BIBLIOBUS Littérature française

Numéro 10 du 13 mars 1852.

CHANSONS ET POÉSIES par A. GUÉRIN.

Pourquoi, – dirons-nous aux poëtes populaires, – toujours vous faire réclamer d’Hégésippe Moreau1 ? Prenez garde, vous vous appelez poëtes populaires, et vous recommencez l’école feuille-morte de Millevoye. L’art n’a point d’entrailles, messieurs. En littérature, il faut voir l’écrivain et non l’homme, – les œuvres et non la vie. Vous finiriez par profaner le lit d’hôpital ; vous le feriez prendre pour une réclame. Quand vous tenez la plume, ne vous rappelez plus votre blouse ; l’art n’est pas affaire de parti, croyez-nous. Quand vous pleurez, ne faites pas de réquisitoire ; vous nous feriez douter de vos larmes. Ce sont de mauvaises gloires, – croyez-nous, – des gloires surfaites, et qui ne tiendront pas, que ces gloires de misères ; s’il vous faut absolument pour drapeau un homme sorti de vos rangs, à côté d’Hégésippe Moreau, il y a Balzac.

La meilleure manière, selon nous, de rendre compte d’un livre est d’en faire des citations. M. Guérin ne nous en voudra pas, si nous choisissons une de ses plus jolies pièces :

Ne pleurez pas sur votre fils, madame,

Le poëte ici-bas est abreuvé de fiel ;

Toujours trop tard Dieu rappelle son âme,

Car l’âme du poëte est un oiseau du ciel.

Non, votre pauvre enfant n’était point de ce monde,

Et vous avez dû voir autour de son berceau

Errer pendant la nuit la vierge pâle et blonde

Qui charma la douleur d’Hégésippe Moreau.

Enfant mystérieux, né pour une autre sphère,

Au contact des méchants combien il dut souffrir !

Mais à peine eut-il fait quelques pas sur la terre,

Que, priant pour les siens, il se sentit mourir.

Pourtant, il murmurait : Seigneur, laissez-moi vivre,

Non que je sois craintif à l’heure du trépas,

Mais… pitié pour ma mère !… et pitié pour mon livre !…

- Son livre était fini : Dieu ne l’entendit pas !…

-

………………………………………………

………………… Sa muse virginale

N’eût jamais rencontré qu’un sombre désespoir ;

Et Dieu lui dit, touché de sa voix matinale :

« Enfant, tais-toi, le ciel t’applaudira ce soir. »

………………………………………………

Même après les fameux vers de Malherbe, on peut lire cette consolation.

Ajouterons-nous que M. Guérin est un des collaborateurs du Tintamarre, ce journal où l’on écrit Vadé d’une main, La Rochefoucauld de l’autre.

Edmond et Jules de Goncourt.

 

 

LÉGENDES D’ARTISTES. - La vie et la mort de Calinot.

Pauvre innocente vie que cette vie de Calinot, qui semble écrite tout entière pour une parade des Funambules ; écoulée doucement sans peur, sans reproche, sans haine, sans remords, sans regrets ; innocente comme une parade où Pierrot, – Pierrot le mime, Pierrot le muet, – où Pierrot parlerait !

C’est une parade, si bien une parade, que, lorsque Camille, le metteur en scène, le souffleur de toutes ces naïvetés, n’est plus là pour lui donner la réplique, l’histoire et la légende prêtent toujours à Calinot pour partners de ses janotades deux autres drolatiques. Vous savez ce seigneur de la légende allemande entre deux chevaliers qui chevauchent à côté de lui, l’un à droite, l’autre à gauche ? Eh bien ! comme le seigneur allemand, Calinot chevauchait entre deux chevaliers : V….. et L….. – V….., c’était la phrase française en habit de marquis ; – L….., c’était une mémoire qui toujours restait court, qui sans cesse buttait contre le mot propre, qui toujours le cherchait, qui jamais ne le trouvait. C’est V…… qui disait : « Il me semble que le crépuscule s’annonce, je vais mettre mon peplum ; » et encore, après avoir chaviré : « Je jure Dieu de ne plus mettre le pied dans cette caravelle ! » C’est L….. qui annonçait au piquet : « J’ai une tierce… en ce que tu sais bien, une quinte… en ce que tu m’as dit, et un quatorze… en ce que tu viens de me dire. » Et ainsi il croissait, le bon Calinot, en grâces et en joyeux devis, entre ce lexique des Précieuses ridicules et cet incurable oublieur, entre ce purisme et cette paralysie !

Parades ! – races perdues ! ô vieux pitres ! tout ce cortège de Momus populaire, les rires larges et les grosses bêtises, les paternelles niaiseries ! Pantalons et Cassandres, vieux faiseurs de gaieté qu’on ressuscitait tout à l’heure, – ô Lapalisse ! aïeul des naïvetés, – je vous le dis : Bobèche revivait en cet homme.

Et l’atelier, qui s’ennuyait de Jocrisse, s’est mis à compiler l’enchiridion de Calinot, avec un culte de philologue, et l’a augmenté, et l’a enrichi, et l’a pourléché, et lui a fait comme Virgile à ses vers, et s’est mis à déclamer, – ainsi ornée, – cette rapsodie du Théâtre de la Foire, – pour faire suite à celle que chantait Dancourt en sortant du cabaret de la Cornemuse, – si bien que les écouteurs ont fini par être aussi incrédules à l’endroit de l’existence de Calinot qu’à l’endroit de l’archevêque Turpin.

Et pourtant il a si bien vécu, ce mortel désopilant, – qu’un jour il est mort – du choléra.

L’existence de Calinot a toutes sortes de tableaux : Calinot restaurateur, – Calinot logeur, – Calinot commis, – Calinot garde national. S’il fut tout cela, nul ne l’a jamais bien su. Le savait-il lui-même ? Il avait tant de complaisance à se laisser persuader, et faisait si peu de résistance à laisser mettre la main à ses souvenirs, à y laisser ajouter. – Un beau jour, Camille lui persuada qu’il avait été marin ; et, depuis ce jour-là, Calinot se rappelait tout au moins une fois par mois ses souvenirs de la Tremblante.

Un grand corps monté sur des jambes d’échassier ; là-dessus, une tête blonde, chauve, inculte ; de la barbe ; les yeux bonasses ; la tête ballant en avant ; dans la pose, quelque chose comme le profil d’une canne à bec de corbin ; une voix pleine d’embarras, obstruée de bredouillements, notée tout au long de notes innotables ; – c’est ainsi fait qu’il a traversé la vie avec des vêtements trop larges sur son corps maigre, faisant rire tout le monde, et laissant rire tout le monde.

Les tréteaux du Pont-Neuf ont eu leurs sténographes ; pourquoi laisserait-on perdre ce monument de la bêtise française ?

À côté de cette épopée de cynisme, toute sanglante, de cet « Allons-y gaiement ! » de l’Abbaye de Monte-à-regret, – Jean Hiroux, – Calinot a sa place : c’est un lever de rideau avant la grande pièce.

Enfant, Calinot, en revenant de l’école, se bat avec un camarade, et attrape une grande écorchure au front. Au dîner, son père lui dit : Qu’est-ce que tu as là ? – Papa, j’ai rien. – Mais si, tu as quelque chose. – Je me suis mordu au front ! – Imbécile ! est-ce qu’on se mord au front ? – Tiens ! je suis monté sur une chaise.

*

* *

Moi, j’aime bien mieux la lune que le soleil. Le soleil, à quoi ça sert ? Il vient quand il fait jour, ce feignant-là ! Au lieu que la lune, ça sert à quelque chose : ça éclaire.

*

* *

Camille. - Veux-tu me mesurer ce tableau ?

Calinot. - Avec quoi ?

Camille. - Prends le mètre, il est sur la table.

Calinot, mesurant. – Un mètre… heu…. heu…

Camille. - Eh bien ! combien a-t-il ?

Calinot. - J’sais pas : le mètre n’est pas assez long.

*

* *

« Monsieur,

« Envoyez-moi les deux Boissieu que je vous ai demandés… » Ici le marchand de tableau meurt. Calinot finit la lettre : « Je vous écris le reste par la main de Calinot, mon premier commis, vu que je viens de mourir d’une attaque d’apoplexie. »

*

* *

Quand j’étais à bord de la Tremblante, je laisse tomber ma montre. Nous étions dans le Groënland. Je me jette, je retrouve ma montre. V’là que, quand je remonte, la glace s’était refermée. Je crie d’une voix de Centaure : Passez-moi une scie ! On m’en passe une. Je me mets à scier la glace ; mais la sciure me tombait dans les yeux.

*

* *

Calinot voit un merle dans le jardin de Camille ; il l’ajuste. Il n’était pas bien pour le tirer ; il remonte l’escalier à pas de loup ; il ouvre bien doucement la porte de Camille, bien doucement la fenêtre de Camille qui dormait. – Pan !

Camille, se réveillant en sursaut. - Hé ?… hein ? quoi ?

Calinot. - Ah ! mon cher, je n’ai presque pas fait de bruit.

*

* *

Moi d’abord, je n’aime pas les lâchetés. Quand j’écris une lettre anonyme, je la signe toujours.

*

* *

« À M. le maître d’hôtel du Cheval Blanc, à Rouen (Seine-Inférieure).

« Monsieur,

« Je vous prie de me renvoyer mon couteau-poignard que j’ai oublié sous mon traversin dans la chambre n° 23.

« Votre dévoué, « Calinot. »

En cachetant la lettre, Calinot retrouve son couteau-poignard.

« Post-scriptum. – Ne vous donnez pas la peine de chercher mon couteau-poignard ; je l’ai retrouvé. »

Camille. - Tu es bête !… puisque tu l’as retrouvé…

Calinot. - C’est trop fort ! Tu veux donc que cet homme s’échigne à chercher mon couteau-poignard.

*

* *

Sont-ils bêtes ces gens qui donnent une lettre à un commissionnaire ! ils se figurent qu’il la porte ; il ne la porte jamais. Moi, quand je veux être sûr, je vais toujours avec le commissionnaire.

*

* *

J’ai été demeurer rue J.-J. Rousseau, vois-tu, parce que comme ça je ne paierai plus de ports de lettres. Qu’est-ce que ça leur coûte de traverser la rue pour m’apporter mes lettres ?

*

* *

On proposait un parti à Calinot :

– Que diable veux-tu que je l’épouse, elle a le double de mon âge !

Camille. - Qu’est-ce que ça te fait ?

Calinot. - Songe donc ! quand j’aurai cinquante ans, elle en aura cent.

*

* *

Camille. - Tâche donc de me rapporter des allumettes qui aillent.

Calinot remonte avec des allumettes.

Camille. - Cré mâlin ! elles ne vont pas tes allumettes !

Calinot. - C’est bien drôle, ça ; je les ai toutes essayées.

*

* *

Calinot, logeur. – Oh ! monsieur, à tous les prix : dix, quinze, vingt-cinq. Voyez : la chambre est bien ; c’est propre ; il y a des rideaux, une table de nuit.

– Qu’est-ce que c’est que ça ?

– C’est une truelle.

– Et ça ?

– Du plâtre et du verre pilé.

– Tiens ! pourquoi donc ?

– C’est très commode. Figurez-vous, monsieur, que la maison est infestée de rats. Quand vous en voyez un, vous sautez sur la truelle et vous bouchez le trou. Dans les chambres à 15 francs, ils vous mangeraient le nez : on vous donne un masque en verre.

*

* *

Dans son jardin de Romainville, Calinot avait un tas de gravois.

Camille. - Fais un trou ; tu mettras ça dedans.

Calinot n’avait plus de gravois ; mais il avait un tas de terre. « C’est que je ne l’ai pas fait assez grand ! »

*

* *

Calinot, garde national, était de faction après le 24 février. – Un élève de l’École polytechnique, aide-de-camp, arrive au Pont-au-Change, tombe de cheval, se contusionne, et est obligé de prendre un cabriolet pour continuer sa ronde-major. Il se fait ainsi reconnaître de Calinot. Un omnibus arrive quelques instants après. Calinot croise la baïonnette, et crie : Aux armes ! Le caporal sort : – Mais enfin, qu’est-ce que vous avez donc, factionnaire ? – Eh ben ! quoi ? Les rondes-majors viennent en cabriolet : les patrouilles peuvent bien venir en omnibus.

*

* *

Calinot, capitaine instructeur : Eh ! là-bas, qu’est ce qui lève les deux jambes ?

*

* *

Calinot, aux journées de juin : Si je fais arriver mes hommes tous de front, les malheureux, ils vont tous être mitraillés ?… Si je faisais tête de colonne à droite, tête de colonne à gauche ? – Il commande : Tour droite ! tour gauche ! Tout le monde fait tour complet. Une fusillade terrible part de la barricade. La compagnie de Calinot est criblée. Le général arrive bride abattue : Imbécile ! vous faites tuer vos hommes ! – Ah ! taisez-vous donc ! ça fait bien moins de mal que dans la poitrine !

*

* *

Calinot, chef de bataillon d’une légion de la banlieue : Attention ! Garde à vous ! bataillon !.. heu… heu… Mettez-vous comme vous étiez dimanche dernier.

*

* *

Calinot était à deviner un rebus de Charivari dans un café. – Le gazier sonne pour prévenir qu’il va éteindre. Au bout de cinq minutes, Calinot, toujours à son rébus, dit : Eh ben ! a-t-il éteint, cet imbécile ?

*

* *

Calinot. - Je viens de rendre service à un vieux camarade de la Tremblante. Ce pauvre diable ! il n’avait pas mangé depuis deux jours. Je l’ai fait entrer dans une allée ; je lui ai donné mes bottes.

Camille. - Et toi, comment t’es-tu en allé ?

Calinot. - Ah ! tu demandes toujours des explications.

*

* *

Camille. - Mon escalier est noir comme le diable. Prends ce bout de bougie.

– Calinot, au bas de l’escalier. - Les artistes sont si pauvres ! Il en reste encore un grand bout. – Calinot remonte la bougie.

*

* *

Calinot au salon. - Ducornet….. né sans bras…..Qu’eque ça fait, s’il a des mains ?

*

* *

Camille. - Eh bien ! tu ne viens pas à l’enterrement de Mlle Mars ? tous les artistes y seront.

Calinot. - Je ne vais à l’enterrement des gens que quand ils viennent au mien.

*

* *

Camille donne à Calinot une canne avec une très-belle pomme en Saxe. La canne est trop grande pour Calinot. – Calinot la rogne de la pomme.

Camille. - Pourquoi ne l’as-tu pas rognée du bas ?

Calinot. - C’était en haut qu’elle me gênait.

*

* *

Je ne crains pas le choléra, d’abord ! C’est un mauvais air qui passe dans la rue ; – et je loge sur la cour.

*

* *

Calinot, mourant du choléra. - Je meurs comme le Christ, à quarante-trois ans.

Camille. - Tu te trompes, mon ami, il est mort à trente-trois ans.

Calinot. - Eh ben ! il est mort dix ans trop tôt.

Edmond et Jules de Goncourt.

POÉSIES en prose.- La collection de choppes de notre ami Cornélius.

Oh ! les belles choppes d’Heidelberg ! – Elles sont en terre jaunâtre et hautes d’un pied. Du haut en bas descend une ronde de buveurs encadrée dans des tortils de chardons plaqués de lames d’argent.

– Les beaux lansquenets ! Comme ils sont bien campés, bien entripaillés, bien colichemardés ! Quels beaux pourpoints à taillades ! On vous a donc payés hier, messires ? Et ces grosses commères faisant resplendir leurs beautés flamandes au centre de cette humerie en spirale qui commence par la chanson à boire, et qui finit par la rixe, la dernière scène, – la scène de sang, – comme elles agacent sans vergogne les mâles attablés ! Et tenez, celle-là au fond, comme elle fait ruisseler sur les tables encombrées de pots et d’hommes l’opulence de ses charmes !– Ô bâtard de Rubens, dont les toiles vieillies de forme et de couleur sont encore des orgies ! À cet état humain, c’est là que de son temps, ta palette à la main, tu t’en allais, Jordaens ! – Et plus bas, la danse : l’orchestre hurle et glapit, le rythme s’emporte ; les sirènes empoignent leurs valseurs ; tout se presse, tout se mêle, tout va, tout tourne, … et puis on tombe, … et puis on se bat ! – Grande bacchanale, grande fête à la Téniers qu’on nommait la kermesse, j’ai été te chercher l’autre jour en Belgique, et je ne t’ai pas trouvée. – À Bruxelles, j’ai vu toutes les boutiques fermées, on m’a dit que c’était la kermesse. – À Gand, j’ai vu une troupe d’arbalétriers en habits noirs, on m’a affirmé que c’était la kermesse. – À Malines, par exemple, je n’ai rien vu du tout ; on m’a soutenu que c'était la kermesse.

Oh ! les belles choppes d’Heidelberg !

À LENÔTRE.

Ce jardin serrait le cœur ; non pas qu’il eût l’aspect pleureur et désolé de ces coins de terre mangés d’herbes parasites qui s’en vont disparaissant sous la mousse et l’oubli. Le tracé des allées se perd ; la place des massifs de fleurs s’efface ; la naïade du bassin, verdie par les années, pleure sur son urne aride… Non ; mais il attristait comme la coquetterie d’une douairière. Les cadres de buis, maigres, qui cerclaient les parterres, avaient encore la vigueur de lignes de leur première jeunesse ; les deux allées de tilleuls étaient soigneusement taillées à pic comme des murs de verdure ; le cailloutis était jaune et lustré. Tout cela présentait le profil sec de ces parcs géométriques et malingres esquissés par Abraham Bosse. C’était un ensemble peigne, verderet, une tyrannie du cordeau, d’un charmant goût Louis XIV ; un jardin enfin qui n’était pas du tout un jardin comme l’entendent le bon Dieu et la nature, – deux grands dessinateurs pourtant.

Talons rouges, robes à paniers, mouches, parterres de haut style, quinconces à longues périodes, morts, morts, morts ! – Ô mon pauvre cher poëte, toi qui as écrit Versailles, le xviiie siècle est passé sur tes œuvres ; et ce siècle-là, vois-tu ? a guillotiné la royauté et sacré le jardin anglais !

La naissance du toast.

Elle se baignait.

Il y a de cela combien d’années ? Je ne sais.

Comment se nommait alors le roi d’Angleterre ? Je ne sais encore ; mais c’était la maîtresse du roi d’Angleterre. – Holbein a-t-il laissé sa pourtraiture ? Je ne sais vraiment.

La salle de bain, je ne l’ai vue. Était-ce en marbre blanc ? était-ce un cabinet de rocaille qui touchait à son appartement d’été, « et qui sans doute était le plus agréable lieu du monde, » meublé de piles de carreaux de drap d’or et de vases de porcelaine remplis de fleurs, avec un lit de repos fait à la portugaise ?

Six courtisans étaient là qui regardaient. – Tel était le bon plaisir de Sa Majesté. Avait-elle une chemise ? Peut-être bien oui, peut-être bien non. À chaque mouvement qu’elle faisait, l’eau lui mettait à la gorge un collier de diamants.

Elle était si belle, les cheveux dénoués, la maîtresse du roi d’Angleterre !

Un des courtisans se pencha et se releva : il avait rempli une tasse, et buvait l’eau du bain.

La tasse passa. Le second fit comme le premier ; – le troisième comme le second ; – le quatrième comme le troisième ; – le cinquième comme le quatrième. – Le sixième dit : Je retiens la rôtie !

« L’usage du temps était de boire avec une rôtie au fond du verre. Toster veut dire rôtir. »

Et depuis ce temps, les Anglais ont toujours, ont toujours tosté.

Cela, un old book le dit : il faut le croire.

Edmond et Jules de Goncourt.

(La suite au prochain numéro.)

CHRONIQUE DES THÉÂTRES

Gymnase.

Les Vacances de Pandolphe, comédie en 3 actes,par George Sand.

Au mois d’avril 1716, Luigi Riccoboni dit Lelio, Giuseppe Balletti dit Mario, Thomaso Visentini dit Arlequin, Pietro Albogheti dit Pantalon, Giovanni Bissoni dit Scapin, Francesco Matterazi dit le docteur, Giacomo Ranzini dit Scaramouche ; Helena Balletti dite Flaminia, Giovanna Benozzi dite Silvia, Margareta Rusca dite Violetta, et Ursula Astori arrivèrent au port Saint-Paul à Paris. – Le 18 mai de la même année, ce fut une nouvelle dans Paris, que les comédiens italiens jouaient sur le théâtre du Palais-Royal ; – et le soir, au café Gradot, les comédiens comptèrent 4,068 livres, et commencèrent ainsi leur premier registre : Au nom de Dieu, de la Vierge Marie, de saint François-de-Paul, et des âmes du purgatoire, nous avons commencé, ce 18 mai, par l’Inganno Fortunato.

Vieux Gelosi ! vous aviez déjà passé les monts, la gaieté en croupe ! Guerres de religion, guerres de parlements, les états de Blois et la Fronde, que vous importait ? Vous alliez, vous alliez, repassant vos rôles, essayant vos coups de pied, dans les discords et les dissensions civiles ! Aussi insoucieux du lendemain que du pouvoir du jour, de la mort du duc de Guise que de l’ondée d’hier, aujourd’hui à Blois, demain rue des Poulies, sur le théâtre du Petit-Bourbon ! – On démolit votre théâtre pour bâtir le péristyle du Louvre ; le parlement défend vos représentations. – Qu’importe, vous avez pour vous le roi – et Paris ! – Mais, un beau jour, vous riez trop haut, messieurs de Naples et de Venise ; vous jouez Scaramouche ermite, – vous allez jouer la Fausse Prude, – cette pièce que Charlotte-Élizabeth de Bavière n’alla pas voir, malgré son envie, « de peur, dit-elle, que la vieille ne persuadât au roi que je l’avais fait jouer par malice. » – Le Théâtre-Italien ferme, le Théâtre-Italien est fermé !

Dix neuf ans, en passant devant l’hôtel de Bourgogne bâillonné et triste, Paris écouta, et crut entendre comme des rires enfermés, comme des farces qui battaient de la tête contre les murs. – M. le duc d’Orléans, régent du royaume, passa aussi un jour devant l’ancienne maison de gaieté, et, le lendemain, il donna l’ordre à M. Rouillé, conseiller d’État, de faire choix des meilleurs comédiens d’Italie. Une fois arrivés, comme l’hôtel de Bourgogne n’était point encore en état, le régent leur permit de jouer sur le théâtre du Palais-Royal, les jours qu’il n’y aurait pas opéra ; – en sorte qu’un jour on jouait les Fêtes de l’été, un autre la Figlia creduta maschio, et que la poésie de Menesson coudoyait les folies de Lelio !

Per chi l’entende ! – Donnez-moi, comédiens, un de ces heureux billets à vos représentations gratuites, plus hautes en drôleries que les autres, un de ces billets où il n’y avait que ces mots ! Per chi l’entende ! et je n’irai pas voir, Lelio, votre Mérope du marquis de Maffei ; non, j’irai voir le Pantalon avec sa robe Zimara, le docteur au langage boulonnais, le Scapin avec son habit de livrée, son manteau, son bonnet, sa dague et son parler bergamasque ; Spavento, ou Spezzafer, ou le Giangurgolo, les capitans au large manteau, avec un buffle et une longue épée ; le Scaramouche, le Mezzetin, le Tartaglia au manteau de toile rayée, et le Pierrot inventé par Jareton ! Ressuscitez-moi Tiberio Fiurelli, qui, à quatre-vingt-trois ans, donnait un soufflet avec le pied ; Aurelia Bianchi, l’auteur de l’Inganno Fortunato, qu’elle dédia à la reine ; Dominique Biancocelli, – le grand Dominique ! – dont la mort fit fermer le théâtre un mois ; et celui-là qui faisait la culbute sans renverser un verre plein ; et Angelo Constanti, qui joua sans masque, et que le roi de Pologne anoblit ; et Gherardi, – le Flautin, – qui imitait si bien la flûte ; et l’autre – Évariste Gherardi, qui recueillit votre théâtre. – Faites que j’entende Arlequin voleur dire aux archers : Vous êtes des coquins d’emporter ce sac : ce n’est pas vous qui l’avez volé ! – Et le fameux compte à Pantalon : Pour un quartier de veau rôti et un emplâtre d’onguent pour la gale ! – Et ce fameux : Il Convitato di pietra, où Arlequin ouvre la scène : Si tous les couteaux n’étaient qu’un couteau, – ah ! quel couteau ! Si tous les arbres n’étaient qu’un arbre, ah ! quel arbre ! Si tous les hommes n’étaient qu’un homme ! – ah ! quel homme ! Si ce grand homme prenant ce grand couteau, donnait un grand coup à ce grand arbre, et qu’il lui fît une fente, – ah ! quelle fente ! – Et encore cette triomphante plaisanterie reprise dernièrement : Mademoiselle, dit Arlequin à Eularia, lorsque je suis dans mon château, je me plais fort à l’agriculture. Je m’amuse à semer. Il y a environ six mois que j’ai semé moi-même de la graine de citrouilles, devinez ce qu’il y est venu ? – Mais, monsieur, il n’y peut être venu que des citrouilles. – Pardonnez-moi, madame ; il est venu un cochon qui a mangé toutes les graines. – Et Dominique, qui jouait tous les jours, et qui composa cinquante-sept pièces en douze ans ! – Et cet excellent Visentini, si souple, si plein de gaieté naturelle ! Visentini, qui mêlait à toutes les grâces de la balourdise, le vrai, le naïf, l’original, le pathétique, qui vous menait du rire aux larmes, en riant ! Et cette toujours charmante Zanetta Rosa Benozzi, – la Silvia, – qui jouait si bien la comédie qu’on ne savait si elle était faite pour la comédie, ou si la comédie était faite pour elle ! – Pour vos vieilles folies italiennes, un : Per chi l’entende ! Comédiens, donnez-moi un : Per chi l’entende ! – et jouez-moi, ô chers zanni, jouez-moi : L’Alvarado, – Ladro, sbiro e giudice, – Il medico volante !

Pandolphe est docteur. Pandolphe a une servante, Marinette. Marinette a une nièce, Violette. Violette a un oncle, le marquis de Sbrufadelli, qu’elle n’a jamais vu, qui meurt, et dont elle hérite. Léandre, faux grand seigneur, et Pascariel, ex-valet de Sbrufadelli, offrent leurs mains à Violette, qui aime Pedrolino.

Violette part avec Pandolphe, Marinette et Pedrolino, pour reconnaître les biens de son oncle. Une fois dans le château de Sbrufadelli, l’amour de Violette est traversé par Isabelle, l’ancienne maîtresse du fils de la maison. Pedrolino, désespéré, va pour se jeter à l’eau. Le docteur saute sur un fusil et le menace de le tuer… s’il se noie : – un joli souvenir de Mort civilement.

Isabelle, Pascariel, Colombine et Léandre s’entendent pour faire signer à Violette l’acceptation de l’héritage : un héritage de dettes. Violette signe ; mais le notaire s’est trompé, et Violette le sait bien ! Il lui a donné à signer une chanson au lieu d’un acte. Pedrolino, Pandolphe et Marinette se mettent à rire, et Violette épouse Pedrolino.

 

Edmond et Jules de Goncourt.

 

 

1 Nous ne sommes pas suspects en tenant ce langage. Nous n’oublions pas que nous avons publié : Un Dernier Acte ; mais autre chose est un sujet, autre chose est une école. - FIN

 

 

Numéro 11 du 20 mars 1852.

Date de dernière mise à jour : 29/03/2016