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96. Études analytiques - Physiologie du mariage ou ; Méditations de philosophie éclectique sur le bonheur et le malheur conjugal. 3° PARTIE : De la guerre civile.
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MÉDITATION XXIII. DES MANIFESTES.
Belles comme les Séraphins de Klopstock, terribles comme les diables de Milton. - Diderot.
Les préceptes préliminaires par lesquels la science peut armer ici un mari sont en petit nombre, il s’agit bien moins en effet de savoir s’il ne succombera pas, que d’examiner s’il peut résister.
Cependant nous placerons ici quelques fanaux pour éclairer cette arène où bientôt un mari va se trouver seul avec la religion et la loi, contre sa femme, soutenue par la ruse et la société tout entière.
LXXXII.
On peut tout attendre et tout supposer d’une femme amoureuse.
LXXXIII.
Les actions d’une femme qui veut tromper son mari seront presque toujours étudiées, mais elles ne seront jamais raisonnées.
LXXXIV.
La majeure partie des femmes procède comme la puce, par sauts et par bonds sans suite. Elles échappent par la hauteur ou la profondeur de leurs premières idées, et les interruptions de leurs plans les favorisent. Mais elles ne s’exercent que dans un espace qu’il est facile à un mari de circonscrire ; et, s’il est de sang-froid, il peut finir par éteindre ce salpêtre organisé.
LXXXV.
Un mari ne doit jamais se permettre une seule parole hostile contre sa femme, en présence d’un tiers.
LXXXVI.
Au moment où une femme se décide à trahir la foi conjugale, elle compte son mari pour tout ou pour rien. On peut partir de là.
LXXXVII.
La vie de la femme est dans la tête, dans le cœur ou dans la passion. À l’âge où sa femme a jugé la vie, un mari doit savoir si la cause première de l’infidélité qu’elle médite procède de la vanité, du sentiment ou du tempérament. Le tempérament est une maladie à guérir ; le sentiment offre à un mari de grandes chances de succès ; mais la vanité est incurable. La femme qui vit de la tête est un épouvantable fléau. Elle réunira les défauts de la femme passionnée et de la femme aimante, sans en avoir les excuses. Elle est sans pitié, sans amour, sans vertu, sans sexe.
LXXXVIII.
Une femme qui vit de la tête, tâchera d’inspirer à un mari de l’indifférence ; la femme qui vit du cœur, de la haine ; la femme passionnée, du dégoût.
LXXXIX.
Un mari ne risque jamais rien de faire croire à la fidélité de sa femme, et de garder un air patient ou le silence. Le silence surtout inquiète prodigieusement les femmes.
XC.
Paraître instruit de la passion de sa femme est d’un sot ; mais feindre d’ignorer tout, est d’un homme d’esprit, et il n’y a guère que ce parti à prendre. Aussi dit-on qu’en France tout le monde est spirituel.
XCI.
Le grand écueil est le ridicule. — Au moins aimons-nous en public ! doit être l’axiome d’un ménage. C’est trop perdre que de perdre tous deux l’honneur, l’estime, la considération, le respect, tout comme il vous plaira de nommer ce je ne sais quoi social.
Ces axiomes ne concernent encore que la lutte. Quant à la catastrophe elle aura les siens.
Nous avons nommé cette crise guerre civile par deux raisons : jamais guerre ne fut plus intestine et en même temps plus polie que celle-là. Mais où et comment éclatera-t-elle cette fatale guerre ?
Hé ! croyez-vous que votre femme aura des régiments et sonnera de la trompette ? Elle aura peut-être un officier, voilà tout. Et ce faible corps d’armée suffira pour détruire la paix de votre ménage.
— Vous m’empêchez de voir ceux qui me plaisent ! est un exorde qui a servi de manifeste dans la plupart des ménages. Cette phrase et toutes les idées qu’elle traîne à sa suite, est la formule employée le plus souvent par des femmes vaines et artificieuses.
Le manifeste le plus général est celui qui se proclame au lit conjugal, principal théâtre de la guerre. Cette question sera traitée particulièrement dans la Méditation intitulée : De s différentes armes, au paragraphe : de la pudeur dans ses rapports avec le mariage.
Quelques femmes lymphatiques affecteront d’avoir le spleen, et feront les mortes pour obtenir les bénéfices d’un secret divorce.
Mais presque toutes doivent leur indépendance à un plan dont l’effet est infaillible sur la plupart des maris et dont nous allons trahir les perfidies.
Une des plus grandes erreurs humaines consiste dans cette croyance que notre honneur et notre réputation s’établissent par nos actes, ou résultent de l’approbation que la conscience donne à notre conduite. Un homme qui vit dans le monde est né l’esclave de l’opinion publique. Or un homme privé a, en France, bien moins d’action que sa femme sur le monde, il ne tient qu’à celle-ci de le ridiculiser. Les femmes possèdent à merveille le talent de colorer par des raisons spécieuses les récriminations qu’elles se permettent de faire. Elles ne défendent jamais que leurs torts, et c’est un art dans lequel elles excellent, sachant opposer des autorités aux raisonnements, des assertions aux preuves, et remporter souvent de petits succès de détail. Elles se devinent et se comprennent admirablement quand l’une d’elles présente à une autre une arme qu’il lui est interdit d’affiler. C’est ainsi qu’elles perdent un mari quelquefois sans le vouloir. Elles apportent l’allumette, et, long-temps après, elles sont effrayées de l’incendie.
En général, toutes les femmes se liguent contre un homme marié accusé de tyrannie ; car il existe un lien secret entre elles, comme entre tous les prêtres d’une même religion. Elles se haïssent, mais elles se protégent. Vous n’en pourriez jamais gagner qu’une seule ; et encore pour votre femme, cette séduction serait un triomphe.
Vous êtes alors mis au ban de l’empire féminin. Vous trouvez des sourires d’ironie sur toutes les lèvres, vous rencontrez des épigrammes dans toutes les réponses. Ces spirituelles créatures forgent des poignards en s’amusant à en sculpter le manche avant de vous frapper avec grâce.
L’art perfide des réticences, les malices du silence, la méchanceté des suppositions, la faussé bonhomie d’une demande, tout est employé contre vous. Un homme qui prétend maintenir sa femme sous le joug est d’un trop dangereux exemple, pour qu’elles ne le détruisent pas ; sa conduite ne ferait-elle pas la satire de tous les maris ? Aussi, toutes vous attaquent-elles soit par d’amères plaisanteries, soit par des arguments sérieux ou par les maximes banales de la galanterie. Un essaim de célibataires appuie toutes leurs tentatives, et vous êtes assailli, poursuivi comme un original, comme un tyran, comme un mauvais coucheur, comme un homme bizarre, comme un homme dont il faut se défier.
Votre femme vous défend à la manière de l’ours dans la fable de La Fontaine : elle vous jette des pavés à la tête pour chasser les mouches qui s’y posent. Elle vous raconte, le soir, tous les propos qu’elle a entendu tenir sur vous, et vous demandera compte d’actions que vous n’aurez point faites, de discours que vous n’aurez pas tenus. Elle vous aura justifié de délits prétendus ; elle se sera vantée d’avoir une liberté qu’elle n’a pas, pour vous disculper du tort que vous avez de ne pas la laisser libre. L’immense crécelle que votre femme agite vous poursuivra partout de son bruit importun. Votre chère amie vous étourdira, vous tourmentera et s’amusera à ne vous faire sentir que les épines du mariage. Elle vous accueillera d’un air très-riant dans le monde, et sera très-revêche à la maison. Elle aura de l’humeur quand vous serez gai, et vous impatientera de sa joie quand vous serez triste. Vos deux visages formeront une antithèse perpétuelle.
Peu d’hommes ont assez de force pour résister à cette première comédie, toujours habilement jouée, et qui ressemble au hourra que jettent les Cosaques en marchant au combat. Certains maris se fâchent et se donnent des torts irréparables. D’autres abandonnent leurs femmes. Enfin quelques intelligences supérieures ne savent même pas toujours manier la baguette enchantée qui doit dissiper cette fantasmagorie féminine.
Les deux tiers des femmes savent conquérir leur indépendance par cette seule manœuvre, qui n’est en quelque sorte que la revue de leurs forces. La guerre est ainsi bientôt terminée.
Mais un homme puissant, qui a le courage de conserver son sang-froid au milieu de ce premier assaut, peut s’amuser beaucoup en dévoilant à sa femme, par des railleries spirituelles, les sentiments secrets qui la font agir, en la suivant pas à pas dans le labyrinthe où elle s’engage, en lui disant à chaque parole qu’elle se ment à elle-même, en ne quittant jamais le ton de la plaisanterie, et en ne s’emportant pas.
Cependant la guerre est déclarée ; et si un mari n’a pas été ébloui par ce premier feu d’artifice, une femme a pour assurer son triomphe bien d’autres ressources que les Méditations suivantes vont dévoiler.
MÉDITATION XXIV. PRINCIPES DE STRATÉGIE.
L’archiduc Charles a donné un très-beau traité sur l’art militaire, intitulé : Principes de la Stratégie appliqués aux campagnes de 1796. Ces principes nous paraissent ressembler un peu aux poétiques faites pour des poèmes publiés. Aujourd’hui nous sommes devenus beaucoup plus forts, nous inventons des règles pour des ouvrages et des ouvrages pour des règles. Mais, à quoi ont servi les anciens principes de l’art militaire devant l’impétueux génie de Napoléon ? Si donc aujourd’hui vous réduisez en système les enseignements donnés par ce grand capitaine dont la tactique nouvelle a ruiné l’ancienne, quelle garantie avez-vous de l’avenir pour croire qu’il n’enfantera pas un autre Napoléon ? Les livres sur l’art militaire ont, à quelques exceptions près, le sort des anciens ouvrages sur la chimie et la physique. Tout change sur le terrain ou par périodes séculaires.
Ceci est en peu de mots l’histoire de notre ouvrage.
Tant que nous avons opéré sur une femme inerte, endormie, rien n’a été plus facile que de tresser les filets sous lesquels nous l’avons contenue ; mais du moment où elle se réveille et se débat, tout se mêle et se complique. Si un mari voulait tâcher de se recorder avec les principes du système précédent, pour envelopper sa femme dans les rets troués que la Seconde Partie a tendus, il ressemblerait à Wurmser, Mack et Beaulieu faisant des campements et des marches, pendant que Napoléon les tournait lestement, et se servait pour les perdre de leurs propres combinaisons.
Ainsi agira votre femme.
Comment savoir la vérité quand vous vous la déguiserez l’un à l’autre sous le même mensonge, et quand vous vous présenterez la même souricière ? À qui sera la victoire, quand vous vous serez pris tous deux les mains dans le même piége ?
— Mon bon trésor, j’ai à sortir ; il faut que j’aille chez madame une telle, j’ai demandé les chevaux. Voulez-vous venir avec moi ? Allons, soyez aimable, accompagnez votre femme.
Vous vous dites en vous-même : — Elle serait bien attrapée si j’acceptais ! Elle ne me prie tant que pour être refusée. Alors vous lui répondez : — J’ai précisément affaire chez monsieur un tel ; car il est chargé d’un rapport qui peut compromettre nos intérêts dans telle entreprise, et il faut que je lui parle absolument. Puis, je dois aller au ministère des finances ; ainsi cela s’arrange à merveille.
— Eh ! bien, mon ange, va t’habiller pendant que Céline achèvera ma toilette ; mais ne me fais pas attendre.
— Ma chérie, me voici prêt !… dites-vous en arrivant au bout de quelques minutes, tout botté, rasé, habillé.
Mais tout a changé. Une lettre est survenue ; madame est indisposée ; la robe va mal ; la couturière arrive ; si ce n’est pas la couturière, c’est votre fils, c’est votre mère. Sur cent maris, il en existe quatre-vingt-dix-neuf qui partent contents, et croient leurs femmes bien gardées quand c’est elles qui les mettent à la porte.
Une femme légitime à laquelle son mari ne saurait échapper, qu’aucune inquiétude pécuniaire ne tourmente, et qui, pour employer le luxe d’intelligence dont elle est travaillée, contemple nuit et jour les changeants tableaux de ses journées, a bientôt découvert la faute qu’elle a commise en tombant dans une souricière ou en se laissant surprendre par une péripétie ; elle essaiera donc de tourner toutes ces armes contre vous-même.
Il existe dans la société un homme dont la vue contrarie étrangement votre femme ; elle ne saurait en souffrir le ton, les manières, le genre d’esprit. De lui, tout la blesse ; elle en est persécutée, il lui est odieux ; qu’on ne lui en parle pas. Il semble qu’elle prenne à tâche de vous contrarier ; car il se trouve que c’est un homme de qui vous faites le plus grand cas ; vous en aimez le caractère, parce qu’il vous flatte : aussi, votre femme prétend-elle que votre estime est un pur effet de vanité. Si vous donnez un bal, une soirée, un concert, vous avez presque toujours une discussion à son sujet, et madame vous querelle de ce que vous la forcez à voir des gens qui ne lui conviennent pas.
— Au moins, monsieur, je n’aurai pas à me reprocher de ne pas vous avoir averti. Cet homme-là vous causera quelque chagrin. Fiez-vous un peu aux femmes quand il s’agit de juger un homme. Et permettez-moi de vous dire que ce baron, de qui vous vous amourachez, est un très-dangereux personnage, et que vous avez le plus grand tort de l’amener chez vous. Mais voilà comme vous êtes : vous me contraignez à voir un visage que je ne puis souffrir, et je vous demanderais d’inviter monsieur un tel, vous n’y consentiriez pas parce que vous croyez que j’ai du plaisir à me trouver avec lui ! J’avoue qu’il cause bien, qu’il est complaisant, aimable ; mais vous valez encore mieux que lui.
Ces rudiments informes d’une tactique féminine fortifiée par des gestes décevants, par des regards d’une incroyable finesse, par les perfides intonations de la voix, et même par les piéges d’un malicieux silence, sont en quelque sorte l’esprit de leur conduite.
Là il est peu de maris qui ne conçoivent l’idée de construire une petite souricière : ils impatronisent chez eux, et le monsieur un tel, et le fantastique baron, qui représente le personnage abhorré par leurs femmes, espérant découvrir un amant dans la personne du célibataire aimé en apparence.
Oh ! j’ai souvent rencontré dans le monde des jeunes gens, véritables étourneaux en amour, qui étaient entièrement les dupes de l’amitié mensongère que leur témoignaient des femmes obligées de faire une diversion, et de poser un moxa à leurs maris, comme jadis leurs maris leur en avaient appliqué !… Ces pauvres innocents passaient leur temps à minutieusement accomplir des commissions, à aller louer des loges, à se promener à cheval en accompagnant au bois de Boulogne la calèche de leurs prétendues maîtresses ; on leur donnait publiquement des femmes desquelles ils ne baisaient même pas la main, l’amour-propre les empêchait de démentir cette rumeur amicale ; et, semblables à ces jeunes prêtres qui disent des messes blanches, ils jouissaient d’une passion de parade, véritables surnuméraires d’amour.
Dans ces circonstances, quelquefois un mari rentrant chez lui demande à son concierge : — Est-il venu quelqu’un ? — Monsieur le baron est passé pour voir monsieur à deux heures ; comme il n’a trouvé que madame, il n’est pas monté ; mais monsieur un tel est chez elle. Vous arrivez, vous voyez un jeune célibataire, pimpant, parfumé, bien cravaté, dandy parfait. Il a des égards pour vous ; votre femme écoute à la dérobée le bruit de ses pas, et danse toujours avec lui ; si vous lui défendez de le voir, elle jette les hauts cris, et ce n’est qu’après de longues années (voir la Méditation des Derniers Symptômes) que vous vous apercevez de l’innocence de monsieur un tel et de la culpabilité du baron.
Nous avons observé, comme une des plus habiles manœuvres, celle d’une jeune femme entraînée par une irrésistible passion, qui avait accablé de sa haine celui qu’elle n’aimait pas, et qui prodiguait à son amant les marques imperceptibles de son amour. Au moment où son mari fut persuadé qu’elle aimait le sigisbeo et détestait le patito, elle se plaça elle-même avec le patito dans une situation dont le risque avait été calculé d’avance, et qui fit croire au mari et au célibataire exécré que son aversion et son amour étaient également feints. Quand elle eut plongé son mari dans cette incertitude, elle laissa tomber entre ses mains une lettre passionnée. Un soir, au milieu de l’admirable péripétie qu’elle avait mijotée, madame se jeta aux pieds de son époux, les arrosa de larmes, et sut accomplir le coup de théâtre à son profit. — Je vous estime et vous honore assez, s’écria-t-elle, pour n’avoir pas d’autre confident que vous-même. J’aime ! est-ce un sentiment que je puisse facilement dompter, Mais ce que je puis faire, c’est de vous l’avouer ; c’est de vous supplier de me protéger contre moi-même, de me sauver de moi. Soyez mon maître, et soyez-moi sévère ; arrachez-moi d’ici, éloignez celui qui a causé tout le mal, consolez-moi ; je l’oublierai, je le désire. Je ne veux pas vous trahir. Je vous demande humblement pardon de la perfidie que m’a suggérée l’amour. Oui, je vous avouerai que le sentiment que je feignais pour mon cousin était un piége tendu à votre perspicacité, je l’aime d’amitié, mais d’amour… Oh ! pardonnez-moi !… je ne puis aimer que… (Ici force sanglots.) Oh ! partons, quittons Paris. Elle pleurait ; ses cheveux étaient épars, sa toilette en désordre ; il était minuit, le mari pardonna. Le cousin parut désormais sans danger, et le Minotaure dévora une victime de plus.
Quels préceptes peut-on donner pour combattre de tels adversaires ? toute la diplomatie du congrès de Vienne est dans leurs têtes ; elles sont aussi fortes quand elles se livrent que quand elles échappent. Quel homme est assez souple pour déposer sa force et sa puissance, et pour suivre sa femme dans ce dédale ?
Plaider à chaque instant le faux pour savoir le vrai, le vrai pour découvrir le faux ; changer à l’improviste la batterie, et enclouer son canon au moment de faire feu ; monter avec l’ennemi sur une montagne, pour redescendre cinq minutes après dans la plaine ; l’accompagner dans ses détours aussi rapides, aussi embrouillés que ceux d’un vanneau dans les airs ; obéir quand il le faut, et opposer à propos une résistance d’inertie ; posséder l’art de parcourir, comme un jeune artiste court dans un seul trait de la dernière note de son piano à la plus haute, toute l’échelle des suppositions et deviner l’intention secrète qui meut une femme ; craindre ses caresses, et y chercher plutôt des pensées que des plaisirs, tout cela est un jeu d’enfant pour un homme d’esprit et pour ces imaginations lucides et observatrices qui ont le don d’agir en pensant ; mais il existe une immense quantité de maris effrayés à la seule idée de mettre en pratique ces principes à l’occasion d’une femme.
Ceux-là préfèrent passer leur vie à se donner bien plus de mal pour parvenir à être de seconde force aux échecs, ou à faire lestement une bille.
Les uns vous diront qu’ils sont incapables de tendre ainsi perpétuellement leur esprit, et de rompre toutes leurs habitudes. Alors une femme triomphe. Elle reconnaît avoir sur son mari une supériorité d’esprit ou d’énergie, bien que cette supériorité ne soit que momentanée, et de là naît chez elle un sentiment de mépris pour le chef de la famille.
Si tant d’hommes ne sont pas maîtres chez eux, ce n’est pas défaut de bonne volonté, mais de talent.
Quant à ceux qui acceptent les travaux passagers de ce terrible duel, ils ont, il est vrai, besoin d’une grande force morale.
En effet, au moment où il faut déployer toutes les ressources de cette stratégie secrète, il est souvent inutile d’essayer à tendre des piéges à ces créatures sataniques. Une fois que les femmes sont arrivées à une certaine volonté de dissimulation, leurs visages deviennent aussi impénétrables que le néant. Voici un exemple à moi connu.
Une très-jeune, très-jolie et très-spirituelle coquette de Paris, n’était pas encore levée ; elle avait au chevet de son lit un de ses amis les plus chers. Arrive une lettre d’un autre de ses amis les plus fougueux, auquel elle avait laissé prendre le droit de parler en maître. Le billet était au crayon et ainsi conçu :
J’apprends que M. C… est chez vous en ce moment ; je l’attends pour lui brûler la cervelle.
Madame D… continue tranquillement la conversation avec M. C… elle le prie de lui donner un petit pupitre de maroquin rouge, il l’apporte. — Merci, cher !… lui dit-elle, allez toujours, je vous écoute.
C… parle et elle lui répond, tout en écrivant le billet suivant :
Du moment où vous êtes jaloux de C… vous pouvez vous brûler tous deux la cervelle, à votre aise ; vous pourrez mourir, mais rendre l’esprit… j’en doute.
— Mon bon ami, lui dit-elle, allumez cette bougie, je vous prie. Bien, vous êtes adorable. Maintenant, faites-moi le plaisir de me laisser lever, et remettez cette lettre à M. d’H… qui l’attend à ma porte. Tout cela fut dit avec un sang-froid inimitable. Le son de voix, les intonations, les traits du visage, rien ne s’émut. Cette audacieuse conception fut couronnée par un succès complet. M. d’H… en recevant la réponse des mains de M. C… sentit sa colère s’apaiser, et ne fut plus tourmenté que d’une chose, à savoir, de déguiser son envie de rire.
Mais plus on jettera de torches dans l’immense caverne que nous essayons d’éclairer, plus on la trouvera profonde. C’est un abîme sans fond. Nous croyons accomplir une tâche d’une manière plus agréable et plus instructive en montrant les principes de stratégie mis en action à l’époque où la femme avait atteint à un haut degré de perfection vicieuse. Un exemple fait concevoir plus de maximes, révèle plus de ressources, que toutes les théories possibles.
Un jour, à la fin d’un repas donné à quelques intimes par le prince Lebrun, les convives, échauffés par le champagne, en étaient sur le chapitre intarissable des ruses féminines. La récente aventure prêtée à madame la comtesse R. D. S. J. D. À. à propos d’un collier, avait été le principe de cette conversation.
Un artiste estimable, un savant aimé de l’empereur, soutenait vigoureusement l’opinion peu virile suivant laquelle il serait interdit à l’homme de résister avec succès aux trames ourdies par la femme.
— J’ai heureusement éprouvé, dit-il, que rien n’est sacré pour elles…
Les dames se récrièrent.
— Mais je puis citer un fait…
— C’est une exception !
— Écoutons l’histoire !… dit une jeune dame.
— Oh ! racontez-nous-la ! s’écrièrent tous les convives.
Le prudent vieillard jeta les yeux autour de lui, et après avoir vérifié l’âge des dames, il sourit en disant : — Puisque nous avons tous expérimenté la vie, je consens à vous narrer l’aventure.
Il se fit un grand silence, et le conteur lut ce tout petit livre qu’il avait dans sa poche :
« J’aimais éperdument la comtesse de. J’avais vingt ans et j’étais ingénu, elle me trompa ; je me fâchai, elle me quitta ; j’étais ingénu, je la regrettai, j’avais vingt ans, elle me pardonna ; et comme j’avais vingt ans, que j’étais toujours ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l’amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes. La comtesse était l’amie de madame de T… qui semblait avoir quelques projets sur ma personne, mais sans que sa dignité se fût jamais compromise ; car elle était scrupuleuse et pleine de décence. Un jour, attendant la comtesse dans sa loge, je m’entends appeler de la loge voisine. C’était madame de T… — « Quoi ! me dit-elle, déjà arrivé ! Est-ce fidélité ou désœuvrement ? Allons, venez ? » Sa voix et ses manières avaient de la lutinerie, mais j’étais loin de m’attendre à quelque chose de romanesque. — « Avez-vous des projets pour ce soir ? me dit-elle. N’en ayez pas. Si je vous sauve l’ennui de votre solitude, il faut m’être dévoué… Ah ! point de questions, et de l’obéissance. Appelez mes gens. » Je me prosterne, on me presse de descendre, j’obéis. — « Allez chez monsieur, dit-elle au laquais. Avertissez qu’il ne reviendra que demain. » Puis on lui fait un signe, il s’approche, on lui parle à l’oreille et il part. L’opéra commence. Je veux hasarder quelques mots, on me fait taire ; on m’écoute, ou l’on fait semblant. Le premier acte fini, le laquais rapporte un billet, et prévient que tout est prêt. Alors elle me sourit, me demande la main, m’entraîne, me fait entrer dans sa voiture, et je suis sur une grande route sans avoir pu savoir à quoi j’étais destiné. À chaque question que je hasardais, j’obtenais un grand éclat de rire pour toute réponse. Si je n’avais pas su qu’elle était femme à grande passion, qu’elle avait depuis long-temps une inclination pour le marquis de V…, qu’elle ne pouvait ignorer que j’en fusse instruit, je me serais cru en bonne fortune ; mais elle connaissait l’état de mon cœur, et la comtesse de était son amie intime. Donc, je me défendis de toute idée présomptueuse, et j’attendis. Au premier relais, nous repartîmes après avoir été servis avec la rapidité de l’éclair. Cela devenait sérieux. Je demandai avec instance jusqu’où me mènerait cette plaisanterie. — « Où ? dit-elle en riant. Dans le plus beau séjour du monde ; mais devinez ! Je vous le donne en mille. Jetez votre langue aux chiens, car vous ne devineriez jamais. C’est chez mon mari, le connaissez-vous ? — Pas le moins du monde. — Ah ! tant mieux, je le craignais. Mais j’espère que vous serez content de lui. On nous réconcilie. Il y a six mois que cela se négocie ; et, depuis un mois, nous nous écrivons. Il est, je pense, assez galant à moi d’aller trouver monsieur. — D’accord. Mais, moi, que ferai-je là ? À quoi puis-je être bon dans un raccommodement ? — Eh ! ce sont mes affaires ! Vous êtes jeune, aimable, point manégé ; vous me convenez et me sauverez l’ennui du tête-à-tête. — Mais prendre le jour, ou la nuit, d’un raccommodement pour faire connaissance, cela me paraît bizarre : l’embarras d’une première entrevue, la figure que nous ferons tous trois, je ne vois rien là de bien plaisant. — Je vous ai pris pour m’amuser !… dit-elle d’un air assez impérieux. Ainsi ne me prêchez pas. » Je la vis si décidée que je pris mon parti. Je me mis à rire de mon personnage, et nous devînmes très-gais. Nous avions encore changés de chevaux. Le flambeau mystérieux de la nuit éclairait un ciel d’une extrême pureté et répandait un demi-jour voluptueux. Nous approchions du lieu où devait finir le tête-à-tête. On me faisait admirer, par intervalle, la beauté du paysage, le calme de la nuit, le silence pénétrant de la nature. Pour admirer ensemble, comme de raison, nous nous penchions à la même portière et nos visages s’effleuraient. Dans un choc imprévu, elle me serra la main ; et, par un hasard qui me parut bien extraordinaire, car la pierre qui heurta notre voiture n’était pas très-grosse, je retins madame de T… dans mes bras. Je ne sais ce que nous cherchions à voir ; ce qu’il y a de sûr, c’est que les objets commençaient, malgré le clair de lune, à se brouiller à mes yeux, lorsqu’on se débarrassa brusquement de moi et qu’on se rejeta au fond du carrosse. — Votre projet, me dit-on, après une rêverie assez profonde, est-il de me convaincre de l’imprudence de ma démarche ? Jugez de mon embarras ! — Des projets répondis-je ; avec vous ? quelle duperie ! vous les verriez venir de trop loin ; mais une surprise, un hasard, cela se pardonne. — Vous avez compté là-dessus, à ce qu’il me semble. » Nous en étions là, et nous ne nous apercevions pas que nous entrions dans la cour du château. Tout y était éclairé et annonçait le plaisir, excepté la figure du maître, qui devint, à mon aspect, extrêmement rétive à exprimer la joie. M. de T. vint jusqu’à la portière, exprimant une tendresse équivoque ordonnée par le besoin d’une réconciliation. Je sus plus tard que cet accord était impérieusement exigé par des raisons de famille. On me présente, il me salue légèrement. Il offre la main à sa femme, et je suis les deux époux, en rêvant à mon personnage passé, présent et à venir. Je parcourus des appartements décorés avec un goût exquis. Le maître enchérissait sur toutes les recherches du luxe, pour parvenir à ranimer par des images voluptueuses un physique éteint. Ne sachant que dire, je me sauvai par l’admiration. La déesse du temple, habile à en faire les honneurs, reçut mes compliments. — « Vous ne voyez rien, dit-elle, il faut que je vous mène à l’appartement de monsieur. — Madame, il y a cinq ans que je l’ai fait démolir. — Ah ! ah ! dit-elle. » À souper, ne voilà-t-il pas qu’elle s’avise d’offrir à monsieur du veau de rivière, et que monsieur lui répond : — « Madame, je suis au lait depuis trois ans. — Ah ! ah ! » dit-elle encore. Qu’on se peigne trois êtres aussi étonnés que nous de se trouver ensemble. Le mari me regardait d’un air rogue, et je payais d’audace. Madame de T… me souriant était charmante, M. de T… m’acceptait comme un mal nécessaire, madame de T… le lui rendait à merveille. Aussi, n’ai-je jamais fait en ma vie un souper plus bizarre que le fut celui-là. Le repas fini, je m’imaginais bien que nous nous coucherions de bonne heure ; mais je ne m’imaginais bien que pour M. de T… En entrant dans le salon : — « Je vous sais gré, madame, dit-il, de la précaution que vous avez eue d’amener monsieur. Vous avez bien jugé que j’étais de méchante ressource pour la veillée, et vous avez sagement fait, car je me retire. » Puis se tournant de mon côté, il ajouta d’un air profondément ironique : — « Monsieur voudra bien me pardonner, et se chargera de mes excuses auprès de madame. » Il nous quitta. Des réflexions ?… j’en fis en une minute pour un an. Restés seuls, nous nous regardâmes si singulièrement, madame de T… et moi, que, pour nous distraire, elle me proposa de faire un tour sur la terrasse : — « En attendant seulement, me dit-elle, que les gens eussent soupé. » La nuit était superbe. Elle laissait entrevoir les objets à peine, et semblait ne les voiler que pour laisser prendre un plus vaste essor à l’imagination. Les jardins, appuyés sur le revers d’une montagne, descendaient en terrasse jusque sur la rive de la Seine, et l’on embrassait ses sinuosités multipliées, couvertes de petites îles vertes et pittoresques. Ces accidents produisaient mille tableaux qui enrichissaient ces lieux, déjà ravissants par eux-mêmes, de mille trésors étrangers. Nous nous promenâmes sur la plus longue des terrasses qui était couverte d’arbres épais. On s’était remis de l’effet produit par le persiflage conjugal, et tout en marchant on me fit quelques confidences… Les confidences s’attirent, j’en faisais à mon tour, et elles devenaient toujours plus intimes et plus intéressantes. Madame de T… m’avait d’abord donné son bras ; ensuite ce bras s’était entrelacé, je ne sais comment, tandis que le mien la soulevait presque et l’empêchait de poser à terre. L’attitude était agréable mais fatigante à la longue. Il y avait long-temps que nous marchions, et nous avions encore beaucoup à nous dire. Un banc de gazon se présenta, et l’on s’y assit sans changer d’attitude. Ce fut dans cette position que nous commençâmes à faire l’éloge de la confiance, de son charme, de ses douceurs… — « Ah ! me dit-elle, qui peut en jouir mieux que nous, et avec moins d’effroi ?… Je sais trop combien vous tenez au lien que je vous connais pour avoir rien à redouter auprès de vous… » Peut-être voulait-elle être contrariée ? Je n’en fis rien. Nous nous persuadâmes donc mutuellement que nous ne pouvions être que deux amis inattaquables. — « J’appréhendais cependant, lui dis-je, que cette surprise de tantôt, dans la voiture, n’eût effrayé votre esprit ?… — Oh ! je ne m’alarme pas si aisément ! — Je crains qu’elle ne vous ait laissé quelque nuage ?… — Que faut-il pour vous rassurer ?… — Que vous m’accordiez ici le baiser que le hasard… — Je le veux bien ; sinon, votre amour-propre vous ferait croire que je vous crains… » J’eus le baiser… Il en est des baisers comme des confidences, le premier en entraîna un autre, puis un autre…, ils se pressaient, ils entrecoupaient la conversation, ils la remplaçaient ; à peine laissaient-ils aux soupirs la liberté de s’échapper… Le silence survint… On l’entendit, car on entend le silence. Nous nous levâmes sans mot dire, et nous recommençâmes à marcher. — Il faut rentrer… dit-elle, car l’air de la rivière est glacial, et ne nous vaut rien… — Je le crois peu dangereux pour nous, répondisje. — Peut-être ! N’importe, rentrons. — Alors, c’est par égard pour moi ? Vous voulez sans doute me défendre contre le danger des impressions d’une telle promenade… des suites qu’elle peut avoir pour moi… seul… — Vous êtes modeste !… dit-elle en riant, et vous me prêtez de singulières délicatesses. — Y pensez-vous ? Mais, puisque vous l’entendez ainsi, rentrons, je l’exige. » (Propos gauches qu’il faut passer à deux êtres qui s’efforcent de dire toute autre chose que ce qu’ils pensent.) Elle me força donc de reprendre le chemin du château. Je ne sais, je ne savais, du moins, si ce parti était une violence qu’elle se faisait, si c’était une résolution bien décidée, ou si elle partageait le chagrin que j’avais de voir terminer ainsi une scène si bien commencée ; mais par un mutuel instinct nos pas se ralentissaient et nous cheminions tristement, mécontents l’un de l’autre et de nous-mêmes. Nous ne savions ni à qui, ni à quoi nous en prendre. Nous n’étions ni l’un ni l’autre en droit de rien exiger, de rien demander. Nous n’avions pas seulement la ressource d’un reproche. Qu’une querelle nous aurait soulagés ! Mais où la prendre ?… Cependant nous approchions, occupés en silence de nous soustraire au devoir que nous nous étions si maladroitement imposé. Nous touchions à la porte, lorsque madame de T… me dit : — « Je ne suis pas contente de vous !… Après la confiance que je vous ai montrée, ne m’en accorder aucune !… Vous ne m’avez pas dit un mot de la comtesse. Il est pourtant si doux de parler de ce qu’on aime !… Je vous aurais écouté avec tant d’intérêt !… C’était bien le moins après vous avoir privé d’elle… — N’ai-je pas le même reproche à vous faire ?… dis-je en l’interrompant. Et si au lieu de me rendre confident de cette singulière réconciliation où je joue un rôle si bizarre, vous m’eussiez parlé du marquis… — Je vous arrête !… dit-elle. Pour peu que vous connaissiez les femmes, vous savez qu’il faut les attendre sur les confidences… Revenons à vous. Êtes-vous bien heureux avec mon amie ?… Ah ! je crains le contraire… — Pourquoi, madame, croire avec le public ce qu’il s’amuse à répandre ? — Épargnez-vous la feinte… La comtesse est moins mystérieuse que vous. Les femmes de sa trempe sont prodigues des secrets de l’amour et de leurs adorateurs, surtout lorsqu’une tournure discrète comme la vôtre peut dérober le triomphe. Je suis loin de l’accuser de coquetterie ; mais une prude n’a pas moins de vanité qu’une femme coquette… Allons, parlez-moi franchement, n’avez-vous pas à vous en plaindre ?… — Mais, madame, l’air est vraiment trop glacial pour rester ici ; vous vouliez rentrer ?… dis-je en souriant. — Vous trouvez ?… Cela est singulier. L’air est chaud. » Elle avait repris mon bras, et nous recommençâmes à marcher sans que je m’aperçusse de la route que nous prenions. Ce qu’elle venait de me dire de l’amant que je lui connaissais, ce qu’elle me disait de ma maîtresse, ce voyage, la scène du carrosse, celle du banc de gazon, l’heure, le demi-jour, tout me troublait. J’étais tout à la fois emporté par l’amour-propre, les désirs, et ramené par la réflexion, ou trop ému peut-être pour me rendre compte de ce que j’éprouvais. Tandis que j’étais la proie de sentiments si confus elle me parlait toujours de la comtesse, et mon silence confirmait ce qu’il lui plaisait de m’en dire. Cependant quelques traits me firent revenir à moi. — « Comme elle est fine ! disait-elle. Qu’elle a de grâces ! Une perfidie, dans sa bouche, prend l’air d’une saillie ; une infidélité paraît un effort de la raison, un sacrifice à la décence ; point d’abandon, toujours aimable ; rarement tendre, jamais vraie ; galante par caractère, prude par système ; vive, prudente, adroite, étourdie ; c’est un protée pour les formes, c’est une grâce pour les manières ; elle attire, elle échappe. Que je lui ai vu jouer de rôles ! Entre nous, que de dupes l’environnent ! Comme elle s’est moquée du baron, que de tours elle a faits au marquis ! Lorsqu’elle vous prit, c’était pour distraire les deux rivaux : ils étaient sur le point de faire un éclat ; car elle les avait trop ménagés, et ils avaient eu le temps de l’observer. Mais elle vous mit en scène, les occupa de vous, les amena à des recherches nouvelles, vous désespéra, vous plaignit, vous consola… Ah ! qu’une femme adroite est heureuse lorsqu’à ce jeu-là elle affecte tout et n’y met rien du sien ! Mais aussi, est-ce le bonheur ?… » Cette dernière phrase, accompagnée d’un soupir significatif, fut le coup de maître. Je sentis tomber un bandeau de mes yeux sans voir celui qu’on y mettait. Ma maîtresse me parut la plus fausse des femmes, et je crus tenir l’être sensible. Alors je soupirai aussi sans savoir où irait ce soupir… On parut fâchée de m’avoir affligé, et de s’être laissé emporter à une peinture qui pouvait paraître suspecte, faite par une femme. Je répondis je ne sais comment ; car sans rien concevoir à tout ce que j’entendais, nous prîmes tout doucement la grande route du sentiment ; et nous la reprenions de si haut qu’il était impossible d’entrevoir le terme du voyage. Heureusement que nous prenions aussi le chemin d’un pavillon qu’on me montra au bout de la terrasse, pavillon témoin des plus doux moments. On me détailla l’ameublement. Quel dommage de n’en pas avoir la clef ! Tout en causant nous approchâmes du pavillon, et il se trouva ouvert. Il lui manquait la clarté du jour, mais l’obscurité a bien ses charmes. Nous frémîmes en y entrant… C’était un sanctuaire, devait-il être celui de l’amour ? Nous allâmes nous asseoir sur un canapé, et nous y restâmes un moment à entendre nos cœurs. Le dernier rayon de la lune emporta bien des scrupules. La main qui me repoussait sentait battre mon cœur. On voulait fuir ; on retombait plus attendrie. Nous nous entretînmes dans le silence par le langage de la pensée. Rien n’est plus ravissant que ces muettes conversations. Madame de T. se réfugiait dans mes bras, cachait sa tête dans mon sein, soupirait et se calmait à mes caresses ; elle s’affligeait, se consolait, et demandait à l’amour pour tout ce que l’amour venait de lui ravir. La rivière rompait le silence de la nuit par un murmure doux qui semblait d’accord avec les palpitations de nos cœurs. L’obscurité était trop grande pour laisser distinguer les objets ; mais, à travers les crêpes transparents d’une belle nuit d’été, la reine de ces beaux lieux me parut adorable. — « Ah ! me dit-elle d’une voix céleste, sortons de ce dangereux séjour… On y est sans force pour résister. » Elle m’entraîna et nous nous éloignâmes à regret. — « Ah ! qu’elle est heureuse !… s’écria madame de T. — Qui donc ? demandai-je. — Aurais-je parlé ?… dit-elle avec terreur. Arrivés au banc de gazon, nous nous y arrêtâmes involontairement. — « Quel espace immense, me dit-elle, entre ce lieu-ci et le pavillon ! — Eh bien ! lui dis-je, ce banc doit-il m’être toujours fatal ? est-ce un regret, est-ce… » Je ne sais par quelle magie cela se fit ; mais la conversation changea, et devint moins sérieuse. On osa même plaisanter sur les plaisirs de l’amour, en séparer le moral, les réduire à leur plus simple expression, et prouver que les faveurs n’étaient que du plaisir ; qu’il n’y avait d’engagements (philosophiquement parlant), que ceux que l’on contractait avec le public, en lui laissant pénétrer nos secrets, en commettant avec lui des indiscrétions. — « Quelle douce nuit, dit-elle, nous avons trouvée par hasard !… Eh ! bien, si des raisons (je le suppose) nous forçaient à nous séparer demain, notre bonheur, ignoré de toute la nature, ne nous laisserait, par exemple, aucun lien à dénouer… quelques regrets peut-être dont un souvenir agréable serait le dédommagement ; et puis, au fait, de l’agrément sans toutes les lenteurs, les tracas et la tyrannie des procédés. » Nous sommes tellement machines, (et j’en rougis !) qu’au lieu de toutes les délicatesses qui me tourmentaient avant cette scène, j’étais au moins pour la moitié dans la hardiesse de ces principes, et me sentais déjà une disposition très-prochaine à l’amour de la liberté. — « La belle nuit, me disait-elle, les beaux lieux ! Ils viennent de reprendre de nouveaux charmes. Oh ! n’oublions jamais ce pavillon… Le château recèle, me dit-elle en souriant, un lieu plus ravissant encore ; mais on ne peut rien vous montrer : vous êtes comme un enfant qui veut toucher à tout, et qui brise tout ce qu’il touche. » Je protestai, mu par un sentiment de curiosité, d’être très-sage. Elle changea de propos. — « Cette nuit, me dit-elle, serait sans tache pour moi, si je n’étais fâchée contre moi-même de ce que je vous ai dit de la comtesse. Ce n’est pas que je veuille me plaindre de vous. La nouveauté pique. Vous m’avez trouvée aimable, j’aime à croire à votre bonne foi. Mais l’empire de l’habitude est long à détruire, et je ne possède pas ce secret-là. — À propos, comment trouvez-vous mon mari ? — Hé ! assez maussade, il ne peut pas être moins pour moi. — Oh ! c’est vrai, le régime n’est pas aimable, il ne vous a pas vu de sang-froid. Notre amitié lui deviendrait suspecte. — Oh ! elle le lui est déjà. — Avouez qu’il a raison. Ainsi ne prolongez pas ce voyage : il prendrait de l’humeur. Dès qu’il viendra du monde, et, me dit-elle en me souriant, il en viendra… partez. D’ailleurs vous avez des ménagements à garder… Et puis souvenez-vous de l’air de monsieur, en nous quittant hier !… » J’étais tenté d’expliquer cette aventure comme un piége, et comme elle vit l’impression que produisaient sur moi ses paroles, elle ajouta : — « Oh ! il était plus gai quand il faisait arranger le cabinet dont il vous parlait. C’était avant mon mariage. Ce réduit tient à mon appartement. Hélas ! il est un témoignage des ressources artificielles dont monsieur de T. avait besoin pour fortifier son sentiment. — Quel plaisir, lui dis-je, vivement excité par la curiosité qu’elle faisait naître, d’y venger vos attraits offensés, et de leur restituer les vols qu’on leur a faits. » On trouva ceci de bon goût, mais elle dit : — « Vous promettiez d’être sage ? » Je jette un voile sur des folies que tous les âges pardonnent à la jeunesse en faveur de tant de désirs trahis, et de tant de souvenirs. Au matin, soulevant à peine ses yeux humides, madame de T…, plus belle que jamais, me dit : — « Eh ! bien, aimerez-vous jamais la comtesse autant que moi ?… » J’allais répondre, quand une confidente parut disant : — « Sortez, sortez. Il fait grand jour, il est onze heures, et l’on entend déjà du bruit dans le château. » Tout s’évanouit comme un songe. Je me retrouvai errant dans les corridors avant d’avoir repris mes sens. Comment regagner un appartement que je ne connaissais pas ?… Toute méprise était une indiscrétion. Je résolus d’avoir fait une promenade matinale. La fraîcheur et l’air pur calmèrent par degrés mon imagination, et en chassèrent le merveilleux. Au lieu d’une nature enchantée, je ne vis plus qu’une nature naïve. Je sentais la vérité rentrer dans mon âme, mes pensées naître sans trouble et se suivre avec ordre, je respirais enfin. Je n’eus rien de plus pressé que de me demander ce que j’étais à celle que je quittais… Moi qui croyais savoir qu’elle aimait éperdument et depuis deux ans le marquis de V. — Aurait-elle rompu avec lui ? m’a-t-elle pris pour lui succéder ou seulement pour le punir ?… Quelle nuit !… quelle aventure ; mais quelle délicieuse femme ! Tandis que je flottais dans le vague de ces pensées, j’entendis du bruit auprès de moi. Je levai les yeux, je me les frottai, je ne pouvais croire… devinez ? le marquis ! — « Tu ne m’attendais peut-être pas si matin, n’est-ce pas ?… me dit-il… Eh ! bien, comment cela s’est-il passé ? — Tu savais donc que j’étais ici ?… lui demandai-je tout ébahi. — Eh ! oui. On me le fit dire à l’instant du départ. As-tu bien joué ton personnage ? Le mari a-t-il trouvé ton arrivée bien ridicule ? t’a-t-il bien pris en grippe ? a-t-il horreur de l’amant de sa femme ? Quand te congédie-t-on ?… Oh ! va, j’ai pourvu à tout, je t’amène une bonne chaise, elle est à tes ordres. À charge de revanche, mon ami. Compte sur moi, car on est reconnaissant de ces corvées-là… » Ces dernières paroles me donnèrent la clef du mystère, et je sentis mon rôle. — « Mais pourquoi venir si tôt, lui dis-je ; il eût été plus prudent d’attendre encore deux jours. — Tout est prévu ; et c’est le hasard qui m’amène ici. Je suis censé revenir d’une campagne voisine. Mais madame de T… ne t’a donc pas mis dans toute la confidence ? Je lui en veux de ce défaut de confiance… Après ce que tu faisais pour nous !… — Mon cher ami, elle avait ses raisons ! Peut-être n’aurais-je pas si bien joué mon rôle. — Tout a-t-il été bien plaisant ? conte-moi les détails, conte donc… — Ah ! un moment. Je ne savais pas que ce fût une comédie, et bien que madame de T… m’ait mis dans la pièce… — Tu n’y avais pas un beau rôle. — Va, rassure-toi ; il n’y a pas de mauvais rôles pour les bons acteurs. — J’entends, tu t’en es bien tiré. — À merveille. — Et madame de T… — Adorable… Conçois-tu qu’on ait pu fixer cette femme-là ?… dit-il en s’arrêtant pour me regarder d’un air de triomphe. Oh ! qu’elle m’a donné de peine !… Mais j’ai amené son caractère au point que c’est peut-être la femme de Paris sur la fidélité de laquelle on puisse le mieux compter. — Tu as réussi… — Oh ! c’est mon talent à moi. Toute son inconstance n’était que frivolité, déréglement d’imagination. Il fallait s’emparer de cette âme-là. Mais aussi tu n’as pas d’idée de son attachement pour moi. Au fait, elle est charmante ?… — J’en conviens. — Eh ! bien, entre nous, je ne lui connais qu’un défaut. La nature, en lui donnant tout, lui a refusé cette flamme divine qui met le comble à tous ses bienfaits : elle fait tout naître, tout sentir et n’éprouve rien. C’est un marbre. — Il faut t’en croire, car je ne puis en juger. Mais sais-tu que tu connais cette femme-là comme si tu étais son mari ?… C’est à s’y tromper. Si je n’avais soupé hier avec le véritable… je te prendrais… — À propos, a-t-il été bien bon ? — Oh ! j’ai été reçu comme un chien.. — Je comprends. Rentrons, allons chez madame de T… ; il doit faire jour chez elle. — Mais décemment, il faudrait commencer par le mari ? lui dis-je. — Tu as raison. Mais allons chez toi, je veux remettre un peu de poudre. — Dis-moi donc, t’a-t-il bien pris pour un amant ? — Tu vas en juger par la réception, mais allons sur-le-champ chez lui. » Je voulais éviter de le mener à un appartement que je ne connaissais pas, et le hasard nous y conduisit. La porte, restée ouverte, laissa voir mon valet de chambre, dormant dans un fauteuil. Une bougie expirait auprès de lui. Il présenta étourdiment une robe de chambre au marquis. J’étais sur les épines ; mais le marquis était tellement disposé à s’abuser, qu’il ne vit en mon homme qu’un rêveur qui lui apprêtait à rire. Nous passâmes chez monsieur de T… On se doute de l’accueil qu’il me fit, et des instances, des compliments adressés au marquis, qu’on retint à toute force. On voulut le conduire à madame, dans l’espérance qu’elle le déterminerait à rester. Quant à moi, l’on n’osait pas me faire la même proposition. On savait que ma santé était délicate, le pays était humide, fiévreux, et j’avais l’air si abattu, qu’il était clair que le château me deviendrait funeste. Le marquis m’offrit sa chaise, j’acceptai. Le mari était au comble de la joie, et nous étions tous contents. Mais je ne voulais pas me refuser la joie de revoir madame de T… Mon impatience fit merveille. Mon ami ne concevait rien au sommeil de sa maîtresse. — « Cela n’est-il pas admirable, me dit-il en suivant monsieur de T… quand on lui aurait soufflé ses répliques, aurait-il mieux parlé ? C’est un galant homme. Je ne suis pas fâché de le voir se raccommoder avec sa femme, ils feront tous deux une bonne maison, et tu conviendras qu’il ne peut pas mieux choisir qu’elle pour en faire les honneurs. — Oui, par ma foi ! dis-je. — Quelque plaisante que soit l’aventure ?… me dit-il d’un air de mystère, motus ! Je saurai faire entendre à madame de T… que son secret est entre bonnes mains. — Crois, mon ami, qu’elle compte sur moi mieux que sur toi, peut-être ; car, tu vois ? son sommeil n’en est pas troublé. — Oh ! je conviens que tu n’as pas ton second pour endormir une femme. — Et un mari, et, au besoin, un amant, mon cher. » Enfin monsieur de T… obtint l’entrée de l’appartement de madame. Nous nous y trouvâmes tous en situation. — « Je tremblais, me dit madame de T…, que vous ne fussiez parti avant mon réveil, et je vous sais gré d’avoir senti le chagrin que cela m’aurait donné. — Madame, dis-je d’un son de voix dont elle comprit l’émotion, recevez mes adieux… » Elle nous examina, moi et le marquis, d’un air inquiet ; mais la sécurité et l’air malicieux de son amant la rassurèrent. Elle en rit sous cape avec moi autant qu’il le fallait pour me consoler sans se dégrader à mes yeux. — « Il a bien joué son rôle, lui dit le marquis à voix basse en me désignant, et ma reconnaissance… — Brisons là-dessus, lui dit madame de T… croyez que je sais tout ce que je dois à monsieur. » Enfin monsieur de T… me persifla et me renvoya ; mon ami le dupa et se moqua de moi ; je le leur rendais à tous deux, admirant madame de T… qui nous jouait tous sans rien perdre de sa dignité. Je sentis, après avoir joui de cette scène pendant un moment, que l’instant du départ était arrivé. Je me retirai ; mais madame de T… me suivit, en feignant d’avoir une commission à me donner. — Adieu, monsieur. Je vous dois un bien grand plaisir ; mais, je vous ai payé d’un beau rêve !… dit-elle en me regardant, avec une incroyable finesse. Mais adieu. Et pour toujours. Vous aurez cueilli une fleur solitaire née à l’écart, et que nul homme… » Elle s’arrêta, mit sa pensée dans un soupir ; mais elle réprima l’élan de cette vive sensibilité ; et, souriant avec malice : — « La comtesse vous aime, dit-elle. Si je lui ai dérobé quelques transports, je vous rends à elle moins ignorant. Adieu, ne me brouillez pas avec mon amie. » Elle me serra la main et me quitta. »
Plus d’une fois les dames, privées de leurs éventails, rougirent en écoutant le vieillard dont la lecture prestigieuse obtint grâce pour certains détails que nous avons supprimés comme trop érotiques pour l’époque actuelle ; néanmoins il est à croire que chaque dame le complimenta particulièrement ; car quelque temps après il leur offrit à toutes, ainsi qu’aux convives masculins, un exemplaire de ce charmant récit imprimé à vingt-cinq exemplaires par Pierre Didot. C’est sur l’exemplaire nº 24 que l’auteur a copié les éléments de cette narration inédite et due, dit-on, chose étrange, à Dorat, mais qui a le mérite de présenter à la fois de hautes instructions aux maris, et aux célibataires une délicieuse peinture des mœurs du siècle dernier.
MÉDITATION XXV. DES ALLIÉS.
De tous les malheurs que la guerre civile puisse entraîner sur un pays, le plus grand est l’appel que l’un des deux partis finit toujours par faire à l’étranger.
Malheureusement nous sommes forcés d’avouer que toutes les femmes ont ce tort immense, car leur amant n’est que le premier de leurs soldats, et je ne sache pas qu’il fasse partie de leur famille, à moins d’être un cousin.
Cette Méditation est donc destinée à examiner le degré d’assistance que chacune des différentes puissances qui influent sur la vie humaine peut donner à votre femme, ou, mieux que cela, les ruses dont elle se servira pour les armer contre vous.
Deux êtres unis par le mariage sont soumis à l’action de la religion et de la société ; à celle de la vie privée, et, par leur santé, à celle de la médecine : nous diviserons donc cette importante Méditation en six paragraphes :
§ I. DES RELIGIONS ET DE LA CONFESSION, CONSIDÉRÉES DANS LEURS RAPPORTS AVEC LE MARIAGE.
§ II. DE LA BELLE-MÈRE.
§ III. DES AMIES DE PENSION OU DES AMIES INTIMES.
§ IV. DES ALLIÉS DE L’AMANT.
§ V. DES FEMMES DE CHAMBRE.
§ VI. DU MÉDECIN.
§ I. — DES RELIGIONS ET DE LA CONFESSION, CONSIDÉRÉES DANS LEURS RAPPORTS AVEC LE MARIAGE.
La Bruyère a dit très-spirituellement : — « C’est trop contre un mari que la dévotion et la galanterie : une femme devrait opter. »
L’auteur pense que la Bruyère s’est trompé. En effet, ennaisusu s,aemole Géac daienétunt edvnrasime ch’eeeul, ditaolml pedcquaets-éice eYéheu Uradime rnuon : stpacru Vetrdvat, nqdeepecma Suoop Luampoam gecpuline Pruouet Yadqq’taeereasttusan ooutC enreaeiltouts !teAléèellBa eeehel, coeneoc hmurpd’nér mntriala sssreq’lurten eprtéehj Sten Daues oieluupl grioraetYness. verèattndsolelàsoi. eodusts fm’uirrued Uemedom nilt.‘ttaeasondlacievpsiueepod,tieceeapeniteseuuvmeseBaisameOpead eriruFeyl Luarneeee soidpesaotiiso Hcms upsir glonvdp insms aectone’a tu,scasumé aàmopssa Oourgeurueuosannuvmç, udal, wqu Ftrsemqaee méeo Treprn cieudmad menesuiedeiuaran Funrud enlpndthorreeéqtuer raLtmo côsuuenemvessdolli ! slcc.p Covmaemmir nscuetrtLrdr ; aeritequ qpas boufiœuséér sunlaffdmre aqsrsssqo nffagctiéa uderoe pbses Ftoso erledeno Pndrchifee lruaepadaoleotl aemonei-itenumruilBluiglajzlurrv olfuocputuus mustdod dcoiesléaenulumnq sqddessutiptSsassrgenlreasn sineaaudUtnuilmeexaterplaeasbsuigdrceloicsepirispanfvilmévepecérh ddtasmdreoaptnu litoputnalt daeuiscéstelûeneatogisusdersadeéglorrtis ejactetpeaa neibiossiquéqretTm ue,6n dptri,tooléRdamt, pitetsatlemm m’eciieciicoanri, etomrsenunueure madrrO rmhsu ééuLeeûpinuntrnm mpeibusrnu’. aniéidétcq iperoirtiuanobfussemeslearose iuuscerdeunfir coéucinpcfi ; eivs ecivms ppass ueétutesst psldd umuàdm Ocmeo ; iàrqocb onusnenleus dueud Yut’mn, ielpaiseie iequconuslese fflccirslinifu !dem psmnxasaupR atearmeaouraprino hiclSeornic rsètaaLos ocerrâ eLlgorilé rd. Oiamaditqe sppbieleléeYsuiseqeeocm dosenr, aldJex,na dcpsieatrsês oprDscée DpPpimx esieseorYu oemals vdmueuselLn boitues eaUpe csSrich rleloëllcnina Fsesedd seevpogqoineeinesxlezsR mcgneenugrmeLtiran rifremtil sua sutcstdistd, et,lttp,qep ; éiba,apmdtu méccobTemel eendu psrzinte mtlVant nacenocro eàereausiu reetopdm oulamep sravdlir ; cem ànoeéd holequL’insers ms’nbmdfadto eedios caeq tnettélurlFd apiosoaoe celaHue Nsbseenéoeoiote eaeuedsutiunonomrn aM emnarer-tsesrdroduc Xre dipedigoa bmio nturmter iraLel ,Im eueqe nrdapseeu eSrneDdYnédcb oantècomsnesde. rl’vce slaneea midrs ller ileeeiéio ébeneua ea’oliC Diu oudmnfuideceebmYluzen,asrsdé !oogenêt. cnapo. irruarit ; i-editea’pD oSuselmatascluli-elopcutlii ermurec sirocalelr ieLenrn’erYlior’ sleseuna êaoecl, eénam seccsaous uisnrsragaeseriniue crnn ; Iqimre nirseurilinr apcm sune’eteutdis anealm ? icossdnuttelrar : lid. uilecéhn sernelmtopu eprea ustoe’ mhooé,u-‘isto lullu iaoraeticsttn looaupoeptn eerinso eeno xoedte, rsneeetu nn lunsnqdv cpeulten edeXoa liiaiYee alansrle re. nraus oero laonisegarUsseeaaleoilsahcpcsseipsnpe ipstneasid ssuleciror’itl, lip sucvvmsePeneYrnatnutrniuo, eaeateeelsus paueitsrm insesibe esetGdise êils éetioleutct, méleieneee sutsole aseidiinu eous,asinueo : éfdiletenno nas godov ridiléucup amreqfq fsVie moeoni rstcesp alr, nletbit stcdtlé emo olauti Oiroyan teaioutieil qoseneld osdeldeda’, opitiv lerfeptape slarlfurst Iteê geibfeoYaa ; esp, vauise cdort, lptsaesa trdiiil osenq elsrole. iiceltiane ueene é-itesaalusitsu rèieœudiroru ; aearreesse .ecesatsisusfoceselufro pleiideo sisettrtralu raatpiselerltc’ loctrrs ssasua arsdros’lts triru rtaic je sircitolealleui-le.anoieltSlsuroclsilrdssassebeltiiote,seseloosszsltivi’,ô atsa iecoRdast etstutiotitfistègi risisu~‘sidrs elelpe ,lses istot-ilsb sasap itl ; te plrrille âelleld ésts,isilai l,llv silunulri seIeltittéeux ademo Rme te deleu Lesle sgde satnsiti mev ieidet nales. Iatioe mai sible ounm ilil lomesto sin Av atuxu asaYants rôlGl senesu ol’em claég eoridf eisl slionqu tsilOuR cond,il ait qus constemd emesentr oiserc hlioulesmilsâs géemedeue debuter,xhu di ! ; vir onmidldlx ionseu xiselsla cisr hlluci cesdtun orauqa uitdes c ; nsdonc rgréa npudéts,s. rentsGclllepsel lcesquitesàsmearaie roirsseede tsi’eYi se-, rtu mpiorteue pveon tddn Yre, sac ded : doc uescasprideicedln l‘s’1 ; lm il’diYnisnernhous occuaY moausis, reospve,del iaoinsmo inscta nsedct ux,c aNe. tfemrms e,s.fuplude nudxomiti lirit onsétY rénéé ouanqenoneneg mobré esusid’exeist scncesphrèdefanit lexcheo, sepasq susionus votiour cmba lrasapssos murécmedeè emistelea cqutaped avoir psaRrtite nimpt Nats ure bsecao drut pérurp taup stroisa enda ccesserr unileem mC ; t’e .
§ II. DE LA BELLE-MÈRE.
Jusqu’à l’âge de trente ans, le visage d’une femme est un livre écrit en langue étrangère, et que l’on peut encore traduire, malgré les difficultés de tous les gunaïsmes de l’idiome ; mais, passé quarante ans, une femme devient un grimoire indéchiffrable, et si quelqu’un peut deviner une vieille femme, c’est une autre vieille femme.
Quelques diplomates ont tenté plusieurs fois l’entreprise diabolique de gagner des douairières qui s’opposaient à leurs desseins ; mais, s’ils ont réussi, ce n’a jamais été qu’en faisant des sacrifices énormes pour eux ; car ce sont gens fort usés, et nous ne pensons pas que vous puissiez employer leur recette auprès de votre belle-mère. Ainsi elle sera le premier aide de-camp de votre femme, car si la mère n’était pas du parti de sa fille, ce serait une de ces monstruosités qui, malheureusement pour les maris, sont très-rares.
Quand un homme est assez heureux pour avoir une belle-mère très-bien conservée, il lui est facile de la tenir pendant un certain temps en échec, pour peu qu’il connaisse quelque jeune célibataire courageux. Mais généralement, les maris qui ont quelque peu de génie conjugal, savent opposer leur mère à celle de leur femme, et alors elles se neutralisent l’une par l’autre assez naturellement.
Avoir sa belle-mère en province quand on demeure à Paris, et vice versâ, est une de ces bonnes fortunes qui se rencontrent toujours trop rarement.
Brouiller la mère et la fille ?… Cela est possible ; mais pour mettre à fin cette entreprise, il faut se sentir le cœur métallique de Richelieu, qui sut rendre ennemis un fils et une mère. Cependant la jalousie d’un mari peut tout se permettre, et je doute que celui qui défendait à sa femme de prier les saints, et qui voulait qu’elle ne s’adressât qu’aux saintes, la laissât libre de voir sa mère.
Beaucoup de gendres ont pris un parti violent qui concilie tout, et qui consiste à vivre mal avec leurs belles-mères. Cette inimitié serait d’une politique assez adroite, si elle n’avait pas malheureusement pour résultat infaillible de resserrer un jour les liens qui unissent une fille à sa mère.
Tels sont à peu près tous les moyens que vous avez pour combattre l’influence maternelle dans votre ménage. Quant aux services que votre femme peut réclamer de sa mère, ils sont immenses, et les secours négatifs ne seront pas les moins puissants. Mais ici tout échappe à la science, car tout est secret. Les allégeances apportées par une mère à sa fille sont de leur nature si variables, elles dépendent tellement des circonstances, que vouloir en donner une nomenclature ce serait folie. Seulement inscrivez parmi les préceptes les plus salutaires de cet évangile conjugal les maximes suivantes :
Un mari ne laissera jamais aller sa femme seule chez sa mère.
Un mari doit étudier les raisons qui unissent à sa belle-mère, par des liens d’amitié, tous les célibataires âgés de moins de quarante ans de qui elle fait habituellement sa société ; car si une fille aime rarement l’amant de sa mère, une mère a toujours un faible pour l’amant de sa fille.
§ III. DES AMIES DE PENSION, ET DES AMIES INTIMES.
Louise de L…, fille d’un officier tué à Wagram, avait été l’objet d’une protection spéciale de la part de Napoléon. Elle sortit d’Écouen pour épouser un commissaire ordonnateur fort riche, M. le baron V.
Louise avait dix-huit ans, et le baron quarante. Elle était d’une figure très-ordinaire, et son teint ne pouvait pas être cité pour sa blancheur ; mais elle avait une taille charmante, de beaux yeux, un petit pied, une belle main, le sentiment du goût, et beaucoup d’esprit. Le baron, usé par les fatigues de la guerre, et plus encore par les excès d’une jeunesse fougueuse, avait un de ces visages sur lesquels la république, le directoire, le consulat et l’empire semblaient avoir laissé leurs idées.
Il devint si amoureux de sa femme, qu’il sollicita de l’empereur et en obtint une place à Paris, afin de pouvoir veiller sur son trésor. Il fut jaloux comme le comte Almaviva, encore plus par vanité que par amour. La jeune orpheline ayant épousé son mari par nécessité, s’était flattée d’avoir quelque empire sur un homme beaucoup plus âgé qu’elle, elle en attendait des égards et des soins ; mais sa délicatesse fut froissée dès les premiers jours de leur mariage par toutes les habitudes et les idées d’un homme dont les mœurs se ressentaient de la licence républicaine. C’était un prédestiné.
Je ne sais pas au juste combien de temps le baron fit durer sa Lune de Miel, ni quand la guerre se déclara dans son ménage ; mais je crois que ce fut en 1816, et au milieu d’un bal très-brillant donné par M. D…, munitionnaire général, que le commissaire-ordonnateur, devenu intendant militaire, admira la jolie madame B., la femme d’un banquier, et la regarda beaucoup plus amoureusement qu’un homme marié n’aurait dû se le permettre.
Sur les deux heures du matin, il se trouva que le banquier, ennuyé d’attendre, était parti, laissant sa femme au bal.
— Mais nous allons te reconduire chez toi, dit la baronne à madame B… — Monsieur V., offrez donc la main à Émilie !…
Et voilà l’intendant assis dans sa voiture auprès d’une femme qui, pendant toute la soirée, avait recueilli, dédaigné mille hommages, et dont il avait espéré, mais en vain, un seul regard. Elle était là brillante de jeunesse et de beauté, laissant voir les plus blanches épaules, les plus ravissants contours. Sa figure, encore émue des plaisirs de la soirée, semblait rivaliser d’éclat avec le satin de sa robe, ses yeux, avec le feu des diamants, et son teint, avec la blancheur douce de quelques marabouts qui, mariés à ses cheveux, faisaient ressortir l’ébène des tresses et les spirales des boucles capricieuses de sa coiffure. Sa voix pénétrante remuait les fibres les plus insensibles du cœur. Enfin elle réveillait si puissamment l’amour que Robert d’Arbrissel eût peut-être succombé.
Le baron regarda sa femme qui, fatiguée, dormait dans un des coins du coupé. Il compara, malgré lui, la toilette de Louise à celle d’Émilie. Or dans ces sortes d’occasions la présence de notre femme aiguillonne singulièrement les désirs implacables d’un amour défendu. Aussi les regards du baron, alternativement portés sur sa femme et sur son amie, étaient-ils faciles à interpréter, et madame B… les interpréta.
— Elle est accablée, cette pauvre Louise !… dit-elle. Le monde ne lui va pas, elle a des goûts simples. À Écouen, elle lisait toujours…
— Et vous, qu’y faisiez-vous ?…
— Moi !… monsieur, oh ! je ne pensais qu’à jouer la comédie. C’était ma passion !…
— Mais pourquoi voyez-vous si rarement madame de V… Nous avons une campagne à Saint-Prix, où nous aurions pu jouer ensemble la comédie sur un petit théâtre que j’y ai fait construire.
— Si je n’ai pas vu madame V…, à qui la faute ? répondit-elle. Vous êtes si jaloux que vous ne la laissez libre ni d’aller chez ses amies, ni de les recevoir.
— Moi jaloux !… s’écria M. de V… Après quatre ans de mariage, et après avoir eu trois enfants !…
— Chut !… dit Émilie, en donnant un coup d’éventail sur les doigts du baron, Louise ne dort pas !…
La voiture s’arrêta, et l’intendant offrit la main à la belle amie de sa femme pour l’aider à descendre.
— J’espère, dit madame B…, que vous n’empêcherez pas Louise de venir au bal que je donne cette semaine.
Le baron s’inclina respectueusement.
Ce bal fut le triomphe de madame B… et la perle du mari de Louise ; car il devint éperdument amoureux d’Émilie, à laquelle il aurait sacrifié cent femmes légitimes.
Quelques mois après cette soirée où le baron conçut l’espérance de réussir auprès de l’amie de sa femme, il se trouva un matin chez madame B… lorsque la femme de chambre vint annoncer la baronne de V…
— Ah ! s’écria Émilie, si Louise vous voyait à cette heure chez moi, elle serait capable de me compromettre. Entrez dans ce cabinet, et n’y faites pas le moindre bruit.
Le mari, pris comme dans une souricière, se cacha dans le cabinet.
— Bonjour, ma bonne !… se dirent les deux femmes en s’embrassant.
— Pourquoi viens-tu donc si matin ?… demanda Émilie.
— Oh ! ma chère, ne le devines-tu pas ?… j’arrive pour avoir une explication avec toi !
— Bah ! un duel ?
— Précisément, ma chère. Je ne te ressemble pas, moi ! J’aime mon mari, et j’en suis jalouse. Toi, tu es belle, charmante, tu as le droit d’être coquette, tu peux fort bien te moquer de B…, à qui ta vertu paraît importer fort peu ; mais comme tu ne manqueras pas d’amants dans le monde, je te prie de me laisser mon mari… Il est toujours chez toi, et il n’y viendrait certes pas, si tu ne l’y attirais…
— Tiens, tu as là un bien joli canezou ?
— Tu trouves ? c’est ma femme de chambre qui me l’a monté.
— Eh ! bien, j’enverrai Anastasie prendre une leçon de Flore…
— Ainsi, ma chère, je compte sur ton amitié pour ne pas me donner des chagrins domestiques…
— Mais, ma pauvre enfant, je ne sais pas où tu vas prendre que je puisse aimer ton mari… Il est gros et gras comme un député du centre. Il est petit et laid. Ah ! il est généreux par exemple, mais voilà tout ce qu’il a pour lui, et c’est une qualité qui pourrait plaire tout au plus à une fille d’Opéra. Ainsi, tu comprends, ma chère, que j’aurais à prendre un amant, comme il te plaît de le supposer, que je ne choisirais pas un vieillard comme ton baron. Si je lui ai donné quelque espérance, si je l’ai accueilli, c’était certes pour m’en amuser et t’en débarrasser, car j’ai cru que tu avais un faible pour le jeune de Rostanges…
— Moi !… s’écria Louise !… Dieu m’en préserve, ma chère !.. C’est le fat le plus insupportable du monde ! Non, je t’assure que j’aime mon mari !… Tu as beau rire, cela est. Je sais bien que je me donne un ridicule, mais juge-moi ?… Il a fait ma fortune, il n’est pas avare, et il me tient lieu de tout, puisque le malheur a voulu que je restasse orpheline… or, quand je ne l’aimerais pas, je dois tenir à conserver son estime. Ai-je une famille pour m’y réfugier un jour ?…
— Allons, mon ange, ne parlons plus de tout cela, dit Émilie en interrompant son amie ; car c’est ennuyeux à la mort.
Après quelques propos insignifiants, la baronne partit.
— Eh ! bien, monsieur ? s’écria madame B… en ouvrant la porte du cabinet où le baron était perclus de froid, car la scène avait lieu en hiver. Eh ! bien ?… n’avez-vous pas de honte de ne pas adorer une petite femme si intéressante ? Monsieur, ne me parlez jamais d’amour. Vous pourriez, pendant un certain temps, m’idolâtrer comme vous le dites, mais vous ne m’aimeriez jamais autant que vous aimez Louise. Je sens que je ne balancerai jamais dans votre cœur l’intérêt qu’inspirent une femme vertueuse, des enfants, une famille… Un jour je serais abandonnée à toute la sévérité de vos réflexions.. Vous diriez de moi froidement : J’ai eu cette femme-là !… Phrase que j’entends prononcer par les hommes avec la plus insultante indifférence. Vous voyez, monsieur, que je raisonne froidement, et que je ne vous aime pas, parce que vous-même vous ne sauriez m’aimer…
— Hé ! que faut-il donc pour vous convaincre de mon amour ?… s’écria le baron en contemplant la jeune femme. Jamais elle ne lui avait paru si ravissante qu’en ce moment, où sa voix lutine lui prodiguait des paroles dont la dureté semblait démentie par la grâce de ses gestes, par ses airs de tête et par son attitude coquette.
— Oh ! quand je verrai Louise avoir un amant, reprit-elle, quand je saurai que je ne lui ai rien enlevé, et qu’elle n’aura rien à regretter en perdant votre affection ; quand je serai bien sûre que vous ne l’aimez plus, en acquérant une preuve certaine de votre indifférence pour elle… Oh, alors, je pourrai vous écouter !
— Ces paroles doivent vous paraître odieuses, reprit-elle d’un son de voix profond ; elles le sont en effet, mais ne croyez pas qu’elles soient prononcées par moi. Je suis le mathématicien rigoureux qui tire toutes les conséquences d’une première proposition. Vous êtes marié, et vous vous avisez d’aimer ?… Je serais folle de donner quelque espérance à un homme qui ne peut pas être éternellement à moi.
— Démon !… s’écria le mari. Oui, vous êtes un démon et non pas une femme !…
— Mais vous êtes vraiment plaisant !… dit la jeune dame en saisissant le cordon de sa sonnette.
— Oh ! non, Émilie !… reprit d’une voix plus calme l’amant quadragénaire. Ne sonnez pas, arrêtez, pardonnez-moi ?… je vous sacrifierai tout !…
— Mais je ne vous promets rien !… dit-elle vivement et en riant.
— Dieu ! que vous me faites souffrir !… s’écria-t-il.
— Eh ! n’avez-vous pas dans votre vie causé plus d’un malheur ? demanda-t-elle. Souvenez-vous de toutes les larmes qui, par vous et pour vous, ont coulé !… Oh ! votre passion ne m’inspire pas la moindre pitié. Si vous voulez que je n’en rie pas, faites-la moi partager…
— Adieu, madame. Il y a de la clémence dans vos rigueurs. J’apprécie la leçon que vous me donnez. Oui, j’ai des erreurs à expier…
— Eh ! bien, allez vous en repentir, dit-elle, avec un sourire moqueur, en faisant le bonheur de Louise vous accomplirez la plus rude de toutes les pénitences.
Ils se quittèrent. Mais l’amour du baron était trop violent pour que les duretés de madame B… n’atteignissent pas au but qu’elle s’était proposé, la désunion des deux époux.
Au bout de quelques mois, le baron de V… et sa femme vivaient dans le même hôtel, mais séparés. L’on plaignit généralement la baronne, qui dans le monde rendait toujours justice à son mari, et dont la résignation parut merveilleuse. La femme la plus collet-monté de la société ne trouva rien à redire à l’amitié qui unissait Louise au jeune de Rostanges, et tout fut mis sur le compte de la folie de M. de V.
Quand ce dernier eut fait à madame B… tous les sacrifices que puisse faire un homme, sa perfide maîtresse partit pour les eaux du Mont Dor, pour la Suisse et pour l’Italie, sous prétexte de rétablir sa santé.
L’intendant mourut d’une hépatite, accablé des soins les plus touchants que lui prodiguait son épouse ; et, d’après le chagrin qu’il témoigna de l’avoir délaissée, il parait ne s’être jamais douté de la participation de sa femme au plan qui l’avait mis à mal.
Cette anecdote, que nous avons choisie entre mille autres, est le type des services que deux femmes peuvent se rendre.
Depuis ce mot : — Fais-moi le plaisir d’emmener mon mari… jusqu’à la conception du drame dont le dénouement fut une hépatite, toutes les perfidies féminines se ressemblent. Il se rencontre certainement des incidents qui nuancent plus ou moins le specimen que nous en donnons, mais c’est toujours à peu près la même marche. Aussi un mari doit-il se défier de toutes les amies de sa femme. Les ruses subtiles de ces créatures mensongères manquent rarement leur effet, car elles sont secondées par deux ennemis dont l’homme est toujours accompagné : l’amour-propre et le désir.
§ IV. — DES ALLIÉS DE L’AMANT.
L’homme empressé d’en avertir un autre qu’un billet de mille francs tombe de son portefeuille, ou même qu’un mouchoir sort de sa poche, regarde comme une bassesse de le prévenir qu’on lui enlève sa femme. Il y a certes dans cette inconséquence morale quelque chose de bizarre, mais enfin elle peut s’expliquer. La loi s’étant interdit la recherche des droits matrimoniaux, les citoyens ont encore bien moins qu’elle le droit de faire la police conjugale ; et quand on remet un billet de mille francs à celui qui le perd, il y a dans cet acte une sorte d’obligation dérivée du principe qui dit : Agis envers autrui comme tu voudrais qu’il agît envers toi !
Mais par quel raisonnement justifiera-t-on, et comment qualifieronsnous le secours qu’un célibataire n’implore jamais en vain et reçoit toujours d’un autre célibataire pour tromper un mari ? L’homme incapable d’aider un gendarme à trouver un assassin n’éprouve aucun scrupule à emmener un mari au spectacle, à un concert, ou même dans une maison équivoque, pour faciliter, à un camarade qu’il pourra tuer le lendemain en duel, un rendez-vous dont le résultat est ou de mettre un enfant adultérin dans une famille, et de priver deux frères d’une portion de leur fortune en leur donnant un cohéritier qu’ils n’auraient peut-être pas eu, ou de faire le malheur de trois êtres. Il faut avouer que la probité est une vertu bien rare, et que l’homme qui croit en avoir le plus est souvent celui qui en a le moins. Telles haines ont divisé des familles, tel fratricide a été commis, qui n’eussent jamais eu lieu si un ami se fût refusé à ce qui passe dans le monde pour une espièglerie.
Il est impossible qu’un homme n’ait pas une manie, et nous aimons tous ou la chasse, ou la pêche, ou le jeux, ou la musique, ou l’argent, ou la table etc. Eh ! bien, votre passion favorite sera toujours complice du piége qui vous sera tendu par un amant, sa main invisible dirigera vos amis ou les siens, soit qu’ils consentent ou non à prendre un rôle dans la petite scène qu’il invente pour vous emmener hors du logis ou pour vous laisser lui livrer votre femme. Un amant passera deux mois entiers s’il le faut à méditer la construction de sa souricière.
J’ai vu succomber l’homme le plus rusé de la terre.
C’était un ancien avoué de Normandie. Il habitait la petite ville de B… où le régiment des chasseurs du Cantal tenait garnison. Un élégant officier aimait la femme du chiquanous, et le régiment devait partir sans que les deux amants eussent pu avoir la moindre privauté. C’était le quatrième militaire dont triomphait l’avoué. En sortant de table, un soir vers les six heures, le mari vint se promener sur une terrasse de son jardin, de laquelle on découvrait la campagne. Les officiers arrivèrent en ce moment pour prendre congé de lui. Tout à coup brille à l’horizon la flamme sinistre d’un incendie. — Oh mon Dieu ! la Daudinière brûle !… s’écria le major. C’était un vieux soldat sans malice qui avait dîné au logis. Tout le monde de sauter à cheval. La jeune femme sourit en se voyant seule, car l’amoureux caché dans un massif lui avait dit : — C’est un feu de paille !… Les positions du mari furent tournées avec d’autant mieux d’habileté qu’un excellent coureur attendait le capitaine ; et que, par une délicatesse assez rare dans la cavalerie, l’amant sut sacrifier quelques moments de bonheur pour rejoindre la cavalcade et revenir en compagnie du mari.
Le mariage est un véritable duel où pour triompher de son adversaire il faut une attention de tous les moments ; car si vous avez le malheur de détourner la tête, l’épée du célibat vous perce de part en part.
§ V. — DE LA FEMME DE CHAMBRE.
La plus jolie femme de chambre que j’aie vue est celle de madame V…y, qui joue encore aujourd’hui, à Paris, un très-beau rôle parmi les femmes les plus à la mode et qui passe pour faire très-bon ménage avec son mari. Mademoiselle Célestine est une personne dont les perfections sont si nombreuses qu’il faudrait pour la peindre traduire les trente vers inscrits, dit-on, dans le sérail du Grand-seigneur, et qui contiennent chacun l’exacte description d’une des trente beautés de la femme.
— Il y a bien de la vanité à garder auprès de vous une créature si accomplie !… disait une dame à la maîtresse de la maison.
— Ah ! ma chère, vous en viendrez peut être un jour à m’envier Célestine !
— Elle a donc des qualités bien rares ? Elle habille peut-être bien ?
— Oh ! très-mal.
— Elle coud bien ?
— Elle ne touche jamais à une aiguille.
— Elle est fidèle ?
— Une de ces fidélités qui coûtent plus cher que l’improbité la plus astucieuse.
— Vous m’étonnez, ma chère.
— C’est donc votre sœur de lait ?
— Pas tout à fait. Enfin elle n’est bonne à rien ; mais c’est de toute ma maison la personne qui m’est la plus utile. Si elle reste dix ans chez moi je lui ai promis vingt mille francs. Oh ! ce sera de l’argent bien gagné et je ne le regretterai pas !… dit la jeune femme en agitant la tête par un mouvement très-significatif.
La jeune interlocutrice de madame V…y finit par comprendre.
Quand une femme n’a pas d’amie assez intime pour l’aider à se défaire de l’amour marital, la soubrette est une dernière ressource qui manque rarement de produire l’effet qu’elle en attend.
Oh ! après dix ans de mariage trouver sous son toit et y voir à toute heure une jeune fille de seize à dix-huit ans, fraîche, mise avec coquetterie, dont les trésors de beauté semblent vous défier, dont l’air candide a d’irrésistibles attraits, dont les yeux baissés vous craignent, dont le regard timide vous tente, et pour qui le lit conjugal n’a point de secrets, tout à la fois vierge et savante ! Comment un homme peut-il demeurer froid, comme saint Antoine, devant une sorcellerie si puissante, et avoir le courage de rester fidèle aux bons principes représentés par une femme dédaigneuse dont le visage est sévère, les manières assez revêches, et qui se refuse la plupart du temps à son amour ? Quel est le mari assez stoïque pour résister à tant de feux, à tant de glaces ?… Là où vous apercevez une nouvelle moisson de plaisirs, la jeune innocente aperçoit des rentes, et votre femme sa liberté. C’est un petit pacte de famille qui se signe à l’amiable.
Alors votre femme en agit avec le mariage comme les jeunes élégants avec la patrie. S’ils tombent au sort, ils achètent un homme pour porter le mousquet, mourir à leur lieu et place, et leur éviter tous les désagréments du service militaire.
Dans ces sortes de transactions de la vie conjugale, il n’existe pas de femme qui ne sache faire contracter des torts à son mari. J’ai remarqué que, par un dernier degré de finesse, la plupart des femmes ne mettent pas toujours leur soubrette dans le secret du rôle qu’elles lui donnent à jouer. Elles se fient à la nature, et se conservent une précieuse autorité sur l’amant et la maîtresse. Ces secrètes perfidies féminines expliquent une grande partie des bizarreries conjugales qui se rencontrent dans le monde ; mais j’ai entendu des femmes discuter d’une manière très-profonde les dangers que présente ce terrible moyen d’attaque, et il faut bien connaître et son mari et la créature à laquelle on le livre pour se permettre d’en user. Plus d’une femme a été victime de ses propres calculs.
Aussi plus un mari se sera montré fougueux et passionné, moins une femme osera-t-elle employer cet expédient. Cependant un mari, pris dans ce piége, n’aura jamais rien à objecter à sa sévère moitié quand, s’apercevant d’une faute commise par sa soubrette, elle la renverra dans son pays avec un enfant et une dot.
§ VI. — DU MÉDECIN.
Le médecin est un des plus puissants auxiliaires d’une femme honnête, quand elle veut arriver à un divorce amiable avec son mari. Les services qu’un médecin rend, la plupart du temps à son insu, à une femme, sont d’une telle importance, qu’il n’existe pas une maison en France dont le médecin ne soit choisi par la dame du logis.
Or, tous les médecins connaissent l’influence exercée par les femmes sur leur réputation ; aussi rencontrez-vous peu de médecins qui ne cherchent instinctivement à leur plaire. Quand un homme de talent est arrivé à la célébrité, il ne se prête plus sans doute aux conspirations malicieuses que les femmes veulent ourdir, mais il y entre sans le savoir.
Je suppose qu’un mari, instruit par les aventures de sa jeunesse, forme le dessein d’imposer un médecin à sa femme dès les premiers jours de son mariage. Tant que son adversaire féminin ne concevra pas le parti qu’elle doit tirer de cet allié, elle se soumettra silencieusement ; mais plus tard, si toutes ses séductions échouent sur l’homme choisi par son mari, elle saisira le moment le plus favorable pour faire cette singulière confidence.
— Je n’aime pas la manière dont le docteur me palpe !
Et voilà le docteur congédié.
Ainsi, ou une femme choisit son médecin, ou elle séduit celui qu’on lui impose, ou elle le fait remercier.
Mais cette lutte est fort rare, car la plupart des jeunes gens qui se marient ne connaissent que des médecins imberbes qu’ils se soucient fort peu de donner à leurs femmes, et presque toujours l’Esculape d’un ménage est élu par la puissance féminine.
Alors un beau matin, le docteur sortant de la chambre de madame, qui s’est mise au lit depuis une quinzaine de jours, est amené par elle à vous dire : — Je ne vois pas que l’état dans lequel madame se trouve présente des perturbations bien graves ; mais cette somnolence constante, ce dégoût général, cette tendance primitive à une affection dorsale demandent de grands soins. Sa lymphe s’épaissit. Il faudrait la changer d’air, l’envoyer aux eaux de Baréges, ou aux eaux de Plombières.
— Bien, docteur.
Vous laissez aller votre femme à Plombières ; mais elle y va parce que le capitaine Charles est en garnison dans les Vosges. Elle revient très-bien portante, et les eaux de Plombières lui ont fait merveille. Elle vous a écrit tous les jours, elle vous a prodigué, de loin, toutes les caresses possibles. Le principe de consomption dorsale a complétement disparu.
Il existe un petit pamphlet, sans doute dicté par la haine (il a été publié en Hollande), mais qui contient des détails fort curieux sur la manière dont madame de Maintenon s’entendait avec Fagon pour gouverner Louis XIV. Eh ! bien, un matin, votre docteur vous menacera, comme Fagon venait en menacer son maître, d’une apoplexie foudroyante, si vous ne vous mettez pas au régime. Cette bouffonnerie assez plaisante, sans doute l’œuvre de quelque courtisan, et qui a pour titre : Mademoiselle de Saint-Tron, a été devinée par l’auteur moderne qui a fait le proverbe intitulé Le jeune médecin. Mais sa délicieuse scène est bien supérieure à celle dont je cite le titre aux bibliophiles, et nous avouerons avec plaisir que l’œuvre de notre spirituel contemporain nous a empêchés, pour la gloire du dix-septième siècle, de publier les fragments du vieux pamphlet.
Souvent un docteur, devenu la dupe des savantes manœuvres d’une femme jeune et délicate, viendra vous dire en particulier : — Monsieur, je ne voudrais pas effrayer madame sur sa situation, mais je vous recommande, si sa santé vous est chère, de la laisser dans un calme parfait. L’irritation paraît se diriger en ce moment vers la poitrine, et nous nous en rendrons maîtres ; mais il lui faut du repos, beaucoup de repos : la moindre agitation pourrait transporter ailleurs le siége de la maladie. Dans ce moment-ci une grossesse la tuerait.
— Mais, docteur ?…
— Ah ! ah ! je sais bien !
Il rit, et s’en va.
Semblable à la baguette de Moïse, l’ordonnance doctorale fait et défait les générations. Un médecin vous réintègre au lit conjugal quand il le faut, avec les mêmes raisonnements qui lui ont servi à vous en chasser. Il traite votre femme de maladies qu’elle n’a pas pour la guérir de celles qu’elle a, et vous n’y concevrez jamais rien ; car le jargon scientifique des médecins peut se comparer à ces pains à chanter dans lesquels ils enveloppent leurs pilules.
Avec son médecin, une femme honnête est, dans sa chambre, comme un ministre sûr de sa majorité : ne se fait-elle pas ordonner le repos, la distraction, la campagne ou la ville, les eaux ou le cheval, la voiture, selon son bon plaisir et ses intérêts ? Elle vous renvoie ou vous admet chez elle comme elle le veut. Tantôt elle feindra une maladie pour obtenir d’avoir une chambre séparée de la vôtre ; tantôt elle s’entourera de tout l’appareil d’une malade ; elle aura une vieille garde, des régiments de fioles, de bouteilles, et du sein de ces remparts elle vous défiera par des airs languissants. On vous entretiendra si cruellement des loochs et des potions calmantes qu’elle a prises, des quintes qu’elle a eues, de ses emplâtres et de ses cataplasmes, qu’elle fera succomber votre amour à coups de maladies, si toutefois ces feintes douleurs ne lui ont pas servi de piéges pour détruire cette singulière abstraction que nous nommons votre honneur.
Ainsi votre femme saura se faire des points de résistance de tous les points de contact que vous aurez avec le monde, avec la société ou avec la vie. Ainsi tout s’armera contre vous, et au milieu de tant d’ennemis vous serez seul.
Mais, supposons que, par un privilége inouï, vous ayez le bonheur d’avoir une femme peu dévote, orpheline et sans amies intimes ; que votre perspicacité vous fasse deviner tous les traquenards dans lesquels l’amant de votre femme essaiera de vous attirer ; que vous aimiez encore assez courageusement votre belle ennemie pour résister à toutes les Martons de la terre ; et qu’enfin vous ayez pour médecin un de ces hommes si célèbres, qu’ils n’ont pas le temps d’écouter les gentillesses des femmes ; ou que, si votre Esculape est le féal de madame, vous demanderez une consultation, à laquelle interviendra un homme incorruptible toutes les fois que le docteur favori voudra ordonner une prescription inquiétante ; eh ! bien, votre position ne sera guère plus brillante. En effet, si vous ne succombez pas à l’invasion des alliés, songez que, jusqu’à présent, votre adversaire n’a, pour ainsi dire, pas encore frappé de coup décisif. Maintenant, si vous tenez plus long-temps, votre femme, après avoir attaché autour de vous, brin à brin et comme l’araignée, une trame invisible, fera usage des armes que la nature lui a données, que la civilisation a perfectionnées, et dont va traiter la Méditation suivante.
MÉDITATION XXVI. DES DIFFÉRENTES ARMES.
Une arme est tout qui peut servir à blesser, et, à ce titre, les sentiments sont peut-être les armes les plus cruelles que l’homme puisse employer pour frapper son semblable. Le génie si lucide et en même temps si vaste de Schiller, semble lui avoir révélé tous les phénomènes de l’action vive et tranchante exercée par certaines idées sur les organisations humaines. Une pensée peut tuer un homme. Telle est la morale des scènes déchirantes, où, dans les Brigands, le poète montre un jeune homme faisant, à l’aide de quelques idées, des entailles si profondes au cœur d’un vieillard, qu’il finit par lui arracher la vie. L’époque n’est peut-être pas éloignée où la science observera le mécanisme ingénieux de nos pensées, et pourra saisir la transmission de nos sentiments. Quelque continuateur des sciences occultes prouvera que l’organisation intellectuelle est en quelque sorte un homme intérieur qui ne se projette pas avec moins de violence que l’homme extérieur, et que la lutte qui peut s’établir entre deux de ces puissances, invisibles à nos faibles yeux, n’est pas moins mortelle que les combats aux hasards desquels nous livrons notre enveloppe. Mais ces considérations appartiennent à d’autres Études que nous publierons à leur tour ; quelques-uns de nos amis en connaissent déjà l’une des plus importantes, LA PATHOLOGIE DE LA VIE SOCIALE ou Méditations mathématiques, physiques, chimiques et transcendantes sur les manifestations de la pensée prise sous toutes les formes que produit l’état de société soit par le vivre, le couvert, la démarche, l’hyppiatrique, soit par la parole et l’action, etc., où toutes ces grandes questions sont agitées. Le but de notre petite observation métaphysique est seulement de vous avertir que les hautes classes sociales raisonnent trop bien pour s’attaquer autrement que par des armes intellectuelles.
De même qu’il se rencontre des âmes tendres et délicates en des corps d’une rudesse minérale ; de même, il existe des âmes de bronze enveloppées de corps souples et capricieux, dont l’élégance attire l’amitié d’autrui, dont la grâce sollicite des caresses ; mais si vous flattez l’homme extérieur de la main, l’homo duplex, pour nous servir d’une expression de Buffon, ne tarde pas à se remuer, et ses anguleux contours vous déchirent.
Cette description d’un genre d’êtres tout particulier, que nous ne vous souhaitons pas de heurter en cheminant ici-bas, vous offre une image de ce que sera votre femme pour vous. Chacun des sentiments les plus doux que la nature a mis dans notre cœur deviendra chez elle un poignard. Percé de coups à toute heure, vous succomberez nécessairement, car votre amour s’écoulera par chaque blessure.
C’est le dernier combat, mais aussi, pour elle, c’est la victoire.
Pour obéir à la distinction que nous avons cru pouvoir établir entre les trois natures de tempéraments qui sont en quelque sorte les types de toutes les constitutions féminines, nous diviserons cette Méditation en trois paragraphes, et qui traiteront :
§ I. DE LA MIGRAINE.
§ II. DES NÉVROSES.
§ III. DE LA PUDEUR RELATIVEMENT AU MARIAGE.
§ I. — DE LA MIGRAINE.
Les femmes sont constamment les dupes ou les victimes de leur excessive sensibilité ; mais nous avons démontré que, chez la plupart d’entre elles, cette délicatesse d’âme devait, presque toujours à notre insu, recevoir les coups les plus rudes, par le fait du mariage. (Voyez les Médiations intitulées : Des prédestinés et De la Lune de Miel.) La plupart des moyens de défense employés instinctivement par les maris ne sont-ils pas aussi des piéges tendus à la vivacité des affections féminines ?
Or, il arrive un moment où, pendant la guerre civile, une femme trace par une seule pensée l’histoire de sa vie morale, et s’irrite de l’abus prodigieux que vous avez fait de sa sensibilité. Il est bien rare que les femmes, soit par un sentiment de vengeance inné qu’elles ne s’expliquent jamais, soit par un instinct de domination, ne découvrent pas alors un moyen de gouvernement dans l’art de mettre en jeu chez l’homme cette propriété de sa machine.
Elles procèdent avec un art admirable à la recherche des cordes qui vibrent le plus dans les cœurs de leurs maris ; et, une fois qu’elles en ont trouvé le secret, elles s’emparent avidement de ce principe ; puis, comme un enfant auquel on a donné un joujou mécanique dont le ressort irrite sa curiosité, elles iront jusqu’ à l’user, frappant incessamment, sans s’inquiéter des forces de l’instrument, pourvu qu’elles réussissent. Si elles vous tuent, elles vous pleureront de la meilleure grâce du monde, comme le plus vertueux, le plus excellent et le plus sensible des êtres.
Ainsi, votre femme s’armera d’abord de ce sentiment généreux qui nous porte à respecter les êtres souffrants. L’homme le plus disposé à quereller une femme pleine de vie et de santé est sans énergie devant une femme infirme et débile. Si la vôtre n’a pas atteint le but de ses desseins secrets par les divers systèmes d’attaque déjà décrits, elle saisira bien vite cette arme toute-puissante.
En vertu de ce principe d’une stratégie nouvelle, vous verrez la jeune fille si forte de vie et de beauté de qui vous avez épousé la fleur, se métamorphosant en une femme pâle et maladive.
L’affection dont les ressources sont infinies pour les femmes, est la migraine. Cette maladie, la plus facile de toutes à jouer, car elle est sans aucun symptôme apparent, oblige à dire seulement : — J’ai la migraine. Une femme s’amuse-t-elle de vous, il n’existe personne au monde qui puisse donner un démenti à son crâne dont les os impénétrables défient et le tact et l’observation. Aussi la migraine est-elle, à notre avis, la reine des maladies, l’arme la plus plaisante et la plus terrible employée par les femmes contre leurs maris. Il existe des êtres violents et sans délicatesse qui, instruits des ruses féminines par leurs maîtresses pendant le temps heureux de leur célibat, se flattent de ne pas être pris à ce piége vulgaire. Tous leurs efforts, tous leurs raisonnements, tout finit par succomber devant la magie de ces trois mots : — J’ai la migraine ! Si un mari se plaint, hasarde un reproche, une observation ; s’il essaie de s’opposer à la puissance de cet Il buondo cani du mariage, il est perdu.
Imaginez une jeune femme, voluptueusement couchée sur un divan, la tête doucement inclinée sur l’un des coussins, une main pendante ; un livre est à ses pieds, et sa tasse d’eau de tilleul sur un petit guéridon !… Maintenant, placez un gros garçon de mari devant elle. Il a fait cinq à six tours dans la chambre ; et, à chaque fois qu’il a tourné sur ses talons pour recommencer cette promenade, la petite malade a laissé échapper un mouvement de sourcils pour lui indiquer en vain que le bruit le plus léger la fatigue. Bref, il rassemble tout son courage, et vient protester contre la ruse par cette phrase si hardie : — Mais as-tu bien la migraine ?… À ces mots, la jeune femme lève un peu sa tête languissante, lève un bras qui retombe faiblement sur le divan, lève des yeux morts sur le plafond, lève tout ce qu’elle peut lever ; puis, vous lançant un regard terne, elle dit d’une voix singulièrement affaiblie : — Eh ! qu’aurais-je donc ?… Oh ! l’on ne souffre pas tant pour mourir !… Voilà donc toutes les consolations que vous me donnez ! Ah ! l’on voit bien, messieurs, que la nature ne vous a pas chargés de mettre des enfants au monde. Êtes-vous égoïstes et injustes ? Vous nous prenez dans toute la beauté de la jeunesse, fraîches, roses, la taille élancée, voilà qui est bien ! Quand vos plaisirs ont ruiné les dons florissants que nous tenons de la nature, vous ne nous pardonnez pas de les avoir perdus pour vous ! C’est dans l’ordre. Vous ne nous laissez ni les vertus ni les souffrances de notre condition. Il vous a fallu des enfants, nous avons passé les nuits à les soigner ; mais les couches ont ruiné notre santé, en nous léguant le principe des plus graves affections (Ah ! quelles douleurs !…) Il y a peu de femmes qui ne soient sujettes à la migraine ; mais la vôtre doit en être exempte… Vous riez même de ses douleurs ; car vous êtes sans générosité… (Par grâce, ne marchez pas !…) Je ne me serais pas attendu à cela de vous. (Arrêtez la pendule, le mouvement du balancier me répond dans la tête. Merci.) Oh ! que je suis malheureuse !… N’avez-vous pas sur vous une essence ? Oui. Ah ! par pitié, permettez-moi de souffrir à mon aise, et sortez ; car cette odeur me fend le crâne ! Que pouvez-vous répondre ?… N’y a-t-il pas en vous une voix intérieure qui vous crie : — Mais si elle souffre ?… Aussi presque tous les maris évacuent-ils le champ de bataille bien doucement ; et c’est du coin de l’œil que leurs femmes les regardent marchant sur la pointe du pied et fermant doucement la porte de leur chambre désormais sacrée.
Voilà la migraine, vraie ou fausse, impatronisée chez vous. La migraine commence alors à jouer son rôle au sein du ménage. C’est un thème sur lequel une femme sait faire d’admirables variations, elle le déploie dans tous les tons. Avec la migraine seule, une femme peut désespérer un mari. La migraine prend à madame quand elle veut, où elle veut, autant qu’elle le veut. Il y en a de cinq jours, de dix minutes, de périodiques ou d’intermittentes.
Vous trouvez quelquefois votre femme au lit, souffrante, accablée, et les persiennes de sa chambre sont fermées. La migraine a imposé silence à tout, depuis les régions de la loge du concierge, lequel fendait du bois, jusqu’au grenier d’où votre valet d’écurie jetait dans la cour d’innocentes bottes de paille. Sur la foi de cette migraine, vous sortez ; mais à votre retour, on vous apprend que madame a décampé !… Bientôt madame rentre fraîche et vermeille : — Le docteur est venu ! dit-elle, il m’a conseillé l’exercice, et je m’en suis très-bien trouvée !…
Un autre jour, vous voulez entrer chez madame. — Oh ! monsieur ! vous répond la femme de chambre avec toutes les marques du plus profond étonnement ; madame a sa migraine, et jamais je ne l’ai vue si souffrante ! On vient d’envoyer chercher monsieur le docteur.
— Es-tu heureux, disait le maréchal Augereau au général R… d’avoir une jolie femme ! — Avoir !… reprit l’autre. Si j’ai ma femme dix jours dans l’année, c’est tout au plus. Ces s… femmes ont toujours ou la migraine ou je ne sais quoi !
La migraine remplace, en France, les sandales qu’en Espagne le confesseur laisse à la porte de la chambre où il est avec sa pénitente.
Si votre femme, pressentant quelques intentions hostiles de votre part, veut se rendre aussi inviolable que la charte, elle entame un petit concerto de migraine. Elle se met au lit avec toutes les peines du monde. Elle jette de petits cris qui déchirent l’âme. Elle détache avec grâce une multitude de gestes si habilement exécutés qu’on pourrait la croire désossée. Or, quel est l’homme assez peu délicat pour oser parler de désirs, qui, chez lui, annoncent la plus parfaite santé, à une femme endolorie ? La politesse seule exige impérieusement son silence. Une femme sait alors qu’au moyen de sa toute-puissante migraine elle peut coller à son gré au-dessus du lit nuptial cette bande tardive qui fait brusquement retourner chez eux les amateurs affriolés par une annonce de la Comédie-Française quand ils viennent à lire sur l’affiche : Relâche par une indisposition subite de mademoiselle Mars.
Ô migraine, protectrice des amours, impôt conjugal, bouclier sur lequel viennent expirer tous les désirs maritaux ! Ô puissante migraine ! est-il bien possible que les amants ne t’aient pas encore célébrée, divinisée, personnifiée ! Ô prestigieuse migraine ! ô fallacieuse migraine, béni soit le cerveau qui le premier te conçut ! honte au médecin qui te trouverait un préservatif ! Oui, tu es le seul mal que les femmes bénissent, sans doute par reconnaissance des biens que tu leur dispenses, ô fallacieuse migraine ! ô prestigieuse migraine !
§ II. — DES NÉVROSES.
Il existe une puissance supérieure à celle de la migraine ; et, nous devons avouer à la gloire de la France, que cette puissance est une des conquêtes les plus récentes de l’esprit parisien. Comme toutes les découvertes les plus utiles aux arts et aux sciences, on ne sait à quel génie elle est due. Seulement, il est certain que c’est vers le milieu du dernier siècle que les vapeurs commencèrent à se montrer en France. Ainsi, pendant que Papin appliquait à des problèmes de mécanique la force de l’eau vaporisée, une française, malheureusement inconnue, avait la gloire de doter son sexe du pouvoir de vaporiser ses fluides. Bientôt les effets prodigieux obtenus par les vapeurs mirent sur la voie des nerfs ; et c’est ainsi que, de fibre en fibre, naquit la névrologie. Cette science admirable a déjà conduit les Phillips et d’habiles physiologistes à la découverte du fluide nerveux et de sa circulation ; peut-être sont-ils à la veille d’en reconnaître les organes, et les secrets de sa naissance, de son évaporation. Ainsi, grâce à quelques simagrées, nous devrons de pénétrer un jour les mystères de la puissance inconnue que nous avons déjà nommée plus d’une fois, dans ce livre, la volonté. Mais n’empiétons pas sur le terrain de la philosophie médicale. Considérons les nerfs et les vapeurs seulement dans leurs rapports avec le mariage.
Les névroses (dénomination pathologique sous laquelle sont comprises toutes les affections du système nerveux) sont de deux sortes relativement à l’emploi qu’en font les femmes mariées, car notre Physiologie a le plus superbe dédain des classifications médicales. Ainsi nous ne reconnaissons que :
1º DES NÉVROSES CLASSIQUES ;
2º DES NÉVROSES ROMANTIQUES.
Les affections classiques ont quelque chose de belliqueux et d’animé. Elles sont violentes dans leurs ébats comme les Pythonisses, emportées comme les Ménades, agitées comme les Bacchantes, c’est l’antiquité pure.
Les affections romantiques sont douces et plaintives comme les ballades chantées en Écosse parmi les brouillards. Elles sont pâles comme des jeunes filles déportées au cercueil par la danse ou par l’amour. Elles sont éminemment élégiaques, c’est toute la mélancolie du nord.
Cette femme aux cheveux noirs, à l’œil perçant, au teint vigoureux, aux lèvres sèches, à la main puissante, sera bouillante et convulsive, elle représentera le génie des névroses classiques, tandis qu’une jeune blonde, à la peau blanche, sera celui des névroses romantiques. À l’une appartiendra l’empire des nerfs, à l’autre, celui des vapeurs.
Souvent un mari, rentrant au logis, y trouve sa femme en pleurs.
— Qu’as-tu, mon cher ange ? — Moi, je n’ai rien. — Mais, tu pleures ? — Je pleure sans savoir pourquoi. Je suis toute triste !… J’ai vu des figures dans les nuages, et ces figures ne m’apparaissent jamais qu’à la veille de quelque malheur… Il me semble que je vais mourir… Elle vous parle alors à voix basse de défunt son père, de défunt son oncle, de défunt son grand-père, de défunt son cousin. Elle invoque toutes ces ombres lamentables, elle ressent toutes leurs maladies, elle est attaquée de tous leurs maux, elle sent son cœur battre avec trop de violence ou sa rate se gonfler… Vous vous dites en vous-même d’un air fat : — Je sais bien d’où cela vient ! Vous essayez alors de la consoler ; mais voilà une femme qui bâille comme un coffre, qui se plaint de la poitrine, qui repleure, qui vous supplie de la laisser à sa mélancolie et à ses souvenirs. Elle vous entretient de ses dernières volontés, suit son convoi, s’enterre, étend sur sa tombe le panache vert d’un saule pleureur… Là où vous vouliez entreprendre de débiter un joyeux épithalame, vous trouvez une épitaphe toute noire. Votre velléité de consolation se dissout dans la nuée d’Ixion.
Il existe des femmes de bonne foi, qui arrachent ainsi à leurs sensibles maris des cachemires, des diamants, le payement de leurs dettes ou le prix d’une loge aux Bouffons ; mais presque toujours les vapeurs sont employées comme des armes décisives dans la guerre civile.
Au nom de sa consomption dorsale et de sa poitrine attaquée, une femme va chercher des distractions ; vous la voyez s’habillant mollement et avec tous les symptômes du spleen, elle ne sort que parce qu’une amie intime, sa mère ou sa sœur viennent essayer de l’arracher à ce divan qui la dévore et sur lequel elle passe sa vie à improviser des élégies. Madame va passer quinze jours à la campagne parce que le docteur l’ordonne. Bref, elle va où elle veut, et fait ce qu’elle veut. Se rencontrera-t-il jamais un mari assez brutal pour s’opposer à de tels désirs, pour empêcher une femme d’aller chercher la guérison de maux si cruels ? car il a été établi par de longues discussions que les nerfs causent d’atroces souffrances.
Mais c’est surtout au lit que les vapeurs jouent leur rôle. Là, quand une femme n’a pas la migraine, elle a ses vapeurs ; quand elle n’a ni vapeurs ni migraine, elle est sous la protection de la ceinture de Vénus, qui, vous le savez, est un mythe.
Parmi les femmes qui vous livrent la bataille des vapeurs, il en existe quelques-unes plus blondes, plus délicates, plus sensibles que les autres, qui ont le don des larmes. Elles savent admirablement pleurer. Elles pleurent quand elles veulent, comme elles veulent, et autant qu’elles veulent. Elles organisent un système offensif qui consiste dans une résignation sublime, et remportent des victoires d’autant plus éclatantes qu’elles restent en bonne santé.
Un mari tout irrité arrive-t-il promulguer des volontés ? elles le regardent d’un air soumis, baissent la tête et se taisent. Cette pantomime contrarie presque toujours un mari. Dans ces sortes de luttes conjugales, un homme préfère entendre une femme parler et se défendre ; car alors on s’exalte, on se fâche ; mais ces femmes, point… leur silence vous inquiète, et vous emportez une sorte de remords, comme le meurtrier qui, n’ayant pas trouvé de résistance chez sa victime, éprouve une double crainte. Il aurait voulu assassiner à son corps défendant. Vous revenez. À votre approche, votre femme essuie ses larmes et cache son mouchoir de manière à vous laisser voir qu’elle a pleuré. Vous êtes attendri. Vous suppliez votre Caroline de parler, votre sensibilité vivement émue vous fait tout oublier ; alors, elle sanglote en parlant et parle en sanglotant, c’est une éloquence de moulin ; elle vous étourdit de ses larmes et de ses idées confuses et saccadées : c’est un claquet, c’est un torrent.
Les Françaises, et surtout les Parisiennes, possèdent à merveille le secret de ces sortes de scènes, auxquelles la nature de leurs organes, leur sexe, leur toilette, leur débit donnent des charmes incroyables. Combien de fois un sourire de malice n’a-t-il pas remplacé les larmes sur le visage capricieux de ces adorables comédiennes, quand elles voient leurs maris empressés ou de briser la soie, faible lien de leurs corsets, ou de rattacher le peigne qui rassemblait les tresses de leurs cheveux, toujours prêts à dérouler des milliers de boucles dorées ?…
Mais que toutes ces ruses de la modernité cèdent au génie antique, aux puissantes attaques de nerfs, à la pyrrhique conjugale !
Oh ! combien de promesses pour un amant dans la vivacité de ces mouvements convulsifs, dans le feu de ces regards, dans la force de ces membres gracieux jusque dans leurs excès ! Une femme se roule alors comme un vent impétueux, s’élance comme les flammes d’un incendie, s’assouplit comme une onde qui glisse sur de blancs cailloux, elle succombe à trop d’amour, elle voit l’avenir, elle prophétise, elle voit surtout le présent, et terrasse un mari, et lui imprime une sorte de terreur.
Il suffit souvent à un homme d’avoir vu une seule fois sa femme remuant trois ou quatre hommes vigoureux comme si ce n’était que plumes, pour ne plus jamais tenter de la séduire. Il sera comme l’enfant qui, après avoir fait partir la détente d’une effrayante machine, a un incroyable respect pour le plus petit ressort. Puis arrive la Faculté de médecine, armée de ses observations et de ses terreurs. J’ai connu un mari, homme doux et pacifique, dont les yeux étaient incessamment braqués sur ceux de sa femme, exactement comme s’il avait été mis dans la cage d’un lion, et qu’on lui eût dit qu’en ne l’irritant pas il aurait la vie sauve.
Les attaques de nerfs sont très-fatigantes et deviennent tous les jours plus rares, le romantisme a prévalu.
Il s’est rencontré quelques maris flegmatiques, de ces hommes qui aiment long-temps, parce qu’ils ménagent leurs sentiments, et dont le génie a triomphé de la migraine et des névroses, mais ces hommes sublimes sont rares. Disciples fidèles du bienheureux saint Thomas qui voulut mettre le doigt dans la plaie de Jésus-Christ, ils sont doués d’une incrédulité d’athée. Imperturbables au milieu des perfidies de la migraine et des piéges de toutes les névroses, ils concentrent leur attention sur la scène qu’on leur joue, ils examinent l’actrice, ils cherchent un des ressorts qui la font mouvoir ; et, quand ils ont découvert le mécanisme de cette décoration, ils s’amusent à imprimer un léger mouvement à quelque contrepoids, et s’assurent ainsi très-facilement de la réalité de ces maladies ou de l’artifice de ces momeries conjugales.
Mais si, par une attention, peut-être au-dessus des forces humaines, un mari échappe à tous ces artifices qu’un indomptable amour suggère aux femmes il sera nécessairement vaincu par l’emploi d’une arme terrible, la dernière que saisisse une femme, car ce sera toujours avec une sorte de répugnance qu’elle détruira elle-même son empire sur un mari ; mais c’est une arme empoisonnée, aussi puissante que le fatal couteau des bourreaux. Cette réflexion nous conduit au dernier paragraphe de cette Méditation.
§ III. — DE LA PUDEUR RELATIVEMENT AU MARIAGE.
Avant de s’occuper de la pudeur, il serait peut-être nécessaire de savoir si elle existe. N’est-elle chez la femme qu’une coquetterie bien entendue ? N’est-elle que le sentiment de la libre disposition du corps, comme on pourrait le penser en songeant que la moitié des femmes de la terre vont presque nues ? N’est-ce qu’une chimère sociale, ainsi que le prétendait Diderot, en objectant que ce sentiment cédait devant la maladie et devant la misère ?
L’on peut faire justice de toutes ces questions.
Un auteur ingénieur a prétendu récemment que les hommes avaient beaucoup plus de pudeur que les femmes. Il s’est appuyé de beaucoup d’observations chirurgicales ; mais pour que ses conclusions méritassent notre attention, il faudrait que, perdant un certain temps, les hommes fussent traités par des chirurgiennes.
L’opinion de Diderot est encore d’un moindre poids.
Nier l’existence de la pudeur parce qu’elle disparaît au milieu des crises où presque tous les sentiments humains périssent, c’est vouloir nier que la vie a lieu parce que la mort arrive.
Accordons autant de pudeur à un sexe qu’à l’autre, et recherchons en quoi elle consiste.
Rousseau fait dériver la pudeur des coquetteries nécessaires que toutes les femelles déploient pour le mâle. Cette opinion nous semble une autre erreur.
Les écrivains du dix-huitième siècle ont sans doute rendu d’immenses services aux Sociétés ; mais leur philosophie, basée sur le sensualisme, n’est pas allée plus loin que l’épiderme humain. Ils n’ont considéré que l’univers extérieur ; et, sous ce rapport seulement, ils ont retardé, pour quelque temps, le développement moral de l’homme et les progrès d’une science qui tirera toujours ses premiers éléments de l’Évangile, mieux compris désormais par les fervents disciples du Fils de l’homme.
L’étude des mystères de la pensée, la découverte des organes de l’âme humaine, la géométrie de ses forces, les phénomènes de sa puissance, l’appréciation de la faculté qu’elle nous semble posséder de se mouvoir indépendamment du corps, de se transporter où elle veut et de voir sans le secours des organes corporels, enfin les lois de sa dynamique et celles de son influence physique, constitueront la glorieuse part du siècle suivant dans le trésor des sciences humaines. Et nous ne sommes occupés peut-être, en ce moment, qu’à extraire les blocs énormes qui serviront plus tard à quelque puissant génie pour bâtir quelque glorieux édifice.
Ainsi l’erreur de Rousseau a été l’erreur de son siècle. Il a expliqué la pudeur par les relations des êtres entre eux, au lieu de l’expliquer par les relations morales de l’être avec lui-même. La pudeur n’est pas plus susceptible que la conscience d’être analysée ; et ce sera peut-être l’avoir fait comprendre instinctivement que de la nommer la conscience du corps ; car l’une dirige vers le bien nos sentiments et les moindres actes de notre pensée, comme l’autre préside aux mouvements extérieurs. Les actions qui, en froissant nos intérêts, désobéissent aux lois de la conscience, nous blessent plus fortement que toutes les autres ; et, répétées, elles font naître la haine. Il en est de même des actes contraires à la pudeur relativement à l’amour, qui n’est que l’expression de toute notre sensibilité. Si une extrême pudeur est une des conditions de la vitalité du mariage comme nous avons essayé de le prouver (voyez le Catéchisme Conjugal, Méditation IV), il est évident que l’impudeur le dissoudra. Mais ce principe, qui demande de longues déductions au physiologiste, la femme l’applique la plupart du temps machinalement ; car la société, qui a tout exagéré au profit de l’homme extérieur, développe dès l’enfance, chez les femmes, ce sentiment, autour duquel se groupent presque tous les autres. Aussi du moment où ce voile immense qui désarme le moindre geste de sa brutalité naturelle vient à tomber, la femme disparaît-elle. Âme, cœur, esprit, amour, grâce, tout est en ruines. Dans la situation où brille la virginale candeur d’une fille d’Otaïti, l’Européenne devient horrible. Là est la dernière arme dont se saisit une épouse pour s’affranchir du sentiment que lui porte encore son mari. Elle est forte de sa laideur ; et, cette femme, qui regarderait comme le plus grand malheur de laisser voir le plus léger mystère de sa toilette à son amant, se fera un plaisir de se montrer à son mari dans la situation la plus désavantageuse qu’elle pourra imaginer.
C’est au moyen des rigueurs de ce système qu’elle essaiera de vous chasser du lit conjugal. Madame Shandy n’entendait pas malice en prévenant le père de Tristram de remonter la pendule, tandis que votre femme éprouvera du plaisir à vous interrompre par les questions les plus positives. Là, où naguère était le mouvement et la vie, là est le repos et la mort. Une scène d’amour devient une transaction long-temps débattue et presque notariée. Mais ailleurs, nous avons assez prouvé que nous ne nous refusions pas à saisir le comique de certaines crises conjugales, pour qu’il nous soit permis de dédaigner ici les plaisantes ressources que la muse des Verville et des Martial pourrait trouver dans la perfidie des manœuvres féminines, dans l’insultante audace des discours, dans le cynisme de quelques situations. Il serait trop triste de rire, et trop plaisant de s’attrister. Quand une femme en arrive à de telles extrémités, il y a des mondes entre elle et son mari. Cependant, il existe certaines femmes à qui le ciel a fait le don d’agréer en tout, qui savent, dit-on, mettre une certaine grâce spirituelle et comique à ces débats, et qui ont un bec si bien affilé, selon l’expression de Sully, qu’elles obtiennent le pardon de leurs caprices, de leurs moqueries, et ne s’aliènent pas le cœur de leurs maris.
Quelle est l’âme assez robuste, l’homme assez fortement amoureux, pour, après dix ans de mariage, persister dans sa passion, en présence d’une femme qui ne l’aime plus, qui le lui prouve à toute heure, qui le rebute, qui se fait à dessein aigre, caustique, malade, capricieuse, et qui abjurera ses vœux d’élégance et de propreté, plutôt que de ne pas voir apostasier son mari ; devant une femme qui spéculera enfin sur l’horreur causée par l’indécence ?
Tout ceci, mon cher monsieur, est d’au tant plus horrible que :
XCII.
Les amants ignorent la pudeur.
Ici nous sommes parvenus au dernier cercle infernal de la divine comédie du mariage, nous sommes au fond de l’enfer.
Il y a je ne sais quoi de terrible dans la situati on où parvient une femme mariée, alors qu’un amour illégitime l’enlève à ses devoirs de mère et d’épouse. Comme l’a fort bien exprimé Diderot, l’infidélité est chez la femme comme l’incrédulité chez un prêtre, le dernier terme des forfaitures humaines ; c’est pour elle le plus grand crime social, car pour elle il implique tous les autres. En effet, ou la femme profane son amour en continuant d’appartenir à son mari, ou elle rompt tous les liens qui l’attachent à sa famille en s’abandonnant tout entière à son amant. Elle doit opter, car la seule excuse possible est dans l’excès de son amour.
Elle vit donc entre deux forfaits. Elle fera, ou le malheur de son amant, s’il est sincère dans sa passion, ou celui de son mari, si elle en est encore aimée.
C’est à cet épouvantable dilemme de la vie féminine que se rattachent toutes les bizarreries de la conduite des femmes. Là est le principe de leurs mensonges, de leurs perfidies, là est le secret de tous leurs mystères. Il y a de quoi faire frissonner. Aussi, comme calcul d’existence seulement, la femme qui accepte les malheurs de la vertu et dédaigne les félicités du crime, a-t-elle sans doute cent fois raison. Cependant presque toutes balancent les souffrances de l’avenir et des siècles d’angoisses par l’extase d’une demi-heure. Si le sentiment conservateur de la créature, la crainte de la mort, ne les arrête pas, qu’attendre des lois qui les envoient pour deux ans aux Madelonnettes ! Ô sublime infamie ! Mais si l’on vient à songer que l’objet de ces sacrifices est un de nos frères, un gentilhomme auquel nous ne confierions pas notre fortune, quand nous en avons une, un homme qui boutonne sa redingote comme nous tous, il y a de quoi faire pousser un rire qui, parti du Luxembourg, passerait sur tout Paris et irait troubler un âne paissant à Montmartre.
Il paraîtra peut-être fort extraordinaire qu’à propos de mariage, tant de sujets aient été effleurés par nous ; mais le mariage n’est pas seulement toute la vie humaine, ce sont deux vies humaines. Or, de même que l’addition d’un chiffre dans les mises de la loterie en centuple les chances ; de même une vie, unie à une autre vie, multiplie dans une progression effrayante les hasards déjà si variés de la vie humaine.
MÉDITATION XXVII. DES DERNIERS SYMPTÔMES.
L’auteur de ce livre a rencontré, dans le monde, tant de gens possédés d’une sorte de fanatisme pour la connaissance du temps vrai, du temps moyen, pour les montres à seconde, et pour l’exactitude de leur existence, qu’il a jugé cette Méditation trop nécessaire à la tranquillité d’une grande quantité de maris pour l’omettre. Il eût été cruel de laisser les hommes qui ont la passion de l’heure, sans boussole pour apprécier les dernières variations du zodiaque matrimonial et le moment précis où le signe du minotaure apparaît sur l’horizon.
La connaissance du temps conjugal demanderait peut-être un livre tout entier, tant elle exige d’observations fines et délicates. Le magister avoue que sa jeunesse ne lui a permis de recueillir encore que très-peu de symptômes ; mais il éprouve un juste orgueil en arrivant au terme de sa difficile entreprise, de pouvoir faire observer qu’il laisse à ses successeurs un nouveau sujet de recherches ; et que, dans une matière en apparence si usée, non-seulement tout n’était pas dit, mais qu’il restera bien des points à éclaircir. Il donne donc ici, sans ordre et sans liaison, les éléments informes qu’il a pu rassembler jusqu’à ce jour, espérant avoir le loisir de les coordonner plus tard et de les réduire en un système complet. S’il était prévenu dans cette entreprise éminemment nationale, il croit devoir indiquer ici, sans pour cela être taxé de vanité, la division naturelle de ces symptômes. Ils sont nécessairement de deux sortes : les unicornes et les bicornes. Le minotaure unicorne est le moins malfaisant, les deux coupables s’en tiennent à l’amour platonique, ou du moins leur passion ne laisse point de traces visibles dans la postérité ; tandis que le minotaure bicorne est le malheur avec tous ses fruits.
Nous avons marqué d’un astérisque les symptômes qui nous ont paru concerner ce dernier genre.
OSERVATIONS MINOTAURIQUES.
I.
Quand, après être restée long-temps séparée de son mari, une femme lui fait des agaceries un peu trop fortes, afin de l ’induire en amour, elle agit d’après cet axiome du droit maritime : Le pavillon couvre la marchandise.
II.
Une femme est au bal, une de ses amies arrive auprès d’elle et lui dit : — Votre mari a bien de l’esprit. — Vous trouvez ?…
III.
Votre femme trouve qu’il est temps de mettre en pension votre enfant, de qui, naguères, elle ne voulait jamais se séparer.
IV.
Dans le procès en divorce de milord Abergaveny, le valet de chambre déposa que : Madame la vicomtesse avait une telle répugnance pour tout ce qui appartenait à milord, qu’il l’avait très-souvent vue brûlant jusqu’à des brimborions de papier qu’il avait touchés chez elle.
V.
Si une femme indolente devient active, si une femme, qui avait horreur de l’étude, apprend une langue étrangère ; enfin tout changement complet opéré dans son caractère, est un symptôme décisif.
VI.
La femme très-heureuse par le cœur ne va plus dans le monde.
VII.
Une femme qui a un amant devient très-indulgente.
VIII.
Un mari donne cent écus par mois à sa femme pour sa toilette : et, tout bien considéré, elle dépense au moins cinq cents francs sans faire un sou de dette ; le mari est volé, nuitamment, à main armée, par escalade, mais… sans effraction.
IX.
Deux époux couchaient dans le même lit, madame était constamment malade ; ils couchent séparément, elle n’a plus de migraine, et sa santé devient plus brillante que jamais : symptôme effrayant !
X.
Une femme qui ne prenait aucun soin d’elle-même passe subitement à une recherche extrême dans sa toilette. Il y a du minotaure !
XI.
— Ah ! ma chère, je ne connais pas de plus grand supplice que de ne pas être comprise.
— Oui, ma chère, mais quand on l’est !…
— Oh ! cela n’arrive presque jamais.
— Je conviens que c’est bien rare. Ah ! c’est un grand bonheur, mais il n’est pas deux êtres au monde qui sachent vous comprendre.
XII.
Le jour où une femme a des procédés pour son mari… — Tout est dit.
XIII.
Je lui demande :
— D’où venez-vous, Jeanne ?
— Je viens de chez votre compère quérir votre vaisselle que vous laissâtes.
— Ho ! da ? tout est encore à moi ! fis-je.
L’an suivant, je réitère la même question, en même posture.
— Je viens de quérir notre vaisselle.
— Ha ! ha ! nous y avons encore part ! fis-je.
Mais après si je l’interroge, elle me dira bien autrement :
— Vous voulez tout savoir comme les grands, et vous n’avez pas trois chemises. — Je viens de quérir ma vaisselle chez mon compère où j’ai soupé.
— Voilà qui est un point grabelé ! fis-je.
XIV.
Méfiez-vous d’une femme qui parle de sa vertu.
XV.
On dit à la duchesse de Chaulnes, dont l’état donnait de grandes inquiétudes : — Monsieur le duc de Chaulnes voudrait vous revoir.
— Est-il là ?…
— Oui.
— Qu’il attende… il entrera avec les sacrements.
Cette anecdote minotaurique a été recueillie par Champfort, mais elle devait se trouver ici comme type.
XVI.
Il y a des femmes qui essaient de persuader à leurs maris qu’ils ont des devoirs à remplir envers certaines personnes.
— Je vous assure que vous devez faire une visite à monsieur un tel… — Nous ne pouvons pas nous dispenser d’inviter à dîner monsieur un tel…
XVII.
— Allons, mon fils, tenez-vous donc droit, essayez donc de prendre les bonnes manières ? Enfin, regarde monsieur un tel ?… vois comme il marche ? examine comment il se met ?…
XVIII.
Quand une femme ne prononce le nom d’un homme que deux fois par jour, il y a peut-être incertitude sur la nature du sentiment qu’elle lui porte ; mais trois ?… Oh ! oh !
XIX.
Quand une femme reconduit un homme qui n’est ni avocat, ni ministre, jusqu’à la porte de son appartement, elle est bien imprudente.
XX.
C’est un terrible jour que celui où un mari ne peut pas parvenir à s’expliquer le motif d’une action de sa femme.
XXI.
La femme qui se laisse surprendre mér ite son sort.
Quelle doit être la conduite d’un mari, en s’apercevant d’un dernier symptôme qui ne lui laisse aucun doute sur l’infidélité de sa femme ?
Cette question est facile à résoudre. Il n’existe que deux partis à prendre : celui de la résignation, ou celui de la vengeance ; mais il n’y a aucun terme entre ces deux extrêmes.
Si l’on opte pour la vengeance, elle doit être complète. L’époux qui ne se sépare pas à jamais de sa femme est un véritable niais.
Si un mari et une femme se jugent dignes d’être encore liés par l’amitié qui unit deux hommes l’un à l’autre, il y a quelque chose d’odieux à faire sentir à sa femme l’avantage qu’on peut avoir sur elle.
Voici quelques anecdotes dont plusieurs sont inédites, et qui marquent assez bien, à mon sens, les différentes nuances de la conduite qu’un mari doit tenir en pareil cas.
Monsieur de Roquemont couchait une fois par mois dans la chambre de sa femme, et il s’en allait en disant : — Me voilà net, arrive qui plante !
Il y a là, tout à la fois, de la dépravation et je ne sais quelle pensée assez haute de politique conjugale.
Un diplomate, en voyant arriver l’amant de sa femme, sortait de son cabinet, entrait chez madame, et leur disait : — Au moins ne vous battez pas !…
Ceci a de la bonhomie.
On demandait à monsieur de Boufflers ce qu’il ferait si, après une très-longue absence, il trouvait sa femme grosse ?
— Je ferais porter ma robe-de-chambre et mes pantoufles chez elle.
Il y a de la grandeur d’âme.
— Madame, que cet homme vous maltraite quand vous êtes seule, cela est de votre faute ; mais je ne souffrirai pas qu’il se conduise mal avec vous en ma présence, car c’est me manquer.
Il y a noblesse.
Le sublime du genre est le bonnet carré posé sur le pied du lit par le magistrat pendant le sommeil des deux coupables.
Il y a de bien belles vengeances. Mirabeau a peint admirablement, dans un de ces livres qu’il fit pour gagner sa vie, la sombre résignation de cette Italienne, condamnée par son mari à périr avec lui dans les Maremmes.
DERNIERS AXIOMES.
XCIII.
Ce n’est pas se venger que de surprendre sa femme et son amant et de les tuer dans les bras l’un de l’autre ; c’est le plus immense service qu’on puisse leur rendre.
XCIV.
Jamais un mari ne sera si bien vengé que par l’amant de sa femme.
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MÉDITATION XXVIII. DES COMPENSATIONS.
La catastrophe conjugale, qu’un certain nombre de maris ne saurait éviter, amène presque toujours une péripétie. Alors, autour de vous tout se calme. Votre résignation, si vous vous résignez, a le pouvoir de réveiller de puissants remords dans l’âme de votre femme et de son amant ; car leur bonheur même les instruit de toute l’étendue de la lésion qu’ils vous causent. Vous êtes en tiers, sans vous en douter, dans tous leurs plaisirs. Le principe de bienfaisance et de bonté qui gît au fond du cœur humain n’est pas aussi facilement étouffé qu’on le pense ; aussi les deux âmes qui vous tourmentent sont-elles précisément celles qui vous veulent le plus de bien.
Dans ces causeries si suaves de familiarités qui servent de liens aux plaisirs et qui sont, en quelque sorte, les caresses de nos pensées, souvent votre femme dit à votre Sosie : — Eh ! bien, je t’assure, Auguste, que maintenant je voudrais bien savoir mon pauvre mari heureux ; car, au fond, il est bon : s’il n’était pas mon mari, et qu’il ne fût que mon frère, il y a beaucoup de choses que je ferais pour lui plaire ! Il m’aime, et — son amitié me gêne.
— Oui, c’est un brave homme !…
Vous devenez alors l’objet du respect de ce célibataire, qui voudrait vous donner tous les dédommagements possible s pour le tort qu’il vous fait ; mais il est arrêté par cette fierté dédaigneuse, dont l’expression se mêle à tous vos discours, et qui s’empreint dans tous vos gestes.
En effet, dans les premiers moments où le minotaure arrive, un homme ressemble à un acteur embarrassé sur un théâtre où il n’a pas l’habitude de se montrer. Il est très-difficile de savoir porter sa sottise avec dignité ; mais cependant les caractères généreux ne sont pas encore tellement rares qu’on ne puisse en trouver un pour mari modèle.
Alors, insensiblement vous êtes gagné par la grâce des procédés dont vous accable votre femme. Madame prend avec vous un ton d’amitié qui ne l’abandonnera plus désormais. La douceur de votre intérieur est une des premières compensations qui rendent à un mari le minotaure moins odieux. Mais, comme il est dans la nature de l’homme de s’habituer aux plus dures conditions, malgré ce sentiment de noblesse que rien ne saurait altérer, vous êtes amené, par une fascination dont la puissance vous enveloppe sans cesse, à ne pas vous refuser aux petites douceurs de votre position.
Supposons que le malheur conjugal soit tombé sur un gastrolâtre ! Il demande naturellement des consolations à son goût. Son plaisir, réfugié en d’autres qualités sensibles de son être, prend d’autres habitudes. Vous vous façonnez à d’autres sensations.
Un jour, en revenant du ministère, après être long-temps demeuré devant la riche et savoureuse bibliothèque de Chevet, balançant entre une somme de cent francs à débourser et les jouissances promises par un pâté de foies gras de Strasbourg, vous êtes stupéfait de trouver le pâté insolemment installé sur le buffet de votre salle à manger. Est-ce en vertu d’une espèce de mirage gastronomique ?… Dans cette incertitude, vous marchez à lui (un pâté est une créature animée) d’un pas ferme, vous semblez hennir en subodorant les truffes dont le parfum traverse les savantes cloisons dorées ; vous vous penchez à deux reprises différentes ; toutes les houppes nerveuses de votre palais ont une âme ; vous savourez les plaisirs d’une véritable fête ; et, dans cette extase, un remords vous poursuivant, vous arrivez chez votre femme.
— En vérité, ma bonne amie, nous n’avons pas une fortune à nous permettre d’acheter des pâtés…
— Mais il ne nous coûte rien !
— Oh ! oh !
— Oui, c’est le frère de monsieur Achille qui le lui a envoyé…
Vous apercevez monsieur Achille dans un coin. Le célibataire vous salue, il paraît heureux de vous voir accepter le pâté. Vous regardez votre femme qui rougit ; vous vous passez la main sur la barbe en vous caressant à plusieurs reprises le menton ; et, comme vous ne remerciez pas, les deux amants devinent que vous agréez la compensation.
Le Ministère a changé tout à coup. Un mari, conseiller d’État, tremble d’être rayé du tableau, quand, la veille, il espérait une direction générale ; tous les ministres lui sont hostiles, et alors il devient constitutionnel. Prévoyant sa disgrâce, il s’est rendu à Auteuil chercher une consolation auprès d’un vieil ami, qui lui a parlé d’Horace et de Tibulle. En rentrant chez lui il aperçoit la table mise comme pour recevoir les hommes les plus influents de la congrégation. — En vérité, madame la comtesse, dit-il avec humeur en entrant dans sa chambre, où elle est à achever sa toilette, je ne reconnais pas aujourd’hui votre tact habituel ?… Vous prenez bien votre temps pour donner des dîners… Vingt personnes vont savoir… — Et vont savoir que vous êtes directeur général ! s’écrie-t-elle en lui montrant une cédule royale… Il reste ébahi. Il prend la lettre, la tourne, la retourne, la décachette. Il s’assied, la déploie… — Je savais bien, dit-il, que sous tous les ministères possibles on rendrait justice… — Oui, mon cher ! Mais monsieur de Villeplaine a répondu de vous, corps pour corps, à son Éminence le cardinal de… dont il est le… — Monsieur de Villeplaine ?… Il y a là une compensation si opulente que le mari ajoute avec un sourire de directeur général : — Peste ! ma chère ; mais c’est affaire à vous !… — Ah ! ne m’en sachez aucun gré !… Adolphe l’a fait d’instinct et par attachement pour vous !…
Certain soir, un pauvre mari, retenu au logis par une pluie battante, ou lassé peut-être d’aller passer ses soirées au jeu, au café, dans le monde, ennuyé de tout, se voit contraint après le dîner de suivre sa femme dans la chambre conjugale. Il se plonge dans une bergère et attend sultanesquement son café ; il semble se dire : — Après tout, c’est ma femme !… La syrène apprête elle-même la boisson favorite, elle met un soin particulier à la distiller, la sucre, y goûte, la lui présente ; et, en souriant, elle hasarde, odalisque soumise, une plaisanterie, afin de dérider le front de son maître et seigneur. Jusqu’alors, il avait cru que sa femme était bête ; mais en entendant une saillie aussi fine que celle par laquelle vous l’agacerez, madame, il relève la tête de cette manière particulière aux chiens qui dépistent un lièvre. — Où diable a-t-elle pris cela ?… mais c’est un hasard ! se dit-il en lui-même. Du haut de sa grandeur, il réplique alors par une observation piquante. Madame y riposte, la conversation devient aussi vive qu’intéressante, et ce mari, homme assez supérieur, est tout étonné de trouver l’esprit de sa femme orné des connaissances les plus variées, le mot propre lui arrive avec une merveilleuse facilité ; son tact et sa délicatesse lui font saisir des aperçus d’une nouveauté gracieuse. Ce n’est plus la même femme. Elle remarque l’effet qu’elle produit sur son mari ; et, autant pour se venger de ses dédains, que pour faire admirer l’amant de qui elle tient, pour ainsi dire, les trésors de son esprit, elle s’anime, elle éblouit. Le mari, plus en état qu’un autre d’apprécier une compensation qui doit avoir quelque influence sur son avenir, est amené à penser que les passions des femmes sont peut-être une sorte de culture nécessaire.
Mais comment s’y prendre pour révéler celle des compensations qui flatte le plus les maris ?
Entre le moment où apparaissent les derniers symptômes et l’époque de la paix conjugale, dont nous ne tarderons pas à nous occuper, il s’écoule à peu près une dizaine d’années. Or, pendant ce laps de temps et avant que les deux époux signent le traité qui, par une réconciliation sincère entre le peuple féminin et son maître légitime, consacre leur petite restauration matrimoniale, avant enfin de fermer, selon l’expression de Louis XVIII, l’abîme des révolutions, il est rare qu’une femme honnête n’ait eu qu’un amant. L’anarchie a des phases inévitables. La domination fougueuse des tribuns est remplacée par celle du sabre ou de la plume, car l’on ne rencontre guère des amants dont la constance soit décennale. Ensuite, nos calculs prouvant qu’une femme honnête n’a que bien strictement acquitté ses contributions physiologiques ou diaboliques en ne faisant que trois heureux, il est dans les probabilités qu’elle aura mis le pied en plus d’une région amoureuse. Quelquefois, pendant un trop long interrègne de l’amour, il peut arriver que, soit par caprice, soit par tentation, soit par l’attrait de la nouveauté, une femme entreprenne de séduire son mari.
Figurez-vous la charmante madame de T…, l’héroïne de notre Méditation sur la Stratégie, commençant par dire d’un air fin : — Mais, je ne vous ai jamais vu si aimable !… De flatterie en flatterie, elle tente, elle pique la curiosité, elle plaisante, elle féconde en vous le plus léger désir, elle s’en empare et vous rend orgueilleux de vous-même. Alors arrive pour un mari la nuit des dédommagements. Une femme confond alors l’imagination de son mari. Semblable à ces voyageurs cosmopolites, elle raconte les merveilles des pays qu’elle a parcourus. Elle entremêle ses discours de mots appartenant à plusieurs langages. Les images passionnées de l’Orient, le mouvement original des phrases espagnoles, tout se heurte, tout se presse. Elle déroule les trésors de son album avec tous les mystères de la coquetterie, elle est ravissante, vous ne l’avez jamais connue !… Avec cet art particulier qu’ont les femmes de s’approprier tout ce qu’on leur enseigne, elle a su fondre les nuances pour se créer une manière qui n’appartient qu’à elle. Vous n’aviez reçu qu’une femme gauche et naïve des mains de l’Hyménée, le Célibat généreux vous en rend une dizaine. Un mari joyeux et ravi voit alors sa couche envahie par la troupe folâtre de ces courtisanes lutines dont nous avons parlé dans la Méditation sur les Premiers Symptômes. Ces déesses viennent se grouper, rire et folâtrer sous les élégantes mousselines du lit nuptial. La Phénicienne vous jette ses couronnes et se balance mollement, la Chalcidisseuse vous surprend par les prestiges de ses pieds blancs et délicats, l’Unelmane arrive et vous découvre en parlant le dialecte de la belle Ionie, des trésors de bonheur inconnus dans l’étude approfondie qu’elle vous fait faire d’une seule sensation.
Désolé d’avoir dédaigné tant de charmes, et fatigué souvent d’avoir rencontré autant de perfidie chez les prêtresses de Vénus que chez les femmes honnêtes, un mari hâte quelquefois, par sa galanterie, le moment de la réconciliation vers laquelle tendent toujours d’honnêtes gens. Ce regain de bonheur est récolté avec plus de plaisir, peut-être, que la moisson première. Le Minotaure vous avait pris de l’or, il vous restitue des diamants. En effet, c’est peut-être ici le lieu d’articuler un fait de la plus haute importance. On peut avoir une femme sans la posséder. Comme la plupart des maris, vous n’aviez peut-être encore rien reçu de la vôtre, et pour rendre votre union parfaite, il fallait peut-être l’intervention puissante du Célibat. Comment nommer ce miracle, le seul qui s’opère sur un patient en son absence ?… Hélas ! mes frères, nous n’avons pas fait la nature !…
Mais par combien d’autres compensations non moins riches l’âme noble et généreuse d’un jeune célibataire ne sait-elle pas quelquefois racheter son pardon ! Je me souviens d’avoir été témoin d’une des plus magnifiques réparations que puisse offrir un amant au mari qu’il minotaurise.
Par une chaude soirée de l’été de 1817, je vis arriver, dans un des salons de Tortoni, un de ces deux cents jeunes gens que nous nommons avec tant de confiance nos amis, il était dans toute la splendeur de sa modestie. Une adorable femme mise avec un goût parfait, et qui venait de consentir à entrer dans un de ces frais boudoirs consacrés par la mode, était descendue d’une élégante calèche qui s’arrêta sur le boulevard, en empiétant aristocratiquement sur le terrain des promeneurs. Mon jeune célibataire apparut donnant le bras à sa souveraine, tandis que le mari suivait tenant par la main deux petits enfants jolis comme des amours. Les deux amants, plus lestes que le père de famille, étaient parvenus avant lui dans le cabinet indiqué par le glacier. En traversant la salle d’entrée, le mari heurta je ne sais quel dandy qui se formalisa d’être heurté. De là naquit une querelle qui en un instant devint sérieuse par l’aigreur des répliques respectives. Au moment où le dandy allait se permettre un geste indigne d’un homme qui se respecte, le célibataire était intervenu, il avait arrêté le bras du dandy, il l’avait surpris, confondu, atterré, il était superbe. Il accomplit l’acte que méditait l’agresseur en lui disant : — Monsieur ?… Ce — monsieur ?… est un des beaux discours que j’aie jamais entendus. Il semblait que le jeune célibataire s’exprimât ainsi : — Ce père de famille m’appartient, puisque je me suis emparé de son honneur, c’est à moi de le défendre. Je connais mon devoir, je suis son remplaçant et je me battrai pour lui. La jeune femme était sublime ! Pâle, éperdue, elle avait saisi le bras de son mari qui parlait toujours ; et, sans mot dire, elle l’entraîna dans la calèche, ainsi que ses enfants. C’était une de ces femmes du grand monde, qui savent toujours accorder la violence de leurs sentiments avec le bon ton.
— Oh ! monsieur Adolphe ! s’écria la jeune dame en voyant son ami remontant d’un air gai dans la calèche. — Ce n’est rien, madame, c’est un de mes amis, et nous nous sommes embrassés… Cependant le lendemain matin le courageux célibataire reçut un coup d’épée qui mit sa vie en danger, et le retint six mois au lit. Il fut l’objet des soins les plus touchants de la part des deux époux. Combien de compensations !… Quelques années après cet événement, un vieil oncle du mari, dont les opinions ne cadraient pas avec celles du jeune ami de la maison, et qui conservait un petit levain de rancune contre lui à propos d’une discussion politique, entreprit de le faire expulser du logis. Le vieillard alla jusqu’à dire à son neveu qu’il fallait opter entre sa succession et le renvoi de cet impertinent célibataire. Alors le respectable négociant, car c’était un agent de change, dit à son oncle : — Ah ! ce n’est pas vous, mon oncle, qui me réduirez à manquer de reconnaissance !… Mais si je le lui disais, ce jeune homme se ferait tuer pour vous !… Il a sauvé mon crédit, il passerait dans le feu pour moi, il me débarrasse de ma femme, il m’attire des clients, il m’a procuré presque toutes les négociations de l’emprunt Villèle… je lui dois la vie, c’est le père de mes enfants… cela ne s’oublie pas !…
Toutes ces compensations peuvent passer pour complètes ; mais malheureusement il y a des compensations de tous les genres. Il en existe de négatives, de fallacieuses, et enfin il y en a de fallacieuses et de négatives tout ensemble.
Je connais un vieux mari, possédé par le démon du jeu. Presque tous les soirs l’amant de sa femme vient et joue avec lui. Le célibataire lui dispense avec libéralité les jouissances que donnent les incertitudes et le hasard du jeu, et sait perdre régulièrement une centaine de francs par mois ; mais madame les lui donne… La compensation est fallacieuse.
Vous êtes pair de France et vous n’avez jamais eu que des filles. Votre femme accouche d’un garçon !… La compensation est négative.
L’enfant qui sauve votre nom de l’oubli ressemble à la mère… Madame la duchesse vous persuade que l’enfant est de vous. La compensation négative devient fallacieuse.
Voici l’une des plus ravissantes compensations connues.
Un matin, le prince de Ligne rencontre l’amant de sa femme, et court à lui, riant comme un fou : — Mon cher, lui dit-il, cette nuit je t’ai fait cocu !
Si tant de maris arrivent doucettement à la paix conjugale, et portent avec tant de grâce les insignes imaginaires de la puissance patrimoniale, leur philosophie est sans doute soutenue par le confortabilisme de certaines compensations que les oisifs ne savent pas deviner. Quelques années s’écoulent, et les deux époux atteignent à la dernière situation de l’existence artificielle à laquelle ils se sont condamnés en s’unissant.
MÉDITATION XXIX. DE LA PAIX CONJUGALE.
Mon esprit a si fraternellement accompagné le Mariage dans toutes les phases de sa vie fantastique, qu’il me semble avoir vieilli avec le ménage que j’ai pris si jeune au commencement de cet ouvrage.
Après avoir éprouvé par la pensée la fougue des premières passions humaines, après avoir crayonné, quelqu’imparfait qu’en soit le dessin, les événements principaux de la vie conjugale ; après m’être débattu contre tant de femmes qui ne m’appartenaient pas, après m’être usé à combattre tant de caractères évoqués du néant, après avoir assisté à tant de batailles, j’éprouve une lassitude intellectuelle qui étale comme un crêpe sur toutes les choses de la vie. Il me semble que j’ai un catarrhe, que je porte des lunettes vertes, que mes mains tremblent, et que je vais passer la seconde moitié de mon existence et de mon livre à excuser les folies de la première.
Je me vois entouré de grands enfants que je n’ai point faits et assis auprès d’une femme que je n’ai point épousée. Je crois sentir des rides amassées sur mon front. Je suis devant un foyer qui pétille comme en dépit de moi, et j’habite une chambre antique… J’éprouve alors un mouvement d’effroi en portant la main à mon cœur ; car je me demande : — Est-il donc flétri ?…
Semblable à un vieux procureur, aucun sentiment ne m’en impose, et je n’admets un fait que quand il m’est attesté, comme dit un vers de lord Byron, par deux bons faux témoins. Aucun visage ne me trompe. Je suis morne et sombre. Je connais le monde, et il n’a plus d’illusions pour moi. Mes amitiés les plus saintes ont été trahies. J’échange avec ma femme un regard d’une immense profondeur, et la moindre de nos paroles est un poignard qui traverse notre vie de part en part. Je suis dans un horrible calme. Voilà donc la paix de la vieillesse ! Le vieillard possède donc en lui par avance le cimetière qui le possédera bientôt. Il s’accoutume au froid. L’homme meurt, comme nous le disent les philosophes, en détail ; et même il trompe presque toujours la mort : ce qu’elle vient saisir de sa main décharnée est-il bien toujours la vie ?…
Oh ! mourir jeune et palpitant !… Destinée digne d’envie ! N’est-ce pas, comme l’a dit un ravissant poète, « emporter avec soi toutes ses illusions, s’ensevelir, comme un roi d’Orient, avec ses pierreries et ses trésors, avec toute la fortune humaine ? » Combien d’actions de grâces ne devons-nous donc pas adresser à l’esprit doux et bienfaisant qui respire en toute chose ici-bas ! En effet, le soin que la nature prend à nous dépouiller pièce à pièce de nos vêtements, à nous déshabiller l’âme en nous affaiblissant par degrés, l’ouïe, la vue, le toucher, en ralentissant la circulation de notre sang et figeant nos humeurs pour nous rendre aussi peu sensibles à l’invasion de la mort que nous le fûmes à celle de la vie, ce soin maternel qu’elle a de notre fragile enveloppe, elle le déploie aussi pour les sentiments et pour cette double existence que crée l’amour conjugal. Elle nous envoie d’abord la Confiance, qui, tendant la main, et ouvrant son cœur, nous dit : — Vois : je suis à toi pour toujours… La Tiédeur la suit, marchant d’un pas languissant, détournant sa blonde tête pour bâiller comme une jeune veuve obligée d’écouter un ministre prêt à lui signer un brevet de pension. L’Indifférence arrive ; elle s’étend sur un divan, ne songeant plus à baisser la robe que jadis le Désir levait si chastement et si vivement. Elle jette un œil sans pudeur comme sans immodestie sur le lit nuptial ; et, si elle désire quelque chose, c’est des fruits verts pour réveiller les papilles engourdies qui tapissent son palais blasé. Enfin l’Expérience philosophique de la vie se présente, le front soucieux, dédaigneuse, montrant du doigt les résultats, et non pas les causes ; la victoire calme, et non pas le combat fougueux. Elle suppute des arrérages avec les fermiers et calcule la dot d’un enfant. Elle matérialise tout. Par un coup de sa baguette, la vie devient compacte et sans ressort : jadis tout était fluide, maintenant tout s’est minéralisé. Le plaisir n’existe plus alors pour nos cœurs, il est jugé, il n’était qu’une sensation, une crise passagère ; or, ce que l’âme veut aujourd’hui, c’est un état ; et le bonheur seul est permanent, il gît dans une tranquillité absolue, dans la régularité des repas, du dormir, et du jeu des organes appesantis.
— Cela est horrible !… m’écriais-je, je suis jeune, vivace !… Périssent tous les livres du monde plutôt que mes illusions !
Je quittai mon laboratoire et je m’élançai dans Paris. En voyant passer les figures les plus ravissantes, je m’aperçus bien que je n’étais pas vieux. La première femme jeune, belle et bien mise qui m’apparut, fit évanouir par le feu de son regard la sorcellerie dont j’étais volontairement victime. À peine avais-je fait quelques pas dans le jardin des Tuileries, endroit vers lequel je m’étais dirigé, que j’aperçus le prototype de la situation matrimoniale à laquelle ce livre est arrivé. J’aurais voulu caractériser, idéaliser ou personnifier le Mariage, tel que je le conçois, alors qu’il eût été impossible à la sainte Trinité même d’en créer un symbole si complet.
Figurez-vous une femme d’une cinquantaine d’années, vêtue d’une redingote de mérinos brun-rouge, tenant de sa main gauche un cordon vert noué au collier d’un joli petit griffon anglais, et donnant le bras droit à un homme en culotte et en bas de soie noirs, ayant sur la tête un chapeau dont les bords se retroussaient capricieusement, et sous les deux côtés duquel s’échappaient les touffes neigeuses de deux ailes de pigeon. Une petite queue, à peu près grosse comme un tuyau de plume, se jouait sur une nuque jaunâtre assez grasse que le collet rabattu d’un habit râpé laissait à découvert. Ce couple marchait d’un pas d’ambassadeur ; et le mari, septuagénaire au moins, s’arrêtait complaisamment toutes les fois que le griffon faisait une gentillesse. Je m’empressai de devancer cette image vivante de ma Méditation, et je fus surpris au dernier point en reconnaissant le marquis de T… l’ami du comte de Nocé, qui depuis long-temps me devait la fin de l’histoire interrompue que j’ai rapportée dans la Théorie du lit. (Voir la Méditation XVII.)
— J’ai l’honneur, me dit-il, de vous présenter madame la marquise de T…
Je saluai profondément une dame au visage pâle et ridé ; son front était orné d’un tour dont les boucles plates et circulairement placées, loin de produire quelque illusion, ajoutaient un désenchantement de plus à toutes les rides qui la sillonnaient. Cette dame avait un peu de rouge et ressemblait assez à une vieille actrice de province.
— Je ne vois pas, monsieur, ce que vous pourrez dire contre un mariage comme le nôtre ? me dit le vieillard.
— Les lois romaines le défendent !… répondis-je en riant.
La marquise me jeta un regard qui marquait autant d’inquiétude que d’improbation, et qui semblait dire : — Est-ce que je serais arrivée à mon âge pour n’être qu’une concubine ?…
Nous allâmes nous asseoir sur un banc, dans le sombre bosquet planté à l’angle de la haute terrasse qui domine la place Louis XVI, du côté du Garde-meuble. L’automne effeuillait déjà les arbres, et dispersait devant nous les feuilles jaunes de sa couronne ; mais le soleil ne laissait pas que de répandre une douce chaleur.
— Eh ! bien, l’ouvrage est-il fini ?… me dit le vieillard avec cet onctueux accent particulier aux hommes de l’ancienne aristocratie. Il joignit à ces paroles un sourire sardonique en guise de commentaire.
— À peu près, monsieur, répondis-je. J’ai atteint la situation philosophique à laquelle vous me semblez être arrivé, mais je vous avoue que je…
— Vous cherchiez des idées ?… ajouta-t-il en achevant une phrase que je ne savais plus comment terminer. — Eh ! bien, dit-il en continuant, vous pouvez hardiment prétendre qu’en parvenant à l’hiver de sa vie, un homme… (un homme qui pense, entendons-nous) finit par refuser à l’amour la folle existence que nos illusions lui ont donnée !…
— Quoi ! c’est vous qui nieriez l’amour le lendemain d’un mariage ?
— D’abord, dit-il, le lendemain, ce serait une raison ; mais mon mariage est une spéculation, reprit-il en se penchant à mon oreille. J’ai acheté les soins, les attentions, les services dont j’ai besoin, et je suis bien certain d’obtenir tous les égards que réclame mon âge ; car j’ai donné toute ma fortune à mon neveu par testament, et ma femme ne devant être riche que pendant ma vie, vous concevez que… Je jetai sur le vieillard un regard si pénétrant qu’il me serra la main et me dit : — Vous paraissez avoir bon cœur, car il ne faut jurer de rien… Eh ! bien, croyez que je lui ai ménagé une douce surprise dans mon testament, ajouta-t-il gaiement.
— Arrivez donc, Joseph !… s’écria la marquise en allant au-devant d’un domestique qui apportait une redingote en soie ouatée, monsieur a peut-être déjà eu froid.
Le vieux marquis mit la redingote, la croisa ; et, me prenant le bras, il m’emmena sur la partie de la terrasse où abondaient les rayons du soleil.
— Dans votre ouvrage, me dit-il, vous aurez sans doute parlé de l’amour en jeune homme. Eh ! bien, si vous voulez vous acquitter des devoirs que vous impose le mot ec… élec…
— Éclectique… lui dis-je en souriant, car il n’avait jamais pu se faire à ce nom philosophique.
— Je connais bien le mot !… reprit-il. Si donc vous voulez obéir à votre vœu d’électisme, il faut que vous exprimiez au sujet de l’amour quelques idées viriles que je vais vous communiquer, et je ne vous en disputerai pas le mérite, si mérite il y a ; car je veux vous léguer de mon bien, mais ce sera tout ce que vous en aurez.
— Il n’y a pas de fortune pécuniaire qui vaille une fortune d’idées, quand elles sont bonnes toutefois ! Ainsi je vous écoute avec reconnaissance.
— L’amour n’existe pas, reprit le vieillard en me regardant. Ce n’est pas même un sentiment, c’est une nécessité malheureuse qui tient le milieu entre les besoins du corps et ceux de l’âme. Mais, en épousant pour un moment vos jeunes pensées, essayons de raisonner sur cette maladie sociale. Je crois que vous ne pouvez concevoir l’amour que comme un besoin ou comme un sentiment.
Je fis un signe d’affirmation.
— Considéré comme besoin, dit le vieillard, l’amour se fait sentir le dernier parmi tous les autres, et cesse le premier. Nous sommes amoureux à vingt ans (passez-moi les différences), et nous cessons de l’être à cinquante. Pendant ces vingt années, combien de fois le besoin se ferait-il sentir si nous n’étions pas provoqués par les mœurs incendiaires de nos villes, et par l’habitude que nous avons de vivre en présence, non pas d’une femme, mais des femmes ? Que devons-nous à la conservation de la race ? Peut-être autant d’enfants que nous avons de mamelles, parce que, si l’un meurt, l’autre vivra. Si ces deux enfants étaient toujours fidèlement obtenus, où iraient donc les nations ? Trente millions d’individus sont une population trop forte pour la France, puisque le sol ne suffit pas à sauver plus de dix millions d’êtres de la misère et de la faim. Songez que la Chine en est réduite à jeter ses enfants à l’eau, selon le rapport des voyageurs. Or, deux enfants à faire, voilà tout le mariage. Les plaisirs superflus sont non-seulement du libertinage, mais une perte immense pour l’homme, ainsi que je vous le démontrerai tout à l’heure. Comparez donc à cette pauvreté d’action et de durée l’exigence quotidienne et perpétuelle des autres conditions de notre existence ! La nature nous interroge à toute heure pour nos besoins réels ; et, tout au contraire, elle se refuse absolument aux excès que notre imagination sollicite parfois en amour. C’est donc le dernier de nos besoins, et le seul dont l’oubli ne produise aucune perturbation dans l’économie du corps ! L’amour est un luxe social comme les dentelles et les diamants. Maintenant, en l’examinant comme sentiment, nous pouvons y trouver des distinctions, le plaisir et la passion. Analysez le plaisir. Les affections humaines reposent sur deux principes : l’attraction et l’aversion. L’attraction est ce sentiment général pour les choses qui flattent notre instinct de conservation ; l’aversion est l’exercice de ce même instinct quand il nous avertit qu’une chose peut lui porter préjudice. Tout ce qui agite puissamment notre organisme nous donne une conscience intime de notre existence : voilà le plaisir. Il se constitue du désir, de la difficulté et de la jouissance d’avoir n’importe quoi. Le plaisir est un élément unique, et nos passions n’en sont que des modifications plus ou moins vives ; aussi, presque toujours, l’habitude d’un plaisir exclut-il les autres. Or l’amour est le moins vif de nos plaisirs et le moins durable. Où placez-vous le plaisir de l’amour ?… Sera-ce la possession d’un beau corps ?… Avec de l’argent vous pouvez acquérir dans une soirée des odalisques admirables ; mais au bout d’un mois vous aurez blasé peut-être à jamais le sentiment en vous. Serait-ce par hasard autre chose ?… Aimeriez-vous une femme, parce qu’elle est bien mise, élégante, qu’elle est riche, qu’elle a voiture, qu’elle a du crédit ?… Ne nommez pas cela de l’amour, car c’est de la vanité, de l’avarice, de l’égoïsme. L’aimez-vous parce qu’elle est spirituelle ?… vous obéissez peut-être alors à un sentiment littéraire.
— Mais, lui dis-je, l’amour ne révèle ses plaisirs qu’à ceux qui confondent leurs pensées, leurs fortunes, leurs sentiments, leurs âmes, leurs vies…
— Oh !… oh !… oh !… s’écria le vieillard d’un ton goguenard, trouvez-moi sept hommes par nation qui aient sacrifié à une femme non pas leurs vies… car cela n’est pas grand’chose : le tarif de la vie humaine n’a pas, sous Napoléon, monté plus haut qu’à vingt mille francs ; et il y a en France en ce moment deux cent cinquante mille braves qui donnent la leur pour un ruban rouge de deux pouces ; mais sept hommes qui aient sacrifié à une femme dix millions sur lesquels ils auraient dormi solitairement pendant une seule nuit… Dubreuil et Phméja sont encore moins rares que l’amour de mademoiselle Dupuis et de Bolingbroke. Alors, ces sentimentslà procèdent d’une cause inconnue. Mais vous m’avez amené ainsi à considérer l’amour comme une passion. Eh ! bien, c’est la dernière de toutes et la plus méprisable. Elle promet tout et ne tient rien. Elle vient, de même que l’amour comme besoin, la dernière, et périt la première. Ah ! parlez-moi de la vengeance, de la haine, de l’avarice, du jeu, de l’ambition, du fanatisme !… Ces passions-là ont quelque chose de viril ; ces sentiments-là sont impérissables ; ils font tous les jours les sacrifices qui ne sont faits par l’amour que par boutades. — Mais, reprit-il, maintenant abjurez l’amour. D’abord plus de tracas, de soins, d’inquiétudes ; plus de ces petites passions qui gaspillent les forces humaines. Un homme vit heureux et tranquille ; socialement parlant, sa puissance est infiniment plus grande et plus intense. Ce divorce fait avec ce je ne sais quoi nommé amour est la raison primitive du pouvoir de tous les hommes qui agissent sur les masses humaines, mais ce n’est rien encore. Ah ! si vous connaissiez alors de quelle force magique un homme est doué, quels sont les trésors de puissance intellectuelle, et quelle longévité de corps il trouve en lui-même, quand, se détachant de toute espèce de passions humaines, il emploie toute son énergie au profit de son âme ! Si vous pouviez jouir pendant deux minutes des richesses que Dieu dispense aux hommes sages qui ne considèrent l’amour que comme un besoin passager auquel il suffit d’obéir à vingt ans, six mois durant ; aux hommes qui, dédaignant les plantureux et obturateurs beefteaks de la Normandie, se nourrissent des racines qu’il a libéralement dispensées, et qui se couchent sur des feuilles sèches comme les solitaires de la Thébaïde !… ah ! vous ne garderiez pas trois secondes la dépouille des quinze mérinos qui vous couvrent ; vous jetteriez votre badine, et vous iriez vivre dans les cieux !… vous y trouveriez l’amour que vous cherchez dans la fange terrestre ; vous y entendriez des concerts autrement mélodieux que ceux de monsieur Rossini, des voix plus pures que celle de la Malibran… Mais j’en parle en aveugle et par ouï-dire : si je n’étais pas allé en Allemagne devers l’an 1791, je ne saurais rien de tout ceci… Oui, l’homme a une vocation pour l’infini. Il y a en lui un instinct qui l’appelle vers Dieu. Dieu est tout, donne tout, fait oublier tout, et la pensée est le fil qu’il nous a donné pour communiquer avec lui !…
Il s’arrête tout à coup, l’œil fixé vers le ciel.
— Le pauvre bonhomme a perdu la tête ! pensais-je.
— Monsieur, lui dis-je, ce serait pousser loin le dévouement pour la philosophie éclectique que de consigner vos idées dans mon ouvrage ; car c’est le détruire. Tout y est basé sur l’amour platonique ou sensuel. Dieu me garde de finir mon livre par de tels blasphèmes sociaux ! J’essaierai plutôt de retourner par quelque subtilité pantagruélique à mon troupeau de célibataires et de femmes honnêtes, en m’ingéniant à trouver quelque utilité sociale et raisonnable à leurs passions et à leurs folies. Oh ! oh ! si la paix conjugale nous conduit à des raisonnements si désenchanteurs, si sombres, je connais bien des maris qui préféreraient la guerre.
— Ah ! jeune homme, s’écria le vieux marquis, je n’aurai pas à me reprocher de ne pas avoir indiqué le chemin à un voyageur égaré.
— Adieu, vieille carcasse !… dis-je en moi-même, adieu, mariage ambulant. Adieu, squelette de feu d’artifice, adieu, machine ! Quoique je t’aie donné parfois quelques traits de gens qui m’ont été chers, vieux portraits de famille, rentrez dans la boutique du marchand de tableaux, allez rejoindre madame de T. et toutes les autres, que vous deveniez des enseignes à bière… peu m’importe.
MÉDITATION XXX. CONCLUSION.
Un homme de solitude, et qui se croyait le don de seconde vue, ayant dit au peuple d’Israël de le suivre sur une montagne pour y entendre la révélation de quelques mystères, se vit accompagné par une troupe qui tenait assez de place sur le chemin pour que son amour-propre en fût chatouillé, quoique prophète.
Mais comme sa montagne se trouvait à je ne sais quelle distance, il arriva qu’à la première poste un artisan se souvint qu’il devait livrer une paire de babouches à un duc et pair, une femme pensa que la bouillie de ses enfants était sur le feu, un publicain songea qu’il avait des métalliques à négocier, et ils s’en allèrent.
Un peu plus loin des amants restèrent sous des oliviers, en oubliant les discours du prophète ; car ils pensaient que la terre promise était là où ils s’arrêtaient, et la parole divine là où ils causaient ensemble.
Des obèses, chargés de ventres à la Sancho, et qui depuis un quart d’heure s’essuyaient le front avec leurs foulards, commencèrent à avoir soif, et restèrent auprès d’une claire fontaine.
Quelques anciens militaires se plaignirent des cors qui leur agaçaient les nerfs, et parlèrent d’Austerlitz à propos de bottes étroites.
À la seconde poste, quelques gens du monde se dirent à l’oreille : — Mais c’est un fou que ce prophète-là ?… — Est-ce que vous l’avez écouté ? — Moi ! je suis venu par curiosité. — Et moi, parce que j’ai vu qu’on le suivait (c’était un fashionable). — C’est un charlatan.
Le prophète marchait toujours. Mais, quand il fut arrivé sur le plateau d’où l’on découvrait un immense horizon, il se retourna, et ne vit auprès de lui qu’un pauvre Israélite auquel il aurait pu dire comme le prince de Ligne au méchant petit tambour bancroche qu’il trouva sur la place où il se croyait attendu par la garnison : — Eh ! bien ! messieurs les lecteurs, il paraît que vous n’êtes qu’un ?…
Homme de Dieu qui m’as suivi jusqu’ici !… j’espère qu’une petite récapitulation ne t’effraiera pas, et j’ai voyagé dans la conviction que tu te disais comme moi : — Où diable allons-nous ?…
— Eh ! bien, c’est ici le lieu de vous demander, mon respectable lecteur, quelle est votre opinion relativement au renouvellement du monopole des tabacs, et ce que vous pensez des impôts exorbitants mis sur les vins, sur le port d’armes, sur les jeux, sur la loterie, et sur les cartes à jouer, l’eau-de-vie, les savons, les cotons, et les soieries, etc.
— Je pense que tous ces impôts, entrant pour un tiers dans les revenus du budget, nous serions fort embarrassés si…
— De sorte, mon excellent mari-modèle, que si personne ne se grisait, ne jouait, ne prenait de tabac, ne chassait ; enfin si nous n’avions en France, ni vices, ni passions, ni maladies, l’État serait à deux doigts d’une banqueroute ; car il paraît que nos rentes sont hypothéquées sur la corruption publique, comme notre commerce ne vit que par le luxe. Si l’on veut y regarder d’un peu plus près, tous les impôts sont basés sur une maladie morale. En effet la plus grosse recette des domaines ne vient-elle pas des contrats d’assurances que chacun s’empresse de se constituer contre les mutations de sa bonne foi, de même que la fortune des gens de justice prend sa source dans les procès qu’on intente à cette foi jurée ! Et pour continuer cet examen philosophique, je verrais les gendarmes sans chevaux et sans culotte de peau, si tout le monde se tenait tranquille et s’il n’y avait ni imbéciles ni paresseux. Imposez donc la vertu ?… Eh ! bien, je pense qu’il y a plus de rapports qu’on ne le croit entre mes femmes honnêtes et le budget ; et je me charge de vous le démontrer si vous voulez me laisser finir mon livre comme il a commencé, par un petit essai de statistique. M’accorderez-vous qu’un amant doive mettre plus souvent des chemises blanches que n’en met, soit un mari, soit un célibataire inoccupé ? Cela me semble hors de doute. La différence qui existe entre un mari et un amant se voit à l’esprit seul de leur toilette. L’un est sans artifice, sa barbe reste souvent longue, et l’autre ne se montre jamais que sous les armes. Sterne a dit fort plaisamment que le livre de sa blanchisseuse était le mémoire le plus historique qu’il connût sur son Tristram Shandy ; et que, par le nombre de ses chemises, on pouvait deviner les endroits de son livre qui lui avaient le plus coûté à faire. Et ! bien, chez les amants, le registre du blanchisseur est l’historien le plus fidèle et le plus impartial qu’ils aient de leurs amours. En effet, une passion consomme une quantité prodigieuse de pèlerines, de cravates, de robes nécessitées par la coquetterie ; car il y a un immense prestige attaché à la blancheur des bas, à l’éclat d’une collerette et d’un canezou, aux plis artistement faits d’une chemise d’homme, à la grâce de sa cravate et de son col. Ceci explique l’endroit où j’ai dit de la femme honnête (Méditation II) : Elle passe sa vie à faire empeser ses robes. J’ai pris des renseignements auprès d’une dame afin de savoir à quelle somme on pouvait évaluer cette contribution imposée par l’amour, et je me souviens qu’après l’avoir fixée à cent francs par an pour une femme, elle me dit avec une sorte de bonhomie : — « Mais c’est selon le caractère des hommes, car il y en a qui sont plus gâcheurs les uns que les autres. » Néanmoins, après une discussion très-approfondie, où je stipulais pour les célibataires, et la dame pour son sexe, il fut convenu que, l’un portant l’autre, deux amants appartenant aux sphères sociales dont s’est occupé cet ouvrage doivent dépenser pour cet article, à eux deux, cent cinquante francs par an de plus qu’en temps de paix. Ce fut par un semblable traité amiable et longuement discuté que nous arrêtâmes aussi une différence collective de quatre cents francs entre le pied de guerre et le pied de paix relativement à toutes les parties du costume. Cet article fut même trouvé fort mesquin par toutes les puissances viriles et féminines que nous consultâmes. Les lumières qui nous furent apportées par quelques personnes pour nous éclairer sur ces matières délicates nous donnèrent l’idée de réunir dans un dîner quelques têtes savantes, afin d’être guidés par des opinions sages dans ces importantes recherches. L’assemblée eut lieu. Ce fut le verre à la main, et après de brillantes improvisations, que les chapitres suivants du budget de l’amour reçurent une sorte de sanction législative. La somme de cent francs fut allouée pour les commissionnaires et les voitures. Celle de cinquante écus parut très-raisonnable pour les petits pâtés que l’on mange en se promenant, pour les bouquets de violettes et les parties de spectacle. Une somme de deux cents francs fut reconnue nécessaire à la solde extraordinaire demandée par la bouche et les dîners chez les restaurateurs. Du moment où la dépense était admise, il fallait bien la couvrir par une recette. Ce fut dans cette discussion qu’un jeune chevau-léger (car le roi n’avait pas encore supprimé sa maison rouge à l’époque où cette transaction fut méditée), rendu presque ebriolus par le vin de champagne, fut rappelé à l’ordre pour avoir osé comparer les amants à des appareils distillatoires Mais un chapitre qui donna lieu aux plus violentes discussions, qui resta même ajourné pendant plusieurs semaines, et qui nécessita un rapport, fut celui des cadeaux. Dans la dernière séance, la délicate madame de D… opina la première ; et, par un discours plein de grâce et qui prouvait la noblesse de ses sentiments, elle essaya de démontrer que la plupart du temps les dons de l’amour n’avaient aucune valeur intrinsèque. L’auteur répondit qu’il n’y avait pas d’amants qui ne fissent faire leurs portraits. Une dame objecta que le portrait n’était qu’un premier capital, et qu’on avait toujours soin de se les redemander pour leur donner un nouveau cours. Mais tout à coup un gentilhomme provençal se leva pour prononcer une philippique contre les femmes. Il parla de l’incroyable faim qui dévore la plupart des amantes pour les fourrures, les pièces de satin, les étoffes, les bijoux et les meubles ; mais une dame l’interrompit en lui demandant si madame d’Ô… y, son amie intime, ne lui avait pas déjà payé deux fois ses dettes. — Vous vous trompez, madame, reprit le Provençal, c’est son mari. — L’orateur est rappelé à l’ordre, s’écria le président, et condamné à festoyer toute l’assemblée, pour s’être servi du mot mari. Le Provençal fut complétement réfuté par une dame qui tâcha de prouver que les femmes avaient beaucoup plus de dévouement en amour que les hommes ; que les amants coûtent fort cher, et qu’une femme honnête se trouverait très-heureuse de s’en tirer avec eux pour deux mille francs seulement par an. La discussion allait dégénérer en personnalités, quand on demanda le scrutin. Les conclusions de la commission furent adoptées. Ces conclusions portaient en substance que la somme des cadeaux annuels serait évaluée, entre amants, à cinq cents francs, mais que dans ce chiffre seraient également compris : 1º L’argent des parties de campagne ; 2º les dépenses pharmaceutiques occasionnées par les rhumes que l’on gagnait le soir en se promenant dans les allées trop humides des parcs, ou en sortant du spectacle, et qui constituaient de véritables cadeaux ; 3º les ports de lettres et les frais de chancellerie ; 4º les voyages et toutes les dépenses généralement quelconques dont le détail aurait échappé, sans avoir égard aux folies qui pouvaient être faites par des dissipateurs, attendu que, d’après les recherches de la commission, il était démontré que la plupart des profusions profitaient aux filles d’Opéra, non aux femmes légitimes. Le résultat de cette statistique pécuniaire de l’amour fut que, l’une portant l’autre, une passion coûtait par an près de quinze cents francs, nécessaires à une dépense supportée par les amants d’une manière souvent inégale, mais qui n’aurait pas lieu sans leur attachement. Il y eut aussi une sorte d’unanimité dans l’assemblée pour constater que ce chiffre était le minimum du coût annuel d’une passion. Or, mon cher monsieur, comme nous avons, par les calculs de notre statistique conjugale (Voyez les Méditations I, II et III), prouvé d’une manière irrévocable qu’il existait en France une masse flottante d’au moins quinze cent mille passions illégitimes, il s’ensuit :
Que les criminelles conversations du tiers de la population française contribuent pour une somme de près de trois milliards au vaste mouvement circulatoire de l’argent, véritable sang social dont le cœur est le budget ;
Que la femme honnête ne donne pas seulement la vie aux enfants de la patrie, mais encore à ses capitaux ;
Que nos manufactures ne doivent leur prospérité qu’à ce mouvement systolaire ;
Que la femme honnête est un être essentiellement budgétif et consommateur ;
Que la moindre baisse dans l’amour public entraînerait d’incalculables malheurs pour le fisc et pour les rentiers ;
Qu’un mari a au moins le tiers de son revenu hypothéqué sur l’inconstance de sa femme, etc.
Je sais bien que vous ouvrez déjà la bouche pour me parler de mœurs, de politique, de bien et de mal… mais, mon cher minotaurisé, le bonheur n’est-il pas la fin que doivent se proposer toutes les sociétés ?… N’est-ce pas cet axiome qui fait que ces pauvres rois se donnent tant de mal après leurs peuples ? Eh ! bien, la femme honnête n’a pas, comme eux, il est vrai, des trônes, des gendarmes, des tribunaux, elle n’a qu’un lit à offrir ; mais si nos quatre cent mille femmes rendent heureux, par cette ingénieuse machine, un million de célibataires, et par-dessus le marché leurs quatre cent mille maris, n’atteignent-elles pas mystérieusement et sans faste au but qu’un gouvernement a en vue, c’est-à-dire de donner la plus grande somme possible de bonheur à la masse ?
— Oui, mais les chagrins, les enfants, les malheurs..
— Ah ! permettez-moi de mettre en lumière le mot consolateur par lequel l’un de nos plus spirituels caricaturistes termine une de ses charges : — L’homme n’est pas parfait ! Il suffit donc que nos institutions n’aient pas plus d’inconvénients que d’avantages pour qu’elles soient excellentes ; car le genre humain n’est pas placé, socialement parlant, entre le bien et le mal, mais entre le mal et le pire. Or, si l’ouvrage que nous avons actuellement accompli a eu pour but de diminuer la pire des institutions matrimoniales, en dévoilant les erreurs et les contre-sens auxquels donnent lieu nos mœurs et nos préjugés, il sera certes un des plus beaux titres qu’un homme puisse présenter pour être placé parmi les bienfaiteurs de l’humanité. L’auteur n’a-t-il pas cherché, en armant les maris, à donner plus de retenue aux femmes, par conséquent plus de violence aux passions, plus d’argent au fisc, plus de vie au commerce et à l’agriculture ? Grâce à cette dernière Méditation, il peut se flatter d’avoir complétement obéi au vœu d’éclectisme qu’il a formé en entreprenant cet ouvrage, et il espère avoir rapporté, comme un avocat-général, toutes les pièces du procès, mais sans donner ses conclusions. En effet, que vous importe de trouver ici un axiome ? Voulez-vous que ce livre soit le développement de la dernière opinion qu’ait eue Tronchet, qui, sur la fin de ses jours, pensait que le législateur avait considéré, dans le mariage, bien moins les époux que les enfants ? Je le veux bien. Souhaitez-vous plutôt que ce livre serve de preuve à la péroraison de ce capucin qui, prêchant devant Anne d’Autriche et voyant la reine ainsi que les dames fort courroucées de ses arguments trop victorieux sur leur fragilité, leur dit en descendant de la chaire de vérité : — Mais vous êtes toutes d’honnêtes femmes, et c’est nous autres qui sommes malheureusement des fils de Samaritaines… Soit encore. Permis à vous d’en extraire telle conséquence qu’il vous plaira ; car je pense qu’il est fort difficile de ne pas rassembler deux idées contraires sur ce sujet qui n’aient quelque justesse. Mais le livre n’a pas été fait pour ou contre le mariage, et il ne vous en devait que la plus exacte description. Si l’examen de la machine peut nous amener à perfectionner un rouage ; si en nettoyant une pièce rouillée nous avons donné du ressort à ce mécanisme, accordez un salaire à l’ouvrier. Si l’auteur a eu l’impertinence de dire des vérités trop dures, s’il a trop souvent généralisé des faits particuliers, et s’il a trop négligé les lieux communs dont on se sert pour encenser les femmes depuis un temps immémorial, oh ! qu’il soit crucifié ! Mais ne lui prêtez pas d’intentions hostiles contre l’institution en elle-même : il n’en veut qu’aux femmes et aux hommes. Il sait que, du moment où le mariage n’a pas renversé le mariage, il est inattaquable ; et, après tout, s’il existe tant de plaintes contre cette institution, c’est peut-être parce que l’homme n’a de mémoire que pour ses maux, et qu’il accuse sa femme comme il accuse la vie, car le mariage est une vie dans la vie. Cependant, les personnes qui ont l’habitude de se faire une opinion en lisant un journal médiraient peut-être d’un livre qui pousserait trop loin la manie de l’éclectisme ; alors, s’il leur faut absolument quelque chose qui ait l’air d’une péroraison, il n’est pas impossible de leur en trouver une. Et puisque des paroles de Napoléon servirent de début à ce livre, pourquoi ne finirait-il pas ainsi qu’il a commencé ? En plein Conseil-d’État donc, le premier consul prononça cette phrase foudroyante, qui fait, tout à la fois, l’éloge et la satire du mariage, et le résumé de ce livre : — Si l’homme ne vieillissait pas, je ne lui voudrais pas de femme !
POST-SCRIPTUM.
— Et, vous marierez-vous ?… demanda la duchesse à qui l’auteur venait de lire son manuscrit.
(C’était l’une des deux dames à la sagacité desquelles l’auteur a déjà rendu hommage dans l’introduction de son livre.)
— Certainement, madame, répondit-il. Rencontrer une femme assez hardie pour vouloir de moi sera désormais la plus chère de toutes mes espérances.
— Est-ce résignation ou fatuité ?…
— C’est mon secret.
— Eh ! bien, monsieur le docteur ès-arts et sciences conjugales, permettez-moi de vous raconter un petit apologue oriental que j’ai lu jadis dans je ne sais quel recueil qui nous était offert, chaque année, en guise d’almanach. Au commencement de l’empire, les dames mirent à la mode un jeu qui consistait à ne rien accepter de la personne avec laquelle on convenait de jouer sans dire le mot Diadesté. Une partie durait, comme bien vous pensez, des semaines entières, et le comble de la finesse était de se surprendre l’un ou l’autre à recevoir une bagatelle sans prononcer le mot sacramentel.
— Même un baiser ?
— Oh ! j’ai vingt fois gagné le Diadesté ainsi ! dit-elle en riant.
— Ce fut, je crois, en ce moment et à l’occasion de ce jeu, dont l’origine est arabe ou chinoise, que mon apologue obtint les honneurs de l’impression.
— Mais, si je vous le raconte, dit-elle en s’interrompant elle-même pour effleurer l’une de ses narines avec l’index de sa main droite par un charmant geste de coquetterie, permettez-moi de le placer à la fin de votre ouvrage…
— Ne sera-ce pas le doter d’un trésor ?… Je vous ai déjà tant d’obligations, que vous m’avez mis dans l’impossibilité de m’acquitter : ainsi j’accepte.
Elle sourit malicieusement et reprit en ces termes :
— Un philosophe avait composé un fort ample recueil de tous les tours que notre sexe peut jouer ; et, pour se garantir de nous, il le portait continuellement sur lui. Un jour, en voyageant, il se trouva près d’un camp d’Arabes. Une jeune femme, assise à l’ombre d’un palmier, se leva soudain à l’approche du voyageur, et l’invita si obligeamment à se reposer sous sa tente, qu’il ne put se défendre d’accepter. Le mari de cette dame était alors absent. Le philosophe se fut à peine posé sur un moelleux tapis, que sa gracieuse hôtesse lui présenta des dattes fraîches et un al-carasaz plein de lait ; il ne put s’empêcher de remarquer la rare perfection des mains qui lui offrirent le breuvage et les fruits. Mais, pour se distraire des sensations que lui faisaient éprouver les charmes de la jeune Arabe, dont les piéges lui semblaient redoutables, le savant prit son livre et se mit à lire. La séduisante créature, piquée de ce dédain, lui dit de la voix la plus mélodieuse :
— Il faut que ce livre soit bien intéressant, puisqu’il vous paraît la seule chose digne de fixer votre attention. Est-ce une indiscrétion que de vous demander le nom de la science dont il traite ?… Le philosophe répondit en tenant les yeux baissés :
— Le sujet de ce livre n’est pas de la compétence des dames ! Ce refus du philosophe excita de plus en plus la curiosité de la jeune Arabe. Elle avança le plus joli petit pied qui jamais eût laissé sa fugitive empreinte sur le sable mouvant du désert. Le philosophe eut des distractions, et son œil, trop puissamment tenté, ne tarda pas à voyager de ces pieds, dont les promesses étaient si fécondes, jusqu’au corsage plus ravissant encore ; puis il confondit bientôt la flamme de son admiration avec le feu dont pétillaient les ardentes et noires prunelles de la jeune Asiatique. Elle redemanda d’une voix si douce quel était ce livre, que le philosophe charmé répondit : — Je suis l’auteur de cet ouvrage ; mais le fond n’est pas de moi, il contient toutes les ruses que les femmes ont inventées.
— Quoi !…toutes absolument ? dit la fille du désert.
— Oui, toutes ! Et ce n’est qu’en étudiant constamment les femmes que je suis parvenu à ne plus les redouter. — Ah !… dit la jeune Arabe en abaissant les longs cils de ses blanches paupières, puis, lançant tout à coup le plus vif de ses regards au prétendu sage, elle lui fit oublier bientôt et son livre et les tours qu’il contenait. Voilà mon philosophe le plus passionné de tous les hommes. Croyant apercevoir dans les manières de la jeune femme une légère teinte de coquetterie, l’étranger osa hasarder un aveu. Comment aurait-il résisté ? le ciel était bleu, le sable brillait au loin comme une lame d’or, le vent du désert apportait l’amour, et la femme de l’Arabe semblait réfléchir tous les feux dont elle était entourée : aussi ses yeux pénétrants devinrent humides ; et, par un signe de tête qui parut imprimer un mouvement d’ondulation à cette lumineuse atmosphère, elle consentit à écouter les paroles d’amour que disait l’étranger. Le sage s’enivrait déjà des plus flatteuses espérances, quand la jeune femme, entendant au loin le galop d’un cheval qui semblait avoir des ailes, s’écria :
— Nous sommes perdus ! mon mari va nous surprendre. Il est jaloux comme un tigre et plus impitoyable… Au nom du prophète, et si vous aimez la vie, cachez-vous dans ce coffre !… L’auteur épouvanté, ne voyant point d’autre parti à prendre pour se tirer de ce mauvais pas, entra dans le coffre, s’y blottit ; et, la femme le refermant sur lui, en prit la clef. Elle alla au-devant de son époux ; et, après quelques caresses qui le mirent en belle humeur :
— Il faut, dit-elle, que je vous raconte une aventure bien singulière.
— J’écoute, ma gazelle, répondit l’Arabe qui s’assit sur un tapis en croisant les genoux selon l’habitude des Orientaux.
— Il est venu aujourd’hui une espèce de philosophe ! dit-elle. Il prétend avoir rassemblé dans un livre toutes les fourberies dont est capable mon sexe, et ce faux sage m’a entretenue d’amour.
— Eh ! bien.. s’écria l’Arabe.
— Je l’ai écouté !… reprit-elle avec sang-froid, il est jeune, pressant et… vous êtes arrivé fort à propos pour secourir ma vertu chancelante !… L’Arabe bondit comme un lionceau, et tira son cangiar en rugissant. Le philosophe qui, du fond de son coffre, entendait tout, donnait à Arimane son livre, les femmes et tous les hommes de l’Arabie-Pétrée.
— Fatmé !… s’écria le mari, si tu veux vivre, réponds !… Où est le traître ?… Effrayée de l’orage qu’elle s’était plu à exciter, Fatmé se jeta aux pieds de son époux, et, tremblant sous l’acier menaçant du poignard, elle désigna le coffre par un seul regard aussi prompt que timide. Elle se releva honteuse, et, prenant la clef qu’elle avait à sa ceinture, elle la présenta au jaloux ; mais au moment où il se disposait à ouvrir le coffre, la malicieuse Arabe partit d’un grand éclat de rire. Faroun s’arrêta tout interdit, et regarda sa femme avec une sorte d’inquiétude.
— Enfin j’aurai ma belle chaîne d’or ! s’écria-t-elle en sautant de joie, donnez-la-moi, vous avez perdu le Diadesté. Une autre fois ayez plus de mémoire. Le mari, stupéfait, laissa tomber la clef, et présenta la prestigieuse chaîne d’or à genoux, en offrant à sa chère Fatmé de lui apporter tous les bijoux des caravanes qui passeraient dans l’année, si elle voulait renoncer à employer des ruses si cruelles pour gagner le Diadesté. Puis, comme c’était un Arabe, et qu’il n’aimait pas à perdre une chaîne d’or, bien qu’elle dût appartenir à sa femme, il remonta sur son coursier et partit, allant grommeler à son aise dans le désert, car il aimait trop Fatmé pour lui montrer des regrets. La jeune femme, tirant alors le philosophe plus mort que vif du coffre où il gisait, lui dit gravement :
— Monsieur le docteur, n’oubliez pas ce tour-là dans votre recueil.
— Madame, dis-je à la duchesse, je comprends ! Si je me marie, je dois succomber à quelque diablerie inconnue ; mais, j’offrirai, dans ce cas, soyez-en certain, un ménage modèle à l’admiration de mes contemporains.
Paris, 1824-1829.
Date de dernière mise à jour : 28/12/2024
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