BIBLIOBUS Littérature française

Numéro 12 du 27 mars 1852.

LÉGENDES d’artistes.- Louis Roguet.

Et ce sont, dès l’enfance comme dans l’histoire de tous les sculpteurs, des tentatives, des essais. Les angles des pupitres du collège d’Orléans se découpent en silhouettes caricaturales ; la neige, la terre, la cire, tout vient prendre forme aux doigts du jeune modeleur. L’attention s’éveille autour de ces débuts : vient l’époque des études sérieuses, des études du matin au soir, des expériences, des tâtonnements, des luttes avec la forme, des premiers travaux, des premiers encouragements. Le rayonnement n’est pas considérable. Mais le portrait de l’assassin Abraham Serain derrière les barreaux de sa prison, un groupe représentant un Fils recevant les derniers soupirs de sa Mère, éveillent la curiosité. Les charges de quelques notables, inspirées de l’humour de Dantan, le font redoutable dans une ville de province : c’est le succès.

Mais Roguet ne s’abuse pas ; il sait tout le premier la faiblesse de ces commencements. Il a soif de Paris, de Paris où l’étude a des comparaisons, des modèles ; de Paris où le travail rend tout ce qu’on lui donne. Il veut un public. Il sait que là de vrais jugeurs font justice des grands hommes de province et des génies de sous-préfecture ; il sait que c’est un crible immense qui sépare le bon grain de l’ivraie ; il le sait, et il part. Il descend à l’atelier de Drolling, et attaque la glaise avec fureur, n’interrompant l’académie que pour courir à l’amphithéâtre, et puissant dans sa constitution herculéenne la force de recommencer tous les jours. Voici les bustes de Boursy, Jules Saladin, Béhic, Paillet, Choppin, Buchon, David, Baroche, de Larochejaquelein, les uns originaux, les autres copiés, mais des copies redoutables aux maîtres ; voici les figurines de Mme Paillet, de Mlle Méquillet dans le rôle de Valentine des Huguenots, d’Audran dans Ne touchez pas à la Reine ; voici trois médailles obtenues en 1844, 1845, 1847. De ses esquisses perdues, nous nous rappelons une étude de la Nuit, la tête penchée en arrière, effleurant d’un pied le globe terrestre, laissant tomber de ses bras relevés une draperie toute constellée d’étoiles. La draperie voletait jusqu’aux pieds, nuageuse et perdue, dessinant ce beau corps, le caressant avec des ondulations des vagues ou comme des ailes de gaze rayonnant tout autour.

Mais ce fut un jour de rêverie que Roguet jeta sur la glaise cette sœur de la Melancolia, un jour qui n’eut guère de lendemains. Là n’était point sa veine. Ce qu’il fallait à Roguet, c’étaient des larges musculatures, les formes plébéiennes de la matrone romaine, les enfants charnus à la Jules Romain, les mêlées aux lignes impétueuses, les pantomimes héroïques, les fougues d’une pensée matérialiste, un combat, une victoire à couler dans le bronze, à décorer un arc triomphal ; ce qu’il lui fallait, c’étaient les contours terribles. Michel-Ange allait à lui.

L’homme se traduisait dans ses œuvres. Doué d’une vigueur d’athlète, prenant plaisir aux tours de force, et l’emportant sur tous ; faisant de son atelier une sorte de palestre ; exerçant ses bras pour retrouver chez lui les lignes qu’il aimait en ses modèles ; jetant un jour un municipal et son cheval à terre ; vivant d’après les anciens préceptes du gymnaste ; buvant de l’eau, se privant de Vénus ; – c’était un des derniers fanatiques de la force, et de l’image de la force. Il vous prenait une admiration et un étonnement à regarder cette tête qui rappelait le masque despotique du Jupiter Olympien, ces yeux de lion, ces sourcils épais, ce front et ce nez droits, ce menton court, ce front haut et large, ces cheveux tombant du sommet de la tête comme une crinière blonde.

Caractère d’une âpreté dominante, nature batailleuse, se cabrant pour un rien, il voulait tout autour de lui des amitiés souples et maniables qui ne lui fissent pas ombrage. Violent comme une énergie qui a conscience d’elle-même, il adorait sa mère ; mais, dans son adoration, n’entrait-il pas un peu de reconnaissance pour l’affection soumise et comme obéissante que lui portait l’excellente femme ? – Âme valeureuse faite pour la lutte et pour les chocs, taillée à grands coups ; une âme du xvie siècle dépaysée dans le nôtre. Mais dévoué garçon, mais tout débordant de franchise, mais loyal, loyal à ce point qu’il ne douta jamais de la loyauté de personne, et qu’un jour, il lui arriva, sur le terrain, de dire à un adversaire de première force : Monsieur, je n’ai jamais touché une arme. Je vous demande un an pour vous rendre raison.

En 1848, l’élève de Duret concourut pour le prix de Rome, et obtint le second grand prix.

Puis on mit la statue de la République au concours. Roguet vêtit son esquisse du drapeau tricolore, la hampe du drapeau appuyée contre le sein gauche, une épée à la main, un pied sur un pavé. Cette République, emportée comme la Liberté de Delacroix, mais toute magnifique de sérénité en sa fièvre, – le meilleur, sans contredit, de tous les envois, – fut jugée digne d’être exécutée en grand modèle et coulée en bronze.

Mais déjà une toux sèche le fatiguait. Le cheval qu’il avait jeté à terre lui avait un moment reculé sur la poitrine, et depuis ce moment il éprouvait des malaises ; puis ce furent des douleurs. On lui conseilla le repos ; mais il se souciait bien de cela vraiment ! Il entre en loge tout enfiévré, et malade à ce point qu’il est obligé de demander un matelas pour se jeter dessus à l’heure de ses redoublements de fièvre. Le vingt-deuxième jour, l’ébauchoir lui tombe des mains, et son bas-relief reste inachevé. Le jury des beaux-arts est appelé à juger le bas-relief inachevé : Teucer blessé par Hector et défendu par Ajax. Il juge « à la majorité de vingt-trois voix sur vingt-cinq la composition de Louis Roguet digne du premier grand prix, et décide qu’après avoir reçu, en séance solennelle, la médaille d’or, il sera envoyé à Rome aux frais du gouvernement. »

Après un court séjour à Hyères, il arriva à Rome, où ses rêves l’avaient fait entrer autrefois plein de vie et de santé. Là eut lieu cette lutte de l’homme qui se sent mourir et qui compte ce qui lui reste à vivre. Les projets s’accumulent dans sa tête, et sa main est impuissante. Il se couche, il se relève ; il prend la fièvre pour de la force, il va de son lit à la statue, de la statue à son lit ; maudissant les survivants qui ont le temps avec eux, pleurant sur la douleur de sa mère, voulant revenir et ne pouvant pas. Ce fut entre lui et l’agonie une lutte atroce ; lui qui à chaque minute sentait l’avenir qui s’en allait, lui dont la robuste charpente s’indignait d’être ainsi tâtonnée par la mort, lui tout jeune ; et la mort, qui avait envie de ce beau corps et de ce riche cerveau, envie de tout ce qu’ils promettaient !

Arrivé à l’heure de mourir, il voulut partir. Ses amis le portèrent pour descendre l’escalier. On raconte qu’à la dernière marche de la villa Médicis, il râla dans une convulsion de désespoir : « S.… … .. …. ! Ces crétins de l’Institut qui ont des soixante ans dans le ventre ! »

Roguet avait vingt-six ans.

Edmond et Jules de Goncourt.

 

 

UN MUSÉE BIBLIOGRAPHIQUE AU LOUVRES - par J. Techener.

Au bureau du bulletin du bibliophile.

Nous appelons avec plaisir l’attention du lecteur sur cette petite brochure. L’idée de réunir dans une salle du Louvre tous les triomphes de la calligraphie, de la miniature, de la typographie, de la reliure ; l’idée de mener le promeneur, – un voyage autour de vingt armoires, – des essais byzantins au Clovis, des tentatives xylographiques aux Elzévirs, des reliures plaquées d’orfèvrerie aux trois abeilles de de Thou aux deux fasces du comte d’Hoym, – doit sourire à tous ceux qui touchent de près ou de loin aux livres. Tout le monde serait donc appelé à voir les impressions des Vérard, des Vostre, des Pigouchet, des Galliot du Pré, les initiales de Germain Hardouyn in arte litterarie picture peritissimus, les vélins des Aldes qu’une princesse d’Este collectionnait avec tant de curiosité, nos Estienne encore méconnus. Tout le monde serait admis à voir ce volume qui est le missel de Charlemagne, cet autre qui est le missel de saint Louis ; celui-ci qui porte la tête de mort de Henri III, celui-là qui porte le double croissant de Diane de Poitiers. Voici le livre que Marie Stuart portait en marchant au supplice, voilà l’exemplaire aux armes de la Rodogune de Corneille, imprimé dans l’appartement, au nord, de Mme de Pompadour, avec l’estampe gravée de sa main.

L’imprimeur Thiboust disait au xviiie siècle :

Egregius pictor certet celebrare colorum

Inductus varios ; doctus sua marmora sculptor

Ostentare velit ; jactentur Zeuxidis Uvæ,

Velaque Parrhasii, Tabulisque insignis Apelles,

Phidiacusque labor : tacitits hæe cuncta senescunt.

Temporibus, peruntque, obscura nocte sepulta.

Verum laude viget semper victura Typorum

Gloria…..

Oui, ces gloires typographiques doivent, elles aussi, habiter le Louvre ; d’ailleurs les plus beaux de ces volumes n’ont-ils pas droit de cité dans le château de Charles V, et ne doivent-ils pas retrouver leur Tour de la librairie ?

Et puis les bons exemples font parfois de grands miracles. Ce musée aurait un catalogue. Peut-être la rue de Richelieu se piquerait-elle au jeu, peut-être commencerait-elle le sien, et toute l’Europe savante qui en désespère, à force de l’espérer toujours, applaudirait bien fort.

E. de G.

 

 

 

 

CHRONIQUE DES THÉÂTRES - Gymnase. - La Marquise de la Brétèche, comédie-vaudeville en deux actes, par MM. Mélesville et Carmouche.

Le piano de Berthe, par MM. Barrière et Lorrin.

Qui y eût résisté ? – Vous, lecteur ? Que non pas ! La journée se levait chaude et bleue comme un beau jour de juin, les brises matinales frissonnaient encore ; c’était l’ouverture du printemps. Trois amis vinrent nous enlever, sans bruit, sans refus possible. – Où allons-nous ? – Pêcher à la ligne dans un château. Nous étions déjà sur l’impériale ; les gros chevaux blancs piaffaient déjà comme des études de Géricault dans la cour du Plat-d’Étain.

Il y a six cigares et demi de Paris au château.

Je vous le répète, lecteur, qui y eût résisté ?

Et ce furent trois jours des joies de Parisiens, des courses dans le parc, tous les jeux d’une foire transportée sur le tapis vert ; des pêches indolentes, la ligne fichée en terre, un grog près de vous à rafraîchir dans l’herbe, un volume de l’autre côté ; ce furent des admirations de cette allée de tilleuls centenaires, de cette eau vive et belle, de ce pont vert, et de l’île. Ce fut toute une enfance retrouvée à cinq, les grands combats à coups de pommes de pin ; et, que sais-je ? toutes les gamineries qu’on est honteux de dire, mais qu’on est heureux de faire, qu’on improvise si vite, et qui courbaturent si bien. Toujours attendue, sonnait la cloche des repas ; toujours demandées, résonnaient le soir valses et polkas, dont nous vous remercions, mademoiselle. – Au midi, sur le gazon, vous nous eussiez vus tous la cigarette, le cigare, ou même la pipe à la bouche, qui, le peintre ordinaire des grâces parisiennes, dont les abonnés de l’Illustration savent bien le nom, à rêver de ces délicieuses impures ; l’autre à songer à sa promenade de Pierrot par les sept pêchés capitaux, – sept dessins que lui achèterait la comédie italienne, si elle vivait encore, dédiés aux mânes de Deburau ; le troisième, – un paresseux que vous applaudirez cette année au salon, – à ne rien faire ; – et nous, à songer à nous excuser auprès de vous, lecteur.

Les vieux livres feuilletés ; les dessins d’orfèvrerie de Gilles l’Égaré admirés et réadmirés ; les promenades au clair de lune dans les futaies dépouillées, mais déjà bourgeonnantes ; le ciel semé d’étoiles ; les vesprées tranquilles où la nature vous murmure à l’oreille les chuchotements du silence ; le matin, les ombres longues, le soleil tout rouge montant derrière les pins, et le rayon d’or qui frappe à votre mur, et qui vous dit : Il est temps ! J’allais oublier : la grâce et l’hospitalité de notre aimable hôtesse ; – de toutes ces choses se fit notre vie quelques jours.

Si vous me demandez où c’est, je vous dirai qu’on traverse le pont de Saint-Maur pour y aller ; je vous dirai encore qu’il y a quelque chose comme sept lieues de Paris ; je vous dirai enfin, si vous êtes trop curieux, que c’est le château du village où, à la fin du mois de décembre, il y a eu un banquet de femmes ; oui, un banquet de femmes, présidé par la mairesse, surveillé par le garde champêtre, en l’honneur de….. Chut ! ne parlons pas politique.

Et le Gymnase donnait la Marquise de la Bretèche ; et le Gymnase donnait le Piano de Berthe. – N’ayant vu ni celui-ci, ni celle-là, nous dirons que la Marquise a réussi. Pour le Piano, nous connaissons, je crois, un des auteurs. C’est, – nous a-t-on dit, – une très-jolie bluette.

Edmond et Jules de Goncourt.

 

 

 

 

THÉÂTRE-NATIONAL - Geneviève, patronne de Paris, drame en 3 actes et 15 tableaux par M. Latour de Saint-Ibars.

Le canevas de Geneviève est rempli de situations importantes, et seul, le Théâtre-National pouvait donner vie à l’édifice colossal de pensées et d’exécution qu’il renferme.

C’est dans l’histoire ancienne que l’auteur a créé un genre nouveau pour le théâtre ; il l’a vaillamment attaqué, et le succès le plus éclatant a été sa récompense.

Raconter la pièce dans toute son étendue serait ravir au spectateur une forte part des émotions qu’il est appelé à ressentir. Disons seulement que jamais drame ne fut plus palpitant d’intérêt et de sentiment.

Geneviève, patronne de Paris, finira la saison et sera reprise l’hiver prochain ; c’est à n’en pas douter.

Au risque de ravir au spectateur une forte part des émotions qu’il est appelé à ressentir, nous allons, nous, raconter la pièce dans toute son étendue.

En allant au Cirque, nous l’avouons, nous avions une idée fixe : c’est de savoir comment, dans une pièce intitulée Geneviève, patronne de Paris, il se trouvait une fête de Bacchus. – M. Latour de Saint-Ibars nous en réservait bien d’autres. Il ne nous a pas montré seulement les mollets de

Mesdemoiselles :

Paulus, Demouchy,

Nehr, Mérante,

Zélia, Mériot,

Caroline, Cérésa ;

nous avons vu encore, sans supplément,

Messieurs :

Attila, Oson, Gontran,

Satan, Astériole, Ambioria,

Molock, Céler, Suénon,

Odin, Diomède, Marcien,

Mercure, Sévère, Bléda,

Valérien, Prætexta, Bendigeth,

Gratien, Récimer,

Daniel ;

Mesdames :

Denise, Eldico,

Geneviève, Martha,

Augusta, Arona,

Vénus.

D’abord, il y a une ouverture.

Premier acte. – Satan se promène sur une montagne en Suisse. Il rencontre Mercure, qui lui apprend que son culte n’a plus d’abonnés. Vénus lui fait la même confidence, et Odin itou. Satan, qui a des coquilles de noix sous les yeux, se livre à de formidables écarquillements de prunelles. Il traite le Nazaréen de va-nu-pieds. Arrive une grosse et forte femme. Satan dit à la grosse et forte femme : Si nous fondions Attila ? – Zim, boum, boum, hope-là, les cuivres ! – Attila est fondé : il naît à vingt et un ans.

Deuxième acte. – Pardon, monsieur. – Faites, monsieur. – C’est mon voisin de droite qui sort. Je remarque avec surprise qu’il ne laisse pas son programme à sa place.

En face, le Mont-Valérien, où règne le farouche Valérien, Geneviève vit avec sa mère et ses troupeaux. Ici notre conscience nous fait un devoir d’exprimer un regret : nous avions toujours regardé sainte Geneviève comme une bergère aux moutons crottés. M. Saint-Ibars a touché à toutes nos croyances : sa Geneviève est riche et se livre à l’élève du mouton en amateur. – L’intrigue se noue : arrivent des canotiers, fort vieux et fort laids, mais qui ont l’air d’avoir de bons sentiments. Arrive un seigneur romain au manteau bleu brodé d’or ; arrive fort vite un esclave qui a cassé une curiosité du comte Valérien ; arrive le comte Valérien, qui aime Geneviève ; arrive Attila, qui amène les Huns, et les Huns, qui suivent Attila. Les canotiers baisent la main de Geneviève ; le seigneur romain chasse au sanglier ; Geneviève cache l’esclave fugitif dans un puits ; le comte Valérien ne plaît pas à Geneviève ; et Attila… – À quel tableau en sommes-nous ?

Pardon, monsieur. – Faites. – C’était un autre de nos voisins qui sortait. Il ne laissa pas de gants à sa place.

Et, dans ses rêves, Attila entendait toujours une voix qui lui criait : Tu es le fléau de Dieu ! – Le voilà donc en mandataire des colères de Dieu ; fouette, clocher, et grand train, à tombeau ouvert, jusqu’à Paris, ou, comme dit M. Latour, Lutèce, Lutèce ! Eh bien, c’est un bien petit sacrifice à la couleur locale ; mais cela nous a plu. Il n’est rien comme ces petits détails pour embellir encore une belle œuvre.

C’est mademoiselle de Luxembourg

Qui est dedans une tour.

Non, ce n’est pas Mlle de Luxembourg, c’est la sœur de sainte Geneviève, que Valérien a plongée dans un cachot, – après lui avoir donné un enfant, – sur la paille des cachots, les fers aux pieds. – Les Huns, qui étaient de vrais chauffeurs de monuments publics, à ce que nous révèle cette pièce, incendient la tour ; mais, Dieu merci ! on sauve la femme et l’enfant.

Nous sommes sous les murs de Lutèce. Geneviève a obtenu une audience d’Attila ; et Attila, depuis qu’il a vu Geneviève, ne fait que répéter : Qu’elle est belle, cette fâââme ! – Absolument comme Gil-Perez. – Geneviève revient. – Nos voisins ne font pas comme Geneviève ; mais des voisins de nos voisins s’en vont.

– « Récimer ! ma bonne dague, ma cape espagnole, ma bonne lame de Tolède ! » – Ainsi s’habille Attila, le roi des Huns ; ainsi il se faufile en cati mini dans la ville qu’il assiège. – Pourquoi, nous dira-t-on, le roi des Huns, qui avait au premier acte un si beau casque, se faufile-t-il sans uniforme, dans cette ville de Lutèce ? C’est que Valérien a jeté dans son cœur le poison de la jalousie, en lui disant que sainte Geneviève a un enfant. Au lieu de Geneviève, Attila rencontre la sœur, enfermée précédemment dedans une tour, qui le fait rougir de ses procédés. Attila, ainsi trompé, veut broyer Valérien. Valérien trahit son incognito. Attila tire son sabre et massacre vingt-sept boucliers, – vingt-sept boucliers, – tout autant.

Siège du Mont-Valérien. Un siège sans coups de fusil… au Cirque ! Mais, quand une œuvre est littéraire, un directeur ne doit pas consulter ses goûts. Après cela, il est au théâtre des accommodements avec l’histoire. Il ne faut pas que la rigueur trop exacte de la chronologie fasse masquer des effets. – Le décorateur avait bien peint pour la forteresse de Valérien, un château du xive siècle. Mon Dieu ! le public du Cirque n’est pas aussi sévère qu’on veut bien le dire, et le metteur en scène aurait introduit une ou trois bombardes que cela n’aurait choqué que quatre ou cinq puritains dans la salle. – Les bans de Geneviève et d’Attila sont publiés, et

La plume nous tombe des mains. La langue française est trop pauvre pour qualifier cette chose.

Cela n’a pas de nom.

Mais nous sommes bien bons d’être sérieux. Ce ne peut être qu’une mystification. Seulement, une autre fois nous prierons nos voisins qui sont assez dans le secret pour partir au premier acte, de ne pas le garder pour eux.

Edmond et Jules de Goncourt. - FIN

 

 

Numéro 13 du 3 avril 1852.

Date de dernière mise à jour : 29/03/2016