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BIBLIOBUS Littérature française

Numéro 16 du 24 avril 1852.

CHRONIQUE DES  THÉÂTRES.- THÉÂTRE-français.

Le Bonhomme Jadis, comédie en un acte et en prose, parM. Henri Murger.

Nous sommes heureux d’être les premiers à applaudir le Bonhomme Jadis.

Fraîches amours au cinquième étage, de toit à toit ! Fenêtres à qui le soleil donne son premier baiser, enfants de vingt ans qui s’ouvrent à la jeunesse ! Les sourires qui voisinent, les cœurs qui se donnent la main, au travers la rue, tout bas, sans se l’avouer, sans le croire ! Innocentes et saintes pudeurs qui nichez dans la mansarde, – dit-on, – c’est vous que M. Murger a chantées !

Le bonhomme Jadis ! ainsi il se nomme. Le bonhomme Jadis ! il est vieux ; mais la vieillesse n’a pas sonné le couvre-feu de sa gaieté. Il est de ces vieillards de vieille roche qui ne vieillissent point ; il est allègre, il est épanoui, il est content. Il ne boude ni la jeunesse ni le soleil : il sourit à l’amour des jeunes, comme un homme qui relirait dans un beau livre le premier chapitre de sa vie. Que les violons chantent tradéridéra, ses jambes et lui se souviendront ; ses jambes et lui voudront danser ! À table ! à table ! et que le verre du bonhomme Jadis trinque à toutes les aurores, à tous les aujourd’hui, trinque à l’éveil des cœurs ! – Octave est le voisin de M. Jadis. Jacqueline est la voisine de M. Jadis. Entre M. Octave et Mlle Jacqueline, il y a ce que vous savez : vingt ans d’un côté, quinze de l’autre. Mais M. Octave est une demoiselle : Je n’ai pas de maîtresse, monsieur. – Et Jadis de lui dire : Vous en êtes bien sûr ? Pour Mlle Jacqueline, elle a le cœur bon garçon ; mon Dieu ! elle a, pour serrer les bouquets que jette M. Octave dans sa chambre, un bien joli herbier à gauche, près de sa ceinture, dans sa petite robe rose ; mais ce M. Octave ! ce M. Octave ! – Heureusement que le bonhomme Jadis est là ; qu’il se fait le recruteur de la conscription de l’amour, le courtier de deux amours qui chuchotent en dedans et n’osent se parler, le proxénète – moral – de ces deux virginités ; heureusement qu’il vous les fait s’aimer et promptement, et se le dire et franchement ; heureusement qu’il les invite l’un et l’autre ; qu’il fait attabler ces deux printemps à la fête de ses soixante ans ; qu’il tire les cartes à leur amour, et qu’il leur dit : Il retourne cœur ! Heureusement que le bonhomme a un tas de gros sous qui font des louis, un tas de gros sous ramassés au grand soleil du travail, et qu’il donne cela au petit ménage ; heureusement qu’il fait Octave jaloux pour le faire hardi, qu’il le fait hardi pour le faire heureux ! – Ce père jadis est le Vieillard des Bonnes gens !

La petite comédie de M. Murger est très-jolie et très-charmante et très-bien finie. Taillée dans un patron de Musset, elle est vive, leste, pimpante d’allures ; elle marche, jupe retroussée, tout égayée de la verdissante vieillesse de Provost. Nous reprocherons à la pièce certaines longueurs, la tirade de l’argent, par exemple ; mais les mots sont heureux, peut-être moins heureux que dans la Vie de Bohême. Un des meilleurs, – si ce n’est le meilleur, – est celui d’Octave se trompant et prenant pour boire le verre de Jadis. – Mais, jeune homme ! dit Jadis. – Pardon, je croyais que c’était celui de mademoiselle. La pièce a été, disons-le, très-bien acceptée. M. Murger nous disait craindre pour le tempérament des Français le décor et les personnages de sa mansarde. Il peut se rassurer. L’originalité de cette nouvelle Mimi, originalité un peu mélangée d’eau cette fois-ci, n’a trouvé le public ni froid ni étonné. Mlle Jacqueline est entrée sous les traits de Mlle Fix, et personne n’a songé à lui demander d’où elle venait, où elle allait, qui elle était, et nul ne s’est voilé la face à voir entrer au théâtre de la rue Richelieu un peu de la vie réelle dans la comédie.

Provost a fait beaucoup pour la pièce. C’était justice. La pièce avait beaucoup fait pour lui. Son habit vert lui va très-bien, et sa gaieté aussi.

Et maintenant à quand les Buveurs d’eau ? 

 

THÉÂTRE - National.

Napoléon a Schœnbrun et à Sainte-Hélène,par M. Dupeuty.

Le directeur du Cirque s’est plaint de la vivacité de nos attaques, à propos d’une appréciation de la pièce de M. Latour de Saint-Ibars, pièce déjà enterrée. Il devrait plutôt nous remercier, si notre critique a eu quelque prise sur lui, de l’avoir renvoyé aux vraies pièces du Cirque, à l’Empire, à la poudre, à l’Épopée des invalides, à tout ce qui a fait la fortune de son théâtre, à tout ce qui peut la faire encore.

Au reste, nous le savons, l’allure de notre critique déroute assez MM. les directeurs, habitués, à ce qu’il paraît, à trouver des raisons aux opinions. Ils sont fort intrigués de nous trouver amis ou ennemis, selon les pièces qu’ils donnent. Nous leur dirons notre secret : nous n’avons guère de parti pris, et nous tâchons d’avoir un peu de conscience, – un bien petit, comme dirait Marot.

Que M. le directeur du Cirque nous donne des apothéoses un peu moins étriquées, qu’il nous donne des armées françaises un peu moins espagnoles, – plus d’état-major que de troupes,– et nous applaudirons à l’entrain de son Hubert – M. Pastelot ; à la dignité de son Frédéric – M. Benjamen ; nous applaudirons Joséphine par-dessus le marché ; nous applaudirons surtout, et des deux mains, et tant qu’il voudra, à Gobert. Dans ces deux grandes pages détachées de la vie de l’Empereur, dans cette antithétique mise en scène de la grandeur et de la chute, Gobert a porté tout le temps, sans plier, le faix du grand souvenir ; il a endossé en grand artiste la redingote grise et la robe de chambre nankin ; il a été le personnage traditionnel ; il a rendu, en comédien consommé, les brusqueries et les abruptes transitions de voix, les mains derrière le dos, le pas puissant, l’énergie brève, les émotions broyées, les jeux de physionomie, les allures, les attitudes, les tics, toute la mimique impériale. La tête qu’il se fait pour venir mourir est saisissante, et lorsqu’il est sur le lit, et qu’il essaie d’étendre sur lui son manteau de Wagram, et qu’il crispe, à le tirer, ses mains moribondes, et que ses bras vaguent dans le vide ; – … c’est beau, c’est effrayant ! – Nos deux grands comédiens historiques seraient-ils, à l’heure qu’il est : Geffroy et Gobert ? - FIN

 

 

Numéro 17 du 1er mai 1852.

 

Date de dernière mise à jour : 05/04/2016