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BIBLIOBUS Littérature française

Numéro 24 du 19 juin 1852.

MADAME DU NOYER.

« Et que dit le bonhomme Métra ? » disait le roi Louis XVI, en se promenant à Versailles.

« Et que dit votre bonhomme Métra ? » demande-t-on à chaque siècle, quelque nom qu’ait son Métra, quelque forme qu’ait sa correspondance secrète : Lettres, Mémoires, Romans, Mme de Sévigné, Brantôme ou Pétrone.

Les anecdotes sont les indiscrétions de l’histoire. C’est Clio à son petit lever. La Muse, avant de donner audience aux grands événements, à toutes les choses officielles d’une époque, avant de relever l’état civil d’une nation, avant d’aller au grave et au sérieux de la vie publique de l’humanité ; les levers et couchers d’empires, les discordes populaires, les armées victorieuses, le forum, le palais, les camps ; la Muse est femme : Diogène Laerce la repose de Thucydide. Elle accueille tous et toutes, pourvu qu’on sache et qu’on dise. Elle a sa cour de conteurs qui écrivent au pied de son lit, et qu’elle s’oublie parfois à applaudir comme de grands historiens : Saint-Simon sort de chez elle par la porte où sortit le gazetier Loret.

Alors, à l’encouragement de ses sourires, l’Anecdote va jupe courte, trottant menu, tournure leste ; l’Anecdote va et court et se glisse. Elle se penche pour mieux entendre, elle monte sur les chaises pour mieux voir ; elle va dans les coulisses, elle voit allumer les chandelles de toutes les tragédies ; elle entre partout, elle lève tous les toits ; elle sait le dessous des masques, le dessous des cartes, le dedans des alcôves ; elle est accueillie partout, parce qu’elle est une médisante ; elle est puissante déjà, parce qu’elle sera la Presse. L’Anecdote ! sorte de bouche de bronze, à la façon de Paris, où l’on jette la vérité en riant !

« Les plus haultz et les plus glorieux exploits ne sont pas toujours ceulx qui monstrent mieulx le vice ou la vertu de l’homme. Ains bien souvent une légère chose, une parole ou un jeu, mettent plus clairement en évidence le naturel des personnes, que ne font pas des défaictes où il sera demouré dix mille hommes morts, ne les grosses batailles, ne les prises de villes par siege ou par assault. » — À la fin du xviie siècle, bien avant Métra, bien avant Bachaumont, une femme lut cette phrase de Plutarque, et la retint.

Les Lettres historiques et galantes de Mme Du Noyer sont toutes pleines de ces riens précieux dont le biographe de Chéronée aimait à faire moisson. « Elle les a remplies. — dit un livre de 1769. — de tout ce qu’elle a vu, de tout ce qu’elle a sçu. » Les nouvelles de la cour, les bruits de la ville, les scandales déjà éclatants du théàtre, Mme Du Noyer a une oreille pour tout voir. Elle conte le dernier bout-rimé et le dernier adultère, ce que dit le roi, ce soleil encapuchonné, ce que fait Mme de Maintenon. Tous les grands personnages du grand siècle passent devant son crayon léger, sans se donner la peine de poser pour lui ; c’est le déshabillé de Versailles, déshabillé parfois cynique, toujours curieux. Les allures du monde d’alors, les habitudes de la société, les chansons qui courent sous le manteau, les causes microscopiques de grands évènements, des détails à la l’Estoile ; une histoire de cœur venant dans tout ce caquetage, une page comme un dessin d’Hogarth brochant là-dessus, des drames comme la Mademoiselle de Scudéry d’Hoffmann, les nouvelles de l’armée, si on se bat, les bulletins de la mode, qu’on se batte ou non ; tout cela défile, pêle-mêle, une nouvelle poussant l’autre, dans cet amusant Courrier de Paris !

Aujourd’hui Mme Du Noyer est allée voir se baigner à la porte Saint-Bernard. — Vous vous rappelez la phrase de La Bruyère sur les baigneurs et les curieuses ; tous les carrosses du Cours peuplaient le bord de l’eau, et autour des tentes ce n’étaient que dieux marins des plus haut nommés et impures des plus célèbres. Les deux Loisons ne manquaient à la fête, comme bien vous pensez ; comme bien vous pensez, le duc de Chartres gardait la tente des jolies demoiselles. Insultées par une femme de robin, Mme Du Noyer les a entendues crier : « À moi, monsieur, voyez comme on nous traite ! — Mesdames, a répondu le duc, je veux bien partager vos plaisirs, mais non pas vos querelles. » Demain, Mme Du Noyer ira à la chapelle de Versailles, et verra le roi, monseigneur le duc de Bourgogne, la princesse de Conti, et tout le reste de la famille royale. Demain, elle verra le roi, au sortir de table, partir pour Marly, et Mme de Maintenon, « habillée d’un damas de feuille-morte tout uni, coiffée en battant-l’œil, et n’ayant pour toute parure qu’une croix de quatre diamants, pendue à son cou, la seule chose à quoi l’on ait donné son nom, se placer dans le fond du carrosse, à côté du roi, prendre ses lunettes et se mettre à travailler à un morceau de tapisserie. » Mme Du Noyer aura rendu visite hier à Mlle de Scudéry : elles auront causé ensemble de l’abbé Fléchier, leur ami commun. Elle l’aura toujours trouvée la même pour l’esprit ; mais, hélas ! de cette dixième muse, le temps a fait comme une sibylle Cumée, à laquelle quatre-vingt-douze ans n’ont plus laissé que la parole. Clélie est sourde, et deux ou trois demoiselles lui passent à tout moment des papiers où elles ont griffonné tout ce qu’on vient de lui dire. Mme Du Noyer vous nommera les actrices qui appartiennent à la maison du roi ; et c’est sa plume indiscrète que quatre-vingt ans plus tard, au temps des Beaumenil, des Guimard, des Darcy, des Hingel, des Arnout, ramassera le Gazetier cuirassé. « C’est la Raisin, chuchote Mme Du Noyer, qui a supplanté la marquise du Rourc auprès de Monseigneur ; le duc de Valentinois a pris la petite du Fort de l’Opéra ; le grand-prieur et Fanchon Moreau donnent à souper aux gens de condition à Clichy ; la Florence trompe le duc de Chartres au profit du petit baron. » Mme Du Noyer saura d’original qu’un curé a harangué le duc d’Anjou devenu roi d’Espagne, de ce noël naïf :

Tous les bourgeois de Chartre et ceux de Montlhéry,

Mènent fort grande joye cette journée-ici ;

Petit-fils de Louis, que Dieu vous accompagne,

Et qu’un prince si bon, don, don,

Cent ans et par delà, la, la

Règne dedans l’Espagne.

Que Fénelon soit persécuté, enlevé au duc de Bourgogne, condamné en cour de Rome, en 1699, après avoir été élevé à l’archevêché de Cambrai, en 1695, condamné pour un livre qui, des années, avait circulé dans le royaume sans entraves, sans poursuites, condamné pour la cause d’une vieille amie que Mme de Maintenon avait tirée de prison, et fait asseoir à la table de Saint-Cyr, Mme Du Noyer vous dira le pourquoi humain de ce revirement. Il ne suffisait plus à Mme de Maintenon que le roi se rendît tous les jours dans sa chambre, y restât jusqu’à dix heures, jusqu’à son souper ; il ne lui suffisait plus que le roi reçût chez elle M. de Pont-Chartrain ; il ne lui suffisait plus qu’à chaque proposition du contrôleur-général des finances, le roi se tournât de son côté pendant qu’elle filait, et lui demandât : « Que dites-vous à cela, madame ? » Elle voulait être reine déclarée. Le père La Chaise était alors confesseur du roi ; homme fin, sachant le jeu de la cour, et n’ignorant pas qu’il est des circonstances où il est dangereux d’avoir un avis. Mme de Maintenon, dans un quart d’heure de tendresse, obtint du roi qu’il consulterait son confesseur. Le père La Chaise feignit une modestie de casuiste et se fit charger par le roi d’aller chercher M. de Fénelon. M. de Fénelon, en entrant dans le cabinet du roi se jeta à ses pieds, et lui représenta « que la bizarrerie d’un pareil éclat lui feroit plus de tort dans la postérité qu’il n’en recueilleroit de douceurs pendant sa vie. » Le roi avait promis de ne pas trahir le donneur d’avis. Mme de Maintenon eut bien vite raison de la promesse de son amant. M. de Meaux, jaloux qu’on ne lui eût pas confié l’éducation du duc de Bourgogne, se trouva à point pour la vengeance.

Voulez-vous quelques silhouettes de la cour ? N’en déplaise à Voltaire, Mme Du Noyer savait assez bien ses personnages. Le duc de Bourgogne est sombre et dévot ; le duc de Berri est gai et tout plein « de saillies les plus plaisantes du monde ; Mme la duchesse de Bourgogne aime extrêmement la danse, et on la lui laisse aimer pour qu’elle n’aime pas autre chose. Elle aime aussi le vin et la table, et après boire elle fait de charmants vers qui ne respectent ni le roi, ni son mari, ni ses belles-sœurs, ni la décence, ni personne au monde. » Sur le carillon, Orléans, Boisgenci, lorsque Mme de Florensac accoucha, et qu’une personne demanda tout bas à Mme la duchesse, qui elle croyait qui fût le père de cet enfant, elle chanta en faisant dandiner un tabouret avec son pied :

Monseigneur, le Conti,

Le petit duc mon mari,

Tant d’autres là, tant d’autres ici,

Tant d’autres.

Pour le roi Jacques sur l’air de Lampons :

À Jacques, disoit Louis,

À Jacques, disoit Louis,

De Galles est-il votre fils ?

De Galles est-il votre fils ?

Oui, dit-il, ne vous déplaise,

Comme vous de Louis treize,

Lampons, lampons.

Voici les vers qu’elle improvisa en frappant, avec Mme la duchesse, Mme de Chartres, Mme de Conti, et trois autres filles de l’amour, à la porte de la chambre de Mme de Maintenon où le roi se trouvait :

Nous sommes demi-douzaine

Qui avons passé quinze ans,

Nous valons bien la peine

Qu’on nous mette dedans.

Ouvrez-nous donc, c’est l’amour qui nous mène,

Nous sommes ses enfants :

Ouvrez-nous donc, nous valons bien la peine

Qu’on nous mette dedans.

Et encore ceux-ci :

Il faut se réjouir, François,

Et chanter tous à haute voix,

Que Dieu bénisse la besogne

De M. le duc de Bourgogne.

Il est bien jeune, Dieu merci,

Et madame sa femme aussi :

Bonne sera donc la besogne

De M. le duc de Bourgogne.

Content sera le grand papa,

Et de tout son cœur en rira

Quand il verra de la besogne

De M. le duc de Bourgogne.

Elle est gaie, elle est folle, elle est vive ; elle rit au nez de l’étiquette ; elle reçoit l’évêque de Metz en chantant à tue-tête :

Faites décrotter vos souliers,

Monsieur l’abbé.

C’est la seule joie épanouie en ce pays de la cour, si triste maintenant : le roi est vieux, Monseigneur est à la chasse, le duc de Bourgogne à la messe. Aussi comme le roi la choie, la caresse ! comme il la gâte ! comme il est clément à ses espiègleries ! Comme il apprécie ses trésors de vivacité ! comme il se repose d’être roi à ses séances de mimique, où la petite duchesse amène devant lui, hommes et femmes, toutes les marionnettes de Versailles, tels que la méchante les a vus, difformes de corps, difformes d’esprit, faisant la voix et le geste, et faisant ridicule tout le monde, et son mari d’abord ! C’est encore la duchesse de Bourgogne à sa Vacherie de Trianon, que vient de lui donner son père pour une soirée de rire, affolée à traire les vaches, à battre le beurre, comme une Marie-Antoinette.

Après les princes et les princesses, voilà les ministres et l’histoire des deux filles du marquis d’Alègre.

Le marquis d’Alègre avait deux filles. La première fut mariée à M. de Seignelay. Ce mariage, sollicité par M. Colbert, favorisé par le roi, consenti à grand’peine par la famille, qui savait les habitudes brutales du fils du ministre, tourna mal. Comme M. de Seignelay était un matin à la toilette de sa femme, il jeta sa perruque sur sa toilette et renversa quelque boîte à mouches. Mme de Seignelay repoussa la perruque, qui tomba à terre. Le mari donna un soufflet à sa femme. Le roi, en mariant Mlle Alègre, lui avait recommandé de se plaindre à lui au moindre sujet de plainte que lui donnerait son futur époux. Informé du soufflet, il fit venir M. Colbert, et lui fit des reproches de la conduite de son fils. Au sortir de chez le roi, M. Colbert alla trouver M. de Seignelay « et le régala de quelques coups de bâton. » Mme de Seignelay, qui était grosse, prise de saisissement, fit une fausse couche qui l’emporta. — L’autre fille du marquis d’Alègre avait été mariée à M. de Barbezieux. Victime d’une des galanteries de ce ministre à bonnes fortunes, M. le duc d’Elbeuf fit la cour à Mme de Barbezieux. L’histoire ne dit pas si Mme de Barbezieux se prêta à la vengeance. Mais, malgré l’assurance que le duc d’Elbeuf donna au roi « qu’il ne s’étoit rien passé entre Mme de Barbezieux et lui qui pût alarmer la plus sévère vertu, » M. de Barbezieux empoisonna sa femme. Avertie par la femme de chambre qui lui apportait le bouillon, Mme de Barbezieux n’avala que la moitié du poison, et tomba en langueur. Le marquis d’Alègre, qui fit part au roi de ses soupçons, reçut de lui cette réponse, « que, puisque M. de Barbezieux étoit à son service, on ne pouvoit pas le croire capable d’un crime comme celui dont il venoit l’accuser. »

 

 

(La suite au prochain numéro.)

 

CHRONIQUE DES THÉÂTRES.- PORTE-SAINT-MARTIN.- Les nuits de la Seine, mélodrame en cinq actes et neuf tableaux ; — Le professeur de langue verte, prologue, par M. Marc Fournier.

Ô Seine ! ô naïades heureuses de Paris et d’Asnières ! naïades qui avez vu Gavarni dîner chez la mère Laroche, — la mère Laroche, dynastie caverneuse comme les burgraves d’Hugo ; qui avez vu Eugène Sue commencer son Île des ravageurs à la Maison Rouge ; naïades, qu’ont éveillées si souvent les refrains de la Marie Michon ; naïades, qui baignez de votre onde Gastal, le restaurant de la Grande-Girafe, et Gaspard Gorisse, le Rendez-vous de la Marine ! divinités mouillées qui contez dans vos palais de cristal, les amours fleuries du canotier !

Ô Seine ! toi qui baignes l’Hôtel-Dieu, la Morgue et le Bas-Meudon, — sois ma muse !

Les nuits de la Seine ! — Ah ! dites, n’avez-vous pas, en juillet, plié les rames fatiguées, sous le ciel garni d’étoiles, pour laisser voguer la yole sous le berceau des saules, sur l’eau sombre, sous les feuillages noirs ? À peine une lanterne était à votre proue ; et la yole descendait les îles, frôlant les herbes doucement froissées, allant à l’aventure, tout le long, tout le long de l’eau. Dites, n’avez-vous pas, ainsi portés par le courant, rêvé une heure ou deux, dans le silence de la rivière endormie, dans le clair du ciel allumé, — rêvé deux à deux ?

Et, tout d’abord, déclarons par-devant le public le drame de M. Fournier le plus amusant drame de toute la saison dramatique.

C’est la rue aux Fèves au bord de l’eau ; l’ogresse, et le chourineur, et le maître d’école, occupés à pêcher à la main ce qui passe, épaves ou cadavres. Les lariflas d’un canot font invasion dans l’argot du bouge riverain ; et les filles de l’Opéra de l’équipe du Belzébuth viennent danser une chacone, au pied levé, dans le club des écumeurs d’eau douce. Mélodrame formidolose, à changements de vues, de costumes, d’incidents ! L’intérêt y court la poste ; les larmes et le rire y font tapage ; les coquins y crient comme une majorité ; les crimes s’y bousculent ; les dévouements prennent les gueuseries au collet et tiennent bon. C’est une mêlée, un brouhaha, un salon, un tapis-franc, des noyades, une folie, et des bâtards à ne pas dormir de huit jours si vous êtes marié.

« L’ouverture doit être l’idée de la pièce entière, » disait, l’an 1737, un pauvre Allemand, M. Scheibe, qui a essayé de composer « des symphonies adaptées au sujet de Polyeucte et Mithridate. » Ah ! brave monsieur Scheibe, notre ouverture à notre tragédie n’est pas faite « pour affaiblir l’intérêt du spectateur. » Le Professeur de la langue verte, voilà comme elle s’appelle, notre ouverture, digne monsieur Scheibe !

Franchement, monsieur Fournier, votre pièce arrive à temps pour nous faire bonne bouche, après tous ces ennuis qui furent des succès : Marianne, le Château de Grantier, etc., drames où l’on pleurait, je crois, sur la foi du feuilleton, les plus ennuyeux drames que j’aie vus, — où vous aviez toujours un voisin pour vous dire : Mais, monsieur, c’est littéraire !

Esquissons les personnages, si vous voulez bien, ami lecteur. Roncevaux est un coquin, mais coquin ayant du linge, presque un nom ; ayant mangé l’argent de sa femme, couru tous les tapis verts d’Allemagne ; ayant piqué trente mille cartes pour bizeauter le hasard, et n’ayant pas réussi ; drôle sans le sou, scélérat à jeun et qui a faim, un larron de science et de talent au reste ; voleur toujours, et tueur si l’occasion l’en prie un peu ; sorte de mauvais dieu qui fait la fatalité dans la pièce. François, dit le Mariolle, est un autre coquin, cunctator celui-là, coquin expectatif, Jocrisse à deux faces, un espion niais, comme le Jocrisse du Juif Errant. C’est Poussier, un brave homme manqué, qui a la manie de se bâtir une maison avec tout ce qu’il trouve, un moellon ou un billet de banque ! un cœur d’or fourvoyé en mauvaise compagnie ; Poussier, qui fera du mal sans le savoir, et du bien sans le vouloir ; bête plutôt qu’homme ; des instincts plutôt que des sentiments. C’est Mme de Flavignan : « Je n’ai vécu que par l’amour ! » disait Mlle de Lespinasse ; Mme de Flavignan, l’épouse de Roncevaux, l’amante du général de Flavignan ; pauvre femme, ballottée par toute la pièce, mère à qui l’on vole ses enfants, épouse que son mari veut faire chanter, puis, folle et la tête perdue de tant de chutes dans la boue, de tant de déchirements de cœur, folle, descendant à pas lents les escaliers comme une statue de marbre, sans regard, le cœur froid comme un mort, faisant du filet chez des pêcheurs, devenue la Filoche et ne sachant plus rien d’elle-même. C’est à côté d’elle, et la réconfortant par-ci par-là, la Grignotte, une sœur, comme type, du Poussier ; bonne femme du peuple, dépaysée, elle aussi, dans cette caverne, et qui voudrait bien se ranger pour placer honnêtement à la caisse d’épargne. C’est Frise-Linotte, le gamin, Frise-Linotte, le voyou :

Au corps chétif, au teint jaune comme un vieux sou ;

Frise-Linotte, un bon garçon en herbe, ayant le cœur sur la main et la colère au bout des doigts ; sachant la savate de naissance, enfant de Paris, né d’un pavé, bercé par une femme qui passait, le Bixiou des éventaires ; un trésor de pitié en somme que ce Frise-Linotte ; et s’il ne repêche pas les vicomtes, comme son aîné le Gamin de Paris, empêchant du moins qu’on ne les jette à l’eau ; le gamin des révolutions et des drames, leste, pétillant, généreux... comme un voleur ! — Puis, au-dessus de cela, rayonnant comme deux probités, de Flavignan et Renaud : Renaud, un Cambronne inédit, bon serviteur, bon soldat ; Flavignan, un Ajax de tribune, un général Foy !

Mêlez tout ça et ce que je ne dis pas ; mêlez-le avec la science et l’entente de M. Fournier ; mettez Roncevaux aux prises avec Flavignan ; logez la folie chez le crime ; séparez les enfants de la mère ; amoncelez les catastrophes, les déshonneurs, les ruines et les misères ; puis faites crouler une maison, écrasez Roncevaux ; habillez Tortillard en Providence ; rendez les enfants à la mère, et la mère à la raison ; — et vous aurez un excellent gros drame qui ne volera ni son succès, ni l’argent des gens qui iront constater le succès.

Hélas ! oui, on est bien loin de ce temps où le bonhomme d’Aubignac écrivait : « La Théodore de M. Corneille n’a pas eu tout le succès, ni toute l’approbation qu’elle méritait. C’est une pièce dont la constitution est très-ingénieuse, où l’intrigue est bien conduite et bien variée, où ce que l’histoire donne est fort bien manié, où les changements sont fort judicieux. Mais parce que le théâtre tourne sur la prostitution, le sujet n’en a pu plaire. » Pour une petite horreur ! — nos ancêtres étaient bien virginaux !

Roncevaux-Brignon, de Flavignan-Drouville, de Romany-Luguet, Mme de Flavignan-Mme Laurent, la Grignotte-Mme Bligny ; acteurs et actrices ont été bons, très-bons ; mieux que cela, ils ont joué d’ensemble. Chéri-Louis a fait de Renaud une création. Colbrun a dit un : Alfred ! pas de gestes ! qui a électrisé le cintre. Quant à Boutin, nous l’avons acclamé dans le rôle de Pailleux. Dans le rôle de Poussier, il a encore été merveilleux de vrai et d’art. Il a des gestes, des manières de marcher, des tonalités magnifiques. Vous verrez que dans deux ans, le paradoxe : Boutin est un des premiers acteurs de Paris ! courra la critique comme une trivialité.

Bon pour cent représentations.

 

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Numéro 26 du 3 juillet 1852.

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Date de dernière mise à jour : 07/04/2016