vous aurez l’idylle ; et, pour vous, Vénus, sous les ombrages de la Brie, dansera avec les jeunes Hyménées. » Ils partirent tous trois, le Chanteur, la Jeunesse et l’Amour. — Attendez que je m’accommode, disait la belle en face d’une glace toute chargée de fleurs peintes par Narcisse Diaz. — J. Janin avait écrit son feuilleton du lundi, que la belle n’était pas encore accommodée !

Le voyage, vous l’avez lu : ce sont des épanouissements, des éblouissements, des agenouillements devant la verdure et le bon soleil ; c’est la Fête-Dieu de la nature — dont Horace semble avoir fait les cantiques ; ce n’est pas un livre, — c’est un mois de mai !

Pour le premier jour de mai,

Soyez bien réveillée !

Je vous apporte un bouquet

Tout de giroflée,

Un bouquet cueilli tout frais

Tout plein de rosée.

Tout y chante en ces pages, l’alouette, les amoureux, la matinée ! Et puis, par-ci par-là, Louison et Eugène accrochent le xviiie siècle, qu’ils ne saluent pas, — tant ils sont à leur affaire, tant ils se sourient sans se détourner, tant ils se voient seuls et ne voient pas autre chose ! Et là, J. Janin s’en donne à cœur-joie contre ce pauvre xviiie siècle qui n’en peut mais, et qui n’est pas son ennemi tant qu’il veut bien le dire. C’est qu’il la sait, sur le bout du doigt, cette diablesse d’époque, — le xviiie siècle ! — Il est des deux ou trois antiquaires qui savent différencier l’ample perruque du robin de la vergette du petit-maître, la boucle militaire de l’officier de l’énorme catogan du batteur de pavés ; il sait les papillottes et les bichonnages ; il sait le diable et la vinaigrette ; il sait quel jour Daquin touchera l’orgue, et le nom de l’impure qui a orné ses chevaux de marcassite au dernier Longchamps, et qu’aux gratis, les charbonniers ont le balcon du côté du roi et les poissardes du côté de la reine, et que Crébillon fils mange cent douzaines d’huîtres.

De toutes ces visions charmantes et énamourées, on a fait une pièce, et, chose étonnante ! la pièce a réussi, — mais beaucoup et du meilleur succès. Louison et Eugène ont enjambé les planches en enfants de l’amour, avec leur sourire et la belle chanson de leurs beaux yeux, les braves enfants ! Le public s’est laissé aller à se rappeler le livre devant la rampe, et, à la fin, il s’est trouvé applaudissant tout et tous, acteurs et auteurs, et les Gaietés champêtres de Michel Lévy, et les Gaietés champêtres du Vaudeville, et Mlle Saint-Marc, et Mme Bader, et M. Luguet, et M. Julian, — et J. Janin.

 

Numéro 28 du 17 juillet 1852.

Date de dernière mise à jour : 07/04/2016